13me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(CINQUIéME SERMON)

Sur le service de Dieu.

 

 

Quaerite prinaum regnum Dei et justitiam ejus.

Cherchez premirement le royaume de Dieu et sa justice.

(S. Matthieu, VI, 33.)

 

Saint Matthieu nous apprend que JŽsus-Christ s'Žtant un jour trouvŽ avec des personnes qui s'occupaient beaucoup des affaires temporelles, leur dit : Ç Ne vous inquiŽtez pas tant de tout cela, cherchez premirement le royaume des cieux et sa justice, et tout le reste vous sera donnŽ avec abondance ; en voulant leur dire, par lˆ, que s'ils avaient le bonheur de mettre tous leurs soins ˆ plaire ˆ Dieu et ˆ sauver leurs ‰mes, son Pre leur fournirait tout ce qui leur serait nŽcessaire pour les besoins du corps. – Mais pensez-vous, comment est-ce que nous pouvons chercher le royaume des cieux et sa justice ? – Comment, M.F. ? Rien de plus facile et de plus consolant : c'est en vous attachant au service de Dieu qui est le seul moyen qui nous reste, pour nous conduire ˆ la fin noble et heureuse pour laquelle nous sommes crŽŽs. Oui, M.F., nous le savons tous, et mme les plus grands pŽcheurs sont convaincus qu'ils ne sont dans le monde que pour servir le bon Dieu, en faisant tout ce qu'il nous commande. – Mais, me direz-vous, pourquoi est-ce donc qu'il y en a si peu qui travaillent ˆ cela ? – M.F., le voici : c'est que les uns regardent le service de Dieu comme une chose trs difficile ; ils pensent qu'ils n'ont pas assez de force pour l'entreprendre, ou que, l'ayant entrepris, ils ne pourront pas persŽvŽrer. Voilˆ prŽcisŽment, M.F., ce qui dŽcourage ou dŽtourne une grande partie des chrŽtiens. Au lieu d'Žcouter ces consolantes paroles du Sauveur, qui ne peut nous tromper, et qui nous dit que son service est doux et agrŽable, qu'en le faisant nous y trouverons la paix de nos ‰mes et la joie de notre cÏur [1] ... Mais, pour mieux vous le faire comprendre, je vais vous montrer lequel des deux mne une vie plus dure, plus triste et plus pŽnible, ou de celui qui remplit ses devoirs de religion avec fidŽlitŽ, ou de celui qui les abandonne pour suivre ses plaisirs et ses passions, pour vivre ˆ sa libertŽ [2] .

 

I. – Oui, M.F., de quelque c™tŽ que nous considŽrions le service de Dieu, qui consiste dans la prire, la pŽnitence, la frŽquentation des sacrements, l'amour de Dieu et du prochain et un entier renoncement ˆ soi-mme ; oui, M.F., nous ne trouvons dans tout cela que joies, que plaisirs et que bonheur pour le prŽsent et pour l'avenir, comme vous allez le voir. Celui qui conna”t sa religion et qui la pratique sait que les croix et les persŽcutions, les mŽpris, les souffrances, et enfin, la pauvretŽ et la mort se changent en douceurs, en consolation et en rŽcompense Žternelle. Dites-moi, vous en tes-vous jamais formŽ une idŽe sensible ? Non, sans doute. Cependant, M.F., cela est tel que je vous le dis ; et, pour vous le prouver de manire que vous ne puissiez pas en douter, Žcoutez JŽsus-Christ lui-mme : Ç Bienheureux les pauvres, parce que le royaume des cieux leur appartient, et malheur aux riches, parce qu'il est trs difficile que les riches se sauvent [3] . È Vous voyez donc, d'aprs JŽsus-Christ, que la pauvretŽ ne doit pas nous rendre malheureux, puisque le Sauveur nous dit : Ç Bienheureux les pauvres. È

En deuxime lieu, ce ne sont pas les souffrances ni les chagrins ; puisque JŽsus-Christ nous dit : Ç Bienheureux ceux qui pleurent et qui sont persŽcutŽs, parce qu'un jour viendra qu'ils seront consolŽs [4]  ; mais malheur au monde et ˆ ceux qui prennent leurs plaisirs, parce qu'un jour viendra que leur joie se changera en larmes et en tristesse Žternelle [5] . È

En troisime lieu, ce n'est pas d'tre mŽprisŽ, puisque JŽsus-Christ nous dit : Ç On me mŽprise et on vous mŽprisera, on me persŽcute et on vous persŽcutera ; mais, bien loin de vous laisser aller ˆ la tristesse, rŽjouissez-vous, parce qu'une grande rŽcompense vous attend dans le ciel [6] . È Dites-moi, M.F., que pourra rŽpondre maintenant ce pauvre homme qui veut nous dire qu'il est malheureux, et qui nous demande comment il pourra se sauver au milieu de tant de persŽcutions, de calomnies et d'injustices qu'on lui fait ? Non, non, M.F., disons-le : rien n'est capable de rendre l'homme malheureux ici-bas, que le dŽfaut de religion ; et l'homme, malgrŽ tout ce qu'il pourra Žprouver sur la terre, s'il veut s'attacher au service de Dieu, ne laissera pas que d'tre heureux.

Nous avons dit, M.F., que celui qui s'attache au bon Dieu se trouve plus heureux que les gens du monde, dans le moment o tout va selon leurs dŽsirs ; et mme, nous voyons que plusieurs saints ne respiraient que le bonheur de souffrir ; nous en avons un bel exemple dans la personne de saint AndrŽ. Il est rapportŽ dans sa vie [7] qu'ƒgŽe, gouverneur de la ville, voyant que saint AndrŽ, par ses prŽdications, rendait dŽsert le temple de ses faux dieux, l'envoya prendre. Le saint Žtant prŽsentŽ devant son tribunal, il lui dit d'un air menaant : Ç Est-ce toi, qui fais profession de dŽtruire le temple de nos dieux, en annonant une religion toute nouvelle ? È Saint AndrŽ lui rŽpondit : Ç Elle n'est point nouvelle, au contraire, elle a commencŽ avec le monde. È – Ç Ou tu renonceras ˆ ton crucifiŽ, ou je te ferai mourir en croix comme lui. È – Ç Nous, chrŽtiens, lui rŽpondit saint AndrŽ nous ne craignons point les souffrances, elles font tout notre bonheur sur la terre ; plus nous aurons ŽtŽ conformes ˆ JŽsus-Christ crucifiŽ, plus nous serons glorieux dans le ciel ; vous serez plus t™t las de me faire souffrir, que moi, de souffrir. È Le proconsul le con­damna ˆ mourir en croix ; mais pour rendre son supplice plus long, il ordonna de ne pas le clouer, mais seule­ment de l'attacher avec des cordes, pour qu'il souffr”t plus longtemps. Saint AndrŽ eut tant de joie d'tre condamnŽ ˆ mourir en croix comme JŽsus-Christ, son divin Ma”tre, que voyant deux mille hommes qui allaient assister ˆ sa mort, et qui presque tous versaient des larmes, ayant peur qu'on le priv‰t de son bonheur, il Žleva la voix pour les conjurer, en, gr‰ce, de ne pas retarder son martyre. D'aussi loin qu'il aperut la croix  sur laquelle il devait tre attachŽ, il s'Žcria tout trans­portŽ d'allŽgresse : Ç Je vous salue, ™ Croix vŽnŽrable, qui avez ŽtŽ consacrŽe et ornŽe par l'attouchement du Corps adorable de JŽsus-Christ, mon divin Sauveur ! È ï Croix sacrŽe ! ™ Croix tant dŽsirŽe ! ™ Croix aimŽe avec tant d'ardeur ! ™ Croix que j'ai recherchŽe et dŽsirŽe avec tant de zle et sans rel‰che ! c'est vous qui allez satisfaire tous les dŽsirs de mon cÏur ! ï Croix bien aimŽe, recevez-moi des mains des hommes pour me remettre entre celles de mon Dieu, afin que je passe de vos bras entre ceux de celui qui m'a rachetŽ. È L'auteur qui a Žcrit sa Vie [8] nous dit qu'Žtant au pied de la croix pour y tre attachŽ, il ne changea point de couleur, les cheveux ne lui dressrent point ˆ la tte, comme il arrive aux criminels, il ne perdit point la voix, le sang ne lui glaa point dans les veines, il ne fut pas mme saisi de la moindre frayeur ; mais, au contraire, l'on voyait que le feu de la charitŽ, dont son cÏur bržlait, lui faisait jeter des flammes ardentes par la bouche. Lorsqu'il fut auprs de la croix, il se dŽpouilla lui-mme et donna ses habits au bourreau ; il monta sans l'aide de personne sur le bois ou Žtait placŽe la croix. Tout le peuple, qui Žtait au moins de vingt mille, voyant saint AndrŽ attachŽ, cria que c'Žtait une injustice de faire souffrir un homme si saint, et courut au palais pour mettre en pices le proconsul, s'il ne le dŽtachait pas. Craignant pour sa vie, le proconsul va le faire dŽtacher. D'aussi loin que saint AndrŽ le vit venir, il s'Žcria : Ç ï EgŽe, que venez-vous faire ici ? Si vous venez pour apprendre ˆ conna”tre JŽsus-Christ, bon, venez ; mais si vous venez pour me faire dŽtacher, n'allez pas plus loin, sachez que vous n'en viendrez pas ˆ bout et que j'aurai la consolation de mourir pour mon divin Ma”tre ! Ah ! je vois dŽjˆ mon Dieu, je l'adore avec tous les bienheureux. È MalgrŽ cela, le gouverneur voulut le faire dŽtacher, crainte que le peuple ne le f”t mourir lui-mme ; mais il fut impossible de le dŽtacher : ˆ mesure qu'ils s'approchaient pour le dŽtacher, les forces leur man­quaient, ils restaient immobiles. Alors saint AndrŽ s'Žcria en levant les yeux au ciel : Ç Mon Dieu, je vous demande la gr‰ce de ne point permettre que votre serviteur, qui est en croix pour la confession de votre nom, reoive cette humiliation que d'tre dŽlivrŽ par les ordres d'ƒgŽe. Mon Dieu ! vous tes mon Ma”tre, vous savez que je n'ai cherchŽ et dŽsirŽ que vous. È Comme il achevait ces paroles, on vit une lumire en forme de globe qui enveloppa tout son corps, et rŽpandit une odeur qui embauma tous les assistants, et, dans le mme moment, son ‰me partit pour l'ŽternitŽ. Voyez-vous, M.F. ? celui qui conna”t sa religion et qui est attachŽ au service de son Dieu, ne regarde pas les souffrances comme des malheurs ; mais il les dŽsire et les regarde comme des biens inestimables. Oui, M.F., mme ds ce monde, celui qui a le bonheur de s'attacher ˆ Dieu, est plus heureux que le monde avec tous ses plaisirs. ƒcoutez saint Paul : Ç Oui, nous dit-il [9] , je suis plus heureux dans mes cha”nes, dans mes prisons, dans le mŽpris et les souffrances, que mes persŽcuteurs ne le sont dans leur libertŽ, dans leur abondance et leur crapule. Mon cÏur est si rempli de joie, qu'il ne peut pas la contenir, elle dŽborde de tous c™tŽs [10] . È Oui, sans doute, M.F., saint Jean-Baptiste est plus heureux dans son dŽsert, abandonnŽ de tout secours humain, qu'HŽrode sur son tr™ne, enseveli dans ses richesses, et plongŽ dans le bonheur de ses inf‰mes passions. Saint Jean est dans son dŽsert, il converse familirement avec son Dieu, comme un ami avec son ami, tandis qu'HŽrode est dŽvorŽ par une secrte crainte de perdre son royaume, ce qui le porte ˆ faire Žgorger tant de pauvres enfants [11] . Voyez encore David : n'est-il pas plus heureux en fuyant la colre de SaŸl, quoique rŽduit ˆ passer les nuits dans les forts [12]  ; trahi et abandonnŽ de ses meilleurs amis, s'unissant pendant ce temps-lˆ ˆ son Dieu et mettant toute sa confiance en lui, n'est-il, pas plus heureux que SaŸl dans les biens et l'abondance des richesses et des plaisirs ? David bŽnit le Seigneur de lui prolonger ses jours pour lui donner le temps de souffrir pour son amour, tandis que SaŸl maudit sa vie et devient lui-mme son bourreau [13] . Pourquoi cela, M.F. ? HŽlas ! c'est que l'un s'attache au service de son Dieu, et que l'autre l'abandonne.

Que conclure de cela, M.F. ? Rien autre chose, sinon que ce ne sont ni les biens, ni les honneurs, ni la vanitŽ qui peuvent rendre l'homme heureux sur la terre ; mais l'attachement seul au service de Dieu, quand nous avons le bonheur d'en avoir connaissance et de le bien remplir. Cette femme qui est mŽprisŽe de son mari n'est donc pas malheureuse dans son Žtat parce qu'elle est mŽprisŽe, mais parce qu'elle ne conna”t pas sa religion, ou parce qu'elle ne pratique pas ce qu'elle lui ordonne. Apprenez-lui sa religion, et, ds que vous verrez qu'elle pratiquera, elle cessera de se plaindre et de se croire malheureuse. Oh ! que l'homme serait heureux, mme sur la terre, s'il connaissait sa religion, et s'il avait le bonheur d'observer ce qu'elle nous commande, s'il considŽrait les biens qu'elle nous propose pour l'autre vie !

Oh ! quel pouvoir n'a pas une personne auprs de Dieu, quand elle l'aime et le sert avec fidŽlitŽ. HŽlas ! M.F., une personne, mŽprisŽe des gens du monde, qui semble n'tre digne que d'tre foulŽe aux pieds, voyez-la se rendre ma”tresse de la volontŽ et de la puissance de Dieu mme. Voyez un Mo•se, qui force le Seigneur d'ac­corder le pardon ˆ trois cent mille hommes bien coupables [14]  ; voyez JosuŽ, qui commande au soleil de s'arrter, le soleil devient immobile [15]  : ce qui n'Žtait jamais arrivŽ et ce qui peut-tre n'arrivera jamais. Voyez les ap™tres, seulement parce qu'ils aimaient le bon Dieu, les dŽmons fuyaient devant eux, les boiteux marchaient, les aveugles voyaient, les morts ressuscitaient. Voyez un saint Beno”t qui commande aux rochers de s'arrter dans leur course, ils restent suspendus en l'air ; voyez-le qui multiplie les pains, qui fait sortir les eaux des rochers, et qui rend les pierres et le bois aussi lŽgers qu'un brin de paille [16]  : Voyez un saint Franois de Paule qui commande aux poissons de venir entendre la parole de Dieu, ils se rendent ˆ son appel avec tant de fidŽlitŽ qu'ils applaudissent ˆ ses paroles [17] . Voyez un saint Jean qui commande aux oiseaux de se taire, ils lui obŽissent [18] . Voyez-en encore d'autres, qui traversent les mers sans aucun secours humain [19] . Eh bien ! mettez donc maintenant en regard tous ces impies et tous ces grands du monde avec tous leurs beaux esprits et leur science ˆ tout faire : hŽlas ! de quoi sont-ils capables ? de rien du tout ; et pourquoi cela ? sinon parce qu'ils ne se sont pas attachŽs au service de Dieu. Oh ! que celui qui conna”t sa religion et qui pratique ce qu'elle commande est puissant et heureux en mme temps !

HŽlas ! M.F., que celui qui vit au grŽ de ses passions et abandonne le service de Dieu est malheureux et capable de bien peu de chose ! Mettez une armŽe de cent mille hommes auprs d'un mort, et que tous emploient leur puissance pour le ressusciter : non, non, M.F., il ne ressuscitera pas ; mais qu'une personne qui est mŽprisŽe du monde et qui est dans l'amitiŽ du bon Dieu, commande ˆ ce mort de reprendre la vie : de suite vous le verrez se lever et marcher. Nous en avons d'autres preuves encore [20] . Si, pour servir le bon Dieu, il fallait tre riche ou bien savant, beaucoup de personnes ne le pourraient pas. Mais non, M.F., les grandes sciences et les grandes richesses ne sont nullement nŽcessaires pour servir le bon Dieu ; au contraire, elles sont bien souvent un trs grand obstacle. Oui, M.F., que nous soyons riches ou pauvres, dans quelque Žtat que nous soyons, savants ou non, nous pouvons plaire ˆ Dieu et nous sauver ; et mme, saint Bonaventure dit que nous le pouvons : Ç dans quelque Žtat ou condition que nous soyons. È ƒcoutez-moi un instant, et vous allez voir que le service de Dieu n'a rien que de quoi nous consoler et nous rendre heureux au milieu de toutes les misres de la vie. Pour cela, vous n'avez besoin de quitter ni vos biens, ni vos parents, ni mme vos amis, ˆ moins qu'ils ne vous portent au pŽchŽ ; vous n'avez pas besoin d'aller passer vos jours dans un dŽsert pour y pleurer vos pŽchŽs ; si encore cela nous Žtait nŽcessaire, nous devrions nous trouver heureux d'avoir un remde ˆ nos maux ; mais non, un pre et une mre de famille peuvent servir le bon Dieu en vivant avec leurs enfants, les Žlevant chrŽtiennement ; un domestique peut bien facilement servir le bon Dieu et son ma”tre, rien n'empche ; au contraire, son travail et l'obŽissance qu'il est obligŽ de donner ˆ ses ma”tres, deviennent un sujet de mŽrites. Non, M.F., la manire de vivre en servant le bon Dieu ne change rien dans tout ce que nous faisons ; au contraire, nous faisons mieux tout ce que nous faisons ; nous sommes plus assidus et plus attentifs ˆ remplir les devoirs de notre Žtat ; nous sommes plus doux, plus humains et plus charitables ; plus sobres dans nos repas, plus rŽservŽs dans nos paroles ; moins sensibles aux pertes et aux injures que nous recevons ; c'est-ˆ-dire, M.F., que quand nous nous attachons au service de Dieu, nous faisons mieux tout ce que nous faisons, nous agissons seulement d'une manire plus noble, plus relevŽe et plus digne d'un chrŽtien. Au lieu de travailler par ambition, par intŽrt, nous ne travaillons que pour plaire au bon Dieu, qui nous le commande, et pour satisfaire ˆ sa justice. Au lieu de rendre service ou de faire l'aum™ne au prochain par orgueil, pour tre estimŽs, nous ne le faisons qu'en vue de plaire ˆ Dieu et de racheter nos pŽchŽs. Oui, M.F., encore une fois, un chrŽtien qui conna”t sa religion et qui la pratique, sanctifie toutes ses actions sans rien changer ˆ ce qu'il fait ; et, sans rien y ajouter, tout devient un sujet de mŽrite pour le ciel. Eh bien ! M.F., dites-moi, si vous aviez bien pensŽ qu'il fžt si doux et si consolant de servir le bon Dieu, auriez-vous pu vivre comme vous avez vŽcu jusqu'ˆ prŽsent ? Ah ! M.F., quel regret, ˆ l'heure de la mort, quand nous verrons que si nous nous Žtions attachŽs au service de Dieu, nous aurions gagnŽ le ciel en ne faisant que ce que nous avons fait ! ï mon Dieu ! quel malheur pour celui qui sera du nombre de ces aveugles !

Maintenant, je vais vous demander si c'est l'extŽrieur de la religion qui vous para”t rebutant et trop difficile ?

Est-ce la prire, les offices divins, les jours d'abstinence, le ježne, la frŽquentation des sacrements, la charitŽ envers votre prochain ? Eh bien ! vous allez voir que, de tout cela, il n'y a rien de pŽnible comme vous l'avez cru.

1¡ Je dis : Est-ce la prire qui est pŽnible ? N'est-ce pas, au contraire, le moment le plus heureux de notre vie ? N'est-ce pas par la prire que nous conversons avec le bon Dieu, comme un ami avec son ami ? N'est-ce pas dans ce moment que nous commenons ˆ faire ce que nous ferons avec les anges dans le ciel ? N'est-ce pas un trop grand bonheur pour nous, qu'Žtant si misŽrables, le bon Dieu, qui est si grand, nous souffre en sa sainte prŽsence, o il nous fait part, avec tant de bontŽ, de toute sorte de consolations ? D'ailleurs, n'est-ce pas lui qui nous a donnŽ tout ce que nous avons ? N'est-il pas juste que nous l'adorions et que nous l'aimions de tout notre cÏur ? N'est-ce pas le moment le plus heureux de notre vie, puisque nous y Žprouvons tant de douceurs ? Est-ce une peine de lui offrir tous les matins, nos prires et nos actions, afin qu'il les bŽnisse et qu'il nous en rŽcompense pour l'ŽternitŽ ? Est-ce trop de lui consacrer chaque semaine un jour ? Ne devons-nous pas, au contraire, voir venir ce jour avec un grand plaisir ; puisque c'est dans ce saint jour que l'on nous apprend les devoirs que nous sommes obligŽs de remplir envers Dieu et notre prochain, et que l'on nous fait concevoir ce grand dŽsir des biens de l'autre vie, qui nous porte ˆ mŽpriser, ce qui est mŽprisable ? N'est-ce pas dans une instruction, que nous apprenons ˆ conna”tre la grandeur des peines que mŽrite le pŽchŽ ? Ne nous sentons-nous pas tout disposŽs ˆ ne plus le commettre, pour Žviter les tourments qui lui sont rŽservŽs ? ï mon Dieu ! que l'homme conna”t peu son bonheur !

Dites-moi : est-ce la confession qui vous rŽpugne ? Mais, mon ami, peut-on trouver un plus grand bonheur que de voir, en moins de trois minutes, changer notre ŽternitŽ malheureuse en une autre ŽternitŽ de plaisirs de joie et de bonheur ? N'est-ce pas la confession qui nous rend l'amitiŽ de notre Dieu ? N'est-ce pas la confession qui Žteint en nous ces remords de conscience, qui nous dŽchirent sans cesse ? N'est-ce pas elle qui donne la paix ˆ notre ‰me, et qui nous donne une nouvelle espŽrance pour le ciel ? N'est-ce pas dans ce moment que JŽsus-Christ semble dŽployer les richesses de sa misŽricorde jusqu'ˆ l'infini ? Ah ! M.F., sans ce sacrement, que de damnŽs de plus et que de saints de moins !... Oh ! que les saints qui sont dans le ciel sont reconnaissants ˆ JŽsus-Christ d'avoir Žtabli ce sacrement !

Dites-moi, M.F., est-ce les ježnes que l'ƒglise vous prescrit qui vous font trouver le service de Dieu pŽnible ? Mais l'ƒglise ne vous en commande pas plus que vous n'en pouvez faire. D'ailleurs, M.F., si nous considŽrions cela avec les yeux de la foi, n'est-ce pas un grand bonheur que, par les petites privations, nous Žvitions les peines du purgatoire qui sont si rigoureuses ? Mais combien, M.F., qui se condamnent ˆ des ježnes bien plus rigoureux, pour conserver leur santŽ et pour contenter leur amour des plaisirs ou leur gourmandise ? Ne verra-t-on pas une jeune femme abandonner ses enfants entre les mains des Žtrangers, et aussi son mŽnage ?... N'en verra-t-on pas d'autres passer souvent des nuits entires dans un cabaret, au milieu des ivrognes, qui souvent regorgent de vin, o elles n'entendent que saletŽs et abominations ? Ne trouve-t-on pas des veuves qui arrachent les quelques minutes qui leur restent ˆ vivre, et qu'elles ne devraient consacrer qu'ˆ pleurer les folies de leur jeunesse..., n'en trouve-t-on pas qui se livrent ˆ toutes sortes de vices, comme des personnes qui ont subitement perdu la tte ? elles servent de scandale ˆ toute une paroisse. Ah ! M.F., si l'on faisait pour le bon Dieu ce que l'on fait pour le monde, que de chrŽtiens iraient au ciel ! HŽlas ! M.F., s'il vous fallait passer des trois ou quatre heures dans une Žglise ˆ prier ; comme vous les passez dans une danse ou dans un cabaret, que le temps vous durerait !... S'il fallait faire plusieurs lieues pour entendre un sermon, comme on le fait pour ses plaisirs ou bien pour contenter son avarice, hŽlas ! M.F., que de prŽtextes, que de dŽtours on prendrait pour ne pas y aller ! mais, pour le monde, rien ne cožte ; et, bien plus, l'on ne craint de perdre ni son Dieu, ni son ‰me, ni le ciel. Oh ! M.F., que JŽsus-Christ avait donc bien raison lorsqu'il disait que les enfants du sicle avaient bien plus de zle pour servir leur ma”tre qui est le monde, que les enfants de lumire n'en ont pour servir leur ma”tre qui est le Seigneur [21] . HŽlas ! M.F., disons-le ˆ notre honte, l'on ne craint ni dŽpenses ni mme de faire des dettes quand il s'agit de ses plaisirs ; mais si un pauvre leur demande, ils n'ont rien : voilˆ ce que c'est, l'on a tout pour le monde et rien pour le bon Dieu, parce que l'on aime le monde et rien le bon Dieu.

Mais quelle est la cause, M.F., que nous abandonnons le service de Dieu ? La voici, M.F. ! Nous voudrions pouvoir servir Dieu et le monde : c'est-ˆ-dire, pouvoir allier l'ambition et l'orgueil avec l'humilitŽ, l'avarice avec cet esprit de dŽtachement que l'ƒvangile demande de nous ; il faudrait pouvoir mler la corruption avec la saintetŽ de la vie divine, ou, pour mieux dire, le ciel avec l'enfer. Si la religion commandait ou du moins permettait la haine et la vengeance, la fornication et l'adultre, si cela pouvait se faire, nous serions tous de bons chrŽtiens ; tous seraient des enfants fidles ˆ leur religion ; le libertinage, ainsi que tous les autres vices, ne feraient plus de rŽprouvŽs. Mais, pour servir le bon Dieu, il n'est pas possible de se pouvoir conduire de cette manire ; il faut absolument tre tout ˆ Dieu ou rien.

Quoique nous ayons dit, M.F., que tout est consolant dans notre sainte religion, comme cela est trs vŽritable, cependant il faut ajouter que nous devons faire du bien ˆ ceux qui nous font du mal, aimer ceux qui nous ha•ssent, conserver la rŽputation de nos ennemis, les dŽfendre, lorsque nous voyons d'autres personnes qui en parlent mal ; et au lieu de leur souhaiter du mal, il faut prier le bon Dieu qu'il les bŽnisse. Bien loin de murmurer, lorsque le bon Dieu nous envoie quelque peine et quelque chagrin, il faut le remercier, ˆ l'exemple du saint roi David, qui baisait la main qui le ch‰tiait [22] . Notre religion veut que nous passions saintement le saint jour du dimanche, en travaillant ˆ nous procurer l'amitiŽ du bon Dieu, si nous avons le malheur de ne pas l'avoir, ou ˆ la conserver si nous sommes si heureux que de l'avoir ; elle veut que nous regardions le pŽchŽ comme notre plus cruel ennemi. Eh bien ! M.F., voilˆ ce qui nous para”t le plus dur et le plus rebutant. Mais, dites­-moi, dans tout cela, n'est-ce pas chercher notre bonheur sur la terre et pour l'ŽternitŽ ? Ah ! M.F., si nous connaissions notre sainte religion, et le plaisir que l'on a en le pratiquant, que tout cela nous para”trait peu de chose ! combien de saints sont allŽs au-delˆ de ce que Dieu demandait d'eux pour leur donner le ciel ! Ils nous ont dit que si l'on avait une fois gožtŽ les douceurs et les consolations que l'on trouve dans le service de Dieu, il serait impossible de le quitter pour servir le monde avec ses plaisirs. Le saint roi David nous dit qu'un seul jour passŽ dans le service de Dieu, vaut mieux que mille de ceux que les mondains passent dans leurs plaisirs et leurs joies profanes [23] .

 

II. – Dites-moi, qui de nous voudrait du service du monde, si nous avions le bonheur, le grand bonheur de comprendre toutes les misres que l'on y Žprouve en cherchant ses plaisirs, et les tourments que l'on se prŽpare pour l'ŽternitŽ ? ï mon Dieu ! que nous sommes aveugles de perdre tant de biens, mme ds ce monde, et encore plus pour l'ŽternitŽ ! Et encore, pour des plaisirs qui n'ont que l'apparence de plaisirs, des joies qui sont mlŽes de tant de chagrins et de tristesses ! En effet, qui voudrait du service de Dieu, s'il fallait autant souffrir et essuyer de soucis, de mortifications et de dŽchirements de cÏur que pour le monde ? Voyez un homme qui s'est mis en tte de ramasser du bien : il n'y a point de vents ni de mauvais temps qui l'arrtent ; il souffre tant™t la faim, tant™t la soif, tant™t le mauvais temps ; il va mme, nombre de fois, jusqu'ˆ exposer sa vie et perdre sa rŽputation. Combien qui vont les nuits pour piller leurs voisins, qui s'exposent ou ˆ tre tuŽs ou ˆ perdre leur rŽputation et celle de toute leur famille. Sans aller si loin, M.F., vous en cožterait-il plus pendant les saints offices, d'tre dans l'Žglise ˆ Žcouter la parole de Dieu avec respect, que d'aller dehors pour y causer de vos affaires temporelles ou de choses qui ne sont rien ? Pendant que nous disons les Vpres, ne seriez-vous pas aussi heureux d'y venir que de rester chez vous ˆ vous ennuyer, pendant que l'on chante les louanges de Dieu. ? Mais, me direz-vous, il y a encore bien des violences ˆ  se faire quand on veut servir le bon Dieu. – Eh bien ! moi, je vous dirai qu'il y a beaucoup moins ˆ souffrir pour suivre Dieu avec sa croix, que pour suivre le monde, pour suivre ses passions, et vous allez le voir. Vous pensez peut-tre qu'il est difficile de pardonner une injure que l'on vous a faite ; mais, dites-moi, lequel des deux souffre le plus, de celui qui pardonne promptement et de bon cÏur pour le bon Dieu, ou de celui qui nourrit, pendant des deux ou trois ans, des sentiments de haine contre son prochain ? N'est-ce pas un ver qui le ronge et le dŽvore continuellement, qui, souvent, l'empche et de manger et de dormir ; au lieu que, l'autre, en pardonnant, a de suite trouvŽ la paix de l'‰me ? N'est-on pas plus heureux de dompter ses passions impures que de vouloir les contenter ? Peut-on une fois les satisfaire entirement ? Non, M.F., jamais : au sortir d'un crime, elles vous portent ˆ un autre, sans vous dire que c'est assez ; vous tes un esclave, elles vous trament partout o elles veulent. Mais, pour mieux vous en convaincre, allons trouver un de ces hommes qui font consister tout leur bonheur dans le plaisir des sens, et qui se jettent ˆ corps perdu dans les ordures des plus inf‰mes et honteuses passions. Oui, M.F., si, avant qu'un tel homme ežt donnŽ dans le libertinage, quelqu'un lui avait fait la peinture de la vie qu'il mne maintenant, aurait-il pu y penser sans horreur ? Si vous lui aviez dit : Mon ami, vous avez deux partis ˆ prendre : ou rŽprimer vos passions ou vous y abandonner. L'un et l'autre a ses plaisirs et ses peines, les voici : vous choisirez lequel des deux vous voudrez. Si vous voulez prendre le parti de pratiquer la vertu, vous aurez bien soin de ne jamais frŽquenter les libertins, vous choisirez vos amis parmi ceux qui pensent et agissent comme vous. Toutes vos lectures seront sur des livres saints, qui vous animeront ˆ la pratique de la vertu, qui vous feront aimer le bon Dieu ; vous concevrez chaque jour un nouvel amour pour lui ; vous emploierez saintement votre temps, et tous vos plaisirs ne seront que des plaisirs innocents, qui, en dŽlassant votre corps, nourriront votre ‰me ; vous remplirez vos devoirs de religion sans affectation, mais avec fidŽlitŽ ; vous choisirez pour vous conduire dans la voie du salut, un sage et ŽclairŽ confesseur, qui ne cherchera que le bien de votre ‰me, et vous suivrez avec fidŽlitŽ tout ce qu'il vous commandera. Voilˆ, mon ami, toutes les peines que vous Žprouverez dans le service de Dieu. Votre rŽcompense sera d'avoir toujours l'‰me en paix et votre cÏur toujours content ; vous serez aimŽ et estimŽ de tous les gens de bien ; vous vous prŽparerez une heureuse vieillesse, exempte d'une infinitŽ d'infirmitŽs, qui ne sont que trop ordinaires ˆ ceux qui passent une jeunesse dŽrŽglŽe ; vos derniers moments seront doux et tranquilles ; de quelque c™tŽ que nous considŽrions votre vie, rien ne pourra vous chagriner, au contraire, tout contribuera ˆ vous rŽjouir. Vos croix, vos larmes et toutes vos pŽnitences ne seront plus que comme des ambassadeurs que le ciel vous enverra pour vous assurer que votre bonheur sera Žternel et que vous n'avez plus rien ˆ craindre. Si, dans ces moments, vous portez vos regards vers l'avenir, vous ne voyez que le ciel ouvert pour vous recevoir ; enfin, vous sortirez de ce monde comme une sainte et chaste colombe qui va s'ensevelir et se cacher dans le sein de son bien-aimŽ ; vous ne quitterez rien, pour tout prendre. Vous n'avez dŽsirŽ que Dieu seul et vous voilˆ avec lui pour toute l'ŽternitŽ. Mais, maintenant, si vous voulez quitter Dieu et son service pour suivre le monde et ses plaisirs, votre vie se passera ˆ toujours dŽsirer et ˆ toujours rechercher, sans jamais tre content ni heureux ; vous aurez beau mettre tout en usage pour cela, vous n'en viendrez jamais ˆ bout. Vous commencerez ˆ effacer de votre esprit les principes de religion que vous avez appris ds votre enfance et que vous avez suivis jusqu'ˆ prŽsent ; vous ne verrez plus ces livres de piŽtŽ qui nourrissaient votre ‰me, et qui la garantissaient de la corruption du monde ; vous ne serez plus ma”tre de vos passions, mais elles vous tra”neront partout o elles voudront ; vous vous ferez une religion ˆ votre mode ; vous lirez quelques mauvais livres, qui ne respireront que le mŽpris de la religion et le libertinage, et vous marcherez dans le chemin qu'ils vous auront tracŽ ; vous ne vous rappellerez vos jours anciens, que vous passiez dans la pratique de la vertu et de la pŽnitence et o vous vous faisiez une si grande joie de vous approcher des sacrements, dans lesquels le bon Dieu vous comblait de tant de gr‰ces, qu'en regrettant de n'avoir pas donnŽ tout ce temps-lˆ aux plaisirs du monde ; vous irez jusqu'ˆ ne rien croire et ˆ tout nier ; et, pour tout dire ˆ la fois, vous ne serez plus qu'un petit impie : dans cette croyance, vous l‰cherez la bride ˆ toutes vos passions, en disant que, puisque tout finit avec la vie, il faut chercher tous les plaisirs que l'on peut gožter. AveuglŽ par vos passions, vous vous prŽcipiterez de pŽchŽs en pŽchŽs, sans mme vous en apercevoir ; vous vous livrerez ˆ tous les excs d'une jeunesse bouillante et corrompue, vous ne craindrez pas de sacrifier votre repos, vos biens, votre santŽ, votre honneur, et votre vie mme ; je ne dis pas votre ‰me, parce que vous croyez que vous n'en avez point. Vous serez la fable de toute une paroisse ; l'on vous regardera comme un monstre, l'on vous fuira et l'on vous craindra ; n'importe, vous vous moquerez de tout cela, vous irez toujours votre train ordinaire, ne suivant plus que la voie de vos passions, qui vous tra”neront partout o elles voudront. Tant™t on vous trouvera auprs d'une jeune personne, ˆ mettre en mouvement tous les artifices et toutes les ruses que le dŽmon vous inspirera pour la tromper, la sŽduire et la perdre ; tant™t, l'on vous verra au milieu de la nuit, ˆ la porte d'une veuve lui offrant toutes les promesses possibles pour la faire consentir ˆ contenter vos inf‰mes dŽsirs. L'on vous verra mme, sans aucun respect pour le droit sacrŽ du mariage, fouler aux pieds toutes les lois de la religion, de la justice et de la nature mme, et vous ne serez plus qu'un inf‰me adultre. Vous en viendrez mme jusqu'ˆ faire des membres de JŽsus-Christ les membres d'une inf‰me prostituŽe. Vous irez encore plus loin, parce que les peines d'esprit et de cÏur ne sont pas les seules peines que vous aurez ˆ dŽvorer en vivant dans le libertinage : les infirmitŽs du corps, un sang appauvri, une vieillesse languissante seront votre partage. Pendant votre vie, vous avez abandonnŽ le bon Dieu ; la mort fera repara”tre cette foi que vous aviez Žteinte par votre mauvaise vie... Si vous reconnaissez que vous avez abandonnŽ le bon Dieu, il vous fera voir qu'il vous a aussi abandonnŽ et rejetŽ pour jamais, et maudit pour une ŽternitŽ ; alors, les remords de la conscience, que vous aviez t‰chŽ d'Žteindre, se feront sentir et vous dŽvoreront, malgrŽ tout ce que vous pourrez faire pour les Žtouffer ; tout vous troublera et vous jettera dans le dŽsespoir. Si vous voulez repasser votre vie, vous ne compterez vos jours que par le nombre de vos crimes, qui vous seront comme autant de tyrans qui vous dŽchireront sans cesse ; votre vie ne vous prŽsentera que des gr‰ces mŽprisŽes et qu'un temps bien prŽcieux que vous aurez perdu ; vous aviez besoin de tout et vous n'avez profitŽ de rien. Si vous voulez considŽrer l'avenir : les tourments dont votre ‰me sera dŽvorŽe vous feront croire que les flammes qui bržlent les malheureux rŽprouvŽs semblent dŽjˆ vous atteindre ; le monde, que vous aviez tant aimŽ, ˆ qui vous aviez tant craint de dŽplaire, ˆ qui dŽjˆ vous aviez sacrifiŽ votre Dieu et votre ‰me, vous abandonne et vous rejette pour jamais. Vous avez voulu suivre ses plaisirs : maintenant, c'est-ˆ-dire dans le moment o vous auriez besoin de tant de secours, vous serez abandonnŽ ˆ vous-mme ; votre seule ressource sera le dŽsespoir, et, bien plus, vous mourrez, et en tombant en enfer, vous direz que le monde vous a sŽduit ; mais que, trop tard, vous avez reconnu votre malheur. Eh bien ! M.F., que pensez-vous de tout cela ? Voilˆ cependant les peines et les joies de tous ceux qui vivent dans la vertu, et celles de ceux qui vivent pour le monde.

Oh ! M.F., quel malheur pour celui qui ne veut que le monde et qui laisse de c™tŽ le salut de son ‰me !... Oh ! M.F., que celui qui a le grand bonheur de ne chercher que Dieu seul et le salut de son ‰me, passe sa vie heureuse ! Que de peines de moins ! que de plaisirs de plus dans le service de Dieu ! que de remords de conscience ŽpargnŽs ˆ l'heure de la mort ! que de tourments ŽvitŽs pour l'ŽternitŽ !... Oh ! M.F., que notre vie serait heureuse, malgrŽ tout ce que nous pouvons Žprouver de la part du monde et du dŽmon, si nous avions le bonheur de nous attacher au service de Dieu, en mŽprisant le monde et tout ce qui le suit ! Oh ! M.F., que le service de Dieu fait un grand changement en celui qui est si heureux que de ne chercher que Dieu sur la terre ! Si vous tes avec un orgueilleux qui ne veut rien souffrir ; priez le bon Dieu qu'il l'attache ˆ son service : alors vous verrez tout changer en lui ; il aimera le mŽpris et se mŽprisera lui-mme. Un mari ou une femme sont-ils malheureux dans leur mŽnage ? t‰chez de leur faire em­brasser le service de Dieu ; alors, vous ne les verrez plus se regarder comme malheureux, mais la paix et l'union rŽgnera entre eux. Un domestique est-il traitŽ durement de ses ma”tres ? conseillez-lui de s'adonner au service de Dieu ; ds lors, vous le verrez ne plus se plaindre, il bŽnira mme la bontŽ de Dieu de lui faire faire son purgatoire en ce monde. Disons mieux, M.F., une personne qui conna”t sa religion et qui la pratique, n'est plus pour elle-mme, mais elle ne tend qu'ˆ rendre heureux son prochain. Pour mieux vous le faire sentir, en voici un bel exemple.

Nous lisons dans l'histoire, qu'il y avait dans la ville de Toulouse, un saint prtre, que son zle et sa charitŽ faisaient considŽrer dans toute la ville comme le pre des pauvres. Quoiqu'il fžt trs pauvre lui-mme, les se­cours ne lui manquaient pas. Un jour, une femme dŽvote vint lui annoncer qu'on venait de mettre son mari en prison et qu'il lui restait quatre enfants ; que si quel­qu'un n'avait pas pitiŽ d'elle et de ses enfants, ils ne pouvaient que mourir de faim. Ce saint prtre, attendri jusqu'aux larmes, quoiqu'il v”nt dŽjˆ de faire la qute, repart pour redemander, surtout ˆ un riche nŽgociant. Mais, dans le moment o ce prtre entrait, le marchand venait de recevoir une lettre qui lui annonait une perte considŽrable. Le prtre, sans rien savoir, lui fait le rŽcit des misres de cette famille. Le marchand lui dit d'un air bourru : Ç Vous voilˆ encore, c'en est trop. È – Ç Ah ! monsieur, si vous saviez ! lui dit le prtre. È – Ç Non, non, je ne veux rien savoir, retirez-vous promptement. È – Ç Mais, monsieur, lui dit le prtre, que deviendra cette pauvre famille ? ah ! je vous en con­jure ayez pitiŽ de ses malheurs ! È L'autre, tout occupŽ de son malheur, se tourne contre le prtre ; et lui donne un rude soufflet. Le prtre, sans faire para”tre la moin­dre Žmotion, lui prŽsenta l'autre joue, en lui disant : Ç Monsieur, frappez tant que vous voudrez, pourvu que vous donniez pour soulager cette famille. È Le mar­chand, tout ŽtonnŽ de cela, lui dit : Ç Eh bien ! venez avec moi ; È et, le prenant par la main, il le conduisit dans son cabinet, lui ouvrit son coffre-fort : Ç Prenez tout ce que vous voudrez. È – Non, monsieur, lui dit humblement le prtre, donnez-moi ce que vous voudrez. È Le marchand plonge ses deux mains dans ses sacs, en lui disant : Ç Venez toutes les fois que vous voudrez. È Ah ! M.F., que la religion est quelque chose de prŽcieux pour celui qui la conna”t.

En effet, tout ce qu'il y a de bien dans le monde ce n'est que la religion qui l'a produit. Tous ces h™pitaux, tous ces sŽminaires, toutes ces maisons d'Žducation, tout cela n'a ŽtŽ Žtabli que par ceux qui sont attachŽs au service de Dieu. Ah ! si les pres et mres connaissaient combien ils seraient heureux eux-mmes, et combien ils contribueraient ˆ faire glorifier Dieu en Žlevant sainte­ment leurs enfants ! Ah ! s'ils Žtaient bien convaincus qu'ils tiennent la place de Dieu mme sur la terre, qu'ils travailleraient ˆ se rendre mŽritoires les mŽrites de la mort et passion de JŽsus-Christ !...

Concluons, M.F., en disant que jamais, en suivant le monde, en voulant contenter nos penchants, nous ne serons heureux, ni nous ne pourrons trouver ce que nous cherchons ; au lieu qu'en nous attachant au service de Dieu, toutes nos misres seront bien adoucies, ou plut™t, elles se changeront en joie et en consolation, pensant que nous travaillons pour le ciel. Quelle diffŽ­rence entre celui qui meurt aprs avoir mal vŽcu et celui qui meurt aprs avoir bien vŽcu ; il n'a plus que le ciel pour partage ; tous ses combats vont finir ; son bonheur, qu'il voit dŽjˆ devancŽ, va commencer pour ne plus finir ! Oui, M.F., donnons-nous ˆ Dieu tout de bon, et nous Žprouverons ces grands bienfaits que Dieu ne refusera jamais ˆ celui qui l'aura aimŽ ! C'est le bonheur que je vous souhaite.



[1] MATTH. XI, 29-30.

[2] C'est-ˆ-dire celui qui ne regarde que les besoins du corps, en disant : Que mangerons-nous, de quoi nous vtirons-nous ? (Note du Saint.) 

[3] MATTH. V, 3 ; XIX, 23.

[4] MATTH. V, 5,10.

[5] LUC. VI, 25.   

[6] JOAN. XV, 20 ; LUC. VI, 23.

[7] Voir RibadŽneira, au 30 novembre. C'est dans cet auteur que le Saint a puisŽ le rŽcit du martyre du saint ap™tre et beaucoup d'autres traits de la vie des Saints qu'il rapporte.

[8] Saint Bernard, citŽ par RibadŽneira.

[9] ACT. XXVI, 29.

[10] II COR. VII, 4.  

[11] MATTH. II, 16.

[12] I REG. XXIII.

[13] I REG. XXXI. 

[14] EXOD. XXXII, 31.

[15] JOS. X, 12. 

[16] Voir Les Vies des Saints, par RibadŽneira, t. III, 21 mars.

[17] Ce miracle des poissons est bien racontŽ dans la vie de S. Antoine de Padoue, mais non, que nous sachions du moins, dans celle de S. Franois de Paule.

[18] Ce miracle est racontŽ dans la vie de S. Franois d'Assise.  

[19] Par exemple S. Raymond de Pegnafort et S. Franois de Paule, citŽ plus haut.

 Pour tous ces traits, voir dans RibadŽneira, les vies de ces saints.

[20] Mettez tous ces empereurs tels qu'un NŽron, un Maximien, un DioclŽtien... Voyez le prophte Elie ; il Žtait seul pour faire descendre le feu du ciel sur le sacrifice, et les prtres de Baal Žtaient cinq cents. (Note du Saint.)

[21] LUC. XVI, 8.

[22] II REG. XVI, 12.

[23] PS. LXXXIII, 1l.

 

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