IX
La jambe « droite »
Charles Cretin, originaire de Déservillers, dans le Doubs, en travaillant comme valet de ferme dans la région sud de la Haute-Saône avait fait la connaissance d'une jeune fille de Beaumotte-les-Pins, Marie Boussière. Il l'épousa et l'amena dans son pays, où il continua son métier de cultivateur. C'était en 1849. Le 15 mars de l'année suivante, une petite fille, Marie-Philomène, vint mettre une joie nouvelle en ce foyer uni et chrétien. Le père avait alors trente ans, la mère vingt-trois.
Malheureusement, peu de temps après, un accident grave vint assombrir ce pur bonheur. Charles Cretin, dans une visite qu'il fit à la famille de sa femme, reçut d'un beau-parent, au cours d'une querelle, un vilain coup à la jambe. La plaie s'envenima, obligeant Charles à garder le lit une bonne partie de la journée. Puis ce fut l'immobilisation complète.
On quitta la ferme de Déservillers, dont les champs restaient en friche, et on alla s'établir à Beaumotte-les-Pins... Hélas ! La plaie de la jambe, loin de s'améliorer, empirait plutôt ; la gangrène menaçait ; les médecins parlèrent d'amputation.
Quelle désolation dans la famille ! Charles avait une sur, Hortense, qui, sous le nom de Sur Zoïle, avait pris le voile chez les religieuses de la Charité de Besançon. On la tenait au courant de l'état de son pauvre frère. Dès que Sur Zoïle connut la décision des médecins, elle écrivit qu'elle s'y opposerait de toutes ses forces tant qu'on n'aurait pas consulté le Curé d'Ars. Elle supplia même ses supérieures de lui permettre le pèlerinage. Ce qu'elle obtint.
Et la réponse du saint fut celle-ci : « Ne faites pas l'amputation. Il guérira, mais il aura la jambe droite ».
L'événement justifia parfaitement la prédiction. Charles Cretin guérit et vécut encore de longues années. Tous les ans, il revenait au pays natal. Les anciens de Déservillers se rappellent fort bien l'avoir vu marcher dans les rues du village en boitant sans doute puisque sa jambe était droite, mais quelquefois sans même s'appuyer sur un bâton. (1)
(1) Ainsi se clôt la relation d'où ce récit est tiré. (Lettre de M. l'abbé Charles Court, curé de Déservillers, 28 août 1916)