XVIII

 

Le serpent dans la maison

 

Une bonne fermière de la Bresse, Mme Mercier, avait pris l'habitude de faire chaque année dans Ars une petite récollection. Elle y entendait fidèlement les catéchismes de M. Vianney, récitait rosaire sur rosaire ; mais son tout premier soin était de prendre rang pour arriver le plus tôt possible au confessionnal. Cela demandait plus ou moins de jours.

Une année, Mme Mercier eut de la chance, n'ayant pas dû attendre beaucoup plus de vingt-quatre heures. Mais elle comptait bien rester à l'église quand même, afin de satisfaire sa dévotion. On la reverrait ainsi là-bas dans Bâgé-la-Ville à la date convenue.

« Combien de temps, lui demanda le serviteur de Dieu, pensez-vous demeurer ici ?

— Jusqu'à demain, mon Père.

— Non, non, partez aujourd'hui même. Il y a un serpent dans votre maison. »

Un serpent dans la maison !... Et son mari et ses enfants !... N'étaient-ils pas en danger ?... Assurée que le Curé d'Ars avait dit vrai, Mme Mercier reprit en hâte la route de Bâgé-la-Ville.

 

Revenue à la ferme, elle y retrouva tout dans l'ordre accoutumé. Toutefois, elle mourait d'inquiétude, tremblant de voir se dresser sous ses pas quelque bête venimeuse... Mais peut-être avait-elle mal compris ? Ce « serpent dans la maison », n'était-ce pas quelque louche visiteur survenu pendant son absence ? La fermière interrogea. Rien qui valût la peine d'être signalé depuis son départ. Tout au plus son mari s'était-il mêlé de toucher un peu aux choses du ménage. En cette journée de clair soleil, il avait étendu quelques heures sur l'aire le contenu de la paillasse et...

Mme Mercier sursauta. « Le serpent ! » s'écria-t-elle. Et elle montrait le lit, auquel personne ne paraissait avoir touché. Elle en frappa l'un des montants. Aussitôt un gros reptile se glissa hors de la paillasse et s'élança sur le sol. Il rampa vers la cour où le tuèrent les domestiques accourus aux cris de la fermière. (1)

 

 

(1) Annales d'Ars, octobre 1901