V

 

Celle que la Sainte Vierge avait conseillée

 

Mlle Étiennette-Marie Vermorel, d'Arcinges, dans la Loire, sage personne de trente-cinq ans, était une âme de bonne volonté. En 1851 ou 1852 – elle ne se remettait pas la date précise, lorsqu'elle conta son histoire à M. Ball le 26 septembre 1878 – elle quittait ses gracieuses collines pour quelques jours, dans l'intention de faire une retraite auprès de M. Vianney : elle lui demanderait spécialement de la conseiller sur sa vocation.

Pour lui donner une idée complète de ses tendances, de ses goûts et aussi de ses faiblesses, elle voulut repasser aux pieds du saint toute sa vie. Elle s'était examinée longuement, méticuleusement. L'accusation terminée, elle dit :

« Mon Père, voilà tout ce que je me rappelle.

— Mon enfant, répondit l'homme de Dieu, vous voulez sortir de cette confession aussi pure que vous étiez après votre baptême ? Eh bien ! Allez prier Notre-Dame des Sept-Douleurs. Elle vous fera connaître ce qui vous reste à dire. »

Étonnée mais docile, Mlle Vermorel alla dans la chapelle de l'Ecce Homo s'agenouiller devant la statue de la Vierge. Et en effet, après une courte prière, elle se remémora trois fautes anciennes qu'elle se hâta de revenir accuser.

« Allons, mon enfant, lui dit alors M. Vianney, il ne vous reste plus rien à confesser... Cependant, il y a encore quelque chose. Mais vous n'en avez aucune connaissance et vous ne vous en êtes jamais accusée... Telle faute... tel jour... à tel endroit... Vous en avez perdu tout souvenir. »

C'était vrai. Malgré des indications si nettes et tous ses efforts de mémoire, Étiennette ne voyait pas, ne comprenait pas.

« Quand vous passerez dans l'endroit, ajouta le saint, vous vous rappellerez. »

 

Effectivement, peu de jours après, passant par l'endroit désigné, elle se ressouvint de tout. Or cette faute, avant de l'oublier tout à fait, elle l'avait toujours gardée secrète, n'y voyant peut-être d'ailleurs qu'une chose sans gravité ; de plus, c'était la première fois qu'elle se confessait au Curé d'Ars, et cet incident de sa vie absolument effacé de sa mémoire, il venait de le lui rappeler avec les circonstances précises de lieu et de jour !

 

Mais, au confessionnal, M. Vianney avait donné à Mlle Vermorel une preuve non moins extraordinaire de sa surnaturelle clairvoyance. Lorsqu'elle aborda le sujet de sa vocation :

« Mon enfant, répondit le serviteur de Dieu, rappelez-vous l'entretien que vous avez eu avec la Sainte Vierge il y a une dizaine d'années et les paroles qu'Elle vous a dites au moment où vous lui demandiez quelle était votre vocation. Suivez toujours ses avis. »

Un entretien avec la Sainte Vierge !... Mais cela, c'était vrai encore ! Mlle Vermorel, qui décidément avait l'oubli facile, revécut soudain une scène émouvante de son humble vie.

Vers l'âge de vingt-cinq ans, demandée en mariage, elle était allée, toute perplexe, prier, dans l'église paroissiale, devant l'autel de la Sainte Vierge. Très pieuse, très simple et tendre aussi dans sa piété, elle parlait à Marie avec la même confiance, le même abandon, la même familiarité qu'elle l'eût fait en présence de sa mère selon la nature. Elle se savait seule dans l'église. Et voilà qu'une voix bien distincte se fit entendre :

« Reste comme tu es, mon enfant. Tu serviras mieux ainsi mon Fils que dans le mariage. »

A ces paroles, Mlle Vermorel se retourna vivement. Elle ne vit personne. Ç'avait été sa conviction intime qu'elle venait de recevoir une réponse du ciel.

Et depuis, elle y avait pensé de moins en moins ; elle avait fini par n'y plus penser du tout. Mais M. Vianney, qui savait tout cela sans que personne sur terre le lui eût révélé, car il tenait sa science de plus haut, ayant eu, comme il l'a dit lui-même, « le même maître que saint Pierre », M. Vianney connaissait par intuition la décision tombée des lèvres de Marie, et il y renvoyait tout simplement sa pénitente stupéfaite. (1)

 

 

(1) « Cette double déposition, écrit M. Ball, m'a été faite à Ars, le 26 septembre 1878, par Mlle Vermorel elle-même, actuellement âgée de soixante-trois ans, et j'ai tous les motifs de croire à sa parfaite véracité. » (Documents, N° 44)