XIII

 

Une illettrée mise sur la voie

 

En 1858 ou 1859, une jeune fille qui habitait Saint-Marcellin d'Isère, Mlle Joséphine Brunet, fit le pèlerinage d'Ars. Très inquiète de l'avenir, elle désirait interroger M. Vianney au sujet de sa vocation. Cette pauvre enfant éprouvait un vif désir de la vie religieuse, et elle n'avait jamais pu apprendre à lire !... Naturellement, les portes des couvents s’empressaient peu de s'ouvrir pour elle. Elle en avait un profond chagrin.

La voilà dans Ars. Mais il y a toujours tant de monde autour de M. le Curé qu'elle reste là trois jours sans pouvoir l'aborder ; pourtant elle quitte à peine l'église pendant tout ce temps. Et à présent, il faut repartir, hélas ! Elle s'agenouille auprès du bénitier pour une dernière prière, un dernier adieu, quand un prêtre s'approche d'elle.

Ce prêtre se tenait près du confessionnal de M. Vianney. Le saint qui confessait et qui, par suite, ne pouvait apercevoir la jeune fille en prière sous la tribune, avait appelé ce confrère et lui avait dit : « Amenez-moi cette jeune personne qui est au fond de l'église, et qui a un châle blanc ».

Mlle Brunet, stupéfaite, suivit l'ecclésiastique et vint n'agenouiller, toute tremblante, dans le confessionnal. Elle voulut parler. Le serviteur de Dieu ne lui en laissa pas le temps.

«  Mon enfant, lui intima-t-il, allez à la Maison de Saint-Joseph à Lyon. Là, on vous dira ce que vous avez à faire. La Providence disposera de vous. »

 

La jeune fille partit aussitôt, bien rassurée. Passant à Lyon, elle alla se présenter à la maison-mère des religieuses de Saint-Joseph. Elle expliqua son cas, qui, de prime abord, embarrassa fort la Mère supérieure et ses conseillères : d'un côté, on ne pouvait admettre cette bonne fille à cause de son incapacité, mais d'un autre, aller à l'encontre du saint Curé d'Ars ?... La Révérende Mère consulta le supérieur ecclésiastique de la Congrégation, M. Sanquin. Celui-ci adressa Joséphine Brunet aux Dames Bénédictines de Chantelle (diocèse de Moulins). Accueillie avec empressement par ces religieuses, la cliente de M. Vianney revêtit l'habit des sœurs converses le 2 août 1859, deux jours avant la mort du saint. Elle faisait profession en la fête de l'Assomption 1861.

 

Ce fait, M. Ball en a connu les détails en janvier 1881, par les Bénédictines de Pradines (Loire), de qui dépendaient les religieuses de Chantelle (1). Il y a là une série d'intuitions étonnantes :

Sans avoir été renseigné par qui que ce soit, M. Vianney sait que cette pauvre enfant est venue pour l'interroger sur sa vocation ; il connaît la difficulté qui l'arrête ; il sait encore qu'elle doit partir d'ici quelques minutes. Sans la voir, il indique comment elle est vêtue et quelle place elle occupe dans l'église. Enfin, il l'envoie où la Providence veut qu'elle aille pour que se réalise son désir de la vie religieuse.

 

 

(1) Documents Ball, N° 95