XIX

 

Ni aveugle – ni réprouvé

 

En avril 1859, Mlle Julie Bouvier était venue de Lyon pour consulter M. Vianney et implorer le secours de ses prières. Obligée par son travail d'habiter la grande ville, elle avait laissé au village natal – Farges, dans le pays de Gex – un père et un jeune frère qui lui causaient de continuelles inquiétudes.

Mlle Bouvier, après de longues stations dans l'église, se découragea d'attendre : décidément, il devenait inabordable ce mystérieux confessionnal ! Pourtant, repartir sans avoir confié ses lourdes peines à l'homme de Dieu !... La jeune fille demanda à quelqu'un du village s'il ne serait pas possible d'aborder M. Vianney autre part qu'à l'église.

« Après son catéchisme de onze heures, lui fut-il répondu, c'est difficile : il y a là tant de monde serré entre l'église et la cure ! En tout cas, on ne peut pas lui en dire bien long. Un moment plus favorable serait celui où M. le Curé passe de la cure à la maison des Missionnaires... Mais il faut monter la garde sous les noyers de la place... »

Mlle Julie Bouvier s'arrêta à ce dernier parti. Vers une heure, justement l'abbé Vianney traversa la petite place. L'étrangère courut se jeter à ses genoux.

« Monsieur le Curé, s'écria-t-elle, j'ai un frère qui va devenir aveugle, et mon père va mourir en réprouvé !... »

— Oh ! non, mon enfant, répliqua le saint, votre frère est bien trop jeune pour devenir aveugle ; faites une neuvaine pour lui à Sainte Philomène. Quant à votre père, il se convertira et fera une belle mort. »

Puis, bénissant la jeune fille consolée et stupéfaite, l'homme de Dieu continua son chemin.

Or, la double prédiction s'est réalisée de tous points, Le jeune Jean-Marie Bouvier se trouva guéri à la fin de la neuvaine. M. Bouvier père se convertit et termina sa vie en de beaux sentiments de foi.

 

C'est Mlle Julie Bouvier elle-même qui en a porté témoignage devant M. le chanoine Ball, à Ars même, le 22 juillet 1878. Et elle a bien spécifié que « M. Vianney ne la connaissait pas, ni son frère, ni son père, ni elle-même, et donc, qu'il n'a pu annoncer l'âge et la guérison de l'un, puis la conversion de l'autre, qu'éclairé par une lumière toute surnaturelle ». (1)

 

 

(1) Documents Ball, N° 42