XIII

 

« Vous serez bien contente »

 

La lettre suivante n'a pas été adressée à quelqu'un d'Ars, mais au R. P. Supérieur du monastère de la Pierre-qui-Vire, dans un temps où une épidémie s'était abattue sur les religieux. Mlle Anne-Marie Béney, en leur écrivant, voulait augmenter encore, s'il en était besoin, leur confiance dans les intercessions de ce bon Curé d'Ars, qui, de son vivant avait conseillé et dirigé leur vénéré Fondateur, le R. P. Marie-Jean-Baptiste Muard.

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... Mon frère, prêtre, avait contracté une maladie mortelle et tous les médecins l'avaient condamné. A Beaune, un habile docteur m'avait répondu : « Il n'a pas pour trois mois de vie ». Je résolus alors de partir pour Ars que je ne connaissais pas. A tout prix, je voulais consulter le saint Curé.

Arrivée à l'église, j'attends mon tour pour me confesser. Or, quand je suis à genoux, la première parole qu'il me dit : « Pauvre enfant, vous venez de si loin ! Quel courage ! Ayez confiance, mon enfant ! » Je ne lui avais pas indiqué le sujet de mon voyage et déjà il le savait. De plus, je ne lui avais pas dit que j'étais venue à l'insu de mes parents, mais quand il m'eut ordonné de commencer une neuvaine à sainte Philomène et que je lui eus répondu : « Je vais rester pour la faire à Ars.

— Non, mon enfant, me répliqua-t-il, non, vos parents seraient inquiets ; allez. Votre neuvaine sera aussi bonne chez vous qu'ici. »

 

De retour, je trouve une lettre de mon frère l'abbé – car il était allé voir un autre de mes frères – où il me grondait de mon absence prolongée, m'assurant qu'il était en pleine convalescence et qu'il ne pouvait s'expliquer le mieux qu'il éprouvait ; que rien ne lui faisait plus mal, qu'il mangeait de tout, qu'il dormait bien, qu'il marchait bien.

Quand je l'avais laissé, il ne pouvait prendre que du bouillon, il ne dormait pas et ne pouvait marcher.

Vous pensez bien que j'ai fait la remarque que ce mieux datait du jour où le saint prêtre m'avait dit : « Vous serez bien contente, il guérira ». Aussi, à son arrivée, je lui ai présenté les reliques de sainte Philomène en lui disant : « Voici Celle qui a obtenu votre guérison avec M. le Curé d'Ars. Votre première messe doit être en son honneur ».

 

Moi-même, j'ai été délivrée, plusieurs années après ce miracle, d'une fièvre nerveuse que tous les remèdes des médecins ne faisaient qu'augmenter. Réduite à un état si pénible, je me suis dit : « J'irai à Ars, un miracle seul peut me tirer de là ».

Sans que j'eusse rien dit au saint : « Pauvre enfant, s'est-il écrié, que vous avez souffert ! Oh ! que le bon Dieu vous aime ! Aimez-le donc aussi. Vous avez un remède bien mauvais à prendre. Eh bien ! Chaque fois que vous en prendrez, dites : « Mon Dieu, bénissez ce remède au nom de sainte Philomène, pour que j'obtienne ma guérison ». Le bon Dieu vous aime, mon enfant ; c'est pourquoi vous aurez toujours quelque chose à souffrir. Cela ne vous empêchera pas de travailler et de prier. »

Aussi, mon Révérend Père, quand on me dit : « Vous avez grande dévotion à sainte Philomène, elle n'obtient pas cependant votre guérison », je réponds : « Je sais que c'est la volonté du bon Dieu qu'il en soit ainsi ; je ne lui ai jamais demandé autre chose ».

Le bonheur que j'éprouvai d'aller à Ars ne peut s'expliquer. En me voyant toujours souffrante, ma mère me dit un jour : « Va à Ars, ma fille, pour demander ta guérison ». J'obéis ; mais en abordant le saint prêtre, je lui disais : « Mon Père, on m'envoie pour demander ma guérison ; j'aime mieux m'occuper de mon âme. Demandez seulement pour moi que je sois délivrée de cette maladie nerveuse.

— Oui, mon enfant, pensez à votre âme, je prierai pour vous... »

 

Anne-Marie BÉNEY,

chez son frère, curé-doyen de Liernais (Côte-d'Or),

7 novembre 1866