Tels sont, M.F., la douleur et le regret que la pensée de nos péchés doit produire dans nos cœurs, et telle fut la démarche que fit l'enfant prodigue, lorsque, rentrant en lui-même, il reconnut sa profonde misère et les biens qu'il avait perdus en se séparant d'un si bon père. Oui, s'écrie-t-il, je me lèverai et j'irai retrouver ce bon père ; me jetant à ses pieds, je les arroserai de mes larmes « O mon père, couvert de péchés et de la honte qui m'accable, je n'ose plus regarder le ciel, ni vous comme mon père, puisque je vous ai si affreusement méprisé ; mais trop heureux si vous voulez bien me ranger au nombre de vos serviteurs. » Beau modèle, M.F., pour un pécheur qui, étant touché de la grâce, éprouve la profondeur de sa misère et le poids de ses péchés et de ses remords qui le dévorent : Heureux et mille fois heureux le pécheur qui s'approche de son Dieu avec les mêmes sentiments de douleur et de confiance que ce grand pénitent. Oui, M.F., comme lui il est sûr de trouver en Dieu un père plein de bonté et de tendresse, qui lui remettra volontiers ses péchés et lui rendra tous les biens que le péché lui avait ravis.
Mais de quoi vais-je donc vous parier ? Ah ! consolez-vous, je viens vous annoncer le plus grand de tous les bonheurs. Ah ! que dis-je ? je viens étaler à vos yeux la grandeur des miséricordes de Dieu. Ah ! pauvre âme, consolez-vous ; il me semble que je vous entends vous écrier comme l'aveugle de Jéricho : « Ah ! Jésus, fils de David, ayez pitié de moi[1] » Oui, pauvre âme, vous trouverez... Quel est mon dessein ? M.F., le voici : c'est de vous montrer, de la manière la plus simple et la plus familière, les dispositions que vous devez apporter en vous approchant du sacrement de pénitence. Il en est cinq, et les voici : notre confession, pour être bonne et nous mériter le pardon de nos péchés, doit être : 1° humble, 2° simple, 3° prudente, 4° entière, 3° sincère. Si vos confessions sont accompagnées de ces conditions, vous êtes sûrs de votre pardon. Nous verrons ensuite de quelles manières l'absence de ces conditions peut rendre nos confessions sacrilèges.
I. – Parlant, M.F., à des chrétiens qui ne cherchent que les moyens de sauver leurs pauvres âmes, il n'est pas nécessaire de vous prouver la divinité[2] de la confession, il suffit de vous dire que c'est Jésus-Christ lui-même qui l'a établie, en disant à ses apôtres ainsi qu'à tous leurs successeurs : « Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et retenus à ceux à qui vous les retiendrez[3] » ; ou bien encore, si vous voulez, lorsqu'il dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel ; et tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le ciel[4] » ; parole qui nous montre véritablement la divinité de la confession et la nécessité de la confession. En effet, comment pouvoir remettre ou retenir les péchés si on ne les faisait pas connaître à ceux qui ont ce pouvoir sublime et admirable ? Il n'est pas encore nécessaire de vous montrer les avantages de la confession ; un mot suffit, puisque, après un seul péché mortel, sans la confession, jamais nous ne verrons Dieu, et que, pendant toute l'éternité, nous serons condamnés à éprouver toutes les rigueurs de sa colère et à être maudits. Je ne vous dirai pas encore que la confession nous fait regagner l'amitié de notre Dieu et redonne à notre âme la vie et toutes nos œuvres que le péché avait fait mourir. Si vous ne sentez pas tout ce bonheur, tous les avantages de la confession, allez interroger les démons qui brûlent, ils vous apprendront à l'estimer et à en profiter. Oui, M.F., si nous interrogeons tous les chrétiens damnés, pourquoi ils brûlent, tous nous diront que la cause de leur malheur vient ou de ce qu'ils ont méprisé le sacrement de pénitence qui est la confession, ou qu'ils n'avaient pas les dispositions nécessaires lorsqu'ils s'en sont approchés. Si de ce lieu d'horreur vous montez dans le ciel, que vous demandiez à tous ces anciens pécheurs qui ont passé vingt ou trente ans dans le désordre, ce qui leur procure tant de joie et de plaisirs, tous vous diront que ce seul sacrement de pénitence leur a valu ces biens infinis. Non, M.F., personne ne doute d'une vérité si consolante pour un pécheur qui a perdu son Dieu par le péché, de trouver un moyen si facile et si efficace pour regagner ce que le péché lui avait ravi[5]. Si je demandais à un enfant : Qu'est-ce que la confession ? Il me répondrait simplement que c'est l'accusation de ses péchés faite à un prêtre approuvé, pour en recevoir l'absolution, c'est-à-dire le pardon. – Mais pourquoi, me direz-vous, est-ce que Jésus-Christ nous assujettit à une accusation si humiliante, qui coûte tant à notre amour-propre ? Mon ami, je vous répondrai que c'est précisément pour nous humilier que Jésus-Christ nous y a condamnés. II n'est pas douteux qu'il est pénible à un orgueilleux d'aller dire à un confesseur tout le mal qu'il a fait, tout celui qu'il a eu dessein de faire, tant de mauvaises pensées, tant de désirs corrompus, tant d'actions injustes et honteuses qu'on voudrait pouvoir se cacher à soi-même. Mais vous ne faites pas attention que l'orgueil est la source de tous les péchés, et que tout péché est une orgueilleuse révolte de la créature contre le Créateur ; il est donc juste que Dieu nous ait condamnés à cette accusation si humiliante pour un orgueilleux. Mais regardons cette humiliation des yeux de la foi, est-ce une chose bien pénible que de changer une confusion publique et éternelle, avec une confusion de cinq minutes qu'il nous faut pour dire nos péchés à un ministre du Seigneur, pour regagner le ciel et l'amitié de notre Dieu ! – Pourquoi est-ce, me direz-vous, qu'il y en a qui ont tant de répugnance pour la confession, et que la plupart s'en approchent mal ? Hélas ! M.F., c'est que les uns ont perdu la foi, les autres sont orgueilleux et d'autres ne sentent pas les plaies de leur pauvre âme, ni les consolations que la confession procure à un chrétien qui s'en approche dignement. Qui est celui, M.F., qui nous commande de nous confesser de tous nos péchés sous peine de damnation éternelle ? Hélas ! M.F., vous le savez aussi bien que moi, c'est Jésus-Christ lui-même ; et tous y sont obligés, depuis le Saint Père jusqu'au dernier des artisans. Mon Dieu, quel aveuglement de mépriser et de ne faire pas cas d'un moyen si facile et si efficace pour gagner un bonheur infini, en se délivrant du plus grand de tous les malheurs qui est la colère éternelle.
Mais tout ceci, M.F., n'est pas encore ce qui vous parait le plus nécessaire à savoir, puisque vous savez que la confession est le seul moyen qui nous reste pour sortir du péché : ou nous confesserons nos péchés, ou nous irons brûler dans les enfers ; nous savons que, quelques grands, énormes et nombreux que soient nos péchés, nous sommes sûrs de notre pardon, si nous les confessons. Voici ce que vous devez absolument savoir écoutez-moi bien. En premier lieu, je dis que la confession doit être humble, c'est-à-dire que nous devons nous regarder dans le tribunal de la pénitence comme un criminel devant son juge, qui est Dieu lui-même, nous devons accuser nous-mêmes nos péchés, sans attendre que le prêtre nous interroge, à l'exemple de David qui disait : « Oui, mon Dieu, j'accuserai moi-même mes péchés au Seigneur[6] », et ne pas faire comme font la plupart des pécheurs qui racontent leurs péchés comme une histoire indifférente, qui ne montrent ni douleur ni regret d'avoir offensé Dieu, qui semblent ne se confesser que pour commettre des sacrilèges. O mon Dieu, peut-on bien y penser sans mourir d'horreur ! Si le confesseur se voit forcé de vous faire quelques remontrances qui blessent un peu votre amour propre ; s'il vous impose quelque pénitence qui vous répugne, ou même s'il vous diffère l'absolution : prenez garde de ne jamais murmurer ; soumettez-vous humblement ; prenez encore bien garde de ne pas murmurer et encore moins de vous disputer avec lui, en lui répondant avec arrogance, comme font quelques pécheurs endurcis et vendus à l'impiété ; qui même sortiront de l'église en colère, sans se mettre à genoux. N'oubliez jamais que le tribunal de la pénitence où le prêtre est assis, c'est véritablement le tribunal de Jésus-Christ ; qu'il écoute votre accusation, qu'il vous interroge, qu'il vous parle et qu'il prononce la sentence d'absolution. Je dis qu'il faut s'accuser avec humilité, c'est-à-dire ne jamais rejeter ses fautes sur les autres, comme font plusieurs à confesse, semblables à Adam, qui s'excusa sur Ève et Ève sur le serpent, au lieu de s'avouer humblement coupables, en disant que ce n'est que par leur faute qu'ils ont péché ; ils font tout le contraire. Un homme sujet à la colère s'excusera sur sa femme et ses enfants ; un ivrogne sur la compagnie qui l'a sollicité à boire ; un vindicatif, sur une injure qui lui a été faite ; un médisant, sur ce qu'il ne dit que la vérité ; un homme qui travaille le dimanche, sur ses affaires qui pressent ou qui se gâtent. Une mère qui fait manquer les prières à ses enfants s'excusera sur ce qu'elle n'a pas eu le temps. Dites-moi, M.F., est-ce-là une confession humble. Vous voyez clairement que non. « Mon Dieu, disait le saint roi David, mettez, s'il vous plaît, une garde à ma bouche, afin que la malice de mon cœur ne trouve point d'excuses à mes péchés[7]. » Je dis donc que nous devons nous faire connaître tels que nous sommes, afin que notre confession soit bonne et capable de nous regagner l'amitié du bon Dieu.
2° Je dis qu'il faut qu'elle soit simple ; c'est-à-dire éviter toutes ces accusations inutiles, tous ces scrupules qui font dire cent fois la même chose, qui font perdre le temps au confesseur, fatiguent ceux qui attendent pour se confesser, et éteignent la dévotion. Il faut se montrer tel que l'on est par une déclaration sincère ; il faut accuser ce qui est douteux comme douteux, ce qui est certain comme certain ; par exemple : si vous disiez que vous ne vous êtes pas arrêtés à de mauvaises pensées, tandis que vous doutez que vous y ayez pris plaisir, ce serait manquer de sincérité de dire que vous n'avez eu que la pensée ; dire que ce que vous avez pris ne vaut que tant, pensant que peut-être cela valait plus ; ou bien de dire : « Mon père, je m'accuse d'avoir oublié un péché dans une de mes confessions, » tandis que c'était par une mauvaise honte ou par négligence. Ces manières de vous accuser seraient cause que vous commettriez un horrible sacrilège. Je dis encore que c'est manquer de sincérité que d'attendre que le confesseur vous interroge sur certains péchés ; si vous aviez eu la volonté de ne pas le dire, il ne suffirait pas de le déclarer parce que le confesseur vous le demande, il faudrait encore dire « Mon père, si vous ne m'aviez pas interrogé sur ce péché, je ne vous l'aurais pas dit. » Si vous manquiez de cette sincérité, votre confession serait nulle et sacrilège.
Evitez, M.F., évitez tous ces déguisements : que votre cœur soit sur vos lèvres. Vous pouvez bien tromper votre confesseur, mais rappelez-vous bien que vous ne tromperez pas le bon Dieu, qui voit et connaît vos péchés mieux que vous. Si quelquefois le démon, ce maudit Satan, vous tentait pour vous faire cacher où déguiser quelque péché, faites vite cette réflexion : Mais je vais me rendre encore bien plus coupable que je n'étais ; je vais commettre un péché bien plus affreux que celui que je vais cacher, puisque ce sera un sacrilège ; je puis bien le cacher au prêtre, mais Dieu le connaît mieux que moi ; tôt ou tard il faudra bien que je le déclare, ou me résoudre d'aller éternellement brûler dans les enfers. Il me faudra avoir une petite humiliation en le déclarant, il est vrai ; mais qu'est cela en comparaison de cette confusion publique et éternelle ? Un malade, devez-vous dire, qui désire sa guérison ne craint pas de découvrir les maladies les plus honteuses et les plus secrètes, afin d'y faire appliquer les remèdes ; et moi je craindrais de découvrir les plaies de ma pauvre âme à mon médecin spirituel afin de la guérir ? Pourrais-je bien rester dans un état de damnation pendant le reste de ma vie ! Si vous ne vous sentez pas le courage de déclarer certains péchés, dites au prêtre : « Mon père, j'ai un péché que je n'ose pas vous dire, aidez-moi, s'il vous plaît. » Quoique cette disposition soit imparfaite, néanmoins cela vous le fera accuser : ce qui est absolument nécessaire.
En troisième lieu, je dis que la confession doit être prudente : cela veut dire qu'il faut accuser ses péchés en termes honnêtes ; ensuite, qu'il ne faut pas faire connaître les péchés des autres sans nécessité. Je dis sans nécessité, parce qu'il y a quelquefois qu'il est nécessaire, quand on ne peut pas faire autrement, de faire connaître les fautes, comme par exemple : vous avez eu le malheur de commettre un péché contre la sainte vertu de pureté, et cela avec un ou une de vos parents ; il faut bien dire cette circonstance, sans quoi vous feriez un sacrilège. Vous vous trouvez dans une maison où il y a une personne qui vous porte au mal, vous êtes encore obligé de le dire, parce que vous vous trouvez dans l'occasion prochaine du péché. Mais en disant cela, il faut avoir en vue d'accuser vos péchés et non ceux des autres.
En quatrième lieu, je dis qu'il faut que la confession soit entière, c'est-à-dire qu'il faut déclarer tous ses péchés mortels, l'espèce, le nombre et les circonstances nécessaires.
Je dis d'abord l'espèce : ce n'est pas assez de dire en général que l'on a beaucoup péché, mais il faut encore dire quelles sont ces sortes de péchés que l'on accuse, si c'est vol, mensonge, impureté, et le reste. Ce n'est pas encore assez de dire l'espèce, il faut encore dire le nombre ; par exemple, si vous disiez : Mon père, je m'accuse d'avoir manqué la messe, d'avoir volé, d'avoir médit, d'avoir fait des choses deshonnêtes : tout cela ne serait pas bien ; il faut dire combien de fois vous les avez commis ; il faut encore entrer dans les détail, dire certaines circonstances.
Peut-être que vous ne comprenez pas ce que c'est qu'une circonstance : c'est-à-dire les particularités qui accompagnent nos péchés, qui les rendent plus ou moins considérables ou plus ou moins excusables ; et ces circonstances se tirent d'abord de la personne qui pèche avec une autre, si c'est une parente, à quel degré, père et mère, frère ou sœur, une filleule avec son parrain, un filleul avec sa marraine, un beau-frère avec sa belle-sœur ; 2° de la qualité ou quantité de l'objet qui est la matière du péché ; 3° du motif qui vous porte au péché ; 4° du temps où vous avez péché, si c'est un dimanche, si c'est pendant les offices ; 5° du lieu : si c'est dans un endroit consacré à la prière, c'est-à-dire une église ; 6° de la manière dont on a commis le péché, et enfin quelles ont été les suites du péché. Il y a encore des circonstances qui changent l'espèce du péché, c'est-à-dire qui font un péché d'une autre nature. Par exemple : commettre l'impureté avec une personne mariée, c'est un adultère ; avec une parente, c'est un inceste ; s'arrêter à une mauvaise pensée, consentir à un mauvais désir, à un mauvais regard, c'est un péché contre la chasteté. Mais si c'est dans une église c'est une profanation du lieu saint, c'est une espèce de sacrilège. Voilà les circonstances qui changent l'espèce du péché. Il y en a qui, sans la changer, l'aggravent beaucoup, par exemple : celui qui fait quelque péché en présence de plusieurs personnes, devant ses enfants ; celui qui a juré le saint nom de Dieu, tenu des propos deshonnêtes, fait des médisances devant plusieurs, a fait un plus grand péché que celui qui l'a fait devant peu de personnes ; celui qui a dit des paroles déshonnêtes pendant des heures entières a fait un plus grand péché que s'il n'en avait dit guère. Médire par haine, par envie, par ressentiment, c'est un péché bien plus grave que si ce n'était que par légèreté. S'enivrer, aller à la danse, au bal, au cabaret un dimanche, est un plus gros péché qu'un jour d'œuvre, à cause que ce jour est consacré à Dieu d'une manière particulière. Voilà, M.F., des circonstances qu'il faut déclarer ; sans quoi tremblez pour vos confessions. Hélas ! où sont ceux qui ont ces précautions ? mais aussi où sont ceux qui font les bonnes confessions ? on le voit bien par la manière de vivre.
Il faut encore accuser si c'est un péché d'habitude, et combien de temps cette habitude a duré ; si les péchés que l'on a commis, on les a faits par malice ou avec réflexion, et les suites des péchés que l'on a commis parce que ce n'est que de cette manière que nous pouvons nous faire connaître. Voyez un malade à l'égard de son médecin, comment se comporte-t-il ? Il lui découvre non seulement son mal ; mais encore le commencement et les progrès ; il ne se sert que des termes les plus clairs. Si le médecin ne le comprend pas, il répète, il ne cache et il ne déguise rien de tout ce qu'il croit être nécessaire pour faire connaître sa maladie et procurer sa guérison. Voilà, M.F., comment nous nous devons comporter envers notre médecin spirituel, afin de le mettre en état de bien connaître les plaies de notre âme, c'est-à-dire tels que nous nous connaissons devant Dieu.
3° Je dis qu'il faut dire le nombre. Rappelez-vous bien que si vous ne dites pas le nombre de vos péchés mortels, vos confessions ne valent rien ; il faut dire combien de fois l'on est tombé dans le même péché, parce que chaque fois c'est un nouveau péché. Si vous aviez commis trois fois un péché et que vous ne disiez que deux fois, celui que vous laisseriez serait cause que votre confession serait un sacrilège, si c'est un péché mortel, comme on le suppose. Hélas ! M.F., combien de ceux qui sont tombés dans ces fautes, les uns brûlent en enfer et les autres peut-être ne répareront jamais cette chaîne de confessions et de communions sacrilèges ! Ils se contenteront de dire : « Mon père, je m'accuse d'avoir médit, d'avoir juré. » – « Mais combien de fois ? » leur dira le prêtre. – « Pas souvent, toujours quelquefois. » Est-ce là, M.F., une confession entière ? Hélas ! que de damnés ! que d'âmes réprouvées. Savez-vous, M.F., quand il est permis de dire « tant de fois, à peu près ? » c'est lorsque vous faites une confession longue, qu'il vous est impossible de dire au juste que vous avez fait tel péché : alors, voilà ce que vous faites, vous dites combien de temps a duré l'habitude, combien de fois à peu près vous y avez tombé par semaine, par mois, ou par ,jour ; si l'habitude a été interrompue pendant quelque temps ; et de cette manière vous approchez du nombre autant que vous le pouvez. Si malgré tous les soins que vous avez donnés à votre examen, il vous est resté quelques péchés, votre confession ne laisserait pas d'être bonne, il vous suffirait de dire dans votre prochaine confession : « Mon père, je m'accuse d'avoir oublié involontairement un péché dans ma dernière confession, il est ainsi compris avec ceux que vous avez accusés. C'est pour cela que, quand vous vous accusez, vous dites : « Mon père, je m'accuse de ces péchés et de ceux dont je ne me souviens pas. »
Quant aux péchés véniels, où l'on tombe si souvent, l'on n'est pas obligé de s'en confesser parce que ces péchés ne nous font pas perdre la grâce et l'amitié du bon Dieu, et qu'on peut en obtenir le pardon par d'autres moyens, je veux dire par la contrition du cœur, la prière, le jeûne, l'aumône et le saint sacrifice. Mais le saint Concile de Trente nous enseigne qu'il est très utile de s'en confesser[8]. En voici les raisons : c'est que souvent un péché que nous croyons véniel se trouve mortel devant Dieu ; 2° que nous en recevons beaucoup plus facilement le pardon par le sacrement de pénitence ; 3° que la confession de nos péchés véniels nous rend plus vigilants sur nous-mêmes ; 4° que les avis du confesseur peuvent beaucoup nous aider à nous corriger ; 5° que l'absolution que nous recevons, nous donne des forces pour nous les faire éviter. Mais si nous nous en confessons, il faut le faire avec regret et désir de s'en corriger : sinon, nous nous exposerions à commettre des sacrilèges. C'est pour cela que, selon le conseil de saint François de Sales, lorsque vous n'avez que des péchés véniels à vous reprocher, il faut, à la fin de votre confession, vous accuser d'un gros péché de votre vie passée, en disant : « Mon père, je m'accuse d'avoir autrefois commis un tel péché ; » en le disant comme si nous ne l'avions jamais confessé, les circonstances et le nombre de fois que nous l'avons commis.
Voilà à peu près, M.F., les qualités que doit avoir une confession pour être bonne. C'est maintenant à vous à examiner si vos confessions passées ont été accompagnées de toutes les qualités dont nous venons de parler. Si vous vous trouvez coupables, ne perdez pas de temps peut-être que le moment où vous vous promettez de revenir sur vos pas, vous ne serez plus au monde, vous brûlerez dans les enfers avec le regret de n'avoir pas accompli ce que vous pouviez si bien, étant encore sur la terre et ayant tous les moyens nécessaires pour cela.
Il. – Voyons maintenant un mot en combien de manières on pèche contre ces dispositions ? Vous savez, M.F., on vous l'a appris dès votre enfance, que l'intégrité et la sincérité sont les qualités absolument nécessaires pour faire une bonne confession, c'est-à-dire pour avoir le bonheur de recevoir le pardon de vos péchés. Le moyen le plus sûr de faire une bonne confession est de déclarer vos péchés avec simplicité, après vous être bien examinés ; car un péché laissé par faute de vous être examinés, quoique si vous l'aviez connu, vous l'eussiez dit, ne laisserait pas tout de même que de rendre votre confession sacrilège. Cependant, M.F., on trouve un grand nombre de chrétiens qui vont se confesser souvent sans même penser à leurs fautes, ou du moins, d'une manière si légère, que quand ils se confessent ils n'ont rien à dire si le prêtre ne les examine pas lui-même. C'est surtout parmi ceux qui ne se confessent que rarement, qui souvent ne craignent pas de mentir à Dieu même, en cachant volontairement des péchés, que leur conscience leur reproche, et qui, après une pareille confession, ont la hardiesse d'aller se présenter à la Table sainte pour manger, comme le dit saint Paul, leur condamnation[9]. Mais voilà, M.F., ceux qui sont les plus sujets à faire de mauvaises confessions : ce sont ceux qui pendant quelque temps ont rempli fidèlement leurs devoirs de religion. Le démon, qui n'épargne rien pour les perdre, les tente affreusement. S'ils viennent à succomber : d'un côté, effrayés par honte de leur péché, de l'autre par la crainte de se faire connaître aussi coupables, ils sont conduits à une fin bien malheureuse. Ils ont la coutume d'aller à confesse une telle fête, cependant ils craignent qu'on les remarque s'ils n'y vont pas ; mais ils ne voudraient pas s'avouer coupables, et que font-ils ? ils ne disent pas leur péché et commencent une chaîne de sacrilèges qui peut-être durera jusqu'à la mort, sans avoir la force de la rompre une autre fois. Ce sera un homme qui n'est pas disposé à restituer une chose qu'il aura dérobée, à réparer une injustice qu'il a faite, à ne plus retirer intérêt de son argent ; ou, si vous voulez encore, une femme ou une fille, qui a quelque fréquentation mauvaise et ne voudra pas la rompre. Et quel parti prennent ces personnes-là ? Le voici : c'est de ne rien dire, et de s'engager volontairement dans la route de l'enfer.
Mes amis, je vous dirai : vous vous aveuglez affreusement ; qui est celui que vous croyez tromper, et à qui vous voulez cacher votre péché ? ce n'est pas à un homme, mais à Dieu lui-même, qui les connaît bien mieux que vous, qui vous attend dans l'autre vie pour vous punir non un moment, mais une éternité. Combien encore sont de ce nombre ! des personnes qui font profession de piété et qui se laissent tromper par ces misérables considérations : « Que pensera-t-on de moi, si l'on ne me voit pas communier comme à mon ordinaire ? » Cette considération les arrête et les jette dans le sacrilège. O mon Dieu, peut-on après cela vivre tranquille[10] ? Mais, grâce à Dieu, ces âmes noires et vouées à l'iniquité ne sont pas les plus nombreuses. Mais voici la corde par laquelle le démon en entraîne le plus en enfer : ce sont ceux qui, en déclarant leurs péchés, les cachent par la manière dont ils les accusent ; on ne les connaît guère mieux après leur confession qu'avant. Qui pourrait raconter tous les déguisements, tous les artifices que le démon leur inspire pour les perdre et tromper leur confesseur. Vous allez le voir :
Je dis 1° déguisement dans la manière de les accuser, ils se serviront de termes les plus capables d'en diminuer la honte. Quelle est la préparation de certains ? Ce n'est pas de demander à Dieu la grâce de bien connaître leurs péchés ; mais de se tourmenter comment ils pourront les dire pour éprouver moins de honte. Sans presque s'en apercevoir, ils les affaiblissent considérablement ; les emportements de la colère ne seront que des impatiences, les discours les plus indécents ne seront que des paroles un peu trop libres ; les désirs les plus honteux, les actions les plus infâmes, ne seront que des familiarités peu décentes ; les injustices les plus marquées ne seront que de petits torts ; les excès de l'avarice ne seront qu'un attachement un peu trop grand aux biens de la terre. De sorte que, quand la mort arrivera et que Dieu leur fera voir leurs péchés tels qu'ils sont, ils reconnaîtront alors qu'ils n'ont dit leurs péchés qu'à moitié dans presque toutes leurs confessions. Et que s'ensuivra-t-il de là, sinon une chaîne de sacrilèges ? O mon Dieu, peut-on bien y penser et ne pas mieux être sincère dans ses confessions pour avoir le bonheur d'en recevoir le pardon ?
2° Je dis que l'on déguise ses péchés dans les circonstances que l'on a bien soin de ne pas déclarer, qui souvent sont plus criminelles que les actions mêmes, par exemple une personne dont l'occupation est de médire, de censurer, ou peut-être même de calomnier, s'accusera d'avoir dit des paroles désavantageuses au prochain ; mais elle ne dit pas que cela était par orgueil, par envie, par haine et par ressentiment ; mais ne dit pas quelle perte elle a portée à sa réputation. Au contraire, si on lui demande si ces paroles ont nui au prochain, elle répond tranquillement que non, sans avoir examiné le oui ou le non. Vous dites bien que vous avez médit, vous ne dites pas que c'était contre votre pasteur ou une autre personne consacrée à Dieu, dont la réputation est absolument nécessaire pour le bien de la religion. Mais vous ne dites pas que ce que vous avez dit était faux, c'est-à-dire une calomnie ; vous vous accusez bien d'avoir dit des paroles contre la religion et contre la modestie, mais vous ne dites pas que votre intention était d'ébranler la foi de cette jeune personne, afin de lui persuader de consentir à vos mauvais désirs, en lui disant qu'il n'y avait point de mal en cela, qu'il ne fallait pas s'en confesser. Une jeune fille dira bien qu'elle s'est habillée avec le désir de plaire ; mais elle ne dira pas que son intention était de donner lieu aux mauvaises pensées. O mon Dieu, ne devrait-on pas les reléguer au fond des forêts où les rayons du soleil n'ont jamais pu pénétrer ? Un père s'accusera bien d'avoir été au cabaret, de s'être enivré ; mais il ne dira pas qu'il a servi de scandale à toute sa famille. Une mère dira bien qu'elle a dit des paroles contre le prochain et qu'elle s'est mise en colère ; mais elle ne dit pas que ses enfants et ses voisines en ont été témoins. Un autre s'accusera bien d'avoir eu ou permis des familiarités peu décentes ; mais ne dira pas que son intention était de pécher avec la personne, s'il avait pu la séduire, ou s'il n'avait pas craint le monde. Celui-ci dira bien qu'il a manqué la sainte Messe le dimanche, mais il ne dira pas qu'il l'a fait manquer à d'autres, ou bien que plusieurs personnes l'ont vu, ce qui les a scandalisées, et peut-être même ses enfants ou ses domestiques. Vous vous accusez bien d'avoir été au cabaret ; mais vous ne dites pas que c'est un dimanche et pendant la messe ou les vêpres ; que votre intention était d'en amener d'autres avec vous, si vous aviez pu. Vous ne dites pas encore que vous êtes sorti de l'église pour aller au cabaret, et que c'était pendant l'instruction, en vous raillant de ce que disait votre pasteur. Vous vous accusez bien d'avoir mangé de la viande les jours défendus ; mais vous ne dites pas que c'est pour vous moquer de la religion et mépriser ses lois saintes. Vous dites bien que vous avez prononcé des paroles sales ; mais vous ne dites pas que c'est parce qu'il y avait devant vous une personne de piété, afin de pouvoir décrier la religion et la détruire de son cœur. Vous dites bien encore que vous travaillez le dimanche ; mais vous ne dites pas que c'est par avarice, en méprisant les défenses de l'Eglise. Vous vous accuserez bien d'avoir eu de mauvaises pensées ; mais vous ne dites pas que vous y avez donné occasion en allant volontairement avec des personnes que vous saviez très bien n'avoir que de mauvais propos à débiter. Vous dites bien que vous n'avez pas entendu la sainte Messe comme il faut ; mais vous oubliez de dire que vous y aviez donné occasion en venant jusqu'à la porte de l'église sans vous y préparer ; peut-être vous entrez sans faire un acte de contrition, et vous ne dites rien de tout cela : et cependant une bonne partie de ces circonstances manquant peuvent rendre vos confessions sacrilèges. O que de chrétiens damnés, parce qu'ils n'auront pas su se confesser ! Vous vous êtes peut-être bien accusé de n'être pas bien instruit ; mais vous avez manqué de dire que vous ne saviez pas les principaux mystères, ce qu'il faut absolument pour être sauvé. Vous avez manqué de dire que vous n'osez pas bien demander à votre confesseur de vous interroger, pour savoir si vous êtes suffisamment instruit pour ne pas vous damner et pour recevoir les sacrements dignement ; peut-être n'y avez-vous jamais pensé ! O mon Dieu, que de chrétiens perdus !
En troisième lieu, je dis déguisement dans le ton de la voix que l'on emploie pour déclarer certains péchés les plus humiliants, dans le soin que l'on prend de les placer de manière que le confesseur puisse les entendre sans y faire attention. L'on commencera à accuser beaucoup de petits péchés, comme : « Mon père, je m'accuse d'avoir manqué de prendre de l'eau bénite le matin et le soir, d'avoir eu des distractions pendant mes prières, et autres choses semblables, après avoir endormi, autant qu'ils peuvent, l'attention du confesseur, d'une voix un peu plus basse et de la manière la plus rapide, on glisse des abominations et des horreurs. » Insensés, pourrait-on leur dire, quel est donc le démon qui vous a ainsi séduits pour vous porter à trahir misérablement la vérité ? Dites-moi, M.F., quel est le motif qui peut vous porter à mentir de la sorte en confession ? Est-ce la crainte que le confesseur ait mauvaise opinion de vous ? Vous vous trompez. Est-ce que vous espérez que les péchés que vous dites vous seront pardonnés ? Vous vous trompez encore grossièrement. Mais, dites-moi, pourquoi est-ce que vous venez dire au confesseur une partie de vos péchés avec l'espérance de le tromper ? mais vous savez bien que vous ne tromperez pas Dieu, de qui vous devez recevoir votre pardon. Dites-moi, cette absolution que vous aurez surprise, pouvez-vous bien espérer qu'elle sera ratifiée dans le ciel ? Hélas ! M.F., tel est l'aveuglement de certains pécheurs qui osent se persuader que, pourvu qu'ils aient obtenu une absolution, n'importe qu'ils aient dit ou pas dit tous leurs péchés, qu'ils aient trompé ou non leur confesseur, ils se croient pardonnés. Mais, dites-moi, pécheurs aveugles, pécheurs endurcis et vendus à l'impiété, je vous le demande, êtes-vous bien contents de cette absolution, lorsque vous êtes sortis du tribunal de la pénitence ? Avez-vous éprouvé cette paix et cette douce consolation qui est la récompense d'une confession bien faite ? N'avez-vous pas été, au contraire, obligés, pour calmer vos remords de conscience, de vous dire en vous-mêmes qu'un jour vous referiez la confession que vous veniez de faire ? Mais, mon ami, tout bien examiné, vous auriez mieux fait cent fois de ne pas vous confesser. Vous savez très bien que tous les péchés que vous avez ainsi confessés ne sont pas pardonnés, sans parler de ceux que vous avez voulu cacher. Vous n'étiez pas assez coupables ? et vous avez voulu ajouter à tous vos énormes péchés un affreux sacrilège ! – Mais, me direz-vous, je voulais communier, parce que j'avais l'habitude de communier ce jour-là. – Vous vous trompez ; il faut dire que vous vouliez commettre un sacrilège, vous enfoncer plus profond dans les enfers ; vous aviez peut-être peur de n'être pas assez coupables pour aller en enfer ; vous aviez peut-être peur d'aller au ciel. Ah ! ne vous tourmentez pas tant, vous avez assez de péchés pour ne pas aller au ciel et pour être précipités dans les flammes.
Hélas ! je ne vous dis rien de toutes ces confessions sacrilèges par défaut de contrition, qui, seules, damnent plus de monde que tous les autres péchés. J'espère qu'un jour je vous en parlerai. N'est-ce pas, mon ami, que vous espérez de réparer le mal que vous avez fait ? – Oui, me direz-vous. – Hélas ! mon ami, tremblez que ce temps ne vous soit pas donné et que, pour toute préparation, vous n'ayez à la mort que vos sacrilèges. Voulez-vous savoir la récompense de ces profanations ? La voici : endurcissement pendant la vie et désespoir à l'heure de la mort. Vous avez trompé votre confesseur, mais non le bon Dieu, et c'est lui qui vous jugera.
Que devez-vous faire, M.F., pour éviter un mal aussi effroyable ? Hâtez-vous de réparer tous ces défauts de vos confessions passées, par une accusation sincère et entière. Comprenez que jamais Dieu ne vous pardonnera ni vos péchés cachés, ni vos confessions sacrilèges. Vos péchés cachés seront publiés à la face de tout l'univers ; au lieu que si vous les avez bien confessés, jamais on ne pourrait vous les reprocher. Frémissez, M.F., à la vue de l'affreux désespoir qui vous attend à l'heure de la mort, lorsque tous vos sacrilèges vont venir se précipiter sur vous pour vous ôter toute espérance de pardon. Rappelez-vous l'exemple d'Ananie et de sa femme qui tombèrent morts aux pieds de saint Pierre pour lui avoir menti. Rappelez-vous encore la terrible punition de cette fille rapportée par Saint Antonin...
M.F., que toutes ces considérations vous engagent à faire toutes vos confessions d'après les règles que je viens de vous tracer, et vous êtes sûrs de trouver dans vos confessions le pardon de vos péchés, la paix de l'âme et la vie éternelle à la fin de vos jours. Ce que je vous souhaite.
[1] Luc. XVIII, 38.
[2] L’origine divine.
[3] Joan. XX, 22,23.
[4] Matth. XVIII, 18.
[5] « Oui, disait un jour un médecin protestant, vous, catholiques, que vous êtes heureux ! Dès que vous avez quelque chose qui vous fatigue vous allez vous confesser, et voilà la paix qui revient dans vous, et moi, j'ai, depuis ma jeunesse, un péché sans pouvoir me délivrer. » Oh ! belle invention de la miséricorde de mon Dieu ! Oui, M.F., un des grands biens de la confession, c'est la paix de l'âme. (Note du Saint.)
[6] Ps. XXXI, 5.
[7] Ps. CXL. 3, 4.
[8] Sess. XIV, cap. V.
[9] I Cor. XI, 29.
[10] Histoire d'un jeune homme qui était en réputation de saint, qui cacha ses péchés et qui... (Note du Saint). Ce trait a été raconté au long dans le 3ème sermon pour le XIe dimanche après la Pentecôte, t. II.