I

 

« Un petit saint de plus »

 

Une pieuse personne de Lyon avait pris l'habitude de visiter chaque année le village d'Ars. Son premier pèlerinage remontait à 1832. Une de ses bonnes voisines, Mme Denuelle, aurait bien voulu la suivre afin de contempler, elle aussi, ce saint dont la renommée s'était répandue dans toute la ville. Malheureusement, ses occupations et son peu de fortune ne lui permettaient pas un tel voyage. Elle se contentait d'écrire ses recommandations pour M. Vianney et de les confier à son amie ; mais elle ne signait jamais que par ces mots : une mère de famille.

Pendant un certain nombre d'années, chaque fois que le Curé d'Ars voyait arriver la charitable commissionnaire, il lui demandait en souriant : « Et la mère de famille ? ». A plusieurs reprises, il ajouta : « Vous lui direz qu'elle prie beaucoup et qu'un jour elle viendra me voir ».

Ce qui se réalisa en effet. Mme Denuelle eut le bonheur de voir ce saint de Dieu. Elle insista pour qu'il se souvînt à l'autel d'elle-même et de son petit garçon, enfant très pieux et très doux qui était son unique trésor.

En 1843, l'enfant, alors âgé de onze ans et demi, mourut. Peu de jours après, l'amie de la pauvre mère entreprit son pèlerinage annuel.

Elle aborda M. Vianney tandis qu'il passait sur la place. Or, comme elle le saluait, le saint Curé lui dit sur un ton de compassion affectueuse : « Oh ! la mère de famille a bien du chagrin ! Vous lui direz que son enfant n'était pas pour le monde. C'est un petit saint de plus au ciel ».

« Ce fait, conclut M. Ball en son registre d'enquêtes, m’a été certifié par Mme Denuelle elle-même dans une relation qu'elle m'a fait remettre, fin janvier 1881, par M. Jean-Baptiste Génetier, qui, lui aussi, le confirme de son témoignage ». (1) 

 

(1)  Documents, N° 92