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« Il est sauvé »

 

« Mes pensées ne sont pas vos pensées (1) », dit le Seigneur. En effet, ses desseins sont impénétrables : là où parfois l'homme condamne, Dieu peut absoudre. Ses miséricordes sont infinies : certaines morts font frémir et semblent, selon toutes les apparences, jeter des âmes en enfer ; et Dieu, qui voit plus loin que les dehors, pardonne. Que c'est consolant !

Le fait suivant en est une preuve émouvante.

 

Un jour, M. Guillaumet, qui fut de longues années supérieur de l'Immaculée-Conception à Saint-Dizier (Haute-Marne), se rendait à Ars. Dans son compartiment il n'était question que des merveilles du saint village : le nom de M. Vianney était sur toutes les lèvres. Or, assise aux côtés du vénérable supérieur, une dame en noir écoutait silencieusement.

Comme, à l'arrivée en gare de Villefranche-sur-Saône, les pèlerins s'apprêtaient à descendre, cette femme inconnue ouvrit enfin la bouche pour dire à M. Guillaumet :

« Monsieur l'abbé, permettez-moi de vous suivre à Ars... Autant là qu'ailleurs, n'est-ce pas ? Je voyage pour me distraire... Voulez-vous me renseigner quand nous serons là-bas ? »

M. Guillaumet répondit qu'il ferait son possible pour lui faire voir le saint dont on parlait tant. Le catéchisme de onze heures touchait à sa fin. Le prêtre conduisit la pauvre dame entre l'église et le vieux presbytère.

L'attente ne fut pas longue. Le Curé d'Ars, revêtu encore du surplis, apparut. Il marchait à pas lents, la tête inclinée.

Subitement, il s'arrêta devant cette femme en deuil, et M. Guillaumet l'entendit qui lui disait doucement :

« Il est sauvé ! »

Elle eut un sursaut. M. Vianney reprit :

« Oui, il est sauvé ! »

Un geste d'incrédulité fut toute la réponse de la dame. Alors le Curé d'Ars, scandant bien tous les mots, répliqua :

« Je vous dis qu'il est sauvé ; qu'il est en purgatoire et qu'il faut prier pour lui... Entre le parapet du pont et l'eau, il a eu le temps de faire un acte de repentir. C'est la Très Sainte Vierge qui a obtenu sa grâce. Rappelez-vous le mois de Marie élevé dans votre chambre. Votre époux irréligieux ne s'y est point opposé ; il s'est même parfois uni à votre prière... Cela lui a mérité un suprême pardon ».

 

M. Guillaumet ne comprenait rien à ces paroles. Il ne sut que le lendemain de quelles lumières merveilleuses Dieu éclairait son serviteur. La dame en deuil passa dans la solitude et la prière les heures qui suivirent son entrevue avec M. Vianney. Sa physionomie n'était plus la même ; elle n'avait plus cet air d'abattement et de tristesse profonde qui gênait tant ceux qui l'approchaient.

Sur le point de repartir, elle alla remercier M. Guillaumet de lui avoir ménagé l'entrevue qui venait de transformer sa vie :

« Je m'en vais d'Ars, lui dit-elle, et je m'en retourne guérie ! Les médecins m'obligeaient à voyager pour ma santé, mais je n'avais au fond qu'un désespoir atroce en songeant à la fin tragique de mon mari. Il était incroyant, et je ne vivais que dans l'espérance de le ramener à Dieu. Et il s'est suicidé, noyé !... Je ne pouvais le croire que damné... Plus jamais je ne le reverrais !... Et vous avez entendu ce que le saint m'a dit : « Il est sauvé ! » Je le reverrai donc au ciel !... Monsieur l'abbé, je suis guérie ! » (2)

 

 

(1) Isaïe, LV, 8

(2) Ce récit provient d'une relation de M. le chanoine Maucotel, supérieur du grand séminaire de Verdun, qui le tenait directement de M. Guillaumet

 

 

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