Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -

 

VIII

ANNE CATHERINE EST APPELLE PAR DIEU A L'ETAT RELIGIEUX,
ET ELLE Y EST PRÉPARE PAR UNE DIRECTION PARTICULIÉRE

 

1. Le désir de vivre pour Dieu seul allait toujours croissant dans le cœur de cette enfant si merveilleusement conduite : aussi songeait-elle sans cesse au genre de vie qui pourrait le plus sûrement lui faire atteindre ce but. Longtemps Anne Catherine pensa à quitter secrètement la maison paternelle pour trouver dans quelque contrée lointaine un lieu où elle pût rester inconnue et mener une vie pénitente. En dehors de Dieu, ses parents et ses frères et sœurs étaient les seuls objets auquel elle fût attachée par une tendre affection : c'est pourquoi sa fidélité à Dieu lui paraissait imparfaite si elle restait plus longtemps dans sa patrie. Il lui fut impossible d'exécuter ce projet, mais son désir d'une vie cachée et contemplative en devint d'autant plus ardent, et elle avait toujours cette vie devant les yeux comme l'objet unique et suprême de tous ses voeux. Elle avait un tel attrait pour les personnes vouées à la vie religieuse, que, comme elle l'avouait souvent plus tard, elle n'était pas maîtresse de son émotion, même à la simple vue de l'habit d'un ordre sévère : mais elle osait à peine penser qu'elle pût jamais avoir le bonheur de porter un jour un pareil habit.

Dieu avait mis cette aspiration dans son âme et il daigna être son guide pour la conduire à ce but si désiré. Cette direction qui lui fut donnée, si l'on considère son caractère intrinsèque ainsi que les circonstances extérieures et l'ensemble de la situation où l'Église se trouvait alors, est un fait singulièrement remarquable. Notre oeil débile peut y reconnaître les voies mystérieuses par lesquelles Dieu vient en aide aux besoins et aux tribulations de son Église : et il y a là une preuve consolante et encourageante que les miracles de sa toute-puissance et de sa sagesse ne font point défaut à l'Église, même quand l'infidélité, la défection et la trahison d'une quantité innombrable de ses membres s'unissent pour la détruire aux efforts de ses ennemis. Lorsqu'Anne Catherine fut appelée à l'état religieux et pourvue par la grâce divine de moyens qui la rendaient capable d'exercer une action de l'ordre le plus élevé, on allait voir ou l'on voyait déjà s'accomplir des événements qui devaient ravager de telle sorte la vigne de l'Église que la pieuse vierge ne pouvait pas, comme avait fait, par exemple, sainte Colette, travaillant à la restauration de la discipline religieuse ou à l'établissement de nouvelles communautés, mais qu'il ne lui restait que la tâche, peut-être plus pénible encore, de servir Dieu en qualité d'instrument d'expiation, comme l'avait été Lidwine de Schiedam dans un temps également désastreux, de satisfaire pour des péchés qui lui étaient étrangers et de prendre sur elle les souffrances et les blessures du corps de l'Église pour en préparer la guérison.

 

2. Dieu donna à cette enfant une direction en rapport avec cette immense tâche de souffrances embrassant toute l'Église, par cela même qu'il daigna, semblable à un prétendant, rechercher Anne Catherine comme sa fiancée, et dans cette recherche la préparer au plus haut degré de perfection spirituelle. L'Église considère toute âme qui fait les trois voeux de religion comme contractant par là avec Dieu des fiançailles spirituelles ; mais la vocation extraordinaire qui échut à Anne Catherine, la somme de dons inaccoutumés dont elle fut gratifiée, et la fidélité, toute particulière avec laquelle elle en devait user sont une preuve que sa qualité de fiancée devait être une prérogative tout à fait unique et qu'elle était choisie pour réparer envers le fiancé de l'Église les outrages que lui faisaient d'innombrables infidélités. La divine libéralité de Dieu tient toujours en réserve pour les enfants de l'Eglise une surabondance de dons spirituels : mais quand ils sont repoussés, mal employés ou dédaignés, sa justice les retirerait nécessairement à l'Église, si, dans son infinie miséricorde, il ne se préparait pas, comme des vases d'élection, de saintes âmes dans lesquelles il puisse recueillir les trésors méprisés de sa grâce et les conserver à l'Église pour un temps meilleur. Or la bonté de Dieu veut faire de cette conservation un mérite pour ses fidèles serviteurs ; c'est pourquoi il les rend aptes à conquérir par une mesure proportionnée de fatigues, de luttes et de souffrances, ces trésors plus que suffisants pour acquitter la dette contractée par la légèreté, la paresse, l'infidélité et la malice d'autrui. A aucune époque ces instruments choisis des miséricordes de son chef invisible ne font défaut à l'Église et ils lui sont d'autant plus nécessaires que ceux qui ont pour mission d'être les médiateurs entre Dieu et son peuple, ceux qui sont revêtus du sacerdoce suffisent moins à leur tâche et ont moins de zèle pour l'honneur de sa maison. Jamais l'Église n'avait été si profondément abaissée, jamais le fléau de l'incrédulité n'avait produit des ravages aussi universels, jamais les ennemis de la foi et leurs efforts pour l'anéantir n'avaient trouvé si peu de résistance qu'au temps où Dieu choisit Anne Catherine pour sa fiancée. Pauvre faible enfant qu'elle était, il lui fallait livrer bataille aux puissances ennemies : mais Dieu lui avait mis en main les armes avec lesquelles lui-même, dans sa très sainte humanité, avait vaincu l'enfer, et il la formait peu à peu à cette manière de combattre qui rend la victoire certaine. C'est pourquoi nous la verrons conduite par lui sur des voies qui ne sont pas celles de la prudence humaine de la prévoyance et des calculs humains, mais qui sont tracées par les décrets de son impénétrable sagesse. Plus Anne Catherine était fortifiée spirituellement par cette direction, plus s'étendait la sphère de son action bienfaisante, jusqu'au moment où nous la voyons enfin embrasser toutes les parties et tous les rangs de l'Église.

 

3. Ce fut dans sa cinquième ou sixième année qu’elle reçut de Dieu son premier appel à l'état religieux. Voici ce qu'elle a dit à ce sujet :

« J'étais encore une très petite fille et je gardais les vaches, ce qui était pour moi une tâche pénible et fatigante. Un jour que le désir me vint comme cela m'arrivait souvent, de quitter la maison et les vaches et d'aller servir Dieu dans une solitude où personne ne me connaîtrait j'eus une vision dans laquelle il me sembla que j'allais Jérusalem. Là il vint à moi une religieuse en qui j'appris plus tard à reconnaître sainte Jeanne de Valoir : elle avait l'air très grave et près d'elle était un petit garçon de ma taille, qui était merveilleusement beau. Elle ne le conduisait pas par la main : je sus ainsi que ce n'était pas son fils. Elle me demanda ce que j'avais et, quand je lui eus raconté ce qui me préoccupait, elle me consola et me dit : « Sois sans inquiétude ! regarde cet enfant ! veux-tu de lui pour fiancé ? Je lui répondis que oui ; sur quoi elle me dit de rester en paix et d'attendre que l'enfant vînt à moi, m'assurant que je serais religieuse. Cela me paraissait une chose impossible ; mais elle me dit que j'entrerais certainement au couvent parce que rien n'était impossible à mon fiancé. J'y comptai alors avec une pleine assurance. Quand je revins à moi, je ramenai tranquillement les vaches à la maison. J'eus cette vision en plein midi. Ces sortes de visions ne me troublaient pas : je croyais que tout le monde avait des relations et recevait des avertissements de ce genre. Je n'ai jamais pensé à une différence entre les visions et le commerce réel avec les humains.»

 

4. Quelque temps après survint un autre incident qui encouragea Anne Catherine à faire le vœu de se rendre à l'invitation du fiancé divin, c'est-à-dire d'entrer en religion, quand elle serait plus avancée en âge. Elle le raconta ainsi :

« Mon père avait fait vœu de donner tous les ans un veau gras au couvent des Annonciades de Coesfeld. Lorsqu'il y portait le veau, il avait coutume de me prendre avec lui. Quand nous étions arrivés au couvent, les nonnes badinaient avec moi comme on fait avec un enfant. Elles me mettaient dans le tour et tantôt me faisaient tourner vers elles dans l'intérieur du couvent, pour me faire quelque cadeau, tantôt me faisaient tourner du côté extérieur, puis me demandaient en plaisantant si je ne voulais pas rester avec elles. Je répondais toujours que oui et je ne voulais pas m'en aller. Alors elles disaient : « la prochaine fois nous te garderons.» Toute petite que j'étais, je pris pourtant en affection ce couvent où la règle était encore bien observée. Quand j'entendais les cloches de son église, je priais avec la pensée d'unir mes prières à celles des pieuses recluses et je me trouvais ainsi en rapport intime et vivant avec le couvent des Annonciades. Une fois, par une chaude journée d'été, vers deux heures après midi, j'étais près du troupeau de vaches. Le ciel était noir, un orage allait éclater, il tonnait déjà. Les vaches étaient très inquiétées par la chaleur et les mouches et j'étais dans un grand embarras pour savoir comment je viendrais à bout du troupeau. Il y avait environ quarante vaches qui ne donnaient pas peu de souci à une faible enfant comme moi, quand elles couraient dans le bocage. Elles appartenaient à tout le hameau : autant un habitant du hameau possédait de vaches, autant de jours il devait harder le troupeau. Quand j'en étais chargée, j'étais toujours en prière et en contemplation : je voyageais à Jérusalem et à Bethléem et j'y étais plus connue qu'à la maison. Le jour dont je parle, quand l'orage éclata, je me retirai derrière un monticule de sable où croissaient des buissons de genévriers et je pus me mettre à l'abri. Je priai et j'eu une vision. Il vint à moi une religieuse assez âgée portant l'habit des Annonciades qui s'entretint avec moi. Elle me dit que ce n'était pas honorer véritablement la mère de Dieu que de se borner à parer et à promener ses images ou à lui adresser toute espèce de pieux discours, qu'il fallait imiter ses vertus, son humilité, sa charité et sa pureté. Elle me dit aussi que dans le danger et dans l'orage, il n'y avait pas de meilleur abri que de se réfugier par la prière dans les plaies de Jésus ; qu'elle avait toujours eu pour ces plaies sacrées une vénération profonde et qu'elle avait eu la grâce d'en recevoir l'empreinte douloureuse, mais que jamais personne ne l'avait su. Elle me raconta qu'elle portait toujours en secret sur la poitrine un cilice de crin avec cinq clous et une chaîne autour des reins, et qu'il lui avait toujours fallu tenir cachées ses pratiques de piété. Elle parla aussi de sa dévotion particulière envers l'Annonciation de la Sainte Vierge et me dit qu'il lui avait été révélé que Marie, dès sa plus tendre enfance, avait ardemment soupiré après la venue du Messie ; elle désirait seulement devenir la servante de la mère du Seigneur. Elle me raconta encore comment elle avait vu la salutation de l'archange et je lui dis de mon côté comment je l'avais vue nous devînmes ainsi très bonnes amies.

« Il était environ quatre heures quand je revins à moi. La cloche des Annonciades sonnait la prière : l'orage était passé et je trouvai mon troupeau paisiblement rassemblé : je n'avais pas été mouillée du tout. C'est alors que je fis pour la première fois le voeu de me faire religieuse. Je désirais au commencement entrer chez les Annonciades, mais je réfléchis bientôt qu'il valait mieux être tout à fait éloignée de ma famille. Je gardai le silence sur cette résolution. Dans la suite, je sus intérieurement que l'amie avec laquelle je m'étais entretenue était sainte Jeanne ; je sus qu'on l'avait forcée à se marier. Je la vis encore souvent dans la suite, spécialement dans mes voyages en vision à Jérusalem et à Bethléem : elle m'y accompagnait comme tirent plus tard les bienheureuses Françoise et Louise.»

A dater de ce moment, Anne Catherine fut fermement et irrévocablement résolue à entrer dans un couvent. Elle n'y voyait encore aucune possibilité humaine, elle ne pouvait pas non plus imaginer où elle pourrait s'adresser pour être admise, quand le temps serait venu : mais, pénétrée de son voeu comme elle l'était, elle espérait avec une confiance inébranlable que Dieu accomplirait en elle ce qu'il avait commencé en se faisant son guide. C'est pourquoi ses efforts tendaient toujours de plus en plus à mener la vie d'une religieuse, selon l'idée qu'elle en avait et autant que les circonstances le permettaient. Ses parents et ceux qui avaient autorité sur elle étaient pour elle comme des supérieurs ecclésiastiques auxquels elle obéissait de la manière la plus ponctuelle, et quant à ce que peut prescrire la règle d'un couvent en fait de mortification, de renoncement à soi-même et de vie retirée, elle l'observait, à l'aide d'avertissements intérieurs, aussi parfaitement qu'elle le pouvait.

 

5. Une de ses compagnes de jeunesse, Elisabeth Wollers, née Weermann, déposa ce qui suit devant l'autorité ecclésiastique, le 4 avril 1813 :

« Je connais Anne Catherine Emmerich depuis son enfance ; nous avons grandi ensemble et nous habitions, sous le même toit. Elle était sévèrement tenue par ses parents, mais pourtant sans dureté. Elle avait un très bon naturel. Tout ce que je sais, c'est qu'elle avait beaucoup d'affection pour ses parents et ses frères et sœurs. Elle était toujours sage et réservée. Déjà, étant enfant, elle voulait devenir nonne. Dès son plus jeune âge, elle avait de l'attrait pour l'église et pour la dévotion, mais elle n'aimait pas les compagnies et les divertissements. Elle les quittait ordinairement pour s'en aller à l'église. Elle était très recueillie, très réservée, sobre de paroles, très active et très travailleuse. Elle était polie et avenante pour tout le monde en sorte qu'on lui faisait des cadeaux à cause de sa gentillesse. Elle avait aussi très bon cœur ; elle avait bien quelquefois des vivacités, mais cela lui faisait de la peine tout de suite après. Elle n'était pas recherchée dans ses vêtements, mais seulement convenable et propre.»

 

6. Dans la douzième année de son âge, elle entra comme fille de service dans la famille d'un paysan de ses parents, qui s'appelait aussi Emmerich. La femme de celui-ci, Elisabeth, née Messig, déposa le 8 avril 1813 :

« Lorsqu'Anne Catherine avait douze ou treize ans, elle habitait ma maison et gardait les vaches. Elle était polie et bienveillante pour toutes les personnes de la maison, et je n'ai jamais rien trouvé à reprendre chez elle : nos rapports ont toujours été très amicaux. Elle n'allait jamais à une réunion de plaisir ; elle aimait mieux aller à l'église, car elle était très pieuse, très active, très sincère et fort recueillie en elle-même. Elle parlait bien de tous et disait toujours qu'elle ne voulait pas avoir de bien-être dans ce monde : elle portait au lieu de chemise, une robe de laine grossière. Elle avait très bon cœur, jeûnait beaucoup et disait pour s'excuser qu'elle n'avait pas d'appétit. Quand je lui conseillai de renoncer à son projet de se faire nonne, parce qu'il faudrait y sacrifier tout ce qu'elle avait, elle me répondit : « Ne me parlez pas ainsi, autrement nous ne serons plus amies. Je dois faire cela et je le ferai.»

 

7. Dès ses premières années, Anne Catherine avait eu des relations fréquentes dans cette maison de paysans aisés : ses parents le voulaient ainsi, dans l'espoir que leur enfant deviendrait peu à peu moins silencieuse et moins recueillie si elle voyait plus souvent d'autres personnes. Ils ne pouvaient s'expliquer un détachement si précoce de toutes les choses du monde chez cette enfant dont la vie était en Dieu ; d'autant moins qu'ils avaient tous les jours de nouvelles preuves de la vivacité de son esprit, de son habileté et de sa capacité et qu'ils craignaient que cette vie si retirée ne nuisit plus tard à son établissement dans le monde. Mais plus on envoyait Anne Catherine chez d'autres personnes, plus le détachement et l'éloignement du monde et de ses relations croissaient en elle. Elle était toujours à l'état de contemplation qui pourtant ne l'empêchait pas de faire aussi bien que possible ce qu'elle avait à faire. Quand elle travaillait aux champs avec les siens, elle disait quelques mots, sans sortir de ses visions, lorsque la conversation avait trait aux choses de Dieu : mais le plus souvent elle gardait le silence, et le travail dont elle était chargée, si pénible qu'il fût, se faisait avec promptitude, sans secousse et sans dérangement. Si on l'interpellait soudainement, il arrivait souvent qu'elle n'entendait pas ou que, semblant s'éveiller d'un songe, elle faisait une réponse qui n'avait pas de rapport à la question. Elle regardait alors le questionneur avec des yeux dont l'expression faisait deviner, même à ces gens simples, qu'ils n'étaient pas tournés vers les objets extérieurs : cependant sa cordialité touchante et son humeur serviable réussissaient promptement à prévenir les conséquences ultérieures d'une impression si étrange.

 

8. Après qu'elle eut passé trois ans dans la maison d'Emmerich, on la plaça chez une couturière parce que sa faiblesse physique fit penser à sa mère qu'une occupation de cette nature serait plus propre à lui assurer un jour une existence convenable dans le monde. Avant que ce plan fût mis à exécution, elle revint passer quelque temps encore dans la maison paternelle pour aider aux travaux des champs. A cette période se rattache un incident qui donna occasion à Anne Catherine de déclarer à ses parents qu'elle était fermement et irrévocablement résolue à entrer au couvent. Elle travaillait aux champs, une après-midi, avec ses parents et ses frères et sœurs. Il était environ trois heures lorsque la cloche du couvent des Annonciades de Coesfeld sonna les Vêpres. Souvent déjà elle avait entendu la cloche par un vent favorable, mais cette fois ce son la remplit d'un désir si extraordinaire d'entrer au couvent qu'elle fut au moment de tomber en faiblesse. C'était comme si une voix lui eût crié» Va au couvent, il le faut quoi qu'il en advienne !» Elle ne put continuer son travail et il fallut la ramener à la maison.

« A dater de ce moment, raconta-t-elle, je commençais à être malade, je vomissais souvent et j'étais très triste. Comme j'allais de côté et d'autre, languissante et soucieuse, ma mère me demanda ce que j'avais et ce qui me rendait si sérieuse. Je lui déclarai nettement que je voulais aller au couvent. Elle fut très mécontente et me demanda comment je voulais entrer dans un couvent, ne possédant rien et étant d'une mauvaise santé. Elle se plaignit aussi à mon père et ils firent l'un et l'autre tout leur possible pour me dissuader de la pensée du couvent. Ils me représentèrent la vie qu'on y menait comme devant être très pénible pour moi, car j'y serais méprisée en ma qualité de paysanne et à cause de ma pauvreté. Mais je répondis : « Si je n'ai rien, Dieu n'en est pas moins riche pour cela. Il fera réussir la chose.» Le refus de mes parents m'alla tellement au cœur que j'en devins plus malade et qu'il me fallut garder le lit.

« Pendant cette maladie, un jour, à midi, comme le soleil donnait dans ma chambrette par la petite fenêtre, je vis un saint homme s'approcher de mon lit avec deux religieuses qui étaient éblouissantes de lumière. Elles me donnèrent un gros livre semblable à un livre de messe et me dirent : « Si tu peux étudier ce que contient ce livre, tu sauras ce qui convient à une religieuse.» Je répondis que je voulais le lire dès à présent et je pris le livre sur mes genoux. Il était en latin, mais je compris tout et j'y lus avec beaucoup d'attention. Ils me laissèrent le livre et disparurent. Les feuillets de ce livre étaient en parchemin et écrits en lettres rouges et dorées. Il s'y trouvait aussi des images de saints de l'ancien temps. Il avait une reliure jaune, mais pas de fermoirs. J'avais ce livre avec moi quand j'entrai au couvent et j'y lisais avec ardeur. Quand j'en avais lu une partie, il m'était toujours retiré. Je l'avais un jour sur ma table, quand plusieurs religieuses entrèrent chez moi et voulurent le prendre, mais il leur fut impossible de l'ôter de sa place. Plus d'une fois il me fut dit : « Tu as maintenant tant et tant de feuillets à lire encore.» Je vis ce livre dans les dernières années, lorsque je fus ravie en esprit à un endroit qui se rapporte à la prophétie et aux écrits d'anciens prophètes : il me fut montré là parmi beaucoup d'autres livres prophétiques de tous les lieux et de tous les temps, comme étant la part que j'aurais dans ces trésors. D'autres présents que j'avais reçus en diverses occasions pour me consoler et m'aider et que j'avais eus longtemps en ma possession me furent montrés comme conservés là. Maintenant (20 décembre, 1819) je n'ai plus que cinq feuillets à lire, mais il me faut pour cela du repos afin que je puisse en laisser après moi le contenu.»

 

9. Ce livre mystérieux n'était donc pas un pur symbole mais un écrit réel, ayant la forme d'un volume et contenant des choses prophétiques. Il provenait, comme il sera rapporté en son lieu, du trésor des saints écrits qui sont conservés sur ce qu'Anne Catherine appelle la montagne des prophètes et transmis par des voies extraordinaire à des personnes que l'infusion de la lumière prophétique a rendues capables de comprendre ce qui s'y trouve. Ce livre traitait de l'essence et de la signification de l'état religieux, de sa place dans l'église et de sa mission dans tous les temps, en sorte que toute personne à laquelle il était donné d'en prendre connaissance pouvait y apprendre de quel bien elle devait être l'instrument pour l'Eglise de son temps. La lecture qu'y faisait Anne Catherine donnait lieu pour elle à des visions où ce qu'il contenait se développait sous ses yeux dans une série de tableaux. Même quand il lui arrivait de réciter un psaume, le Magnificat, le Benedictus, le premier chapitre de l'Evangile de saint Jean une prière de la liturgie catholique ou les litanies de la sainte Vierge, les mots s'ouvraient, pour ainsi dire, comme des enveloppes où la graine est renfermée et les contemplations les plus variées touchant leur contenu historique et leur sens le plus profond venaient se présenter à elle : il en était de même pour ce livre. Elle y voyait comme but et objet principal de l'état religieux le mariage avec le fiancé céleste, mais dans ce tableau général apercevait distinctement sa propre participation à cette tâche, ainsi que les voies et les moyens, les empêchements et les encouragements, les travaux, les peines, les mortifications, les victoires sur elle-même qui devaient l'aider à l'accomplir ; et cela, non-seulement en ce qui se rapportait à sa sanctification personnelle, mais aussi en ce qui touchait la situation et les besoins de l'Église elle-même. Car Anne Catherine ne devait pas recevoir la grâce de la vocation uniquement pour elle et pour sa propre perfection, mais le Père céleste l'avait destinée à être un instrument au moyen duquel il voulait sauver cette grâce avec tous les dons et les effets qui s'y rattachent et la conserver à l'Église, dans un temps de défection universelle où la vigne du Seigneur était livrée à la dévastation. C'est pourquoi tout ce qu'Anne Catherine apprenait dans le livre de prophétie et tout ce qu'elle pratiquait d'après ses indications avait toujours le caractère de substitution, d'expiation et de satisfaction pour les fautes et les manquements d'autrui ; et tous les travaux qu'elle avait à accomplir en vision se faisaient plus pour d'autres que pour elle-même. Ils étaient une plantation, une récolte, une préparation, une conquête, un combat, une réparation dont le fruit et le profit étaient destinés à toute l'église par le fiancé céleste.

 

10. Plus Anne Catherine pénétrait profondément dans ce livre, plus ses contemplations devenaient riches et plus elles devenaient la règle de toute sa vie intérieure et extérieure. Elle percevait l'accord de tous ces tableaux, soit entre eux, soit avec toute la mission de sa vie : elle voyait clairement qu'ils embrassaient dans leur ensemble, l'histoire d'une fiancée engagée au fiancé céleste, qui soupire après lui, tend vers lui, qui doit préparer laborieusement pour lui tout ce qu'il faut pour se mettre en ménage, mais qui est incessamment retardée et dérangée par des choses qui manquent, par d'autres qui se perdent ou se détruisent, par des travaux faits en sens contraire. De temps en temps une série des événements de sa vie dans un avenir prochain lui était montrée d'avance dans des tableaux symboliques qui ne manquaient jamais de se réaliser : même tous les empêchements qui provenaient de ses propres péchés, de sa tiédeur, de ses omissions, de sa trop grande condescendance pour autrui se montraient là comme des avertissements. Mais tout cela ne lui était pas représenté de façon qu'elle n'eût qu'à suivre en aveugle ou qu'il ne dût pas lui en coûter des résolutions sérieuses, des combats et des efforts ; car ces tableaux symboliques étaient comme une similitude, comme une parabole qui la fortifiait et l'éclairait, l'aidant à faire ce qui était convenable, à éviter ce qui ne l'était pas ou à parer à un danger, mais non comme une chose toute faite ou comme un présent pour lequel elle n'eût qu'à ouvrir la main. Ils lui montraient en outre, dans, le détail les misères et les besoins divers qu'elle n'eût pu embrasser d'un coup d'oeil mais pour lesquels elle avait à lutter et à prier, et ils lui indiquaient ce qu'elle avait à faire dans tel ou tel cas. Ces tableaux la consolaient aussi et, en lui faisant voir ses fautes, lui apprenaient comment elle pourrait les éviter ou les réparer.

 

11. Les travaux et les arrangements qui occupaient, Anne Catherine en vision et qu'elle avait à mener à bien, sans manquements et sans fautes se rapportaient à la préparation de la parure et du trésor nuptial d'une fiancé accordée avec le fils d'un roi. Ce qu'une mère soigneuse et intelligente ferait en pareil cas pour sa fille promise à un tel fiancé était précisément ce qu'Anne Catherine devait faire en vision. Elle avait à mettre toutes choses en état par des travaux comme ceux qui se font pour la vie ordinaire et pour ses besoins, mais qui avaient ici une signification plus élevée et d'autres effets. Ainsi elle devait préparer le champ, semer du lin, sarcler les mauvaises herbes, cueillir le lin, le rouir, le briser, l'affiner, le filer, le tisser et blanchir le linge destiné à la fiancée. Elle devait tailler, coudre, broder de la façon la plus variée, suivant la signification spirituelle des diverses pièces d'habillement, lesquelles étaient en très grand nombre et dont la confection exigeait de grandes fatigues. Ces travaux en vision étaient les symboles de ses fatigues, de ses mortifications, de ses victoires sur elle-même dans la vie de chaque jour. Chaque coup d'aiguille pour la confection du vêtement nuptial était la piqûre d'une douleur supportée patiemment qui augmentait ses mérites et la rapprochait du but. Un acte de vertu imparfait, défectueux, se montrait dans la vision comme une couture ou une broderie mal réussie qu'il fallait supprimer et refaire à nouveau. Toutes les impatiences, toutes les vivacités, tous les manquements, jusqu'au plus léger, étaient représentés par des défauts, des avaries et des tâches qu'il fallait réparer ou effacer par un redoublement d'efforts et de fatigue. Tous ces travaux s'élevaient, variant suivant les années, depuis le plus simple vêtement jusqu'à la parure de fête de la fiancée et à tout ce qui constituait un trousseau complet. Chaque pièce particulière devait être achetée par des sacrifices et soigneusement conservée jusqu'au moment du mariage. Il résultait de la tâche imposée à Anne Catherine que la vision relative aux fiançailles qui lui servait de guide devenait chaque jour plus étendue et plus variée parce que toutes les circonstances et les influences de l'époque qui avaient trait à l'Église venaient s'y produire. Tout le monde laïque et ecclésiastique qui l'environnait venait s'y montrer, suscitant des obstacles ou apportant des encouragements : de même toutes les tentatives avortées, toutes les démarches inutiles, toutes les prières non exaucées, toutes les attentes trompées lui étaient montrées d'avance dans des tableaux symboliques.

 

12. Les travaux qu'elle faisait en vision s'entremêlaient si simplement et si naturellement à sa vie extérieure qu'ils n'y apportaient jamais de trouble ; bien plus, il n'existait pour elle aucune différence sensible à son esprit entre cette double action : toutes deux étaient une même chose parce que les mêmes vues et les mêmes pensées y présidaient et parce qu'elles étaient également dirigées vers le même but. Le travail en esprit passait avant le travail extérieur de chaque jour, semblable à la prière et aux bonnes résolutions par lesquelles un pieux chrétien commence son oeuvre journalière, offrant toutes ses actions à Dieu pour sa gloire et pour l'acquisition de quelque vertu : et de même que celui-ci a coutume de renouveler son intention dans le courant de la journée pour se fortifier dans ses bonnes dispositions et ses bons propos, de même il pouvait arriver qu'Anne Catherine eût à faire un seul et même travail pour obéir à sa maîtresse ou à ses parents et pour suivre des instructions reçues dans sa vision. Elle s'expliqua ainsi une fois à ce sujet :

« Je ne puis dire de quelle manière la contemplation de ces tableaux se liait à mes actions, mais c'était d'après elle que je faisais avec une grande ponctualité ou que j'évitais de faire ce qui se présentait à moi dans le cours ordinaire de la vie. Cela a toujours été très clair pour moi, quoique je n'eusse personne autour de moi qui eût pu comprendre mes explications à ce sujet. Je crois qu'il en arrive autant à toute personne qui, dès sa jeunesse, travaille avec zèle pour arriver à son but, la béatitude éternelle ; seulement la manière dont Dieu daigne la diriger reste invisible pour elle. Une autre personne éclairée d'en haut pourrait s'en rendre compte d'après la marche des choses comme je l'ai fait moi-même constamment en ce qui touchait les autres. Celui qui ne voit pas la direction divine agit pourtant d'après elle et il en recevra l'influence bénie, tant qu'il obéira à toutes les impulsions, les aspirations et les avertissements que Dieu lui fait arriver par l'ange gardien, par la prière, par le confesseur, par les supérieurs, par le sacerdoce de l'Eglise, aussi bien que par les événements et les circonstances de la vie journalière. De quelque côté, que je portasse mes regards, la vie ordinaire ne me montrait que l'impossibilité d'entrer dans un couvent mais la vision m'y conduisait toujours et sûrement, et je recevais intérieurement l'assurance que Dieu, qui peut tout, me conduirait au but. Et cela me donnait une ferme confiance.»

 

13. A peine Anne Catherine était-elle remise de sa maladie que sa mère la mit en apprentissage à Coesfeld, chez la maîtresse couturière Elisabeth Krabbe, dite Notthof : elle espérait que ce nouveau genre de vie et le commerce plus fréquent avec toute sorte de personnes qui en résulterait la distrairait un peu et la ferait revenir sur son projet d'entrer au couvent. Mais Dieu avait disposé que précisément ce court espace de moins de deux ans pendant lequel Anne Catherine fut en apprentissage serait le temps le plus tranquille de sa vie quant à l'extérieur. Elle n'eut pas besoin de commencer par apprendre à coudre ; car, de même que précédemment elle avait fait tout ce dont elle était chargée, soit aux champs, soit à la maison, sans sortir de la contemplation, de même maintenant sa main savait manier adroitement l'aiguille, pendant que son œil était dirigé vers de tout autres objets. Dieu lui donna une telle aptitude pour cette sorte de travaux qu'elle pouvait venir à bout des ouvrages les plus difficiles sans y appliquer son esprit. Ses mains seules étaient actives et, comme conduites par l'ange, poursuivaient leur travail avec précision et sûreté quoique son œil, détourné des choses du monde extérieur, ne pût même plus y jeter un regard. Au commencement, Anne Catherine se mettait avec inquiétude à la table de travail parce qu’elle savait bien qu'elle ne pourrait résister à l'invasion des visions ni s'empêcher d'avoir l'esprit absent, et elle était très tourmentée par la crainte d'attirer par là sur elle l'attention soupçonneuse de l'entourage. Mais elle pria Dieu de venir à son aide et elle fut exaucée : l'ange lui mettait dans la bouche les paroles qu'il fallait, chaque fois qu'on s'adressait soudainement à elle, en même temps qu'il veillait sur ses mains afin qu'elles ne laissassent pas tomber l'ouvrage. Anne Catherine alla bientôt si loin dans cette voie que, jusqu'à la fin de sa vie, elle put consacrer ses douloureuses nuits non-seulement à la prière et à un travail purement spirituel, mais aussi à faire des travaux de couture pour des enfants pauvres, des malades et des femmes en couches, sans avoir besoin pour cela du secours de ses yeux ni d'une application particulière de son esprit.

 

14. Il est facile de comprendre que pendant les rudes travaux des champs qu'il lui fallait faire précédemment, en y employant toutes ses forces, il avait été plus facile à Anne Catherine de résister à une profonde absorption dans la contemplation que maintenant où, assise tranquillement devant une table, elle avait à faire des choses qui n'exigeaient d'elle ni effort ni attention : aussi toute son âme était-elle attirée dans des contemplations qui la saisissaient plus profondément et plus puissamment que les scènes de l'histoire sainte, parce qu'elles avaient presque continuellement pour objet sa propre vie et la tâche qu'elle avait à remplir. Dieu lui montra quelles grandes choses il accomplit dans une âme qui est appelée à l'état religieux conformément à ses décrets éternels. Il lui fit connaître toute la série de grâces et de directions dont a besoin la faible et inconstante créature humaine pour arriver au but sublime que Dieu lui a marqué, malgré ces manquements et ses infidélités sans nombre. Et elle admirait et louait, le cœur plein de reconnaissance, cette sollicitude et cette bonté si touchantes du Seigneur qui daigne ainsi prodiguer des dons d'une valeur inestimable aux âmes qu'il veut rendre capables de recevoir ses plus hautes faveurs. Plus son cœur aimant était pénétré de ces sentiments, plus sa douleur était grande à la vue de la triste situation de l'Eglise dans laquelle il ne semblait plus possible que personne voulût désormais embrasser la vie religieuse avec ses saints voeux. Cette situation, ainsi que les persécutions et les dangers qui menaçaient encore la foi catholique, était montrée à Anne Catherine, parce que Dieu voulait agréer ses prières, ses souffrances et ses sacrifices afin de conserver par là à l'Eglise ces dons qu'alors peu de chrétiens voulaient accepter et conserver fidèlement et que toutes les puissances ennemies, conjurées contre elle, voulaient anéantir. Il remuait son cœur par ces contemplations, afin qu'elle demandât pour elle-même avec, un désir plus ardent la grâce de la vocation et s'offrit sans relâche à souffrir toutes les peines qui pouvaient être une compensation pour l'ingratitude, le mépris et les outrages que cette grâce rencontrait maintenant partout.

 

15. Le Sauveur lui montra en outre ce qu'il avait dû faire et souffrir pour conférer à son Eglise la parure de l'état religieux, comment il avait placé ce joyau sous la garde et la tutelle spéciale de sa très pure Mère ; et comment, pour rehausser sa gloire dans l'Eglise, il lui avait remis le pouvoir de planter dans sa vigne les diverses familles religieuses et de les renouveler selon les besoins. Aussi, c'était à cette très sainte Mère qu'Anne Catherine dans ses visions avait à présenter successivement chaque pièce de la parure nuptiale, pour corriger et améliorer, d'après ses avis, ce qui était défectueux. Si nous nous souvenons que, dès sa quatrième année, Anne Catherine avait coutume de se flageller avec des orties quand elle voyait Dieu offensé par des enfants mal élevés, nous pourrons mesurer l'irrésistible puissance de l'amour qui lui faisait maintenant chercher à dédommager Dieu des injures à ses fiancées infidèles. Ce désir devenait plus ardent mesure que lui était révélée plus clairement la haute dignité à laquelle est élevée une âme qui s'unit à Dieu par la profession des voeux de religion. Plus elle considérait avec admiration la perfection et le mérite que communiquent à toutes les actions, même les plus insignifiantes, d'une personne consacrée à l'état plus elle aspirait ardemment à cette faveur, dans l'espoir que par là elle pourrait honorer Dieu davantage et le servir plus parfaitement. Elle arriva à une conviction si assurée touchant l'incomparable efficacité des vœux de religion qu'elle ne croyait pas pouvoir se montrer assez reconnaissante envers Dieu, si elle ne lui offrait jusqu'à son dernier soupir une vie remplie de labeurs et de souffrances. C'est pourquoi son âme vaillante ne se laissait décourager, quand, pour le présent, elle ne voyait encore aucune possibilité humaine d'entrer dans un couvent et quand tous ceux devant lesquelles son désir se manifestait s'élevaient contre elle. Mais ses forces physiques n'étaient pas en état de supporter tout ce qu'elle éprouvait intérieurement. Elles s'épuisèrent tout à fait, et Anne Catherine se montra si malade et si affaiblie qu'il fallut quitter son apprentissage.

 

16. La maîtresse couturière déposa en ces termes, devant l'autorité ecclésiastique, le 14 avril 1813 :

« J'ai connu Anne Catherine Emmerich quand elle avait douze ans et qu'elle habitait chez Zeller Emmerich, dans le district rural de Flamske appartenant à la paroisse de Saint-Jacques de Coesfeld : ce fut de là qu'elle vint chez moi, à l'âge de quinze ans, pour y apprendre la couture. Elle n'y resta pas tout à fait deux ans, car elle tomba malade et, avant que sa guérison fût complète, elle alla à Coesfeld où elle resta.

« Tout le temps qu'elle demeura chez moi, elle s'est toujours très bien conduite : elle était très laborieuse, toujours prête à faire ce que je lui disais, sans jamais contredire. Elle ne parlait pas beaucoup et se montrait plutôt silencieuse et réservée. Elle n'était chez moi que les jours ouvriers : elle passait les dimanches et les jours de fête chez ses parents. Je n'ai rien trouvé à reprendre chez elle, si ce n'est qu'elle aimait à être bien habillée.»

Lorsqu'Overberg, le 24 avril 1813, demanda à Anne Catherine qui faisait avec lui son examen de conscience, s'il était vrai que dans sa jeunesse elle eût été recherchée dans son habillement, elle lui répondit :

« J'aimais toujours à être habillée convenablement et proprement ; toutefois, ce n'était pas en vue des hommes, mais en vue de Dieu. Ma mère souvent ne pouvait satisfaire en cela mon désir ; alors j'allais près de l'eau ou devant un miroir pour m'arranger. S'habiller décemment et proprement est bon, même pour l'âme. Quand j'allais communier le matin, avant l'aube, je m'habillais avec autant de soin qu'en plein jour, car c'était pour Dieu et non pas pour le monde.»