XVI

 

Les fleurs

 

Voici une histoire qu'on retrouve dans les Mois de Marie, où, en vérité, elle est bien à sa place ; mais il faut, croyons-nous, en rechercher le document original, authentique, parmi les pièces de la Cause, sauf à le compléter par des détails secondaires empruntés à des sources différentes (1).

Mlle Alix de Belvey, une fervente d'Ars dont les témoignages demeurent si précieux, semble avoir connu personnellement la châtelaine dont il va être question ; toutefois elle ne la désigne dans sa déposition que par les termes vagues : « une dame pieuse (2) ». Quoi qu'il en soit, venons au fait.

 

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Donc, « une dame pieuse » avait un mari qui ne pratiquait pas : sans doute, au fond, cet homme n'était-il pas un impie, mais il ne le montrait guère. Tout malade du cœur qu'il était, il ne se résignait pas, malgré les conseils de son médecin, à abandonner son sport favori, l'équitation. Sa femme tremblait qu'il ne lui arrivât malheur. Elle priait ardemment pour qu'au moins sa mort fût chrétienne.

Or, un jour, on le lui rapporta sur une civière. Un étourdissement sans doute, une crise au cœur peut-être, et cet excellent cavalier était tombé de cheval. Il était dans le coma. La mort vint rapide. Un prêtre arriva trop tard...

Ce fut pour la pieuse épouse une épreuve accablante. Ce mari qu'elle aimait tant, pour qui elle avait tant prié, s'en était allé au jugement de Dieu sans sacrements, sans l'apparence d'un repentir. Elle ne dormait plus. Elle délirait. On trembla pour sa raison...

On l'envoya dans le Midi avec ses deux enfants et on eut l'idée de la faire passer par le village d'Ars. Peut-être le saint Curé lui rendrait-il l'espoir, et avec l'espoir la force de vivre.

« Mais, madame, lui dit M. Vianney à la première rencontre, avez-vous oublié les bouquets de fleurs que vous offriez à la Sainte Vierge? »

Intentionnellement, le Curé d'Ars pesait sur ce vous qui dans sa pensée désignait, à la fois l'époux et l'épouse. La dame tressaillit. Il y eut dans ses yeux las un étonnement, puis un éclair de bonheur.

« Le bon Dieu, ajouta M. Vianney, a pris en pitié celui qui avait honoré sa sainte Mère. A l'instant de sa mort, votre époux a pu se repentir : son âme est en purgatoire. Vos prières et vos bonnes œuvres l'en feront sortir. »

 

Pourquoi donc la voyageuse éplorée avait-elle tressailli en entendant le saint parler de fleurs ? C'est qu'elle avait saisi tout de suite qu'il y avait un rapport entre ces bouquets et la pitié de Dieu. Elle s'était plue, avant son lugubre veuvage, à fleurir abondamment la statue de la Vierge qui ornait l'une des pièces de la maison. Et son mari, sachant bien l'usage qu'elle en faisait, aimait à cueillir ces fleurs.

Les paroles du Curé d'Ars, comme dit Mlle de Belvey achevant son récit, « rassurèrent cette dame, lui rendirent la santé du corps et le calme de l'esprit ». (3)

 

 

(1) Par exemple, le récit de Scavelli, dans La vie nouvelle, reproduit par la Semaine religieuse de Lyon (9 août 1912) ; un autre récit paru dans Le Petit messager du Cœur de Marie, numéro de novembre 1880, etc.

(2) Procès apostolique inchoatif, folio 234

(3) Malgré soi, on établit un rapprochement entre ce fait et l'un de ceux qui précèdent – « Il est sauvé », récit X, p. 22 – Mais les deux faits sont réellement distincts l'un de l'autre

 

 

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