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« Vous prêcherez, et beaucoup »

 

Nous avons déjà dit comment le R. P. Chevallier, fondateur de la Société de Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Issoudun, reçut les encouragements de saint Jean-Marie Vianney. Un des meilleurs parmi ses disciples reçut également du saint Curé consolation et réconfort en de bien pénibles circonstances.

 

Le P. Jouët, dont la célébrité comme prédicateur devait s'étendre jusqu'à Rome, fut dans sa jeunesse affligé d'une timidité invraisemblable et qui le rendait presque ridicule. Ayant des choses intéressantes à communiquer – car il était très intelligent et, sans qu'on s'en doutât beaucoup alors, pétillant d'esprit – le pauvre petit Jouët devait se résigner trop souvent, pour ne pas soulever les rires, à rester silencieux dans son coin. Il fit de bonnes études classiques, au cours desquelles il exprima le désir de devenir prêtre.

Il entra au séminaire. C'est à peine si, interrogé pendant les cours de théologie, il osait ouvrir la bouche, et encore c'était, tant il tremblait, pour bégayer parfois lamentablement.

Son directeur de conscience eut beau le conseiller là-dessus, rien n'y fit. A la fin de l'année, il fallut bien prendre une décision. « Avec un pareil défaut, mettons une pareille infirmité, affirma le directeur du jeune Jouët, vous ne pourrez jamais devenir prêtre... à moins d'un miracle. »

 

Ces paroles apparemment désespérantes devaient être en réalité pour le pauvre enfant les paroles libératrices. « A moins d'un miracle », lui avait déclaré son confesseur. Eh bien soit ! Il en demanderait un !... Fort de sa résolution, l'abbé Jouët partit pour Ars.

 

Il attendit, non sans tremblement, l'entrevue souhaitée. Enfin il parvint en cette modeste sacristie, en ce coin sombre où resplendissait pour les âmes une lumière divine. Le regard du saint se fixa avec une immense bonté sur le jeune homme qui venait à lui plein de confiance.

Sans ouvrir la bouche, le pauvre séminariste tendit d'abord au Curé d'Ars une lettre qu'une parente lui avait confiée. Le saint la tira de l'enveloppe, l'ouvrit puis la replia sans en parcourir les premières lignes, sans même en regarder la signature.

« Oh ! fit-il en souriant, cette bonne dame, elle en dit bien long !... »

Et aussitôt le Voyant de Dieu répondit clairement à toutes les questions posées dans la lettre. Le jeune homme, au courant de ce qu'elle renfermait, en demeurait interdit. Quand ce fut fini :

« Et vous, mon enfant ? » demanda le saint Curé sur un ton de paternelle compassion.

A cette interrogation, le séminariste fondit en larmes.

« Allons, mon petit, reprit l'homme de Dieu, avec plus de douceur encore, dites-moi ce qui vous amène. »

Soudain, se sentant la langue plus libre, le jeune Jouët exposa sans crainte son désir d'être prêtre.

« Mais vous le serez, mon enfant, continua M. Vianney. Et même... – ici, le bon saint fit une pause et resta le doigt levé dans un des gestes qu'il faisait souvent en chaire – et même, continua-t-il, vous prêcherez, oui, et beaucoup ! »

Cela dit, il confessa ce pénitent d'occasion. Et, avant de le laisser partir : « Allez, réitéra-t-il, vous prêcherez, vous prêcherez beaucoup ! ».

 

Au retour de son voyage d'Ars, l'heureux pèlerin se présentait de nouveau au séminaire. Les affirmations du saint Curé d'Ars, sur lesquelles il appuyait sa requête, lui rouvrirent une maison quittée avec tant de regret.

Avec un courage nouveau, le séminariste se remit au travail... Quand, au réfectoire, devant maîtres et condisciples réunis, il prononça un sermon, comme c'est la coutume dans la plupart des séminaires, on fut tout surpris de son aplomb et de sa facilité d'élocution.

 

Le R. P. Jouët serait le prédicateur le plus disert et le plus abondant de la société des Missionnaires d'Issoudun à laquelle il allait vouer sa vie. A une cousine qui venait de l'entendre conter son pèlerinage d'Ars, il disait, en manière de conclusion : « Je ne pense pas, en effet, qu'il y ait actuellement en France un prêtre qui ait prêché autant que moi ».