EPITRE A SAINT BERNARD
Première Abbé de Clairvaux, Docteur de l'Eglise.

JEAN BONA
Cardinal de la S. E. R., son serviteur et son fils indigne.



    Je n'ai pas eu besoin de chercher longtemps à qui je devais dédier ce petit ouvrage du Discernement des Esprits, et sous quel protecteur je le devais donner au public. Car vous m'êtes aussitôt venu dans l'esprit, très grand et très aimable SAINT, qui êtes mon Père, et dont j'ai reçu des secours et des bienfaits beaucoup plus signalés que je ne pourrais l'expliquer en peu de paroles. Et pour marquer seulement le bienfait que je dois davantage considérer dans ma vie, c'est à votre assistance et à votre protection que je suis redevable d'avoir été retiré de ce siècle dès mes plus jeunes années ; d'avoir appris à mépriser le monde, avec ses pompes et ses richesses ; de m'être uni à vos enfants, pour entrer, par leur exemple et par leur conduite, dans la voie la meilleure et la plus étroite, lorsque j'avais sujet de craindre qu'en demandant de moi des fruits dignes de la grande culture que j'avais reçue, et ne les trouvant point, vous ne me fissiez couper comme un arbre stérile, et ne me condamnassiez aux flammes ; par une clémence et une bonté toute de Père, vous ne m'avez point rejeté, quoique je ne méritasse nullement que vous me regardassiez comme votre fils ; mais vous m'avez obtenu de celui qui est la source de tous les biens, la rosée des grâces divines ; et vous avez daigné m'éclairer, afin de me faire discerner et détester mes erreurs, après que je serais sorti des ténèbres où je vivais. J'attribue à votre protection toute personnelle cette singulière grâce d'avoir reçu, au fond de mon coeur, les avertissements si importants et les enseignements du salut dont vous avez si puissamment instruit vos disciples tous les jours de votre vie, et d'y avoir trouvé toute ma joie. Je reconnais que c'est une marque de la miséricorde de Dieu vers moi, dont je lui rends grâces, que j'aie pris plaisir à écouter vos paroles, non comme les paroles d'un homme, mais comme les paroles de Dieu, ainsi qu'elles le sont véritablement ; vu que la sagesse, qui reluit admirablement dans vos écrits, dérive de cette véritable sagesse qui est Dieu même. Car soit que vous instruisiez les religieux, soit que vous repreniez les vices, soit que vous détruisiez les hérétiques, soit que vous surmontiez les schismatiques, soit que vous expliquiez ce qu'il y a de plus caché dans les mystères, soit que vous fassiez voir la grandeur de la grâce de Dieu, soit que vous instruisiez les souverains Pontifes, soit que vous enseigniez l'obligation d'aimer Dieu, soit que vous représentiez les mérites des saints, soit que vous traitiez des plus importantes affaires ; on ne saurait rien lire ou de plus éloquent, ou de plus puissant à persuader. Vos paroles, pleines d'ardeur et de douceur, touchent vivement et pénètrent les coeurs. Elles sont comme un parfum exquis qui répand son odeur : mais c'est une odeur de vie pour ceux à qui il est donné par le Père éternel de la recevoir, selon ce témoignage de son Fils : Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux simples et aux petits (Mat. 11. 25.). Ce sont ces mystères inconnus et cachés de la Sagesse incréée qui ne peuvent être connus que de ceux qui ont reçu son esprit ; duquel il est dit dans l'Écriture, que l'esprit pénètre tout, et même ce qu'il y a en Dieu de plus profond et de plus caché (1. Cor. 2. 10.). Que je souhaiterais d'avoir eu cet esprit, lorsque j'ai commencé à m'appliquer à cet ouvrage ! Car j'aurais donné des règles certaines et infaillibles pour distinguer les bons esprits des mauvais, la vraie lumière de la fausse, et le sifflement du serpent de cette voix dont le divin époux parle au coeur sans employer de paroles extérieures. Si vous étiez présentement parmi nous, je m'attacherais à vous ; je vous conjurerais de me découvrir votre secret, et j'aurais une attention continuelle à vous écouter, comme avaient autrefois vos disciples : et je ne douterais point de la vérité de vos paroles, parce que la souveraine vérité me dirait intérieurement que vous ne diriez rien que de vrai. Mais maintenant, quoique je vous entende parler, et que vous m'instruisiez par ce langage muet que vous nous tenez dans vos écrits, je crains que mes péchés ne soient cause que je ne reçoive pas les paroles qui sortent de votre bouche, et que vous ne m'instruisiez pas encore que vous me parliez, puisque vous ne pouvez pas instruire celui qui n'entend point ce que vous dites. Et si j'entends quelques-uns de vos discours, à peine osé-je m'estimer capable d'expliquer grossièrement ce que j'en aurai compris. Quelle est donc ma science, puisque j'ignore si je sais quelque chose ? C'est pourquoi j'ai employé dans ce traité vos paroles et celles des autres Pères de l'Église qui vous ont précédé, n'ayant pas osé rien avancer qui n'ait été appuyé sur leur inébranlable autorité, et sur l'infaillible témoignage des Écritures saintes, ou sur des expériences assurées. Mais, GRAND SAINT, je vous ai suivi par-dessus tous comme mon maître, comme mon docteur, comme celui à qui Dieu a donné une singulière capacité d'enseigner cette haute Théologie : en sorte que j'espère que vous n'aurez pas désagréable le présent que je vous fais de mon travail, comme un témoignage de mon très profond respect, et de ma reconnaissance vers vous, quelque peu de mérite qu'il puisse avoir ; puisqu'il vous appartient comme ayant été tiré des riches trésors de votre sagesse.

    Daignez donc le recevoir et le protéger par votre bonté paternelle ; et obtenez pour ceux qui liront ce livre, que Dieu répande en leur âme une lumière qui les tienne attachés aux connaissances éternelles et immuables, et qui les fasse reposer dans l'amour et la bienheureuse possession de la Vérité divine, en leur faisant mépriser les discours trompeurs du monde et des démons. Voilà la récompense que je souhaite recevoir pour cet ouvrage.

A Rome, le jour de la fête de saint Bernard, 1672.