II
Le Très Révérend Père Chevalier
C'est parmi bien des vicissitudes que sont nées et se sont accrues les deux Congrégations des Missionnaires du Sacré-Cur et des Filles de Notre-Dame du Sacré-Cur d'Issoudun. Quand, au lendemain du 8 décembre 1854, les abbés Chevalier et Maugenest songèrent à fonder une Société qui serait comme « le premier fruit de la définition de l'Immaculée Conception », ils n'avaient d'autres ressources, « au milieu d'une ville presque païenne, bien que tout le monde y fût baptisé », que leur zèle et les dons de la charité.
La première chapelle qu'ils dédièrent à Notre-Dame du Sacré-Cur n'était qu'une étable qu'ils avaient transformée et ornée de leurs propres mains. Mais l'Église elle-même n'a-t-elle pas commencé à Bethléem ?... Cependant le R. P. Jules Chevalier demeurait encore partagés entre l'espérance et la crainte. Qui donc lui donnerait pleine confiance en l'avenir ?
Vers la mi-juillet 1859, il prend le chemin qu'ont foulé avant lui plusieurs fondateurs ou fondatrices d'Ordres : il se dirige vers Ars où il consultera M. Vianney que partout on appelle « un nouveau voyant d'Israël ».
Or « les grandes chaleurs de ce mois de juillet avaient cruellement éprouvé le saint vieillard... On ne pouvait entrer dans l'église d'Ars, réchauffée jour et nuit par un concours immense, sans être suffoqué. Il fallait que les personnes qui attendaient leur tour de confession sortissent à chaque instant pour retrouver, hors de cette fournaise, un peu d'air respirable. Lui, cependant, ne sortait pas ; il ne quitta jamais son poste de souffrance et de gloire... Mais il ne respirait plus, ou il ne respirait qu'un air vicié, brûlant, méphitique, impropre à entretenir la vie » (1). Aussi plusieurs fois, au cours de ce mois de juillet, le saint Curé était-il tombé de faiblesse ; puis « la toux aiguë, dont il souffrait depuis vingt-cinq ans, était plus continuelle et plus déchirante » que jamais.
C'est en de telles circonstances que le P. Chevalier se présentait dans Ars. Il demanda aussitôt à entretenir M. Vianney. Mais les Missionnaires qui assistaient l'auguste vieillard faisaient bonne garde, voulant lui épargner le plus possible les fatigues d'audiences trop multipliées. Enfin, on permit au jeune prêtre de parler à M. le Curé lorsque celui-ci passerait pour se rendre de la cure à l'église.
« Le saint écouta notre Père avec beaucoup d'intérêt, rapporte le confrère qui fut le confident de cet heureux événement, puis, lui donnant sa bénédiction, il lui dit : « Le ciel bénira votre uvre, mais après bien des épreuves. Ayez courage et confiance. Quand serez-vous à Issoudun ?
Le 26 juillet, mon Père.
Eh bien, le 26 juillet, nous commencerons une neuvaine. Unissez-vous à nous avec votre confrère, et le Sacré-Cur de Jésus vous protégera. »
« Quelques jours après, poursuit le narrateur, les journaux annonçaient la mort de M. Jean-Marie-Baptiste Vianney ; ce qui nous fit dire : « Le saint Curé d'Ars continue au ciel sa neuvaine pour notre uvre ; il sera notre protecteur ». (2)
Ainsi cette neuvaine commencée sur la terre, le serviteur de Dieu était allé l'achever en paradis. Le soir du vendredi 29 juillet, exténué par un effort surhumain, il s'était couché pour ne plus se relever ; le mercredi suivant, avant l'aube, il rendait à Dieu son âme magnifique.
Après pareille entrevue et pareille promesse, le P. Chevalier n'avait plus qu'à marcher, plein de confiance, vers l'avenir. C'est ce qu'il fit.
Il n'eut pas lieu de s'en repentir. Sans doute les épreuves ne l'épargnèrent point, lui et sa société naissante. Mais justement les attaques, les confiscations, les expulsions, tout cela le Curé d'Ars le lui avait prédit. Grâce à Dieu, si les épreuves n'ont pas manqué, les succès sont venus et les consolations, ainsi que l'avait annoncé M. Vianney.
Aujourd'hui les uvres fondées par le R. P. Chevalier sont fortement établies : le nom de Notre-Dame du Sacré-Cur a parcouru le monde et y sème encore les prodiges ; les missions lointaines confiées aux Missionnaires d'Issoudun en Nouvelle-Guinée, en Nouvelle-Poméranie, aux îles Gilbert produisent d'admirables fruits de conversion et de salut.
La bénédiction du Curé d'Ars a toujours porté bonheur.
(1) Abbé Monnin, Le Curé d'Ars, t. II, pp. 517-518
(2) Ces détails ont été communiqués, le 13 juillet 1917, à Mgr Convert, curé d'Ars, par le secrétaire du R. P. Supérieur Général des Missionnaires du Sacré-Cur.