21me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(DIXSEPTIéME SERMON)

Sur la colre

 

 

Tenens suffocabat eum, dicens : Redde quod debes.

L'ayant pris ˆ la gorge, il lui dit : Rends-moi ce que tu

dois.

(S. Matthieu, xviii, 28.)

 

Que les sentiments de l'homme sont diffŽrents de ceux de Dieu ! Ce misŽrable, qui venait de recevoir la remise de tout ce qu'il devait ˆ son ma”tre, bien loin d'tre touchŽ de reconnaissance, et d'tre prt ˆ user de la mme indulgence ˆ l'Žgard de son frre, l'aperoit ˆ peine qu'il entre en fureur, ne se possde plus, lui saute ˆ la gorge et semble vouloir l'Žtrangler. L'autre a beau se jeter ˆ ses pieds pour lui demander gr‰ce, rien ne le touche et rien ne l'arrte. Il faut qu'il Žpuise sa fureur contre ce pauvre malheureux, et le fait tra”ner en prison jusqu'ˆ ce qu'il lui ait payŽ sa dette. Telle est, M.F., la conduite des gens du monde. Dieu nous est reprŽsentŽ par le ma”tre. S'il nous remet volontairement tout ce que nous devons ˆ sa justice, s'il nous traite avec tant de bontŽ et de douceur, c'est afin qu'ˆ son exemple, nous nous comportions de la mme manire envers nos frres. Mais un homme ingrat et fougueux a bient™t oubliŽ tout ce que son Dieu a fait pour lui. Pour un rien, on le verra se livrer ˆ toute la fureur d'une passion si indigne d'un chrŽtien, si outrageante ˆ un Dieu de douceur et de bontŽ. Craignons, M.F., une passion si mauvaise, si capable de nous Žloigner de Dieu, et de nous faire passer ˆ nous et ˆ ceux qui nous environnent une vie malheureuse. Je vais donc vous montrer : 1¡ combien la colre outrage Dieu ; 2¡ combien elle est indigne d'un chrŽtien.

 

I. – Je ne veux pas vous parler de ces petites impatiences, de ces murmures qui sont si frŽquents. Vous savez que toutes les fois que vous ne les repoussez pas, vous offensez Dieu. Quoique ce ne soit pas pour l'ordinaire des pŽchŽs mortels, il ne faut pas manquer de vous en accuser. Si vous me demandez ce que c'est que la colre, je vous rŽpondrai que c'est un mouvement violent, impŽtueux de l'‰me, qui repousse avec instance ce qui lui dŽpla”t. Si nous ouvrons les livres saints, o sont contenues les actions des hommes qui ont fait l'admiration du ciel et de la terre, partout nous y voyons qu'ils ont toujours eu en horreur ce maudit pŽchŽ, et qu'ils l'ont regardŽ comme une marque de rŽprobation. Cependant, je vous dirai avec saint Thomas, qu'il y a une sainte colre, qui vient du zle que nous avons pour soutenir les intŽrts de Dieu. On peut quelquefois, nous dit-il, se f‰cher sans offenser Dieu, selon ces paroles du Roi-prophte : Ç Mettez-vous en colre ; mais ne pŽchez pas [1] . È IL y a donc une colre juste et raisonnable, que l'on peut plut™t appeler zle que colre. L'ƒcriture sainte nous en montre un grand nombre d'exemples. Nous y lisons [2] que PhinŽs, qui Žtait un homme craignant le Seigneur et soutenant ses intŽrts, entra dans une sainte colre ˆ la vue du scandaleux pŽchŽ d'un juif avec une Madianite, et les pera d'un coup d'ŽpŽe. Non seulement il n'a pas offensŽ le Seigneur par la mort de ces deux abominables, mais au contraire, il fut louŽ de son zle ˆ venger les outrages qu'on lui faisait [3] . Telle fut aussi la conduite de Mo•se. IndignŽ de ce que les IsraŽlites. avaient adorŽ un veau d'or, en mŽpris du vrai Dieu, il en fit tuer vingt-trois mille pour venger le Seigneur, et, cela, par les ordres de Dieu lui-mme [4] . Telle fut encore celle de David qui, ds le matin, dŽclarait la guerre ˆ tous ces grands pŽcheurs qui passaient leur vie ˆ outrager son Dieu [5] . Telle fut enfin celle de JŽsus-Christ lui-mme, quand il alla dans le temple pour en chasser ceux qui y vendaient et achetaient, leur disant : Ç Ma maison est une maison de prire et vous en faites une caverne de voleurs [6] . È Telle doit tre la colre d'un pasteur qui a le salut de ses paroissiens ˆ cÏur et la gloire de son Dieu. Si un pasteur reste muet en voyant Dieu outragŽ et les ‰mes s'Žgarer, malheur ˆ lui ! S'il ne veut pas se damner, il faut que, s'il y a quelques dŽsordres dans sa paroisse, il foule aux pieds le respect humain et la crainte d'tre mŽprisŽ ou ha• de ses paroissiens ; et serait-il sžr d'tre mis ˆ mort aprs tre descendu de chaire, cela ne doit pas l'arrter. Un pasteur qui veut remplir son devoir doit toujours avoir l'ŽpŽe ˆ la main pour dŽfendre les innocents, et poursuivre les pŽcheurs jusqu'ˆ ce qu'ils soient revenus ˆ Dieu ; cette poursuite ne doit cesser qu'ˆ sa mort. S'il ne se comporte pas de cette manire, c'est un mauvais prtre, qui perd les ‰mes au lieu de les conduire ˆ Dieu. Si vous voyiez arriver quelque scandale dans votre paroisse, et que vos pasteurs ne disent rien : malheur ˆ vous, parce que Dieu vous a punis en vous envoyant de tels pasteurs.

Je dis donc que toutes ces colres ne sont que de saintes colres, louŽes et approuvŽes de Dieu mme. Si toutes vos colres Žtaient de cette nature, l'on ne pourrait que vous en louer. Mais quand nous rŽflŽchissons un peu sur tout ce qui se passe dans le monde, quand nous entendons tous ces bruits, voyons ces dissensions qui rgnent entre les voisins et les voisines, les frres et les sÏurs : nous n'y reconnaissons qu'une passion fougueuse, injuste, vicieuse et dŽraisonnable, dont il est nŽcessaire de vous montrer les pernicieux effets ; afin de vous en faire concevoir toute l'horreur qu'elle mŽrite. ƒcoutez ce que nous dit le Saint-Esprit : L'homme en se mettant en colre, non seulement perd son ‰me et son Dieu, mais encore il abrge ses jours [7] . Je vais vous le prouver par un exemple frappant. Nous lisons dans l'histoire de l'ƒglise que l'empereur Valentinien, en recevant les dŽputŽs des Quades, entra dans une colre si Žpouvantable qu'il en perdit la respiration et mourut sur le champ. O mon Dieu ! quelle horreur ! quelle passion dŽtestable et monstrueuse ! elle donne la mort ˆ celui qui l'enfante ! Je sais bien que l'on ne se livre pas souvent ˆ de tels excs ; mais combien de femmes enceintes, par la colre ˆ laquelle elles se livrent, font pŽrir leurs pauvres enfants, avant de leur avoir donnŽ le jour et le baptme ! Ces malheureux n'auront donc jamais le bonheur de voir le bon Dieu ! Au jour du jugement nous les verrons perdus : ils n'iront jamais au ciel ! Et la colre seule d'une mre en sera la cause ! HŽlas ! ces pauvres enfants vont souvent s'Žcrier dans l'enfer : Ah ! maudit pŽchŽ de colre, que tu nous as privŽs de biens !... c'est toi qui nous a ravi le ciel ; c'est toi qui nous as condamnŽs ˆ tre dŽvorŽs par les flam­mes ! O mon Dieu ! que ce maudit pŽchŽ nous a ravi de grands biens ! Adieu, beau ciel, nous ne te verrons jamais ; ah ! quel malheur ! ... O mon Dieu ! une femme qui se serait rendue coupable d'un tel crime, pourrait-elle bien vivre sans verser jour et nuit des torrents de larmes, et ne pas se dire ˆ chaque instant : Malheureuse, qu'as-tu fait ? o est ton pauvre enfant ? tu l'as jetŽ en enfer. HŽlas ! quels reproches pour le jour du jugement, lorsque tu le verras venir te demander le ciel ! Ce pauvre enfant va se jeter sur sa mre avec une fureur affreuse. Ah ! mre ! lui dira-t-il, maudite mre ! rends-moi le ciel ; c'est toi qui me l'as ravi ! Ce beau ciel que je ne verrai jamais, toute l'ŽternitŽ je te le demanderai ; ce beau ciel que la colre d'une mre m'a fait perdre !... O mon Dieu ! quel malheur ! Et cependant que le nombre de ces pauvres enfants est grand ! – Une femme enceinte doit, en se confessant d'un pŽchŽ de colre, ne jamais manquer, si elle veut se sauver, de dŽclarer son Žtat ; parce que, au lieu d'un pŽchŽ mortel, il peut y en avoir deux. Si vous ne faites pas cela, c'est-ˆ-dire, si vous ne dites pas cette circonstance, vous devez bien douter pour vos confessions. De mme, un mari qui aurait fait mettre en colre sa femme, doit s'accuser de cette circonstance ; ainsi que tous ceux qui se sont rendus coupables de la mme faute. HŽlas ! qu'il y en a peu qui s'accusent de cela ! Mon Dieu, que de confessions mauvaises !

Le prophte Isa•e nous dit que l'homme en colre est semblable ˆ une eau agitŽe par la tempte [8] . Belle comparaison, M.F., En effet, rien ne reprŽsente mieux le ciel que la mer quand elle est calme ; c'est un grand miroir dans lequel les astres semblent se reproduire ; mais aussi, ds que l'orage en a troublŽ les eaux, toutes ces images cŽlestes disparaissent. Ainsi, l'homme qui a le bonheur de conserver la patience et la douceur est, dans ce calme, une image sensible de Dieu. Mais la colre, les impatiences n'ont pas plus t™t dŽtruit ce calme, que l'image de la divinitŽ dispara”t. Cet homme cesse ds lors d'tre l'image de Dieu pour tre celle du dŽmon. Il en redit les blasphmes, en reprŽsente la fureur. Quelles sont les pensŽes du dŽmon ? Ce ne sont que pensŽes de haine, de vengeance, de division : telles sont celles d'un homme en colre. Quelles sont les expressions du dŽmon ? Ce ne sont que malŽdictions et jurements. Si j'Žcoute un homme en colre, je n'entends autre chose de sa bouche que jurements et malŽdictions. O mon Dieu ! quelle triste compagnie que celle d'une personne qui est sujette ˆ la colre ! Voyez une pauvre femme qui a un mari de cette sorte : si elle a la crainte de Dieu, et veut lui Žviter des offenses et ˆ elle les mauvais traitements, elle ne peut lever la langue [9] , quand mme elle en aurait le plus grand dŽsir du monde. Il faut qu'elle se contente de gŽmir et de pleurer en secret ; afin de ne point faire mauvais mŽnage, ni donner scandale. – Mais, me dira un homme emportŽ, pourquoi me tient-elle tte ? on sait bien que je suis vif. – Vous tes vif, mon ami, mais croyez-vous que les autres ne le soient pas aussi bien que vous ? Dites donc plut™t que vous n'avez point de religion, et vous direz ce que vous tes. Est-ce qu'une personne qui a la crainte de Dieu ne doit pas savoir gouverner ses passions, au lieu de se laisser gouverner par elles ?

HŽlas ! si j'ai dit qu'il y a des femmes malheureuses parce qu'elles ont des maris emportŽs ; il y a des maris qui ne sont pas moins malheureux, avec des femmes qui ne sauront jamais leur dire un mot de bonne gr‰ce, qu'un rien emporte et met hors d'elles-mmes. Mais quel malheur dans un mŽnage, lorsque ni l'un ni l'autre ne veulent plier ; ce n'est plus que disputes, que colres et malŽdictions. O grand Dieu ! n'est-ce pas lˆ vŽritablement un enfer anticipŽ ? HŽlas ! ˆ quelle Žcole sont ces pauvres enfants ? quelles leons de sagesse et de douceur reoivent-ils ? Saint Basile nous dit que la colre rend l'homme semblable au dŽmon, parce qu'il n'y a que le dŽmon qui soit capable de se livrer ˆ ces sortes d'excs. Une personne dans cet Žtat est semblable ˆ un lion en fureur, dont le rugissement fait mourir d'effroi les autres animaux. Voyez HŽrode : parce que les rois Mages l'avaient trompŽ, il entra dans une telle colre, ou plut™t dans une telle fureur, qu'il fit Žgorger tous les petits enfants de BethlŽem et des environs [10] . Il ne se contenta pas de ces horreurs ; il fit encore poignarder sa femme et ses enfants [11] . HŽlas ! combien de pauvres enfants sont estropiŽs pour leur vie, par les mauvais coups qu'ils ont reus de leurs parents, dans ces transports de colre ! Mais j'ajoute que la colre ne marche presque jamais seule : elle est toujours accompagnŽe de beaucoup d'autres pŽchŽs, comme nous allons le voir.

 

II. – La colre entra”ne avec elle les jurements, les blasphmes, les reniements de Dieu, les malŽdictions, les imprŽcations [12] , Saint Thomas nous dit que jurer est un pŽchŽ si grand, si affreux aux yeux de Dieu, que jamais nous ne pourrons comprendre l'outrage qu'il lui fait. Ce pŽchŽ n'est pas comme les autres, dont la lŽgretŽ de matire ne fait souvent qu'un pŽchŽ vŽniel. Dans les jurements, plus la matire est lŽgre, plus le pŽchŽ est grand ; puisque c'est un plus grand mŽpris, et une plus grande profanation du saint nom de Dieu. Le Saint-Esprit nous assure que la maison de l'homme qui est accoutumŽ ˆ jurer, sera remplie d'iniquitŽ, et que les ch‰timents de Dieu n'en sortiront pas jusqu'ˆ ce qu'elle soit dŽtruite [13] . Peut-on bien entendre sans frŽmir ces malheureux, qui osent porter leur fureur jusqu'ˆ jurer le saint nom de Dieu, ce nom adorable que les anges ont tant de joie ˆ rŽpŽter sans cesse : Ç Saint, saint, saint, le grand Dieu des armŽes ! qu'il soit bŽni dans tous les sicles des sicles ! È Si l'on rŽflŽchissait bien en employant sa langue, que c'est un instrument donnŽ de Dieu pour le prier, pour chanter ses louanges ; que cette langue a ŽtŽ arrosŽe par le sang prŽcieux de JŽsus-Christ ; que, tant de fois, elle a servi de reposoir au Sauveur lui-mme, pourrait-on s'en servir pour outrager un Dieu si bon, et pour profaner un nom si saint et si respectable !...

Voyez quelle horreur les saints avaient des jurements. Saint Louis, roi de France, avait fait une loi portant que celui qui jurerait aurait la langue percŽe d'un fer rouge. Un bourgeois de la ville, dans une dispute, jura le saint nom de Dieu. Il fut conduit devant le roi, qui le condamna sur le champ ˆ avoir la langue percŽe. Tous les puissants de la ville Žtant venus pour demander sa gr‰ce, le roi leur rŽpondit que, s'il avait eu le malheur de commettre ce pŽchŽ, il se la percerait lui-mme. Et il ordonna que sa sentence fut exŽcutŽe. Lorsqu'il alla combattre pour la Terre sainte, il fut fait prisonnier. On lui demanda un serment, qui cependant, ne paraissait pas blesser sa conscience ; il aima mieux nŽanmoins s'exposer ˆ la mort que de le faire, tant il craignait de jurer [14] . Aussi, voyons-nous qu'une personne qui jure, est ordinairement une personne abandonnŽe de Dieu, accablŽe de toutes sortes de malheurs, et qui souvent fait une fin malheureuse.

Nous lisons dans l'histoire un exemple capable de nous donner la plus grande horreur du jurement. Du temps que saint Narcisse gouvernait l'ƒglise de JŽrusalem, trois libertins calomnirent horriblement le saint, appuyant leur affirmation par trois serments exŽcrables. Le premier dit que, si ce qu'il affirmait n'Žtait pas vrai, il voulait tre bržlŽ vif ; l'autre, qu'il voulait mourir du mal caduc ; le troisime, qu'il voulait que les yeux lui fussent arrachŽs. A cause de ces calomnies, saint Narcisse fut chassŽ de la ville comme un inf‰me, c'est-ˆ-dire, comme un Žvque qui s'abandonnait ˆ toutes sortes d'impuretŽs. Mais la vengeance de Dieu ne tarda pas ˆ punir ces malheureux. Le feu ayant ŽtŽ mis pendant la nuit dans la maison du premier, il y fut bržlŽ tout vif. Le second mourut du mal caduc ; le troisime, ŽpouvantŽ par de si horribles ch‰timents, perdit la vue en pleurant ses pŽchŽs. Je sais que bien peu se permettent ces sortes de jurements. Les jurements les plus ordinaires sont ceux-ci : Ma foi ! Ma conscience ! – Mon Dieu ! oui ; – Mon Dieu ! non ; parbleu ! – morbleu ! – m‰tin !

Lorsque vous vous confessez, il faut bien vous accuser de la raison pour laquelle vous avez jurŽ ; si c'est pour assurer des choses fausses ou la vŽritŽ. Si vous avez fait jurer d'autres personnes en ne voulant pas les croire. Vous devez dire si vous en avez l'habitude, et depuis combien de temps vous l'avez. Aux jurements, il faut bien prendre garde de ne pas ajouter le serment. Il en est qui disent : Ç Si cela n'est pas vrai, je veux ne jamais bouger de place ; voir le ciel ; que Dieu me damne ! que la peste m'Žtouffe ! que le dŽmon m'emporte ! .... È HŽlas ! mon ami, peut-tre que le dŽmon n'attend que ta mort pour t'emporter !... Vous devez dire, dans vos confessions, si ce que vous avez dit Žtait ou n'Žtait pas contre la vŽritŽ. Il y en a qui croient qu'il n'y a point de mal de faire un serment pour assurer une chose qui est vŽritable. Le mal, il est vrai, n'est pas si grand que pour une chose fausse ; mais c'est toujours un pŽchŽ, et mme gros. Vous tes donc toujours obligŽs de vous en accuser, sans quoi vous tes damnŽs. En voici un exemple qui fait trembler. Il est rapportŽ dans la vie de saint ƒdouard, roi d'Angleterre [15] , que le comte Gondevin, beau-pre du roi, Žtait si orgueilleux, qu'il ne pouvait souffrir personne auprs de lui. Le roi l'accusa un jour d'avoir coopŽrŽ ˆ la mort de son frre. Le comte lui rŽpondit que, si cela Žtait vrai, il voulait qu'un morceau de pain l'Žtrangl‰t. Le roi fit le signe de la croix sur ce morceau de pain, son beau-pre le prit, et comme il l'avalait, le pain lui resta au gosier, l'Žtrangla, et il en mourut. Terrible punition, M.F. ! HŽlas ! o alla sa pauvre ‰me, puisqu'il mourut en commettant ce pŽchŽ ?

Non seulement nous ne devons pas jurer, sous quelque prŽtexte que ce soit, quand mme il s'agirait de perdre nos biens, notre rŽputation et notre vie, parce que, en jurant, nous perdons le ciel, notre Dieu et notre ‰me ; mais nous ne devons pas mme faire jurer les autres. Saint Augustin nous dit [16] que, si nous prŽvoyons que ceux que nous faisons appeler en justice jureront ˆ faux, nous ne devons pas le faire ; nous sommes aussi coupables et mme plus coupables que si nous leur ™tions la vie. En effet, en les Žgorgeant nous ne faisons que donner la mort ˆ leur corps, s'ils ont le bonheur d'tre en Žtat de gr‰ce ; le seul mal est pour nous : au lieu qu'en les faisant jurer, nous perdons leur pauvre ‰me, et nous les perdons pour l'ŽternitŽ. Il est rapportŽ [17] qu'un bourgeois de la ville d'Hippone, homme de bien, mais fort attachŽ ˆ la terre, contraignit un homme ˆ qui il avait prtŽ de l'argent de jurer en justice ; celui-ci jura faussement. La mme nuit, il fut prŽsentŽ au tribunal de Dieu. – Pourquoi as-tu fait jurer cet homme... ? Ne devais-tu pas plut™t perdre ce qu'il te devait que de perdre son ‰me ? JŽsus-Christ lui dit qu'il lui pardonnait, pour cette fois, mais qu'il le condamnait ˆ tre fouettŽ ; ce qui fut exŽcutŽ sur le champ par les anges ; car le lendemain, il se trouva tout couvert de plaies. – Vous me direz : Il faudrait perdre ce que l'on me doit ? – Il faudrait perdre ce que l'on vous doit ; mais vous estimez donc moins l'‰me de votre frre que votre argent ? D'ailleurs, soyez bien sžrs que si vous faites cela pour le bon Dieu, il ne manquera pas de vous rŽcompenser.

Les pres et mres, ma”tres et ma”tresses doivent examiner s'ils n'ont point ŽtŽ, pour leurs enfants ou leurs domestiques, la cause de quelques jurements, par la crainte o ils ont ŽtŽ quelquefois d'tre maltraitŽs ou grondŽs. On jure aussi bien pour le mensonge que pour la vŽritŽ. Prenez bien garde, lorsque vous serez appelŽs en justice, de ne jamais jurer ˆ faux. Quoique vous n'ayez pas jurŽ, il faut mme examiner si vous n'en avez pas eu la pensŽe dans vous-mme, et combien de fois vous avez eu cette pensŽe ; si vous avez conseillŽ ˆ d'autres de jurer ˆ faux, sous prŽtexte que, s'ils disent la vŽritŽ, ils seront condamnŽs. Vous tes obligŽ de dire cela. Accusez-vous encore si vous avez pris quelques dŽtours pour dire autrement que vous ne pensiez ; car vous tes obligŽ de dire tel que vous le pensez ou tel que vous l'avez vu et entendu ; sans quoi, vous commettez un gros pŽchŽ. Vous devez de mme distinguer si vous avez donnŽ quelque chose pour porter les autres ˆ mentir : ainsi, un ma”tre qui menacerait son domestique de le maltraiter ou de lui faire perdre son gage, doit s'expliquer en confession sur tout ceci, sans quoi sa confession ne serait qu'un sacrilge. Le Saint-Esprit nous dit que le faux tŽmoin sera puni rigoureusement [18] .

Nous venons de dire ce que c'est que le jurement et le serment, voyons maintenant ce que c'est que le blasphme. Il y en a plusieurs qui ne savent pas distinguer le blasphme du jurement. Si vous ne savez pas distinguer l'un de l'autre, vous ne pouvez pas espŽrer que vos confessions soient bonnes, parce que vous ne faites pas conna”tre vos pŽchŽs tels que vous les avez commis. ƒcoutez donc bien ; afin que vous quittiez cette ignorance, qui vous damnerait trs certainement. Le blasphme est un mot grec qui veut dire dŽtester, maudire une beautŽ infinie. Saint Augustin nous dit [19] que l'on blasphme lorsqu'on attribue ˆ Dieu quelque chose qu'il n'a pas, ou qui ne lui convient pas ; lorsqu'on lui ™te ce qui lui convient, ou, enfin, quand l'on s'attribue ce qui n'est dž qu'ˆ Dieu. Expliquons cela. 1¡ nous blasphŽmons lorsque nous disons que Dieu n'est pas juste, si ce que nous faisons ou entreprenons ne rŽussit pas. 2¡ Dire que Dieu n'est pas bon, comme le font quelques malheureux dans l'excs de leurs misres, est un blasphme. 3¡ Nous blasphŽmons lorsque nous disons que Dieu ne sait pas tout ; qu'il ne fait pas attention ˆ ce qui se passe sur la terre ; qu'il ne nous sait pas seulement au monde ; que toutes choses vont comme elles veulent ; que Dieu ne se mle pas de si peu de chose ; qu'en venant au monde nous apportons notre sort d'tre malheureux ou d'tre heureux, et que Dieu n'y change rien. 4¡ Lorsque nous disons : Si Dieu faisait misŽricorde ˆ celui-lˆ, vraiment il ne serait pas juste ; car il en a trop fait et n'a mŽritŽ que l'enfer. 5¡ Lorsque nous nous emportons contre Dieu ˆ l'occasion de quelque perte, et que nous disons : Non, Dieu ne peut pas m'en faire davantage qu'il ne m'en fait. C'est aussi un blasphme que de se moquer et railler de la sainte Vierge, ou des saints, en disant : C'est un saint qui n'a pas grand pouvoir, voilˆ plusieurs jours que je prie... et je n'ai rien obtenu ; je ne veux plus avoir recours ˆ lui. C'est un blasphme de dire que Dieu n'est pas puissant, et de le traiter indignement, comme en disant : MalgrŽ Dieu ! S... D... ! S... N... !

Les Juifs avaient une telle horreur de ce pŽchŽ que quand ils entendaient blasphŽmer, ils dŽchiraient leurs vtements, en signe de douleur [20] . Le saint homme Job redoutait ce pŽchŽ ˆ tel point, que dans la crainte que ses enfants l'eussent commis, il offrait ˆ Dieu des sacrifices pour l'expier [21] . Le prophte Nathan dit ˆ David : Puisque vous avez ŽtŽ la cause de ce que l'on a blasphŽmŽ Dieu, votre enfant mourra, et les ch‰timents ne sortiront point de votre maison pendant votre vie [22] . Le Seigneur dit dans l'ƒcriture sainte [23]  : Quiconque blas­phŽmera mon saint nom, je veux qu'il soit mis ˆ mort. Pendant que les HŽbreux Žtaient dans le dŽsert, on surprit un homme qui blasphŽmait, le Seigneur ordonna qu'il fžt assommŽ ˆ coups de pierres [24] . SennachŽrib ; roi des Assyriens, qui assiŽgeait JŽrusalem, ayant blasphŽmŽ le nom de Dieu, en disant que, malgrŽ Dieu, il prendrait cette ville et la mettrait toute ˆ feu et ˆ sang ; le Seigneur envoya un ange, qui, dans une seule nuit, tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes, et lui-mme fut ŽgorgŽ par ses propres enfants [25] . Ces blasphmes ont toujours ŽtŽ en horreur depuis le commencement du monde ; ils sont vraiment le langage de l'enfer, puisque le dŽmon et les damnŽs ne cessent de les profŽrer. Lorsque l'empereur Justin apprenait que, quelques-uns de ses sujets avaient blasphŽmŽ, il leur faisait couper la langue. Pendant le rgne du roi Robert, la France fut affligŽe d'une grande guerre. Le bon Dieu rŽvŽla ˆ une sainte ‰me que tous ces maux dureraient jusqu'ˆ ce que le blasphme ežt ŽtŽ banni du royaume. N'est-ce donc pas un miracle extraordinaire, qu'une maison, o se trouve un blasphŽmateur, ne soit pas ŽcrasŽe par la foudre et accablŽe de toutes sortes de malheurs ? Saint Augustin dit encore que le blasphme est un pŽchŽ plus grand que le parjure ; car, dans celui-ci, on prend Dieu ˆ tŽmoin d'une chose fausse, dans celui-lˆ, au contraire, c'est une chose fausse que l'on attribue ˆ Dieu [26] . Vous conviendrez avec moi, M.F., de la grandeur de ce pŽchŽ et du malheur qui en rŽsulte pour l'homme qui s'y livre. Aprs s'y tre livrŽ, ne doit-il pas craindre que la justice de Dieu le punisse sur le champ, comme tant d'autres ?

Voyons maintenant quelle diffŽrence il y a entre le blasphme et le reniement de Dieu. Je ne veux pas vous parler de ceux qui renient Dieu en quittant la religion catholique pour en embrasser une fausse : tels sont les protestants, les jansŽnistes et tant d'autres. Nous appelons ces personnes des renŽgats et des apostats. Il s'agit ici de ceux qui, ˆ la suite de quelque perte ou de quelque disgr‰ce, ont la maudite habitude de s'emporter en paroles de colre contre Dieu. Ce pŽchŽ est horrible, parce qu'ˆ la moindre chose qui nous arrive, nous nous en prenons ˆ Dieu mme, nous nous emportons contre lui ; c'est comme si nous disions ˆ Dieu : Vous tes unÉÉ ! unÉÉ ! un malheureux ! un vindicatif ! Vous me punissez pour telle action, vous tes injuste. Il faut que Dieu essuie notre colre, comme s'il Žtait cause de la perte que nous avons faite et de l'accident qui nous est arrivŽ. N'est-ce pas lui, ce tendre Sauveur, qui nous a tirŽs du nŽant, qui nous a crŽŽs ˆ son image, qui nous a rachetŽs par son sang prŽcieux et qui nous conserve depuis si longtemps ; tandis que nous mŽritions d'tre ab”mŽs dans les enfers depuis bien des annŽes !... Il nous aime d'un amour inconcevable, et nous le mŽprisons ; nous profanons son saint nom, nous de jurons, nous le renions ! Quelle horreur ! Y a-t-il un crime plus monstrueux que celui-lˆ ? N'est-ce pas imiter le langage des dŽmons ? des dŽmons qui ne font que cela dans les enfers ? HŽlas ! M.F., si vous les imitez en cette vie, vous tes bien sžrs d'aller leur tenir compagnie dans les enfers. O mon Dieu ! un chrŽtien peut-il bien se livrer ˆ de telles horreurs !

Une personne qui se livre ˆ ce pŽchŽ doit s'attendre ˆ une vie malheureuse, et mme ds ce monde. Il est racontŽ qu'un homme, aprs avoir ŽtŽ pendant toute sa vie un blasphŽmateur, dit au prtre qui le confessait : HŽlas ! mon pre, que ma vie a ŽtŽ malheureuse ! J'avais l'habitude de jurer, de blasphŽmer le nom de Dieu ; j'ai perdu tous mes biens qui Žtaient considŽrables ; mes enfants, sur qui je n'ai attirŽ que des malŽdictions, ne valent rien ; ma langue, qui a jurŽ, blasphŽmŽ le saint nom de Dieu, est ulcŽrŽe et tombe en pourriture. HŽlas ! aprs avoir ŽtŽ bien malheureux dans ce monde, je crains encore d'tre damnŽ ˆ cause de mes jurements.

Souvenez-vous, M.F., que votre langue ne vous a ŽtŽ donnŽe que pour bŽnir le bon Dieu ; elle lui a ŽtŽ consacrŽe par le saint baptme et par la sainte communion. Si par malheur vous tes sujet ˆ ce pŽchŽ, il faut vous en confesser avec grande douleur et en faire une rude pŽnitence ; sans quoi vous irez en subir le ch‰timent en enfer. Purifiez votre bouche, en prononant avec respect le nom de JŽsus. Demandez souvent ˆ Dieu la gr‰ce de mourir plut™t que de retomber dans ce pŽchŽ. Auriez-vous jamais pensŽ combien le blasphme est un pŽchŽ horrible aux yeux de Dieu et des hommes ? Dites-moi, vous tes-vous confessŽ comme il faut, ne vous tes-vous pas contentŽ de dire que vous avez jurŽ, ou encore d'avoir dit des paroles grossires ; sondez votre conscience, et ne vous endormez pas, car il est bien possible que vos confessions ne valent rien.

Voyons maintenant ce qu'on entend par malŽdiction et imprŽcation. Le voici. La malŽdiction, c'est lorsque, entra”nŽs par la haine ou la colre, nous voulons anŽantir ou rendre malheureux quiconque s'oppose ˆ notre volontŽ. Ces malŽdictions tombent sur nous, sur nos semblables ou sur les crŽatures animŽes ou mme inanimŽes. Lorsque nous agissons de la sorte, nous nous conduisons non selon l'esprit de Dieu, qui est un esprit de douceur, de bontŽ et de charitŽ ; mais selon l'esprit du dŽmon, dont toute l'occupation est de maudire. Les malŽdictions les plus mauvaises sont celles que les pres et mres appellent sur leurs enfants, ˆ cause des grands maux qui s'ensuivent. Un enfant maudit de ses parents est, ordinairement, un enfant maudit de Dieu mme ; parce que le bon Dieu a dit que si les parents bŽnissent leurs enfants, il les bŽnira ; au contraire, s'ils les maudissent, leur malŽdiction restera sur eux [27] . Saint Augustin en cite un exemple digne d'tre ˆ jamais gravŽ dans le cÏur des pres et mres. Une mre, nous dit-il, maudit dans la colre ses trois enfants ; ˆ l'instant mme, ils furent possŽdŽs du dŽmon [28] . Un pre dit ˆ un des siens : Tu ne crveras donc pasÉÉ  Son enfant tomba mort ˆ ses pieds.

Ce qui aggrave encore ce pŽchŽ, c'est que, si un pre et une mre ont l'habitude de le commettre, leurs enfants contracteront cette habitude, ce vice devient hŽrŽditaire dans les familles. S'il y a tant de maisons qui sont malheureuses, et qui sont vŽritablement la retraite des dŽmons et l'image de l'enfer, vous en trouverez l'explication dans les blasphmes et les malŽdictions de leurs anctres, qui ont passŽ de leur grand'pre ˆ leur pre et de leur pre passent ˆ leurs enfants, et ainsi de suite. Vous avez entendu un pre en colre prononcer des jurements, des imprŽcations et des malŽdictions ; hŽ bien ! Žcoutez ses enfants lorsqu'ils seront en colre : mmes jurements, mmes imprŽcations et le reste. Ainsi les vices des parents passent ˆ leurs enfants comme leurs biens, et encore mieux. Les anthropophages ne tuent que les Žtrangers pour les manger ; mais, parmi les chrŽtiens, il y a des pres et mres, qui, pour assouvir leurs passions, souhaitent la mort de ceux ˆ qui ils ont donnŽ la vie, et livrent au dŽmon ceux que JŽsus-Christ a rachetŽs par son sang prŽcieux. Combien de fois n'entend-on pas dire ˆ ces pres et mres sans religion : Ah ! maudit enfant, tu neÉ une fois ! tu m'ennuies ; le bon Dieu ne te punira donc pas une bonne fois ! ; je voudrais que tu fusses aussi loin de moi que tu en es prs ! ce m‰tin d'enfant ! ce dŽmon d'enfant ! ces ch..... d'enfants ! ces btes d'enfants ! et le reste. O mon Dieu ! toutes ces malŽdictions peuvent-elles bien sortir de la bouche d'un pre et d'une mre, qui ne devraient souhaiter et dŽsirer que les bŽnŽdictions du ciel ˆ leurs pauvres enfants ! Si nous voyons tant d'enfants insensŽs, revches, sans religion, estropiŽs, n'en cherchons pas la cause ailleurs que dans les malŽdictions des parents ; du moins pour le plus grand nombre.

Quel est donc le pŽchŽ de ceux qui se maudissent eux-mmes dans les moments dÕennui ? C'est un crime Žpouvantable qui combat la nature et la gr‰ce ; car, la nature et la gr‰ce nous inspirent de l'amour pour nous-mmes. Celui qui se maudit ressemble ˆ un enragŽ qui se tue de ses propres mains ; il est mme pire ; souvent il s'en prend ˆ son ‰me, en disant : Que Dieu me damne ! que le dŽmon m'emporte ! j'aimerais autant tre en enfer que d'tre comme je suis ! Ah ! malheureux, dit saint Augustin, que Dieu ne te prenne pas au mot ; car, tu irais vomir le venin de ta rage dans les enfers. O mon Dieu ! si un chrŽtien pensait bien ˆ ce qu'il dit, aurait-il la force de prononcer ces blasphmes, capables, en quelque sorte, de forcer Dieu ˆ le maudire du haut de son tr™ne ! Oh ! qu'un homme sujet ˆ la colre est donc malheureux ! Il force ˆ le punir ce Dieu qui ne voudrait que son bien et son bonheur ! Pourra-t-on jamais le comprendre !

Quel est encore le pŽchŽ d'un mari et d'une femme, d'un frre et d'une sÏur, qui vomissent les uns contre les autres toutes sortes de blasphmes ? C'est un pŽchŽ dont nul terme ne pourra jamais exprimer la grandeur ; c'est un pŽchŽ d'autant plus grand, qu'ils sont plus rigoureusement obligŽs de s'aimer et de se supporter les uns les autres. HŽlas ! combien de gens mariŽs ne cessent de vomir toutes sortes de malŽdictions l'un contre l'autre ! Un mari et une femme qui ne devraient se faire que des souhaits heureux, et solliciter la misŽricorde de Dieu, afin d'obtenir l'un pour l'autre le bonheur d'aller passer leur ŽternitŽ ensemble, se chargent de malŽdictions ; ils s'arracheraient, s'ils le pouvaient, les yeux, et mme la vie. Maudite femme ou maudit mari, s'Žcrient-ils, au moins, si je ne t'avais jamais vu et jamais connu ! Ah ! maudit pre, qui m'a conseillŽ de te prendre !... O mon Dieu ! quelle horreur pour des chrŽtiens, qui ne devraient travailler qu'ˆ devenir des saints ! Ils font ce que font les dŽmons et les rŽprouvŽs ! Combien ne voyons-nous pas de frres et de sÏurs se souhaiter la mort, se maudire, pour tre plus riches ou pour quelques injures qu'ils auront reues ; conserver souvent de la haine toute leur vie, et avoir de la peine ˆ se pardonner mme avant de mourir.

C'est encore un gros pŽchŽ que de maudire le temps, les btes, son travail. Combien de gens, quand le temps n'est pas selon leur volontŽ, le maudissent en disant : Maudit temps, tu ne changeras donc pas ! Vous ne savez pas ce que vous dites, c'est comme si vous disiez : Ah ! maudit Dieu, qui ne me donne pas un temps comme je le voudrais. D'autres maudissent leurs btes : Ah ! maudite bte, je ne pourrai donc te faire aller comme je veux !... Que le dŽmon t'emporte ! que le tonnerre t'Žcrase ! que le feu du ciel te grille !... Ah ! malheureux, vos malŽdictions ont plus souvent leur effet que vous ne le pensez. Souvent des btes pŽrissent ou s'estropient, et cela par suite des malŽdictions que vous leur avez donnŽes. Combien de fois vos malŽdictions, vos emportements et vos blasphmes ont-ils attirŽ la grle et la gelŽe sur vos rŽcoltes !

Mais quel est le pŽchŽ de ceux qui souhaitent du mal ˆ leur prochain ? Ce pŽchŽ est grand en proportion du mal que vous souhaitez, du dommage qui serait causŽ, si cela arrivait. Vous devez vous en accuser chaque fois qu'il vous est arrivŽ de faire de tels souhaits. Lorsque vous vous confessez, il faut dire quel mal vous avez souhaitŽ ˆ votre prochain, quelle perte il aurait subie, si ce mal lui Žtait arrivŽ. Vous devez expliquer s'il s'agit de vos parents, de vos frres et sÏurs, de vos cousins ou cousines, de vos oncles ou tantes. HŽlas ! qu'il y en a peu qui font toutes ces distinctions dans leurs confessions ! On aura maudit ses frres, ses sÏurs, ses cousins ou cousines ; et on se contentera de dire qu'on a souhaitŽ du mal ˆ son prochain, sans dire ˆ qui, ni quelles Žtaient les intentions en le faisant. Combien d'autres ont fait des jurements affreux, des blasphmes, des imprŽcations, des reniements de Dieu ˆ faire dresser les cheveux de la tte, et qui se contentent de s'accuser qu'ils ont dit des paroles grossires, et rien autre. Une parole grossire, vous le savez, c'est une espce de petit jurement, comme bÉÉ  et fÉÉ dit sans colre.

HŽlas ! que de confessions et communions sacrilges !

Mais, me direz-vous, que faut-il faire pour ne pas commettre ces pŽchŽs, qui sont affreux et capables de nous attirer, toutes sortes de malheurs ? – Il faut que toutes les peines qui nous arrivent nous fassent ressouvenir que, nous Žtant rŽvoltŽs contre Dieu, il est juste que les crŽatures se rŽvoltent contre nous. Il faut ne jamais donner aux autres occasion de nous maudire. Les enfants et les domestiques surtout, doivent faire tout ce qu'ils peuvent, afin de ne pas porter leurs parents ou leurs ma”tres ˆ les maudire ; car il est certain que t™t ou tard, il leur arrivera quelque ch‰timent. Les pres et mres doivent considŽrer qu'ils n'ont rien de si cher au monde que leurs enfants, et, bien loin de les maudire, ils ne doivent cesser de les bŽnir, afin que Dieu rŽpande sur eux le bien qu'ils leur dŽsirent. S'il vous arrive quelque chose de f‰cheux, au lieu de charger de malŽdictions ce qui ne va pas comme vous voulez, il vous serait aussi facile et bien plus avantageux de dire : Que Dieu vous bŽnisse. Imitez le saint homme Job ; qui bŽnissait le nom du Seigneur dans toutes les peines qui lui arri­vaient [29] , et vous recevrez les mmes gr‰ces que lui. Voyant sa grande soumission ˆ la volontŽ de Dieu, le dŽmon prend la fuite, les bŽnŽdictions se rŽpandent avec abondance sur ses biens, tout lui est rendu au double [30] . Si, par malheur, il vous arrive de prononcer quelqu'une de ces mauvaises paroles, faites-en vite un acte de contrition pour en demander pardon, et promettez que vous n'y retournerez pas. Sainte ThŽrse nous dit que, quand nous prononons le nom de Dieu avec respect, tout le ciel se rŽjouit ; tandis que si nous prononons ces mauvais mots, c'est l'enfer. Un chrŽtien ne doit jamais perdre de vue que sa langue ne lui est donnŽe que pour bŽnir Dieu en ce monde, et le remercier des biens dont il l'a comblŽ pendant sa vie ; afin de le bŽnir pendant l'ŽternitŽ avec les anges et les saints : ce sera le partage de ceux qui auront imitŽ, non le dŽmon, mais les anges. Je vous le souhaite...


[1] Ps. iv, 5.

[2] Num. xxv.

[3] Phinees, pater noster, zelando zelum Dei, accepit testamentum sacerdotii ¾terni. I Mach. ii, 54. Ps. cv, 30-31.

[4] Exod. xxxii, 28.

[5] Ps. c, 8.

[6] Matth. xxi, 13.

[7] Zelus et iracundia minuunt dies. Eccli. xxx, 26.

[8] Is. lvii, 20.

[9] Dire un seul mot.

[10] Matth. ii, 16.

[11] HŽrode fit mourir, il est vrai, sa femme nommŽe Marianne, puis ses quatre enfants : mais ce ne fut point une suite du meurtre des SS. Innocents, comme semble l'insinuer le Saint. En effet, d'aprs les auteurs Mariamne pŽrit par le poison, l'an. 28 avant JŽsus-Christ.

[12] Pour cette seconde partie du Sermon, nous renvoyons, une fois pour toutes, le lecteur au Pre Lejeune, t.II, Sermon XLVII, Du jurement et du blasphme, auquel le Saint a empruntŽ la plus grande partie de la doctrine qu'il expose et des exemples qu'il rapporte.

[13] Vir multum jurans implebitur iniquitate, et non discedet a domo illius plaga. Eccli. xxiii, 12.

[14] Ribadeneira, au 25 Aožt.

[15] Ribadeneira, au 13 octobre.

[16] Serm. CCCVIII, cap. IV, 4.

[17] S. Aug. Ibid.

[18] Deut. xix, 18-21.

[19] De moribus ManichÏrum, lib. II, cap. XI.

[20] Par exemple Ca•phe pendant la Passion. Matth. xxvi, 69.

[21] Job, i, v.

[22] II, Reg. xii, 14.

[23] Lev. xxiv, 16.

[24] Lev. xxiv, 14.

[25] SennachŽrib fut ŽgorgŽ, non point dans la mme nuit, mais aprs son retour ˆ Ninive, dans le temple de son dieu Nesroch. IV Reg. Xix.

[26] Ideo pejus est blasphemare quam pejerare, quoniam pejerando fals¾ rei adhibetur testis Deus, blasphemando autem de ipso falsa dicuntur Deo. S. Aug. Contra mendacium, cap.xix, 39.

[27] Bendiction patris firmat domos filiorum : maledictio autem matris eradicat fundamenta. Eccli. iii, 11.

[28] Saint Augustin, qui rapporte cette histoire en dŽtails (De Civit. Dei, lib. XXII, cap. viii, 22), dit que cette malheureuse mre maudit ses dix enfants, qui furent tous saisis d'un horrible tremblement dans leurs membres : Ç tali pÏna sunt divinitus cÏrciti, ut horribiliter quaterentur omnes tremore membrorum. È

[29] Job, i, 21.

[30] Ibid. xlii, 10.

 

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