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Guérie d'âme et de corps

 

Ancienne institutrice, Mlle Marie Robert, de Clermont-Ferrand, a aujourd'hui quatre-vingt-deux ans. « J'ai toujours suivi, écrit-elle (1), les excellents et pieux conseils que m'a donnés M. Vianney. Je m'en suis bien trouvée. »

Mlle Robert est un témoin de bonne mémoire autant que de bonne foi. « J'avais dix-neuf ans quand se sont déroulés les événements que je raconte. Or je me rappelle toutes ces choses comme si elles étaient d'hier... Mais je tiens à ce qu'elles ne tombent pas dans l'oubli. C'est pourquoi je les fais connaître avant de mourir. »

 

En 1857, Mlle Marie Robert, très anémiée, fait le pèlerinage de Fourvière. Elle espère sa guérison de la Sainte Vierge, mais en même temps elle songe à profiter de son voyage pour visiter Ars et sa vivante merveille. Une jeune fille de ses amies l'accompagne.

De Lyon-Perrache à Villefranche, nos pèlerines lièrent conversation avec deux autres jeunes filles venues de Dijon et qui se dirigeaient, elles aussi, vers le saint village. L'une d'elles, ayant le genou droit complètement ankylosé et la jambe inerte, marchait très péniblement avec des béquilles. Pour descendre du train à Villefranche comme pour monter dans l'omnibus d'Ars, il fallut qu'un des employés vînt à son secours.

 

« Après notre modeste souper, raconte Mlle Robert, nous allâmes toutes quatre à l'église réciter la prière et le chapelet, puis recevoir la bénédiction du Saint-Sacrement. Quand le bon M. Vianney descendit de chaire, traversant la nef de l'église, la demoiselle qui avait le genou ankylosé osa toucher du bout des doigts le surplis de M. le Curé, en lui disant :

« Mon Père, je viens vous demander ma guérison. »

M. Vianney se retourna vers elle et avec un regard foudroyant :

« Malheureuse que vous êtes, lui répondit-il, avant de solliciter la guérison de votre corps, demandez donc plutôt celle de votre âme ! »

Et il passa. Mais nous l'entendîmes qui ajoutait en se rendant lentement vers le chœur :

« Il est vrai que la Chananéenne se contentait des miettes qui tombaient de la table du Maître. »

Le lendemain matin, cette pauvre estropiée alla se mettre sur les rangs pour se confesser. Tout à coup M. le Curé sortit de son confessionnal et lui fit signe de venir. Chaque jour, pendant une semaine entière, elle revint ainsi et put faire sa confession générale.

Enfin, le 8 septembre, fête de la Nativité de la Sainte Vierge, nous voici toutes les quatre à la messe. La jeune fille, bien convertie cette fois, se dirige, le moment venu, vers la sainte table. Mais à peine s'est-elle levée que ses béquilles lui échappent et tombent à terre. Elle est droite et marche sans boiter. Et tout de suite, les personnes qui nous entourent de s'écrier : « Miracle ! Miracle ! »

M. Vianney, qui s'était mis à donner la communion, s'arrête un instant et dit à haute voix : « Silence, mes enfants, silence ! » De grosses larmes emplissent ses yeux et ruissellent sur sa chasuble. La jeune fille communie, revient à sa place et s'agenouille à terre comme nous. Elle était complètement guérie. Qu'on juge de notre heureuse surprise !

Après la messe, le frère sacristain conduisit notre jeune amie à M. le Curé.

« Ma pauvre enfant, lui dit le saint, vous êtes bien indigne de la grande faveur que vous avez reçue aujourd'hui. Remerciez sainte Philomène de tout ce qui vous arrive. Moi, je n'y suis pour rien...

— Mais, mon Père, faut-il laisser mes béquilles dans la chapelle de la sainte ?

— Non, remportez-les chez vous. Vous reviendrez dans quelque temps avec votre mère, et ensemble vous remercierez bien sainte Philomène. »

 

Lorsque nous partîmes d'Ars, cette demoiselle remportait ses béquilles sous son bras. Le conducteur de l'omnibus lui dit en souriant : « Ah ! je vois ce qui est arrivé. Aujourd'hui vous n'avez plus besoin de moi pour monter en voiture ». Et ce brave homme se parlait à lui-même en allant et venant autour de ses chevaux : « Eh bien, mon vieux, tu ne voulais pas y croire. Tu ne peux plus nier à présent : c'est la troisième que tu vois guérie en quinze jours !... ».

Voilà ce que j'ai vu de mes yeux, entendu de mes oreilles, et j'affirme, ayant encore bonne mémoire, que je n'ai rien changé, rien exagéré et que tout s'est bien passé comme je le raconte.

Quant à moi, je fus guérie après avoir fait, sur les conseils du Curé d'Ars, deux neuvaines à sainte Philomène. »

 

 

(1) Lettre adressée à Mgr Convert en octobre 1921