Cinquième partie :

ANNONCES DE GUÉRISON OU DE MORT

 

I

 

A la date précise

 

Le 31 août 1864, se présentait à la maison des Missionnaires d'Ars une personne de Virigneux, village du canton de Saint-Galmier, dans la Loire. Elle se nomma – Mlle Claudine Venet – et demanda à parler à l'un de ces messieurs, car elle avait quelque chose de pas ordinaire à dire sur le saint Curé Vianney.

Ce fut M. Ball qui vint, étant l'enquêteur officiel de la cause d'Ars. Il vit, qui l'attendait, une bonne vieille fille à l'aspect modeste, mais dont une joie discrète illuminait le regard...

Claudine Venet raconta son histoire. Elle parut, en effet, au prudent M. Ball dépasser tellement en extraordinaire les faits merveilleux qu'il avait ouï conter jusque là, qu'il se la fit répéter. Enfin, convaincu de la sincérité de Mlle Venet, il lui demanda de vouloir bien signer elle-même la copie de sa déposition.

Voici la stupéfiante histoire.

 

*

* *

 

Pour la première fois, le 1er février 1850, Claudine, alors sourde et aveugle, s'était fait conduire à Ars. Une fièvre cérébrale lui avait enlevé l'ouïe et la vue. Elle n'était plus qu'une épave humaine. Cependant, elle n'avait pas oublié que, dans le département de l'Ain, au village d'Ars, il existait un prêtre si saint qu'il opérait des miracles. Elle demanda qu'on la menât vers lui.

Il ignorait tout de Claudine Venet : personne ne la lui avait recommandée, il ne l'avait jamais vue. La charitable amie qui la conduisait la fit s'arrêter sur le petit perron qui précède l'église d'Ars. Elle la laissa seule un instant, désireuse d'apprendre où se trouvait M. Vianney.

Or celui-ci arriva. Très simplement, sans lui adresser la parole, il prit Claudine par la main ; si bien que, durant une minute, elle put se croire guidée par sa compagne. Il introduisit l'aveugle dans la sacristie, la fit s'agenouiller au confessionnal, la bénit...

Soudain, ce fut pour Claudine Venet une surprise immense. Elle était aux pieds d'un prêtre inconnu. Mais il ne pouvait être que le saint d'Ars ; car, elle l'aveugle, elle voyait, elle la sourde, elle entendait !...

Elle se confessa... Elle croyait vivre dans un rêve. Guérie, mon Dieu, quel miracle !... Le thaumaturge la ramena à la réalité.

« Mon enfant, lui dit-il avec une douce compassion, vous resterez sourde l'espace de douze ans, jusqu'au 18 janvier...

— Jusqu'au 18 janvier de 1862, mon Père ?

— Oui, mon enfant. »

Ecrasée par cette prédiction, à laquelle le prodige de tout à l'heure l'obligeait à croire, si étrange dans sa précision fût-elle, Claudine Venet baissa la tête en un douloureux silence.

« C'est la volonté de Dieu qu'il en soit ainsi », conclut M. Vianney en pesant sur les mots.

Du moins, à présent, elle voyait. Tout à l'heure, elle percevait distinctement les paroles du prêtre. En se séparant de lui, elle comprit que de nouveau ses oreilles se fermaient.

 

Au milieu de la foule amassée dans la nef, il lui fut trop facile de se recueillir : elle était redevenue sourde.

A Virigneux, on s'étonna de la voir revenir à demi guérie seulement.

« Pourquoi, demandait-on, ses yeux et pas ses oreilles ?

— Étant à Ars, expliquait-elle, j'ai vu et entendu à la fois pendant quelques minutes... Mais, dans moins de douze ans, si Dieu vous prête vie, j'entendrai vos réflexions joyeuses... »

Claudine ne craignit pas d'annoncer la date de sa complète guérison. Naturellement, à Virigneux, il y avait des sceptiques.

 

Cependant, calme et résignée, heureuse d'avance, Mlle Venet attendait... Quels ne furent pas son trouble religieux, son émotion supraterrestre, lorsque, le 18 janvier 1862, elle entendit les rumeurs du village ! Elle tomba à genoux, se prosterna.

Du ciel, où il vivait depuis trente mois passés, le Curé d'Ars avait vu se réaliser son intuition prophétique. Dès qu'elle le put, la miraculée courut lui rendre grâces sur sa tombe déjà glorieuse. (1)

 

 

(1) Documents Ball, N° 16