Cinquième partie : LES RELIGIEUSES

 

 

I

 

Les questions avant les réponses

 

Une foule de jeunes demoiselles ont fait le pèlerinage d'Ars uniquement pour interroger M. Vianney sur l'importante affaire de leur vocation. Nous allons entendre quelques-unes de ses étonnantes réponses. Mais il ne sera pas inutile de connaître au préalable la manière des interrogations. Les deux lettres suivantes y pourront suffire.

La première fut remise de la main à la main soit à M. Vianney lui-même, soit, pour M. Vianney, à quelqu'un de ses auxiliaires. La seconde lui fut adressée par la poste. Aucune n'est datée ; la seconde seule porte une signature complète. Toutes deux révèlent avec quelle confiance on recourait à ce bon saint qui lisait dans l'avenir et dans les cœurs.

 

Au sujet de telles lettres plusieurs remarques s'imposent.

On constatera d'abord qu'elles demeurent imprécises et ne fournissent pas matière à une réponse péremptoire : les correspondantes comptent, pour débrouiller le chaos de leurs propres pensées, sur la sagacité surnaturelle de M. Vianney.

Le Curé d'Ars a-t-il répondu à ces lettres ? On peut sans témérité dire non. Il écrivait très rarement. Il a pu à la rigueur dicter un mot à M. Toccanier ou au Frère Athanase, par exemple ; mais c'est bien improbable.

Les faits d'intuition qui vont suivre prouvent que le saint n'avait pas besoin de tant d'explications pour porter dans une âme la lumière décisive. En presque tous les cas, il résout une situation avant qu'elle lui ait été exposée.

A cause de cela même, on préférait s'adresser à lui verbalement. Les personnes qui ne pouvaient l'atteindre dans la sacristie ou au confessionnal tâchaient de se trouver sur son passage à l'église, sur la place, dans la rue quand il sortait pour visiter quelque malade... Et là parfois, en public, l'intuition jaillissait comme l'éclair.

 

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I

 

RESPECTABLE PÈRE,

 

Voici à vos pieds une jeune personne qui vient réclamer vos prières pour elle et pour ses parents. C'est la seconde fois que je viens, mais cette fois je ne sortirai de vers vous que lorsque vous m'aurez obtenu, par l'intercession de la Sainte Vierge et de sainte Philomène, ma guérison, et que vous m’aurez dit si je dois servir Dieu dans l'état religieux et dans quel Ordre je dois entrer, ou si je dois rester dans le monde et dans la maison où je suis.

Depuis longtemps, mon âme est abattue. Je souffre cruellement. J'attends avec instance le moment où je sortirai de la langueur où je suis plongée. Je ne puis plus prier ; l'ennui m'accable. Ne me renvoyez pas sans m'avoir dit tout ce que je vous demande, et que vous ne m'ayez remplie de force et de courage pour supporter les maux qui doivent encore m'arriver.

Vous avez pitié de tous ceux qui pleurent et qui souffrent. Eh bien ! Celle qui est à vos pieds gémit depuis longtemps, non parce qu'elle souffre, mais de voir qu'elle ne peut servir son Dieu comme elle le voudrait. Dans toute condition, dites-vous, on peut le servir ; mais, moi, je n'ai d'attraits que pour la vie religieuse, je ne forme que ce désir, c'est le cri de mon âme, et mille obstacles, dont ma mauvaise santé est le principal, s'y opposent.

Ma confiance en Dieu n'est point ébranlée. Il a dit qu'Il ferait un miracle plutôt que de laisser perdre une vocation religieuse qu'Il a donnée. Il est temps que j'embrasse un état de vie ; mais je suis aveugle, je ne sais quel chemin prendre. C'est vous, mon Père, qui allez me sortir de l'assoupissement et me tracer le plan de vie que je dois suivre. Je ne m'en irai point que vous ne me l'ayez obtenu par l'intercession de sainte Philomène.

Pardonnez-moi la témérité avec laquelle je vous parle : c'est la foi qui m'anime et la confiance que j'ai d'être exaucée.

FANNY D.

 

 

II

 

MONSIEUR LE CURÉ,

 

Je prends la liberté de vous écrire pour recommander à votre charité la conversion de maman qui est malade et qui ne s'est pas confessée depuis bien des années...

Pour moi, Monsieur le Curé, je vous conjure de demander au bon Dieu qu'il me fasse connaître ce qu'il veut de moi pour ma vocation.

Je suis entrée à quinze ans dans une maison pieuse, et, de dix-sept à vingt-deux ans, Dieu m'a fait la grâce d'avoir un grand désir d'être religieuse. J'ai parlé de mon désir, et, tandis qu'il ne se réalisait pas, plusieurs de mes compagnes sont allées au couvent. Alors j'ai pensé que ce n'était pas ma vocation, et cela m'a découragée...

Je ne sais plus ce que je dois faire. J'ai peur de retourner dans le monde, comme si, en y retournant, j'allais contre la volonté de Dieu. D'antre part, je n'ose pas me faire religieuse, de crainte de n'y être pas appelée. Quel tourment, mon Père !

Je vous conjure de bien vouloir prier pour moi, et si vous voulez bien m'éclairer sur ce que je dois faire, je vous en aurai une bien vive reconnaissance. Oui, mon Père, je vous en supplie, fixez mon irrésolution et veuillez me faire savoir si je dois rester demoiselle dans le monde, car je suis bien décidée, de l'avis de mon confesseur qui est un saint, à ne pas me marier, ou si le bon Dieu demande de moi que je sois religieuse.

Je suis avec un profond respect, Monsieur le Curé, votre obéissante et indigne fille en Notre-Seigneur, qui ose espérer que vous voudrez bien lui faire connaître la volonté de Dieu sur elle.

V. LOUDIEU,

à Montrouge, Bureau restant