XXI

 

Le cas de conscience

 

Vers l'année 1855, M. l'abbé Félix Bernard, vicaire à Saint-Agricole d'Avignon, se trouvait, par le fait de son ministère, en face d'un cas de conscience fort difficile à résoudre et qui le préoccupait extrêmement. La question était si délicate qu'il ne pouvait prendre conseil de personne en Avignon.

Malgré les difficultés du voyage, M. Bernard se décida à partir pour Ars. Dès son arrivée, il se rendit à l'église. Là, il constata aisément que la renommée n'exagérait point : pas une place libre dans la nef ; à peine une dans les chapelles latérales. Le voyageur pensa que jamais il n'aborderait le saint Curé. Décidé à regagner sa paroisse de Saint-Agricole, il chercha cependant où loger jusqu'au lendemain. Il trouva une chambre à l'hôtel de Notre-Dame-des-Grâces, proche du presbytère.

Vers une heure de l'après-midi, M. Vianney visita dans le village une personne malade. Il s'en revenait vers l'église, escorté comme de coutume par une foule compacte, lorsque, déviant du chemin direct, il prit par la place qui longe le chevet de l'église, et se dirigea vers Notre-Dame-des-Grâces. Sans mot dire, il écarta doucement les gens qui l'entouraient, pénétra dans l'hôtel et monta à la chambre de M. Bernard.

On juge de la stupéfaction du prêtre avignonnais qui n'eut pas de peine à reconnaître, debout devant lui et souriant, celui dont les traits, grâce à l'imagerie, étaient devenus si populaires. Le Curé d'Ars ! M. l'abbé Bernard n'eut que le temps de le saluer.

« Mon cher ami, lui dit le saint, vous êtes donc venu me consulter pour telle affaire. J'aime mieux ne pas vous faire attendre. » Et ayant donné la réponse, claire, précise, définitive, il se retira.

 

Le R. P. Bernard, dominicain de la province de Lyon, neveu de l'ancien vicaire de Saint-Agricole (1), entendit bien des fois son oncle raconter ce trait. « Mon oncle, dit le religieux, fondait en larmes chaque fois qu'il pensait à ce miracle. »

 

 

(1) M. l'abbé Bernard devint chanoine et aumônier du lycée d'Avignon