20me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(SEIZIéME SERMON)

Sur l'Ivrognerie

 

 

Nolite inebriari vino, in quo est luxuria.

Ne vous laissez pas aller ˆ l'ivrognerie, qui conduit ˆ

l'impuretŽ.

(S. Paul aux ƒphŽsiens, v, 18.)

 

Saint Paul nous assure que les ivrognes n'entreront jamais dans le royaume des cieux [1]  ; il faut donc, M.F., que l'ivrognerie soit un bien grand pŽchŽ. Cela est trs facile ˆ comprendre, car, sous quelque aspect que nous le considŽrions, ce pŽchŽ est inf‰me, aux yeux mmes des pa•ens ; ˆ plus forte raison, les chrŽtiens doivent-ils le craindre mille fois plus que la mort. Le Saint-Esprit nous le dŽpeint d'une manire effrayante ; il nous dit : Ç Malheur ˆ vous qui tes puissants ˆ boire du vin et vaillants ˆ vous enivrer... malheur ˆ celui qui se lve ds le matin avec la pensŽe de se livrer ˆ l'ivresse [2]  ! È HŽlas ! M.F., il en est bien peu de ceux qui sont atteints de ce vice horrible qui travaillent ˆ s'en corriger. Les uns ne voient aucun mal ˆ boire en toute rencontre ; les autres pensent que pourvu qu'ils ne perdent pas la raison, ils ne commettent pas un bien grand pŽchŽ ; d'autres, enfin, s'excusent sur ce que les compagnies les entra”nent. Pour les dŽtromper tous de ces erreurs, je vais leur montrer : 1¡ que tout condamne l'ivrognerie, 2¡ que tous les prŽtextes qu'ils peuvent allŽguer ne sont pas capables de les justifier devant le bon Dieu.

 

I. – Pour vous montrer, M.F., la grandeur du pŽchŽ de l'ivrognerie, il faudrait pouvoir vous faire conna”tre la grandeur des maux qu'il entra”ne avec lui pour le temps et pour lՎternitŽ ; ce qui ne sera jamais donnŽ ˆ l'homme mortel, parce qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse le conna”tre. Tout ce que je vous en dirai ne sera donc rien en comparaison de ce qu'il est.

D'abord, vous conviendrez avec moi qu'une personne, qui a encore un peu de bon sens et de religion, ne peut pas tre indiffŽrente et insensible ˆ la perte de sa rŽputation, de sa santŽ et de son salut. Faut-il mieux m'expliquer encore, je vous dirai que l'ivrogne, par son pŽchŽ, s'attire la ruine de sa santŽ, l'aversion des hommes et la malŽdiction de Dieu lui-mme. Je crois, M.F., que cela seul devrait suffire pour vous en faire concevoir une horreur exŽcrable. Quelle honte pour une personne, mais surtout pour un chrŽtien, de se plonger dans cet inf‰me bourbier ! Le Saint-Esprit nous dit dans l'ƒcri­ture sainte, qu'il faut envoyer le paresseux ˆ la fourmi pour apprendre d'elle ˆ travailler [3]  ; mais que pour l'ivrogne ; il faut l'envoyer ˆ la bte brute pour apprendre d'elle la tempŽrance dans le boire et le manger. Quand on veut engager un pŽcheur ˆ sortir du pŽchŽ, on s'em­presse de lui proposer les exemples de JŽsus-Christ et des saints ; mais pour un ivrogne, il faut bien changer de langage, il faut lui proposer l'exemple des animaux, et sans craindre de descendre jusqu'aux plus immondes. Grand Dieu, quelle horreur ! Saint Basile nous dit que lÕon ne devrait pas souffrir les ivrognes parmi les hommes ; mais qu'il faudrait les chasser, et les relŽguer parmi les btes sauvages qui sont au fond des forts.

Ce pŽchŽ para”t odieux mme aux pa•ens. Il est rapportŽ dans l'histoire que les magistrats de la ville de Sparte, dont les habitants Žtaient trs sobres, pour bien faire comprendre aux jeunes gens combien ce vice est indigne d'une crŽature raisonnable, faisaient venir, ˆ certain jour de l'annŽe, au milieu de la place publique, un esclave que l'on avait enivrŽ. Les jeunes gens, voyant cet homme se tra”ner dans l'eau ou dans la boue, s'en Žtonnaient et s'Žcriaient : O ciel ! d'o peut venir un tel monstre ? Il a une figure humaine, mais il a moins de raison qu'une bte brute. Vous le voyez, M.F., tout pa•ens qu'ils Žtaient, ils ne pouvaient pas concevoir qu'une crŽature raisonnable fžt capable de se livrer ˆ une passion qui la rŽduis”t ˆ un Žtat aussi dŽshonorant. Nous lisons encore qu'un jeune seigneur, homme de bien, avait un serviteur assez malheureux pour se mettre de temps en temps dans le vin. Un jour, comme il allait ˆ l'Žglise, il le trouva dans cet Žtat, et lui demanda o il se rendait. Je vais ˆ l'Žglise, prier le bon Dieu, lui rŽpondit le serviteur. – Tu vas ˆ l'Žglise, lui repartit son ma”tre, ah ! inf‰me ! comment pourrais-tu prier le bon Dieu quand tu ne serais pas en Žtat de pa”tre ton cheval.

Il n'en est pas de ce pŽchŽ comme de ceux qui, avec le temps et la gr‰ce, se corrigent ; pour celui-lˆ il faut un miracle de la gr‰ce, et non une gr‰ce ordinaire. Me demandez-vous pourquoi les ivrognes se convertissent si rarement ? – En voici la raison : c'est qu'ils n'ont ni foi, ni religion, ni piŽtŽ, ni respect pour les choses saintes ; rien n'est capable de les toucher et de leur faire ouvrir les yeux sur leur Žtat malheureux. Si vous les menacez de la mort, du jugement, de l'enfer qui les attend pour les bržler ; si vous les entretenez du bonheur que Dieu rŽserve ˆ ceux qui l'aiment ; pour toute rŽponse ils vous feront un petit sourire malin qui signifie : Ç Vous croyez-peut-tre me faire peur comme l'on fait aux enfants ; mais je ne suis pas encore du nombre de ceux qui se laissent... pour croire tout cela. È Voilˆ tout ce que vous en tirez. Il croit que quand nous sommes morts, tout est fini. Son Dieu, c'est son vin et il s'en tient lˆ. Ç Va, malheureux, lui dit l'Esprit-Saint, ce vin que tu bois avec excs est comme une couleuvre qui te donne la mort [4] . È Tu n'en crois rien maintenant ; mais en enfer, tu apprendras qu'il y a un autre Dieu que ton ventre.

Outre le mal que l'ivrogne se fait ˆ lui-mme par ce pŽchŽ, ˆ quels excs n'est-il pas capable de se porter lorsqu'il est dans sa crapule ! Saint Augustin nous en rapporte un exemple effrayant. Dans la ville o il Žtait Žvque, un jeune homme nommŽ Cyrille avait, comme tant d'autres, hŽlas ! la malheureuse habitude de frŽquenter les cabarets. Un jour qu'il revenait du lieu de ses dŽbauches, il porta la fureur de la passion si loin qu'il attaqua sa mre elle-mme qui Žtait enceinte. Se voyant entre les mains de ce fils maudit, elle se dŽbattit avec tant d'efforts qu'elle fit pŽrir le pauvre enfant qu'elle portait. O mon Dieu, quel malheur ! un enfant qui ne verra jamais le ciel par la fureur de ce malheu­reux libertin !... Cet inf‰me voyant qu'il ne pouvait pas gagner sa mre, se met ˆ la poursuite d'une de ses sÏurs, qui aima mieux se laisser poignarder que de consentir ˆ son inf‰me dŽsir. Le pre, entendant un grand bruit, accourt pour dŽlivrer sa fille. Le malheureux se jette sur son pre, le frappe ˆ coups de couteau et le fait tomber ˆ ses pieds. Une autre de ses sÏurs court au secours de son pre qu'elle voyait assassiner, le malheureux la poignarde aussi. O ciel ! quelle horreur ! quelle est la passion semblable ˆ celle-ci ? Saint Augustin ayant fait rassembler les fidles ˆ l'Žglise pour leur faire part de cet ŽvŽnement, rapporte lui-mme que tout le monde fondait en larmes, au rŽcit d'un tel crime.

Voyez, M.F., quelle horreur de ce pŽchŽ le Saint-Esprit veut vous inspirer, puisqu'il vous dit de Ç ne pas mme regarder le vin quand il brille dans le verre. Si vous le buvez avec excs, dit-il encore, il vous mordra comme un serpent, il vous empoisonnera comme un basilic [5] . È Voulez-vous, nous dit saint Basile, savoir ce que c'est que l'estomac d'un ivrogne, le voici : c'est un rŽservoir rempli de toutes les immondices du cabaret. Vous voyez ordinairement, dit-il, un ivrogne mener une vie languissante ; il n'est capable de rien ; sinon de ruiner sa santŽ, de manger son bien, de mettre sa famille ˆ la misre : voilˆ tout ce dont il est capable. Il faut que cette passion soit bien dŽshonorante, puisque le monde, si corrompu qu'il soit, ne laisse pas que d'avoir un souverain mŽpris pour les ivrognes, et de les regarder comme des pestes publiques. Cela n'est pas bien difficile ˆ comprendre : ne renferme-t-elle pas tout ce qui est capable de rendre un homme inf‰me et odieux aux yeux des pa•ens mme. N'est-il pas odieux, lorsque, par la nŽgligence de ses affaires, il ruine sa famille et la met ˆ la misre ? N'est-il pas odieux par les scandales qu'il donne, par la turpitude de sa vie, et les injures qu'il dŽbite aussi bien contre ses supŽrieurs que contre ses infŽrieurs ; car un ivrogne n'a pas plus de respect pour les uns que pour les autres. Vous conviendrez avec moi, M.F., qu'il n'en faudrait pas autant pour rendre une personne mŽprisable.

ƒcoutez-moi un instant encore, et vous le comprendrez mieux. O trouverez-vous un pre qui veuille donner sa fille ˆ un ivrogne, s'il le conna”t pour tel ? Ds que vous lui en faites la proposition, il vous rŽpond : Ç Si je voulais faire pŽrir ma fille de chagrin, je le ferais ; mais comme j'aime mes enfants, je prŽfre la garder avec moi toute ma vie. È D'ailleurs, M.F., o serait la fille qui voudrait consentir ˆ prendre un jeune homme qui roule [6] les cabarets ? – Ç J'aimerais mieux, vous dirait-elle, aller passer ma vie dans un bois que de prendre un abruti, qui, peut-tre, dans son vin me tuera, comme on l'a vu bien souvent. È Dites-moi, M.F., quel est le bourgeois [7] qui voudrait confier le gouvernement de son domaine ˆ un ivrogne, le charger de payer ses dŽpenses, de recevoir son argent ? De tous les cinq mille, vous n'en trouverez pas un qui y consente, et ils ont bien raison. O est le juge qui voudrait recevoir en justice la dŽposition d'un ivrogne ? Il le ferait chasser de son audience, et ordonnerait de le conduire dans son Žcurie, avec ses chevaux, ou mme mieux, avec ses pourceaux, s'il en avait. O trouverez-vous un honnte homme, qui veuille para”tre dans une auberge en la sociŽtŽ d'un ivrogne ? Si personne ne le conna”t, il prendra peut-tre patience mais, s'il se croit reconnu d'une personne comme il faut, de suite il prend la fuite ; ou, s'il ne le peut pas, il cherche mille dŽtours pour faire entendre qu'il s'est trouvŽ dans cette compagnie sans le savoir. Voulez-vous dans une dispute lui faire de la peine, reprochez-lui de l'avoir vu en telle compagnie ; c'est lui dire qu'il ne vaut, pas mieux que cet ivrogne ; et l'on suppose toutes sortes de mauvaises qualitŽs ˆ un ivrogne !

Saint Basile nous dit que si les btes Žtaient capables de conna”tre ce que c'est qu'un ivrogne, elles ne voudraient pas le souffrir en leur compagnie, elles croiraient se dŽshonorer. Un ivrogne ne se met-il pas au-dessous de la bte la plus brute ? Voyez, en effet, une bte a des pieds pour aller o elle veut, o on l'appelle ; mais un ivrogne n'en a point. Que de fois le trouvez-vous couchŽ dans un chemin, semblable ˆ un animal ˆ qui l'on a coupŽ les quatre pieds. Si vous avez la charitŽ de le relever, de suite il retombe, au point que vous tes obligŽ ou de le laisser dans la boue, ou bien de le prendre sur vos Žpaules. N'est-ce pas la vŽritŽ ? – Oui, sans doute, pensez-vous en vous-mmes. – Une bte a des yeux pour voir, pour se conduire, pour aller ˆ la maison de son ma”tre, et se placer d'elle-mme dans l'Žcurie qu'il lui a dŽsignŽe. Un ivrogne n'a point d'yeux pour se conduire chez lui, il ne sait pas s'il doit prendre la droite ou la gauche ; s'il est de vos voisins, il ne vous conna”t pas seulement. Demandez-lui s'il est jour ou s'il est nuit, il n'en sait rien. Une bte a des oreilles pour entendre ce que son ma”tre lui dit ; elle ne peut pas lui rŽpondre ; mais elle le regarde pour montrer qu'elle comprend et qu'elle est prte ˆ faire ce qu'il lui commande. Un chien voit-il son ma”tre lui faire signe qu'il a perdu son mouchoir ou son b‰ton, il se met aussit™t en devoir d'aller le chercher, il le rapporte et tŽmoigne ˆ son ma”tre la joie, le plaisir qu'il a de lui rendre service. Si vous trouvez un ivrogne Žtendu sur votre chemin, essayez de lui parler pendant des heures entires, il ne vous rŽpondra pas seulement, tant ses oreilles sont bouchŽes, tant ses yeux sont obscurcis par la fumŽe du vin. Si l'ivresse lui laisse encore la force d'ouvrir la bouche, il vous rŽpondra une chose pour l'autre ; et vous finirez par vous en aller, dŽplorant son malheureux penchant. Si, dans cet Žtat, il a encore quelque connaissance, il n'y a sorte de saletŽs et d'infamies qu'il ne vomisse ; vous lui verrez commettre des actions qui feraient rougir les pa•ens s'ils en Žtaient tŽmoins, et cela sans remords. Faut-il donner un dernier coup de pinceau pour vous faire mieux apprŽcier quelle est lˆ valeur et quelles sont les belles qualitŽs d'un ivrogne ? je n'ajoute qu'un mot : c'est un dŽmon d'impuretŽ revtu d'un corps, que l'enfer a vomi sur la terre, c'est le plus sale, le plus immonde de tous les animaux. Otez-lui son ‰me, et ce n'est plus que la dernire des btes que porte la terre.

Je crois qu'ˆ prŽsent, M.F., vous pouvez vous faire une idŽe de la grandeur du pŽchŽ de l'ivrognerie. Nous le trouvons trs horrible, et cependant nous n'avons qu'une connaissance-bien bornŽe de la malice du pŽchŽ ; je vous laisse ˆ penser de quelle manire le bon Dieu, qui le conna”t dans toute son Žtendue, doit le considŽrer ! S'il n'Žtait pas immortel, pourrait-il, sans mourir d'horreur, supporter la vue de ce vice qui le dŽshonore dans ses crŽatures, puisqu'elles sont, nous dit saint Paul, les membres de JŽsus-Christ [8] . N'allons pas plus : loin, M.F., c'en est assez. Je vous dirai seulement qu'un impudique, quoique bien criminel, peut encore au moins, dans son pŽchŽ, produire un acte de contrition qui le rŽconcilie avec le bon Dieu ; mais pour un ivrogne, il est incapable de donner le moindre signe de repentir. Bien loin de conna”tre l'Žtat de son ‰me, il ne sait pas mme s'il est au monde ; de sorte que, M.F., mourir dans l'ivresse ou mourir en rŽprouvŽ, c'est une mme chose.

Nous disons, M.F., qu'un ivrogne est tout ˆ fait incapable de travailler ˆ son salut, comme vous allez le voir. Il faudrait, pour qu'il sortit de son Žtat, qu'il pžt en sentir toute l'horribilitŽ. Mais, hŽlas ! il n'a point de foi ; il ne croit que trs faiblement les vŽritŽs que l'ƒglise nous enseigne. Il faudrait qu'il recouržt ˆ la prire ; mais il n'en fait presque point, ou bien s'il les fait, c'est en s'habillant ou en se dŽshabillant, ou encore il se contentera de faire le signe de la croix, tant bien que mal, en se jetant sur son lit comme un cheval sur son fumier. Il faudrait qu'il us‰t des sacrements, qui sont, malgrŽ le mŽpris qu'en font les impies, les seuls remdes que la misŽricorde de Dieu nous prŽsente pour nous attirer ˆ lui. Mais, hŽlas ! il ne conna”t ni les dispositions qu'il faut apporter pour les recevoir dignement, ni mme le plus nŽcessaire de ce qu'il faut savoir pour tre sauvŽ. Si vous voulez l'interroger sur son Žtat, il n'y comprend rien, il vous rŽpond une chose pour l'autre. Si, dans un temps de jubilŽ, ou de mission, il veut sauver les apparences, il se contentera de dire seulement la moitiŽ de ses pŽchŽs ; et, avec les autres, il va ˆ la sainte table, c'est-ˆ-dire, il va commettre un sacrilge ; cela lui suffit. Mon Dieu, quel Žtat est celui d'un ivrogne ! qu'il est difficile d'en pouvoir sortir ! M.F., si vous preniez la peine de considŽrer le maintien d'un ivrogne ˆ l'Žglise, vous penseriez qu'il est semblable ˆ un athŽe qui ne croit rien ; vous le voyez venir le dernier, ou bien sortir, afin de se dŽlasser un peu, chercher quelques-uns de ses semblables pour l'accompagner au cabaret, pendant que les autres sont ˆ entendre la sainte Messe.

Le prophte Isa•e nous dit que les ivrognes sont des crŽatures inutiles sur la terre pour le bien ; mais qu'elles sont trs dangereuses pour le mal [9] . Pour nous en convaincre, M.F., entrez dans un cabaret, que saint Jean Climaque appelle la boutique du dŽmon, l'Žcole o l'enfer dŽbite et enseigne sa doctrine, le lieu o l'on vend les ‰mes, o les mŽnages se ruinent, o les santŽs s'altrent, o les disputes commencent et o les meurtres se commettent. HŽlas ! autant de choses qui font horreur ˆ ceux qui n'ont pas encore perdu la foi. Qu'y entend-on ? Vous le savez bien mieux que moi : blasphmes, jurements, imprŽcations, paroles sales. Et que d'actions honteuses que l'on ne ferait pas partout ailleurs !...

 Voyez, M.F., ce pauvre ivrogne ! IL est plein de vin et sa bourse est vide. Il se jette sur un banc ou sur une table ; le lendemain il est ŽtonnŽ de se trouver dans un cabaret, tandis qu'il se croyait chez lui. Il s'en va aprs avoir dŽpensŽ tout son argent, et souvent il est obligŽ de laisser en gage son chapeau ou ses habillements avec un billet ; afin de pouvoir emporter son corps avec le vin qu'il a bu. Quand il rentre, sa pauvre femme et ses en­fants, qu'il a laissŽs sans pain, avec leurs seuls yeux pour pleurer, sont obligŽs de vite prendre la fuite, sinon ils vont tre maltraitŽs, comme s'ils Žtaient la cause de la dŽpense de son argent et des mauvaises affaires qu'il a faites. Mon Dieu, que l'Žtat d'un ivrogne est dŽplo­rable !

 Le concile de Mayence a bien raison de nous dire qu'un ivrogne transgresse les dix commandements de Dieu. Si vous voulez vous en convaincre, examinez-les les uns aprs les autres, et vous verrez qu'un ivrogne, est capable de faire tout ce que les commandements de Dieu nous dŽfendent. Je ne veux pas entrer dans ce dŽtail qui serait trop long. Saint Jean Chrysostome dit, en s'adressant au peuple de la ville d'Antioche : Ç Prenez bien garde, mes enfants, de ne pas vous laisser aller ˆ l'ivrognerie ; parce que ce pŽchŽ dŽgrade l'homme d'une manire si Žpouvantable, qu'il le met au-dessous de la bte brute privŽe de raison. Oui, continue-t-il, les ivrognes sont vŽritablement les amis du dŽmon ; lˆ o sont les ivrognes, sont les dŽmons en grand nombre. È HŽlas ! M.F., ne faut-il pas que ce pŽchŽ soit horrible aux yeux de Dieu ; pour qu'il le punisse d'une manire si effrayante, mme ds ce monde ? En voici un exemple frappant. Nous lisons dans l'ƒcriture sainte [10] , que le roi Balthasar avait fait, pour recevoir les grands de sa cour, un splendide festin, qui surpassait tous ceux qu'il leur avait offert durant son rgne. Il avait fait chercher dans tout son royaume les vins les plus dŽlicieux. Quand ses convives furent assemblŽs, et que, se faisant gloire de boire ˆ longs traits, le sang commenait ˆ s'Žchauffer et l'impudicitŽ ˆ s'allumer ; nous pouvons bien dire que l'un ne va pas sans l'autre : quand dŽjˆ ils se plongeaient dans la voluptŽ, tout ˆ coup, parut devant la face du roi, une main sans corps, Žcrivant sur la muraille certains mots qui Žtaient la condamnation de ce roi, sans qu'il le connžt. HŽlas ! M.F., que l'homme le plus fier, le plus orgueilleux et le plus fŽroce, est peu de chose dans un accident semblable, ou plut™t dans le moindre accident !

Balthasar en fut si ŽpouvantŽ, prit un si grand tremblement, que les jointures de ses reins se brisaient et ses genoux se heurtaient l'un contre l'autre. Tous les convives furent en proie ˆ la mme terreur et semblaient tre demi-morts. Le roi s'empressa de faire chercher quelqu'un qui pžt lui faire comprendre la signification de ces mots ; mais personne n'y comprenait rien. Alors il ordonna de faire venir tous ses devins, c'est-ˆ-dire ses faux prophtes. Chacun voulait savoir, mais sans y parvenir. Enfin on dit au roi que Daniel, le prophte du Seigneur, pouvait seul lui en donner la signification. Comme il dŽsirait vivement conna”tre le sens de ces paroles, il commanda de l'amener sur le champ. Le prophte se rend sans rŽsistance auprs du roi, qui le reoit avec beaucoup de respect, et lui demande l'explication de ces mots, en lui offrant plusieurs prŽsents. Le prophte les refuse. Ç Prince, lui dit-il, Žcoutez. Voici ce que veulent dire ces trois mots ManŽ, Thecel, Phares. Le premier, que vos jours sont comptŽs et que vous tes ˆ la fin de votre vie et de votre rgne ; le second, que vous avez ŽtŽ pesŽ et trouvŽ trop lŽger ; le troisime, que votre royaume sera divisŽ entre les Mdes et les Perses. È Ainsi le roi entendit de la bouche mme du prophte la sentence de condamnation qui lui annonait la fin de toutes ses dŽbauches. Remarquez-le bien, ceci se passait au moment o ce malheureux buvait avec ses convives, dans les vases sacrŽs enlevŽs par son pre dans le pillage du temple de JŽrusalem ; pendant qu'ils se remplissaient le corps de vin, et qu'ils se plongeaient dans les plus sales voluptŽs. O mon Dieu ! quel coup de foudre de votre colre ! Mais il n'en fut pas quitte pour la peur, comme on dit communŽment : tout arriva comme le prophte l'avait prŽdit. Le roi fut massacrŽ, et son royaume fut partagŽ entre les Mdes et les Perses.

 MalgrŽ cet avertissement capable de convertir tout autre pŽcheur, ce malheureux ne fut qu'endurci ; car il ne para”t pas qu'il ait donnŽ le moindre signe de repentir. Selon toute apparence, de sa crapule et de sa frayeur descendit en enfer. Ce qui nous montre combien il est difficile ˆ un ivrogne de se convertir.

Voyez encore Holopherne, ce fameux orgueilleux, qui se faisait gloire de se remplir de vin jusqu'ˆ regorger, en prŽsence de la belle Judith [11] . Ce fut prŽcisŽment dans son ivresse qu'elle lui coupa la tte. Oh ! M.F., quelle funeste passion ! qui pourrait en comprendre la tyrannie et s'y abandonner ? Non, M.F., une personne qui s'abandonne ˆ l'ivrognerie n'a plus de rŽserve, pas mme pour ses parents, comme nous l'avons dit [12] . Mais, pour bien vous le graver dans le cÏur, en voici un exemple qui n'est pas moins effrayant. L'histoire rapporte qu'un pre avait un fils, qui, encore tout jeune, avait l'habitude d'aller assez souvent dans les cabarets. Un jour, le voyant revenir de ce lieu de malheur et remarquant qu'il avait un peu trop bu, le pre voulut lui reprŽsenter combien il Žtait honteux pour lui, qui n'Žtait encore qu'un enfant, d'aller dans les cabarets o l'on commet le mal et o l'on ne fait jamais le bien ; qu'il ferait beaucoup mieux de fuir ces lieux o se perdaient sa rŽputation et son argent, et que, s'il voulait continuer, il se verrait chassŽ par son pre. Ce jeune homme, entendant ces paroles, entra dans une si grande colre, qu'il courut sur son pre, et le frappant de coups de couteau, le poignarda et le renversa ˆ ses pieds tout couvert de sang. Dites-moi, M.F., auriez-vous jamais pu penser que l'ivrognerie pžt porter l'homme ˆ de tels excs ?

Ainsi l'ivrogne ne commet pas seulement le pŽchŽ de gourmandise ; mais il devient capable, par ce pŽchŽ de se livrer ˆ tous les crimes. Si je ne craignais pas d'tre trop long, je vous le montrerais si clairement, que vous n'en sauriez douter. Aprs cela, M.F., il n'est pas nŽcessaire de vous dire combien vous devez redouter l'ivrognerie, et fuir ceux qui s'y livrent. Ah ! qu'il est ˆ craindre que ceux qui en sont atteints ne s'en corrigent jamais !

Cependant, M.F., comme la misŽricorde du bon Dieu est infinie, et qu'il veut sauver les ivrognes comme les autres hommes, quoique leur conversion soit bien difficile ; s'ils voulaient se prter ˆ la gr‰ce qui leur est donnŽe pour se corriger, ils viendraient ˆ bout de se tirer de cet ab”me. La premire chose qu'ils doivent faire, c'est de fuir les ivrognes et les cabarets ; cette condition leur est absolument nŽcessaire pour revenir au bon Dieu. Le second moyen, c'est d'avoir recours ˆ la prire, afin de toucher le cÏur de Dieu et de regagner son amitiŽ. Le troisime, c'est d'avoir un grand respect pour les choses saintes, de ne jamais mŽpriser rien de ce qui a rapport ˆ la religion. Le quatrime, d'avoir recours aux sacrements o tant de gr‰ces nous sont accordŽes : c'est le moyen dont tous les pŽcheurs se sont servis pour revenir au bon Dieu, aussi bien les ivrognes que les autres.

Saint Augustin raconte [13] , d'aprs le rŽcit mme de sa mre, qu'elle avait failli se damner en faisant la petite gourmande, dans le vin. Elle Žpiait le moment o personne ne la voyait, et alors elle t‰chait de se contenter [14] . Mais une servante qui l'avait aperue quelquefois, et ˆ laquelle il lui arriva un jour de dŽplaire, lui dit qu'elle Žtait une petite ivrognesse. Ce mot lui fut tant ˆ cÏur, elle en eut une si grande confusion, que, dans son repentir, elle en pleura longtemps. Elle alla aussit™t se confesser de cette faute, qu'elle n'avait jamais osŽ dire ˆ son confesseur, tant elle regardait ce pŽchŽ comme inf‰me et honteux, quoiqu'elle ežt douze ans ˆ peine. Elle s'en corrigea si bien avec la gr‰ce du bon Dieu, qu'elle n'y retomba plus de toute sa vie, et elle vŽcut d'une manire si exemplaire qu'elle est devenue grande sainte. Nous voyons [15] que le bon Dieu, pour lui faire expier son pŽchŽ, permit qu'elle Žpous‰t un homme ivrogne et brutal, qui lui fit essuyer mille mauvais traitements. Son fils Augustin, jusqu'ˆ lՉge de trente-deux ans, ne fut pas moins ivrogne que son pre. Sainte Monique reconnaissant que le bon Dieu permettait cela pour qu'elle satisf”t ˆ sa justice, supporta si bien cette Žpreuve qu'on ne lui entendit jamais faire ˆ personne la moindre plainte. Elle eut enfin le bonheur de voir son mari et son fils Augustin se convertir. Vous voyez, M.F., que le bon Dieu tend la main et donne la gr‰ce ˆ ceux qui la lui demandent, avec un vrai dŽsir de sortir du pŽchŽ, pour ne plus vivre que pour lui.

Mais un autre exemple va vous faire plaisir, car il vous montrera que les ivrognes, quoique bien misŽrables, peuvent encore se sauver ; et que ceux qui ne se convertissent pas de leurs mauvaises habitudes, et croient qu'ils ne pourront pas se corriger, se trompent bien. Il est rare de trouver un trait qui convienne mieux ˆ notre sujet. Dans un village prs de N”mes, il y avait un paysan nommŽ Jean. Ds sa jeunesse, il s'Žtait tellement adonnŽ ˆ l'ivrognerie, qu'il Žtait presque continuellement dans le vin, et passait gŽnŽralement pour le plus grand ivrogne du pays. Le curŽ de la paroisse ayant fait venir des missionnaires, pour instruire ses paroissiens, pensa qu'il fallait leur faire conna”tre ce pŽcheur, de crainte qu'il ne les tromp‰t. Cette sage prŽcaution du pasteur parut d'abord inutile ; car, non seulement le paysan ne se prŽsenta ˆ aucun missionnaire, mais encore il n'assista ˆ aucun des exercices de la mission. Deux jours avant qu'elle fžt finie, il s'avisa d'aller entendre un sermon sur l'enfant prodigue ou sur la misŽricorde de Dieu, qui fut prchŽ par M. Castel, prtre de N”mes, l'un des missionnaires qui avait le plus de talent et de zle. Ce discours Žcrit avec une noble simplicitŽ, mais prononcŽ avec beaucoup de force et d'onction, fit la plus vive impression sur le nouvel auditeur. Il reconnut son portrait dans la peinture qu'on fit des dŽsordres de l'enfant prodigue ; il vit dans la bontŽ de son pre une image touchante de celle de Dieu, et plein, tout ˆ la fois, de repentir et de confiance, il dit : Ç A l'exemple du jeune homme prodigue de l'ƒvangile, je sortirai enfin de la malheureuse habitude o je croupis depuis si longtemps ; j'irai me jeter aux pieds de ce Dieu de misŽricorde qu'on vient de me reprŽsenter comme le plus tendre de tous les pres. È Sa rŽsolution ne fut pas moins efficace que prompte. Ds le lendemain, il va trouver ce mme M. Castel dont il avait entendu le sermon, et en l'abordant il lui dit, les yeux mouillŽs de larmes : Ç Vous voyez ici le plus grand pŽcheur qu'il y ait sur la terre. Vous dites que la misŽricorde de Dieu est encore plus grande que nos pŽchŽs ; pour en attirer sur moi les salutaires effets, je viens vous prier d'avoir la charitŽ d'entendre ma confession. Ah ! ne me le refusez pas, mon pre, je vous en conjure ; vous me feriez tomber dans le dŽsespoir. Je ne puis plus soutenir le poids de mes remords, et je ne serai tranquille que lorsque vous m'aurez rŽconciliŽ avec le bon Dieu que j'ai tant offensŽ. È Le missionnaire fut d'autant plus touchŽ et surpris de ce discours, qu'il reconnut dans son interlocuteur le fameux ivrogne dont le curŽ lui avait parlŽ. Il s'attendrit avec lui, l'embrassa tendrement, et lui montra les mmes sentiments que le pre de l'enfant prodigue avait tŽmoignŽ ˆ son fils ; mais, en mme-temps, il lui reprŽsenta avec bontŽ qu'il Žtait trop tard, qu'il Žtait presque ˆ la veille de son dŽpart ; et qu'il craignait bien de n'avoir pas le temps de lui accorder ce qu'il demandait. Ç Ah ! s'il en est ainsi, lui rŽpondit le paysan en sanglotant, c'en est fait, je suis perdu. Quand vous me conna”trez mieux, peut-tre, aurez-vous pitiŽ de moi. Faites-moi donc la gr‰ce de m'entendre, et que j'aie, au moins, la consolation de me confesser. È Le missionnaire se rendit ˆ ce dŽsir, et le paysan fit sa confession aussi bien qu'il lui fut possible. Il accompagna l'accusation de ses pŽchŽs de tant de larmes et d'un si vif repentir ; il rŽsista avec tant de courage aux conseils prudents qu'on lui donnait, de ne pas entirement renoncer au vin, ˆ cause de sa santŽ, et d'en user seulement plus rarement et plus sobrement ; il protesta si fortement que jamais rien ne pourrait le rŽconcilier avec ce cruel ennemi, qui avait donnŽ la mort ˆ son ‰me, et qu'il en aurait horreur toute sa vie, que le missionnaire, le voyant si bien disposŽ, lui donna l'absolution, en lui recommandant fortement de persŽvŽrer dans les bons sentiments que le bon Dieu lui avait inspirŽs. Ce grand pŽcheur le lui promit, et la suite prouvera que son repentir avait ŽtŽ sincre. Cinq ou six mois aprs la mission, une des sÏurs de Jean fit un voyage ˆ N”mes. Elle rencontra le missionnaire qui fut bien curieux de savoir si son fameux ivrogne Jean avait persŽvŽrŽ. Ç Vous venez, sans doute, de votre village, lui dit-il, pouvez-vous me donner des nouvelles du brave Jean ? – Ah ! monsieur, lui rŽpondit cette, femme, nous vous avons de grandes obligations ; vous en avez fait un saint. Depuis que vous avez quittŽ notre pays, non seulement ses anciens amis n'ont pas pu l'entra”ner dans les cabarets ; mais il ne nous a pas ŽtŽ possible de lui faire boire une seule goutte de vin. Non, non, nous dit-il, quand nous lui en parlons, il a ŽtŽ mon plus grand ennemi, je ne me rŽconcilierai jamais avec lui ; ne m'en parlez plus. È Le missionnaire ne put entendre ces paroles sans verser des larmes, tant il eut de joie de savoir que ce pŽcheur converti avait eu le bonheur de persŽvŽrer. Toutes les fois qu'il racontait ce trait, il avait coutume d'ajouter qu'aprs une telle conversion, l'on ne devrait jamais dŽsespŽrer des plus grands pŽcheurs, si le pŽcheur veut correspondre ˆ la gr‰ce que le bon Dieu accorde ˆ tous pour les sauver.

 

II. – Nous allons voir, M.F., que les pŽcheurs ; c'est-ˆ-dire les ivrognes, n'ont point de prŽtextes qui justifient leurs excs. Saint Augustin nous dit que, quoique l'ivrognerie soit condamnŽe par tout le monde, cependant chacun croit pouvoir s'en excuser. Si vous demandez ˆ un homme pourquoi il s'est mis dans le vin, il vous rŽpondra, sans se tourmenter [16] , qu'un ami est venu le voir ; qu'ils sont allŽs au cabaret, et que, s'ils ont trop, bu, ce n'est que par complaisance. – C'est par complaisance ! mais ou cet ami est un bon chrŽtien ou c'est un impie. S'il est bon chrŽtien, vous l'avez grandement scandalisŽ en le pressant de boire, et en passant votre temps dans un cabaret. Peut-tre mme Žtait-ce pendant la sainte Messe ou pendant les vpres !,.. Eh ! quoi, mon frre, vous Žtiez entrŽs deux personnes raisonnables dans le cabaret, et vous en tes sortis moins raisonnables que deux btes brutes ! Croyez-moi, mon ami, si vous aviez gardŽ votre ami chez vous un moment, et que, n'ayant point de vin, vous lui eussiez offert de l'eau ; vous lui auriez fait beaucoup plus de plaisir qu'en lui faisant vendre son ‰me au dŽmon. Si cet ami est un mauvais chrŽtien ou un impie sans religion, vous ne devez pas aller avec lui, vous devez le fuir. – Mais, me direz-vous, si je ne le fais pas boire, et si je ne le mne pas au cabaret, il me voudra mal, il me traitera d'avare. – Mon ami, c'est un grand bonheur d'tre mŽprisŽ des mŽchants, parce que cela prouve qu'on ne leur ressemble pas : Vous devez leur servir d'exemple. Saint Augustin, nous dit : Eh ! quoi, misŽrable, vous vous tes mis dans le vin pour tre l'ami d'un ivrogne, d'un impie, d'un libertin ; tandis que vous devenez l'ennemi de Dieu mme ! Oh malheureux ! quelle indigne prŽfŽrence ! Vous voyez donc, M.F., vous n'avez rien qui puisse vous excuser : vous vous mettez dans le vin, parce que votre gourmandise vous y entra”ne. Quelques-uns vous disent qu'ils ont l'habitude d'aller au cabaret pour boire avec les autres ; mais que, si copieusement qu'ils boivent, jamais le vin ne trouble leur raison. Mon ami, vous vous trompez. Quoique le vin ne vous trouble pas, ds que vous en buvez plus qu'il ne vous est nŽcessaire, vous tes aussi coupable, en vous-mme, que si vous aviez perdu la raison ; il n'y a qu'un petit scandale de moins. Et encore vous n'tes pas moins, aux yeux du public, un pilier de cabaret. ƒcoutez ce que nous dit le prophte Isa•e : Ç Malheur ˆ vous qui avez la tte assez forte pour boire avec excs, qui vous faites gloire d'enivrer les autres ; vous vous enivrez vous-mme [17] . È En voici qui vous disent encore : C'est pour faire un marchŽ, pour donner ou pour recevoir de l'argent. – HŽlas ! mon ami, je ne veux pas vous prouver combien de ceux qui sont, dans le vin font des marchŽs tout de travers. On leur fait signer des quittances sans qu'ils aient l'argent, ou s'ils l'ont reu, on t‰che bien vite de le leur reprendre. D'ailleurs, comment voulez-vous conna”tre ce que vous faites ? vous ne vous connaissez pas vous-mme.

Quelle conclusion devons-nous tirer de tout cela, M.F. ? la voici. C'est de rentrer sŽrieusement en nous-mmes, comme le Seigneur nous le dit par la bouche du prophte Jo‘l : RŽveillez-vous, dit-il, ivrognes, parce que toutes sortes de malheurs vous attendent. Pleurez et criez ; ˆ la vue des ch‰timents que la juste colre de Dieu vous prŽpare dans les enfers, ˆ cause de votre ivrognerie [18] . RŽveillez-vous, malheureux, aux clameurs de cette pauvre femme que vous avez maltraitŽe aprs avoir mangŽ son pain ; rŽveillez vous, ivrognes, aux cris de ces pauvres enfants que vous rŽduisez ˆ la mendicitŽ ou que vous mettez dans le cas de mourir de faim. ƒcoutez, inf‰me ivrogne, ce voisin qui vous demande l'argent qu'il vous a prtŽ, et que vous avez mangŽ en dŽbauches et dans les cabarets. Il en a besoin pour nourrir sa femme et ses enfants, qui pleurent la misre que votre ivrognerie leur a causŽe. Ah ! malheureux pŽcheur, qu'aviez-vous promis au bon Dieu quand il vous a reu pour son enfant ? Vous lui avez promis de le servir, de ne plus retomber dans ces dŽsordres. Qu'avez-vous fait dans votre ivresse ? HŽlas ! vous avez rŽvŽlŽ des secrets qu'on vous avait confiŽs et que vous ne deviez jamais dire. Vous avez commis un nombre infini de turpiditŽs qui font horreur ˆ tout le monde. Qu'avez-vous fait en vous livrant ˆ l'ivrognerie ? Vous avez ruinŽ votre rŽputation, votre fortune, votre santŽ et vous avez rendu votre famille si misŽrable, que, peut-tre pour vivre, s'abandonnera-t-elle ˆ toutes sortes de dŽsordres. Vous tes devenu vous-mme un homme de rien, la fable et l'opprobre de vos voisins, qui, maintenant, ne vous regardent plus qu'avec mŽpris et horreur. Qu'avez-vous fait de votre ‰me, de cette ‰me si belle, que Dieu seul la surpasse en beautŽ ? Vous l'avez rendue toute charnelle, toute dŽfigurŽe par vos excs.

Qu'avez-vous perdu par votre ivrognerie ? HŽlas ! mon ami, vous avez perdu le plus grand de tous les biens, vous avez perdu le ciel, un bonheur Žternel, des biens infinis ; vous avez perdu votre pauvre ‰me qui avait ŽtŽ rachetŽe par le sang adorable de JŽsus-Christ. Ah ! disons plus encore : Vous avez perdu votre Dieu, ce tendre Sauveur, qui n'a vŽcu que pour vous rendre heureux pendant toute l'ŽternitŽ. Oh ! quelle perte ! Qui pourra la comprendre et y tre insensible ! Quel malheur est comparable ˆ celui-lˆ ?

Mais qu'avez-vous mŽritŽ ? HŽlas ! rien autre chose que l'enfer, pour y tre bržlŽ pendant toute l'ŽternitŽ. Vous avez mŽritŽ, mon ami ; d'tre placŽ sur la table des dŽmons o vous allez nourrir et entretenir la fureur qu'ils ont contre JŽsus-Christ lui-mme. Vous allez tre cette victime sur laquelle la juste colre de Dieu s'appesantira pendant des sicles sans fin !... Convenez avec moi que peut-tre jamais vous n'auriez pu vous former une idŽe de la grandeur du pŽchŽ d'ivrognerie, de l'Žtat o il rŽduit celui qui le commet, des maux qu'il lui attire pendant sa vie et des ch‰timents qu'il lui prŽpare pour l'ŽternitŽ. Qui ne serait touchŽ de tant de maux, M. F, ? Pleurez, malheureux ivrognes, vos dŽrglements et tous les mauvais exemples que vous avez donnŽs, au lieu d'en rire comme vous le faites : Poussez des cris vers le ciel, pour demander misŽricorde, pour essayer, si le Seigneur voudra encore avoir pitiŽ de vous. Prions le bon Dieu qu'il nous prŽserve, de ce malheureux pŽchŽ, qui semble nous mettre presque dans l'impossibilitŽ de nous sauver. Pour cela, n'aimons que Dieu seul, c'est le bonheur que je vous souhaite.



[1] Neque ebriosiÉ regnum Dei posidebunt. I Cor. vi, 10.

[2] V¾ qui potentes estis ad libendum vinum, et viri fortes ad miscendam ebrietatem. V¾ qui consurgitis mane ad ebrietatem sectandam, et potandum usque ad vesperam, ut vino ¾stuetis... Is. v, 22, 11.

[3] Prov. vi, 6.

[4] Prov. xxiii, 22.

[5] Ne intuearis vinum, quando flavescit, cum splenduerit in vitro color ejus : ingreditur blande, sed in novissimo mordebit ut coluber, et sicut regulus venena difundet. Prov. Xxiii, 31, 32.

[6] Qui hante.

[7] PropriŽtaire

[8] I Cor, vi, 15.

[9] Opera eorum opera inutilia, et opus iniquitatis in manibus eorum. Is. Lix, 6. Le Saint fait sans doute allusion ˆ ce passage dÕIsa•e, qui peut s'entendre des ivrognes comme de tous les autres pŽcheurs.

[10] Dan. v.

[11] Judith, xii, 20.

[12] Cui v¾ ? cujus patri v¾ ? cui rix¾ ? cui fove¾ ? cui sine causa vulnera ? cui suffusio oculorum ? Nonne his gui commorantur in vine, et student calicibus epotandis ? Prov, xxiii, 29-30.

 

[13] Conf. Lib.IX, cap. viii, 18.

[14] Se satisfaire

[15] Ibid. cap. IX.

[16] Se troubler

[17] Is. v, 22. CitŽ plus haut.

[18] JÏl, i, 5.

 

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