IV
Le « bon » numéro et le « mauvais »
En France, les femmes ne sont pas moins patriotes que les hommes, c'est entendu ; mais généralement les mères ne voient pas sans appréhension ni chagrin leurs grands fils entrer à la caserne : elles pressentent qu'il y a là plus d'un danger pour le corps et pour l'âme. Donc rien d'étonnant qu'au temps jadis ces expressions : un bon numéro, un mauvais numéro, aient été créées par des mamans inquiètes. Un bon numéro, c'était celui qui gardait le fils à sa famille ; le mauvais l'en éloignait pour sept ans. Il se cachait là-dessous autant d'égoïsme qu'on voudra, mais, en vérité, on s'explique assez bien qu'à l'époque où le sort désignait les futurs soldats, beaucoup de mamans, pour ne pas dire toutes, fissent des vux pour la négative.
Et c'était bien le cas de cette bonne dame Guilhermet, née Adrienne Berthier, une Lyonnaise, dont le fils atteignait l'âge de la conscription.
Peut-être avait-elle des raisons spéciales de s'inquiéter ; bref elle prit, un jour de 1856, la route du village d'Ars.
« Mon fils Georges sera-t-il soldat ? » demanda-t-elle au saint Curé.
M. Vianney, dans l'occurrence, n'avait pas à se prononcer sur la question du service militaire, mais sur ce simple fait particulier : en cette année 1856, le jeune Georges Guilhermet va-t-il, ou non, entrer à la caserne ?
« Allez en paix, répondit le saint d'un ton assuré, votre fils ne sera pas soldat. »
Georges tira au sort le numéro 261, que Mme Guilhermet trouva non seulement bon, mais très bon, puisqu'il exemptait son « chéri ». (1)
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Mme Cinier, d'Ars, n'eut pas autant de bonheur. Écoutons M. le chanoine Ball nous conter le fait :
Lorsque Antoine Cinier fut arrivé à l'âge de la conscription, sa mère alla trouver M. Vianney et lui offrit l'honoraire d'une messe afin que son fils tirât un bon numéro et fût exempté du service militaire. M. le Curé répondit avec la plus grande assurance :
« Mère Cinier, faites tout ce que vous voudrez. Votre fils attrapera le sort ».
Ce qui voulait dire en langage du pays : il tirera un mauvais numéro.
Prédiction qui fut réalisée à la lettre, comme toute la famille Cinier peut en rendre témoignage. (2)
(1) Documents BALL, N° 69 (témoignage de Georges Guilhermet lui-même, 19 octobre 1879)
(2) Documents, N° 25