CHAPITRE TRENTE-CINQUIEME

    La sainte continuë à parler de l' oraison de recueillement. Et puis adresse sa parole au pere eternel

    Quoy qu' en traitant de l' oraison de recueillement j' aye desja fait voir comme nous devons nous retirer au dedans de nous pour y estre seules avec Dieu, je n' ay pas laissé de m' étendre encore beaucoup sur ce sujet, parce que c' est une chose de grande importance. C' est ce qui me fait ajoûter, mes filles, que lors que vous entendrez la messe sans y communier, vous pourrez y communier spirituellement, parce que cette pratique sainte est extremement utile. Vous devez alors vous recueillir au dedans de vous tout de mesme que si vous aviez reçû le corps du seigneur. Son amour s' imprime ainsi merveilleusement dans l' ame, parce que nous preparant de la sorte à recevoir ses graces, il ne manque jamais de nous les donner et de se communiquer à nous en diverses manieres qui nous sont incomprehensibles. Car comme si durant l' hyver entrant dans une chambre où il y auroit un grand feu, au lieu de nous en approcher nous nous en tenions éloignées, nous ne pourrions nous bien chauffer, cela n' empescheroit pas que nous ne sentissions moins de froid que s' il n' y avoit point de feu. Il en arrive ainsi dans la maniere dont nous nous approchons de Jesus-Christ en la sainte communion. Mais avec cette difference, qu' il ne suffit pas de vouloir s' approcher du feu pour en ressentir la chaleur : au lieu que si l' ame est bien disposée, c' est à dire si elle a un veritable desir de perdre sa froideur, et de s' unir à Jesus-Christ comme à un feu qui doit répandre dans elle une ardeur divine, et qu' elle demeure ainsi quelque temps recueillie auprés de luy, elle se sentira toute échauffée durant plusieurs heures : et une seule étincelle qui sortira de ce feu sera capable de l' embrazer toute. Or il nous importe tant, mes filles, d' entrer dans cette disposition que vous ne devez pas vous étonner si je le repete plusieurs fois. Que s' il arrive que dans les commencemens cela ne vous reüssisse pas, ne vous en mettez point en peine. Car il se pourra faire que le démon sçachant quel est le dommage qu' il en recevroit, vous representera qu' il y a beaucoup plus de devotion à pratiquer d' autres exercices de pieté, et vous mettra dans un tel serrement de coeur que vous ne sçaurez de quel costé vous tourner. Mais gardez-vous bien si vous me croyez de discontinuer, puis que rien ne peut mieux faire connoistre à nostre seigneur que vous l' aimez veritablement. Souvenez-vous qu' il y a peu d' ames qui l' accompagnent, et qui le suivent dans les travaux ; et que si nous en souffrons quelques-uns pour luy il nous en sçaura bien récompenser. Considerez aussi qu' il y en a qui non seulement ne veulent pas demeurer avec luy, mais le chassent de chez eux. N' est-il pas juste que nous souffrions quelque chose afin qu' il connoisse que nous desirons de le voir ? Et puis qu' il n' y a rien qu' il ne souffre et qu' il ne veüille souffrir pour trouver une ame qui le reçoive et le retienne chez-elle avec joye, faites que ce soit la vostre. Car s' il ne s' en trouvoit aucune qui se tinst honorée de sa presence, son pere eternel n' auroit-il pas raison de ne point permettre qu' il demeurast avec nous ? Mais il a tant d' affection pour ceux qui l' aiment, et tant de bonté pour ceux qui le servent, que connoissant les sentimens de son cher fils il ne veut pas l' empescher d' accomplir un ouvrage si digne de sa bonté, et dans lequel il témoigne si parfaitement quelle est la grandeur de son amour. Dieu tout-puissant qui estes dedans les cieux, il est sans doute que ne pouvant refuser à vostre fils une chose qui nous est si avantageuse vous luy accordez sa demande. Mais aprés qu' il a voulu avec tant d' affection vous parler pour nous, ne se trouvera-t-il point, comme je l' ay dit, quelques personnes qui veulent aussi vous parler pour luy ? Soyons ces personnes, mes filles : et quoy qu' estant si miserables ce soit estre bien hardies de l' entreprendre, ne laissons pas pour obeïr à nostre sauveur qui nous commande de nous adresser à son pere de luy demander que puis que son fils n' a rien oublié de ce qu' il pouvoit faire pour les hommes, en nous donnant son divin corps dans cet auguste sacrifice afin que nous puissions le luy offrir non pas une seule fois mais plusieurs, il empesche qu' il n' y soit plus traité si indignement, et qu' il arreste le cours d' un mal si étrange, en faisant cesser les crimes de ces malheureux heretiques qui abatent les églises où cette adorable hostie repose, massacrent les prestres, et abolissent les sacremens. S' est-il jamais, mon Dieu, rien vû de semblable ? Faites donc finir le monde, ou remediez à ces sacrileges. Il n' y a point de coeur qui les puisse supporter, non pas mesme le nostre, quelque mauvaises et quelque imparfaites que nous soyons. Je vous conjure donc, ô pere eternel, de ne point souffrir ces desordres. Arrestez ce feu qui croist toûjours, puis que si vous le voulez vous le pouvez. Considerez que vostre divin fils est encore au monde, et qu' il est bien juste que le respect qu' on luy doit fasse cesser des actions si abominables. Car comment son incomparable pureté peut-elle souffrir qu' on les commette dans l' église, qui est la maison toute pure et toute sainte qu' il a choisie pour sa demeure ? Que si vous ne voulez, ô mon Dieu, faire cela pour l' amour de nous qui ne le meritons pas, faites-le pour l' amour de luy. Car nous n' oserions vous supplier qu' il cesse d' estre avec nous, puis qu' il a obtenu de vous que vous l' y laisseriez durant tout ce jour, c' est à dire durant toute la durée du monde, sans quoy que seroit-ce de nous ? Tout ne periroit-il pas, puis que ce precieux gage est la seule chose qui soit capable de vous apaiser ? Remediez donc seigneur à un si grand mal. Il ne peut estre arresté que par un puissant remede : et ce remede ne peut venir que de vous, seigneur, qui ne manquez jamais de reconnoistre ce que l' on fait pour l' amour de vous. Que je serois heureuse si je vous avois rendu tant de services qu' ayant quelque droit de vous importuner je pûsse vous demander pour recompense une si grande faveur ! Mais helas ! Je suis bien éloignée d' estre en cet estat, puis que ce sont peut-estre mes pechez qui vous ayant irrité ont attiré sur nous tous ces maux. Que dois-je donc faire, mon createur, sinon de vous presenter ce tres-sacré pain : vous le donner aprés l' avoir reçû de vous ; et vous conjurer par les merites de vostre fils de m' accorder cette grace qu' il a meritée en tant de manieres ? Ne differez pas davantage, ô Dieu tout-puissant, à calmer cette tempeste : ne souffrez pas que le vaisseau de vostre eglise soit toûjours agité de tant d' orages ; et sauvez-nous ; car nous perissons.