III
Les Dominicaines du Tiers Ordre enseignant
Dans les années qui suivirent leur fondation, les Dominicaines du Tiers Ordre enseignant rencontrèrent plus d'épines que de roses. C'est pourquoi, à l'exemple de leur éminent fondateur, le R. P. Lacordaire, qui vint visiter et entendre le Curé d'Ars en mai 1845, elles voulurent le consulter, douze ans plus tard, sur les destinées de leur Institut, pour qui alors l'avenir semblait aussi hasardeux que sombre. On verra comment saint Jean-Marie Vianney raffermit leur espérance. Et c'est la Prieure générale elle-même, la Révérende Mère Imelda du Saint-Esprit, qui va rendre compte de l'événement où elle se trouva mêlée dans cette lettre adressée à Mgr Convert.
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Couvent des Dominicaines à Sèvres, mars 1901
Monsieur le Curé,
Je suis heureuse, en répondant à votre demande, d'ajouter mon humble témoignage à tant d'autres qui ont glorifié votre illustre prédécesseur.
Notre fondation, qui suivit de près le rétablissement des Frères Prêcheurs en France, fut à ses débuts marquée du sceau de la croix. Un jour même, la situation paraissait désespérée, lorsque un premier et très précieux encouragement nous vint de M. Vianney. Une personne, désireuse d'entrer dans une communauté dominicaine mais ne sachant comment réaliser son projet, fit le voyage d'Ars afin de prendre les conseils du saint prêtre.
Dès les premiers mots, celui-ci la tranquillisa, l'assurant qu'une communauté, en formation à Paris, la recevrait volontiers. Et le saint homme lui parla longuement de notre pieuse fondatrice, de son ardent amour des âmes, de son uvre obscure encore, mais « si chère au bon Dieu ». Il l'enthousiasma si bien que, lorsque le P. Bourard, de glorieuse mémoire, nous la présenta, elle était déjà toute nôtre. Ce qu'elle raconta de son entretien avec le Curé d'Ars ranima l'espoir dans nos curs. Elle y revenait souvent, surtout aux heures d'angoisses que Dieu ne nous ménageait pas.
Pour comble d'épreuves, notre fondateur, le P. Louis Aussant, premier prieur des Dominicains de Paris, nous fut prématurément enlevé. C'était un guide sûr, un appui de tous les instants. Nos tribulations redoublèrent alors ; l'avenir semblait fermé. Pour sortir d'embarras, nos Mères Fondatrices songèrent à se fusionner avec une communauté de Dominicaines établies en Bourgogne. Un voyage en Bourgogne ramenait naturellement à l'esprit le souvenir d'Ars. La circonstance était trop grave pour que nos Mères n'allassent pas y chercher lumière et réconfort.
C'était le lundi de Pâques 1857.
Elles entendirent la messe du vénérable Curé, puis, grâce au Frère Jérôme, elles obtinrent une prompte audience. M. Vianney les reçut debout dans la sacristie des hommes (1) qui murmuraient de cette préférence. Après qu'il eut écouté, recueilli, l'exposé des faits, une forte émotion le saisit et avec des larmes dans les yeux, à plusieurs reprises il s'écria :
« Oh ! La belle uvre ! Oh ! La belle uvre ! Comme le bon Dieu y sera glorifié !... Pas de fusion, pas de fusion ! Vous allez avoir une conférence où l'on vous proposera trois conditions. Vous refuserez.
Mais, monsieur le Curé, si nous devons rester seules et vivre de notre propre vie, comment sortir de nos difficultés ?
Consultez un avocat bien chrétien.
Où le prendre ?
Une personne de vos connaissances vous l'indiquera. » Et, voyant dans une lumière prophétique se dérouler notre avenir, il ajouta :
« Votre uvre s'établira sur des bases solides, vous commencerez à prospérer au troisième supérieur. »
Nos Mères, réconfortées, le quittèrent sur ces mots, non sans avoir reçu sa bénédiction.
La conférence eut lieu. Trois conditions y furent en effet proposées, dont l'une, de nous vouer exclusivement à l'instruction primaire. Or le but principal de notre Institut est l'éducation complète des jeunes filles. Ainsi qu'il avait été prédit, le projet de fusion avec un autre Institut échoua.
De retour à Paris, notre Mère reçut la visite de la personne amie annoncée par le Curé d'Ars ; elle nous mit en rapport avec M. Fontaine, d'Orléans, grand ami du P. Lacordaire et de Berryer.
D'après ses conseils, nous eûmes recours à l'Archevêché. M. l'abbé de Girardin fut notre premier supérieur. Le vénérable P. Eymard lui succéda. Enfin, le 21 novembre 1861, M. l'abbé Codant prenait en main notre direction et nos intérêts. Il nous ouvrit le diocèse de Versailles, nous installa à Sèvres... Et l'uvre se mit à « prospérer avec le troisième supérieur ». Malgré certaines originalités, cet envoyé de Dieu était un prêtre au cur vraiment sacerdotal.
Dix-huit années durant, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, sans négliger toutefois un apostolat de plus en plus fécond, car c'était un grand convertisseur d'âmes, il se dévoua tout entier à « ses chères Dominicaines », se passionnant pour leurs saintes observances.
Grâce à son dévouement, la ruche primitive ne tarda pas à essaimer. Bucquoy et la Châtre reçurent des colonies venues de Sèvres ; plus tard, furent fondées encore les maisons d'Arcachon, d'Auteuil et de Roubaix.
Ce que je viens de dire touchant le don de prophétie de M. l'abbé Vianney, je suis prête à l'attester sous la foi du serment, car j'ai été témoin et de la prophétie et de son accomplissement total.
Malgré les menaces de l'avenir, nous nous remettons confiantes aux mains de Dieu, qui nous a donné par son serviteur des preuves si visibles d'une spéciale protection...
(1) La sacristie la plus ancienne, la seule qui ait été conservée, avec le confessionnal où, en effet, M. Vianney confessait surtout les hommes.