A quoi, M.F., pouvons-nous attribuer cet air de zèle et d'indignation, que Jésus-Christ laisse éclater aujourd'hui sur son visage ? Nous le voyons ailleurs s'établir juge de la femme adultère, mais seulement pour avoir la douce consolation de ne là pas condamner[1] ; nous le voyons pardonner avec bonté tous les scandales et les désordres les plus affreux d'une pécheresse[2] ; il nous montre sa miséricorde envers tous les pécheurs repentants, dans la parabole de l'enfant prodigue[3]. A peine aperçoit-il Jérusalem, cette ville ingrate, qu'il est touché de compassion, et ses yeux adorables laissent couler des larmes amères. « Ah ! ville criminelle qui as tué les prophètes que mon père avait envoyés pour t'annoncer la grandeur de ses bienfaits ! Tu vas mettre le comble à la barbarie, en faisant mourir ton Dieu et ton Sauveur ! Ah ! si tu voulais au moins, en ce jour qui t'est donné, recevoir la grâce que je te présente ! Mais non, c'est en vain que je te presse[4] ! » Vous le voyez, M.F., ce n'est partout que bonté et amour. Qui peut donc aujourd'hui, dites-moi, lui ravir cette clémence, et armer ses mains bienfaisantes des verges de la justice ? Ah ! c'est que l'on profane la maison de son Père, c'est qu'on en fait une caverne de voleurs, une maison de trafic ! Cette profanation est pour lui un glaive qui perce vivement son tendre cœur. L'amour pour son Père et le zèle de sa gloire ne peuvent plus se contenir ; à peine est-il entré dans la ville de Jérusalem, qu'il se rend aussitôt dans le temple pour reprocher aux Juifs l'horrible profanation qu'ils font du lieu destiné à la prière. II ne leur donne pas même le temps de fuir ; il prend lui-même les tables, les marchandises, et renverse tout par terre. Ah ! M.F., faut-il qu'elles soient affreuses les irrévérences commises dans les églises, dont le temple de Salomon n'était pourtant que la figure ! Avec quel respect, avec quel recueillement et quelle dévotion ne devrions-nous pas venir dans nos églises ? Afin de mieux vous le faire comprendre, je vais vous montrer quelles sont les pensées qui doivent nous occuper 1° en venant à l'église, 2° pendant que nous y sommes, et 3° lorsque nous en sortons.
I.- Qui pourra jamais comprendre notre aveuglement, si nous considérons, d'un côté, les grâces que le bon Dieu nous prépare dans son saint temple, le besoin que nous en avons, le désir ardent qu'il nous montre de nous les vouloir donner ; de l'autre, notre ingratitude et notre peu d'empressement pour correspondre à ses bienfaits ? Lorsque notre devoir nous appelle dans un lieu si saint, ne dirait-on pas que nous ressemblons à des criminels conduits devant leurs juges pour être condamnés au dernier des supplices, plutôt qu'à des chrétiens que l'amour seul devrait conduire à Dieu ! Oh ! que nous sommes aveugles, M.F., d'avoir si peu à cœur les biens du ciel, tandis que nous sommes si portés pour les choses du monde !
En effet, quand il s'agit d'affaires temporelles, ou même de plaisirs, l'on en sera tout préoccupé, l'on y pensera d'avance, l'on y réfléchira ; mais, hélas ! quand il s'agit du service de notre Dieu et du salut de notre pauvre âme, ce n'est qu'une espèce de routine et une indifférence inconcevable. Veut-on parler à un grand du monde, lui demander quelque grâce ? L'on s'en occupe longtemps d'avance ; l'on va consulter les personnes que l'on croit plus instruites, pour savoir la manière dont il faut se présenter ; l'on paraît devant lui avec cet air de modestie et de respect, qu'inspire ordinairement la présence d'un tel personnage. Mais quand on vient dans la maison du bon Dieu, ah ! ce n'est plus cela. Personne ne pense à ce qu'il va faire, à ce qu'il va demander à Dieu. Dites-moi, M.F., quel est celui qui, en allant à l'église, se dit à lui-même : Où vais-je ? est-ce dans la maison d'un homme, ou dans le palais d'un roi ! Oh ! non, c'est dans la maison de mon Dieu, dans la demeure de celui qui m'aime plus que lui-même, puisqu'il est mort pour moi ; qui a ses yeux miséricordieux ouverts sur mes actions, ses oreilles attentives à mes prières, toujours prêt à m'exaucer et à me pardonner. Pénétrés de ces belles pensées, que ne disons-nous comme le saint roi David « O mon âme, réjouis-toi, tu vas aller dans la maison du Seigneur[5] », lui rendre tes hommages, lui exposer tes besoin, écouter ses divines paroles, lui demander ses grâces ; oh ! que j'ai de choses à lui dire, que de grâces j'ai à lui demander, que de remerciements j'ai à lui faire ! je lui parlerai de toutes mes peines, et je suis sûr qu'il me consolera ; je lui ferai l'aveu de mes fautes, et il va me pardonner ; je vais lui parler de ma famille, et il la bénira par toutes sortes de bienfaits. Oui, mon Dieu, je vous adorerai dans votre saint temple, et j'en reviendrai plein de toutes sortes de bénédictions.
Dites-moi, ! M.F., est-ce bien là la pensée qui vous occupe, lorsque vos devoirs vous appellent dans l'église ? sont-ce bien là les pensées que vous avez, après avoir passé toute la pauvre matinée à parler de vos ventes et de vos achats, ou du moins, de choses entièrement inutiles ? Vous venez à la hâte entendre une sainte Messe, qui, souvent, est à moitié dite. Hélas ! si j'osais le dire, combien vont visiter le lieu de l'ivrognerie avant leur Créateur, et, venant à l'église la tête remplie de vin, s'entretiennent d'affaires temporelles jusqu'à la porte ! O mon Dieu ! sont-ce là, des chrétiens, qui doivent vivre comme des anges sur la terre ?... Et vous, ma sœur, vos sentiments sont-ils meilleurs, lorsque, après avoir occupé votre esprit et une partie de votre temps à penser comment vous allez vous habiller pour mieux plaire au monde, vous venez ensuite dans un lieu où vous ne devriez venir que pour pleurer vos péchés ? Hélas ! bien souvent, le prêtre monte à l'autel que vous êtes encore à vous contempler devant une glace de miroir, à vous y tourner et retourner. O mon Dieu ! sont-ce bien là des chrétiens, qui vous ont pris pour leur modèle, vous qui avez passé votre vie dans les mépris et les larmes !... Écoutez, jeune fille, ce que vous apprend saint Ambroise, évêque de Milan. Étant à la porte de l'église et voyant. une jeune personne parée avec beaucoup de soins, il lui adressa ces parles : « Où allez-vous, femme ? » Elle lui répondit qu'elle allait à l'église. « Vous allez à l'église, lui dit le saint évêque, l'on dirait bien plutôt que vous allez à la danse, à la comédie ou au spectacle ; allez, femme pécheresse, allez pleurer vos péchés en secret, et ne venez pas à l'église insulter par vos vains ajustements, un Dieu humilié. » Mon Dieu ! que ce siècle nous fournit des……… ! Combien de jeunes personnes, en venant à l'église, ne sont occupées que d'elles-mêmes et de leurs parures ! Elles entrent dans le temple du Seigneur en disant au fond de leur cœur : « Regardez-moi. » En voyant ces tristes dispositions, ne devrait-on pas verser des larmes ?
Et vous, pères et mères, quelles sont vos dispositions, lorsque vous venez à l'élise, à la Messe. Hélas ! il faut bien le dire avec douleur, ce sont le plus souvent les pères et les mères, que nous voyons entrer dans l'église alors, que le prêtre est déjà à l'autel ou même en chaire ! – « Ah ! me direz-vous, nous venons bien quand nous pouvons, nous avons autre chose à faire. » – Sans doute, vous avez autre chose à faire ; mais je sais bien aussi que si vous n'aviez pas laissé pour le dimanche mille choses de votre ménage que vous deviez faire le samedi, et, si vous vous étiez levés un peu plus matin, vous auriez eu fait tout cela avant la sainte Messe, et vous seriez arrivés avant que le prêtre ne fût monté à l'autel. Il en serait de même pour vos enfants et vos domestiques, si vous ne leur commandiez pas jusqu'au dernier coup de la Messe, ils y arriveraient au commencement. Je ne sais pas si le bon Dieu voudra bien recevoir tous ces prétextes, je ne le crois guère.
Mais pourquoi, M.F., parler en particulier, n'est-ce pas la plus grande partie qui agit de la sorte ? Oui, quand on vous appelle dans l'église pour vous y distribuer les Grâces du bon Dieu, n'aperçoit-on pas en vous ce peu d'empressement, cette nonchalance, ce dégoût qui vous dévore, cette dissipation presque générale ? Dites-moi, voit-on beaucoup de monde quand on commence les saints offices ? Les vêpres ne sont-elles pas souvent à moitié dites, quand vous êtes tous arrivés ? – « Nous avons de l'ouvrage », me dites-vous. – Eh ! mes amis, si vous me disiez que vous n'avez ni foi, ni amour de Dieu, ni désir de sauver votre pauvre âme, je vous croirais bien mieux. Hélas ! que peut-on penser de tout cela ?... Il y a de quoi gémir en voyant de pareilles dispositions dans la plupart des chrétiens ! Plusieurs semblent ne venir à l'église que malgré eux, ou, si j'osais dire, il semble qu'on les y traîne. De la maison jusqu'à l'église, l'on ne parle que d'affaires temporelles ; quelques jeunes filles ensemble ne parlent que de la vanité, de la beauté, et le reste ; les jeunes gens, des jeux, des plaisirs, et autres choses encore plus mauvaises ; les pères ou mères de maisons causeront de leurs biens, de leurs ventes ou de leurs achats ; les mères ne seront occupées que de leur ménage et de leurs enfants : personne n'oserait nier cela. Hélas ! pas une seule pensée sur le bonheur qu'ils vont avoir, pas une seule réflexion sur les besoins de leur pauvre âme, ni de celle de leurs enfants et de leurs domestiques ! Ils entrent dans le saint temple sans respect, sans attention, et plusieurs, le plus tard possible. Combien d'autres ne se donnent pas la peine d'entrer, et restent dehors, afin de mieux trouver à se dissiper ? La parole de Dieu ne trouble pas leur conscience : ils regardent ceux qui vont et qui viennent... Mon Dieu ! sont-ce là des chrétiens pour lesquels vous avez tant souffert, afin de les rendre heureux ? Voilà donc toute leur reconnaissance ?…
Avec de telles dispositions, que de péchés se commettent pendant les saints offices ! Que de personnes font plus de péchés le dimanche, que dans toute la semaine !... Écoutez ce que nous apprend saint Martin. Tandis qu'il chantait la sainte Messe avec saint Brice son disciple, il s'aperçut que celui-ci souriait. Après que tout fut fini, saint Martin lui demanda ce qui l'avait fait sourire. Saint Brice lui répondit : « Mon père, j'ai vu quelque chose d'extraordinaire pendant que nous chantions la sainte Messe : j'ai vu derrière l'autel un démon, il écrivait sur une grande feuille de parchemin les péchés qui se commettaient dans l'église, et sa feuille a été plutôt remplie que la sainte Messe achevée ; ce démon a pris ensuite ce papier avec les dents, il a tiré si fort, qu'il l'a déchiré en plusieurs morceaux. Voilà, mon père, ce qui m'a fait sourire. » Que de péchés et même mortels, nous commettons pendant les saints offices par notre peu de dévotion et de recueillement ! Hélas ! que sont devenus ces temps heureux où les chrétiens passaient, non seulement le jour, mais encore la plus grande partie des nuits dans l'église, à pleurer leurs péchés, ou à y chanter les louanges du Seigneur ? Voyez même dans l'Ancien Testament, voyez sainte Anne la prophétesse, qui s'était retirée dans une tribune, pour ne plus quitter la présence, de Dieu[6]. Voyez le saint vieillard Siméon ; voyez encore Zacharie et tant d'autres, qui ont passé la plus grande partie de leur vie dans le temple du Seigneur[7]. Mais aussi, combien ne sont-elles pas grandes et précieuses, les grâces que le bon Dieu leur accordait. Dieu, pour récompenser sainte Anne, voulut qu'elle fût la première à connaître Jésus-Christ. Le saint vieillard Siméon fut aussi le premier après saint Joseph qui eut le bonheur, le grand bonheur de porter, le Sauveur du monde sur ses bras. Saint Zacharie fut choisi pour être le père d'un enfant destiné à être l'ambassadeur du Père Éternel, pour annoncer la venue de son Fils dans le monde. Que de grâces le bon Dieu n'accorde-t-il pas à ceux qui se font un devoir de venir le visiter dans son saint temple autant qu'ils le peuvent ?
Dans le Nouveau Testament ne voyons-nous pas que les saints ont fait consister tout leur bonheur à venir adorer Jésus-Christ dans son temple ? Pourquoi, M.F., tant de communautés, qui passent une partie de la nuit en prières, dans leur église, tandis que nous dormons ? C'est pour tenir compagnie à Jésus-Christ dans son tabernacle. Aussi voyez combien cela fait plaisir à Jésus-Christ. Il est rapporté qu'un saint prêtre couchait toutes les nuits sur le marchepied de l'autel, afin d'être plus près de Jésus-Christ. Le bon Dieu permit qu'il y mourût ; il fut enterré dans le même endroit. Un autre couchait à la sacristie pour la même raison. Lorsque saint Louis était en voyage, au lieu de passer la nuit dans un lit, il la passait dans une église : si on lui disait qu'il ne pourrait pas y tenir, il leur répondait qu'il se trouvait mieux que quand il la passait dans son lit, tant il goûtait de consolations en la compagnie d'un si bon Maître.
Si, M.F., nous ne sommes pas portés à des actions si agréables à Dieu, au moins pendant le peu de temps que nous passons à l'église, soyons bien pénétrés et convaincus que nous sommes en la sainte présence de notre Dieu, qui ne nous y appelle que pour nous combler de ses bienfaits et nous faire travailler au salut de notre pauvre âme. Allons-y avec un saint empressement, mais aussi avec beaucoup de respect, dans la crainte d'attirer sur nous les châtiments de Dieu, par notre peu de dévotion et nos irrévérences. En voici un exemple bien frappant. Nous lisons dans l'Écriture sainte[8] qu'Héliodore, un des premiers officiers du roi d'Assyrie, envoya une troupe de soldats pour profaner le temple de Jérusalem ; mais ils furent tous renversés à terre, et s'enfuirent avec précipitation. Il y alla lui-même pour y commettre toutes sortes d'impiétés. Mais à peine y fut-il entré, que deux anges le prirent, et le frappèrent si rudement, qu'il serait resté sous les coups, sans le prêtre Onias qui demanda grâce pour lui. Combien de fois, M.F., les anges, nous voyant paraître avec tant de dissipation, pour ne pas dire d'impiété, ne nous frapperaient-ils pas de mort, si Jésus-Christ dont la bonté est infinie ne les arrêtait pas ? Saint Paul nous dit que Dieu perdrait et punirait rigoureusement ceux qui oseraient profaner son temple[9]. Que devons-nous donc faire en venant à l'église ? Le voici. Il faut nous occuper, en chemin, de nos misères, des grâces que nous allons demander au bon Dieu, et de la grandeur de Celui devant lequel nous allons paraître. Notre préparation doit commencer dès que nous nous éveillons le, matin, en parlant si peu que nous pourrons, et notre esprit ne doit être occupé que de ce qui a rapport à Dieu. Laissons de côté les choses temporelles, parce que ce jour est pour notre âme. Mais quelles sont les pensées qui doivent nous occuper pendant que nous sommes dans la maison du bon Dieu, c'est-à-dire auprès de Jésus-Christ qui est notre Père, notre Sauveur et notre Médiateur ? Nous allons le voir.
II. – Oh ! quel spectacle, M.F., pour un chrétien qui n'a pas entièrement perdu la foi ! que d'objets capables de toucher et d'attendrir son cœur ! Quand nous entrons dans une église, pénétrons-nous de cette pensée que c'est la maison du bon Dieu et le lieu où sont renfermées toutes les grâces du ciel. De quelque côté que nous portions nos regards, tout nous y parlera de Dieu, de notre vocation, de nos espérances, de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous deviendrons. Pouvons-nous, M.F., trouver quelque chose de plus capable de fixer notre attention et de nous inspirer des sentiments de la plus tendre dévotion ? Entrons, nous y trouverons d'abord de l'eau bénite, qui a été sanctifiée par les prières de l'Église, elle semble nous montrer avec quelle pureté et quelle sainteté nous devons entrer dans ce saint lieu pour plaire à Jésus-Christ ; car, si nous sommes coupables de péchés, nous ne devons y venir que pour les y pleurer, pleins de crainte que Dieu ne nous en punisse dans ce saint lieu où les anges ne sont qu'en tremblant. Un autre motif qui doit nous engager à prendre cette eau bénite avec beaucoup de respect et de douleur de nos péchés, c'est qu'elle commencera à mettre en notre âme de bien bonnes dispositions pour entendre la sainte Messe.
Si nous levons les yeux plus haut, le premier objet qui se présente à nos regards, c'est le crucifix. Oh ! M.F., que cette image est capable d'attendrir nos cœurs et de nous faire pleurer nos péchés ! Que de grandes vérités elle nous rappelle ! Jésus-Christ ne semble-t-il pas nous dire du haut de cette croix où il est attaché : « Ah ! mes enfants, voyez et considérez s'il y a une douleur semblable à la mienne ; voyez et considérez combien le péché est énorme et mon amour immense ; voyez ce pauvre corps tout en lambeaux et meurtri par les souffrances de ma douloureuse passion ; voyez cette tête percée d'horribles épines ! Ah ! chrétiens, pouvez-vous bien considérer ce corps tout couvert de plaies, sans pleurer vos péchés qui en sont la cause ? Mes enfants, c'est mon amour et vos péchés qui m'ont attaché à cette croit, et vous continuez à m'outrager ! Arrêtez, arrêtez ! mes enfants. Ah ! cessez au moins de me persécuter en m'insultant dans mon temple ! » Pouvons-nous bien regarder ce tendre Sauveur, étendu sur cette croix, sans être pénétrés de respect et agités d'un saint tremblement ?...
Si nous nous tournons d'un autre côté, nous y voyons les fonts sacrés du baptême qui semblent nous dire « Ah ! chrétiens, souvenez-vous qu'avant d'être portés ici, vous étiez des enfants de colère, de vils esclaves de Satan, bannis pour jamais de la présence de votre Dieu ; oui, c'est ici que vous avez été lavés par le sang adorable de Jésus-Christ. Oui, c'est ici que le ciel vous a été ouvert, et que le Sauveur lui-même est devenu votre récompense et votre félicité. » Oh ! M.F., quelle joie et quelle reconnaissance ne devons-nous pas avoir, en portant les yeux sur ces fonts sacrés qui nous ont procuré tant de biens ! Ne l'oublions pas : au tribunal de Dieu, ils nous seront montrés, comme pour nous reprocher nos prévarications. Nous verrons les promesses que nous avons faites, et, en même temps, le nombre de fois que nous les aurons violées et foulées aux pieds. Cette seule pensée doit être capable de nous couvrir de confusion. Si cela n'est pas assez puissant pour nous toucher, portons nos regards vers ce confessionnal ; n'est-il pas l'asile et l'espérance des pécheurs qui veulent revenir à Dieu ? Un chrétien ne doit-il pas s'écrier, en voyant cette fontaine de grâces et de miséricorde : Oui, c'est là, dans ce bain salutaire, que je peux venir avec confiance recouvrer la grâce de mon Dieu si j'ai eu le malheur de la perdre ? Oh ! quel bonheur, quelle confiance et quelle reconnaissance, pour un chrétien qui a perdu son Dieu par le péché, d'avoir un moyen si sûr de le retrouver ! Mais aussi, quels reproches ne fait-il pas à ces pécheurs endurcis, qui aiment mieux mourir et être damnés, que de profiter de ce moyen qui leur rendrait l'amitié de Dieu et la jouissance du ciel ? Oh ! qui pourra jamais comprendre le malheur du pécheur ? Dieu pleure sa perte, lui offre tout pour le sauver, sans pouvoir y réussir !...
Cette chaire, M.F., lors même que je ne vous parle pas, pouvez-vous bien la regarder sans vous rappeler les vérités qui vous y ont été annoncées, et les nombreux moyens qui vous ont été donnés pour arriver au ciel, votre véritable patrie ? Ne semble-t-elle pas aussi vous reprocher votre ignorance, la dureté de votre cœur et le dérèglement de votre vie, malgré tant d'instructions que vous avez entendues ? Regardons-la bien ; cette même chaire au jour du jugement se lèvera pour nous accuser, si nous continuons à mépriser cette parole qui en a tant converti d'autres, tandis que cela n'a servi qu'à nous rendre plus coupables par le mépris que nous en avons fait. La Table sainte que nous dit-elle ? M.F., pouvons-nous bien considérer ces nappes étendues, sans sentir nos cœurs tout brûlants d'amour et de reconnaissance ? Dites-moi ! Avons-nous bien pensé que c'est ici que nous avons eu le bonheur de manger le Pain des anges, que là, notre Dieu s'est donné à nous en nourriture, que là, Jésus-Christ a pris possession de notre âme et de notre cœur ? Avons-nous bien réfléchi que c'est à cette Table sainte que nous avons reçu le baiser de paix ? O bonheur trop grand, mais trop peu connu des chrétiens de nos jours !...
Mais, montez plus haut, M.F., et vous verrez un autre spectacle encore plus touchant. Cet autel ! sera-t-il bien possible d'y porter nos regards sans mouiller le pavé de nos larmes ?... O Religion sainte, que tu es belle, que tu es riche et capable de rendre heureux un chrétien qui te connaît ! Oh ! que ce nouveau Calvaire nous rappelle à lui seul de mystères ! Dites-moi, avez-vous jamais bien pensé que c'est là que le Père Eternel consomme sa justice, en immolant chaque jour son divin Fils ? Avez-vous jamais bien réfléchi que c'est sur ce même autel que ce même Père consomme sa miséricorde, en y sacrifiant chaque jour ce Fils bien-aimé pour le salut de nos âmes, que c'est là qu'il paie toutes les dettes dont nous sommes redevables envers la justice de son Père ? Ah ! disons mieux : cet autel est comme le sein de Marie, où un Dieu s'incarne chaque ,jour entre les mains du prêtre. Oui, c'est la crèche où il prend une seconde naissance, c'est, sur cet autel qu'il s'immole comme autrefois sur le Calvaire. Que dis-je ? c'est vraiment un deuxième ciel où il est assis à la droite de son Père pour être notre Médiateur. O mon Dieu ! que de grandes merveilles nous annonce cet autel ! Je pourrais encore vous dire que c'est ici que Jésus-Christ détruit la mort du péché, pour nous donner la vie de la grâce, et qu'il paie, par l'effusion de tout son sang adorable, tout ce que nous devons à la justice de son Père. Dites-moi, comment, à la vue de tant de bienfaits de la part d'un Dieu, ne devrions-nous pas sentir nos cœurs brûler, se fondre d'amour devant cet autel comme la cire devant le feu ?
La lampe même, ne semble-t-elle pas nous dire que Jésus-Christ est véritablement présent dans le tabernacle, et que si nous sommes pécheurs, nous pouvons y venir pleurer nos péchés, nous y trouverons notre pardon ? Ces images qui sont, exposées à nos regards, ne nous disent-elles pas que les saints qu'elles représentent ont passé leur vie dans l'humilité, le mépris et les souffrances, et qu'ils l'ont finie pour la plupart dans les tourments les plus affreux ?» Oh ! nous crient ces saints du ciel, si vous pouviez comprendre combien nos souffrances sont récompensées, avec quelle ardeur ne marcheriez-vous pas sur nos traces ! » Que vous disent, M.F., ces morts, sur lesquels vous êtes maintenant, puisque autrefois l'on enterrait dans les églises ? Ne nous disent-ils pas : « Oh ! que vous êtes insensés de vous attacher si fort à la vie et de perdre de vue votre éternité ? Dans quelques moments vous quitterez la terre avec des regrets ; le monde est un trompeur, qui, après nous avoir séduits, nous précipite pour jamais dans les flammes. » Oui, M.F., les pierres même de cette église, unies par le ciment, nous montrent la charité et l'amour que nous devons avoir les uns envers les autres. Disons plus : tout ce qui est dans l'église nous instruit et nous porte à Dieu. Les cierges qui se consument en la présence de Jésus-Christ présent dans ce tabernacle, nous montrent qu'un chrétien doit employer toute sa vie au service et au salut de son âme. L'encens qui brûle semble nous dire que nos cœurs doivent être tout ardents pour Dieu ; que toutes nos pensées et nos désir doivent se tourner vers le ciel notre patrie. Le chant, comme dit saint Augustin[10], doit attendrir notre cœur, et lui faire verser des larmes d'amour, ainsi qu'il lui arrivait dans l'église de Milan, en entendant chanter des hymnes et des cantiques à la gloire de Dieu. « O mon Dieu ! s'écriait ce grand saint, quelle sera donc la joie que nous éprouverons, lorsque nous entendrons les anges chanter leurs beaux cantiques d'allégresse éternelle ! »
Convenez avec moi, que si nous faisions attention à tout cela, nous aurions une vraie dévotion, et un grand respect pendant les saints offices. Si nous aimions tant soit peu le bon Dieu, des objets si touchants ne devraient-ils pas enflammer notre cœur d'amour et de reconnaissance, et remplir notre esprit de saintes pensées ? Ne devrions-nous pas dire comme le saint roi David : « O mon Dieu, qu'il fait bon habiter dans votre saint temple, un jour nous y rend plus heureux que mille dans les assemblées des grands du monde[11]. » Oui, M.F., si nous pensions sérieusement que nos églises sont un autre ciel, où Jésus-Christ daigne habiter parmi nous, et qu'il est le même Dieu que celui que les anges n'adorent qu'en tremblant ; dites-moi, M.F., oserions-nous nous y tenir sans respect, dans une dissipation presque scandaleuse, riant, tournant la tête, tenant des conversations tout à fait mondaines, et peut-être y donnant des rendez-vous ? Ah ! M.F., qu'ils outragent le bon Dieu, ceux qui parlent dans nos églises, où l'on ne doit que prier ! Nous lisons dans l'histoire, qu'une femme avait l'habitude de parler à l'église quand l'occasion s'en présentait. Après sa mort, l'on trouva son corps sans aucune tache, mais l'on vit sortir de sa bouche un serpent et plusieurs crapauds qui lui mangeaient la langue. Le bon Dieu fit ce miracle, pour nous montrer combien sont coupables ceux qui osent parler dans nos églises, sans une grande nécessité. Ah ! si nous aimions le bon Dieu, nous n'aurions pas besoin que l'on nous fit connaître la grandeur de ce péché ! Etant bien convaincus que c'est là qu'habite notre Dieu, que là il tient le trône de sa miséricorde et le canal de ses grâces, nous n'y pourrions entrer qu'en tremblant. Dites-moi, M.F., jusques à quand répondrons-nous à tant de bienfaits par une mortelle indifférence et de nouveaux outrages ? Oh ! combien ne serions-nous pas heureux, si nous assistions à nos saints offices avec respect et confiance ! que de grâces et de bénédictions nous retirerions ! quel changement ne verrait-on pas dans notre manière de vivre ?
III. – Il est dit dans l'Écriture sainte[12] que la reine de Saba avant entendu raconter de si belles choses de Salomon et des merveilles qui s'opéraient chez lui, voulut les voir par elle-même. Mais quand elle vit la beauté du temple et le bel ordre qui y régnait, elle s'en retourna, nous dit l'Écriture, avouant que tout ce qu'on lui avait dit n'était rien en comparaison de ce que ses yeux avaient vu. Ces merveilles restèrent profondément gravées dans son cœur. Voilà, M.F., précisément ce qui nous arriverait, en sortant de nos églises, si nous faisions bien attention à tout ce qui se passe pendant nos saints et redoutables mystères. Que pouvait-il y avoir dans le temple de Salomon qui pût approcher de la moindre cérémonie de nos églises ? C'était un homme que Dieu faisait agir ; ici c'est Dieu lui-même qui agit et qui opère des miracles à l'infini. Le temple de Salomon était destiné à renfermer un peu de manne, les tables de la Loi ; mais dans nos églises, oh ! grand Dieu ! c'est Jésus-Christ lui-même, qui répand son sang, et s'immole chaque jour sur nos autels à la justice de son Père, pour nos péchés. Oh ! non, M.F., ne pénétrons pas dans la grandeur des merveilles qui s'opèrent chaque jour ; elles sont si grandes, si au-dessus de nos connaissances, nous ne pouvons que nous y perdre ! Plus nous les examinons, et plus nous trouvons qu'elles sont incompréhensibles.
Ne parlons que de ce qui peut frapper nos yeux. Un chrétien, au sortir des saints offices, touché de la parole de Dieu qu'il y a entendue, des saintes pensées que lui ont fait naître la vue des cérémonies et les prières qu'il a faites : « Je viens d'assister à la sainte Messe, doit-il se dire, un Dieu s'est immolé pour moi, il a répandu son sang pour le salut de mon âme, que pouvait-il faire de plus ? Ah ! misérable ! moi qui, depuis tant d'années, lui refuse mon cœur qu'il n'a créé que pour lui, et qu'il me demande afin de le rendre heureux ! Je viens de chanter les louanges de Dieu, avec cette même bouche que j'ai tant de fois souillée par des mensonges, des jurements et des paroles déshonnêtes. O mon Dieu ! ma langue servira-t-elle toujours, tantôt à vous louer, tantôt à vous mépriser ? Non, Seigneur, je ne veux plus que vous bénir et vous aimer. Je viens d'entendre la parole divine, oh ! qu'elle est belle et véritable ! Je me suis sincèrement reconnu dans tout ce que l'on a dit ; oui, c'est bien pour moi que l'on a prêché ; il y a tant d'années que j'entends cette parole sainte, et je suis toujours le même ! Mon Dieu, tant d'instructions que j'entends, ne vont donc servir qu'à ma condamnation ? Ne me les rappellerez-vous pas au jour du jugement, pour savoir le profit que j'en aurai fait ? Que de bonnes actions, que de bonnes œuvres, que de bonnes prières j'aurais faites, si j'avais voulu faire ce que l'on m'a enseigné !... » Oui, M.F., voilà le langage qu'un bon chrétien doit tenir en sortant des saints offices, et, tout chrétien qui n'a pas, en s'en allant, ces pensées dans le cœur, n'a pas assisté aux saints offices avec les dispositions qu'il devait avoir.
Nous disons encore que la reine de Saba, de retour chez elle, ne pouvait se rassasier de raconter tout ce qu'elle avait vu dans le temple de Salomon ; elle en parlait toujours avec un nouveau plaisir. La même chose doit arriver à un chrétien qui a bien assisté à la sainte Messe ; étant de retour dans sa maison, il doit s'entretenir avec ses enfants et ses domestiques, et leur demander ce qu'ils ont retenu, ce qui les a touchés davantage. Hélas ! mon Dieu, que vais-je dire ?... Combien de pères et de mères, de maîtres et de maîtresses, qui, si on voulait leur parler de ce qu'ils ont entendu à la sainte Messe, se moqueraient de tout cela en disant qu'on les ennuie, qu'ils en savent assez !... Cependant, généralement parlant, il semble que l'on écoute encore cette parole sainte ; mais, dès qu'on est sorti de l'église, on se laisse aller à toutes sortes de dissipation ; l'on se lève avec précipitation ; on court, on se presse à la porte ; le prêtre souvent n'est pas encore descendu de l'autel que l'on est déjà dehors, et là, on se livre à toutes sortes de choses étrangères. Savez-vous. M.F., ce qu'il en résulte ? Le voici. On ne profite de rien, et l'on ne tire aucun fruit de tout ce que l'on a entendu et vu dans la maison du bon Dieu. Que de grâces méprisées ! que de moyens de salut foulés aux pieds ! O quel malheur ! de faire tourner à notre perte ce qui nous aiderait si bien à nous sauver ! Hélas, vous le voyez vous-mêmes, combien ces saints offices sont à charge au plus grand nombre des chrétiens ! Pendant ces moments, ils sont restés à l'église comme dans une espèce de prison, et aussitôt sortis, vous les entendez crier à la porte, semblables à des prisonniers à qui l'on vient de donner la liberté. N'est-on pas souvent obligé de fermer la porte, si l'on ne veut être étourdi par leurs cris continuels ? Mon Dieu, sont-ce là des chrétiens, qui ne devraient se retirer de votre saint temple, qu'avec un esprit rempli de toutes sortes de bonnes pensées et de bons désirs ? Ne devraient-ils pas chercher à les bien graver dans leur mémoire, pour ne jamais plus les perdre, et les mettre en exécution, aussitôt que l'occasion s'en présenterait ? Hélas ! le nombre de ceux qui assistent aux offices avec attention et qui tâchent d'en profiter, est à peu près comme le nombre des élus : ah ! qu'il est petit ! Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Si vous voulez que le culte que vous rendez à Dieu, lui soit agréable et avantageux pour le salut de votre âme, mettez-le en pratique : commencez à vous préparer à la sainte Messe dès que vous vous éveillez, en vous unissant à toutes les messes qui se disent dans ce moment. Lorsque la cloche sonne pour vous appeler dans la maison du bon Dieu, pensez que c'est Jésus-Christ lui-même qui vous appelle ; partez sur le champ, afin d'avoir quelque moment pour méditer sur la grandeur de l'action à laquelle vous allez assister. Ne dites pas, comme ces gens sans religion, que vous avez bien le temps, que vous y serez toujours assez tôt ; mais bien plutôt comme le saint prophète : « Je me suis réjoui quand on m'a dit que nous irions dans la maison du Seigneur[13]. » Dès que vous sortez de chez vous, occupez-vous de ce que vous allez faire, et de ce que vous demanderez au bon Dieu. Commencez à débarbouiller votre esprit des choses terrestres, pour ne penser qu'à Dieu. Évitez toute sorte de conversations inutiles, qui ne sont bonnes qu'à vous faire mal entendre la sainte Messe. En entrant dans l'église, rappelez-vous ce que dit le saint patriarche Jacob : « Oh ! que ce lieu est terrible ! oh ! qu'il est saint ; c'est vraiment la maison de Dieu et la porte du ciel[14] ! » Lorsque vous êtes à votre place, humiliez-vous profondément à la vue de votre indignité, et de la grandeur de votre Dieu, qui veut bien, malgré vos péchés, vous souffrir en sa sainte présence. Faites un acte de foi de tout votre cœur. Demandez à Dieu qu'il vous fasse la grâce de ne rien perdre de toutes les faveurs qu'il accorde à ceux qui y viennent avec de bonnes dispositions ; ouvrez votre cœur, afin que la parole de Dieu puisse y entrer, y prendre racine et y porter du fruit pour la vie éternelle. Avant de sortir de l'église, ne manquez jamais de remercier le bon Dieu des grâces qu'il vient de vous faire, et allez-vous-en chez vous tout occupés de ce que vous avez vu et entendu. Oui, M.F., si nous nous comportions de cette manière, nous ne sortirions jamais des saints offices sans nous sentir remplis d'un nouveau goût pour le ciel, d'un nouveau dégoût pour nous-mêmes et pour la terre. Notre cœur et notre esprit seraient tout pour Dieu et rien, pour le monde ; alors la maison du bon Dieu serait vraiment pour nous la porte du ciel : c'est ce que je vous souhaite.
[1] Joan. VIII
[2] Luc, VII.
[3] Ibid., XV.
[4] Luc, XIX.
[5] Ps. CXXI, 1.
[6] Luc. II, 37.
[7] Ibid, I.
[8] II Mach., III.
[9] Si quis autem templum Dei violaverit, disperdet illum Deus. I Cor III, 17.
[10] Conf. Lib. IX, cap. VII, 16.
[11] Ps. LXXXIII, 11.
[12] III Reg. X.
[13] Ps. CXXI, 1.
[14] Gen. XXVIII, 47.