Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -
XXII
VISITES MULTIPLIÉES. TÉMOIGNAGE D'UN MÉDECIN PROTESTANT.
1. La défense faite par Clément Auguste, sur les instantes prières d'Anne Catherine, d'admettre des visites de curieux, quoique renouvelée à plusieurs reprises, n'eut pas le résultat qui eut été si nécessaire à la pauvre malade : car l'affluence des visiteurs alla toujours croissant par suite de nouvelle promptement répandue de l'enquête. Il vint beaucoup de personnes qui ne se laissèrent pas congédier qui mirent en avant des raisons auxquelles la trop grande condescendance du doyen n'opposa pas la résistance qu'il eût fallu : ce furent spécialement des médecins et des personnes de la haute classe qui prétendaient avoir, en quelque sorte, le droit de voir les stigmates. Rensing eut à noter dans son journal les plaintes et les prières souvent répétées avec lesquelles Anne Catherine le conjurait de ne laisser entrer personne.» Ne vous inquiétez donc pas, lui dit-elle une fois, si l’on vous fait mauvais visage à cause de cela : Dieu vous compensera de la charité que vous me témoignerez par la.» L'inspection de ses stigmates lui était beaucoup plus sensible que les douleurs causées par les plaies, et Rensing était constamment obligé de la tranquilliser, en lui présentant que cette sorte de mortification pourrait être pour elle une source de nouveaux mérites devant Dieu. Cependant elle ne cessa jamais d'être tourmentée à la pensée des visites et, même dans les visions où Dieu la fortifiait et la consolait, elle était troublée par cette pensée. Elle avoua à Rensing que, trois fois déjà, comme elle priait Dieu de lui donner la patience nécessaire pour les supporter, elle avait reçu cette réponse : « Ma grâce te suffit !» Je deviens de plus en plus un objet de dégoût pour moi-même, ajouta-t-elle, à cause du grand bruit que mon histoire fait maintenant de tous côtés : cependant je me console par la pensée que je n'en suis pas cause.»
2. On lit dans le journal de Rensing, à la date du 3 avril :
« Aujourd'hui s'est présenté un visiteur qu'aucune représentation n'a pu arrêter ; c'est le docteur Ruhfus, de Gildhaus, dans le comté de Bentheim. Il désirait vivement être admis auprès d'elle et n'a pas voulu se retirer que je ne lui eusse promis de demander à la malade si elle pouvait se résoudre à recevoir sa visite. Elle fit d'abord des difficultés ; mais, lorsque je lui eus exposé les motifs qui me faisaient désirer qu'elle ne refusât pas cette visite d'un médecin protestant, elle dit qu'elle trouverait bon ce que je déciderais, et alors je fis entrer le docteur. Il se comporta avec beaucoup de discrétion. Il se fit montrer les plaies, s'enquit de tout ce qui lui parut bon à savoir en pareil cas, et, en se retirant, non-seulement il remercia la malade de sa complaisance, mais encore il s'exprima touchant ce phénomène d'une manière qui fait honneur à sa droiture. Sitôt que je fus avec lui hors de la chambre, il me dit : « Ce que je viens de voir est bien étonnant. Il ne peut pas ici être question d'imposture ; les sentiments religieux de la personne le disent assez, ainsi que sa physionomie où se manifestent si clairement une pieuse simplicité, une crainte de Dieu partant du fond du cœur et un abandon paisible à la volonté divine ; c'est ce que dit enfin le caractère des plaie : elles-mêmes, au moins pour un homme de l'art. Expliquer naturellement l'origine des plaies par l'imagination, l'induction, l'analogie et toutes les autres causes au moyen desquelles on voudrait en rendre raison, est chose absolument impossible. A mon avis, cela est surnaturel.» J'ai cru devoir noter dans mon journal ce jugement d'un homme compétent, dont l'impartialité n'est pas douteuse : je le fais, autant que possible, avec les propres expressions du docteur, d'autant plus qu'avant d'avoir vu par lui-même cet étrange phénomène, il en avait fait des plaisanteries à l'auberge.»
3. Comme l'entourage habituel d'Anne Catherine ne comprenait rien à son état extraordinaire, et comme il n'y avait près d'elle personne qui pût la protéger et la garantir quand elle était obsédée de visiteurs curieux, il arrivait fréquemment qu'on lui adressait des questions sottes et indiscrètes auxquelles elle ne pouvait ni ne voulait répondre. Cela n'empêchait pourtant pas que chaque parole échappée par hasard de sa bouche, lorsqu'elle était à l'état contemplant, ne fût avidement recueillie comme une réponse et répétée légèrement, ce qui donnait lieu à toute espèce de propos absurdes dans la petite ville. Un jour que Rensing le faisait remarquer à Anne Catherine, elle profita de cette occasion pour obtenir de lui un moyen infaillible de se défendre contre ces interrogation, curieuses :
« Je vous en prie, lui dit-elle, ordonnez-moi, en vertu de l'obéissance, de ne répondre à aucune question dictée par la curiosité, quand même elle me serait adressée par mon confesseur ou par une de mes anciennes sœurs en religion ; moyennant cela, même pendant mes défaillances, je garderai le silence quand on m'interrogera de la sorte. Alors on ne pourra plus prétendre que j'ai dit, étant en défaillance ; « tel ou tel est dans le purgatoire ; tel autre dans le ciel ; « car Dieu sait tout ce qu'on m'attribue dans ce genre.»
Envers son confesseur ordinaire, elle n'avait pas besoin de cette sauvegarde, car lui-même était lié par la défense rigoureuse que lui avaient faite ses supérieurs ecclésiastiques d'adresser aucune question à Anne Catherine lorsqu'elle était en extase. Et Rensing témoigne en ces termes de la fidélité avec laquelle obéissait cet homme consciencieux
« Anne Catherine, dit-il, m'a raconté que, la nuit précédente, elle est tombée en défaillance (en extase) et qu'elle l'a dit à son confesseur, le père Limberg. Mais il lui a répondu qu'elle ne devait pas lui en parler davantage, parce que c'était contraire à la volonté des supérieurs ecclésiastiques ; que si elle avait quelque chose à faire connaître à ce sujet, c'était à moi qu'elle en devait parler.» Cela, ajouta-t-elle, m'a fait beaucoup de plaisir : car s'il m'avait fait des questions, je n'aurais plus eu pleine confiance en lui comme confesseur, parce qu'il eût été désobéissant envers l'autorité ecclésiastique.»