XVIII

 

L'intervention des Anges

 

Le fait merveilleux qui va suivre montre en quelle communication continuelle se tenait le Curé d'Ars avec le monde des esprits. Il est encore une preuve palpable de l'existence de l'ange gardien qui veille sur chacun de nous.

Ce récit, Mme Berthelier-Vernay l'avait entendu faire souvent au principal héros de l'aventure et c'était, comme elle nous le dira elle-même – car sa lettre à Mgr Convert vaut vraiment d'être citée tout entière – un « souvenir conservé très vivant dans la famille ».

 

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Roanne, le 7 novembre 1910

Monsieur le Curé,

 

Lors d'un récent pèlerinage que je faisais à Ars, vous m'aviez demandé de vouloir bien vous donner par écrit le récit d'un fait, que j'ose appeler miraculeux, relatif au saint Curé d'Ars, et dont le souvenir s'est conservé très vivant dans ma famille.

 

Mon grand-père paternel, Maurice Vernay, était loueur de voitures à Roanne, et, chez lui, voitures et chevaux ne chômaient jamais, car les voitures étaient confortables et les chevaux vigoureux.

Très bon conducteur, mon grand'père était en même temps excellent chrétien. Il savait prendre ses dispositions, tout en satisfaisant ses clients, pour ne jamais entreprendre un long voyage sans avoir, auparavant, entendu la messe ; qu'il se rendit à Lyon ou à Paris, il était bien rare si, en cours de route, il ne trouvait pas moyen de satisfaire sa dévotion.

 

Un jour, Mme D..., veuve d'un général, vint le trouver : « Père Maurice, je désire me rendre à Ars demain, et il faut que vous me conduisiez ». Mon grand-père fait remarquer à Mme D... que l'époque est mal choisie, de grandes pluies ont grossi les rivières, il en faudra traverser à gué, et le voyage, dans ces conditions, ne saurait s'accomplir sans danger. Mais Mme D... est habituée à commander, elle entend être obéie ; on partira le lendemain et on s'arrêtera à Charlieu.

 

Aussitôt arrivé dans cette ville, mon grand-père s'informe auprès des gens du pays. Les rivières, lui confirme-t-on, ont monté beaucoup, et vouloir les passer à gué serait souverainement imprudent.

Le lendemain, nouvelles remontrances de mon grand-père à Mme D…, et, de la part de celle-ci, nouveau refus de s'y soumettre ; on se met donc en route. Arrivé en face du lieu où la rivière doit être traversée, mon grand-père hésite à nouveau ; mais son impérieuse cliente, abandonnant sa femme de chambre dans l'intérieur de la voiture, où l'eau pénétrera infailliblement, se hisse sur le siège et commande d'avancer.

 

Le cheval lutte d'abord vaillamment contre le courant. Il ne tarde pas, malheureusement, à perdre pied, et le voilà entraîné à la dérive avec la voiture.

Mon grand-père, qui se sent impuissant, du fond du cœur invoque son ange gardien, l'appelle à son secours. Soudain il lui semble qu'une main vigoureuse a saisi la bride de son cheval et l'entraîne vers l'autre bord ; l'animal redouble d'efforts ; il ne tarde pas à reprendre pied et à aborder la rive opposée.

 

Mon grand-père, d'un ton d'autorité cette fois, s'adressant aux voyageuses : « Mesdames, remercions Dieu, nous venons d'échapper miraculeusement à la mort ». Et tous de se mettre à genoux et de remercier Dieu. Après quoi, ils repartirent, toujours sous le coup d'une profonde émotion.

 

Lorsqu'ils arrivèrent, à Ars, Mme D... et la personne qui l'accompagnait se retirèrent dans une chambre d'hôtel. Mon grand-père, qui savait qu'en raison de la foule des étrangers, il n'était pas toujours facile d'aborder le saint Curé et qu'avant de pouvoir s'adresser à lui une longue attente s'imposait au pèlerin, donna des ordres pour qu'on s'occupât de son cheval, et il se rendit immédiatement à l’église.

Or il se trouva un des premiers au confessionnal du saint Curé d'Ars, qui alors entendait les hommes à la sacristie. Avant que son pénitent commençât sa confession, il lui dit : « Eh ! bien, père Maurice, à quoi pensiez-vous ? Quelle imprudence vous avez commise en vous engageant dans la rivière dont le courant était si fort ! Vous deviez tous périr, si l'on n'était venu à votre aide, si votre bon ange ne vous avait secourus. »

Il est facile de juger de la surprise de mon grand-père. Il arrivait. Le fait n'était connu que de lui et des deux voyageuses. Celles-ci n'avaient point encore vu le saint, n'avaient pu encore entretenir personne du danger couru. Qui donc avait pu en informer M. Vianney ?

Mon grand-père aimait à nous raconter ce prodige. Et tous, dans la famille, nous partagions son admiration, sa vénération, son culte pour le saint Curé d'Ars.

 

Voilà, monsieur le Curé, le trait dont je vous avais entretenu et dont je vous avais promis le récit par écrit.

Veuillez agréer l'expression de mes sentiments les plus respectueux.

 

Marie BERTHELIER-VERNAY

16, rue du Marais, Roanne (Loire)

 

 

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