II

 

Le cousin et la cousine Vianney

 

En juillet 1860, à Villeurbanne, tout près de Lyon, se mourait un ancien soldat de l'Empire. Un prêtre, M. Barge, qui sera plus tard curé de Villette-d'Anthon, dans l'Isère, fut appelé près du malade. Cet homme se fit connaître : Michel Vianney, cousin de ce Curé d'Ars qui était mort l'année précédente.

Cela suffit, comme on le pense, pour inspirer au prêtre les exhortations utiles. Le malade reçut les derniers sacrements en d'excellentes dispositions.

II aimait à parler, dans ses derniers jours, de son illustre parent. C'est ainsi qu'il put conter à M. Barge un trait bien curieux d'intuition.

Le fait remontait à 1836 ou 1837. A cette époque, la renommée du Curé d'Ars était déjà grande. « Il faut que nous allions le voir, nous aussi, dit un jour Michel Vianney à sa femme. » Elle consentit. Tous deux arrivèrent à Ars pendant que leur cousin faisait le catéchisme. Mais ils durent renoncer à l'entendre, tellement la foule se pressait dans l'église.

« Alors, on ne peut pas le voir et lui parler tout de suite ? demanda Mme Michel Vianney.

— Oh ! madame, répondit en souriant un pèlerin fort ennuyé au fond d'avoir à rester là des heures, sinon des jours, faites comme les autres : prenez patience ! »

 

Le catéchisme terminé, on se levait dans l'assistance pour mieux voir le serviteur de Dieu. Voilà que le Curé d'Ars passe à travers les rangs, sort de l'église et va droit à Michel Vianney, dont il ignorait la présence et que, d'ailleurs, il n'avait jamais vu. Michel demeurait cloué sur place.

« Mon cher cousin, dit l'abbé Jean-Marie, en lui prenant affectueusement les mains, mon cher Michel, que je suis content de vous voir ! Venez un peu chez moi. » Et il l'emmène au presbytère.

On y cause de la famille, des morts et des vivants. Soudain, le Curé d'Ars se ravise. « Et ma cousine ? interroge-t-il... Je vais la chercher.

— Mais vous ne la trouverez pas.

— J'y vais. Restez ici bien tranquille. »

Et en effet, elle qu'il ne connaissait pas davantage, il la discerna parmi les pèlerins, il l'appela par son prénom, et il la conduisit elle aussi à la cure.

 

Lorsque M. et Mme Michel Vianney se retrouvèrent seuls, ils s'adressèrent la même question l'un à l'autre :

« Mais tu l'avais prévenu ? »

Et la même réponse :

« Point du tout !

— Alors ?

— Alors, il nous a reconnus sans nous connaître ! (1) »

 

 

(1) Documents Ball, N° 31