(TREIZIéME SERMON)
Ut quid cogitatis mala in cordibus vestris
Pourquoi avez-vous de mauvaises penses dans vos cÏurs ?
(S. Matth., ix, 4.)
Non, M.F., il n'y a rien de si saint ni de si parfait que les mchants ne blment et ne condamnent ; ils corrompent, par la malignit de leur envie, les plus belles vertus des hommes, et rpandent le poison de leurs mdisances et de leurs jugements tmraires sur les meilleures actions du prochain. Ils sont semblables aux serpents qui ne se nourrissent des fleurs que pour en faire la matire de leur venin. Ce qu'ils hassent dans leurs frres, nous dit saint Grgoire le Grand, ce sont les plus belles qualits ; et par l, ils semblent reprocher au bon Dieu le bien qu'il leur fait. Pourquoi les Juifs ont-ils si fort dclam contre Jsus-Christ, ce tendre et aimable Sauveur, qui ne venait au milieu d'eux que pour les sauver ? Pourquoi se sont-ils si souvent assembls, tantt pour le prcipiter du haut de la montagne [1] , tantt pour le lapider [2] , et d'autres fois pour le faire mourir [3] ? N'est-ce pas parce que sa vie sainte et exemplaire condamna leur vie orgueilleuse et criminelle, et qu'elle tait comme un bourreau secret qui les torturait ? N'est-ce pas encore parce que ses miracles attiraient le peuple sa suite, et parce que celui-ci semblait laisser de ct ces impies ? Etant dvors par une rage intrieure ; ne pouvant plus y tenir : Qu'avons-nous dlibrer, s'criaient-ils, qu'attendons-nous ? Il faut, quel prix que ce soit, nous en dfaire. Ne voyez-vous pas qu'il tonne le monde par la grandeur de ses prodiges Ne faites-vous pas attention que tous courent aprs lui et nous abandonnent ? Faisons-le mourir : il n'y a pas d'autre moyen de nous en dlivrer [4] . Hlas ! M.F., quelle passion est comparable celle de l'envie ? Toutes les belles qualits et tous les beaux traits de bont que ces Juifs voyaient briller dans la conduite de Jsus-Christ auraient d les rjouir et les consoler ; mais non, l'envie qui les dvore est cause qu'ils en sont affligs ; ce qui devrait les convertir devient la matire de leur envie et de leur jalousie. On prsente Jsus-Christ un paralytique couch dans son lit [5] . Ce tendre Sauveur le regarde et le gurit, en lui disant avec bont : Ç Mon fils, ayez confiance, vos pchs vous sont remis. Allez, prenez votre lit, marchez. È Tout autre que les pharisiens aurait t pntr de reconnaissance, et se serait empress d'aller publier partout la grandeur de ce miracle ; mais non, ils taient si endurcis qu'ils en prirent occasion de le dcrier, de le traiter de blasphmateur. C'est ainsi, M.F., que l'envie empoisonne les meilleures actions. Ah ! si du moins ce maudit pch tait mort avec les pharisiens ! mais, au contraire, il a pouss des racines si profondes qu'on le trouve dans tous les tats et dans tous les ges. Pour vous donner une ide de la bassesse de celui qui se livre ce pch, je vais vous montrer : 1¡ que rien n'est plus odieux, et cependant rien n'est plus commun que ce pch ; 2¡ qu'il n'y a rien de dangereux pour le salut comme l'envie, et que, pourtant, il n'est point de pch dont on se corrige moins.
I. – Avant de vous montrer, M.F., combien ce pch avilit et dgrade celui qui le commet, et combien le bon Dieu l'a en horreur, je veux vous faire comprendre, autant que je le pourrai, ce qu'est le pch d'envie. Ce maudit pch, saint Thomas l'appelle un chagrin et une tristesse mortels, que nous ressentons dans notre cÏur, au sujet des bienfaits que Dieu daigne rpandre sur notre prochain. C'est encore, nous dit-il, un malin plaisir que nous prouvons quand notre prochain essuie quelque perte ou quelque disgrce [6] . Je suis sr, M.F., que ce simple expos commence dj vous faire sentir combien ce pch est odieux, non seulement Dieu, mais encore toute personne qui n'en est pas dvore.
Peut-on trouver une passion plus aveugle que celle qui consiste s'affliger du bonheur de ses frres, et se rjouir de leur malheur ? Voil prcisment ce qu'on appelle pch d'envie, pch si odieux qu'il renferm tout la fois une lchet, une cruaut et une secrte perfidie. Pourriez-vous, M.F., vous en former une ide ? vous le reprsenter tel qu'il est ? Non, vous ne le pourrez jamais. Cela est surtout impossible ceux qui le commettent, tant il les aveugle. Dites-moi, pourquoi tes-vous fch de ce que votre voisin russit mieux que vous dans ses affaires ? IL ne vous empche pas de faire ce que vous pouvez pour russir aussi bien et mme mieux que lui. Vous vous affligez de ce qu'il a plus de talent et plus d'esprit que vous ; mais il ne vous te pas ce que vous avez. Vous voyez avec peine qu'il augmente ses biens ; mais cette augmentation ne diminue pas les vtres. Vous vous chagrinez de ce qu'il est aim et estim ; mais il ne vous prend pas l'amour ni l'estime que l'on a pour vous Vous tes fatigu de voir une personne plus sage ; eh ! qui vous empche de l'tre encore plus qu'elle, si vous voulez ? Le bon Dieu ne vous donnera-t-il pas sa grce autant qu'il vous est ncessaire ? D'autres fois, au contraire, vous vous rjouissez quand votre prochain prouve quelque perte de biens, ou que l'on fltrit un peu sa rputation ; mais ses disgrces et ses misres ne vous donnent rien. Voyez-vous, M.F., combien cette passion aveugle celui qui s'y abandonne.
Il n'en est pas de ce pch comme des autres : un voleur, par exemple, en prenant, prouve un certain plaisir possder ce qu'il a pris ; un impudique qui se livre ses turpitudes gote une jouissance d'un moment, quoique les remords suivent de bien prs ; un ivrogne prouve une satisfaction dans le moment o le vin passe du verre dans son estomac ; un vindicatif croit prouver une joie dans l'instant o il se venge ; mais un envieux ou un jaloux n'a rien qui le ddommage. Son pch est semblable une vipre, qui engendre dans son sein les petits qui la feront prir. Ah ! maudit pch, quelle guerre cruelle et intestine ne fais-tu pas celui qui a le malheur de t'avoir engendr !
Mais, me direz-vous peut-tre, en quel lieu ce pch a-t-il t commis pour la premire fois ? – Hlas ! il a commenc dans le ciel. Les anges, qui taient les plus belles cratures de Dieu, devinrent jaloux et envieux de la gloire de leur Crateur, et voulurent, s'attribuer eux mmes ce qui n'tait d qu' Dieu seul ; et ce pch d'envie fut la cause que le Seigneur creusa un enfer, pour y prcipiter cette multitude infinie d'anges qui sont maintenant les dmons. De l, le pch d'envie descendit sur la terre, et alla prendre racine dans le paradis, terrestre ; c'est donc vritablement par l'envie que le pch est entr dans le monde. Le dmon qui, par son envie, avait dj perdu le ciel, ne pouvant souffrir que l'homme, qui lui tait trs infrieur par sa cration, fit si heureux dans le paradis terrestre, voulut essayer de l'entraner dans son malheur. Hlas ! il ne russit que, trop bien. S'adressant la femme comme la plus faible, il fit briller ses yeux les grandes connaissances qu'elle aurait de plus, si elle mangeait le fruit que le Seigneur lui avait dfendu de manger [7] . Elle se laissa tenter et tromper, et porta son mari faire de mme. Cette faute leur cota bien cher ; ds cet instant, ils furent condamns la mort : ce qui est la punition la plus humiliante, l'homme tant cr pour ne mourir jamais.
Depuis, ce pch a fait dans le monde les plus effroyables ravages. Le premier meurtre qui se commit eut l'envie pour cause. Pourquoi, nous dit saint Jean [8] , Can tua-t-il son frre Abel ? C'est parce que les actions de Can taient mauvaises, et il s'attirait la haine de Dieu et des hommes ; tandis que son frre tant bon, tait aim de Dieu et des hommes, et ses bonnes actions devenaient pour Can un reproche continuel. Mais l'envie dont il tait dvor ne se renferma pas seulement dans son me. Elle se manifesta sur son visage par la grande tristesse qu'il faisait paratre. Aussi le Seigneur, nous dit la sainte criture, ne regarda ni Can ni son offrande [9] . Alors il se dit en lui-mme : Mon frre est aim de tout le monde ; il est cause que je suis mpris. Il faut que je me venge de ce mpris, il faut que je le tue de mes propres mains, et que j'te de devant mes yeux un objet qui m'est insupportable. – Ç Allons, mon frre, lui dit ce malheureux envieux, allons nous promener dans les champs. È Le pauvre innocent le suit, sans savoir qu'il va tre son bourreau. Ds qu'ils sont dans les champs, Can le frappe, le blesse et le tue. Abel tombe ses pieds baign dans son sang. Bien loin d'tre saisi d'horreur d'un tel crime, Can au contraire s'en rjouit, au moins pour le moment ; car son pch ne tardera pas devenir son bourreau.
Voyez encore Esa, que l'envie dvore. Comme Can, il veut aussi tuer son frre Jacob, cause de la bndiction que celui-ci a reue de son pre. Il se dit en lui-mme : Ç Le temps de la mort de mon pre viendra bien ; alors je me vengerai, je le tuerai [10] . È Le pauvre Jacob est oblig, pour viter la mort, de fuir chez son oncle Laban, o il resta longtemps sans revenir, dans la crainte d'tre encore expos l'envie de son propre frre. Ce fut aussi l'envie qui anima les frres de Joseph contre lui, jusqu' vouloir lui ter la vie [11] . Mon-Dieu ! que cette passion est aveugle ! Joseph rapporta ses frres un song qu'il avait eu, et qui semblait l'lever au-dessus d'eux. Ils rsolurent ds lors de le tuer : car sa vie innocente et agrable Dieu condamnait leur vie criminelle. De mme, Sal dvor d'envie contre David, auquel on donnait plus d'loges qu' lui-mme, lui tendit toute sorte de piges pour le faire prir, et ne put point avoir de repos jusqu' la mort [12] .
Ah ! M.F., que nous devons prendre garde de ne point laisser natre cette passion dans nos cÏurs ; car une fois qu'elle a pris racine, il est difficile de la dtruire ! En voici un exemple bien frappant, rapport dans l'histoire de l'abb Paphnuce [13] . Ses vertus taient si clatantes, qu'il tait un objet d'admiration pour tous ceux qui avaient le bonheur de le connatre : Dans le mme monastre vivait un autre religieux, tellement jaloux d'une si grande rputation, qu'il prit la rsolution de faire tout ce qu'il pourrait pour le dcrier. Un dimanche, cet envieux entra secrtement dans la cellule de saint Paphnuce, qui assistait en ce moment la sainte Messe, et ayant cach son livre sous un petit tas de bois, s'en alla avec les autres l'glise. Il vint porter ses plaintes au suprieur, et assurer, devant tout le monde ; qu'on lui avait vol son livre. Le suprieur ordonna, qu'aucun des religieux ne sortit de l'glise ; aprs quoi, il envoya trois anciens, qui parcoururent toutes les cellules, et trouvrent ce livre dans la cellule de saint Paphnuce. A leur retour, ils le montrrent tout le monde, disant qu'ils l'avaient trouv dans la cellule de Paphnuce. Celui-ci, quoique sa conscience ft en sret, ne chercha nullement se justifier ; de peur que, s'il le niait, on ne le crt coupable de mensonge. Personne, en effet, ne pouvait croire autre chose en cela, que ce qu'il avait vu de ses yeux. Ce pauvre jeune homme se contenta d'offrir ses larmes au bon Dieu, et s'humilia profondment devant tout le monde, comme s'il et t vritablement coupable. Il passa presque deux semaines jener, pour demander au bon Dieu la grce de bien souffrir cette preuve pour son amour. Tmoin de la joie de son serviteur, Dieu ne tarda pas faire connatre la vrit. Afin de rvler l'innocence de son disciple, qui soutenait avec tant de calme la noire calomnie que l'envie lui avait attire, il permit, par un terrible jugement, que l'auteur, d'un si grand crime ft possd du dmon, et forc d'avouer ce crime d'envie en prsence de tous les religieux. Cet esprit impur l'attaqua si violemment, et le tourmenta avec tant d'opinitret, qu'aucun saint du dsert ne fut capable de le chasser. Ce malheureux envieux fut enfin forc d'avouer son imposture, et de proclamer que Paphnuce tait un saint et pouvait seul le dlivrer ; il ajouta que le dmon ne l'avait possd qu'en punition de ce qu'il avait voulu faire passer ce saint pour un hypocrite. Il lui demanda bien pardon, le conjurant d'avoir piti de lui. Comme tous les saints, Paphnuce, sans fiel et sans ressentiment, s'approcha du coupable, et commanda au dmon de le quitter ; ce qu'il fit sur le champ.
Hlas ! dit saint Ambroise, qu'ils sont-nombreux dans le monde les envieux qui sont fchs de ce que le bon Dieu bnit leurs frres ! Selon le saint homme Job, la colre fait mourir l'insens, et l'envie fait mourir les petits esprits [14] . En effet, M.F., n'est-ce pas avoir un bien petit esprit d'tre fch de ce qu'un voisin, et peut-tre mme un frre ou une sÏur, est heureux, de ce qu'il fait bien ses affaires, de ce qu'il est aim et de ce qu'il est bni du bon Dieu ? Oui, mes enfants, nous dit saint Grgoire le Grand, il faut avoir un esprit bien faible pour se laisser tyranniser par une passion si dshonorante et si loigne de la charit. Un chrtien ne doit-il pas se rjouir de voir son prochain heureux ? Dites-moi, M.F., peut-on concevoir quelque chose de plus odieux que d'tre fch du bonheur de son voisin, et se rjouir de ses peines ? Aussi voyons-nous que celui qui est atteint d'une passion si basse et si indigne d'une crature raisonnable, a bien soin de la cacher autant qu'il le peut. Il tche de l'envelopper de mille prtextes, afin de faire croire qu'il n'agit que pour le bien. Quelle criminelle lchet ! ætre dvor de chagrin de ce que le bon Dieu comble de biens ceux qui le mritent beaucoup mieux que nous !...
Un envieux n'a pas un moment de repos. Sur qui l'envieux rpand-il son cume venimeuse ? C'est, ou sur son ennemi, ou sur son ami, ou enfin sur une personne qui lui est indiffrente. 1¡ Si c'est sur un ennemi, l'envieux sait bien que non seulement il ne doit pas lui souhaiter de mal ; mais que Jsus-Christ lui commande de l'aimer comme lui-mme, de lui faire du bien et de prier pour lui [15] ; afin que le bon Dieu le bnisse dans ses biens spirituels ou temporels. Mais, dites-vous, c'est que l'on m'a fait du mal, c'est que l'on m'a dit quelque chose qui ne m'a pas convenu. Soit, mais par l mme vous montrez une lchet affreuse ; vous n'avez pas le courage de faire ce que tant de saints ont fait avec la grce divine. 2¡ S'il s'agit d'un ami, vous lui faites bon semblant quand vous le voyez, vous lui parlez comme si vous lui souhaitiez toutes sortes de biens, et dans votre cÏur vous voudriez qu'il ft malheureux, que le bon Dieu l'abandonnt, le rduist la misre, ou bien qu'il devnt un objet de mpris aux yeux du monde : quelle perfidie, quelle cruaut ! Il vous ouvre son cÏur, tandis que vous vomissez sur lui le venin de votre envie. Que penseriez-vous d'une personne qui se comporterait de cette manire votre gard ? Si vous voyiez le fond de son cÏur, vous en seriez indign, vous diriez en vous-mme : voil un lche, un perfide, un mchant, qui, en me parlant, me fait bonne grce, et semble me souhaiter toutes sortes de biens ; tandis que, dans son cÏur, il voudrait me voir le plus malheureux des hommes. Est-il une passion plus mchante que celle-l ? 3¡ Mais il s'agit d'une personne indiffrente. Que vous a-t-elle fait pour s'attirer le venin de votre fiel ? Pourquoi vous affliger de ce qu'elle est heureuse, ou vous rjouir de ce qu'il lui arrive quelque disgrce ? Que cette passion de l'envie est cruelle, M.F., et qu'elle est aveugle ! Comme hommes, vous le savez, M.F., nous devons avoir de l'humanit les uns pour les autres ; mais un envieux au contraire voudrait, s'il le pouvait, dtruire ce qu'il aperoit de bien dans son prochain. Comme chrtiens, vous le savez aussi, nous devons avoir une charit sans bornes pour nos frres. Nous avons vu des saints, qui, non contents de donner tout ce qu'ils avaient pour racheter leurs frres, se sont encore donns eux-mmes. Mose consentait se laisser effacer du livre de vie pour sauver son peuple, c'est--dire pour obtenir son pardon du Seigneur [16] . Saint Paul nous dit qu'il donnerait mille fois sa vie pour sauver l'me de ses frres [17] . Mais un envieux est bien loign de toutes ces vertus, qui font le plus bel ornement d'un chrtien. Il voudrait voir son frre se ruiner. Chaque trait de la bont de Dieu envers son prochain est un coup de lance qui lui perce le cÏur et le fait mourir secrtement. Puisque Ç nous sommes tous un mme corps È dont Jsus-Christ est le chef [18] , nous devons faire paratre en tout l'union, la charit, l'amour et le zle. Pour nous rendre heureux les uns les autres, nous devons nous rjouir, comme nous dit saint Paul, du bonheur de nos frres, et nous affliger, avec eux quand ils ont quelques peines [19] . Loin d'avoir ces sentiments, l'envieux ne cesse de lancer des mdisances et des calomnies contre son voisin. Il semble par l se soulager, et adoucir un peu son chagrin.
Hlas ! nous n'avons pas dit assez encore. C'est ce vice redoutable qui renverse les rois et les empereurs de leur trne. Pourquoi, M.F., parmi ces rois, ces empereurs, ces hommes qui occupent les premires places, les uns sont-ils chasss, les autres empoisonns, d'autres poignards. Ce n'est que pour rgner leur place. Ce n'est pas le pain, ni le vin, ni le logement qui manquent aux auteurs de ces crimes. Non, sans doute ; mais c'est l'envie qui les dvore. D'autre part, voyez un marchand, il voudrait avoir toutes les pratiques, et les autres point. Si quelqu'un le quitte pour aller ailleurs, il tchera de dire autant de mal qu'il pourra soit de la personne du marchand, soit de la marchandise. Il prendra tous les moyens possibles pour lui faire perdre sa rputation, en disant que sa marchandise n'est pas si bonne que la sienne, ou qu'il ne fait pas bon poids. Voyez encore la ruse diabolique de cet envieux : il ne faut pas le dire d'autres, ajoute-t-il, dans la crainte de lui porter perte ; j'en serais bien fch, je vous le dis seulement afin que vous ne vous laissiez point tromper. Voyez un ouvrier, si un autre va travailler dans la maison o il a la coutume d'aller, cela le fche ; il fera tout ce qu'il pourra pour dcrier cette personne afin qu'on ne la reoive pas. Voyez un pre de famille, comme il est fch si son voisin fait mieux ses affaires que lui, si ses terres produisent plus que les siennes. Voyez une mre, elle voudrait que l'on ne parlt avantageusement que de ses enfants ; si on loue d'autres enfants devant elle et qu'on ne loue pas les siens, elle rpondra : Ils ne sont pas parfaits ; et elle devient triste. Que vous tes bonne ; pauvre mre ! les louanges que l'on donne aux autres n'tent rien aux vtres. Voyez la jalousie d'un mari l'gard de sa femme et d'une femme pour son mari ; voyez comment ils s'examinent dans tout ce qu'ils font, dans tout ce qu'ils disent ; comme ils remarquent toutes les personnes qui ils parlent, toutes les maisons dans lesquelles ils vont. Si l'un s'aperoit que l'autre parle quelqu'un, il n'y a sorte d'injures dont il ne l'accable, quoique souvent il soit bien innocent. N'est-ce pas ce maudit pch qui divise les frres et les sÏurs ? Un pre ou une mre donnent-ils quelque chose de plus aux uns qu'aux autres, vous voyez aussitt natre cette haine jalouse contre celui ou contre celle qui a t favoris ; haine qui dure des annes entires et quelquefois toute la vie. Ces enfants ne sont-ils pas toujours surveiller leur mre ou leur pre, pour voir s'il ne donne pas quelque chose, ou fait bonne grce l'un d'eux ? Alors, il n'y a sorte de mal qu'ils ne disent.
Nous voyons mme que ce pch semble natre avec les enfants. Voyez, en effet, parmi eux, cette petite jalousie qu'ils conoivent les uns contre les autres, s'ils aperoivent quelque prfrence de la part des parents. Voyez un jeune homme, il voudrait tre le seul avoir de l'esprit, du savoir, une bonne conduite ; il est afflig si les autres font mieux, ou sont plus estims que lui. Voyez une jeune fille, elle voudrait tre la seule aime, la seule bien pare, la seule recherche. Si d'autres lui sont prfres, vous la voyez se chagriner et se tourmenter, peut-tre mme pleurer, au lieu de remercier le bon Dieu d'tre mprise des cratures pour ne s'attacher qu' lui seul. Quelle aveugle passion, M.F. ! qui pourrait bien la comprendre ?
Hlas ! M.F. ; ce vice se trouve mme parmi ceux dans lesquels on ne devrait pas le rencontrer ; je veux dire parmi les personnes qui font profession de religion.
Elles examineront combien de temps une telle reste se confesser, la manire dont elle se tient pour prier le bon Dieu ; elles en parlent et elles les blment. Elles pensent que toutes ces prires, ces bonnes Ïuvres ne sont que pour se faire voir, ou, si vous le voulez, ne sont que grimaces. On a beau leur dire que les actions du prochain le concernent seul ; elles s'irritent et prennent ombrage de ce que les autres agissent mieux qu'elles-mmes. Voyez mme parmi les pauvres, si l'on fait plus de bien l'un d'eux, ils en disent du mal celui qui a fait l'aumne, afin de le dtourner pour une autre fois. Mon Dieu ! quelle dtestable passion ! Elle s'attaque tout, aux biens spirituels comme aux temporels.
Nous avons dit que cette passion montre un petit esprit. Cela est si vrai que personne ne croit l'avoir, du moins ne veut croire en tre atteint. On tchera de la couvrir de mille prtextes pour la cacher aux autres. Si, en notre prsence, on dit du bien de notre prochain, nous gardons le silence ; cela nous afflige le cÏur. Si nous sommes obligs de parler, nous le faisons d'une manire froide. Non, M.F., il n'y a point de charit dans un envieux. Saint Paul nous dit que nous devons nous rjouir du bien qui arrive notre prochain [20] . C'est, M.F., ce que la charit chrtienne doit nous inspirer les uns pour les autres. Mais les sentiments d'un envieux sont bien diffrents. Non, je ne crois pas qu'il y ait un pch plus mauvais et plus craindre que celui d'envie, parce que c'est un pch cach, et souvent couvert d'une belle robe de vertu ou d'amiti. Disons mieux : c'est un lion que l'on fait semblant de museler, ou un serpent couvert d'une poigne de feuilles, qui vous mordra sans que vous vous en aperceviez ; c'est une peste publique qui n'pargne personne. Ce n'est ordinairement que ce maudit pch qui jette les divisions et le trouble dans les familles.
Je dis, M.F., que ce pch est un pch de malice voici un exemple qui va vous le prouver clairement. Saint Vincent Ferrier rapporte qu'un prince ayant appris qu'il y avait dans sa ville capitale deux hommes dont l'un tait trs avare et l'autre trs envieux, les fit venir auprs de lui. Il leur promit de leur accorder tout ce qu'ils demanderaient, avec cette condition nanmoins, que celui qui demanderait le premier recevrait la moiti moins que son compagnon. Cette condition les troubla beaucoup. L'avare brillait du dsir d'avoir de l'argent, mais se disait en lui-mme : Si je demande le premier, je ne vais avoir que la moiti de ce que l'autre aura.
L'envieux tait press de demander, mais il tait jaloux de ce que l'autre aurait eu la moiti plus que lui. Le temps se passait ainsi en disputes, sans que ni l'un ni l'autre ne voult commencer : l'un tait retenu par l'avarice, l'autre par l'envie. Pour terminer enfin cette contestation, le prince ordonna que l'envieux demandt le premier. Dans son dsespoir, voyez ce que fit celui-ci. Saisi d'un accs de fureur incomprhensible, il s'cria : Ç Puisque vous nous avez promis d'accorder tout ce que nous demanderions, je veux qu'on m'arrache un Ïil È
Savez-vous, M.F., pourquoi il fit cette demande ? C'est que, vous vous le rappelez, le prince avait promis le double celui qui demanderait le dernier. L'envieux se disait : J'aurai encore un Ïil pour jouir du plaisir de voir arracher les deux yeux mon camarade, et lui n'aura pas plus que moi. Je ne crois pas, nous dit saint Vincent Ferrier, en dplorant le malheur de ceux qui sont atteints de ce vice, je ne crois pas que jamais une autre passion ait port un homme une telle mchancet.
N'est-ce pas encore l'envie qui fit jeter le pauvre Daniel dans la fosse aux lions [21] ? Que ce pch est donc commun ! Il s'tend partout, toutes les conditions, tous les ges. Qu'il est dtestable ! Mais ce qu'il y a de plus dplorable, M.F., c'est qu'il est peu connu, et il y en a trs peu qui veuillent s'en croire coupables, et il y en a moins encore qui travaillent s'en corriger.
II. – Pour s'accuser d'un pch, s'en humilier et cesser de le commettre, il faut ncessairement le connatre. Mais un envieux, un jaloux est si aveugle qu'il ne reconnat pas sa passion. C'est un endurci qui ne veut, ni la quitter, ni s'en accuser. De l, je conclus qu'il, est trs rare qu'un envieux se convertisse. Vous me direz peut-tre que tout pch aveugle bien qui le commet. Cela est vrai ; mais, il n'y en a point qui enveloppe l'me de nuages aussi pais que le pch d'envie, et qui te plus la connaissance de soi-mme. C'est pourquoi, le Saint-Esprit nous dit, par la bouche du Sage, de ne pas frquenter les envieux, parce qu'ils n'ont point de part la sagesse [22] . Un pauvre envieux se persuade que son pch n'est rien, ou du moins bien peu de chose, parce que ce pch ne le dshonore pas aux yeux du monde comme le ferait le vol, le blasphme, l'adultre. IL regarde la passion qui le dessche comme une chose bien pardonnable ; il ne pense pas que c'est le poison de Can, dont il devient l'imitateur. Ce misrable, nous dit l'criture sainte, ne put souffrir que Dieu prfrt l'offrande de son frre Abel la sienne [23] . Sa passion l'aveugla un tel point, qu'il n'eut pas de repos avant de lui avoir t la vie. Le Seigneur lui fit entendre sa voix du haut du ciel : Ç Can, Can, qu'as-tu fait ? o est ton frre ? son sang crie vengeance. È Can trembla et frissonna de tout son corps. Il devint lui-mme son bourreau, et porta partout avec lui son supplice. Mais, nous dit saint Basile, se reconnat-il ? se convertit-il ? Non, M.F., non, l'envie l'a tellement aveugl qu'il prit misrablement dans son pch. Voyez encore les pharisiens. L'envie leur fait demander grands cris la mort de Jsus-Christ, qui avait opr tant de miracles sous leurs yeux. Se sont-ils convertis ? Non, M.F., non, ils, sont morts dans leur pch.
Je dis de plus : ce pch non seulement aveugle, mais encore il endurcit. Saint Basile ajoute qu'un envieux n'est autre chose qu'un monstre de... qui rend le mal pour le bien ; son pch l'entrane dans une suite d'autres pchs qui toujours l'loignent de Dieu, et toujours l'endurcissent davantage. Sa conversion devient toujours plus difficile.
Voyez ce qui arriva la sÏur de Mose. Elle ne pouvait souffrir l'honneur que le Seigneur faisait son frre. Est-ce que le Seigneur n'a parl qu' Mose ? disait-elle. Ne nous a-t-il pas parl aussi bien qu' lui ? Mais le Seigneur la reprit de ce qu'elle osait porter envie son frre, et lui dit : Vous allez bientt subir la peine que mrite votre pch de jalousie ; et il la frappa d'une lpre qui lui couvrit tout le corps [24] . Pourquoi le bon Dieu lui envoya-t-il cette maladie plutt qu'une autre ? C'est que cette maladie montre la nature de son pch : comme la lpre gte toutes les parties du corps, de mme l'envie corrompt toutes les puissances de l'me. La lpre est une corruption de la masse du sang et un signe de mort ; de mme l'envie est une pourriture spirituelle qui s'insinue jusque dans la mÏlle des os. Cela nous montre, M.F., combien il est difficile de gurir une personne qui est atteinte du pch d'envie. Voyez encore ce qui arriva Cor, Dathan et Abiron. Jaloux des honneurs que l'on rendait Mose, ces misrables lui dirent : Ç Est-ce que nous ne sommes pas autant que vous ? Est-ce que nous ne pouvons pas offrir de l'encens au Seigneur aussi bien que vous ? È On eut beau leur reprsenter qu'ils allaient irriter le Seigneur, qu'il les punirait. Rien ne fut capable de les arrter. Ils voulurent offrir de l'encens. Mais Dieu dit Mose et Aaron : Ç Faites-les sparer, et tout ce qui leur appartient. Je vais les punir rigoureusement. È En effet, dans le moment o ils croyaient contenter leur envie, la terre s'ouvrit sous leurs pieds, et les engloutit tout vivants dans les enfers [25] .
Ah ! M.F., que ce pch est difficile quitter quand une fois nous en sommes atteints. Combien de personnes ont conu cette haine contre quelqu'un, et ne peuvent plus s'en dfaire ; elles la conservent durant des mois, des annes entires et souvent toute leur vie. Elles ne le font pas paratre ; elles rendront service tout de mme ceux qui en sont l'objet ; mais elles aimeraient mieux ne pas les voir. Elles fuient, elles coupent court, si elles le peuvent, leur conversation ; elles aiment autant en entendre dire du mal que du bien ; elles cherchent mille prtextes pour viter d'avoir faire avec elles. Si elles prouvent quelque peine, elles pensent que ces personnes en sont la cause, et elles disent : j'aimerais mieux ne pas les voir, parce que cela me fatigue, leurs manires me dplaisent. Vous vous trompez, mon ami, c'est votre passion d'envie qui vous ronge et vous dessche ; tez ce pch de votre cÏur et vous les aimerez comme tout le monde.
Voulez-vous, M.F., un exemple qui vous fera connatre combien ce pch aveugle l'homme. Voyez Pharaon. Jaloux des bndictions que le Seigneur rpandait sur le peuple Juif, il l'accabla de travaux [26] . Le Seigneur, par le ministre de Mose et d'Aaron, fit des miracles extraordinaires pour le forcer laisser partir son peuple. Mais les miracles, qui auraient d convertir ce prince, ne servirent qu' l'endurcir de plus en plus. Cependant un dernier chtiment toucha son cÏur. Dieu fit mourir tous les premiers-ns d'gypte. Alors, le roi consentit laisser partir les Isralites. A peine furent-ils partis, qu'il s'en repentit et les poursuivit avec toute son arme. Mais le Seigneur protgeait toujours son peuple... Mose se voyant pris entre la mer et l'arme de Pharaon, frappa la mer. La mer lui ouvrit un passage, et-ds que les Isralites eurent pass, elle retourna dans son lit ordinaire, engloutit Pharaon et toute son arme sans qu'il en restt un seul.
C'est encore l'envie qui anima Sal contre le pauvre David, jusqu' chercher tous les moyens de lui ter la vie. Et savez-vous pourquoi ? David avait tu dix mille ennemis. A son retour de la guerre, le peuple chanta : Ç Sal en a tu mille et David dix mille. È L'criture sainte nous dit que cela irrita tellement Sal que, depuis ce jour, il n'eut point de repos [27] . Mais le bon Dieu, pour faire connatre combien ce pch lui est odieux, donna la permission au dmon d'entrer dans le corps de Sal. Son orgueil engendra l'envie parce que ces deux passions ne vont pas l'une sans l'autre. Nous pouvons dire qu'un orgueilleux est un envieux, et qu'un envieux est un orgueilleux [28] . Nous voyons que presque tous ceux qui sont atteints de ce vice perdent mme la vie par ce bourreau. Sal ne pouvant plus y tenir, s'gorgea lui-mme.
Vous voyez donc, M.F., d'aprs ces exemples, combien ce pch est craindre, puisque, presque jamais, un envieux ne s'est converti. Le bon Dieu, il est vrai, ne frappe pas toujours les envieux de ces chtiments pouvantables ; mais ils n'en sont pas moins malheureux, et ne laissent pas que d'tre damns. Nous nous conduisons en enfer sans nous en apercevoir.
Mais comment, M.F., pouvons-nous nous corriger de ce vice, puisque nous ne nous croyons pas coupables ? Je suis sr que, de mille envieux, en bien les examinant, il n'y en aura pas un qui veuille croire qu'il est de ce nombre. Il n'y a point de pch que l'on connaisse moins que celui-l. Dans les uns, l'ignorance est si grande qu'ils ne connaissent pas mme le quart. de leurs pchs ordinaires ; et comme le pch d'envie est beaucoup plus difficile connatre, il n'est pas tonnant que si peu s'en confessent et s'en corrigent. Parce qu'ils ne font pas ces gros pchs que commettent les gens grossiers et abrutis, ils pensent que les pchs d'envie ne sont que de petits dfauts de charit, tandis qu'en grande partie ce sont de bien mauvais pchs mortels, qu'ils nourrissent et entretiennent dans leur cÏur, souvent sans bien les connatre. – Mais, pensez-vous en vous-mme, si je les connaissais, je tcherais bien de me corriger. – Pour les connatre, M.F., il faut demander les lumires du Saint-Esprit : lui seulement vous fera cette grce. On aurait beau vous le faire toucher au doigt, vous ne voudriez pas en convenir, vous trouveriez toujours quelque chose qui vous ferait croire que vous n'avez pas tort de penser et d'agir de la manire dont vous agissez. Savez-vous encore ce qui pourra contribuer vous faire connatre l'tat de votre me et dcouvrir ce maudit pch cach dans les plis secrets de votre cÏur ? C'est l'humilit : comme l'orgueil vous le cache, l'humilit vous le dcouvrira. Saint Augustin craignait tant ce pch d'ignorance, que souvent il rptait cette prire : Ç Seigneur, mon Dieu, faites-moi connatre ce que je suis [29] . È Hlas ! M.F., combien de personnes qui mme font profession de pit, en sont atteintes et ne le croient pas.
Si maintenant je demandais un enfant quelle est la vertu oppose l'envie, il me rpondrait : C'est l'amour du prochain et la libralit envers les pauvres. Que le monde serait heureux, M.F., si nous avions cet amour que la religion nous commande d'avoir les uns pour les autres ; si nous savions nous rjouir avec ceux qui sont heureux et dans la joie, et nous attrister avec ceux qui sont dans la peine et les souffrances ; remercier le bon Dieu du bien qu'il accorde nos voisins, comme nous voudrions qu'ils le fissent notre gard ! C'est cependant, M.F., ce que tous les saints ont fait. Voyez Jsus-Christ lui-mme, comme il tait touch de nos misres et comme, il dsirait nous rendre heureux ! Il quitta son Pre pour venir nous rendre le bonheur. Il sacrifia, non seulement sa rputation, mais sa vie mme, en mourant, comme un infme, sur une croix. Voyez comme il tait touch de compassion pour les malades, les infirmes ; voyez avec quel empressement il va lui-mme les gurir et les consoler. Voyez comme ses entrailles sont mues de la mme compassion pour cette foule de peuple qui le suivait dans le dsert ; il fait mme un miracle pour leur donner manger. Ç Je crains, disait-il ses aptres, que ces pauvres gens ne tombent de faiblesse en chemin [30] . È Voyez comme les aptres ont tous sacrifi leur vie pour rendre leurs frres heureux ! Voyez combien les premiers chrtiens taient charitables les uns pour les autres, et comme ce pch tait loign d'eux ! Le Saint-Esprit nous dit Ç qu'ils n'avaient qu'un cÏur et qu'une me [31] , È et nous montre ainsi qu'ils voyaient avec autant de plaisir le bien que le bon Dieu faisait leurs frres que s'il l'et fait eux-mmes. Voyez tous les saints : les uns ont donn leur vie pour sauver celle de leurs frres ; les autres se sont dpouills, non seulement de leurs biens pour les pauvres ou les souffrants ; mais, aprs avoir donn tout ce qu'ils pouvaient donner, ils se sont encore donns eux-mmes ! Ils se sont vendus pour racheter les captifs ! Que nous serions heureux, M.F., si nous voyions parmi nous cette charit, cet amour les uns pour les autres, ce plaisir et cette joie quand notre voisin est heureux et estim des hommes, cette compassion, cette peine et ce chagrin en le voyant afflig, et misrable ! Le monde ne serait-il pas le commencement du ciel ?
Finissons, M.F., en disant que nous devons craindre, par-dessus tout, que ce maudit pch d'envie ne prenne racine en notre cÏur, puisqu'il rend une personne si malheureuse. Si le dmon nous tente par des penses d'envie contre notre prochain, bien loin de le lui faire connatre par un air indiffrent, il faut lui montrer de l'amiti et lui rendre service autant que nous le pouvons. Quant ses actions, si elles nous paraissent mauvaises, pensons vite que nous pouvons bien nous tromper, tant si aveugles que nous le sommes ; et que, d'ailleurs ; nous ne serons pas jugs sur ce que les autres feront, mais seulement sur le bien et le mal que nous aurons faits pendant notre vie. Si nous avons des penses d'envie parce que les autres russissent mieux que nous dans leurs affaires temporelles, pensons vite qu'un bon chrtien doit remercier Dieu du bien qu'il a fait son frre. Si c'est pour le bien spirituel, pensons combien nous sommes heureux que le bon Dieu ait des personnes qui le ddommagent des outrages que nous lui faisons.
Je conclus, M.F., en vous disant que si nous voulons esprer d'aller au ciel, il faut absolument tre contents du bien que le bon Dieu fait notre prochain, et nous attrister des maux qu'il prouve, puisque saint Jean nous dit : Ç Comment voulez-vous faire croire que vous aimez le bon Dieu que vous ne voyez pas, tandis que vous n'aimez pas votre frre que vous voyez ? [32] È Jetons les yeux sur notre grand modle, qui, pour nous gurir de ce maudit pch d'envie et de jalousie, est mort pour ses ennemis et pour nous rendre heureux ; c'est le mme bonheur que je vous souhaite.
[1]
Luc. iv, 29.
[2]
Joan. vii, 59 ; x, 31.
[3]
Ibid., vii, 1 ; xi, 53.
[4]
Joan, xi, 47-48.
[5]
Matth. ix, 2.
[6] IIa Ii¾, qu. XXXVI, art. 1.
[7]
Gen. iii, v.
[8]
I Joan. iii, 12.
[9]
Gen. iv, 5.
[10]
Gen. xxvii, 41.
[11]
Gen. xxxvii, 8.
[12]
I Reg. xviii, 8.
[13] Vie des Pre du dsert, t.III, p.16. Paphnuce, Ç surnomm Bubale ou Buffle, cause du grand amour quÕil avait pour la solitude, lÕanimal qui porte ce nom faisant sa demeure ordinaire dans les dserts. È
[14] Vere stultum interficit iracundia, et parvulum occidit invidia. Job. V, 2.
[15]
Matth. v, 44.
[16]
Exod. xxii, 31-32.
[17]
Rom, ix, 3.
[18]
Rom, xii, 5.
[19]
Rom. xii, 15.
[20]
Rom. xii, 15.
[21]
Dan. vi, 4.
[22]
Prov. xxiii, 6.
[23]
Gen. iv, 5.
[24]
Num. xii.
[25]
Num. xvi.
[26]
Exod. i ;
[27]
I Reg. xviii, 7-8.
[28]
Souvenez-vous du pch des frres de Joseph. (Note du Saint.)
[29] Noverim me, ut oderim me.
[30]
Matth. xv, 32.
[31]
Act. iv, 32.