XIII

 

Un faux pénitent qui cessa de l'être

 

« Oui, oui, affirmait dans la diligence de Lyon à Ars, un voyageur venu de la Drôme, qu'il y ait du monde ou qu'il n'y en ait pas, je verrai le curé, je le verrai !

— Vous y arriverez avec de la patience, rectifiait un de ses compagnons de route.

— Pensez, reprenait l'autre, que ma femme est malade et que les médecins n'y peuvent rien. On dit que ce prêtre fait des guérisons étonnantes... Avec nous il n'y perdra pas, sûrement. »

 

Or, dans l'église d'Ars, la foule était plus dense que jamais à l'heure où nos pèlerins y pénétrèrent. Tout de suite pourtant, l'homme qui voulait « voir le curé » s'informa de lui.

« Oh ! lui fut-il répondu, vous ne pourrez probablement pas le voir ailleurs que dans le confessionnal.

— Dans le confessionnal ?

— Oui, là, derrière la porte de la sacristie. »

Le voyageur n'avait pas prévu cette complication. Se confesser ? Diable ! Il y avait beau temps qu'il n'en avait plus l'habitude. « Après tout, songea-t-il, pourvu que le curé m'indique un remède !... » Et il s'assit au dernier rang des pénitents.

Enfin, la porte mystérieuse se referma sur notre homme. Il s'agenouilla, marmotta un semblant d'accusation, puis : « Monsieur le Curé, commença-t-il, je vous dirai que ma femme...

— Vous reviendrez demain, mon ami ! »

M. Vianney s'était levé et reconduisait le faux pénitent vers la porte.

Le lendemain, même comédie, même entrée et même sortie que la veille.

 

Le simulateur osa se présenter à la sacristie une troisième fois, sans que ses dispositions eussent changé, ni sa manière d'accuser ses fautes.

« Hé, mon ami, lui dit le Curé d'Ars, est-ce ainsi qu'on se moque du bon Dieu ? Vous ne dites pas ceci... et cela... Vous avez fait de la prison pour tel motif... Dans tel chemin, vous avez reçu des coups de bâton... »

Le pénitent de contrebande écoutait abasourdi. Il en avait oublié la maladie de sa femme. Il avoua qu'en effet ses confessions d'Ars n'étaient pas sincères ; qu'il avait été jadis impliqué, non sans raison, dans une affaire d'assassinat ; que, dans le chemin désigné, certaines gens s'étaient fait justice sur ses épaules... Mais comment le Curé d'Ars eût-il su ces choses sans une révélation de Dieu ? Du coup, cela ne plaisantait plus. L'homme agenouillé sentit passer en lui le frisson du mystère. La grâce d'En-Haut acheva de lui donner, après la sincérité, le repentir.

Il avoua ses fautes comme un vrai pénitent, en reçut l'absolution et se releva, l'âme guérie ; car le seul réellement malade dans sa famille, c'était lui. M. Vianney le lui fit comprendre.

L'homme de la Drôme avait pensé trouver un rebouteur ; il était tombé sur un saint.

 

Le document qui relate cette histoire n'ajoute rien au sujet de la femme malade. M. Ball s'est contenté de conclure ainsi son rapport : « Le Frère Athanase, directeur des Frères d'Ars, qui fait ce récit, en tient tous les détails du Frère Jérôme et de M. Pierre Oriol, à qui ce monsieur les avait racontés lui-même, le jour de sa troisième entrevue avec M. Vianney ». (1)

 

 

(1) Documents, N° 27