XX

 

Le collégien

 

Au mois de juin 1855, dans l'infirmerie du collège de Lons-le-Saunier, se tenait au chevet d'un petit lit blanc une mère en larmes. Sur l'oreiller, reposait le visage exsangue d'un enfant.

« Oh ! monsieur le Supérieur, cria cette femme au prêtre qui l'avait amenée près du jeune malade, mon pauvre enfant se meurt !... Que faire, mon Dieu, que faire ?... Ah ! si le saint Curé d'Ars était là !

— On peut lui écrire, hasarda le prêtre.

— Il faut aller le trouver, reprit la mère... Moi, je ne le puis pas... Monsieur le Supérieur, si vous vouliez !... De grâce, là-bas, en notre nom... »

 

M. Sylvain n'eut pas le cœur de résister aux supplications d'une mère dans l'angoisse. Il dépêcha vers Ars le professeur même de l'enfant, M. l'abbé Babey. Celui-ci partit sans prévenir qui que ce fût de son voyage.

Il arriva de nuit, cependant que « deux cents personnes environ attendaient, aux abords de l'église et du presbytère, que M. Vianney se rendît au confessionnal ». Vers minuit, un bruit étrange, perçu de toutes les personnes présentes, se produisit à l'intérieur de la cure.

M. Babey guetta jusqu'à l'après-midi suivante l'occasion d'aborder le Curé d'Ars. Le saint faisait, selon son habitude, vers une heure, la visite des paroissiens ou pèlerins malades. L'abbé se mêla à la foule des gens qui l'accompagnaient. « A son retour, M. Vianney s'arrêta devant une grande croix plantée sur un tertre, au milieu d'une petite place. » Il fit signe alors à M. Babey de venir à lui. Les deux prêtres ne s'étaient jamais rencontrés.

 

« Mon ami, dit le saint, vous venez me parler de ce jeune élève qui est malade ? »

Et il nomma par son nom l'enfant que minait la fièvre typhoïde.

« Ecrivez de ma part à ses parents, continua-t-il. Dites-leur qu'il n'en mourra point. »

 

M. Babey, avant d'écrire, s'agenouilla, abîmé, perdu dans un silence d'admiration. Quelle stupéfiante clairvoyance Dieu avait donnée à son fidèle serviteur ! Puis il transmit la prédiction au père et à la mère de l'enfant.

Dès son retour, il apprit de M. Sylvain que Joseph Vaucher – c'était le nom du jeune malade – touchait déjà à la complète guérison.

Joseph serait un jour avocat et maire de sa commune natale, Maynal, dans le Jura. (1)

 

 

(1) D'après deux lettres adressées par M. Babey, devenu directeur du collège de Saint-Jean-d'Angély, l'une à M. Toccanier le 13 décembre 1861, l'autre à M. Ball en mars 1887