Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

XX

LE BANDAGE DES PLAIES

 

1. Le 1er avril, Krauthausen appliqua les bandages aux mains et aux pieds. Voici ce qui est dit à ce sujet dans son rapport au vicaire général :

« Conformément à la mission qui m'a été donnée, j'ai, le jeudi (d'avant le dimanche de la passion), à huit heures du matin, lavé complètement avec de l'eau chaude les endroits marqués par des croûtes de sang desséché aux pieds, aux mains et aussi à la tête de l'ancienne religieuse augustine Catherine Emmerich : je les ai aussitôt après enveloppés avec des bandages, de manière à ce que les doigts et les pouces ne puissent se mouvoir librement et à ce que ce bandage ne puisse être dérangé et encore bien moins retiré sans que je m'en aperçoive. La lotion, quoique faite très lentement et très doucement avec une éponge fine, et l'application des bandages ont déterminé chez la malade des souffrances très-vives et une agitation qui ont duré environ vingt-quatre heures. Lorsque j'eus fini de laver, je vis sur le dos des deux mains et des deux pieds une plaie ovale, longue d’environ un demi-pouce ; les plaies à la paume des mains et à la plante des pieds étaient plus petites : elles étaient saines et il n'y avait aucune suppuration.»

 

2. Quelques heures après l'application des bandages, le doyen Rensing vint visiter Anne Catherine, qu'il trouva» pleurant à cause des douleurs tout à fait intolérables que lui occasionnait la chaleur brûlante qui se faisait sentir dans les plaies bandées.»

« Consolée par lui, elle répondit Je veux tout supporter de bon cœur, pourvu seulement que le bon Dieu me donne assez de force pour ne pas tomber dans l'impatience.»

Mais, lorsqu’à l’heure des vêpres, elle commença à s'unir aux douleurs de la Passion du Sauveur, les souffrances devinrent beaucoup plus violentes et elle fut prise de la» peur» de ne pouvoir jamais les supporter et d'être poussée par leur excès à manquer à l'obéissance due à l'autorité ecclésiastique.»

Elle ne put être calmée que par la promesse du doyen que lui et un autre prêtre offriraient le lendemain pour elle le saint sacrifice de la messe afin de lui obtenir de Dieu la force nécessaire, et elle répondit :

« Je ne désire rien que cette grâce, et Dieu ne me la refusera pas si les prêtres la demande avec moi.»

 

3. La nuit du 1er au 2 avril fut excessivement douloureuse, au point qu'elle s'évanouit trois fois. Ce ne fut que le matin, lorsqu'on dit la sainte messe pour elle, qu'elle éprouva quelque soulagement. Mais les élancements et la cuisson des plaies continuèrent sans interruption et, le soir du 2 avril, ce ne fut que d'une voix à peine intelligible à cause de sa faiblesse qu'elle put dire au doyen :

« Voilà encore des personnes qui veulent voir mes signes : cela me tourmente ; ne pourriez-vous pas l’empêcher ?»

Ces paroles reçurent leur accomplissement le 4 avril, car le commissaire général de police français, M. Garnier, vint de Munster à Dulmen pour prendre des informations auprès des médecins et de l'entourage d'Anne Catherine et pour faire une visite officielle. Il adressa différentes questions à Anne Catherine dont les réponses lui furent traduites en français par l'abbé Lambert. Il voulait surtout savoir si Anne Catherine ne parlait pas de choses touchant à la politique et ne faisait pas de prédictions. Il fit ensuite lever par Krauthausen les bandages de la main droite pour voir lui-même la plaie. Toute la manière d'être d'Anne Catherine fit sur Garnier une si profonde impression que, quatorze ans après, à Paris, il parla encore de cette visite à Clément Brentano en termes très respectueux et très sympathiques.

 

4. Voici ce que rapporte le journal de Krauthausen sur l'enlèvement du bandage :

« Aujourd'hui, 4 avril, sur l'ordre de M. le commissaire de police du département de la Lippe, j'ai été obligé d'enlever le bandage de la main droite et, dans l'après-midi, vers quatre heures et demie, j'ai retiré ceux de la main gauche et des deux pieds. Par l'effet du sang dont ils étaient trempés, ils étaient tellement collés ensemble et sur chaque plaie qu'il m'a fallu un certain temps pour les amollir avec de l'eau chaude et les retirer ; en outre, ce qui est le pire, cela a causé de grandes douleurs à la patiente. Les plaies se trouvaient encore dans le même état que le 1er avril. Afin que les bandages que j'ai remis immédiatement ne se collassent plus si fortement aux plaies, et aussi pour alléger les souffrances de la malade, j'ai mis un cataplasme sur les plaies.»

Toutefois, ce cataplasme ne fit qu'augmenter les souffrances déjà si cruelles et ne put pas empêcher le sang de jaillir. Le jour suivant (5 avril), les bandages étaient de nouveau traversés par le sang, en sorte que Krauthausen, sur la demande de la malade, retira le cataplasme et appliqua de nouveaux bandages de toile bien sèche. En retirant le cataplasme, il ne vit aucune trace de suppuration.

 

5. Le matin suivant, le sang avait de nouveau traversé les bandages, et les douleurs allaient toujours croissant. Jusqu'au 7 avril, elles augmentèrent tellement qu'Anne Catherine supplia le médecin de retirer les bandages des mains et des pieds, parce qu'elle ne se sentait pas de force à endurer plus longtemps ce qu'ils lui faisaient souffrir. Le médecin n'osait pas condescendre à cette prière sans une permission expresse de Munster : il voulait la demander par lettre, mais, le soir même, le vicaire général et ses compagnons revinrent à Dulmen.

 

6. Sur le refus de Krauthausen, Anne Catherine, dans son délaissement, s'était proposé de patienter encore un jour : là-dessus, il lui fut enjoint en vision de représenter à ceux qui faisaient l'enquête qu'elle ne désirait rien au monde, ni argent, ni renommée, mais qu'elle aspirait uniquement à vivre cachée et tranquille ; qu'on ne devait donc pas mettre sa patience à une si forte épreuve, car, avec l'excès intolérable de ses souffrances, ce n'était rien moins que tenter Dieu. Lorsque ensuite elle fit ces représentations devant Overberg, celui-ci qui, d'après ce qui s'était passé lors de sa première visite, croyait pouvoir compter sur une obéissance aveugle, en fut d'abord assez surpris toutefois, Anne Catherine leva ses scrupules en lui disant qu'elle avait reçu l'ordre de s'expliquer ainsi, mais qu'en même temps il lui avait été prescrit de souffrir, quoi qu'il pût advenir, tout ce que l'obéissance demanderait d'elle. La suite de l'enquête montrera de plus en plus clairement, combien, en dépit de toutes les souffrances, elle fut docile à cette injonction.