V

 

« Allez à Fourvière »

 

Une dame fort pieuse avait un mari qui ne l'était pas. Au mois d'août 1855, ils montèrent à Fourvière, où la dame se présenta au confessionnal d'un jésuite tout récemment arrivé d'Amérique, le R. P. Aloysius Roccofort. Sans doute, après la confession, fut-il question du mari. Quoi qu'il en soit, ce monsieur accompagna ensuite sa femme à la résidence des Pères.

Au cours de l'entretien qu'il eut, en présence de la dame, avec le R. P. Roccofort, il ne cacha point ses véritables sentiments : il avait conservé la foi, mais il se refusait à reprendre des pratiques religieuses abandonnées depuis trop longtemps. Le Père fut éloquent, mit en œuvre les preuves les plus convaincantes, les plus véhémentes exhortations ; rien n'y fit.

« C'est vrai, répondait le visiteur à chacun des arguments, oui, c'est vrai, mais je ne puis pas. »

Sur un signe du Père, la dame se retira.

« M'avouerez-vous enfin, dit alors le religieux, la cause de votre endurcissement ?

— Le mauvais exemple, repartit l'autre. J'ai un frère dont la conduite scandaleuse m'a éloigné de la religion.

— Mais, mon ami, les fautes de votre frère lui sont personnelles. C'est un égaré, soit ! Est-ce une raison pour que vous-même...

— Inutile d'insister davantage, mon Père. Je ne puis pas... Je ne puis pas... »

Trois semaines peut-être après ce pénible entretien, le P. Aloysius Roccofort était demandé, une fois de plus, au parloir.

Il reconnut dans l'homme qui l'attendait le pécheur qui ne pouvait pas ; mais quel changement dans la physionomie et l'attitude du visiteur !

« Ah ! mon Père, commença-t-il, conduit par mon épouse si dévouée, je suis allé voir le Curé d'Ars. Je me tenais au milieu d'une file d'hommes qui désiraient lui parler, quand il passa tout près de moi. Il allait célébrer sa messe et il paraissait tout perdu en Dieu. Subitement, il s'arrêta. « Que faites-vous ici ? me dit ce saint prêtre. Vous ne pourriez pas m'aborder au confessionnal avant la nuit. Allez à Fourvière vous confesser au Père qui vient d'Amérique... Si votre frère a eu tort, il se convertira. Vous, ne perdez pas votre âme pour un si futile prétexte. »

Mon Père, les paroles du Curé d'Ars m'ont bouleversé. C'est un avertissement du ciel. »

Et, sanglotant, le pécheur humblement s'agenouilla pour se confesser.

 

M. le chanoine Toccanier se trouvant en pèlerinage à La Louvesc le 30 août 1878, entendit ce récit de la bouche même du R. P. Aloysius Roccofort, qui a toujours vu dans ce fait surprenant « comme une preuve manifeste que M. Vianney avait reçu de Dieu le don d'une intuition surnaturelle ». (1)

 

 

(1) Documents Ball, 46