Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

XVII

COMMENCEMENT DE L'ENQUETE ECCLESIASTIQUE

 

1. Une fois que Clara Soentgen eut pénétré le secret, la connaissance s'en répandit bientôt au loin. Au milieu de mars 1813, les stigmates étaient un sujet de conversation dans la ville de Dulmen et, comme on avait parlé très vivement pour et contre dans un cabaret (note), cela fut cause qu'on prit à ce sujet des informations dont les résultats furent communiqués aux supérieurs ecclésiastiques à Munster. Au nombre de ceux qui avaient pris part à la discussion mentionnée ci-dessus, s'était trouvé le docteur Guillaume Wesener, médecin du district de Dulmen, qui entendait pour la première fois parler de choses de ce genre, mais qui ne voulait voir là que de la superstition ; toutefois, il se proposa de visiter la malade, afin de se mieux rendre compte de la réalité des faits. Wesener avait perdu la foi pendant les années qu'il avait passées à l'Université : mais c'était un homme d'un caractère si bienveillant et si loyal que l'aspect de la patiente produisit sur lui une profonde impression. Il ne savait, à la vérité, s'expliquer aucun des phénomènes qu'il voyait, mais il espérait, grâce à la droiture et à la candeur d'Anne Catherine, arriver promptement à connaître la cause véritable de ce qui paraissait si extraordinaire.

 

(note) Cet entretien dans l'auberge n'avait pas échappé au regard d'Anne Catherine ; car, après la visite du docteur Wesener qui en fut la conséquence, son confesseur lui ayant demandé comment le docteur avait connu son état, elle répondit : « Chez les messieurs de l'auberge, il a parlé contre, et ensuite il est venu pour me voir.»

 

Après quelques visites, il offrit à Anne Catherine ses services comme médecin (note), ce qu'elle accepta de bon cœur. Or, après des observations faites avec le plus grand soin, il arriva à se convaincre que toute idée de fraude ou de tromperie préméditée devait être écartée et qu'il y avait là des faits dépassant, à la vérité, le cercle de ses expériences, mais qui ne pouvaient être niés, ni tenus secrets. C'est pourquoi il délibéra avec le doyen Rensing, curé de la ville, avec le père Limberg et avec un autre médecin, nommé Krauthausen, sur les mesures à prendre pour dresser préalablement un procès-verbal sur les phénomènes qui se produisaient chez Anne Catherine. Pendant que ces messieurs discutaient au presbytère sur les moyens de mettre ce projet à exécution, Dieu dirigeait vers eux le regard d'Anne Catherine afin de la préparer à ce qui allait survenir. L'abbé Lambert se trouvait près d'elle, lorsqu'interrompant tout à coup l'entretien, elle s'écria

« Que va-t-il m'arriver ? On tient conseil chez le doyen sur un examen auquel on doit me soumettre. Si je ne me trompe, mon confesseur est là.»

Peu après ces paroles, le doyen Rensing entra chez elle et lui annonça l'enquête qui avait été décidée.

 

2. Elle eut lieu le 22 mars 1813. On dressa un protocole dont un passage seulement trouvera place ici :

« Sur le dos de ses deux mains, y est-il dit, nous avons remarqué des croûtes de sang desséché, sous lesquelles était une plaie. Dans la paume des deux mains, il y avait de semblables croûtes de sang figé, seulement elles étaient plus petites.

 

(note) Dès sa première visite, Wesener tint un journal continué jusqu'en 1819, dans lequel il consigna non-seulement ses observations et ses expériences touchant Anne Catherine, mais même les exhortations qu'elle lui dressait pour le ramener à la foi et à la pratique fidèle de tous les devoirs d'un bon catholique.

 

Nous avons trouvé ces mêmes croûtes sur la partie extérieure des pieds et au milieu de la plante des pieds. Elles étaient douloureuses quand on les touchait et celles du pied droit avaient saigné, il y avait peu de temps. Au côté droit, nous avons vu, à peu près au-dessus de la quatrième côte, en comptant à partir d'en bas, une plaie longue d'environ trois pouces qui doit saigner quelquefois. Sur le creux de l'estomac nous avons vu certaines marques de forme ronde qui figuraient une croix fourchue. Un peu plus bas, nous avons vu une croix ordinaire formée de raies larges d'un demi pouce et semblables à des meurtrissures. A la partie supérieure du front, nous avons vu, en grand nombre, comme des piqûres d'aiguille qui allaient des deux côtés jusque dans les cheveux. Sur le linge qu'elle portait autour du front nous avons vu beaucoup de petites taches de sang.»

Quand cela fut fini, Anne Catherine dit au doyen Rensing : « La chose n'en restera pas là. Voici des messieurs de Munster qui viennent pour faire un examen : il y a un grand personnage, il ressemble à monseigneur l'évêque suffragant qui m'a confirmée à Coesfeld : il y en a un autre qui est assez vieux et qui n'a que quelques cheveux gris.»

Ces paroles portaient juste : car, dès le 28 mars, (c'était le quatrième dimanche de Carême), le vicaire général de Munster, Clément-Auguste de Droste de Vischering, devenu plus tard si célèbre comme archevêque de Cologne, vint à Dulmen accompagné du respectable doyen Overberg et du conseiller de médecine Druffel pour soumettre Anne Catherine à un rigoureux examen. Le 25 mars, le doyen Rensing avait adressé à ses supérieurs un rapport officiel sur l'état de la malade et il avait envoyé aussi le procès-verbal du médecin dont il a été question plus haut.

 

3. Le rapport que nous donnons ici tout entier était ainsi conçu

« Très-noble baron, très révérend vicaire général, le cœur profondément touché et plein d'émotions religieuses, j'annonce à Votre Révérence, comme à mon supérieur ecclésiastique, un fait bien propre à prouver de la manière la plus frappante que le Seigneur, en tout temps si admirable dans ses saints, opère encore en eux, même dans nos jours d'incrédulité et de frivolité, des signes qui montrent dans son plus vif éclat la force de notre sainte religion et qui portent l'homme léger à réfléchir et l'incrédule à revenir de ses erreurs. Vraiment, le Seigneur choisit encore, comme toujours, les faibles pour confondre les torts et révèle aux simples et aux petits des secrets qu'il cache aux grands et aux savants de ce monde. Jusqu'à présent j'avais été forcé de tenir le cas secret autant que possible, par suite du silence qui m'était imposé, de la condescendance que je croyais devoir à une modestie si favorisée de Dieu et par la crainte des suites fâcheuses qui pouvaient résulter de la divulgation : mais maintenant Dieu a permis que la chose, malgré toutes les précautions prises par moi, ait été pour ainsi dire prêchée sur les toits, qu'elle ait acquis une grande notoriété et qu'elle ait déjà produit beaucoup de bien. C'est ce qui m'a poussé à faire à ce sujet un rapport officiel : car dans de telles conjonctures, il ne me paraît plus convenable de continuer à celer les secrets du roi des rois ; je crois au contraire qu'il vaut beaucoup mieux qu'on fasse connaître les œuvres de Dieu et qu'on le glorifie à cette occasion.

« Anne Catherine Emmerich, sœur de choeur du couvent d'Augustines appelé Agnetenberg et aujourd'hui supprimé, est l'élue du Seigneur dont il s'agit. D'après le témoignage de la maîtresse d'école d'ici, Clara Soentgen, qui a pris l'habit le même jour et chez les parents de laquelle elle a résidé avant d'entrer au couvent, elle a été, dès sa jeunesse, extrêmement pieuse, et elle regardait comme le plus précieux don du ciel la conformité à la volonté de Dieu, spécialement dans les moments de tribulation, afin de ressembler toujours davantage à notre Sauveur crucifié. Cette grâce était le principal objet de ses prières de tous les jours, et l'auteur de tout bien la lui accorda de bonne heure. Pendant les dix ans qu'elle a passés au couvent, elle y a été presque constamment malade et souvent obligée de garder le lit pendant des semaines : mais ce qui augmentait encore sa souffrance, c'est qu'elle était méconnue par les autres sœurs qui ne voyaient en elle qu'une pieuse visionnaire. Elles la traitaient même d'une manière peu charitable, parce que quelquefois, ou, pour mieux dire, habituellement, elle faisait plusieurs communions dans la semaine, parlait souvent avec un saint enthousiasme du bonheur qu'il y a à souffrir, faisait beaucoup d'exercices de piété de surérogation, et, par là, se distinguait trop des autres ; en outre, elle avait laissé quelquefois tomber un petit mot de visions et de révélations. Son état de maladie a continué après la suppression du couvent : maintenant, elle est forcée de rester au lit depuis quelques mois et n'a pris, depuis plus de deux mois, ni remède, ni autre nourriture que de l'eau froide à laquelle, pendant un certain temps, on a mêlé quelques gouttes de vin. Depuis trois ou quatre semaines, elle la boit sans aucun mélange. Ce qu'elle prend en sus, pour cacher au monde qu'elle ne vit que d'eau pure, est aussitôt rejeté per vomitum. En entre, elle a de si fortes sueurs que le soir tout ce qu'elle a sur elle et autour d'elle est trempé comme si on venait de le tirer de l'eau. Elle rend par là chaque jour un nouveau témoignage à la vérité du vieil enseignement biblique que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. Communément, elle a le soir une défaillance qui dure parfois deux heures entières et même davantage. Pendant cet défaillance que j'appellerais plutôt une sainte extase, elle devient raide comme une pièce de bois, en sorte que tout le corps se pose, comme ferait une perche, sur le côté ou l'on tourne sa tête avec la main ; mais le teint de son visage reste dans cet état aussi vermeil que celui d'un petit enfant : et si, pendant ce temps, lors même qu'elle a un oreiller ou la couverture du lit devant le visage, on lui donne, à la dérobée, si je puis m'exprimer ainsi, la bénédiction sacerdotale, elle lève sa main, qui, hors de là, reste immobile comme une pierre, et fait le signe de la croix. Après de semblables extases, elle a révélé à son confesseur le père Limberg, ainsi qu'à moi, des secrets qu'en ne peut connaître que par une inspiration supérieure. Mais ce qui marque le plus en elle une amie particulièrement chérie de notre Sauveur est qu'elle a une couronne saignante autour de la tête, les stigmates au coté, aux pieds et aux mains, et de plus, sur la poitrine deux ou trois croix. Toutes ces plaies saignent souvent, les unes le mercredi, les autres le vendredi, et si abondamment qu'on voit quelquefois de nombreuses gouttes tomber par terre. Comme ce privilège singulier fait le plus grand bruit et qu'il est l'objet de la critique la plus vive, j'ai voulu me mettre à même de faire un rapport sommaire à ce sujet, et j'ai prié les médecins d'ici de faire un examen préalable. Tous deux ont été touchés jusqu'aux larmes en s'y livrant, et le résultat de leur enquête est contenu dans l'appendice A-A, signé par tous les deux, comme aussi par moi, par M. Limberg et par le prêtre français Lambert qui demeure dans la même maison que la malade.

« En m'acquittant du devoir de fournir à mon supérieur, par ce rapport, les informations convenables sur un cas de nature si extraordinaire, je le prie aussi de m'indiquer comment je dois me comporter ultérieurement, spécialement dans le cas du décès de cette personne, si remarquable dans un temps comme le notre. Elle craint par-dessus tout que la blessure faite à son cœur par la publicité donnée à son histoire ne soit rendue encore plus douloureuse par l'intervention de l'autorité civile : mais j'espère que vous pourrez l'empêcher. Si Votre Excellence voulait se convaincre personnellement par le témoignage de ses yeux de la vérité de mes allégations du caractère surhumain de certaines circonstances accessoires que pour le moment je ne puis confier au papier, je la prierais d'amener avec elle le respectable M. Overberg, si expérimenté dans les voies spirituelles, et de me faire l'honneur de descendre chez moi.

« J'aurais voulu vous porter moi-même ce rapport, d'autant plus que j'aurais pu le compléter de vive voix, mais l'état de maladie de quelques-uns de mes pénitents, le catéchisme que j'ai à faire pour préparer les enfants à la première communion, et les autres affaires paroissiales qui s'accumulent dans cette saison, ne me permettent pas de m'éloigner quant à présent. Votre Excellence trouvera certainement cette excuse trop bien fondée pour ne pas l'agréer complètement. C'est dans cette confiance que je suis, avec le plus profond respect, etc.

Dulmen, le 25 mai 1843.

RENSING