VI

 

Trois francs bien placés

 

M. Vianney fut la providence des pauvres. Ars était devenu comme leur quartier général : tous ceux de la contrée semblaient s'y être donné rendez-vous. C'est que le saint ne refusait jamais l'aumône ; il portait constamment dans l'une de ses poches un petit sac bleu où il y avait des pièces d'argent. Le soir, il s'amusait à compter sa recette, c'est-à-dire à calculer ce qu'il avait donné dans la journée. Et tout n'allait pas qu'aux professionnels de la mendicité ; une intuition d'en haut indiquait au Voyant les besoins cachés.

Sœur Marie-François d'Assise, jeune religieuse du Tiers Ordre Franciscain de Saint-Sorlin, était venue avec sa supérieure faire à Ars une retraite de quatre jours. Les deux tertiaires logèrent chez l'habitant et dépensèrent le moins possible. Elles n'étaient pas riches ; cependant, tout compte fait, elles auraient le nécessaire jusqu'à leur retour à Saint-Sorlin.

Comme elles se disposaient à quitter Ars, elles rencontrèrent M. Vianney. A leur vue, le saint s'arrêta et tira son petit sac de sa poche. Il en retirait trois pièces d'un franc.

« Prenez ceci, ma bonne Sœur, dit-il à la supérieure, prenez, vous en aurez besoin.

— Mais, monsieur le Curé, j'ai assez d'argent pour notre voiture.

— Prenez tout de même, mon enfant. »

Un peu embarrassée de la prévenance, la religieuse accepta les trois francs qu'elle glissa dans le panier à provisions.

Descendue à Villefranche-sur-Saône, la supérieure voulut payer le voiturier. C'était un franc cinquante par voyageur. Elle chercha sa bourse. En vain ! Le porte-monnaie, contenant juste les trois francs nécessaires, s'était égaré pendant le voyage. Et ce furent les trois pièces de M. Vianney, glissées parmi les provisions, qui tirèrent d'embarras les deux pauvres Sœurs. (1)

 

 

(1) Sœur Marie-François d'Assise, née Louise Perret, qui devait mourir en 1879 supérieure générale de la Congrégation des Petites-Sœurs de Jésus Franciscaines, a témoigné elle-même du fait au Procès de l'Ordinaire le 8 août 1864