XXII

 

« Tenez-vous bien prête »

 

Au cours de l'année 1925, on amenait à la maison-mère de la Providence de Vitteaux une religieuse atteinte d'un cancer à l'estomac. Elle se nommait Sœur Célestine et elle avait été longtemps institutrice libre à Santenay-les-Bains (Côte-d'Or).

Minée par son mal, elle parlait très peu et dans un souffle. Cependant, un jour qu'elle souffrait moins, elle put faire à l'aumônier de la maison, M. le chanoine Billard, le double récit qu'on va lire :

 

« Ma mère, encore jeune fille, était bonne à Nuits-Saint-Georges, dans une famille des plus honorables. Ars étant le pèlerinage couru, elle désira le faire avec un groupe d'amis. Elle se présenta au confessionnal de M. Vianney.

« Vous, mon enfant, lui prédit le saint, vous vous marierez et vous élèverez dans la foi une nombreuse famille.

— Mais, mon Père, répliqua-t-elle, je n'ai point l'intention de me marier.

— Mon enfant, il en sera pourtant ainsi. »

Au retour, la petite bonne répéta ce dialogue à sa patronne, en réitérant qu'elle voulait, et de façon bien arrêtée, demeurer vieille fille.

« Nous verrons bien qui est prophète », conclut en riant Mme Ligier-Belair.

Et voici ce qui advint. La bonne épousa à l'âge de vingt-huit ans un veuf qui avait vécu dix-huit années avec sa première femme sans avoir d'enfants. De son second mariage il en eut neuf, et je suis l'une de ses filles.

 

Autre fait. Je le tiens d'une religieuse de Nuits-Saint-Georges.

Elle fit avec l'une de ses compagnes le pèlerinage d'Ars. Elles attendirent leur tour d'audience pendant trois jours. Ce n'est qu'après cette longue attente que M. le Curé les avisa sur son passage.

« Ma fille, dit-il à l'une d'elles, il faut vous en retourner. On a besoin de vous là-bas.

— Mais, mon Père, moi qui voudrais tant vous parler !

— Eh bien, oui. Moi aussi, j'ai quelque chose à vous dire. Quant à vous, ma fille, ajouta-t-il à l'adresse de l'autre religieuse, vous n'avez pas besoin de moi. Votre salut est assuré. »

Les deux Sœurs entendirent bien distinctement des paroles si extraordinaires. Celle qui en était l'objet se retira à l'écart, tout émue. Et à l'autre qui était restée près de lui :

« Vous, mon enfant, assura le serviteur de Dieu, sanctifiez-vous ; tenez-vous bien prête... Vous mourrez d'une fièvre maligne qui vous saisira un jour de fête. »

Or, un jour d'Ascension, après la messe matinale où elle avait communié, cette religieuse alla confier à sa supérieure qu'elle ressentait dans une main de très douloureux élancements.

La supérieure lui rappela la prédiction du Curé d'Ars, en ajoutant : « Ne serait-ce pas cela ? »

La religieuse mourut le lendemain... » (1)

 

 

(1) Dans sa relation, datée du 4 juillet 1926, M. le chanoine Billard explique qu'il n'a pu a obtenir aucun, date ni demander plus de précision à la pauvre malade