VII

 

« Dans trois semaines vous reviendrez »

 

M. l'abbé Henri Côte, aumônier de l'Hôtel-Dieu de Lyon, est un fervent du sanctuaire d'Ars. Il aime à y venir en pèlerinage, il en visite toujours avec une douce émotion les remarquables souvenirs. Le voici, en cette matinée du 27 avril 1927, dans le modeste parloir du nouveau presbytère, fixant maintes fois son bon regard sur une image du saint Curé apposée au mur. Très simplement, il raconte de vieux et chers souvenirs qui sont ceux de sa vénérée mère.

 

« Ma mère a aujourd'hui quatre-vingt-sept ans. Brisée par l'âge, elle conserve cependant une lucidité parfaite. Que de fois elle m'a parlé d'Ars !

Louise Écuyer – c'est son nom de jeune fille – eut une enfance souffreteuse. A dix-sept ans, des douleurs rhumatismales commencèrent à lui déformer les membres, les jambes en particulier, qui demeuraient inertes. Au plus fort de ses crises, la malheureuse infirme ne remuait pas plus qu'un cadavre.

C'était en 1857, l'époque où peut-être le village d'Ars reçut le plus de visiteurs et où le saint dut passer ses journées presque entières au confessionnal. Une de mes grand'tantes eut l'idée de conduire à M. Vianney cette pauvre enfant qui souffrait à faire pitié. Bénéficiant d'un tour de faveur, les deux voyageuses se confessèrent au serviteur de Dieu.

— Guérirai-je jamais, mon Père ? demanda la malade.

— Oui, mon enfant, répondit le bon saint. Et dans trois semaines vous reviendrez ici sans le secours de personne. »

Ce qui eut lieu en effet. Louise Ecuyer refit dans le délai fixé et complètement guérie le pèlerinage d'Ars.

 

Ma mère, continue M. l'abbé Côte, a gardé du saint Curé, de sa physionomie, de ses paroles, une impression si nette, si profonde, que depuis elle a vécu pour ainsi dire de ses souvenirs et qu'une de ses grandes joies a été de communiquer à tous les siens le culte de saint Jean-Marie Vianney. Je crois bien ne pas l'avoir revue une seule fois, cette chère vieille maman, surtout pendant ces dernières années, sans qu'elle m'ait conté – fût-ce pour la centième fois ! – quelque détail qui pour elle comme pour moi conserve le charme et la fraîcheur de l'inédit.

« Oh ! Henri, me disait-elle un jour, si tu l'avais entendu quand il parlait du ciel !... On aurait dit qu'il venait d'entrer en extase. Les yeux levés, il semblait en face d'une vision, comme saint Jean. De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Nous non plus, à le voir ainsi, nous ne pensions plus à la terre. Et il pleurait tellement qu'à la fin il ne pouvait plus parler ; mais il ne cessait de fixer en haut ses yeux remplis de larmes... Quel bien cela nous faisait ! Un incrédule aurait cru au ciel rien que de le voir ainsi. Et il y en eut bien sûr qui furent convertis par de telles larmes ! »

 

Le Curé d'Ars révéla à ma mère plusieurs choses intimes dont elle a voulu garder le secret. J'aime à penser que ma vocation sacerdotale fut de ces choses-là...

En tous cas, ma vénérée mère a été heureusement moins discrète au sujet de cette tante qui l'accompagna lors de son premier pèlerinage. C'était une personne extrêmement pieuse. Le saint lui fit les révélations les plus consolantes ; il lui affirma, par exemple, qu'elle n'avait point perdu la grâce baptismale. »