CHAPITRE VINGT-TROISIEME

    Trois raisons pour montrer que quand on commence à s' adonner à l' oraison il faut avoir un ferme dessein de continuer. Des assistances que Dieu donne à ceux qui sont dans ce dessein.

    Quand nous commençons à faire oraison il importe tellement d' avoir un ferme dessein de continuer, que pour ne m' étendre pas trop sur ce sujet je me contenteray d' en rapporter deux ou trois raisons. La premiere est, que Dieu nous estant si liberal et nous comblant sans cesse de ses faveurs, quelle apparence y auroit-il que lors que nous luy donnons ce petit soin de le prier qui nous est si avantageux, nous ne le luy donnions pas avec une pleine et entiere volonté mais seulement comme une chose que l' on preste avec intention de la retirer ? Cela ne pourroit ce me semble se nommer un don. Car si un amy redemande à son amy une chose qu' il luy a prestée, ne l' attristera-t-il pas, principalement s' il en a besoin, et s' il la consideroit desja comme sienne ? Que s' il se rencontre que celuy qui a reçû ce prest ait luy-mesme fort obligé auparavant son amy et d' une maniere tres-desinteressée, n' aura-t-il pas sujet de croire qu' il n' a ny generosité ny affection pour luy, puis qu' il ne veut pas luy laisser ce qu' il luy avoit presté pour luy servir comme d' un gage de son amitié ? Qui est l' épouse qui en recevant de son époux quantité de pierreries de tres-grand prix, ne luy veüille pas au moins donner une bague, non pour sa valeur, puis qu' elle n' a rien qui ne soit à luy, mais comme une marque qu' elle mesme jusques à la mort sera toute à luy ? Dieu merite-t-il moins qu' un homme d' estre respecté, pour oser ainsi nous mocquer de luy, en luy donnant et en retirant à l' heure-mesme ce peu qu' on luy a donné ? Si nous consumons tant de temps avec d' autres qui ne nous en sçavent point de gré, donnons au moins de bon coeur à nostre immortel epoux ce peu de temps que nous nous resolvons de luy donner : donnons-le luy avec un esprit libre et dégagé de toutes autres pensées ; et donnons-le luy avec une ferme resolution de ne vouloir jamais le reprendre, quelques contradictions, quelques peines et quelques secheresses qui nous arrivent. Considerons ce temps-là comme une chose qui n' est plus à nous, et qu' on nous pourroit redemander avec justice si nous ne voulions pas le donner tout entier à Dieu. Je dis tout entier, parce que discontinuer durant un jour, ou mesme durant quelques jours pour des occupations necessaires, ou pour quelque indisposition particuliere, n' est pas vouloir reprendre ce que nous avons donné. Il suffit que nostre intention demeure ferme : nostre seigneur n' est point pointilleux ; il ne s' arreste point aux petites choses ; et ainsi il ne manquera pas de reconnoistre vostre bonne volonté, puis que vous luy donnez en la luy donnant, tout ce qui est en vostre pouvoir. L' autre maniere d' agir, quoy que moins parfaite, est bonne pour ceux qui ne sont pas naturellement liberaux. Car c' est beaucoup que n' ayant pas l' ame assez noble pour donner, ils se resolvent au moins de prester. Enfin il faut faire quelque chose. Dieu est si bon qu' il prend tout en payement : il s' accommode à nostre foiblesse : il ne nous traite point avec rigueur dans le compte que nous avons à luy rendre. Quelque grande que soit nostre dette il se resout sans peine à nous la remettre pour nous gagner à luy ; et il remarque si exactement nos moindres services, que quand vous ne feriez que lever les yeux au ciel en vous souvenant de luy, vous ne devez point apprehender qu' il laisse cette action sans recompense. La seconde raison est, que quand le diable nous trouve dans cette ferme resolution, il luy est beaucoup plus difficile de nous tenter. Car il ne craint rien tant que les ames fortes et resolües, sçachant par experience le dommage qu' elles luy causent, et que ce qu' il fait pour leur nuire tournant à leur profit et à l' avantage de beaucoup d' autres, il ne sort qu' avec perte de ce combat. Nous ne devons pas neanmoins nous y confier de telle sorte que nous tombions dans la negligence. Nous avons à faire à des ennemis tres-artificieux et fort traîtres : et comme d' un costé leur lascheté les empesche d' attaquer ceux qui se tiennent sur leurs gardes, leur malice leur donne de l' autre un tres-grand avantage sur les negligens. Ainsi quand ils remarquent de l' inconstance dans une ame, et voyent qu' elle n' a pas une volonté déterminée de perseverer dans le bien, ils ne la laissent jamais en repos : ils l' agitent de mille craintes et luy representent des difficultez sans nombre. J' en puis parler trop assurément, parce que je ne l' ay que trop éprouvé : et j' ajoûte qu' à peine sçait-on de quelle importance est cet avis. La troisiéme raison qui rend cette ferme resolution tres-avantageuse, c' est que l' on combat avec beaucoup plus de courage lors que l' on s' est mis dans l' esprit que quoy qui puisse arriver on ne doit jamais tourner le dos. C' est comme un homme, qui dans une bataille seroit assuré qu' estant vaincu il ne pourroit esperer aucune grace du victorieux, et qu' ainsi ou durant ou aprés le combat il se faudroit resoudre à mourir ; il combatroit sans doute avec beaucoup plus d' opiniastreté, et vendroit cherement sa vie, parce qu' il se representeroit toûjours qu' il ne la peut conserver que par la victoire. Il est de mesme necessaire que nous entrions dans ce combat avec cette ferme creance, qu' à moins de nous laisser vaincre, nostre entreprise nous reüssira heureusement, et que pour peu que nous gagnions en cette occasion nous en sortirons tres-riches. Ne craignez donc point que nostre seigneur vous laisse mourir de soif en vous refusant de l' eau de cette sacrée fontaine de l' oraison : au contraire il vous invite à en boire. Je l' ay desja dit, et je ne me puis lasser de le dire, parce que rien ne décourage tant les ames que de ne connoistre pas aussi pleinement par leur propre experience quelle est la bonté de Dieu, comme elles le connoissent par la foy. Car c' est une chose merveilleuse que d' éprouver quelles sont les faveurs qu' il fait à ceux qui marchent par ce chemin, et de quelle sorte luy seul pourvoit presque à tout ce qui leur est necessaire. Mais je ne m' étonne pas de voir que les personnes qui ne l' ont point éprouvé veulent avoir quelque assurance que Dieu leur rendra avec usure ce qu' ils luy donnent. Vous sçavez bien neanmoins que Jesus-Christ promet le centuple dés cette vie : et qu' il dit ; demandez : et vous recevrez . Que si vous n' ajoûtez pas foy à ce qu' il dit luy-mesme dans son evangile, dequoy me peut servir, mes soeurs, de me rompre la teste à vous le dire ? Je ne laisse pas d' avertir celles qui en doutent qu' il ne leur coûtera gueres de l' éprouver, puis qu' il y a cet avantage dans ce voyage, qu' on nous y donne plus que nous ne sçaurions ny demander ny desirer. Je sçay qu' il n' y a rien de plus veritable : et je puis produire pour témoins qui l' assureront aussi bien que moy, celles d' entre vous à qui Dieu a fait la grace de le connoistre par experience.