XVIII

 

La neuvaine du négociant

 

« M. Beaumont, curé de Saint-Langis-les-Mortagne (Orne), note le chanoine Ball, raconte dans une lettre à la date du 3 février 1878 qu'un de ses amis habitant la Ferté-Macé, M. Valpinson, négociant et voyageur pour son propre commerce, lui a fait part plusieurs fois, et toujours avec larmes, des faits suivants relatifs au don d'intuition surnaturelle dont était doué le vénérable Curé d'Ars. » (1)

 

On en parlait tant de ce Curé d'Ars que M. Valpinson résolut de profiter d'un de ses voyages dans la région lyonnaise pour pousser une pointe jusqu'à Villefranche, d'où il atteindrait facilement le petit et célèbre village... Il y arriva chargé d'une commission par une dame de ses compatriotes.

Homme débrouillard, M. Valpinson se faufila si bien parmi les rangs des pèlerins qu'il pénétra dans la sacristie à l'instant même où M. Vianney revenait de sa messe. En pareille conjoncture, le saint Curé était toujours bref.

« Mon Père, lui dit M. Valpinson, en manière de préambule, ma femme est malade... »

Elle ne l'était pas beaucoup, mais enfin elle l'était assez pour qu'il n'y eût pas mensonge. Le fin M. Vianney répliqua :

« Faites une neuvaine.

— Une mère, continua le commerçant, demande des nouvelles de son fils.

— Tout va bien », répondit M. le Curé sans plus ample informé. Et du geste il congédia M. Valpinson.

 

Celui-ci s'empressa de communiquer à Mme Migorel, la mère inquiète de son fils, que « tout allait bien ». Presque aussitôt d'ailleurs, cette dame en eut la preuve concrète : une bonne lettre lui arrivait de Valparaiso où le R P. Félix Migorel, religieux des Sacrés-Cœurs, était missionnaire. Or, c'était depuis plusieurs années la première lettre qu'elle reçût de lui.

 

De retour, M. Valpinson se mit à faire la neuvaine prescrite. Qu'en advint-il pour Mme Valpinson ? L'histoire ne le dit pas. Mais une chose certaine, c'est que, pendant ces neuf jours de prières, son mari dut se demander si le curé de là-bas ne lui avait pas joué un tour de sa façon : un tel désir de se confesser s'empara de notre négociant qu'il n'eut de paix qu'aux pieds d'un prêtre !

Peu de temps après, mû cette fois par un autre sentiment que la curiosité, il se retrouvait à Ars. Il se présenta au confessionnal de M. Vianney. Il n'eut guère que le temps de se signer.

« Oh ! je sais, commençait déjà le saint Curé, vous avez fait votre neuvaine, et vous vous êtes confessé il y a tant de jours... »

De ces jours il indiqua le nombre exact.

« Vous êtes ici, continua-t-il, pour deux jours encore... »

Ce qui était vrai. Alors le saint, s'arrêtant de parler, fondit en larmes.

« Hélas ! gémit-il enfin, vous avez un vice qui vous damnera, si vous ne le corrigez : c'est l'orgueil. »

Le pénitent n'avait pas encore ouvert la bouche... Il fit une confession fervente.

Comme il l'avait projeté, il demeura bien « deux jours encore » dans le village. Il y fit une sérieuse retraite, ce qu'il n'avait point prévu. « Ce n'était plus le même homme, écrit M. Ball ; ses idées étaient bouleversées de fond en comble. »

 

« M. Beaumont ajoute que, depuis lors, son ami de très vaniteux qu'il était réellement devint humble comme un petit enfant ; que, à son retour d'Ars, il était converti comme il faut l'être pour entrer dans le royaume des cieux. »

 

 

(1) Documents, N° 5