CHAPITRE QUATORZIEME

    Bien examiner la vocation des filles qui se presentent pour estre religieuses. Se rendre plus facile à recevoir celles qui ont de l' esprit. Et renvoyer celles qui ne sont pas propres à la religion sans s' arrester à ce que le monde peut dire.

    Je ne doute point que Dieu ne favorise beaucoup celles qui se presentent avec bonne intention pour estre reçûës. C' est pourquoy il faut bien examiner quel est leur dessein, et si elles ne sont point seulement poussées par l' esperance d' y estre plus commodément que dans le monde, ainsi qu' on le voit aujourd' huy arriver à plusieurs. Ce n' est pas que quand elles auroient mesme cette pensée nostre seigneur ne puisse la corriger, pourvû que ce soient des personnes de bon sens. Car si elles en manquent il ne faut point les recevoir, parce qu' elles ne seroient pas capables de comprendre les bons avis qu' on leur donneroit pour leur découvrir ce qu' il y auroit eu de defectueux en leur entrée, et leur montrer ce qu' elles devroient faire pour le reparer, à cause que la pluspart de celles qui ont peu d' esprit croyent toûjours sçavoir mieux que les plus sages ce qui leur est propre : et ce mal me semble incurable, parce qu' il arrive tres-rarement qu' il ne soit point accompagné de malice. Or quoy qu' on le pust tolerer dans une maison où il y auroit quantité de religieuses, on ne le sçauroit souffrir dans le petit nombre que nous sommes. Mais lors qu' une personne de bon sens commence à s' affectionner au bien elle s' y attache fortement, à cause qu' elle connoist que c' est le meilleur et le plus sûr : et encore qu' elle ne s' avance pas beaucoup dans la vertu, elle pourra servir aux autres en plusieurs choses, particulierement par ses bons conseils, sans donner de la peine à personne : au lieu que quand l' esprit manque je ne voy pas en quoy elle pourroit estre utile à une communauté ; mais je voy bien qu' elle luy pourroit estre fort nuisible. Ce défaut d' esprit ne se peut pas si-tost reconnoistre, parce qu' il y en a plusieurs qui parlent bien, et qui comprennent mal ce qu' on leur dit : et d' autres qui encore qu' elles parlent peu et assez mal, raisonnent bien en plusieurs choses. Il y en a d' autres qui estant dans une sainte simplicité sont tres-ignorantes en ce qui regarde les affaires et la maniere d' agir du monde, et fort sçavantes en ce qui se doit traiter avec Dieu. C' est pourquoy il faut beaucoup les observer avant que de les recevoir, et extremement les éprouver avant que de les faire professes. Que le monde sçache donc une fois pour toutes, que vous avez la liberté de les renvoyer parce que dans un monastere où il y a autant d' austeritez que dans celuy-cy, vous pouvez avoir plusieurs raisons qui vous y obligent. Et lors qu' on sçaura que nous en usons ordinairement de la sorte, on ne le tiendra plus à injure. Je dis cecy parce que le siecle où nous vivons est si malheureux, et nostre foiblesse si grande, qu' encore que nos saints predecesseurs nous ayent expressément recommandé de n' avoir point d' égard à ce que le monde considere comme un des-honneur, neanmoins la crainte de fascher des parens, et afin d' éviter quelques discours peu considerables qui s' en feroient dans le monde, nous manquons à pratiquer cette ancienne et si loüable coûtume. Dieu veüille que celles qui les recevront ainsi n' en soient point chastiées en l' autre vie ; quoy qu' elles ne manquent jamais de pretextes pour faire croire que cela se peut legitimement. Cecy vous est à toutes si important que chacune doit le considerer en particulier, le fort recommander à nostre seigneur, et encourager la superieure d' y prendre soigneusement garde. Je prie Dieu de tout mon coeur qu' il vous donne la lumiere qui vous est necessaire pour ce sujet. Je suis persuadée que lors que la superieure examine sans interest et sans passion ce qui est le plus utile pour le bien du monastere, Dieu ne permet jamais qu' elle se trompe ; et qu' au contraire elle ne peut sans faillir se laisser aller à ces fausses compassions et à ces impertinentes maximes d' une prudence toute seculiere et toute humaine.