Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -
XV
SES EXTASES ET SON ORAISON
1. Parmi toutes les privations qu'Anne Catherine eut à supporter dans le cloître, il n'y en eut pas de plus pénible pour elle que le manque d'une direction sacerdotale parfaitement sûre. Elle n'avait pas de confesseur avec qui elle pût s'ouvrir entièrement sur son état intérieur et sur tout ce qui lui arrivait. Il lui fallait donc porter seule tout le fardeau qui pesait sur elle, et il n'y avait personne qui pût lui en alléger le poids par une direction éclairée.» Je criais sans cesse vers Dieu, a-t-elle raconté, pour qu'il voulût bien m'envoyer un prêtre auquel je pusse m'ouvrir entièrement : car j'étais assez souvent dans une extrême inquiétude, craignant que tout ne vint de l'esprit malin. Je tombai dans le doute et, par crainte d'être dans l'illusion, je rejetais tout ce qui pourtant était devant mes yeux, ce que je souffrais, ce dont je vivais, ce qui était d'ailleurs pour moi une source de force et de consolation. L'abbé Lambert cherchait bien à me tranquilliser ; mais, comme il savait trop peu l'allemand, je me sentais hors d'état de lui faire comprendre clairement tous les incidents de ma vie et mes tribulations revenaient sans cesse. Ce qui m'arrivait et ce qui se passait en moi était incompréhensible pour moi-même, pauvre paysanne que j'étais, quoi que depuis mon enfance je l'eusse éprouvé constamment et que je ne m'en fusse jamais étonnée. Mais, dans les quatre dernières années de mon séjour au couvent, j'étais presque continuellement en contemplation, et les incidents qui étaient la suite de cet état se multipliaient or, dans une pareille situation, je ne pouvais en rendre compte à d'autres personnes qui n'avaient jamais pensé rien de semblable et qui regardaient par conséquent de pareilles choses comme tout à fait impossibles. Dans mon délaissement, comme je priais un jour toute seule l'église, j'entendis clairement et distinctement ces parole qui produisirent en moi une émotion profonde : « Est-ce que je ne te suffis pas ?»
2. On ne doit pas s'étonner qu'Anne Catherine, voyant se multiplier de plus en plus pour elle les contemplations les plus variées, se trouvât souvent sans conseils et sans aide et fût tourmentée de doutes pénibles : car le don de contemplation comme tous les autres lui était départi pour l'accomplissement de sa tâche expiatoire en faveur de l'Eglise, et par conséquent il lui apportait des souffrances qui, aussi bien que ses souffrances corporelles correspondaient à l'état de l'Eglise d'alors pris dans son ensemble. Cela en faisait pour elle un si pesant fardeau que, sans l'assistance continuelle, immédiate et personnelle de son fiancé céleste, elle aurait succombé à la peine. En nous reportant à la direction de sa première enfance, pendant laquelle, elle était déjà favorisée des visions les plus-riches touchant l'histoire de notre Rédemption, nous reconnaîtrons facilement que, dès ce temps, elle était préparée d'avance à la grandeur de sa tâche future. Car, parmi ces contemplations d'une richesse infinie, où sa vie intérieure se mêlait à ce qu'elle contemplait, son âme mûrissait et arrivait par degrés à la force incroyable qu'il lui fallait pour contempler aussi le côté ténébreux des visions, c'est-à-dire le développement du mystère d'iniquité ou le combat de l'ennemi de notre salut contre l'Église, et pour entrer en lutte avec les puissances du mal d'une manière correspondante aux relations qu'elle entretenait habituellement avec les saints du calendrier ecclésiastique. Si donc Anne Catherine souffre pour la foi, ce ne sont pas seulement les blessures et les coups portés au corps de l'Eglise par l'incrédulité, par la destruction des choses saintes et la profanation du culte divin, qu'elle a à endurer, comme représentant l'Eglise, et à expier par les souffrances de son propre corps : mais elle doit, en outre, lutter contre la ruse et la malice de l'ennemi lui-même qui, pendant que les gardiens sont endormis, se glisse dans la vigne et y sème la mauvaise semence ; elle doit détruire les
mauvaises herbes avant qu'aucune d'elles puisse germer et croître. Elle lutte et combat contre l'ennemi des âmes en s'opposant à ses attaques, dirigées surtout contre le sacerdoce, et pour cela la pureté sans tache de son âme, la profonde humilité de son cœur, son inébranlable confiance en Dieu, la liberté spirituelle qu'elle a conquise par les voies pénibles de l'abnégation et du renoncement à soi-même lui forment une armure qui la rend invulnérable à la rage de l'enfer. Or, dans ce combat, ce n'est pas la lumière de la contemplation, mais la force et la vivacité de la foi qui lui assurent la victoire. Dieu permet à la vérité qu'elle souffre de cruelles tribulations spirituelles, quand elle combat face à face le père du mensonge et ses stratagèmes, quand il lui faut réduire à l'impuissance ses efforts pour égarer les esprits : il la serre de près et la jette dans de terribles angoisses, mais il ne peut parvenir à ébranler sa foi, et les traits qu'il lui lance rebondissent et perdent leur force contre ce bouclier. Jamais Anne Catherine n'avait désiré les visions et les dons extraordinaires : elle les avait reçus de Dieu et en avait eu l'habitude avant de pouvoir même soupçonner que c'était une faveur accordée à elle seule, et non aux autres. Lorsqu'elle en fut avertie, son premier soin fut d'en rendre compte aux ministres de l'Église et de se soumettre à leur jugement pour savoir si ce don était réel et provenait d'une source pure, ou si ce n'était qu'illusion et tromperie. Comme aucun d'eux n'y vit rien de mauvais, elle continua à en user sans inquiétude : cependant ce ne furent pas ses visions, mais la foi seule qui fut la règle de sa conduite, et elle aurait souffert mille fois la mort plutôt que de s'écarter de cette règle. Quand, plus tard, elle entra en lutte avec l'ennemi des âmes, il put arriver que celui-ci, par la permission de Dieu, la fît douter de ses visions, l'inquiétât par des images effrayantes ou cherchât à lui persuader que ses contemplations venaient de lui, mais il ne lui fut pas donné d'aller plus loin. Elle répondit au tentateur par des actes de foi divine et de soumission complète à l'enseignement infaillible de l'Eglise, et par des protestations chaleureuses contre tout ce qui n'était pas conforme à la règle de la foi, refusant toute sa croyance aux visions dans le cas où elles seraient en contradiction avec cette règle.
Dans ces rudes combats, souvent répétés, Anne Catherine restait délaissée, sans assistance et sans direction sacerdotales ; délaissée comme l'Eglise elle-même où les chaires épiscopales restaient vides et les troupeaux sans pasteur qui pût combattre les ravages toujours croissants de l'incrédulité, où nul docteur n'élevait plus la voix contre elle, pendant. que des lieux communs vides et retentissants étaient l'effort suprême par lequel le précieux trésor de la foi était moins défendu que ravalé.
3. On ne peut se défendre d'une impression toute particulière, quand on voit, dans la désolation de cette époque encore si voisine de nous, la religieuse de Dulmen, semblable à une fleur miraculeuse, déployer entre les murs du cloître prêts à s'écrouler une beauté comparable à ce qui s'est vu de plus merveilleux dans les meilleurs jours des siècles antérieurs. Lorsque sainte Thérèse et sainte Madeleine de Pazzi faisaient l'ornement de l'Eglise, l'ordre de saint Ignace était dans sa première floraison ; il s'était rapidement propagé par toute l'Eglise à laquelle il avait donné plus de saints et de docteurs qu'aucun institut religieux ne l'avait fait depuis le temps de saint François et de saint Dominique. De même lorsque sainte Catherine de Sienne, sainte Lidwine, sainte Colette remplissaient la vigne de leur bonne odeur, l'Eglise languissait, il est vrai, dans une grande détresse ; toutefois, outre
ces saintes, on voyait briller, dans tous les pays, des saints et des docteurs. Mais aucune époque ne fut plus désolée, plus abandonnée que celle où le Maître de la vigne répandit sur la petite bergère de Flamske la plénitude de ses grâces, lesquelles, partagées entre plusieurs, auraient suffit, ce semble, pour donner à l'Eglise toute une troupe de grands serviteurs de Dieu. Mais comme le Seigneur n'enrichit l'individu de ses dons qu'à la condition d'une coopération fidèle, en sorte que, si celui-ci les enfouit, ils sont accordés à un autre qui en fait un meilleur usage, ainsi les mêmes rapports entre la dispensation et la coopération se reproduisent en grand dans la communauté des fidèles. Dans aucun temps, la puissance et la miséricorde de Dieu ne sont raccourcies, mais quand, par la faute de ceux qui devraient recevoir, les vases manquent pour recueillir la richesse surabondante de ses dons, il reporte les merveilles de son amour sur le petit nombre des serviteurs fidèles qui reçoivent de plus pour leur part les grâces dont les autres n'ont pas fait usage. C'est pourquoi les dons comme les souffrances ont chez Anne Catherine un caractère si grandiose et si inusité. Les extases et les autres états extraordinaires de sainte Madeleine de Pazzi se produisaient au milieu d'une communauté cloîtrée qui regardait tout cela avec un respect mêlé de crainte ; cette même sainte, étant maîtresse des novices, avait autour ses jeunes élèves qui, poussées par une innocente curiosité, se plaisaient à parler de Dieu et de ses saints pour voir leur maîtresse tomber en extase ; mais Anne Catherine avait des ravissements auxquels il lui était impossible de résister, parmi des compagnes pour qui sa personne était, à cause de cela, aussi importune et aussi odieuse que l'était pour la grossière incrédulité de l'époque l'Église elle-même, insolemment outragée et blasphémée parce qu'elle osait encore, dans son bréviaire et ses légendes, confesser à haute voix la magnificence et la grandeur de Dieu dans ses saints.
4.» J'étais souvent impuissante à cacher ce qui se passait en moi, racontait Anne Catherine, et je tombais en défaillance devant mes compagnes. Etant un jour au choeur, sans chanter avec les autres, je fus prise comme de paralysie, en sorte que je tombai par terre quand mes voisines me poussèrent. Elles m'emportèrent et, pendant ce temps, je vis une religieuse marcher sur le toit de l'église et aller ainsi jusqu'au faite où il n'était possible à personne de monter : il me fut révélé plus tard que c'était Madeleine de Pazzi qui a porté les marques des plaies du Seigneur. Une autre fois, je la vis courir sur la balustrade du choeur, une autre fois monter sur l'autel ou détourner la main du prêtre. Ces chemins périlleux me firent faire attention à mon état et je pris bien garde de ne pas me laisser aller à mes défaillances. Au commencement mes sœurs qui ne comprenaient rien à tout cela me faisaient de grands reproches de ce que souvent je restais prosternée dans l'Eglise, le visage contre terre et les bras étendus. Cela arrivait sans que je pusse l'empêcher, aussi cherchais-je des places cachées où l'on ne put pas me voir aisément. Mais j'étais ravie hors de moi, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, et je restais immobile et les membres raidis, soit prosternée sur le visage, soit agenouillée et les bras étendus, et le chapelain du couvent me trouvait dans cet état. J'avais toujours vivement désiré de voir aussi sainte Thérèse ; parce que j'avais entendu dire qu'elle avait eu beaucoup à souffrir avec ses confesseurs. Je la vis en effet plusieurs fois, faible et malade, écrivant sur une table ou dans son lit. Il me semble que je voyais un rapport intime entre elle et Madeleine de Pazzi. J'eus aussi la révélation intérieure que Madeleine de Pazzi, dès son enfance, était déjà placée très haut devant Dieu par sa simplicité et l'ardeur de son amour.
« Pendant que je faisais mes fonctions de sacristine, j'étais souvent enlevée tout à coup, et je grimpais, je montais, je me tenais debout dans les parties hautes de l’église sur des fenêtres, des ornements sculptés, des pierres en saillie ; je nettoyais et arrangeais tout dans des endroits où la chose eût été humainement impossible. Je me sentais élevée et soutenue en l’air, et cela ne m'inquiétait en rien, car j'étais accoutumée dès l'enfance à être assistée par mon bon ange. Quelquefois en revenant à moi, je me trouvais assise dans une armoire où je conservais les effets de la sacristie : d'autres fois, je m'éveillais dans une encoignure voisine de l'autel où l'on ne pouvait pas me voir, même quand on était tout contre. Je ne puis imaginer comment j'arrivais là, sans déchirer mes habits, car il était très difficile d'y pénétrer. Souvent on m'éveillant, je me trouvais assise sur la plus haute poutre de la toiture. Cela arrivait communément quand je me cachais pour pleurer. J'ai vu aussi Madeleine de Pazzi monter ainsi et faire d'étranges courses sur les planches, les poutres, les échafaudages et les autels.»
5. Overberg de son côté déposa ainsi :
« Anne Catherine a souvent eu des évanouissements, (c'est-à-dire des extases), dans le couvent, spécialement quatre années avant sa suppression. Ils lui venaient partout, au travail, dans le cloître, dans le jardin, dans l'église et dans sa cellule. Alors elle s'affaissait sur elle-même et restait étendue par terre. Le plus souvent, cela lui arrivait quand elle était tout à fait seule ; quelquefois aussi, elle a eu de petites attaques au réfectoire, mais elle demandait à Dieu de ne pas en avoir là. Souvent elle croyait n'avoir perdu l'usage de ses sens qu'une minute mais quand elle regardait l'heure, elle reconnaissait que cela avait duré longtemps.
« Comme je lui demandais si elle distinguait entre les évanouissements causés par la faiblesse et les autres (les extases), elle répondit : « Dans les évanouissements de faiblesse, je me sens tout à fait mal, je souffre quelquefois tellement dans mon corps qu'il me semble que je vais mourir ; dans les autres je ne sens pas mon corps, je suis souvent toute joyeuse, quelquefois aussi je suis triste. Je me réjouis de la grande miséricorde de Dieu envers les pêcheurs qu'il va chercher pour les ramener et qu'il accueille ensuite avec tant d'amour. Puis je m'attriste sur les péchés des hommes, et je gémis de ce que Dieu est si horriblement offensé.»
« Souvent dans la méditation, il me semblait contempler, le ciel et y voir Dieu. Quand j'étais dans l'amertume ; il me semblait souvent que je marchais sur un sentier très étroit, large à peine comme le doigt. Des deux côtés je voyais de noirs abîmes sans fond : ou bien tout me paraissait beau et verdoyant, et un jeune homme resplendissant me tendait la main et me conduisait sur l'étroit sentier. Souvent aussi Dieu me disait quand j'étais dans la désolation et la sécheresse : « Ma grâce te suffit, « et cela m'était bien doux à entendre.»
6. Il arrivait aussi assez fréquemment qu'Anne Catherine dans l'état d'extase, recevait de son ange l'ordre de rappeler à ses sœurs l'observation de la règle. Elle paraissait ensuite devant elles sans sortir de cet état, et citait, en versant des torrents de larmes, les prescriptions de la règle qui se rapportaient au silence, à l'obéissance, à la pauvreté, à l'office divin, à la discipline claustrale et étaient le plus fréquemment violées. Souvent elle se jetait aux pieds d'une sœur chez laquelle elle voyait s'élever des mouvements d'aversion ou même de haine prononcée, la suppliait de pardonner et d'être charitable, et l'aidait par là à surmonter la tentation et à reconnaître combien de pareils sentiments étaient coupables. Ces humbles supplications avaient assez souvent pour résultat que les religieuses, au lieu de prendre mal la chose et de se fâcher, se sentaient poussées ou forcées en quelque sorte à aller trouver Anne Catherine pour s'ouvrir à elle ou même lui dévoiler leur intérieur. Elles demandaient alors ses conseils et ses prières pour manquements : mais elles retombaient facilement dans des accès de mauvaise humeur et devenaient méfiantes, s'il leur semblait trop pénible de suivre le conseil reçu, de pratiquer telle ou telle mortification, de comporter sur elles-mêmes telle ou telle victoire qui eût été pourtant si nécessaire. Il s'éveillait dans ces faibles cœurs de nouveaux soupçons ; elles s'imaginaient qu'Anne Catherine maintenant ne cessait de penser aux manquements et aux fautes dont elles s'étaient accusées devant elle, tandis qu'en réalité elle n'y pensait pas le moins du monde : car elle avait coutume de recevoir ces sortes de confidences intimes comme quelque chose qui lui aurait été communiqué en vision, et elle n'en conservait le dépôt que pour Dieu et en vue de l'âme qui ; avait besoin de son assistance. En outre, quand elles lui étaient faites, elle écoutait bien moins la voix de la personne qui lui parlait que la voix de son guide céleste, parce qu'elle demandait à Dieu la lumière nécessaire pour donner de bons conseils et une utile assistance à celle qui en avait besoin, et c'est pourquoi dans ces moments-là, toute personnalité disparaissait pour ainsi dire à ses yeux.
7. « Souvent aussi, disait-elle, pendant que j'étais occupée d'un travail, ou malade et couchée dans mon lit, je me trouvais en même temps présente en esprit parmi mes soeurs ; je voyais et j'entendais ce qu'elles faisaient et disaient, ou bien je me trouvais dans l'église devant le Saint-Sacrement quoique je n'eusse point quitté ma cellule. Comment cela se faisait-il, c'est ce que, je ne puis dire. La première fois de ma vie que je m’aperçus de quelque chose de semblable, je crus que c'était un rêve. C'était dans ma quinzième année, lorsque je demeurais hors de la maison paternelle. J'avais été poussée à prier pour une fille légère afin de l'empêcher d'être séduite une fois pendant la nuit, il me sembla voir qu'on tendait un piège à cette fille. Dans mon angoisse, je courus bien vite à sa chambre, je chassai le valet de la maison qui se trouvait devant la porte et j'entrai dans la chambre où je trouvai la fille dans un grand effroi. En réalité je n'avais pas quitté mon lit et je regardai cela comme un simple rêve. Le lendemain matin la fille était très intimidée devant moi et n'osait me regarder en face. Plus tard elle me raconta toute l'histoire avec de grands remerciements, disant que j'avais chassé le tentateur, que j'étais venue dans sa chambre et l'avais défendue de la séduction. Alors il me fallut bien penser que ç'avait été quelque chose de plus qu'un simple rêve. A une époque postérieure de ma vie, il m'arriva très souvent des choses du même genre. Ainsi une femme que je n'avais jamais vue des yeux du corps vint à moi tout émue, et quand elle put me parler seule, fondit en larmes, me remercia et me raconta avec un grand repentir sa faute et sa conversion. Alors je la reconnus, elle et son histoire : c'était un travail par la prière qui m'avait été précédemment imposé par Dieu.
8. « Ce n'est pas toujours en esprit seulement que j'ai été envoyée au secours de pauvres personnes comme celle-là, mais j'y suis allée aussi corporellement. Il y avait dans les bâtiments du couvent des domestiques laïques ; or, une fois que j'étais retenue au lit par une grave maladie, je vis là pendant la nuit deux personnes qui tenaient ensemble des discours pieux en apparence, mais dont le cœur était plein de mauvaises pensées. Je me levai voyant clair, et je me rendis par le cloître aux bâtiments en question afin de séparer ces gens. Quant ils me virent venir, ils s'enfuirent effrayés et me témoignèrent par la suite de la mauvaise humeur. Comme je m'en retournais, je revins à moi : je me trouvai au milieu de l'escalier du couvent et je ne pus regagner ma cellule qu'à grand'peine, tant j'étais faible.
9. « Une autre fois une des sœurs crut m'avoir vue près du foyer de la cuisine, prenant quelque chose dans un pot pour le manger en cachette, ou cueillant des fruits dans le jardin. Elle courut aussitôt trouver la supérieure pour lui révéler la fourberie : mais on me trouva couchée dans ma cellule et malade à la mort. De tels incidents faisaient de mon état quelque chose de pénible pour les autres religieuses qui ne savaient pas ce qu'elles devaient penser sur mon compte.»
10. Depuis qu'Anne Catherine était entrée dans le couvent, aucune souffrance ne lui parut pouvoir être mise en balance avec le suprême bonheur d'habiter dans le voisinage du très saint Sacrement et de pouvoir passer en sa présence une grande partie de la journée. Etait-elle dans sa cellule, ou se trouvait-elle occupée à travailler dans quelque autre endroit du couvent, elle se tournait comme involontairement vers le tabernacle de l'Eglise, car le sentiment de la présence réelle et vivante du Seigneur n'était, jamais absent de son cœur. Ni l'éloignement, ni l'épaisseur des murailles ne pouvaient être pour son œil une barrière qui l'empêchât de se porter vers le saint Sacrement, en quelque partie du couvent qu'elle se trouvât : car chaque fois qu'elle y pensait avec amour, cette pensée la mettait en état de contemplation, et si l'obéissance n'enchaînait pas l'aspiration de son âme, elle se trouvait prosternée sur les degrés de l'autel, en même temps qu'elle était corporellement dans sa cellule ou au travail devant ses compagnes. Dans tout ce que la règle du couvent lui imposait, elle savait trouver quelque chose qui se rapportait au saint Sacrement, et c'est pourquoi elle était aussi fidèle et aussi scrupuleuse dans les plus petites choses que dans les grandes. Les arrangements qu'elle avait à faire en qualité de sacristine étaient spécialement pour elle une fonction si sainte qu'elle était souverainement heureuse de ne pouvoir s'en acquitter qu'avec de grandes douleurs physiques : car elle savait qu'elle servait le roi des rois et que les anges lui portaient envie pour cela. Ainsi elle était à la lettre incessamment tournée vers son Seigneur dans le saint Sacrement comme la fleur vers le soleil ; tout était dirigé vers lui, son corps et son âme, ses pensées et ses sentiments, avec tous les trésors dont son cœur était rempli ; tout faisait monter vers lui le doux parfum de l'amour et de la souffrance. Et ses souffrances pour le saint Sacrement étaient grandes comme son amour : car aucun péché ne criait plus haut vers le ciel et n'avait un plus grand besoin d'expiation que celui dont les hommes de cette époque se rendaient coupables en s’attaquant à l'adoration et à la confession de la présence réelle. Au temps même où brûlait dans le cœur d'Anne Catherine une flamme d'amour assez puissante pour réchauffer une multitude d'âmes, non-seulement les maisons de Dieu étaient profanées et détruites en très grand nombre, mais la lumière de la foi à la présence vivante de Dieu dans le Sacrement menaçait de s'éteindre presque partout, parce que la haine de la secte janséniste avec ses prétendues lumières cherchait à bannir des églises le sacrifice non sanglant et les saintes solennités qui en entourent l'offrande depuis son institution, de même qu'à chasser des cœurs la vénération envers la très sainte Vierge. Toute la suite de ces abominations passait devant son âme, et la remplissait d'une tristesse indicible, chaque fois qu'elle s'agenouillait devant l'autel ; c'était comme si elle avait eu à supporter corporellement à la place de son fiancé les douleurs causées au cœur de Jésus par les outrages envers le saint Sacrement. Où aurait-il pu chercher une compensation pour ces injures puisque ses plus cruels ennemis étaient dans les rangs de ceux auxquels il avait confié le pouvoir le plus élevé sur le gage de son amour ? Souvent Anne Catherine, dans les ténèbres de la nuit, se réfugiait devant l'Eglise fermée et restait devant la porte à gémir et à se consumer dans la douleur et le désir jusqu'à ce que, toute transie de froid, elle pût y être introduite au point du jour. Car aux peines expiatoires qu'elle supportait pour l'amour du Sauveur, elle ne pouvait trouver d'adoucissement et de consolation que dans son voisinage. Or ses souffrances étaient aussi diverses que les péchés des hommes de son siècle contre le saint Sacrement. Depuis la tiédeur et l'indifférence du commun des chrétiens dans la préparation et l'action de grâces avant et après la sainte communion jusqu'aux sacrilèges des ennemis de l'Eglise, il n'y avait rien pour quoi elle n'eût à faire pénitence, et elle aurait bien vite succombé à cette terrible tâche, si Dieu ne se fût hâté d'effacer de son âme les violentes et terribles impressions des tableaux où elle voyait ces crimes et s'il ne l'avait pas remplie de ses consolations. Plus sa merveilleuse intuition de la magnificence et de la grandeur du sacrement devenait vive et profonde, plus ses aspirations vers lui devenaient ardentes, plus aussi augmentaient sa dévotion, sa sainte vénération et son humilité intérieure : il arrivait ainsi, que toutes les fois qu'elle devait recevoir la sainte communion, il s'élevait en elle une lutte entre l'amour enflammé de désir et la sainte frayeur d'une créature accablée par le sentiment de son indignité et de ses fautes, lutte à laquelle l'obéissance seule pouvait mettre un terme. Jamais elle ne cessa de craindre que ce ne fût elle qui, par suite de ses imperfections, fût la première responsable de tant d'infractions faites à la règle de l'ordre et de tant d'atteintes portés à la charité par ses soeurs : et c'est pourquoi dans son humilité sincère, elle n'osait pas s'approcher de la sainte table aussi souvent qu'elle en avait besoin et que le voulait son confesseur.
11. Voici ce qu'Overberg rapporte à ce sujet
« Son confesseur voulait qu'elle communiât plus souvent que ses compagnes n'avaient coutume de le faire. Elle le fit pendant quelque temps, mais elle y renonça, contrairement à la volonté du confesseur, depuis la Purification jusqu'un peu après la Pentecôte, et cela, par respect humain, parce que sa communion fréquente était regardée comme une affectation de sainteté et qu'on tenait à ce sujet toute sorte de propos. En outre, elle se regardait comme trop mauvaise pour pouvoir communier si souvent. Mais elle tomba par là dans un si triste état qu'elle ne savait plus que faire pour en sortir, et que souvent elle ne pouvait s'empêcher de murmurer et de se plaindre. A la fin, elle reconnut la faute qu'elle avait commise en ne suivant pas les avis de son confesseur et se remit à communier plus fréquemment. Toutefois, il lui fallut expier cette désobéissance durant deux ans, car, pendant ce temps, toute consolation lui fut retirée et elle fut laissée dans une sécheresse complète.
« Au bout de ces deux ans, les consolations revinrent et elle ressentit un si ardent désir de la sainte communion qu'elle ne pouvait attendre l'heure ordinaire pour la recevoir. Son confesseur régla donc les choses de manière à ce qu'elle pût faire ses communions extraordinaires avant le lever des autres soeurs, afin que la chose fût moins connue et ne fit pas d'effet. Elle allait alors frapper à la porte de l'abbé Lambert qui avait la bonté de lui donner la sainte communion de très grand matin.
« Elle venait souvent avant le temps marqué, parce qu'elle ne pouvait résister plus longtemps à la violence du désir lui la portait vers le saint Sacrement. Une fois elle vint très peu de temps après minuit, parce que soir désir était si ardent qu'elle se croyait au moment d'en mourir. C'était comme si tout son intérieur eût été en feu et elle se sentait attirée vers l'église avec une telle violence que ses membres semblaient près d'être arrachés de son corps. L'abbé Lambert fut très mécontent de l'entendre frapper sitôt à sa porte : mais quand il vit dans quel état elle se trouvait, il vint lui donner la sainte Eucharistie.
12. « Elle assistait à la sainte messe avec une dévotion extrême. Quand le prêtre commençait les prières, elle se transportait en esprit sur la montagne des oliviers et y contemplait Jésus. Elle priait alors Dieu pour tous les hommes afin qu'il leur fit la grâce d'assister pieusement à la sainte messe ; pour le prêtre afin qu'il offrît le saint sacrifice de la manière la plus agréable à Dieu ; enfin pour que Jésus voulût bien jeter sur tous les assistants un regard miséricordieux comme il l'avait fait pour saint Pierre.
« Au Gloria, elle louait Dieu avec tous les anges, tous les saints, tous les pieux chrétiens existant sur la terre et rendait grâce au Sauveur de ce qu'il renouvelle tous les jours son sacrifice : elle le priait d'éclairer tous les hommes et de consoler les pauvres âmes du purgatoire.
« A l'Evangile, elle demandait à Dieu pour elle-même et pour tous les autres hommes, la grâce de bien pratiquer les enseignements évangéliques.
« A l'Offertoire, elle offrait à Dieu le pain et le vin avec le prêtre et priait pour qu'ils fussent changés au corps et au sang de Jésus-Christ : elle se disait aussi que le moment où le Sauveur allait venir était proche.
« Au Sanctus, elle priait afin que le monde entier s'unît à elle pour louer Dieu.
« A la Consécration, elle députait le Sauveur vers le père céleste, l'offrait pour le monde entier, spécialement pour la conversion des pécheurs, pour le soulagement des âmes du purgatoire, pour ceux qui se trouvaient à l'article de la mort, et pour ses sœurs les religieuses. Elle se représentait alors l'autel comme entouré d'anges qui n'osaient pas lever les yeux sur le Sauveur et se disait qu'il serait bien audacieux à elle de regarder l'autel et qu'elle ne devait pas se le permettre.
13. « Souvent elle voyait autour du Saint-Sacrement une lumière éblouissante, souvent aussi dans la sainte hostie une croix de couleur brune, ou d'une autre couleur, quoique jamais blanche. Si elle eût été blanche elle n'aurait pas pu la voir. La croix ne lui apparaissait pas plus grande que l'hostie, mais l'hostie était souvent alors plus grande que les hosties.
Depuis l'élévation du calice jusqu'à l'Agnus Dei, elle priait pour les âmes du purgatoire, présentait à Dieu le Christ sur la croix et demandait que celui-ci accomplit ce qu'elle-même ne pouvait pas faire. Souvent alors elle était tout-à-fait absente (hors d'elle-même), ce qui arrivait aussi quelquefois avant la consécration.
« A la communion, elle pensait à la mise au tombeau de Jésus-Christ et le priait d'ensevelir le vieil homme et de nous revoir de l'homme nouveau
Si pendant la sainte messe ou en tout autre moment, elle entendait le chant ou l'orgue, elle se disait : « Ah ! qu'il est beau de voir ainsi tout en parfait accord ! Les choses inanimées forment entre elles une aimable harmonie pourquoi les cœurs des hommes ne font-ils pas de même ! combien ce serait charmant !» Et alors elle ne pouvait s'empêcher de pleurer.
14. A Noël, pendant la messe de minuit, elle vit une fois le saint enfant Jésus au-dessus du calice. Ce qui lui parut très singulier, c'est que le prêtre lui semblait tenir l'enfant par les pieds et que, malgré cela, elle voyait aussi le calice. Du reste il lui est arrivé souvent de voir l'enfant dans la sainte hostie, mais très petit.
« Lorsqu'elle était sacristine, elle occupait au choeur une place d'où elle ne pouvait pas voir l'autel : elle avait cédé celle qui lui appartenait à une sœur qui était tourmentée de scrupules quand elle entendait la messe sans pouvoir voir l'autel. Un jour qu'elle se tenait prête à sonner la cloche pour l'élévation, elle vit l'enfant Jésus au-dessus du calice. Oh ! comme il était beau ! Elle se croyait déjà dans le ciel et voulut sauter par dessus la grille pour aller à l'enfant. Alors elle se dit tout à coup : « Mon Dieu ! qu'est-ce que je vais faire !» et elle ne franchit pas la grille, mais elle oublia de tinter. Elle l'oubliait souvent au milieu de la messe, et cela lui attirait des réprimandes.
15. Clara Soentgen a déposé en ces termes : « Quand la sœur Emmerich avait reçu la sainte communion, cela la fortifiait toujours et elle m'a dit souvent que Dieu lui donnait alors beaucoup plus de force. Elle aimait beaucoup à communier le jeudi en l'honneur du Saint-Sacrement. Mais comme cela faisait de l'effet et donnait lieu à beaucoup de bavardages dans le couvent, elle reçut de son confesseur la permission de recevoir la sainte communion en secret. Elle allait la recevoir, tantôt un peu après minuit, tantôt à trois ou quatre heures du matin, parce que le désir ardent qu'elle en avait lui rendait impossible d'attendre plus longtemps.
« Je lui demandai une fois pourquoi, le jeudi, elle s'habillait mieux que les autres jours. Elle me répondit que c'était en l'honneur du très saint Sacrement. Avant et après la communion, elle se servait rarement d'un livre de prières, mais elle méditait toujours.
16. Anne Catherine eut plus tard l'occasion de dire ce qui suit : « J'ai très souvent vu le sang couler de la croix empreinte sur la sainte hostie. Je le voyais clairement et distinctement. Bien des fois j'ai vu le Seigneur sous la forme d'un enfant environné d'une lumière rougeâtre, paraître comme un éclair dans la sainte hostie, Souvent au moment de la communion, je vois le Sauveur paraître comme fiancé tout près de moi, puis disparaître lorsque je reçois le Saint-Sacrement, et je ressens sa présence avec une douceur inexprimable. Quand il entre dans la personne qui communie, il monte et se répand dans l'âme tout entière comme lorsqu'un morceau de sucre se dissout dans l'eau. Il pénètre d'autant plus profondément que le désir de celui qui le reçoit est plus ardent.»
17, Overberg dépose en ces termes sur sa manière, de faire l'oraison dans d'autres circonstances
« Au couvent, comme avant d'y entrer, elle, a toujours prié pour les âmes du purgatoire et pour les pécheurs : au convent elle priait aussi pour ses compagnes, plus rarement pour elle-même. Sauf les prières qu'elle était obligée de faire conformément à la règle, elle faisait peu de prières vocales mais très fréquemment des oraisons jaculatoires. Sa prière habituelle consistait à parler à Dieu comme un enfant à son père : le plus ordinairement, elle obtenait de lui ce qu'elle lui demandait avec une insistance particulière.
18. « Elle ne cessait de s'entretenir avec Dieu nuit et, jour, même à table, ou bien elle méditait. C'est pourquoi souvent elle ne remarquait rien de ce qui se disait pendant le repas. Si l'on portait alors des plaintes contre elle, elle ne s'en apercevait que quand cela devenait trop fort. L'abbé Lambert lui demanda un jour après le repas : « Comment pouvez-vous prêter l'oreille à des discours comme ceux qu'on a tenus tout le temps à table ?» mais elle n'avait pas fait la moindre attention à ce qui s'était dit.»
19. « Pendant un temps aussi, elle avait coutume de disputer contre Dieu sur ce qu'il ne convertissait pas tous ses grands pécheurs et punissait les impénitents de peines éternelles dans l'autre monde. Elle disait à Dieu qu'elle ne comprenait pas comment il pouvait agir ainsi, contrairement à sa nature qui était la bonté même : il lui était pourtant bien facile de convertir les pécheurs, puisque tout était dans sa main. Pouvait-il oublier tout ce que lui et son Fils bien-aimé avaient fait pour les pécheurs et comment celui-ci avait versé son sang sur la croix et avait souffert une mort si douloureuse ? Il devait pourtant se souvenir de ses propres paroles dans les saintes Ecritures, de ce qu'il y dit de sa bonté et de sa miséricorde et des promesses qu'il y a faites. Si lui-même ne tenait pas sa parole, comment pouvait-il demander aux hommes de tenir la leur ?
20. « L'abbé Lambert auquel elle racontait cette dispute lui disait» Doucement : tu vas trop loin !» Elle finit pourtant par voir clairement que les choses étaient comme elles devaient être, car si Dieu convertissait tous les pécheurs, ou si les peines de l'autre vie avaient un terme, les hommes ne tiendraient plus aucun compte de Dieu et ne s'enquerraient de lui en aucune façon.
21. « Elle a toujours en une confiance particulière dans la Mère de Dieu et elle retournait avec plus d'ardeur vers elle quand elle avait péché. Elle la priait ainsi ordinairement» O Mère de mon Sauveur, vous êtes doublement ma mère. Votre Fils vous a donnée à moi pour mère quand il s'est fait homme et quand il a dit à Jean : « Voilà ta mère.» Puis je suis devenue l'épouse de votre Fils. J'ai été désobéissante envers votre Fils, mon fiancé, et j'ai honte de me laisser voir à lui. Ayez donc pitié de moi ! Le cœur d'une mère est toujours si tendre priez pour que j'obtienne mon pardon ! il ne vous sera pas refusé.
22. « Peu de temps avant la suppression du couvent, un jour qu'elle avait cherché inutilement de la consolation près d'une personne, elle courut en pleurant à travers le cloître, de la porte de l'école à l'église, se prosterna devant Saint-Sacrement et cria merci. Elle était presque tombée dans le désespoir parce qu'il lui semblait qu'elle seule était cause de tout ce qui se faisait de mal dans la maison. Dans son affliction elle pria ainsi :
« O mon Dieu, je suis l'enfant prodigue. J'ai dissipé l'héritage que vous m'aviez donné. Je ne suis pas digne d’être appelée votre enfant, ayez pitié de moi ! Accueillez, je vous en supplie au nom de votre douce mère qui est aussi ma mère.» Alors elle reçut de Dieu la réponse qu'elle devait rester en paix, que sa grâce lui suffisait, qu'elle ne devait plus à l'avenir chercher sa consolation près des hommes.
23. « Bien des fois aussi, quand elle implorait instamment quelque chose et faisait de grandes promesses, elle reçut de Dieu cette réponse : « Comment peux-tu promettre de grandes choses quand les petites te sont si difficiles !»
24. Le doyen Rensing, de son côté, a déposé ce qui suit :
« Elle faisait les prières communes avec les sœurs selon elles étaient prescrites, et de même les autres prières vocales qu'elle avait à faire. Mais quand elle priait pour autrui en son particulier (c'est-à-dire mentalement), elle présentait à Dieu sa requête et lui demandait du fond du cœur de vouloir bien l'exaucer : elle ajoutait un Pater noster ou quelque autre courte prière et souvent elle allait jusqu'à entrer en contestation avec Dieu.
25. « Du reste, elle faisait plus volontiers l'oraison mentale que la prière vocale. Elle se faisait d'abord cette question : « Que devrais-tu être, et qu'es-tu ?» Elle allait ensuite de plus en plus avant, en sorte que sa méditation durait souvent très longtemps et qu'elle-même ne savait plus comment elle avait passé, d'un point à l'autre.»
26. Clara Soentgen a déposé ainsi
« La sœur Emmerich m'a raconté que, depuis l'Ascension jusqu'à la Pentecôte, elle était toujours livrée à une contemplation intérieure, où elle voyait les disciples rassemblés dans une salle pour demander le Saint-Esprit, et qu'elle-même s'enfermait avec eux dans cette salle. Elle restait dans cet état de contemplation même quand elle était en compagnie. Cela avait déjà lieu avant son entrée au couvent et, pendant ces dix jours, elle avait coutume de faire plusieurs fois la sainte communion. Au couvent, elle était tellement plongée dans cette contemplation, qu'à table, où j'étais assise auprès d'elle, j'étais souvent obligée de la secouer pour qu'elle mangeât.»
27. Anne Catherine elle-même a dit une fois :
« Je ne puis faire usage des prières de l'Église traduite en allemand. Elles sont pour moi trop insipides et trop rebutantes. Dans la prière je ne suis liée à aucune langue et, dans tout le cours de ma vie, les prières latines de l'Église m'ont toujours paru beaucoup plus profondes plus intelligibles. Au couvent, je me réjouissais toujours d'avance quand nous devions chanter des hymnes et des répons en latin. La fête était alors plus vivante pour moi et je voyais tout ce que je chantais. Notamment quand nous chantions en latin les litanies de la sainte Vierge, j'y voyais successivement dans une merveilleuse vision toutes les figures symboliques de Marie. C'était comme si mes paroles eussent fait apparaître ces images, et au commencement j'étais tout effrayée de cela ; mais bientôt ce fut pour moi une grâce et une faveur qui excitaient beaucoup ma dévotion. J'ai vu là les tableaux les plus admirables.