V

Marie-Philomène-Joséphine

 

Les époux Escot étaient contremaîtres dans la fabrique de soieries de M. Maire à Pont-de-Chéruy, dans l'Isère. Ils étaient bons chrétiens, mais vivaient sous le coup de dures épreuves. Plusieurs enfants nés de leur mariage étaient morts peut de temps après leur naissance, et ils se désolaient à l'idée de vieillir sans postérité. D'ailleurs le mauvais état de santé de Mme Escot ne leur laissait aucun espoir...

Or, en juillet 1844, elle comprit qu'elle allait de nouveau être mère. Éclair de joie, suivi, hélas ! de craintes trop fondées pour l'avenir.

M. et Mme Escot n'ignoraient pas l'existence du Curé d'Ars ; ils avaient même entendu parler de lui comme d'un homme qui opérait des prodiges, mais ils n'avaient jamais recouru à ses intercessions. Dans leur angoisse ils s'y décidèrent.

Justement, deux personnes de leurs connaissances se préparaient au pèlerinage d'Ars. Ne pouvant s'y transporter eux-mêmes, ils les prièrent de se faire leurs interprètes auprès du serviteur de Dieu et de lui remettre une offrande pour sa chapelle de Sainte-Philomène.

Les deux voyageuses, dans leur désir d'aborder le saint Curé au plus tôt, se placèrent entre l'église et le presbytère, dans le groupe de pèlerins qui l'attendaient à sa sortie du catéchisme.

 

Il paraît sur le seuil de la petite porte, contemple un instant cette foule déjà agenouillée, distingue nos pèlerines de Pont-de-Chéruy et leur fait signe d'approcher. Elles viennent à lui, veulent parler ensemble. Elles n'en ont pas le loisir. C'est lui qui parle le premier.

« Remerciez bien, dit-il à mi-voix, ce monsieur et cette dame de l'argent qu'ils m'envoient pour la chapelle de sainte Philomène et dites-leur que l'enfant attendu sera une petite fille, qu'elle vivra... Mais il faut qu'ils l'appellent Marie-Philomène-Joséphine. »

 

L'heureux message dissipa l'inquiétude au foyer des époux Escot.

Une petite fille, en effet, leur naquit le 20 janvier 1845. Ils lui donnèrent les prénoms indiqués par l'homme de Dieu.

Selon la prédiction, Marie-Philomène-Joséphine vécut et grandit normalement. Elle épouserait M. Chevron, un Lyonnais habitant place de la Croix-Rousse, 17, et serait mère de plusieurs enfants.

 

M. Ball, en terminant son enquête, récapitule, selon son habitude, toutes les particularités extraordinaires de cette histoire : « Comment, note-t-il, le vénérable Curé a-t-il pu savoir que les deux personnes commissionnaires lui apportaient de l'argent, et que cet argent était pour la chapelle dont il continuait l'ornementation ? Comment savait-il l'état de Mme Escot, et ses craintes trop fondées ? Comment aussi savait-il que l'enfant serait une petite fille et qu'elle vivrait, celle-là, alors que les autres enfants étaient morts, si ce n'est évidemment en vertu du don d'intuition surnaturelle dont il était si largement pourvu ? (1)

 

(1) Documents, n° 157