Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -
XVIII
PREMIÈRE VISITE DU VICAIRE GÉNÉRAL DE DROSTE A DULMEN
1. Le rapport qu'on vient de lire fut accueilli très froidement par le vicaire général de Droste, auquel il parvint le 27 mars.
« Lorsque j'eus reçu, dit-il lui-même, l'écrit de Rensing, avec le procès-verbal des médecins, je fus bien loin d'envisager l'affaire comme elle paraissait être représentée dans ces rapports. Je supposai de l'illusion ou même de la fraude comme je le supposerai toujours dans des cas semblables. Jusque-là je n'avais pas encore entendu dire un seul mot de cette affaire. Comme je vis qu'à Dulmen, elle était déjà devenue le sujet des conversations de la ville, comme en outre, puisqu'il s'agissait de choses qui tombaient si fort sous les sens, je pensais qu'on découvrirait la vérité sans beaucoup de peine, je me rendis le jour suivant à Dulmen, où certainement l'on ne m'attendait pas sitôt. Je priai M. Overberg et le conseiller de médecine Druffel de m'accompagner. Je m'adressai spécialement à ce dernier, parce que je le considère comme un observateur très perspicace et comme n'étant pas disposé à croire légèrement, ce qui aurait beaucoup d'inconvénients dans un cas comme celui-ci.
2. Toutefois, cette arrivée subite n'était aussi pas inattendue pour Anne Catherine que le vicaire général se l'était figuré : car, peu de jours après, le vicaire Hilgenberg déposa sous la foi du serment qu'il lui avait rendu visite samedi soir, 27 mars, après le chant des litanies, et que lui ayant demandé comment elle se trouvait, il en avait cette réponse : « J'ai eu une très mauvaise semaine à cause de l'enquête sur les stigmates faite par les médecins d'ici, mais demain et la semaine prochaine j'aurai à souffrir encore davantage par suite de nouvelles enquêtes.»
3. « Nous arrivâmes vers quatre heures à Dulmen, dit dans ses notes le vicaire général de Droste : le dimanche, nous vîmes deux fois Anne Catherine Emmerich et nous nous entretînmes avec elle, avec son confesseur et avec le doyen» . Le lundi matin 29, nous vîmes encore la sœur Emmerich, et nous eûmes un nouvel entretien avec elle. Je parlai aussi à sa compagne d'enfance, Clara Soentgen, de Coesfeld. Vers dix heures, nous repartîmes de Dulmen. Dans cette première visite, la chose nous parut plus sérieuse que ne nous nous y étions attendus.»
4. Le 28 mars était le quatrième dimanche de carême en même temps le jour de la fête de saint Joseph pour le diocèse de Munster. Le vicaire général fit dresser un procès-verbal spécial des observations faites ce jour-là et le jour suivant touchant Anne Catherine : en outre, Overberg nota soigneusement tout ce qui lui avait paru digne de remarque. Le procès-verbal s'exprime ainsi :
« Vers cinq heures de l'agrès midi, nous avons visité la sœur Emmerich pour nous assurer des phénomènes particuliers qu'on nous avait dit se produire sur son corps. On ne remarqua rien de frappant dans sa physionomie, rien qui indiquât qu'elle nous attendit, aucun signe de joie, ou d'étonnement. Quand on signifia à la sœur Emmerich que l'autorité ecclésiastique voulait s'assurer de son état, elle donna son acquiescement à tout. Elle laissa voir sans hésitation ses mains, ses pieds, son côté droit. Elle se borna à dire qu'il lui était pénible d'avoir à subir des examens de ce genre, mais que du reste elle ne désirait rien autre chose que de se conformer à la volonté de Dieu :
« Le plus léger attouchement est, à ce qu'elle assure, très douloureux pour ses plaies. Son bras tressaillait chaque fois qu'on touchait la plaie de la main, ou même quand on faisait seulement remuer le doigt du milieu.
« Vers neuf heures du soir, il y eut une nouvelle visite et bientôt après Anne Catherine tomba en extase. Tous les membres semblaient raidis comme par une paralysie, cependant les doigts pouvaient se remuer et même l'attouchement des plaies et du doigt du milieu excitaient des tressaillements. La tête ne pouvait être relevée qu'avec peine, et alors la poitrine, comme suivant le mouvement de la tête, s'élevait aussi. Diverses questions faites par les médecins restèrent sans réponse. Elle ne donnait aucun signe de vie (note). Alors M. le vicaire général lui dit» Je vous ordonne de répondre en vertu de l'obéissance.» A peine ces paroles furent-elles prononcées, qu'elle rejeta sa tête du côté où nous étions avec une rapidité surprenante, nous regarda d'un air singulièrement affectueux et répondit à toutes les interrogations qui lui furent adressées. Plus tard, on lui demanda comment il s'était fait qu'étant sans connaissance, elle eût si promptement tourné la tête sur le commandement du vicaire général, comme si elle eût entendu ses paroles ; elle répondit» Non ! je ne les ai pas entendues, mais quand, étant dans cet état, quelque chose m'est commandé en vertu de l'obéissance, c'est comme si une voix puissante m'appelait.»
« En ce qui touche les plaies, elle avoua qu'elle avait prié Dieu de lui enlever les signes extérieurs, mais il lui avait été répondu : « Ma grâce te suffit» sur quoi le vicaire général lui prescrit de recommencer sans cesse cette prière.»
5. Le lendemain matin, les visiteurs vinrent une troisième fois. Le vicaire général décida alors que le chirurgien Krauthausen de Dulmen laverait avec de l'eau tiède les plaies des mains et des pieds pour faire tomber les croûtes de sang desséché, qu'il les banderait avec des compresses bien sèches et qu'il veillerait à ce que ces bandages apposés aux mains et aux pieds y restassent ainsi huit jours pleins sans interruption, de manière à ce que ni les
doigts ni les pouces ne pussent se mouvoir librement. Anne Catherine déclara qu'elle se soumettrait sans difficulté à cet arrangement : elle répéta même suivant le procès-verbal, qu'elle donnait son assentiment à toutes les expériences qu'on voudrait faire sur les plaies, et en général sur sa personne. Elle pria seulement qu'on voulut bien éviter tout ce qui pourrait faire de l'éclat.
Les assistants non-seulement furent pleinement satisfaits de la manière dont se comportait en tout Anne Catherine, mais encore l'empressement sincère avec lequel elle prêta une obéissance aveugle à l'ordre de l'autorité ecclésiastique, malgré le surcroît de souffrances qu'il lui préparait, produisit sur eux une forte impression et ils consignèrent ce qui suit dans le procès-verbal
« Pendant les divers entretiens, la physionomie de la malade se rasséréna notablement, et on fut frappé de ce regard avait de candide et de bienveillant.
« A la fin, le vicaire général s'entretint seul avec elle et lui dit qu'on pouvait bien désirer d'avoir part aux souffrances du divin Rédempteur et aux douleurs de ses plaies, mais non aux marques extérieures elles-mêmes. A quoi elle répondit : « Les marques extérieures sont précisément ma croix» .