LES DISCIPLES
Ils vinrent, ils virent, ils restèrent (jean, 1, 39)
Il importe d'avoir une vision bien nette de la scène qu'évoquent les paroles ci‑dessus de l'Evangile.
Jean‑Baptiste venait d'accomplir le plus grand acte de sa vie de précurseur ‑ il avait baptisé Jésus. Et il Lui avait rendu ce témoignage : « J'atteste que celui‑ci est le Fils de Dieu ».
Le lendemain de ce jour mémorable, Jean était avec deux de ses disciples. Voyant Jésus qui passait, il dit : « Voici l'agneau de Dieu ». Et l'évangéliste ajoute : « Les deux disciples l'entendirent parler ainsi ».
Jean‑Baptiste ne dit pas à ses disciples de suivre Jésus; il ne veut pas inspirer ce geste qui devra déterminer tout leur avenir. L'attachement à Jésus devait être de la part des deux jeunes gens un acte de liberté.
L'instant solennel est arrivé. jésus, les voyant près de Lui; visiblement désireux de L'aborder, leur dit: «Qui cherchez‑vous ? ». Et eux Lui répondent : « Rabbi (ce qui signifie Maître), où demeures‑tu ? ». Et Jésus leur dit « Venez et voyez ».
Les disciples de Jean avaient sans doute le projet de rendre un jour prochain visite à jésus; mais Jésus les invite à venir tout de suite. Et l'évangéliste poursuit « ils vinrent, ils virent, ils restèrent ».
Moments surnaturels. Comme tous les juifs, les deux disciples, attendaient un Messie glorieux qui chasserait les Romains et qui rétablirait Israël dans sa splendeur passée. Après leur entretien avec Jésus, ils prononcèrent, cette parole qui exprime tous leurs rêves exaucés, toutes leurs espérances réalisées . « Nous avons trouvé le Messie ».
Ils étaient venus ; ils avaient vu. Nous ne savons rien de la conversation qu'ils eurent avec jésus ; nous savons seulement que, venus pour un simple entretien, ils restèrent avec Lui jusqu'à la fin du jour et ce jour devait durer toute leur vie.
Et les années ‑ si tôt envolées ‑ qu'ils passérent auprès de Lui furent des années de lumière telles que le monde créé ne peut en donner de semblables. Ils virent leur Maître réaliser la vie du Ciel. sur la terre : la guérison des maladies physiques et morales, la purification de toutes les souillures, la création d'êtres nouveaux, la rédemption de la nature. Ils se sentirent les ‑objets d'un amour qui n'est pas de ce monde et qui devait les accompagner jusque dans l'éternité.
Ils restèrent. Et ils firent cette expérience merveilleuse. Lorsque leur Maître leur fut repris, ils connurent un désespoir indicible; mais, lorsqu'ils Le virent ressuscité, eux, jusque là timides et tremblants, ils se levèrent et partirent à la conquête du, monde. Leur Seigneur leur était plus présent maintenant qu'ils ne Le voyaient plus qu'en esprit, avec les yeux de l'âme, que lorsqu'ils Le regardaient avec les yeux de leur corps, et qu'ils Le touchaient de leurs mains. « Il vous est avantageux que je m'en aille », leur avait‑Il dit.
Les deux disciples ont été conduits au Christ par Jean Baptiste. Chacun de nous a été mené au Christ par une voie différente : la parole, l'exemple d'un être cher, les événements de notre vie, nos joies et nos peines, nos fautes, nos victoires, nos amours ou nos deuils. A chacun de nous, même à ceux qui ne Lui demandent rien, le Christ a dit : « Venez et voyez ».
Et nous avons vu. Nous L'avons vu, Lui, l'Amour, l'Amour même de Dieu, et cet Amour s'est révélé à nous dans notre propre vie. Nous avons éprouvé la miséricorde du Christ, Son pardon, Sa protection. Nous avons ressenti Sa puissance de consolation, d'encouragement, de libération. Il a ouvert devant nous les portes de la vie éternelle. Sa vie est une suite d'inspirations, d'exemples pour notre vie ; nous savons pouvoir constamment attendre de Lui le mot décisif, le conseil qui engage. Son amour éveille en nous l’aspiration vers la pureté première, la nostalgie d'un paradis perdu, du paradis de l'amour fraternel où l'on est bon, où chacun se dévoue pour le prochain et reçoit la force de porter tous les désespoirs.
Il a mis en nos coeurs la pitié, la divine pitié pour la souffrance humaine, la pitié non pas sentimentale mais héroïque et qui va jusqu'au bout. Son Amour est silencieux autant qu'il est grand; il nous a instruits, relevés ; il nous a donné une simplicité inconnue, une nouvelle profondeur d'humilité, une innocence nouvelle, une nouvelle bonté, une bonté inconnue, et aussi une nouvelle pauvreté riche de la ressemblance avec le Fils de l'Homme Il nous a donné, Il nous a rendu la joie
Auprès de Lui nous avons‑ senti que, nous sommes les mêmes êtres et que pourtant nous somme autres, comme des yeux d'aveugle qui s'ouvriraient à la lumière. Il nous a libérés du découragement ; Il nous a dit qu'il est toujours temps de se faire une autre vie, qu'il est toujours possible de renaître à soi‑même et à l'amour.
Il a mis en ‑nous une espérance nouvelle, une certitude, une certitude pour toujours ; une compréhension nouvelle des êtres et des choses, ou plutôt ‑ car nous ne sommes pas ici bas pour comprendre mais pour obéir ‑ un sens nouveau de l'obéissance, l'obéissance des tout petits, l'obéissance de l'amour, l'obéissance qui consiste à constamment faire fade.
Il a écrit Lui‑même dans nos coeurs la parole suprême, écho de la Crèche, du Sermon sur la Montagne et de la Croix : foi, espérance, amour. Il a mis en nous l'amour du silence, du silence qui est la vie, le goût de la prière, de la communion avec Dieu. Et Il a fait de nous de ces petits dont Il disait . « Si vous ne devenez pas comme l'un d'eux, vous n'entrerez pas dans le Royaume de mon Père».
Comme autrefois Il Se penchait sur Ses disciples si souvent défaillants. Il Se penche sur nous ; Il veut nous aider, mais trop souvent nous ne voulons pas L'écouter , Il veut nous consoler, mais trop souvent nous nous enfermons dans notre, souffrance comme Rachel qui « ne voulait pas être consolée » ; Il veut élever nos regards vers les perspectives éternelles, mais trop souvent nous les maintenons fixés sur la terre.
Il est temps de nous ressaisir.
Nous sommes venus, nous avons vu; nous resterons.
Emile BESSON.avril 1969