Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

XXIII

LES DERNIERS JOURS DE LA SEMAINE SAINTE ET LES FÊTES DE PAQUES

 

1. Anne Catherine se prépara à la communion pascale pour le jeudi saint. Un ardent désir du très saint Sacrement ralluma dans son cœur, comme c'était l'ordinaire, quelques jours auparavant. La pieuse fille qui, depuis l'impression des stigmates était devenue incapable de prendre aucune nourriture terrestre, éprouvait, dans sa préparation à la sainte communion, le sentiment de la faim naturelle à l'égard du pain de vie. Ce fut ainsi, qu'étant entièrement plongée dans la contemplation de ce pain céleste, elle cria plusieurs fois : « J'ai faim, j'ai faim !» Son entourage prit ces paroles à la lettre, et sa sœur, pendant cet état d'extase où elle n'avait pas le sentiment de ce qui se faisait autour d'elle, lui versa dans la bouche deux cuillerées de bouillon d'oseille qu'elle fut forcée de rejeter à l'instant avec de violentes nausées. Elle se trouva tellement mal après cela que le médecin fit venir l'abbé Lambert pour qu'il lui rendit de la force au moyen de la bénédiction sacerdotale. Tout l'entourage savait bien que le même résultat se produisait chaque fois qu'on lui faisait goûter à quelque mets ; mais ni les médecins, ni le confesseur, ni la sœur ne cessaient de renouveler leurs tentatives pour lui faire prendre de la nourriture. Ainsi Krauthausen rapporte, à la date du 11 avril :

« Elle a, sur ma demande, pris, à deux reprises différentes, une cuillerée de bouillon gras ; mais chaque fois elle l’a vomi immédiatement.»

Le jour précédent on lui avait également fait prendre, par l'ordre du médecin, quelques gouttes de vin qu'elle avait de même rejetées immédiatement. Le 14 avril, veille du jeudi saint, on fit un nouvel essai avec de la soupe d'eau et de poisson.» Mais, dit Krauthausen, elle ne put la garder, et il s'ensuivit aussitôt un vomissement.» Toutefois, lorsqu'elle eut reçu la sainte communion, elle fut tellement fortifiée que tout son entourage fut frappé du changement qui en résulta. Et lorsque le doyen la visita à midi, il la trouva à la vérité très faible, parce que la croix imprimée sur la poitrine ne cessait pas de saigner depuis la veille ; mais pourtant elle put lui faire connaître que la consolation qu'elle avait reçue rendait maintenant ses souffrances plus supportables. Elle avait aussi, pendant la nuit précédente ; imploré auprès de Dieu la guérison de Clara Soentgen, atteinte d'une maladie dangereuse.

 

2. Si ses souffrances étaient devenues plus supportables par la vertu de la sainte communion, elles n'avaient pourtant pas diminué : elles augmentaient plutôt constamment, et, vers le soir du jeudi saint, elles devinrent assez violentes pour lui faire dire qu'il lui semblait que, si elle pouvait mourir, elle mourrait maintenant de l'excès de ses douleurs.

« Dans la nuit d'avant le vendredi saint, vers onze heures, rapporte Rensing, toutes ses plaies commencèrent à saigner, et elles saignaient encore abondamment lorsque je la visitai à huit heures du matin. Il était notamment sorti tant de sang de la plaie du côté que le frisson me saisit lorsque je vis les draps comme teints de sang. Je lui demandai comment elle avait passé la nuit dernière, à quoi elle répondit : « La nuit ne m'a pas semblé longue, car j'ai médité, heure par heure, ce que Notre-Seigneur a souffert pendant cette nuit. Cela m'a donné de la consolation, oh ! quelle douce consolation ! J'ai eu aussi une courte défaillance et il m'est venu à l'esprit que je devrais prier pour que les signes me fussent enlevés, mais que les douleurs me restassent.»

Cette méditation des heures de la Passion était pour Anne Catherine une contemplation des souffrances du Sauveur auxquelles elle participait : c'est pourquoi, pendant ces jours-là, elle fut livrée sans relâche à des tortures indicibles. Chaque nerf de son corps, disait-elle, était torturé par des douleurs cruelles qui se faisaient sentir jusqu'à la pointe des doigts, et elle fut en proie à une fièvre ardente qui la fit souffrir sans relâche jusqu'à minuit, heure où commençait le saint jour de Pâques, lequel tombait le 18 avril. Ce ne fut qu'à trois heures du matin qu'elle se sentit soulagée.

Le samedi saint, les plaies ne saignèrent pas. Ce jour-là, le doyen la trouva très faible et très épuisée : il lui rendit un peu de force par ses exhortations spirituelles, en sorte qu'elle put répondre à quelques-unes de ses questions. Il lui demanda, entre autres choses, pour qui elle avait spécialement prié Dieu dans les derniers, jours, et elle lui fit cette réponse :

« Pour ceux qui se recommandent à mes prières et surtout pour les pécheurs qui ne connaissent pas encore le malheur de leur état. Pour moi-même, je prie ainsi : « Seigneur, que votre volonté se fasse ; faites de moi ce qui vous plaira ; mais faites-moi aussi la grâce de tout endurer et de ne pas vous offenser.» Autrefois, j'étais si heureuse d'être à l’église pendant la semaine sainte et les fêtes de Pâques ! Ah ! que je m'y trouvais bien alors quand j'avais devant les yeux tout ce qui nous rappelle la mort et la résurrection du Sauveur ! Maintenant, il faut rester couchée ici : mais c'est aussi la volonté de Dieu, et par conséquent cela est bon et je me réjouis qu'il en soit ainsi.»

 

3. Le lundi de Pâques, Rensing note qu'il la trouva d'une bonne humeur inaccoutumée. Krauthausen le remarque aussi, à la date de ce jour :

« Le 19, dit-il, elle s'est trouvée, pendant toute la journée, si bien et de si bonne humeur qu'on n'avait pas vu pareille chose durant tout le mois. Cependant elle a continué à ne prendre aucun aliment, si ce n'est là moitié d'une pomme cuite dont elle a seulement sucé le jus et deux gorgées d'eau.

Interrogée par le doyen sur ce qui causait sa bonne humeur, elle répondit :

« J'en suis redevable à la consolation que j'ai éprouvée en méditant sur la Résurrection. Je ne ressens maintenant ni faim, ni soif ; mais je ne sais pas ce que Dieu me prépare. Depuis plusieurs jours, il m'a semblé que plusieurs messieurs étaient chez M. le vicaire général et qu'on avait parlé de moi. Il y eut spécialement un monsieur qui parla de moi, et j'ai une idée vague que celui-là doit venir aussi pour voir mes signes.»

Le jeudi saint elle avait dit encore après la sainte communion : « Après Pâques, mon repos doit être troublé. On viendra certainement faire de nouvelles expériences sur moi.»

La suite fera voir qu'Anne Catherine, cette fois encore, voyait aussi juste que le 27 mars et le 15 avril, où elle avait dit à Rensing : « J'ai le cœur très serré parce que j'aurai de nouveau beaucoup à souffrir de la part de ces messieurs à cause de mes plaies.»

 

4. Le 13 avril, le vicaire général écrivit à Rensing pour l'engager à chercher une femme de bonne réputation qui pût, pendant deux semaines, rester continuellement le jour et la nuit auprès d'Anne Catherine, observer tout et le rapporter consciencieusement au doyen.

« Dans le cas où vous croiriez pouvoir trouver une telle personne, ajoutait le vicaire général, vous devez préalablement, demander à la sœur Emmerich si cela lui convient, et lui dire qu'elle doit être persuadée que, lorsque j'ordonne ainsi quelque chose de fâcheux et de désagréable pour elle, je le fais uniquement parce que je le crois absolument nécessaire, et parce que je le regarde comme mon devoir et comme un moyen de lui épargner de plus grands désagréments ; dites-lui aussi que, pour agir ainsi, il me faut faire violence à mon cœur.»

Le 20 avril, mardi de Pâques, le vicaire général vint de nouveau à Dulmen avec Overberg. Nous donnons textuellement la relation de cette troisième visite d'après les notes écrites de la main du vicaire général.

 

TROISIEME VISITE DU VICAIRE GÉNÉRAL ET D'OVERBERG

(D'après le rapport officiel du vicaire général Droste. )

 

« Le 20 avril 1813, M. Overberg et moi, nous partîmes de nouveau pour Dulmen où nous arrivâmes vers deux heures de l'après-midi.

« Nous n'avions pas encore fini de dîner qu'un médecin de Stadtlohn, dont le nom m'est inconnu, vint nous trouver et me pria de lui permettre d'examiner l'état de la sœur Emmerich. Je crois que jusque-là le doyen n'avait pas voulu l'y autoriser. Comme je juge utile que des médecins examinent les phénomènes singuliers qui se produisent sur le corps de la sœur Emmerich et que, d'ailleurs, j'avais le dessein de me faire encore montrer toutes les plaies, je promis à ce médecin de le prendre avec moi. Comme nous allions sortir, on m'annonça qu'il y avait là un chirurgien très habile de Gescher, (j'ai également oublié son nom), qui, lui aussi, désirait vivement examiner ces mêmes phénomènes. Je me dis qu'il importait peu qu'il y en eût un de plus ou un de moins, puisque tout devait être vu. Le doyen et M. Krauthausen étaient venus aussi : mais je priai ceux-ci de prévenir la malade de cette visite, parce que je savais bien que la visite de ces étrangers lui serait très désagréable. M. Krauthausen alla d'avance la trouver ; les deux médecins, M. Overberg et moi, nous le suivîmes bientôt et nous arrivâmes vers quatre heures chez la sœur Emmerich. Elle était couchée dans son lit, comme de coutume.

« Alors eut lieu l'examen. Sur la tête, on ne voyait pas de sang, mais seulement quelques piqûres. Les plaies des mains et des pieds, aussi bien à la partie supérieure que dans l'intérieur des mains et sous la plante des pieds, étaient dans leur état ordinaire ; je crois pourtant que la croûte de la main droite avait été traversée par le sang qui avait jailli. Comme, pendant ce séjour que je fis à Dulmen, je visitai souvent la sœur Emmerich, je ne puis me rappeler bien exactement si je trouvai les choses ainsi lors de ma première visite, ou lors d'une visite ultérieure. J'examinai la croûte du sang de la main gauche avec un verre grossissant et je la trouvai très mince et semblable à un épiderme rugueux ou un peu plissé vu ainsi à la loupe. Pendant ce séjour à Dulmen, j'ai aussi examiné une fois avec la loupe la plaie qui se trouve, si je ne me trompe, au-dedans de la main gauche et, dans le sang desséché, j'ai pu apercevoir une cavité ronde, un trou ayant à peu près cette forme. (Voir la planche, à la fin du volume, fig. 1. )

« Cette fois, les croix de la poitrine ne saignaient pas, mais semblaient colorées d'un rouge pâle par le sang qui était apparent à travers l'épiderme. J'examinai de même avec la loupe l'endroit où sont les lignes qui forment les croix, ainsi que la peau environnante, et je pus voir distinctement qu'il n'y avait aucune lésion à la peau : l'épiderme sur les lignes des croix, aussi bien que la peau environnante, à une assez grande distance, était identique à lui-même et paraissait s'écailler un peu quand on le voyait à travers le verre grossissant.

J'examinai avec la loupe la place grisâtre au-dessous de la croix : mais je n'y distinguai pas une forme assez arrêtée pour que je pusse la décrire. Plus en haut, la couleur pâlissait et à peu de distance du centre elle semblait disparaître tout à fait : la partie inférieure était la plus allongée et la plus large ; c'était à peu près comme ceci, si ma mémoire ne me trompe pas. (Voir la planche, fig. 2. )

La marque du coté droit ne saignait pas, mais, dans la partie supérieure, elle était couverte en partie de sang desséché ; on voyait, dans cette direction, une nuance plus foncée, comme pourrait la donner du sang extravasé qui ne serait pas immédiatement sous l'épiderme : l'ensemble peut être à peu près figuré ainsi. (Voir la planche, fig. 3)

« J'examinai avec la loupe la place où il n'y avait pas de sang, mais je ne trouvai nulle part la peau entamée ; toutefois, il se peut que la peau, à cet endroit, eût une coloration un peu rougeâtre ; je ne m'en souviens pas distinctement.

La sœur Emmerich y ayant donné son consentement (note), M. Krauthausen posa sur la plaie de la main gauche un emplâtre composé d'althéa et d'autres ingrédients, qu'il avait étendu sur de la charpie et par là-dessus un emplâtre collant ; il pouvait être environ six heures du soir. Si je ne me trompe, elle se plaignait déjà le soir, quand je la visitai de nouveau, que cette plaie la faisait souffrir plus que les autres.

 

(note) Overberg s'exprime ainsi dans ses notes : « Après l'examen des plaies par les médecins, on lui demanda si elle trouverait bon qu'on fit un essai pour guérir une des plaies. Elle y consentit très volontiers. Un emplâtre fut aussitôt appliqué sur la main gauche.

 

« Le 21 avril, M. Krauthausen vint me trouver vers huit heures du matin, et nous allâmes ensemble chez la sœur Emmerich. M Krauthausen enleva l'emplâtre posé sur la plaie de la main afin d'examiner l'état de cette plaie, car la malade se plaignait d'y ressentir des douleurs plus vives et d'avoir passé la nuit sans dormir. La croûte qui s'était formée vint naturellement avec l'emplâtre. Je crois cependant qu'il resta encore tout autour un peu de sang desséché. Mais la plaie était nette et il n'y avait pas trace de suppuration ; on ne voyait que du sang et, à ce qu'il semblait, un liquide aqueux. Nous engageâmes la malade à supporter encore un peu de temps l'emplâtre sur cette même plaie, en lui promettant que, le soir, on l'enlèverait tout à fait, dans le cas où elle en souffrirait comme précédemment.

« Je priai Krauthausen de tourner un peu la malade sur le côté gauche, pour que je pusse voir le stigmate du côté droit à un meilleur jour qu'hier. Je l'examinai encore à la loupe et je ne vis pas de différence notable avec ce que j'avais déjà observé : seulement cet endroit où une nuance plus foncée semblait annoncer la présence du sang extravasé, était moins rouge. Je remarquai aussi avec la loupe, à droite de la partie supérieure du stigmate, quelques égratignures séparées les unes des autres et ressemblant, je ne dirai pas à des déchirures faites avec une aiguille, mais plutôt à des gerçures spontanées de la peau.

« Les croix de la poitrine étaient toutes rouges de sang. Je fis laver le sang à la partie supérieure et je regardai de nouveau avec la loupe : s'il y avait eu une lésion de la peau, je l'aurais certainement remarqué et je m'en souviendrais bien à présent ; mais près de la croix, je trouvai, je crois, une raie à peu près de cette longueur (Voir la planche, fig. 4. ) qui avait l'air d'une dépression remplie de sang. A droite, au-dessus du bras gauche de la croix supérieure, je trouvai des égratignures semblables à celles que j'avais observées au-dessus du stigmate du côté (note). Je demandai si par hasard l'épingle qui attachait le mouchoir du cou n'aurait pas pu faire ces égratignures : mais la malade répondit qu'elle mettait toujours cette épingle de manière à ce que la pointe fût tournée en dehors (ce qu'elle fit encore en ma présence).

 Maintenant, l'emplâtre dont il a été question plus haut fut remis sur la même plaie. Ce jour-là, je fis plusieurs visites à la malade, mais je trouvai toujours le même état. Pendant le séjour que je fis cette fois à Dulmen, toutes les fois que j'examinai une ou plusieurs des plaies des mains et des pieds, je les trouvai toujours, notamment celles de la partie extérieure, entourées d'une faible rougeur d'inflammation, à ce qu'il me sembla. M. Krauthausen me dit qu'il en était toujours ainsi. Vers midi, je conduisis chez elle M. Schwelling de Munster lequel m'en avait instamment prié : elle y avait consenti, sur ce que je lui avais dit que c'était un très brave homme qui ne demandait pas à voir la marque du côté, ni les croix de la poitrine, ni même, je crois, les plaies des pieds.

 

(note)  « Je dois faire observer ici que souvent les choses se représentent aussi vivement à ma mémoire que si je les voyais réellement : alors je puis dire : « Cela était ainsi.» Souvent aussi elles se présentent moins vivement et je sens que c'est une pure réminiscence : alors je blesserais le respect que j'ai pour la vérité en disant : « Cela était ainsi.» J'étais ici dans ce dernier cas c'est pourquoi je me suis exprimé comme je l'ai fait.» signé Clém. DROSTE.

 

Vers six heures du soir, nous retournâmes chez elle, M. Krauthausen et moi : elle avait, si je ne me trompe, un peu dormi dans l'après-midi. Le sang paraissait à travers l'emplâtre de la main gauche qu'il avait traversé : on retira cet emplâtre qui était tout imbibé de sang. La plaie avait donc saigné, car, en supposant que, le matin, la croûte assez mince et le sang desséché qui était autour n'eussent pas été enlevés entièrement avec l'emplâtre ; lorsqu'on l'avait retiré, une si petite quantité de sang desséché n'aurait pas suffi pour altérer l'emplâtre à ce degré. Je crois que la plaie supérieure de la main droite a aussi saigné. Il n'y avait dans la plaie de la main gauche aucune trace de suppuration. Comme la malade se plaignait de souffrir beaucoup, nous ne remîmes pas l'emplâtre, comme nous le lui avions promis. Nous eûmes ces ménagements pour elle parce que nous ne croyions pas avoir le droit de torturer une personne à laquelle il n'y a rien à reprocher sous aucun rapport.

Si je le lui avais ordonné, elle aurait sans aucun doute tout supporté ; mais elle craignait de tomber dans l'impatience, et je ne crois pas avoir, en pareil cas, le droit de donner un tel ordre. La malade se plaignit le soir de douleurs de tête ; elle pensait que la tête rendrait du sang.

Le 22, vers huit heures du matin, M. Krauthausem vint chez moi, comme je l'en avais prié ; il avait déjà visité la sœur Emmerich et elle lui avait dit qu'elle croyait que sa tête avait déjà saigné ou saignerait bientôt. M. Krauthausen n'avait pourtant pas vérifié le fait en retirant le linge que la patiente porte autour de la tête. Nous allâmes ensemble chez elle. Elle avait un peu dormi pendant la nuit, si je ne me trompe. Nous trouvâmes que le sang avait coulé du front par-dessous le linge jusqu'au-dessus du nez, mais il s'était desséché. On ôta sa coiffe et le linge qui entourait sa tête ; on vit dans le bonnet, sur la partie postérieure, d'assez larges taches de sang : il y avait spécialement au côté droit de la tête, dans le voisinage de la tempe, une forte tache de sang dans le bonnet et dans les cheveux.

« Il avait été impossible jusqu'à présent, à cause de l'épaisseur plus qu'ordinaire de la chevelure, d'examiner les points par lesquels le sang coule sous les cheveux : Maintenant, elle a consenti à ce qu'on lui coupe les cheveux aussi courts que possible ; cependant on laissera tout autour assez de cheveux pour que le sang qui coulera ne puisse traverser immédiatement ses coiffes et les draps du lit. Elle l’a demandé expressément par des raisons de propreté.

« Le sang qui était sur le nez et sur le front a été lavé par M. Krauthausen, après quoi on a pu voir à l'oeil nu une quantité de petits points saignants, descendant jusqu'à la moitié du front et remontant jusqu'au milieu des cheveux de devant. Les points sont à peu près de cette dimension (voir la planche, fig. 3), les uns plus petits, quelques-uns peut-être plus grands : ils semblent semés irrégulièrement. Je les ai examinés à la loupe et j'ai pu voir spécialement dans un de ces points (qui, si je ne me trompe, sont de petits trous et ne paraissent pas avoir la forme qu'ils auraient s'ils étaient faits avec un corps très pointu) du sang encore liquide :, j'ai cru voir aussi très distinctement que c'était bien un petit trou.

Avant mon départ, la malade me dit qu'une personne de Munster était venue la visiter, disant avoir la permission du doyen, mais qu'elle ne savait pas si cela était vrai. Comme je lui répondis, d'après la connaissance que j'en avais, que le doyen avait permis cette visite, elle se montra satisfaite, me remercia cordialement de la diminution du nombre des visites et me pria de les interdire rigoureusement. Je lui parlai à ce propos de la défense que j'avais faite de faire voir les plaies du côté, de la poitrine et des pieds, et je voulus ensuite la préparer à laisser voir ses plaies aux médecins de Stadtlohn et de Gescher mentionnés plus haut, lesquels voulaient revenir dans quinze jours : mais elle dit très nettement : « Non ! ils ne les reverront pas.»

« J'ai été obligé cette fois d'examiner très minutieusement les plaies et le reste, parce que M. Krauthausen ne pouvait rien voir à travers la loupe.» En prenant congé d'elle, je lui dis en plaisantant» Quand vous voudrez mourir, vous me le ferez dire d'avance, « à quoi elle répondit qu'elle n'y manquerait pas.»

Tel est le rapport du vicaire général.

La patiente n'avait guère le cœur à la plaisanterie. Les épreuves des jours précédents l'avaient mortellement épuisée. Mais sa patience et sa constance se soutinrent jusqu'au bout, en sorte que Clément Auguste, sous l'impression de la paix et du calme de cette âme si forte, sembla oublier un moment les cruelles souffrances qu'elle avait à endurer.

Il prit occasion de cette troisième visite pour adresser au commissaire général de police français les explications officielles qui suivent :

« La fille Emmerich désire uniquement être oubliée du monde pour s'occuper sans distraction des seules choses qui l'intéressent. Elle ne demande rien et n'accepte rien. Elle désire aussi qu'on ne parle pas d'elle. Je suis porté à croire que le monde cessera bientôt de s'occuper d'elle. Quoique je ne puisse pas apercevoir l'ombre d'une imposture, je ne cesserai pourtant pas d'y avoir l'oeil très attentivement.»