VIE D’ANNE CATHERINE EMMERICH

  TOME DEUXIEME (1819-1824)

 

CHAPITRE IX

 

LES FORMES DE LA PRIÈRE AGISSANTE,
OU DES TRAVAUX DANS LA MAISON DES NOCES

 

         1. Les formes sous lesquelles Anne-Catherine doit exercer l'action par la prière ou, sous forme de visions symboliques, travailler dans la maison des noces et satisfaire par là pour les membres de l’Eglise, ces formes, disons-nous, ne sont pas de son choix, mais tiennent à la nature de chacune des taches qui lui sont imposées par le Seigneur, chef de l'Église. Ces tâches sont aussi variées que les paraboles où le divin Sauveur nous représente dans les évangiles son union avec l'Église et avec les fidèles pris en particulier. Il appelle l'Église sa fiancée, son corps, sa vigne, son jardin, son champ, son troupeau ; il se nomme lui-même le pasteur, le sauveur, le médecin, le protecteur, le semeur ; le maître de la vigne ; il appelle le sacerdoce le sel de la terre, etc. De même que ces paraboles ne sont pas de vaines figures, mais la désignation symbolique de la nature intérieure et de la forme de son union avec ceux qu'il a rachetés et des effets multiples de cette union, de même aussi les travaux par la prière qu'Anne-Catherine doit accomplir sous la forme de ces paraboles ne sont pas quelque chose de fortuit, d'arbitraire ou de vain, mais quelque chose de nécessaire, en tant que correspondant intérieurement à la nature et au but de sa tâche. A-t-elle par exemple dans l'Église, comme vigne du fils de Dieu, à réparer les omissions des serviteurs négligents, toute son action, dans la vision, prend la nature, c'est-à-dire qu'elle a la forme, la valeur et les résultats des travaux qui ont coutume de se faire dans une vigne réelle ; en outre, comme preuve palpable que les efforts et les fatigues d'un travail fait dans la vision sont aussi réels, aussi sensibles et ont les mêmes conséquences que ceux de la vie ordinaire, Anne Catherine rapporte avec elle dans son corps les suites visibles des efforts qu'elle a faits, ainsi qu'il arrivait pour Lidwine quand elle revenait de ses voyages en vision.


         Voici ce qu'elle raconta le 20 février 1820 : J'ai été conduite par mon guide dans une vigne située au couchant de la maison des noces. Cette vigne était dans un triste état : il y avait à la vérité plusieurs ceps bons et forts, mais les branches n'étaient ni taillées, ni mises en ordre ; la terre n'était ni fumée, ni bêchée, et tout était couvert d'orties de toute dimension. Là où la souche était bonne, les orties étaient hautes et touffues, et ne piquaient pas si fort ; mais là où les branches retombaient sans vigueur, la vigne était comme étouffée sous une quantité d'orties très petites et dont la piqûre était très-cuisante. Il n'y avait dans la vigne ni chemin, ni sentier ; tout était inculte et encombré de mauvaises herbes. Je vis là plusieurs belles maisons dont la porte était envahie par les orties et d'autres plantes de ce genre qui s'élevaient presqu'à la hauteur des fenêtres ; à l'intérieur, tout au contraire, ce qui tient aux arrangements domestiques était dans le plus bel ordre, j'y vis assis des dignitaires ecclésiastiques qui lisaient et étudiaient toute espèce de livres inutiles : mais aucun n'allait au dehors pour s'occuper le moins du monde de ce qu'il y avait à faire à la vigne. Au milieu de la vigne était une espèce de bâtiment de ferme autour d'une église ; mais il n'y avait pas de chemin pour y arriver. Tout était couvert d'une végétation parasite et l'église entière était comme tapissée de vert. Le Saint-Sacrement était dans l'église, mais la lampe n'était pas suspendue devant l’autel. Dès que j'entrai dans la vigne, j'eus le sentiment qu'il y avait dans le voisinage des ossements de saint Liboire et je les trouvai en effet déposés dans cette église : mais ils n'y étaient plus l’objet d'une vénération particulière. L'évêque de cette église semblait éloigné, et il n'y avait plus de chemin qui conduisit à l'église. La vigne faisait une impression bien triste et il me fut dit que je devais y travailler. Il y avait là un couteau d'os à deux tranchants qui avait à peu près la forme d'une faucille : je devais m'en servir pour tailler les sarments. Un hoyau pour bêcher et un panier pour porter le fumier me furent aussi montrés et le travail à faire me fut expliqué. Au commencement il présentait de grandes difficultés, à la fin il devait devenir plus facile. Je reçus encore des explications sur la manière de cueillir les raisins et de les mettre sous le pressoir : mais je les ai oubliées. Depuis que j'ai à m'occuper de cette vigne, mes souffrances ont beaucoup changé de caractère. C'est comme si mon corps était percé de part en part avec un couteau pointu à trois tranchants ; les douleurs vont de là à travers tous les membres, et j'ai surtout des élancements insupportables dans les os et dans toutes les articulations jusqu'à la pointe des doigts. »


         22 juin. « Elle est, dit le journal du Pèlerin, continuellement occupée de ces travaux accomplis par la souffrance ; dans quelque position qu'on la mette, elle a toujours la sensation d'être couchée parmi les orties et les épines les plus piquantes. « J'ai eu à travailler dans la vigne abandonnée, a-t-elle dit un jour, et en outre j'ai été assaillie par un essaim de nouveaux tourments. Je ne savais rien de ma position extérieure. Il me semblait que je m'étais exténuée de travail dans la vigne et j'avais la sensation douloureuse de n'être pas couchée dans mon lit, mais parmi les orties ; comme je voyais près de moi un coin que j'avais déjà sarclé, je demandai qu'on voulût bien m'y poser. On eut égard à mon état et on me dit qu'en effet on allait me mettre dans un endroit où il n'y avait pas d'orties. Alors on me déposa dans mon lit et je dis en gémissant : « Ah ! tu m'as trompée et tu m'as mise au beau milieu des orties. » Je voyais et je sentais ainsi : je ne savais rien de ma position extérieure, j'avais le sentiment que j'étais dans la vigne. Je souffrais de plus en plus des piqûres que je m'étais faites en arrachant des orties et, d'autre part, la taille des branches avec la serpette en os me causait de vives douleurs dans le corps et dans toutes les articulations. Mon travail m'avait conduite jusqu'à la première maison, à l'endroit le plus inculte et le plus sauvage de la vigne. Comme j'éprouvais de très-grandes douleurs, je posai sur mon corps les reliques de saint Ignace et, de saint François Xavier, je leur demandai du soulagement et je l'obtins. Je vis les deux saints en l'air : un jet de lumière descendit sur moi et me pénétra comme un tressaillement : je me sentis alors soulagée dans tous mes membres. » Ses souffrances étaient si grandes et son extérieur tellement altéré, ajoute ici le Pèlerin, que son entourage, bien qu'accoutumé à de pareils spectacles, en fut très-ému. Je lui trouvai aux pieds et aux mains une quantité de marques toutes pareilles à celles que laisse la piqûre des orties. Lorsqu'en poursuivant son travail, elle fut arrivée,jusqu'à l'église, sainte Françoise Romaine lui apparut très-maigre et très-décharnée, ressemblant à un squelette. « Vois, dit-elle, il m'a fallu travailler comme toi, et cela m'a mise dans un état aussi misérable qu'est le tien à présent : cependant je n'en suis pas morte. » Ces paroles la consolèrent, son pâle visage commença à reprendre des couleurs et elle se montra animée comme quelqu'un qui reçoit une nouvelle excitation au travail ; ses doigts s’agitaient comme pour arracher ; les doigts du milieu étaient raides et courbés. Tout à coup elle cria en souriant tristement : « Je viens de me heurter bien fort le genou. L'os a reçu une rude atteinte. Je suis toujours si pressée et si ardente ! Je me suis cognée contre une grosse souche dans la vigne. Le couteau en os me fait bien du mal à la main. » Sa main droite est enflée, ses bras et ses mains sont couverts de piqûres d'orties.


         Le 26 juin elle dit : « Je n'ai plus que peu de jours à travailler. Grâce à la peine que j'ai prise pour me vaincre, le travail m'a doublement réussi. Il m'a fallu moudre et réduire en poussière les mauvaises herbes. Le travail le plus pénible est celui que m'a donné un presbytère où une mauvaise servante est la maîtresse. C'est là que Claire de Montefalco m'est apparue et m'a dit : « Le plus difficile est fait. » Mais ses douleurs étaient telles que le confesseur craignait de la voir mourir.


         2 juillet. « Le travail de la vigne est terminé, on m'a recommandé de prier et de donner encore un coup de main. Les orties dans la vigne signifient les passions charnelles. Mon conducteur a dit : « Tu as bien travaillé, il faut maintenant prendre un peu de repos, » mais je n'y parviens pas.


         15 juillet. « J'ai eu cette nuit un travail de prière ; un très-brave homme que je connais m'était depuis longtemps montré comme étant tombé très-bas. J'ai prié pour lui et son coeur a été touché. Il ne sait rien de cela et il y a longtemps qu'il n'est venu ici. Mais j'ai eu le sentiment qu'il m'était mis sous les yeux pendant la nuit, et cette nuit, j'ai prié ardemment pour lui ; il s'est produit un changement dans son âme et il ira se confesser. Il est venu me voir ce matin sans que je m'y attendisse et je l'ai consolé. Il ignore que l'état où il est ne m'est pas inconnu et que je l'ai excité par la prière ; mais il est en voie de retour. Je lui ai dit ce que Dieu m'a inspiré de lui dire. »


         29 juillet. « Je me suis trouvée dans un verger planté de pommiers autour duquel se trouvaient des collines avec des vignobles, les uns éclairés du soleil, les autres dans l'ombre ; dans le verger était un bâtiment rond qui avait l'air d'un cellier. Il s'y trouvait des tonneaux, des cuves et un grand vase de bois, percé de trous par dessous. Il avait un double fond et c'était un pressoir. Une de ces religieuses des anciens temps qui m'assistent souvent m'accompagnait dans le verger. Il me fallait cueillir des pommes. Je les prenais à un grand arbre et les bras me faisaient bien mal. J'en ai d'abord jeté un plein tablier dans le tonneau. Il me fut dit qu'il n'en fallait mettre aucune qui ne fût mûre. Et comme je me disais que le peu que j'avais recueilli n'en valait pas la peine, il me fut montré quelle quantité de jus en sortirait. Je ne comprends pas cette vision ni sa signification, mais c'est le commencement du travail qui m'a été annoncé. »


         30 juillet. « Elle eut de nouveau la même vision de travail fait sous la direction de la bienheureuse religieuse. Elle s'est tant fatiguée à porter des pommes au pressoir que les bras lui font grand mal. »


         31 juillet. « Dans le verger il n'y avait qu'un grand pommier. Je n'ai pas cueilli de pommes aujourd'hui, mais j'ai eu seulement à redresser des plantes qui entourent le pied de l'arbre, à les transplanter, à les étayer, à arracher celles qui étaient mortes, à arroser celles qui se fanaient, ou à les ombrager. Il m'a été montré que cela se rapportait aux sectaires (faux mystiques). L'arbre portait des pommes trop mûres et piquées des vers. Les unes étaient gâtées par la surabondance du jus ; dans les autres les vers étaient le résultat de l'orgueil, de l'amour-propre et d'une association très-dangereuse. Ces pommes, lorsqu'elles tombaient de l'arbre, écrasaient les plantes qui se trouvaient au-dessous et les infectaient de vers. Mais quand elles étaient cueillies et jetées dans le pressoir, elles donnaient une bonne boisson. Elles indiquaient les maîtres d'école dans les paroisses dont l'esprit s'était gâté et qui étaient représentées par les plantes. Dans ce travail, j'avais pour compagnes les anciennes religieuses du couvent, aujourd'hui bienheureuses. - J'ai eu ensuite une autre vision touchant l'état de ces gens. Je vis que ceux qui avaient émigré au nord suivaient les voies les plus dangereuses et se séparaient pour la plupart : et je reconnus combien il fallait prier Dieu pour que les plantes orgueilleuses et exubérantes fussent retirées de ces paroisses, afin que celles qui valaient mieux pussent rester dans l'Eglise. »


         2 août. « Cette nuit il m'a fallu travailler vigoureusement dans le jardin. Lorsque j'eus fini de faire le triage des pommes gâtées, j'eus à recommencer dans une des vignes située sur les côteaux environnants. J'avais près de moi une hotte ; il me fallait cueillir grappe à grappe les raisins mûrs et même ceux qui l'étaient trop et les jeter dans la hotte afin que ceux qui étaient encore verts pussent mûrir et que rien ne se gâtât. Quand la hotte était pleine, je devais la vider dans un pressoir qui était plus petit que le pressoir des pommes. Je fais les travaux de cette espèce en priant et en méditant sans relâche et j'ai des visions accessoires touchant le bien qui en résulte. Ce travail se rapporte toujours à la nouvelle secte. Mon conducteur était seul auprès de moi. »


         3 août. « J'ai encore pendant longtemps cueilli et trié les raisins, rempli et vidé la hotte. Il me fallait arracher beaucoup de grains qui étaient à demi gâtés et nettoyer les grappes. Mon conducteur était seul prés de moi. J'ai déjà fait bien du travail et il m'a été montré qu'il porte des fruits. »


         5 août. «Cette, nuit j'ai eu tant de mal à me donner dans la vigile que j'en suis encore très-fatiguée. Il y avait des grappes si énormément grosses, presque aussi grosses que moi et elles étaient si lourdes ! Je ne savais comment m'y prendre pour les transporter. Il me fut dit que c'était la vigne épiscopale et je reconnus la grappe de chacun. J'avais à m'occuper d'une dizaine d'évêques. Je me souviens de notre vicaire général, de l'évêque d'Ermeland et d'un autre qui est encore à venir. Il m'a fallu de nouveau égréner beaucoup de grappes. Je ne savais pas comment transporter les raisins, mais je me souvins que, dans mon enfance, je chargeais sur ma tête, en me courbant au-dessous, et transportais ainsi des bottes de fourrage plus grosses que moi. Je me glissai donc sous la grappe et comme je craignais de la froisser, je me donnai beaucoup de peine pour la garnir de mousse et de feuilles et je la portai heureusement dans la hotte où j'eus de nouvelles angoisses parce qu'elle s'écrasa, mais je fus consolée en apprenant qu'il en devait être ainsi. J'ai fait tout cela sans cesser un instant de prier. Je devais manger pour me réconforter trois grains pris à trois grappes différentes : celle du vicaire général était de ce nombre. Je ne sais pas ce que cela signifie. »


         8 août. « Cette nuit, il a fallu me donner une peine incroyable pour des ceps de vigne en espalier à Coesfeld. Ils étaient dans un bien triste état ; presque tous les grains étaient à moitié pourris. Je trouvai peu de chrétiens vraiment pieux. Les ecclésiastiques étaient assis au cabaret. Dans un endroit devant lequel il me fallut passer, il y avait beaucoup de gens qui m'injurièrent : et cependant ils m'envoyèrent au travail. Je vis aussi le vieux N. qui regardait toujours en l'air et laissait tout se perdre autour de lui. »


         10 août. « Cette nuit j'ai eu à faire un pénible travail entre les vignes, à propos du manque de charité dans le clergé. Mes souffrances étaient tout à fait de la même espèce que celles du jardin de sainte Claire de Montefalco, laquelle du reste était auprès de moi et me montra une planche pleine d'herbes de diverses espèces. Au milieu se trouvait du réséda et un arbuste aromatique qui devient très-haut dans les pays chauds. L'autre plate-bande était de plantes à feuilles lisses sous lesquelles étaient de longues épines. Comme je ne savais pas comment m'y prendre, Claire me dit qu'il fallait seulement me jeter dessus, que, pour ma récompense, j'aurais les bonnes plantes qui étaient au milieu. Elle me raconta et me fit voir aussi plusieurs traits de sa vie. Je vis qu'étant enfant, elle était agenouillée près d'un rosier et priait. L'enfant Jésus vint et lui présenta un écriteau où il y avait une prière. Elle voulait le garder, mais l'enfant l'emporta en se retirant. J'ai retenu quelque chose de cette prière : « Je vous salue, Marie, par le doux coeur de Jésus. Je vous salue, Marie, pour la délivrance de toutes les pauvres âmes du purgatoire. Je vous salue, Marie, par tous les séraphins et les chérubins. » Dans les intervalles des versets, elle devait baiser la terre. La fin de cette prière était très-belle : je l'ai oubliée. Quand Claire était en compagnie, elle devait baiser sa main et se souvenir qu'elle était cendre et poussière. Je me jetai dans la plate-bande et fus toute déchirée par les épines. Mes douleurs, spécialement dans les membres, étaient si affreuses que je ne pus m’empêcher de crier. Ce fut en ce moment que Claire me quitta mais Françoise Romaine vint à moi et me dit quelles horribles souffrances et quels supplices elle avait eus à supporter. Elle me dit que comme saint Alexis lui était venu en aide, elle voulait aussi m'assister. Elle me raconta que sa maladie avait été celle de la femme chananéenne qui toucha le bas de la robe du Seigneur. C'est pourquoi Alexis avait jeté son manteau sur elle et lui avait fait lire dans l’Evangile le passage où cette guérison est rapportée. Elle me promit aussi que bientôt mes souffrances seraient adoucies. » Anne Catherine avait eu la vision qui suit sur cette guérison miraculeuse, le 17 juillet, à l’heure même où elle avait eu lieu pour sainte Françoise en l'an 1398 :


« Je vis, dit-elle, sainte Françoise Romaine qui était mariée, quoique très jeune encore, malade depuis longtemps, et priant dans son lit. Une femme plus âgée dormait dans son voisinage ; il commençait à faire jour. Je vis sa chambre se remplir de lumière et saint Alexis en habit de pèlerin s'approcher de son lit. Il tenait un livre, tout semblable à l’Evangile écrit en lettres d'or que sa mère lui avait donné. Je ne sais pas si c'était ce livre lui-même ou son image : je crois que c'était son image. Il appela Françoise par son nom et elle se mit sur son séant. Il lui dit qu'il était Alexis et qu'il la guérirait : il ajouta que tout bien lui était venu de ce livre ; il l'engagea à y lire et il le tint ouvert devant elle. Je ne sais plus bien ce qu'il fit ensuite. Françoise fut guérie et le saint disparut..Elle sortit de son lit, réveilla l’autre femme qui fut très-étonnée de la voir guérie, et elles allèrent ensemble au point du jour à l'église de saint Alexis pour remercier Dieu dans ses saints.


         11 août. « Cette nuit je me suis trouvée encore couchée dans le carré d'épines situé entre les vignes qui signifie les ecclésiastiques dépourvus de charité. J'étais toute seule. Je me suis réveillée, grâce à Dieu, vers trois heures. »


         12 août. « Cette nuit j'ai eu beaucoup à souffrir dans la vigne et sainte Claire m'a encouragée et consolée. Il fallait m'étendre sur les branches des ceps taillées obliquement et c'était une cruelle et poignante douleur. Sainte Claire me fit voir que chaque pointe signifiait le recteur d'une paroisse, et que beaucoup de grappes et de grains de raisin sortiraient de là, si j'offrais pour ces prêtres mes souffrances et mes actes d'amour en union avec les souffrances de Jésus. Je vis alors une très-grande quantité de paroisses auxquelles cela profita. »


         2. Le 5 septembre, elle dit, étant en extase : « Depuis la Nativité de la sainte Vierge jusqu'à la saint Michel, j'aurai beaucoup à travailler et à voyager. Des anges sont venus à moi de divers endroits : il y a tant de lieux où on réclame mon travail ! Il m'a été dit cette nuit que, comme j'ai arraché les orties et les épines de la vigne dans beaucoup de paroisses, que j'y ai attaché et taillé les branches, les fruits commencent à mûrir ; mais des bêtes sauvages et des voleurs de toute espèce viennent les manger et il faut maintenant établir des haies tout autour par le travail de la prière. J'ai vu, à la suite de mon travail, la vendange venir à bien ; les raisins noircissaient ; ils étaient mis sous le pressoir et le jus vermeil coulait à terre, ce qui, indique que quand les gens deviennent pieux et que la vie se manifeste en eux, ils combattent, sont opprimés, souffrent la tentation. Il m'a été dit qu'après avoir fumé et sarclé, il fallait de plus enclore afin qu'ils ne devinssent pas le proie de la tentation et de la persécution. C'est maintenant le temps où les raisins mûrissent et où il faut les protéger. Je vis ensuite une infinité de paroisses sous forme de vignes où je dois faire ce travail et cela se fera depuis la Nativité de la sainte Vierge jusqu'à la saint Michel. »


         7 septembre. « J'ai été conduite dans la vigne et j'ai été réprimandée pour n'avoir pas entouré d'une clôture les parties où j'ai travaillé : j'avais porté les mauvaises herbes au moulin, puis je m'étais retirée, toute joyeuse d'avoir recouvré la santé, et je n'avais pas continué à prier. J'aurais dû, m'a-t-il été dit, faire un retranchement avec les décombres et les objets de rebut et établir autour une clôture faite de chardons, d'épines et d'orties, afin que la vigne fût défendue quand elle mûrirait. Après cela j'ai vu tout le vignoble de saint Liboire avec toutes les vignes particulières dont il se compose, et je vis le fruit de mon travail, un réveil marqué dans les villages, peu de chose dans la ville. J'ai vu l'église où repose Liboire très-déserte ; c'était comme si elle fût tombée entre les mains des protestants. Il me fallut travailler beaucoup par la prière à enclore les vignes de haies. Dieu a eu la grande bonté de me faire voir quelle est la signification du cep de vigne et aussi quelle est celle de beaucoup de fruits. Le cep est Jésus-Christ en nous : le bois superflu doit être retranché suivant certaines lois, afin que ce bois n'absorbe pas la sève qui doit devenir raisin, puis vin, puis sacrement et sang de Jésus-Christ ; sang qui a racheté le nôtre souillé par le péché et doit le faire passer de la déchéance à la renaissance, de la mort à la vie. Cette taille de la vigne suivant certaines règles est spirituellement la suppression du superflu, la macération de la chair et la mortification, afin que ce qui est saint en nous puisse croître, fleurir et produire du vin, autrement la nature corrompue n'engendre que du bois et des feuilles ; cela doit se faire suivant certaines règles, parce que c'est seulement le superflu, dont une quantité infinie m'a été montrée dans la nature humaine, qui doit être détruit ; aller plus loin serait une mutilation coupable. La souche elle-même n'est pas retranchée ; elle a été plantée dans l’humanité dans la personne de la sainte Vierge et elle subsiste jusqu'à la fin des temps ou plutôt dans l’éternité ; car elle est avec Marie dans le ciel. La signification de beaucoup d'autres fruits m'a encore été expliquée. Je vis un arbre spirituel de lumière colorée. Le sol dans lequel étaient ses racines était comme une montagne suspendue en l'air ou comme un rocher de pierres précieuses diversement colorées en forme de cristaux. Le tronc était comme un fleuve de lumière jaunâtre, les branches grandes et petites et jusqu'aux fibres des feuilles étaient des fils de lumière plus ou moins déliés, de couleur et de forme différentes. Les feuilles étaient de lumière verte et jaune ; elles différaient de forme. Cet arbre avait trois rangées ou comme trois choeurs de branches, l'un plus bas, l'autre au milieu, le troisième au sommet. Ils étaient entourés de trois choeurs d'anges et dans le haut, sur la cime, se tenait un Séraphin tout voilé de ses ailes. Il avait un sceptre avec lequel il indiquait divers points autour de lui. Le choeur d'anges supérieur recevait de Dieu par le Séraphin des rayons, des effusions de lumière et de force comme une rosée céleste apportant la fécondité. Le choeur rangé autour de la partie moyenne de l'arbre qui portait des fleurs et des fruits de toute espèce, se tenait devant ceux-ci. Ces deux choeurs étaient immobiles, c'est-à-dire qu'ils agissaient et travaillaient sans quitter leur place ; ils donnaient des ordres au choeur placé plus bas qui entourait la partie inférieure de l'arbre. Les anges de celui-ci étaient en mouvement et portaient les fruits spirituels dans des jardins innombrables qui leur étaient attribués, car chaque fruit avait son jardin dans lequel ensuite il se répartissait suivant la variété à laquelle il appartenait. Cet arbre était l'arbre universel sorti de Dieu ; les jardins étaient les diverses espèces de fruits provenant de cet arbre ; plus bas, sur la terre, se retrouvaient ces mêmes fruits, mais gâtés dans la nature déchue et plus ou moins empoisonnés, parce que l'usage coupable qui en avait été fait, les avait soumis à l'influence des esprits planétaires. Au centre de chaque jardin particulier, je vis un arbre dont les branches portaient les fruits de toutes les variétés de son espèce, lesquels se propageaient ensuite à l'entour par des rejetons particuliers ; autour de ces jardins je vis des images indiquant la signification et l'essence de ce qui était exprimé par ces végétaux. Je vis le sens de leur nom dans la langue universelle. L'influence des saints sur ces plantes était merveilleuse ; il semblait qu'elles étaient délivrées par eux de la malédiction et de l'influence des esprits planétaires, qu'étant mises dans une certaine relation religieuse avec ces mêmes saints, elles devenaient des remèdes et des antidotes contre des maladies ; et que, comme dans la région inférieure, celle de la terre, elles guérissent et préservent de maladies que je vois comme des péchés corporels, de même, dans les jardins célestes, elles produisent un effet semblable, suivant la signification de leur forme, à l'égard de fautes et de péchés que je vois là comme des maladies de l'âme. Dans chaque jardin se trouvait une maisonnette ou une tente qui avait aussi une certaine signification. Je vis les abeilles jouer là un rôle important. J'en vis de très-grandes et de plus petites, tous leurs membres étaient comme spiritualisés et semblaient faits de lumière, les pattes étaient comme des rayons, les ailes comme de l'argent ; je ne puis pas exprimer cela. Il y avait dans les parterres et les vergers des corbeilles préparées pour elles, où elles travaillaient et où tout était transparent ; j'ai reçu des enseignements sur ces abeilles, sur leur oeuvre, sur sa forme et sa signification sous le rapport moral et physique, mais j'ai oublié tout cela. J'ai été conduite dans plusieurs des jardins fruitiers, j'ai vu et connu des merveilles faites pour donner une joie indicible et j'ai tout appris avant qu'on vînt me déranger. Ainsi il m'a été enseigné que les noix signifient le combat et la persécution dans la vision comme dans la langue universelle ; c'est pour cela que j'avais souvent vu les arbres qui les portent croître autour de l'Eglise où elles étaient même parfois recueillies et données aux autres ; je vis aussi autour des jardins de noyers beaucoup de scènes de querelles et de combats, où figuraient des troupes considérables ou de simples couples. Je vis entre autres deux hommes qui se frappaient à coups de bâton, sans qu'aucun pût l'emporter sur l'autre jusqu'au moment où l'un d'eux jeta du sable dans les yeux de son adversaire, ce qui lui donna la victoire. L'autre avait fait un effort pour prendre une position qui lui donnait l'avantage, maintenant il avait le dessous. Cette scène était risible, les personnages étaient habillés comme on l'est aujourd'hui. Je sus aussi la signification des divers combats, leur rapport avec les diverses espèces de noix et ce que ce combat singulier signifiait. J'ai appris aussi que ce mystère du combat, de la persécution et de la lutte caché dans les noix du jardin spirituel est devenu, après la chute de l'homme et par l'influence de l'esprit malin, le combat de la haine et l'origine de l'homicide. Dans chaque jardin, on me conduisit dans une maisonnette ; j'étais comme malade et il me fut toujours montré comment la nature et la vertu secrète des fruits cueillis dans certaines conditions et avec certaines consécrations et mêlés avec d'autres ingrédients étaient très-salutaires pour tel ou tel état ; malheureusement je n'ai presque rien retenu de tout cela. Il me fut dit, par exemple, et je vis aussi pourquoi il en était ainsi, que le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, il fallait avec un éclat de bois ou une épine faire sur les noix vertes une incision en forme de croix et les laisser pendre à l'arbre jusqu'à ce qu'il ait plu dessus : qu'alors en les faisant cuire et confire dans du miel, on en fait un excellent remède pour les estomacs faibles. On m'a indiqué encore quelques détails sur cette préparation, mais je les ai oubliés. Je vis clairement et distinctement la cause intérieure de tout cela, mais c'est maintenant incompréhensible pour moi, à cause des bornes de la connaissance humaine. J'ai appris encore que l'huile de noix était nuisible (elle a dit « empoisonnée »), et j'en ai su la cause ; il m'a été montré qu'elle devient excellente et sans aucun inconvénient si l'on y fait cuire un morceau de pain qui détruit entièrement le poison. J'ai vu qu'il y avait là un rapport mystérieux avec saint Jean-Baptiste. L'incision en forme de croix faite sur les noix, leur exposition à la pluie et la vertu qu'elles acquièrent ainsi de guérir l'estomac, se rapportent aux travaux préparatoires du saint et à son baptême ; le pain au saint Sacrement, l'huile à l'onction et à la consécration sacerdotale. En ce qui touche l'influence nuisible de l'ombre du noyer, j'en ai eu antérieurement déjà, la sensation physique. Je ne pouvais jamais rester à l'ombre d'un noyer planté dans la cour de notre couvent, pendant que d'autres y travaillaient et y lavaient tranquillement. J'avais toujours sous cet arbre une sensation d'oppression et d'étouffement, et je préférais le grand soleil. J'ai su beaucoup de choses touchant les pommes, et j'ai vu tout cela, comme pour les noix, ordonné, réglé, se rapportant à différents objets. J'ai vu quelque chose concernant une pomme qui a six pépins rouges, l'un desquels pris de la manière qu'il faut dans certaines maladies pourrait rendre la santé à un mourant. J'ai eu devant le jardin des pommiers une vision touchant des pommes qui ressemblaient à des citrons ou qui en étaient réellement. Je vis à Rome une sainte malade qui avait un de ces fruits ; je crois qu'elle avait eu une vision à ce sujet. Je vis qu'un esclave, par suite d'un méfait, fut jeté dans une fosse pleine de serpents venimeux et que la sainte remit la pomme à son médecin, afin qu'il la donnât à cet homme qu'elle devait sauver. Je vis aussi que celui-ci, guéri de la morsure des serpents après avoir mangé de ce fruit, fut amené devant l'Empereur. J'ai vu une histoire du même genre touchant une pomme semblable qui fut cuite dans du lait et du miel et qui guérissait les fièvres les plus violentes. Je vis, à cette occasion, quelque chose concernant une fête de la sainte Vierge, l'immaculée Conception, si je ne me trompe, et aussi l'histoire de la manière dont la connaissance de ce mystère se répandit. J'ai vu aussi quelque chose sur les figues, mais je ne sais plus à quoi cela se rapportait. Ces fruits étaient un remède excellent quand ils étaient mélangés avec une certaine espèce de pomme ; seules, elles étaient nuisibles. La pomme devait être pesée lors de la préparation du remède. La figue et cette pomme pendaient à côté l'une de l'autre à cet arbre céleste sur lequel j'ai vu, au-dessous des choeurs des anges, toute sorte de fruits spirituels rassemblés. J'ai vu aussi beaucoup de choses touchant le fruit de l'arbre du péché originel

dans le paradis, cet arbre était très-large par en bas et il avait une cime élevée terminée en pointe. Après

la chute, il acquit la propriété de diriger ses pousses du côté de la terre. Les branches s'enfoncent dans la terre et poussent une nouvelle tige dont les branches font de même, en sorte que l'arbre forme bientôt une forêt de feuillage. J'ai vu dans les pays chauds de l'Orient beaucoup de gens vivre sous des arbres semblables. Les branches n'ont pas de ramifications ; elles portent de grandes feuilles semblables à un bouclier, les fruits sont tout à fait cachés entre les feuilles ; il faut les chercher et il y a toujours cinq fruits rassemblés formant une grappe. Ils sont aigre-doux et n'ont plus le bon goût qu'ils avaient : ils sont jaunes et traversés de veines rouges comme de raies sanglantes. J'ai eu aussi une vision relative aux pêches. J'ai vu que dans une contrée de leur patrie originaire, elles sont maudites et imprégnées d'un poison mortel. J'ai vu que les hommes de ce pays en tiraient, à l'aide de sortilèges, une boisson maudite destinée à exciter des mouvements impurs, en les mettant en terre dans du fumier et en les distillant de

diverses manières. J'ai vu que cela les faisait tomber dans les pratiques les plus abominables et que pour cela ce fruit était maudit, à ce point que tous ceux qui en mangeaient devenaient fous furieux et se donnaient la mort. J'ai vu après cela qu'un jour, des étrangers innocents étant venus dans le pays, les Persans leur donnèrent de ces fruits pour les faire périr par ce moyen ; mais Dieu disposa les choses de manière qu'ils n'en ressentirent aucun mauvais effet. Je vis ces fruits portés dans les pays étrangers pour y faire du mal, mais ils ne restèrent vénéneux que dans leur patrie. J'en vis deux espèces : l'une croissait là à la manière des osiers et avait de petites tiges très-minces. Je me trouvai aussi dans des jardins de cerisiers et je vis que les cerises signifient l'ingratitude, l'adultère, la trahison. Cela se rapporte à la nature du fruit qui est doux avec un noyau dur et amer. En ce qui touche le laurier, je vis qu'un empereur, lorsqu'il faisait de l'orage, portait une couronne de laurier afin que la foudre ne le frappât pas. Je fus aussi informée, et même je vis que l'odeur qui s'exhale de cet arbre possède une vertu contre l'orage. Je vis là quelque chose qui se rapportait à la sainte Vierge. Tout ce que je voyais était clair et admirable. Je vis les vertus secrètes des plantes avant la chute de l'homme qui entraîna celle de la nature ; et après la chute, je vis l'influence des esprits planétaires s'exercer sur les plantes comme sur les hommes. Je vis plusieurs propriétés cachées des plantes dont le paganisme usa et abusa, et je les vis sanctifiées par Jésus et son Eglise dans leur lutte contre les esprits planétaires et régénérées par leur mise en rapport avec diverses consécrations et divers saints. »

 

         3. Dans les mois d'août et de septembre 1821, elle eut beaucoup d'efforts à faire en travaillant à des champs de blé. Elle dit un jour : « Je suis très-fatiguée et toute brisée par suite d'un rude travail que j'ai eu à faire dans plusieurs champs dont je connais les possesseurs. Il m'a fallu semer et herser, mais sans chevaux et avec une herse sans manche. C'étaient des champs appartenant à l'Eglise : quelques-uns avaient du grain, d'autres manquaient de tout : il me fallut recueillir des semences dans de meilleurs champs et disposer ceux-là à les recevoir. » Alors elle décrivit tous les procédés d'une grande

culture et les instruments nécessaires pour cela en termes patois que le Pèlerin ne put pas reproduire et elle raconté en outre les embûches que lui dressait l'ennemi pour empêcher son travail. « Je reçus de Satan, dit-elle, un coup si violent, donné, à ce qu'il me sembla, avec une truelle que je ne pus m'empêcher de jeter un grand cri. Je vis le lendemain que la chemise était entrée dans la blessure faite par ce coup au-dessous du stigmate du côté droit. Toutefois elle ne se laissa pas égarer par les artifices de l'ennemi, mais entreprit intrépidement un travail encore plus pénible. Elle avait à prendre possession d'un nombre déterminé de granges en y déposant la moisson. L'immensité du travail était hors de toute proportion avec le temps assigné pour l'accomplir. Il lui fallait couper les épis tellement vite qu'elle se croyait sans cesse au moment de succomber à la peine : cependant elle vint à bout de sa tâche. Il lui fallait couper le blé, lier les gerbes, les battre mettre le grain dans des sacs, séparer ce qui devait servir pour la semence de ce qui devait être consommé. Pendant tout ce travail elle se sentait inquiétée et poussée à fait vite comme par un orage ou une pluie empoisonnée qui menaçait de détruire toute la récolte. Le travail réussit mais elle en fut si épuisée qu'elle ne put en expliquer la signification intérieure. Elle dit seulement : « Je vis se perdre tant d'épis qui n'étaient pas coupés que je courus bien vite au secours. Je vis tout très-distinctement, je connus les personnes, la tâche qui leur était imposée et ce qu'elles négligeaient de faire et je sus où le travail manquait. La vision me donna une prompte et claire intelligence de la chose elle-même parce que je connais tous les travaux de la campagne et que je m'en suis occupée dès ma jeunesse. Mon travail était uni à une ardente prière et dans la prière j'avais intérieurement la connaissance que d'autres souffraient et luttaient avec moi. Souvent c'était comme si je leur envoyais mon ange pour obtenir leur coopération. J'eus aussi des visions où me furent montrés des négligents, des paresseux, des peureux et des indécis dont je devais prendre la place. Je vis çà et là une administration ecclésiastique hésitante au point de tout perdre, c'est-à-dire hésitant à signer à régler quelque chose dans le bon ou le mauvais sens et je devais par ma prière la forcer en quelque sorte à choisir la voie droite, à défendre le bien, à abandonner le mal. Tout était là pour moi singulièrement clair et naturel, tandis que maintenant je ne puis en rendre compte. »

 

         4. Ses travaux par la prière se présentaient aussi fréquemment sous la forme de réparation et de nettoyage d'ornements d'église de toute espèce. Tantôt c'était une grande masse de linge qui, de toutes les parties du pays de Munster, était portée dans le cloître de la cathédrale de Munster, où elle avait à le blanchir, à le repasser et à le raccommoder au milieu de dérangements continuels, pour qu'il pût être employé convenablement au service des autels ; tantôt il lui fallait remettre à neuf des chasubles, des étoles, des manipules. « Un travail de ce genre, disait-elle, est une image symbolique de la prière pour le clergé et cela dans le sens et avec l'effet qu'ont pour l'Eglise et le sacerdoce ces vêtements sacrés. » Un jour qu'elle avait terminé un semblable travail de couture au milieu de douleurs de diverse nature qui s'entre-croisaient, elle reçut une instruction sur sa tâche dont elle communiqua ce qui suit :

         « Je ne dois pas m'étonner de mes souffrances. J'ai eu une grande vision impossible à décrire touchant le péché, la guérison par Jésus et l'état du clergé. Je reconnus combien il faut se donner de peines de toute espèce pour réparer, guérir et reprendre tout en sous-œuvre, pour mettre en état ce qui est gâté, détruit, perdu, déchiré, et en refaire un moyen de saint. J'ai eu une vision immense, liée dans toutes ses parties, sur tout ce qui tient au péché et à la rédemption : il me faudrait un an pour tout dire, car.j'ai vu clairement et distinctement tous les mystères et je les ai compris : mai, je ne puis plus expliquer cela. J'allai dans la maison des noces et je vis dans ses chambres innombrables, sons forme d'actions symboliques, toutes a les manières dont on se rend coupable et dont les fautes S sont réparées. Je vis le péché, depuis la chute des anges et celle d' : Adam jusqu'a nos jours, dans ses innombrables ramification., et un mêmee temps toutes les préparations' de la guérison et de la réparation jusqu'à l’avènement de Jésus et à sa mort sur la croix. Je vis son pouvoir transmis aux prêtres en ce qui touche la guérison et tout ce que chaque chrétien reçoit de Jésus-Christ. Je vis les manquements et la décadence du sacerdoce ainsi que leurs causes. Je vis les châtiments qui se préparent et l’efficacité de la satisfaction par la souffrance pour autrui. Je sentis la liaison étroite de la faute et du châtiment dans celle qui exige entre mes souffrances. Je vis une guerre future, de grands et nombreux dangers et encore beaucoup de souffrances qui me sont réservées. Toutes ces connaissances, toutes ces révélations infiniment variées touchant l'histoire, la nature et les secrets du royaume de Dieu sur la terre m'apparaissaient dans l'ordre le plus parfait, se suivant et naissant les unes des autres, et toujours claires et intelligibles pour moi : car tout m'était expliqué, comme dans des paraboles, sous forme de travaux, d'occupations, de fonctions. Ainsi la souffrance, la satisfaction, la restauration m'ont été montrées, sous le symbole d'un travail de couture. J'ai eu à défaire d'innombrables coutures faites par d'autres et aussi quelques-unes des miennes et il a fallu recoudre avec une peine et une fatigue excessives : il me fallait examiner tout ce qui avait été fait de travers, voir d’où cela venait, et tout remettre en état. J'ai vu dans les formes des pièces d'habillement, dans la façon de la couture, dans les détails de l'ornementation et dans les négligences commises les émanations et les influences de péchés de toute espèce ; j'ai vu dans le remaniement la destination et le but de la souffrance spirituelle et du travail par la prière. Je reconnus plusieurs travaux venant d'une catégorie de personnes autrefois connues de moi et mortes depuis longtemps, travaux qui ont été faits réellement et que celles-ci m'apportaient pour les remanier. Il m'a fallu aussi reprendre en sous-œuvre plus d'un travail fait par moi, par exemple une chemise que j'avais brodée trop richement sur le désir d'une femme vaniteuse, et d'autres encore. Je vis que mes travaux de couture pour l'Eglise et pour les pauvres étaient bons. J'allai dans la maison des noces comme à l'école et mon époux céleste m'expliqua tout. Il me montra tout ce qui avait été fait par lui pour la réparation depuis la chute originelle. Je vis tout cela dans de grands tableaux de l'histoire sainte comme s’accomplissant de nouveau sous mes yeux : cependant c'était toujours pour moi comme si je le voyais dans un miroir qui était moi-même. »


         « Mon fiancé me montra l'incroyable mélange et l'impureté intérieure de toutes choses et tout ce qu'il avait fait dès le commencement pour la restauration générale. Lors de la chute des anges, il vint beaucoup de mauvais esprits sur la terre et dans l'air : je vis bien des choses saturées de diverses manières et possédées par leur rage. »


         « Le premier homme était une image de Dieu : il était comme le ciel : tout était un en lui et avec lui, sa forme était comme une reproduction de la forme divine. Il devait posséder les créatures et en jouir, mais comme venant de Dieu qu'il devait remercier sans cesse. Or il était libre et par conséquent soumis à l'épreuve. Le jardin d'Eden et tout ce qui l'entourait étaient le parfait modèle d'un royaume fait à la ressemblance du royaume de Dieu et il en était de même de l'arbre de la science dont le fruit à raison de ce qu'il contenait, de ses propriétés et de ses effets, ne devait point entrer dans l'homme, parce que l'homme deviendrait par lui un moi indépendant, ayant en lui-même son principe d'action et qu'il sortirait de Dieu pour entrer en lui-même. Je ne puis exprimer la manière dont j'ai vu cela. C'est pourquoi il lui avait été défendu de manger de ce fruit. Au commencement tout était pareil et toute surface unie. Lorsque la colline brillante sur laquelle se tenait Adam dans le paradis monta et s'éleva, lorsque se creusa la blanche vallée couverte de fleurs où je vis Eve, le corrupteur était déjà proche. Après la chute il en fut tout autrement. Toutes les formes de l'action se produisirent pour séparer et disperser, tout qui était un avait cessé de l'être, un était devenu plusieurs et ils ne reçurent plus de Dieu seul, mais prirent uniquement en eux-mêmes. Dès lors ils furent d'abord deux, puis trois et enfin un nombre infini. Ayant voulu être comme Dieu, comme le tout dans l'unité, ils devinrent une multitude, une séparation de Dieu se reproduisant dans des séparations infinies. - Ils étaient des images de Dieu et devinrent maintenant des images d'eux-mêmes qui portaient la ressemblance de leur péché. Ils furent dès lors en rapport avec la sphère des anges déchus : ils reçurent d'eux-mêmes et de la terre laquelle était, comme eux, en rapport avec les anges déchus. Ce mélange de toutes choses, cette dispersion qui s'était produite dans les hommes et dans la nature déchue donna naissance à une multiplicité infinie de péchés, de fautes et de misères.

Mon époux me montra tout cela clairement, distinctement et intelligiblement, plus clairement qu'on ne voit la vie ordinaire de chaque jour. Je croyais alors qu'un enfant pouvait entendre cela et maintenant je ne puis plus rien en redire. Il me montra le plan et les voies de la rédemption depuis le commencement et tout ce qu'il a fait. Je compris aussi qu'il n'était pas parfaitement juste de dire que Dieu n'aurait pas eu besoin de se faire homme et de mourir pour nous sur la croix, qu'il aurait pu faire les choses autrement en vertu de sa toute-puissance. Je vis qu'il a agi comme il l'a fait par suite de sa perfection, de sa miséricorde et de sa justice infinies, qu'à la vérité il n'y a pas de nécessité en Dieu, mais qu'il fait ce qu'il fait et qu'il est ce qu'il est. - Je vis en Melchisedech un ange et une figure symbolique de Jésus comme prêtre sur la terre en tant que le sacerdoce est en Dieu, il était, comme ange, un prêtre de la hiérarchie éternelle. Je le vis préparer, fonder, bâtir, séparer des familles humaines, leur servir de conducteur. J'ai vu aussi Henoch et Noé, ce qu'ils représentaient, l'action qu'ils ont exercée, et, à côté de tout cela, l'action de l'empire infernal, les manifestations et les effets infiniment variés d'un culte idolâtrique, terrestre, charnel, diabolique, et là dedans, partout, certaines formes semblables, mais empestées, conduisant à une dispersion continuelle et amenant la corruption en vertu d'une nécessité secrète et intime. Ainsi je vis tous les péchés et toutes les préparations et les figures prophétiques de la rénovation, lesquelles, à leur manière, étaient des images des forces divines comme l'homme lui-même était l'image de Dieu. Ainsi tout me fut montré, d'Abraham à Moïse, de Moïse aux prophètes, et toujours en corrélation avec tout ce qui se passe dans notre monde actuel et le représentant par des figures. Ici, par exemple, je reçus une explication qui m'apprit pourquoi les prêtres ne secourent plus et ne guérissent plus, et pourquoi cela ne leur arrive jamais ou se fait d'une manière si différente.


Ce don du sacerdoce me fut montré chez les prophète ainsi que la raison de la forme sous laquelle il se manifestait. Je vis par exemple l’histoire d'Elisée, quand il donna son bâton à Giezi pour le mettre sur le corps de l'enfant de la Sunamite. La force et la mission d'Elisé, étaient attachées à ce bâton d'une manière spirituelle. C'était son bras ou la continuation de son bras. Je vis là pourquoi les évêques portent la crosse et les rois le sceptre, et la cause intérieure du pouvoir qui y est attaché, en tant qu'ils sont portés par la foi qui unit dans une certaine mesure les uns et les autres à celui qui leur donne leur mission et les sépare de tout le reste. Giezi n'avait pas une foi assez ferme et la mère croyait ne pouvoir être secourue que par Élisée en personne : ainsi entre la force donné par Dieu à Elisée et le bâton de celui-ci, il y eut interruption causée par les doutes provenant de la présomption humaine et le bâton n'opéra pas la guérison. Mais je vis Élisée s'étendre sur l'enfant, la main sur sa main, la bouche sur sa bouche, la poitrine sur sa poitrine, puis adresser à Dieu sa prière, après quoi je vis l'âme de l'enfant revenir dans son corps. J'eus l’explication de cette manière de guérir et je vis comment elle se rapportait à la mort de Jésus dont elle était une figure prophétique. Dans Élisée, la foi, le don de Dieu rouvraient dans l'homme toutes les portes de la grâce et de l'expiation qui avaient été fermées dans Adam après le péché ; ces portes sont : la tête, la poitrine, les mains, les pieds. Élisée se plaça comme une croix vivante, figure de l'avenir, sur la croix morte, formée du corps de l'enfant, et par la prière et la foi du prophète, la vie et la santé se répandirent de nouveau en lui : il expia et fit pénitence pour les péchés que ses parents avaient commis par l'entremise de la tête, du coeur, des mains et des pieds, et qui avaient attiré la mort sur leur enfant.


Dans tout cela je vis toujours des types correspondant à la mort de Jésus sur la croix et à ses plaies, ainsi

que l’harmonie et la conformité qui existent entre toutes ces choses. Mais depuis la mort de Jésus, je vis dans le sacerdoce de son Eglise, la plénitude de ce don de réparation et de guérison : en tant que nous vivons en lui et que nous sommes crucifiés avec lui, les portes de grâce de ses saintes plaies sont ouvertes en nous. J'ai appris beaucoup de choses touchant l’imposition des mains et aussi touchant l’efficacité de la bénédiction et l'action de la main à distance : cela me fut précisément expliqué par

l'exemple du bâton d'Élisée. Ce qui fait que les prêtres actuels guérissent si rarement et que leur bénédiction a si peu d'effet me fut montré dans un exemple, tiré aussi de la conformité et de la ressemblance sur lesquelles reposent tous les effets de cette nature. Je vis trois peintres différents qui imprimaient des figures sur de la cire. L'un avait de la belle cire blanche, il était lui-même très-habile et très intelligent, mais il avait l’esprit plein de lui-même : il n'avait pas en lui l’image du Christ et son image ne valait rien. L'autre avait de la cire terne, il était indolent et entêté, et il ne fit rien de bon. Un autre était malhabile et travaillait avec une grande maladresse, mais avec diligence et simplicité sur de la cire jaune très-commune, et son travail était excellent : c'était un portrait parlant quoique avec des traits grossiers. C'est ainsi que je vis les prêtres parlant élégamment et glorieux de leur sagesse mondaine n'avoir aucune action efficace, tandis que de pauvres gens bien simples sont les seuls qui perpétuent encore le pouvoir de bénédiction et de guérison donné au sacerdoce.


         Dans tout ce que je vis, il me semblait aller à la maison des noces comme à l’école, et mon fiancé me montrait comment il avait souffert depuis sa conception jusqu'à sa mort et toujours expié, toujours satisfait. Et je vis cela dans des tableaux de sa vie. Je vis aussi comment par la prière et les souffrances offertes pour autrui, plus d'une âme qui n'a nullement travaillé sur la terre peut, à l'heure de la mort, être convertie et sauvée. »


         Je vis aussi que les apôtres furent envoyés dans la plus grande partie de la terre pour y abattre partout le pouvoir de Satan et pour y porter la bénédiction, et que les contrées où ils opérèrent étaient celles qui avaient été le plus fortement empoisonnées par l'ennemi : mais que Jésus, ayant complètement satisfait pour tous, avait acquis et établi à jamais ce pouvoir pour les prêtres qui avaient reçu et reçoivent encore son esprit saint. Il me fut montré que ce don de soustraire la terre et les pays qu'elle renferme au pouvoir de Satan par la puissance et la bénédiction sacerdotale est désigné dans ces paroles : « Vous êtes le sel de la terre, » et que c'est précisément  pour cela que le sel est un ingrédient de l'eau bénite ; si ces pays n'ont pas persévéré dans la foi chrétienne et sont maintenant laissés à l'abandon, ç'a été, comme je l'ai vu par une sage disposition de la Providence ! Ils devaient être seulement bénits et en quelque sorte fumés pour l'avenir, et ils restent en friche afin qu'ensemencés à nouveau, ils portent des fruits abondants quand les autres seront à leur tour laissés sans culture. Je vis aussi que David comprit de quelle manière se ferait la rédemption, mais non pas Salomon parce qu'il s'était trop complu dans sa sagesse ; que plusieurs prophètes aussi et spécialement Malachie connurent le mystère du christianisme : je vis encore une infinité d'autres choses. Et il y avait dans tout cela une cohésion intérieure et une dépendance naturelle entre toutes les parties de l'ensemble. Pendant que je recevais ces instructions, je vis encore environ vingt autres personnes dans diverses situations, les unes marchant, les autres couchées, et habitant des lieux très-différents et éloignés de moi elles paraissaient prendre leur part de cet enseignement et il y avait parmi elles plus de femmes que d'hommes. Je vis partir de l'enceinte où m'apparaissaient ces représentations des rayons qui arrivaient à ces personnes, mais chacune les recevait d'une manière différente. J'aurais aimé à m'entretenir avec elles, mais je ne pouvais aller où elles étaient, « Je voudrais bien savoir, me disais-je, si tout ceci est relu par elles sans mélange. » Mais je vis que malheureusement toutes en altéraient quelque chose. « Et moi, me disais-je, je n'y mêle pourtant rien d'étranger. » Alors tout à coup une grosse femme qui n'est plus de ce monde vint à moi et m'apporta une chemise qu'elle avait cousue. L'ouvrage était bien fait autour du cou ainsi que les manches, mais le reste était négligé et mal travaillé. Je me dis aussitôt : « Voyez un peu quel ouvrage ! certes je ne travaille pas aussi mal. » Je sentis aussitôt que moi aussi j'altérais les choses, que j'étais vaniteuse et que précisément ce travail de belle apparence, quant aux bordures, mais mauvais quant à l'intérieur, était l'image symbolique de la manière dont je recevais cet enseignement : cela m'affligea. Je vis aussi en son lieu dans cette vision que le cérémonial est très-scrupuleusement observé dans la vie charnelle et mondaine, que la malédiction, la bénédiction à rebours et les miracles dans le royaume de Satan, que le culte de la nature, la superstition, la magie, le magnétisme, la science et l'art mondains et tous les procédés pour farder la mort, pour parer le péché et endormir la conscience sont des choses qui se pratiquent avec un scrupule rigoureux allant jusqu'au fanatisme, même de la part de ceux qui ne veulent voir dans les mystères de l'Eglise catholique que de pures formes de superstition qui pourraient être indifféremment remplacées par d'autres. Et pourtant ces gens assujettissent tous leurs actes et toute leur vie mondaine à certaines formes qu'ils observent très-scrupuleusement, en sorte que c'est seulement le royaume du Dieu fait homme dont on ne tient aucun compte. Et je vis aussi le culte du monde pratique en perfection, mais le culte de Dieu négligé souvent d'une manière bien scandaleuse. Ah ! si jamais les âmes réclament ce qui leur est dû par le clergé qui leur occasionne tant de pertes par son incurie et son indifférence, ce sera quelque chose de terrible ! »

 

         5. Plus la fin de l'année ecclésiastique approchait, plus s'accumulaient et devenaient pénibles les travaux par la prière qu'Anne Catherine devait encore accomplir avant la clôture du cycle sacré, sous toutes les formes qui avaient été celles de son opération pendant le cours de l'année : Comme toute une période de temps approchait de sa fin, la tâche d'Anne Catherine consistant à satisfaire aux offenses faites à Dieu, à retrouver ce qui était perdu, à réparer les omissions, à recueillir ce qui était dissipé, à restaurer ce qui était détruit, en un mot, à suppléer par l'expiation à tout ce qui était défectueux, se manifesta avec des caractères plus marqués qu'ils ne l’avaient encore été dans l'accroissement de la fatigue causée par les travaux et dans les états de souffrance dont ils étaient accompagnés, d'autant qu'elle avait à réparer pour un si grand nombre l'abus et la perte du temps lui-même, et non pas seulement celle des moyens de salut offerts en elle. Il n'y a pas de bien créé qui soit si peu estimé et si légèrement prodigué par l’immense majorité des humains que le sont les moments fugitifs, irréparables de cette courte vie pendant laquelle on a l’éternité à gagner : c'est pourquoi Anne Catherine avait à faire une si rude pénitence pour l’aveuglement d'un nombre infini de personnes qui sans son aide ne seraient peut-être jamais arrivées au but. Un tableau symbolique de l'abondante bénédiction qui, de ses travaux par la prière, se répandait sur les nécessiteux, nous est présenté dans les communications qui suivent :


         « J'ai été cette nuit dans la maison des noces. Je trouvai là trois vaches fort farouches et donnant des coups de corne : j'étais chargée de les traire. Il me fallait ensuite, avec une extrême fatigue, tirer du lait de mon visage, de mes mains, de mes pieds et de mon côté et le mettre dans un grand vase pour plusieurs personnes de toute condition. Il me fut dit à cette occasion : « Ces personnes ont gaspillé et dissipé les dons qu'elles avaient reçus et maintenant elles manquent de tout : mais tu as tant recueilli de ce qui est dans l'Église que tu peux leur restituer ce qu'elles ont perdu... » Je fus de nouveau avec mon guide dans la maison des noces et il me fallut traire les trois vaches. Elles étaient devenues très-douces et très-bonnes et leur litière était si propre qu'on aurait pu dormir dessus. Je commençai par traire celle du milieu, puis les deux autres, et je remplis trois grands vases qu'il me fallut porter hors de là dans un endroit où le lait était mesuré et mis par des prêtres dans de petits vases dont ils faisaient le compte. Beaucoup de personnes en reçurent, surtout des prêtres, des maîtres et des maîtresses d'école. Le lait était envoyé hors de la maison. Je demandai à mon guide pourquoi on ne laissait pas de lait dans la maison et pourquoi il me t'allait toujours traire. Je reçus pour réponse que je ne devais pas interroger, mais faire ce dont j'étais chargée. Je devais faire mon service et penser à Isaac auquel Abraham ne répondit pas lorsqu'il l'interrogea à propos du sacrifice. Le lait que j'ai trait sera distribué : car le sexe féminin ne porte pas de fruits : il n'est pas préparé pour cela : il recueille seulement, conserve, met en ordre et soigne. Les fruits du travail sont propagés par le sacerdoce : « ainsi me fut-il dit, tu dois traire et ne pas faire de question. Les prêtres font la répartition et c'est par eux que tout fructifie... » On m'amena aussi une vache maigre dans un état si misérable que je croyais qu'elle allait expirer. Elle resta prés de moi et elle ne voulait plus me quitter ; je ne savais comment faire. J'invoquai Marie qui m'apparut et me dit : « Tu dois prendre soin de la bête : Cette vache maigre vient seule parce que celui qui en a soin et dont le devoir est de travailler et de faire prier pour elle ne veut demander pour cela l’aide de personne. Elle me dit aussi de quoi il fallait la nourrir, et c'était uniquement de prières, de souffrances variées, de victoires remportées sur moi-même, d'aumônes et d'autres choses semblables, ce qui me fut montré, sous forme d'herbes et de fruits de plusieurs espèces. J'eus aussi une nuit si pénible par suite de coliques et d'autres souffrances que je ne pus m'empêcher de pleurer. Enfin l’excès de la douleur me fit perdre tout à fait connaissance : je pris après cela de l’huile bénite qui me procura du soulagement.


         « J'eus encore à m'occuper beaucoup des vaches dans l’étable de la maison des noces. J'avais les pieds nus et j'avais peur de me salir. Il fallait me frayer le passage avec tant de peine que souvent j'étais presque obligée de m'accrocher aux vaches. Elles ne me firent aucun mal : J'avais près de moi plusieurs âmes qui me venaient en aide. Mais, dans ces cas-là, c'est toujours la Mère de Dieu qui donne des conseils et des indications. Elle me montrait telle ou telle herbe qu'il me fallait cueillir et donner à l'une ou l’autre des vaches. Elle me fit voir notamment une herbe amère qu'il fallait donner à une de ces bêtes qui était trop grasse. Aujourd'hui je n'ai pas eu à traire, mais il m'a fallu cueillir péniblement toute sorte d'herbes, pieds nus, parmi les pierres et les épines, et rien ne devait se faire qu'avec souffrance et avec amour. La Mère de Dieu arrivait toujours à ma prière comme une vision aérienne. Elle est grande, majestueuse, blanche comme la neige, sa robe brillante n'a pas de ceinture : elle est formée du haut en bas de purs rayons ou de plis lumineux : quoiqu'il n'y ait pas de forme corporelle reconnaissable, c'est pourtant une figure d'une noblesse surnaturelle...


         J'allai dans la vigne de la maison des noces et j'y trouvai toute sorte d'enfants, pour lesquels j'avais travaillé et que j'avais habillés, entrelacés avec les ceps et ayant crû avec eux. Les garçons étaient au-dessus des noeuds des souches ayant les mains et les pieds entortillés dans les branches qui en partaient : leurs bras étaient étendus en croix : de leur corps sortaient de nouvelles branches auxquelles pendaient des raisins. Des filles, il ne sortait pas de raisins, mais de gros épis de blé. J'eus là un rude travail : car autour des épis et des raisins s'étaient enlacées les deux espèces de mauvaises herbes contre lesquelles le Seigneur avait averti les fiancés de Sichar de se tenir en garde dans la culture des champs et de la vigne. On peut sans trop de peine en débarrasser le cep de vigne, mais c'est bien difficile pour les épis. Je pris ensuite le blé que les jeunes filles me présentèrent, je froissai les grains avec la main et les portai sous une pierre pour être moulus. Je passai à travers une gaze très-fine la farine qui me paraissait trop grossière et je la portai dans la sacristie de l'Église ainsi qu'un tonneau entier plein du vin que j'avais fait avec les raisins. D'appris ce que signifiait le cep de vigne avec les enfants : mais j'ai tant souffert que j'ai tout oublié. - Je vis ensuite sortir de la vigne des religieux qui se réunirent dans des maisons de leur ordre. Parmi eux, j'en reconnus auxquels j'avais fait des habits, que j'avais préparés pour l’école, pour la confession et la communion. Les jeunes filles qui donnaient le froment pour la mouture et pour la préparation du pain devinrent religieuses : les jeunes garçons qui portaient les raisins destinés à l’Église pour que le vin fût changé au sang du Seigneur comme le pain en son corps, devinrent prêtres.

Le blé est plus pesant et plus terrestre, il indique la substance qui nourrit, il est chair ; le vin est esprit, il est sang. Comme elle racontait cela, elle parla aussi des grands dangers que courait l'Église et elle pressa le Pèlerin de travailler avec elle par la prière, le renoncement et la mortification. Elle le pria de faire des efforts pour se corriger et l'avertit ainsi : « Souvent je ne puis pas aller jusqu'au Pèlerin : je suis retenue, mon âme ne peut s'approcher de lui. Cela vient certainement de nos péchés.


         « Lorsque plus tard je revins à la maison nuptiale, je trouvai dans deux salles des jeunes gens et des jeunes fille qui devaient entrer dans divers ordres religieux. C'étaient les enfants sortis du cep de vigne, mais qui avaient été déjà remplacés par d'autres. Dans l'une et l'autre salle, je vis sur un trône l'apparition de la Mère de Dieu. Les chambres étaient pleines de fruits célestes magnifiques et brillants de lumière : ils sortirent de la maison en même temps que les futurs religieux et se répandirent dans l'Église. Les enfants du cep de vigne sont tous ceux que j'ai habillés et dirigés pendant tout le cours de ma vie. »

 

         6. Tous ces travaux, comme on l'a déjà remarqué, étaient accompagnés sans interruption des souffrances corporelles les plus douloureuses et les plus variées. « C'est maintenant un saint temps, » disait-elle souvent, afin de s'encourager, « la nouvelle année ecclésiastique va commencer, et dans celle qui finit il y a eu un bien grand nombre de négligences qu'il faudra payer par des souffrances. Je me suis chargée de trop de travaux et c'est pourquoi il me faut tant souffrir. » Elle était souvent à l'extrémité : un jour qu'elle ressentait un froid glacial autour du coeur et de l'estomac, elle demanda à sa soeur une serviette chaude, et celle-ci lui mit sur l'estomac un linge trempé dans du vin chaud, ce qui provoqua des vomissements très-douloureux. - Le 27 novembre, elle sortit de l'extase en poussant un cri de douleur et un sang abondant sortit tout à coup de la plaie du côté. « J'ai vu, dit-elle, à une grande hauteur au-dessus de moi, une figure resplendissante qui m'envoyait des rayons lumineux. Ils se terminaient par une pointe aiguë qui m'est entrée dans le côté, et la douleur m'a fait jeter un cri. Ces jours-ci, j'ai continuellement devant moi un double tableau de l'Eglise. Je la vois comme une Eglise céleste d'une rare beauté placée sur une montagne et faite, semble-t-il, de pierres précieuses : j'y vois de saints pasteurs et des anges qui font des comptes sur des tablettes et des livres. Ces comptes semblent se rapporter à l'Eglise de la terre, placée au-dessous d'eux, c'est-à-dire aux fautes et aux manquements des fidèles et de tous les ordres de l'Église, manquements qui abondent de tous les côtés. J'ai eu ensuite une vision touchant les fautes innombrables des pasteurs et l'omission de tous leurs devoirs envers leur troupeau. Je vois des gens qui s'agenouillent mal préparés à la table de communion. J'en vois d'autres mal consolés au confessionnal. Je vois des prêtres négligents, des ornements d'autel fort sales, des malades auxquels on ne porte pas de consolations, d'autres qui reçoivent trop tard le saint viatique, des reliques jetées à l'aventure et d'autres choses du même genre. Alors je suis prise d'un ardent désir de porter secours et j'implore Dieu pour qu'il daigne satisfaire à sa justice sur moi et accepter ma bonne volonté en compensation des fautes d'autres membres trop faibles du corps de l'Église : puis j'unis mes souffrances à la Passion de Jésus qui a satisfait surabondamment. Je vois alors comment tous les péchés sont effacés par des anges et des saints et comment il est suppléé par des voies extraordinaires à tout ce qui a été omis par la faute des prêtres pour le service de Dieu et le salut des âmes délaissées... La Mère de Dieu a réparti le travail entre sept personnes, la plupart du sexe féminin. J'ai vu parmi elles la stigmatisée de Cagliari ainsi que Rose Marie Serra, et d'autres que je ne puis nommer, un franciscain du Tyrol et un prêtre habitant une maison religieuse située au milieu des montagnes, lequel souffre au delà de toute expression à cause de tout le mal qui se fait, dans l'Eglise. Je reçus aussi ma part ; je vis toutes mes souffrances et leur raison d'être, et je vis toujours ce que je faisais quand je souffrais. Je dois encore souffrir toute, la semaine. »


         « 2 décembre. Elle fut jusque dans l'après-midi d'aujourd'hui, rapporte le Pèlerin, dans un état de souffrance inexprimable. Elle était comme martyrisée de la tête aux, pieds, ses mains avec cela étaient froides comme la glace. Elle avait l'apparence d'une personne morte pendant la torture. Les douleurs de la tête étaient les plus violentes, elle souffrait avec une patience et un amour indicibles. Elle ne put communiquer que peu de chose : « Cette nuit, dit-elle, j'ai vu sainte Bibiane : elle ne m'a pas secourue, mais sa bonté et toutes ses souffrances que j'ai vues devaient me donner de la force pour supporter les miennes. J'ai eu aussi une vision touchant d'innombrables genres de martyre, et je vis les saints martyrs bâtir avec toute sorte d'instruments de supplice une haute et merveilleuse tour au sommet de laquelle je vis la croix apparaître. Je vis tous les martyrs entourer ce trophée et au-dessus de tous la sainte Vierge Marie. Je vis aussi ceux qui avaient souffert comme moi et en outre ceux qui en ce moment, à la clôture de l'année ecclésiastique, sont engagés dans les mêmes travaux que moi. Je me vis moi-même et je me sentis alors transpercée par des épines du haut en bas. J'ai constamment la vision des deux Eglises et je crois avoir travaillé pour trois endroits où tout faisait défaut. Il me fallut en dernier lieu recueillir du miel sur des chardons : c'était un pénible et douloureux travail : j'ai commencé par des figues cueillies sur des épines, j'ai fini par du miel pris sur des chardons. Dans les grosses têtes de chardon arrivées à leur maturité, il y a entre les graines, un petit ver d'un blanc pâle qui a une grande vertu contre la fièvre, les rhumatismes et surtout les maux d'oreille incurables. On l'attache sur le poignet des enfants, à l'endroit du pouls : les grandes personnes le prennent à l'intérieur. » Antérieurement déjà elle a fait mention de ce ver. Elle dit qu'il est solitaire et qu'on ne le trouve pas dans tous les chardons.


         « Vers le soir les douleurs cessèrent, à l'heure où elles avaient commencé huit jours auparavant. Elle tomba dans un état de prostration inexprimable. Elle s'affaissa comme sans connaissance dans un sommeil léger qui ne dura que peu d'instants et toute sa personne avait alors un air singulièrement doux, aimable et enfantin. Comme on lui présentait de l'eau pour boire, elle la refusa et dit en souriant : « Je n'ose pas verser de l'eau par-dessus ma souffrance : autrement elle reviendra. Je la vois s'en aller. »


         « 3 décembre. Elle est encore très-fatiguée et tourmentée par des soucis domestiques, cependant elle a raconté la vision suivante qu'elle a eue dans la nuit. »

 

Clôture de l’année ecclésiastique.

 

7. « J'ai eu une grande vision sur le règlement des comptes de cette année entre l'Eglise du ciel et l'Eglise de la terre. Je vis l'Eglise du ciel, non comme un édifice, mais comme un vaste ensemble d'apparitions. Je vis en haut la très-sainte Trinité et tout émanant d'elle ; Jésus était à droite, Marie aussi, mais un peu plus bas. A gauche je vis les choeurs de tous les martyrs et de tous les saints.

Autour de Jésus, je vis tous les instruments de sa Passion, et ensuite sa vie, son enseignement et sa Passion dans une série de tableaux qui se suivaient les uns les autres, représentant particulièrement les faits qui contiennent en eux les mystères de la miséricorde de Dieu et les traits de l'histoire de notre rédemption qui sont le fondement des fêtes célébrées par l'Eglise militante. Je vis avec ces tableaux dans l'Eglise triomphante la base et l'éternelle source de grâces de tous les traits principaux de la vie de Jésus dans le temps comme agissant éternellement sur nous et nous fortifiant, en tant que l'Eglise militante, les célébrant dans ses fêtes d'une manière mystique, les revendiquait à son profit, en rendait grâces à Dieu et les renouvelait dans la communauté des fidèles au moyen du saint sacrifice et de la réception de la sainte Eucharistie. Je vis les émanations et les influences venant de la Sainte-Trinité et de la Passion du Christ agissant à l'infini et se répandant sur toutes choses. Je vis aussi tout ce que produisit le voyage de Jésus en Arabie avant sa Passion, comment il dit aux gens des trois rois que quelqu'un viendrait les baptiser, et comment il leur parla d'un pays où ils devaient aller et où ils deviendraient un peuple. Il semblait leur indiquer un pays où ils trouveraient bientôt des prêtres et des docteurs. Je vis aussi d'un seul coup d'oeil le voyage qu'ils firent plus tard et dont la direction était entre le midi, et le couchant : ce n'était pas tout le peuple, mais environ une centaine d'hommes et ceux-ci divisés en troupes séparées. Ils avaient avec eux dans des coffres les corps de leurs chefs morts que je vis très-distinctement. Ils semblaient encore revêtus de leur chair et de leur peau et tout habillés à leur mode. On pouvait voir les mains et les pieds, les vêtements étaient blancs. Je vis aussi les femmes de ces Arabes les suivre, mais plus tard, lorsque les hommes eurent fondé déjà un nouvel établissement. Je les vis s'accroître et devenir un peuple et je vis chez eux un évêque qui précédemment avait été orfèvre. Ils réjouirent beaucoup le coeur de cet évêque par la joie avec laquelle ils accueillaient tous ses enseignements et par la manière dont ils se distinguaient des autres habitants du pays. Je pus encore reconnaître les descendants de la race qui avait offert la myrrhe, l'encens et l'or. »


         « Je vis toutes les fêtes où l'Eglise célèbre les mystères de la vie de Jésus jusqu'à l'envoi du Saint-Esprit et j'appris qu'en ce jour d'aujourd'hui où recommence le cycle de ses travaux, l'Eglise reçoit le Saint-Esprit sur tous ses membres purs et bien préparés selon qu'ils prient pour cela, et que quiconque désire réparer par sa charité et son zèle ce qui pourrait faire défaut pour la réception générale de cet Esprit saint, endure des souffrances pour l'amour de Jésus et, les unissant à ses mérites, les offre dans ce but par l'Eglise ; que chacun de ceux-là, dis-je, peut appeler sur elle les effusions du Saint-Esprit en tant que sa charité et son offrande de lui-même le font participer à la vertu du sacrifice de Jésus. Je vis ensuite l'effusion du Saint-Esprit passant dans les opérations des apôtres, des disciples, des martyrs et de tous les saints : j'ai vu comment, souffrant pour l'amour de Jésus, ils souffraient en Jésus et dans l'Eglise qui est son corps et devenaient par là les canaux vivants du fleuve de grâces de sa Passion réconciliatrice : bien plus, comme ils souffraient en Jésus, Jésus souffrait en eux et de Jésus venaient leurs mérites qu'ils transmettaient à l'Eglise. Je vis quelle quantité de conversions fut opérée par les martyrs : ils étaient comme des canaux creusés par les souffrances qui portaient à des milliers de coeurs le sang vivant de la rédemption. Je vis aussi ces martyres, ces enseignements, ces prières, ces pénitences ; comment ils se manifestaient dans l'Eglise du ciel comme la substance de grâces de toute espèce qui profitaient à l'Eglise militante et qui se renouvelaient, ou dont elle prenait possession aux jours de fête des saints. Je vis les souffrances dans des tableaux sommaires, je vis leurs effets temporels et, par suite de l'éternité de leur substance et de leur valeur dérivée de la Passion de Jésus-Christ, leur action éternelle dans l'Eglise se produisant par le canal et l'intermédiaire des fêtes, de la foi vive, de la prière, de la dévotion et des bonnes oeuvres. Je vis quels trésors immenses et quelles grâces l'Eglise possède et combien certains de ses membres en tirent peu de parti. On dirait d'un jardin magnifique situé au-dessus d'une terre dévastée et y envoyant d'innombrables richesses qui n'y seraient pas reçues, en sorte que les champs resteraient à l'abandon, et les trésors inutilement prodigués. Je vis l'Église terrestre, c’est-à-dire la société des fidèles de la terre, le troupeau du Christ dans son état de passage sur la terre, complètement obscurcie et désolée : et comme j'avais vu dans la région supérieure le cycle annuel parfait de la distribution des grâces, je vis ces grâces reçues en bas par la paresse, l'incroyance et l'impiété. Chaque fête était célébrée avec tant d'apathie et de légèreté que les grâces qui devaient être reçues dans cette fête tombaient par terre et que beaucoup de trésors de l'Église devenaient la source de grandes fautes. Je vis cela en général et dans des tableaux innombrables. Je vis aussi que toutes les négligences de ce genre devaient être expiées par des souffrances, car autrement l'Église militante ne pourrait pas régler ses comptes pour cette année avec l'Église triomphante et devrait tomber encore plus bas. Mais je vis que la sainte Vierge s'occupait de mettre tout en règle et ce fut la clôture du travail que, le jour de sainte Catherine, j'avais entrepris dans la maison des noces avec la sainte Vierge, et qui se présentait sous la forme d'une récolte pénible de fruits et d'herbes de toute espèce, et aussi sous celle de blanchissage de linge d'église et de nettoyages à l'infini. Cela est difficile à expliquer, car la nature entière et l'homme sont tellement déchus, tellement enchaînés et fermés à la lumière que les visions où je fais quelque chose d'essentiel, où je comprends ce que je fais et ne m'en étonne pas, me paraissent, quand je suis revenue à l'état naturel de veille, aussi étranges qu'elles le paraîtraient à toute autre personne éveillée. Ainsi, par exemple, il me fallut tirer du miel de chardons que je pressais dans mes mains, puis porter ce miel, pour l'acquittement des comptes de l'Église, à la sainte Vierge qui l'utilisait alors en le faisant cuire et qui, après l'avoir élevé à une qualité supérieure, le faisait entrer dans la nourriture de ceux auxquels il faisait défaut. Or voici ce que cela signifiait. Dans le cours de l'année ecclésiastique, les membres de l'Église ont souvent négligé, perdu et dissipé en grande partie cette grâce de Dieu que plus de diligence eût recueillie dans les manifestations multipliées de son amour, pour en composer un aliment plein de douceur et de vertu fortifiante, et beaucoup d'âmes qui auraient eu besoin de cette grâce ainsi préparée sont, à cause de cela, tombées dans la langueur et le dépérissement. Or le Seigneur avait donné tout ce qu'il fallait du trésor de l'Église triomphante : l'Église militante doit maintenant se présenter, rendre compte des dons de Dieu avec la rente et les intérêts. Mais, dans le compte qu'elle a à rendre de l'application et de l'administration des trésors de l'Église triomphante, cette quantité de miel lui fait défaut, car cette grâce, venant de Dieu, était ce qui se montre à nous sous forme de miel dans le monde des corps, et ce miel doit être représenté ; mais ce qui, dans la saison des fleurs, pouvait être recueilli sans beaucoup de difficulté, grâce à des soins intelligents donnés aux ruches, on ne peut maintenant, si on a omis de le faire alors, se le procurer qu'avec beaucoup de peine et de souffrance. Les fleurs ont disparu : le chardon seul est encore là. Le miséricordieux Jésus se sert d'un membre du corps de l'Église qui apporte ses peines et ses souffrances comme sacrifice expiatoire pour les omissions des autres, et qui, de ses mains ensanglantées, exprime le miel des chardons piquants : la sainte Vierge en faisant cuire ce miel l’applique là où le don de la grâce signifié par ce miel n'a pas été appliqué par l’Eglise pendant cette année. De cette manière mon martyre, pendant ces jours et ces nuits, s'est accompli en vision parmi les travaux les plus divers. Je voyais toujours les deux Eglises et je voyais, à mesure de l'extinction de la dette, celle d'en bas sortir de l'obscurité. »


         « Je vis aussi les membres de l'Église militante de la même manière que j'avais vu ceux de l'Église triomphante. Je vis encore environ cent mille vrais croyants, faisant leur devoir avec simplicité. Je vis travailler avec moi pour l'Église, de la même façon que je travaille moi-même, six personnes, trois femmes et trois hommes. C'étaient la stigmatisée de Cagliari, Rose Marie Serra, et une personne

très-malade affligée de grandes infirmités corporelles, le franciscain du Tyrol que j'ai vu très-souvent uni d'intention avec moi, puis un jeune ecclésiastique habitant une maison où résident plusieurs autres prêtres, dans un pays de montagnes. Ce doit être une âme d'élite ; il est dans une affliction inexprimable à cause de l'état actuel de l'Église et il a à endurer des douleurs extraordinaires dont Dieu le favorise. Tous les soirs il lui adresse une fervente prière afin qu'il daigne le faire souffrir pour tous les manquements qui ont eu lieu ce jour là dans l'Église. Le troisième est un homme d'un rang élevé, marié, ayant beaucoup d'enfants, une femme méchante et extravagante et un grand état de maison : il habite une grande ville où il y a des catholiques, des protestants, des jansénistes et des libres penseurs. Tout est parfaitement réglé chez lui : il est très-charitable envers les pauvres et supporte très-noblement tout ce que lui fait souffrir sa méchante femme. Il y a dans cette ville une rue des Juifs séparée, fermée par des portes à chaque extrémité : il se fait là beaucoup de trafic. Mes travaux se firent pour la plupart dans la maison des noces et dans son jardin. La vision où j'eus à traire, où j'exprimais du lait de tous mes membres et où, à la fin, je me trouvai si faible, se rapportait à moi et aux hémorragies continuelles que j'eus pendant ces jours là. Divers travaux se firent aussi sous forme de lessive. Il me revient ici en mémoire un cas particulier. Un de ces hommes qu'on appelle dévots de profession, qui hante tous les exercices de piété et court à tous les pèlerinages, apportait aussi son paquet. Il s'était souvent demandé pourquoi tel ou tel ne faisait pas comme lui. Je vis qu'il eut un songe où il vit la plupart des personnes qu'il regardait de son haut, placées fort au-dessus de lui, quant à leurs profits spirituels ; ce qui le remplit de confusion.


         « Lorsque j'eus fini mon travail, je vis près du Sauveur deux grandes tables dressées sur lesquelles se trouvait tout ce qui avait été négligé et rendu inutile. Alors aussi tout mon travail me fut présenté sous diverses figures, et je vis là tout ce qui avait été fait en pure perte : d'un côté des couronnes, des ornements et des fleurs de la plus grande beauté, de l’autre des guirlandes défaites, des habits en mauvais état, à demi achevés, et toute espèce de légumes et d'herbages mis en petits morceaux. Je vis d'un côté une décoration formée des plus magnifiques dons de Dieu, de l’autre, un misérable tas de tessons de pots cassés et de choses semblables. Quand je vis ce triste apport qui n'était autre chose qu'un assemblage de débris, et à l'occasion duquel Dieu m'avait communiqué tant de force, quand je vis ce qui était brisé, déchiré, souillé, je fus saisie d'une affreuse tristesse : je tombai la face contre terre et pleurai si fort pendant deux heures qu'il me sembla que mon coeur se brisait dans ma poitrine. Mais je vis que cet amas de pièces et de morceaux se montrait derrière Jésus qui par conséquent lui tournait le dos. Comme je pleurais ainsi, le miséricordieux Sauveur s'approcha de moi et me dit : « Il ne manquait plus que ces larmes. Je t'ai fait voir ceci afin que ta ne croies pas que quelque chose a été fait par toi ; mais maintenant j'ai tout pris sur mes épaules.» Je vis les six autres auxiliaires pleurer de même et recevoir du Sauveur les mêmes consolations. Je vis alors la sainte Vierge s'approcher de l'Église et étendre son manteau sur elle, et je vis une quantité de pauvres, de malades et d'estropiés, pousser en quelque sorte l'Église en haut ; ainsi elle s'éleva en l'air claire et brillante et passa dans l'autre Église, ou plutôt l'autre se réunit à elle. Or je vis Jésus et les apôtres apparaître dans le choeur supérieur de l'Église : je vis la sainte eucharistie distribuée comme un renouvellement de force, et je vis beaucoup d'âmes, parmi lesquelles des âmes de princes et de rois, sortir du sein d'Abraham et entrer dans cette Église. Je vois du reste bien des âmes que sur la terre on croit déjà parmi les saints, séjournant dans le sein d'Abraham et ne jouissant pas encore de la vision de Dieu : j'en vois d'autres aller tout droit au Ciel après un ou deux jours de purification. Dans cette vision, je vis aussi le purgatoire comme Église souffrante et je vis comme un vaste et sombre caveau dans lequel les âmes paraissaient délivrées de leur captivité. Il y avait là comme une lueur rougeâtre de cierges et comme un autel, et je vis un ange venir et présenter aux âmes quelque chose qui les soulageait. Cela arrive un certain nombre de fois par an, mais avec l'ange tout ce qui semble appartenir à une église disparait. Je sus aussi que les pauvres âmes, qui ne peuvent pas s'aider elles-mêmes, prient pourtant pour l'Église. Quand j'ai une de ces visions générales sur l'Église, je vois toujours entre le couchant et le nord une profonde cavité noire où ne pénètre aucun rayon de lumière et il me semble que, c'est là qu'est l'enfer. - Je vis ensuite une grande fête dans l'Église et beaucoup de personnes qui s'y unissaient. Je vis encore plusieurs églises ou plutôt des oratoires surmontés de girouettes et je vis des gens en désordre et sans liaison avec l'Église céleste qui couraient ensemble de côté et d'autre comme des mendiants courent là où l'on distribue du pain, mais sans rapport qui les unît à l'Église triomphante ou à l'Église souffrante. Ils n'étaient pas dans un édifice ecclésiastique dont la fondation et l'accroissement se rattachassent à l'Église militante, souffrante et triomphante, et ils ne recevaient pas dans la communion le corps du Seigneur, mais seulement du pain. Ceux qui, étant dans l'erreur sans qu'il y eût de leur faute, désiraient pieusement et vivement le corps de Jésus-Christ, étaient réconfortés spirituellement, mais non pas par cette communion : ceux qui participaient d'habitude à cette cène sans un ardent amour ne recevaient rien là où l'enfant de l'Église reçoit un grand accroissement de force. »


4. décembre. Après ce martyre et ces fatigues de huit jours, elle est extrêmement faible et misérable. Pendant tout le temps elle a journellement vomi du sang : elle en a perdu aussi par la plaie du côté et elle a eu des sueurs de sang. Après qu'elle eut pleuré si abondamment, il lui était resté l'impression qu'elle avait dans le coeur un trou profond. Au milieu de toutes ces souffrances, elle n'a jamais cessé, la nuit, de coudre des bonnets pour des enfants pauvres et de faire de la charpie pour l'abbé Lambert. Elle craignait une nouvelle reprise de son mal. Pendant toute la nuit précédente, elle était restée éveillée

et assise sur son séant dans son lit, avec la tête penchée jusqu'à ses genoux et tombant de côté et d'autre, parce qu'elle est trop faible et ne peut se tenir droite quand elle est assise. Depuis plusieurs jours, elle est forcée de passer une partie de la nuit dans cette position, à cause de violentes douleurs au coeur et dans la poitrine qui ont été fort augmentées par l'effusion de ses larmes. Elle a eu une vision où elle a vu l'Église, après qu’elle eût été purifiée avec tant de peine et de fatigues, maltraitée et abîmée de nouveau par les prêtres. Elle fut consolée à cette occasion par sainte Barbe qui lui dit qu'il ne fallait pas être si triste, lui rappelant qu’elle-même n'avait pas pu obtenir de Dieu la conversion de son père. Elle eut ensuite une vision et un avertissement touchant plusieurs prêtres qui, bien que cela dépendit uniquement d'eux, ne donneraient pas ce qu'ils auraient dû donner avec l'aide de Dieu, mais elle vit aussi qu'ils auront à rendre compte pour tout l'amour, toutes les consolations, toutes les exhortations, toutes les instructions touchant les devoirs de la religion qu'ils ne nous donnent pas, pour toutes les bénédictions qu'ils ne distribuent pas quoique la force de la main de Jésus soit en eux, pour tout ce qu'ils omettent de faire à la ressemblance de Jésus. Elle eut aussi à faire un travail qui consistait à porter plusieurs prêtres à travers l'eau avec beaucoup de fatigue et où il fallait prier pour les gens tentés.


         8. De même que sainte Hildegarde ou sainte Catherine de Sienne voyaient l'Eglise, épouse de Jésus-Christ, sous l'image d'une vierge ou d'une matrone placée dans les états de souffrances les plus divers, persécutée, maltraitée, dépouillée, malade ou frappée de la lèpre, et de même qu'elles avaient à accomplir leurs tâches de prière d'une manière correspondante à ce qu'elles voyaient, de même Anne Catherine trouva dans la maison des noces et dans ses dépendances l’Eglise, sous forme de matrone, dans toutes les positions et tous les états imaginables. La forme des vêtements, l'état du corps, les allures, l'aspect extérieur de cette matrone, les lieux où elle séjournait, ses relations avec d'autres figures étaient les symboles des mauvais traitements, des profanations, des blessures, de l'oppression que l'Église, dans sa vie sur la terre, avait à souffrir en réalité de ceux qui lui appartenaient. Ils figuraient aussi sa situation en face de ceux qui étaient séparés d'elle, des pouvoirs séculiers, et de toutes les influences hostiles du dehors : et c'était d'après cela qu'étaient réglés les divers travaux qu'Anne Catherine avait à accomplir pour expier des méfaits et des prévarications dont la matrone avait été victime. »


         « J'arrivai à Bethléhem, raconta-t-elle dans la dernière semaine de l'Avent de 1819, et sur le chemin de la maison des noces, je trouvai la vieille matrone. Elle était toute couverte d'ulcères qu'elle cachait sous un manteau sale. Après avoir invoqué saint François Xavier, je surmontai ma répugnance et je suçai les ulcères, : alors il en sortit des rayons de lumière qui répandirent au loin une brillante clarté. L'acte de sucer ces plaies fut pour moi quelque chose d'incroyablement agréable et doux : une femme resplendissante descendit d'en haut à notre droite, retira à la matrone qui n'avait plus que quelques blessures, son méchant manteau tout raide, lui passa au cou le sien propre dont l'éclat brillait au loin et disparut. Alors la matrone redevint toute lumineuse et je la conduisis dans le jardin de la maison des noces ; il semblait qu'elle eût été chassée de là, et qu'elle fût devenue si malade pendant qu'elle errait de côté et d'autre : je ne pus pas encore la faire entrer dans la maison même. Dans le jardin je trouvai beaucoup de mauvaises herbes : presque toutes les fleurs avaient péri, parce que les jardiniers avaient établi partout des séparations et que chacun cultivait à sa façon ; ils ne consultaient plus le vieillard qui était placé à leur tête et se souciaient peu de lui. Je trouvai aussi celui-ci malade : il ne savait rien de l'envahissement des mauvaises herbes jusqu'au moment où les chardons et les ronces montèrent sur ses fenêtres : alors il voulut qu'on les arrachât. La matrone à laquelle la Mère de Dieu avait donné le manteau portait avec elle dans une boite un trésor, une chose sainte qu'elle conserve, mais qu'elle-même ne connaît plus bien : ce trésor, c'est l'autorité spirituelle et la force secrète de l'Église dont ceux qui sont dans la maison des noces ne veulent plus et qu'ils ne comprennent plus. Mais ce pouvoir croîtra de nouveau dans le silence : ceux qui résistent seront alors chassés de la maison et tout sera renouvelé. »


         Pendant ce récit, elle avait plusieurs fois jeté des regards de côté : elle sentait l'approche de son époux céleste et elle tomba tout à coup dans une profonde extase, pendant laquelle elle lui demanda, en termes pleins de tendresse, à souffrir pour la matrone et aussi « pour trois femmes errant sans asile avec leurs pauvres enfants ; » ces femmes lui apparaissaient, comme figures symboliques des communions séparées de l'Église, errantes hors du bercail. « Là haut, disait-elle dans sa prière, là haut je ne, pourrai plus souffrir. Tout y est pure joie ! Laissez-moi encore ici ! Laissez-moi encore porter secours ! » En ce moment une de ses anciennes compagnes de couvent, à laquelle elle avait donné rendez-vous le jour précédent, se présenta à la porte et voulut aussitôt se retirer : mais Anne Catherine cria, sans sortir de l'extase : « Voici quelqu'un à qui je dois donner quelque chose : ceci est pour elle et ceci pour son hôtesse ! et en disant cela, elle prit dans l'armoire du mur quelques petits paquets de café et les offrit à son ancienne compagne. A peine celle-ci s'était-elle éloignée de nouveau qu'Anne Catherine, manifestant la plus grande joie se mit à rendre grâces à Dieu, « car, dit-elle, pour ce don, j'ai obtenu de mon époux la délivrance d'une pauvre âme du purgatoire. J'aurais voulu autant d'âmes qu'il y avait de grains de café, mais enfin j'en ai obtenu une. » Elle vit la joie et la gloire de cette âme délivrée.


         Le jour de Noël elle raconta ceci : « J'étais dans le jardin de la maison des noces. La matrone était encore malade, mais pourtant elle mettait en ordre, nettoyait et déblayait çà et là dans le jardin. Je vis la bergerie de la maison des noces devenue une église. Les haies de noyers (note) qui entouraient l'étable étaient toutes flétries et les noix étaient desséchées et vides. Je vis plusieurs saints revêtus d'antiques habits sacerdotaux qui nettoyaient diverses parties de l'église et enlevaient des toiles d'araignées. La porte était ouverte, l'église devenait de plus en plus lumineuse. C'était comme si les maîtres faisaient le travail des domestiques : car ceux qui étaient dans la maison des noces ne faisaient rien et plusieurs étaient mécontents : il y avait pourtant là un grand mouvement. Il semblait qu'ils dussent entrer quand l'église serait tout à fait remise en état : mais quelques-uns alors devaient être chassés et mis de coté. Pendant que l'église devenait de plus en plus nette et plus lumineuse, il jaillit tout à coup dans son enceinte une belle source limpide qui répandit de tous les côtés une eau pure comme du cristal, sortit à travers les murs et, coulant dans le jardin, y ranima tout. A l'effusion de cette source, tout devint plus lumineux et plus joyeux et je vis au dessus d'elle un autel resplendissant comme un esprit céleste, comme une manifestation et une croissance futures, et il semblait que tout allait toujours croissant dans l'église, murs, toits, décorations, corps de l'édifice, enfin tout ; et les saints continuaient à travailler et le mouvement était de plus en plus grand dans la maison des noces. »

 

(note) Les noix signifient la discorde.

 

Voici ce qu'elle dit des sociétés séparées de l'Église : « Je rencontrai la maison surmontée de girouettes, où les gens entrent et sortent avec des livres. Il n'y a pas d'autel et tout y a mauvaise mine. Je fus conduite tout au travers, il y passe comme un chemin public. Les bancs et les sièges sont jetés çà et là, la plupart sont volés : le toit s'est effondré et à travers les poutres on voit le ciel bleu. Je vis alors deux mères défigurées par des ulcères, chacune tenant deux enfants par la main, errer çà et là comme égarées. Une troisième, la plus misérable d'entre elles, était plus loin en arrière, courbée près de l'oratoire en ruines avec un petit enfant. Elle ne pouvait pas bouger de cette place. Ces femmes n'étaient pas très-âgées, leur robe était longue et étroite et non comme celles qu'on porte ordinairement. Il semblait qu'elles ne fussent enveloppées dans leurs robes que pour cacher la triste vue de leurs ulcères. Je reconnus que les enfants ne recevaient d'elles aucune force, mais que leur force leur venait des enfants. Les mères ne valaient pas grand'chose, mais les pauvres enfants étaient innocents de toutes ces misères. Elles marchaient en chancelant, l'une derrière l'autre. Elles n'avaient plus proprement de maison et elles avaient tellement erré à l'aventure et séjourné dans de si mauvais gîtes qu'elles y avaient gagné toutes ces maladies. Plus tard dans la nuit, je les ai encore vues, j'ai sucé leurs ulcères et je leur ai fait des compresses avec des herbes. Je les aurais conduites volontiers à l'Église, mais elles étaient encore trop craintives et se détournaient.... Ces chrétiens séparés de l'église n'ont aucune place près du saint Sépulcre, quoique maintenant ils cherchent à s'introduire en bien des endroits. mais ils ont interrompu chez eux la consécration sacerdotale, ils ont rejeté et perdu le saint sacrifice de la messe et c'est là le malheur de ces pauvres chrétiens. »


         J'ai parlé à ces pauvres femmes qui errent dans la prairie avec leurs enfants : certainement bientôt les choses iront mieux pour elles. Celles qui ont des enfants sont comme de vieux arbres qui poussent de leur racine de nouveaux rejetons et qui, à cause de cela, ne sont pas jetés au feu. Les enfants indiquent des âmes qui font effort pour revenir à l'Église et entraînent avec elles leurs mères privées de nourriture : car ces femmes sont sans force et sans énergie et sont maîtrisées par leurs enfants. Les deux femmes égarées qui sont les plus voisines de l'Église ont chacune avec elles deux enfants qui courent en se tenant à leur main et par lesquels elles sont entièrement maîtrisées. La troisième, très-malade, qui est couchée sur le chemin près de l'oratoire en ruines et sans toiture, n'a qu'un seul enfant : il est encore beaucoup plus petit, mais c'est pourtant un enfant et elle aussi viendra....


         « Je rencontrai de nouveau les deux femmes avec les quatre enfants. Elles étaient plus rapprochées de la maison des noces. Les enfants ne pouvaient pas rester en repos : ils tiraient leurs mères en avant et elles étaient forcées de les suivre. Elles n'entrèrent pas même dans le jardin : elles s'arrêtèrent devant, intimidées, craintives et comme frappées de stupeur. Elles n'avaient pas pressenti ce qu'elles verraient ici... Je priai encore devant la crèche pour les pauvres mères afin qu'elles entrassent au moins dans le jardin de la maison des noces : je vis alors la matrone sortir pour les chercher et les engager à se. réunir à elle. Mais elle semblait user de dissimulation et feignait de faire une simple promenade : elle marchait timidement et comme en se cachant. Cela me donna de l'inquiétude, surtout quand je vis qu'elle voulait d'abord aller trouver un berger séparé : je craignais qu'elle n'eût plus sa boîte avec elle et que maintenant elle ne fût tout à fait sans force, de façon que le berger pût se rendre maître d'elle et l'empêcher de revenir dans le jardin de la maison des noces. Je désirais qu'elle allât premièrement aux mères qui avaient des enfants. J'allai donc à sa rencontre, je m'entretins avec elle et je vis avec joie qu'elle avait sa boîte sur elle. Je m'aperçus, à mon grand chagrin, qu'elle n'était pas encore tout à fait guérie : quelques-unes de ses plaies s'étaient fermées trop tôt, et le mal était resté à l'intérieur. Je vis que cela l'empêchait de faire son invitation aux mères comme il l'eût fallu, et que ses façons dissimulées et sa timidité provenaient de là : elle ne marchait pas droit à elles au nom de Jésus. Je m'entretins longtemps avec elle. Elle n'était pas animée d'un esprit de charité, elle parlait tellement de ses droits et de son patrimoine qu'on ne la croyait pas quand elle parlait de charité. Elle m'avait parlé de tous ses droits et des grâces qu'elle avait reçues et quand je lui demandai ce qu'elle portait dans sa boîte, elle me dit : « C'est un mystère, c'est une chose ; sainte : » elle ne savait pas au juste ce que c'était et n'en faisait aucun usage, mais elle portait ainsi avec elle la boîte fermée. Elle était aussi mécontente de ce que je ne l'avais pas bien guérie. Je la conduisis pourtant, en passant devant le berger jusqu'aux mères errantes qui avaient été traînées à sa rencontre par les quatre enfants. Elle s'entretint avec elles : au commencement elles montrèrent un peu de raideur et se tinrent sur la réserve. Elle les engagea à se réunir et à se réconcilier avec elle, et à venir dans le jardin de la maison des noces. Les enfants ne demandaient pas mieux : mais les mères voulaient d'abord en parler avec le berger qui était près de là, et tous ensemble allèrent le trouver. La vieille femme lui parla : je tremblais toujours que cette vieille femme, n'étant pas encore entièrement rétablie, ne fît les choses de mauvaise grâce et maladroitement, et cela arriva en effet à certains égards : car elle dit qu'elle possédait tout et que tout lui appartenait, force, grâce, biens, droits, etc. Le berger coiffé d'un tricorne ne se sentit pas très-bien disposé à son égard ; il lui dit : « Qu'as-tu donc dans cette boîte que tu portes avec toi partout ? » Elle répondit que c'était un mystère et on voyait bien que c'était un mystère pour elle-même. Là-dessus le berger fut très mécontent et dit : « Si tu viens encore avec ton mystère, je ne veux pas en entendre parler ; c'est à cause de ton trafic de mystères que nous nous sommes éloignés de toi. Ce qu'on ne peut pas expliquer et montrer au grand jour devant tout le monde ne vaut rien. » Là-dessus ils se séparèrent. Les mères aussi ne voulurent plus venir. La vieille femme vint avec moi vers le jardin. Mais les enfants des mères ne se laissèrent pas retenir et coururent après nous. Ils avaient un certain penchant qui les attirait vers la vieille femme et ils entrèrent avec elle dans le jardin. Ils y regardèrent ; tout, cependant ils n'étaient pas encore disposés à y rester : ils retournèrent vers leurs mères pour tout leur raconter, mais ils étaient très-touchés. »


Dans la dernière semaine de l'année ecclésiastique, à la fin de novembre 1820, Anne Catherine vit le résultat de ce qu'elle avait fait pour la conversion des schismatiques : voici ce qu'elle raconta à ce sujet : « Dans mes souffrances, j'invoquai le secours de la Mère de Dieu, afin que tous les coeurs qui étaient rapprochés de la vérité se laissassent persuader et se tournassent vers l'Église. Elle vint me trouver dans la maison des noces et m'enseigna comment j'aurais à faire la cuisine pour deux cent vingt hôtes différents. Je devais prendre dans le jardin des herbes et des fruits de toute espèce sur lesquels une rosée était tombée des jardins célestes. Mon travail était comme celui qu'on fait dans une pharmacie : j'avais à composer, à faire cuire des mélanges de plusieurs sortes pour combattre diverses maladies de l'âme. Mais c'était tout autre chose que la cuisine ordinaire. Quelque chose de terrestre devait être consumé dans tous les objets par un feu de charité : il fallait par un travail pénible produire, à force de broyer, un amalgame et une pénétration réciproque entre tous les ingrédients et toutes les essences. Marie m'expliqua tout ce que je faisais et me l'enseigna ainsi que la signification et le but des divers assaisonnements que je devais faire aux aliments suivant les dispositions de tel ou tel convive. Toutes ces opérations symboliques en vision étaient pour ma nature terrestre une souffrance très-vive et me causaient des douleurs de toute espèce. Je vis, à l'aide de mes préparations et de mes travaux, les parties endurcies et résistantes se fondre dans certaines natures de personnes ; mon travail était plus difficile et plus compliqué suivant les défauts des divers caractères. Enfin je vis tous les convives venir à la maison des noces où chacun reçut sa nourriture. Et alors je les vis dans les contrées les plus diverses aller au banquet du Seigneur avec les enfants de l’Église. »

 

9. Conversion d'une ancienne secte (maronite).

 

         « Je fis un voyage à Bethléhem et je fis réellement le chemin, avec une grande fatigue, mais très-rapidement. Dans les environs de la maison des noces, je trouvai sur le chemin une très-vieille femme : on aurait presque dit qu'elle était contemporaine de la naissance du Christ. Elle était de la tête aux pieds, si étroitement enveloppée dans une robe noire qu'elle pouvait à peine marcher. Elle désirait mon secours et elle l'accepta ainsi que des aumônes et un vêtement. Mais elle me cachait quelque chose, ce dont pourtant j'avais le sentiment et ce qui m'attirait proprement vers elle. C'était un très-jeune enfant qu'elle avait sous son manteau et qu'elle ne voulait pas montrer comme si elle en eût eu honte ou comme si

elle eût craint que je ne voulusse le lui prendre : car elle semblait ne rien avoir que cet enfant et vivre uniquement par lui. Elle le tenait caché comme si elle l'eût volé. Mais elle fut obligée de me le donner. Ah ! c'était pitié de voir combien l’enfant était fortement et désagréablement serré : il ne pouvait pas faire un mouvement. Je déliai les forts bandages qui l'enveloppaient et qui le rendaient souffrant et malade. Je le nettoyai, je le mis en meilleur état et je voulais aussi le garder : mais la vieille n'y consentit en aucune façon. Je me disais que, si cet enfant était dans la maison des noces, il y grandirait très-vite. L'enfant m'avait pris en grande amitié et il s'attachait à moi avec ses petites mains rendues à la liberté. Je me dis aussi que, si j'avais la vieille avec moi dans le jardin de la maison des noces, elle pourrait m'aider à enlever les chardons. Je lui dis aussi que je reviendrais bientôt et que, si elle se comportait plus raisonnablement avec l'enfant, elle recevrait de moi quelque chose de plus. Elle avait dans sa manière d'être quelque chose du vieillard entêté qui a une croix avec lui. Elle me promit de tout faire. Cette personne caduque est très-fière de sa vieille extraction et d'avoir conservé des usages antiques empruntés à l'Église primitive : c'est pour cela qu'elle est si fortement enveloppée dans ses vêtements et qu'elle se tient si solitaire en divers endroits avec de petits groupes isolés. Elle n'a pas au fond de mauvaises intentions, mais elle est devenue horriblement ignorante et entêtée. Il en arrive ainsi quand la femme se sépare de l'homme et veut prêcher. Elle va dans les montagnes où elle vit entièrement retirée. Elle enveloppe son enfant si fortement et le cache ainsi afin qu'il ne puisse pas devenir autre chose qu'elle et qu'en même temps il conserve toute l'innocence de l'enfance et le cachet primitif, de même qu'elle, la vieille emmaillottée, croit avoir gardé toute cette innocence ; et pourtant la pauvre vieille personne n'a rien que sa misérable et stérile obstination, et se traîne çà et là dans le désert sans secours et sans consolation. Je lui représentai avec une compassion cordiale et avec toute la charité possible, sa déraison, sa pauvreté, son entêtement qui la faisait mourir de faim, son orgueil, toutes ses misères, je redoublai mes instances, je la conjurai d'avoir pitié d'elle-même et renoncer à son isolement absurde et de courir à la source de vie, au Saint-Sacrement de l’Église. Mais elle resta obstine et endurcie, et elle me rudoya de la belle façon. Elle disait que les catholiques ne font pas ce qu'ils enseignent, mais je répondis que se détourner de l’enseignement de la vérité à cause des torts de quelques individus n'est pas moins déraisonnable qu'il ne le serait de s'éloigner de la vertu à cause des gens vicieux. Elle ne savait que répondre à cela, mais elle restait toujours dans son obstination. Cette pauvre femme a été chassée de l'église du saint Sépulcre, elle n'y a plus de place, mais en haut, dans l'église spirituelle et céleste que j'ai vue au-dessus de la grotte de la crèche à Bethléhem, on fait encore des prières solennelles pour elle. C'est son bonheur d'avoir encore une petite fibre vivante par où lui arrive du soulagement. Ah ! j'espère qu'elle viendra à résipiscence. »


         Dans l'Avent de l'année précédente, elle avait déjà eu affaire aux membres de cette secte et à leur chef : elle avait reçu alors une tâche de prière pour eux qui devait durer cinq ans et qui finit en octobre 1822 par une mission qui lui fut donnée pour amener la réunion de cette secte avec l’Église romaine : « Parmi les gens auxquels j'eus affaire sur le chemin de la maison des noces, raconta-telle en décembre 1818, il y avait plus de femmes que d'hommes, ce qui me surprit. Elles portaient de longues robes et des linges roulés autour de la tête d'où pendait une bande d'étoffe qui descendait sur le dos. Près d'elle était un prêtre, mais sans force, comme s'il n'eût pas été prêtre. Il lisait et priait si mal ! Tout à coup on amena un cheval sauvage et fougueux afin que ce prêtre le domptât. Mais il eut peur et s'en alla ; ce que firent aussi tous les autres. Alors mon conducteur m'ordonna de monter ce cheval. Il m'enleva de terre, je m'assis de côté et le cheval se montra très-doux. Il me fallut faire ainsi cinq fois, en agrandissant chaque fois le cercle, le tour du lieu où ces gens étaient rassemblés : c'était pour tenir éloignées les bêtes impures que j'avais repoussées loin d'eux, mais qui voulaient toujours revenir. Je les chassai enfin tout à fait et au cinquième tour, je vis une bergerie : je me dis que je devais y entrer avec eux, et j'en fis aussi le tour sur mon cheval. Alors je revins vers le prêtre avec le cheval. Il n'avait pas de selle, mais seulement une bride, et il était devenu très-doux. »


         Ce cheval du désert est le symbole d'un naturel sauvage et sans frein que le prêtre dénué de force ne peut pas maîtriser. Mais Anne Catherine le monte et le dompte, pour prouver qu'il sera dompté sous la discipline de la véritable Église munie de la force et de l'autorité de Dieu. Les cinq tours à cheval signifient le cours de cinq années ecclésiastiques après lesquelles le troupeau égaré doit être ramené au bercail.

         Le 4 octobre 1822, elle raconta ce qui suit. « J'ai eu à faire un voyage extrêmement fatigant. J'avais à m'acquitter d'un message, mais mille obstacles vinrent à la traverse sur le chemin. Je fus poursuivie, maltraitée, je souffris la faim et la soif, la chaleur et la fatigue, et je fus fort tourmentée par les mauvais esprits : cependant je fis ce dont j'étais chargée. Il me fallait, sous la figure de Maleachi, le messager de Moïse, aller de Jagbeha vers une vieille secte chrétienne qui désirait ardemment qu'on lui enseignât la vérité. On me mit l’habit de Maleachi et je fus accompagnée par le prophète Malachie qui m'enseigna tout ce que j'avais à faire. Nous traversâmes la Judée, le désert du Sinaï, et nous longeâmes la mer Rouge sur tout le chemin, je vis les événements antérieurs ayant quelque rapport à l'objet de ma mission qui s'étaient passés dans ces divers lieux. Je vis beaucoup de traits de la vie de Malachie lui-même. Les gens auxquels j'étais envoyée formaient cinq établissements et ils étaient placés sous l'autorité d'un chef ecclésiastique qui décidait en matière de religion. Ce prêtre était très-attaché à l'ancien Testament et à la loi de Moïse. J'eus, à cause de cela, à lui expliquer quelques prophéties, par exemple le texte : « Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisedech », puis à lui demander si Aaron avait été un tel prêtre ? si Moïse, sur le Sinaï, avait reçu autre chose qu'une loi disciplinaire extérieure pour un peuple qui avait cru à un sacrifice antérieur de pain et de vin ? Si ce sacrifice n'était pas plus saint et n'était pas, à proprement parler, le commencement et la fin ? Abraham n'avait-il pas offert à Melchisedech le pain et le vin, ne lui avait-il pas donné la dîme et ne s'était-il pas incliné devant le sacrifice de cette Église ? Je citai encore les textes des psaumes, tels que : « le Seigneur a dit à mon Seigneur... » et les passages de Malachie sur le sacrifice non sanglant. Je devais l'exhorter à se rendre à Rome, à s'y faire instruire et à demander que les passages que je lui avais cités fussent particulièrement mis en lumière dans l'enseignement qui lui serait donné. Je vis qu'après que je lui eus parlé, cet homme se leva, alla prendre une bible et consulta les textes en question. Ces gens n'avaient pas d'habitations fixes, mais il semblait qu'ils commençassent alors à vouloir s'établir à demeure. Ils occupèrent des terrains, les entourèrent d'un retranchement et se bâtirent des cabanes de clayonnage et d'argile. Ils paraissaient descendre des Madianites. Ce que les ancêtres ont fait de bon profite même aux enfants. Celui qui fait le mal rompt le fil qui les relie : celui qui fait le bien et surmonte le mal en lui-même, conduit plus loin les sources de la bénédiction. »


         Elle décrit ainsi le schisme grec : « En allant de Bethlehem au jardin de la maison des noce, je trouvai sur le chemin un vieillard à cheveux gris d'apparence distinguée, très-malade et couvert de plaies : lui aussi s'était égaré. Je reconnus qu'il avait perdu où dissipé quelque chose qui appartenait, non à lui, mais à sa famille et qu'il lui fallait tâcher de le retrouver. C'était tout près de lui et il ne le savait pas. Il me parut proprement dépendre d'une matrone que je vis enveloppée dans un manteau plus près du jardin des noces. Il semblait ne vouloir pas aller à elle et avoir bien plus de répugnance qu'elle pour la réunion. Il a toujours avec lui une vieille croix de bois noir, longue comme le bras et dont la forme, est celle d'un Y. Je me disais qu'elle doit avoir longtemps servi, car elle est très-usée et toute polie. Il tient extraordinairement à cette croix. Ah ! bon vieillard ! à quoi peut te servir cette croix de bois, si elle te fait oublier le Sauveur. Il est si endurci, si entêté et si entiché de ses idées ! On ne peut le faire bouger de la place où il est et lui-même n'avance pas d'un pas. Il y a longtemps qu'il s'est séparé de la femme : il ne veut pas s'accommoder à elle, mais elle ne peut pas lui concéder tout ce qu'il veut. Je crains qu'il ne vienne encore de là de grands malheurs pour le monde. - J'ai aussi guéri quelque chose chez ce vieillard insensé.


         Lorsque le Pèlerin entendit les communications qui précèdent, il exprima son étonnement touchant ces voies miséricordieuses de Dieu qui daignait charger la narratrice non-seulement de soulager corporellement et de vêtir des femmes et des enfants pauvres, mais aussi de donner des secours spirituels à des mères et à des enfants selon l’esprit : à quoi elle répondit : « Cela parait étrange quand on ne considère que la vie de l’individu prise à part : mais en vérité tout ce qu'on fait par amour pour Jésus n'est qu'une seule et même chose. Toute oeuvre de miséricorde va à l’Église, comme corps de Jésus, quand elle est faite au profit de ses membres et s'adresse là où elle a reçu des blessures. » Puis elle continua : « Le vieillard bizarre et opiniâtre qui tient tant à sa croix n'a pas d'enfant. Il ne veut pas non plus entendre raison. Il ne finira pas par entrer et il donnera encore lieu à beaucoup de misères et d'affaires difficiles. - La matrone malade avec la chose sainte dans la boîte n'a pas d'enfant non plus. Elle est l’Église elle-même représentée avec les maladies de toute espèce qui existent dans ses membres, maltraitée et repoussée par les siens eux-mêmes. Mais maintenant elle est de retour dans le jardin. »

 

5. Pour faire voir clairement la concordance intime de ces visions avec les visions et toute la tâche de sainte Hildegarde, il peut être bon de citer ici la magnifique lettre que Hildegarde adressa, en l’année 1170, au prévôt Werner de Kirchheim. Elle était venue en Souabe dans un voyage entrepris par l'ordre de Dieu et elle avait décrit l’état de l’Église devant le clergé de Kirchheim. L'impression faite par ses paroles fut si forte que Werner écrivit à la sainte, la priant pour lui-même et « pour ses frères servant Dieu dans les paroisses, » de lui communiquer par écrit ce qu'instruite par l’Esprit saint, elle leur avait dit à Kirchheim touchant la négligence des prêtres dans le saint sacrifice de la messe, afin que ses confrères et lui pussent méditer ses paroles avec d'autant plus d'attention. Elle accueillit cette requête et écrivit ce qui suit

         « Retenue longtemps au lit par la maladie, j'eus en l'an 1170 de l’Incarnation, étant éveillée de corps et d'esprit, une vision remarquablement belle où m'apparut une femme dont l’aspect avait quelque chose de si aimable et de si extraordinairement attrayant qu'aucune intelligence humaine ne peut l'imaginer. Sa stature s'élevait de la terre jusqu'au ciel. Son visage brillait de clartés infinies et son oeil regardait le ciel. Elle était revêtue d'une robe éblouissante de soie blanche et recouverte d'un manteau orné des pierres les plus précieuses, d'émeraudes, de saphirs, de fleurs d'or et de perles. Elle avait aux pieds une chaussure d'onyx. Mais son visage était semé de cendre, sa robe avait une déchirure au côté droit, le manteau avait perdu sa beauté lumineuse et ses souliers étaient noircis. Elle cria vers le ciel d'une voix plaintive

« Ecoutez, ô cieux, mon visage est souillé : terre, afflige-toi de ce que mon vêtement est déchiré ; et toi, abîme, tremble de ce que ma chaussure est devenue noire. Les renards ont leurs tanières et les oiseaux leurs nids mais moi je n'ai personne qui m'assiste et me console ; je n'ai pas un bâton sur lequel m'appuyer et qui puisse me soutenir, » Et elle dit encore : « J'étais cachée dans le coeur du Père,jusqu'à ce que le Fils de l’homme, conçu et né dans la virginité, versât son sang dans lequel il m'a épousée et m'a dotée pour que je pusse enfanter à nouveau, dans la pure régénération de l’esprit et de l'eau, ceux qui se sont inoculé le venin du serpent et qui en sont infectés. Mais mes nourriciers, les prêtres, par les soins desquels mon visage devait rester rayonnant comme l'aurore, ma robe lumineuse comme l’éclair, mon manteau reluisant comme un joyau, ma chaussure éclatante de blancheur, ont parsemé mon visage de cendres ; déchiré ma robe, sali mon manteau et noirci ma chaussure, et ceux qui auraient dû m'orner de toute espèce de parures m'ont laissée dépérir et tomber en pièces. Ils souillent mon visage lorsqu'ils manient et mangent la chair et le sang de mon époux malgré la grande impureté de leur vie dissolue, l'affreuse ignominie de leurs fornications et de leurs adultères et l'impudente rapacité où les pousse leur avarice, lorsqu'ils vendent et achètent, ce qu'il ne leur est pas permis de faire ; oui ! ils couvrent la chair et le sang de mon époux de tels opprobres que c'est comme si on jetait un enfant nouveau né aux pourceaux dans leur bourbier. De même que l'homme, à l'instant où Dieu le forma de la poussière de la terre et lui inspira le souffle de la vie, devint aussitôt chair et sang, ainsi cette même puissance de Dieu, aux paroles du prêtre invoquant la divinité, change sur l'autel l'offrande de pain, de vin et d'eau en la vraie chair et au vrai sang du Christ mon époux : ce que toutefois l'homme, à raison de l'aveuglement dont il a été frappé par la chute d'Adam, ne peut pas voir des yeux du corps. Les blessures de mon époux restent fraîches et ouvertes tant que les blessures des hommes pécheurs ne se ferment pas. Et ces plaies du Christ sont souillées par ces prêtres qui, au lieu de me conserver pure et de me servir dans la pureté, cherchent avec une avidité sans bornes à accumuler prébende sur prébende. Ils déchirent mon vêtement parce qu'ils sont infidèles à la loi, à l'Évangile et au sacerdoce ; ils couvrent mon manteau d'ordures parce qu'ils négligent de toutes les manières les préceptes qui leur ont été donnés, au lieu de les accomplir avec une volonté droite et avec des dispositions parfaites par la continence semblable à la beauté de l'émeraude, par l'aumône qui est comme le saphir, par la pratique des bonnes oeuvres qui honorent Dieu comme des pierres précieuses de toute espèce. Ils noircissent le dessus de ma chaussure, quand ils ne se maintiennent pas dans la voie droite, ni sur le sentier raboteux et difficile de la justice et qu'ils ne donnent pas le bon exemple à leurs subordonnés : mais au dessous, dans mes chaussures, j'aperçois, comme en un lieu caché, l'éclat de la vérité chez quelques-uns. Les faux prêtres se trompent eux-mêmes : ils veulent l'honneur attaché aux fonctions sacerdotales sans en avoir les charges. Mais cela est impossible : car le salaire n'est donné à personne s'il n'y a pas eu auparavant un travail méritant ce salaire ; là où la grâce de Dieu touche l'homme, elle le pousse au travail pour gagner le salaire. Or, comme Dieu, pour nous châtier, fait pleuvoir une multitude de maux funestes aux hommes et en couvre la terre comme d'un brouillard, en sorte que sa verdure disparaît et que sa parure s'obscurcit, de même l’abîme tremblera quand ce grand Dieu entrera en fureur et fera servir le ciel et la terre à la vengeance et à la destruction. Les princes et le peuple plein d'audace viendront sur vous autres prêtres qui jusqu'à présent m'avez négligé : ils vous rejetteront et vous chasseront, ils vous enlèveront vos richesses parce que vous n'avez pas tenu compte du temps qui vous était donné pour votre ministère sacerdotal. Et ils diront de vous : « Jetons hors de l'Église ces adultères, ces voleurs pleins de toutes les iniquités. » Et en faisant ainsi, ils croiront avoir servi Dieu parce qu'ils diront que vous avez souillé l'Église. C'est pourquoi l'Écriture dit : « Pourquoi les nations frémissent-elles et les peuples forment-ils de vains projets ! » Car, par la permission de Dieu de nombreuses familles de peuples, dans leurs délibérations, s'élèveront contre vous furieux et beaucoup auront à propos de vous de vaines pensées, lorsqu'ils mépriseront comme n'étant rien votre dignité et votre consécration sacerdotale. Les princes de la terre leur donneront assistance pour vous rejeter : et les princes qui règnent sur vous seront unanimes dans la résolution de vous chasser de leur territoire parce que vous avez chassé loin de vous par vos crimes l'innocent agneau. Et j'entendis une voix du ciel disant : « Cette vision représente l'Église. C'est pourquoi, fille de l'homme, qui vois cela et qui entends ces plaintes, annonce-le aux prêtres qui sont institués et consacrés pour guider et instruire le peuple, car il leur a été dit dans la personne des apôtres

« Allez dans le monde entier et annoncez l'Évangile à toute créature. » Lorsque Dieu a créé l'homme, il a mis en lui le signe de toute créature, de même qu'on écrit sur un petit morceau de parchemin les temps et les chiffres d'une année entière, c'est pourquoi Dieu a nommé l'homme « toute créature. »

         « Et je vis de nouveau, moi pauvre femme, planer en l'air une épée nue dont un tranchant était tourné vers le ciel, l’autre vers la terre. Et cette épée était levée sur une engeance que le prophète voyait d'avance lorsqu'il s'écriait étonné : « Qui sont ceux-ci qui volent comme des nuages et comme des colombes allant à leurs colombiers ? » (Isaïe LX.) Car ceux qui sont élevés au-dessus de la terre, séparés du commun des hommes, et qui devraient vivre saintement et avoir dans leurs actions la simplicité de la colombe, font de mauvaises oeuvres et ont de mauvaises moeurs. Et je vis que l'épée en plusieurs lieux retranchera le peuple ecclésiastique de même que Jérusalem fut détruite après la Passion du Sauveur, mais je vis aussi que Dieu se réservera beaucoup de prêtres le craignant, ayant de la pureté et de la droiture, selon ce qu'il dit à Élie qu'il avait laissé dans Israël des milliers d'hommes qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal. Et maintenant puisse le feu inextinguible de l'Esprit-Saint se répandre en vous et vous convertir à ce qui est le mieux. » Telles sont les paroles de sainte Hildegarde.

 

         6. Anne Catherine vit dans la maison des noces, outre les visions sur l'Église en général, l'état du diocèse de Munster et ce qu'elle avait à faire pour ce diocèse qui lui fut représenté par les images symboliques les plus diverses. La première vision qu'elle raconta à ce sujet en décembre 1849, fait clairement reconnaître que sa tâche était de renouveler l'ancienne piété dans le pays de Munster, en ranimant l'amour et la vénération envers la très-sainte Vierge, et de préparer la restauration des communautés religieuses. Elle vit dans la maison des noces une pièce à part, appelée chambre de la fiancée, où elle eut à déposer les habits de noce et à préparer les trousseaux spirituels, afin qu'ils fussent conservés là pour des personnes désignées, jusqu'à ce que fût venu le temps de les en revêtir. Cette préparation était le symbole des effets et des fruits de ses souffrances et de ses prières, par lesquelles elle obtenait, pour plusieurs personnes destinées à embrasser la vie religieuse, la grâce de la vocation et aussi la possibilité matérielle de répondre à cette vocation en entrant dans une communauté. Elle devait en outre obvier aux dangers dont la foi et la discipline étaient menacées par des influences étrangères, faire pénitence pour la trahison, l’abandon des biens et des privilèges de l'Église, la lâcheté se mettant au service du monde, les caresses faites à l'esprit de l'époque du côté des serviteurs de l'Église, et travailler à l'encontre des conséquences qui résultaient de tout cela. Dans cette lutte elle tenait la place du diocèse : elle était en butte en vision et en réalité aux attaques et aux périls qui menaçaient ce diocèse et elle avait beaucoup à endurer de la part des représentants des principes, des desseins et des pouvoirs hostiles qui avaient en vue l'extinction de la foi. Voici ce qu'elle raconta :

         « Je fis un voyage à Bethléhem, allant à la rencontre de Marie et de Joseph : je voulais leur préparer un logement pour la nuit. Je portais avec moi du linge et des couvertures et aussi tout ce qui m'était nécessaire pour coudre, car je n'en avais pas encore fini avec mes divers travaux. J'entrai dans une maison où je croyais que Marie et Joseph arriveraient cette nuit. Cette maison n'était pas à toit plat ; elle ressemblait plutôt à une grande maison de paysan de notre pays. Les gens étaient grossiers et mal disposés. Ils avaient là un grand établissement et quand je leur dis qu'il fallait me préparer un logement pour Joseph et Marie, ils répondirent qu'ils n'avaient pas de place et qu'ils attendaient beaucoup d'hôtes. Il vint en effet beaucoup d'hôtes, gens de toute espèce, jeunes et mal élevés, et ils se mirent à dresser une table, à faire la cuisine, à rôtir, et à danser ensemble comme des fous furieux. Je demandai encore un logement pour la Mère de Dieu, mais les danseurs me foulèrent aux pieds et me poussèrent de côté et d'autre. Alors vint à moi l'enfant habillé de vert, la Patience, que sainte Cécile m'avait amené un jour et je supportai tout avec calme. Il me semblait connaître ces gens grossiers. Il y avait parmi eux plusieurs protestants et des personnes qui m'ont persécutée et injuriée. Pendant qu'ils refusaient de faire place à Marie et à Joseph, j'avais découvert de mon côté une petite chambre dont on ne se servait pas. Mais ils ne voulaient pas m'y laisser entrer : ils semblaient avoir là quelque chose dont ils faisaient mystère. J'entrai pourtant et j'y trouvai, à ma grande surprise, une très-vieille femme qu'ils y avaient méchamment enfermée et qui était toute enveloppée de toiles d'araignées. Je la nettoyai et la menai dehors à la noce. Tous ces gens furent bouleversés à sa vue. Je leur reprochai leur conduite envers cette femme et ils quittèrent la maison : mais la vieille femme commença à y établir à son tour un ménage et prépara un repas : puis je vis plusieurs antres personnes, spécialement des jeunes filles, que je savais désireuses d’embrasser la vie religieuse. En même temps, je découvris une autre chambre qui s'agrandit d'une façon merveilleuse et devint de plus en plus brillante. Je n'y vis que des âmes de défunts de nos environs et du pays de Munster, parmi lesquelles ma mère, la femme de la Vehme et avec elles leurs anges gardiens. Toutes ces âmes portaient des costumes nationaux, à la vieille mode franconienne, et je me disais que ma mère, portant ces beaux vêtements, ne me reconnaîtrait pas. J'avais tout préparé dans cette chambre pour la sainte famille : Joseph et Marie arrivèrent en effet et ils furent reçus très-amicalement : mais ils ne firent attention à rien de tout cela, se retirèrent dans la chambre sombre et s'assirent contre la muraille. La chambre fut aussitôt inondée de lumière. Je leur rendis mes hommages, mais Marie et Joseph ne restèrent pas longtemps là. Les plus âgés des gens de la maison les regardaient curieusement à travers la porte. Ils me parurent se retirer par un sentiment d'humilité. Pendant ce temps, la vieille femme que j'avais délivrée (note) était devenue toute jeune et parfaitement belle : elle était la première dans la maison ; bien plus elle était la fiancée. Elle était aussi très bien habillée, à la vieille mode franconienne telle qu'elle régnait autrefois dans notre pays. Toute la maison devint peu à peu comme une église : à la place où avait été le foyer, un autel s'éleva. »

        

(note) La vieille femme désigne l'ancienne piété, la foi vive d'autrefois, la vieille religion du pays qui doit redevenir jeune, c'est-à-dire être renouvelée, ressusciter. Le costume sous lequel apparaissent les âmes qui intercèdent, se rapporte au temps où régnait dans le pays cette piété qui doit maintenant reprendre une nouvelle vie.

 

« Je fis un voyage à la terre promise et il me fallut traverser la mer. Tout d'un coup j'aperçus au milieu de la tempête un bateau ouvert où se trouvaient beaucoup de méchantes gens qui poussaient des cris et je me dis : « Ceux-ci ont un navire et ne trouvent pas où prendre pied, comment, moi, pourrai-je traverser cette eau ? » A peine eus-je ainsi douté que j'enfonçai dans l'eau jusqu'au cou. Il m'arriva comme à Pierre quand il douta. Mais mon conducteur me prit par le bras, me porta jusqu'à la terre et me reprocha mon manque de foi. Dans les environs de Bethléhem, je vis la maison des noces : je voulais passer outre : mais j'y fus introduite. Je passai tout en revue : il y avait dans la maison des étrangers, hommes et femmes. Un jeune homme bien fait, en uniforme bleu, semblait y commander : il y avait là en outre une grosse femme impérieuse, se mettant partout en avant d'un air empressé et insolent, voulant tout faire et tout savoir mieux que les autres. Les ecclésiastiques étaient comme chassés de la maison. La chambre des vêtements nuptiaux était fermée, toutefois je pus y entrer. Les murs étaient tout couverts de toiles d'araignées : cependant les vêtements étaient tous là et en bon état. Je trouvai aussi là vingt cierges tout apprêtés et quatre qui n'étaient pas encore finis, en outre vingt sacs pleins et quatre vides. Lorsque je parcourais ainsi la maison, le jeune homme me suivait partout et s'étonnait de tout ce que je faisais et disais. Il me montra un trou dans lequel lui et ses gens avaient balayé avec beaucoup de peine des bêtes immondes, comme des crapauds, etc., et il voulait m'empêcher de lever le couvercle qui était sur ce trou, me disant qu'il y aurait du danger pour moi. Je lui répondis que je n'avais rien à craindre, que déjà souvent j'avais fait ici des nettoyages. Je regardai les vilaines bêtes et je remis le couvercle. Il me dit que ses gens n'étaient pas en état de jeter ces bêtes dehors : je lui répondis que nos prêtres le pourraient et je l’engageai à réfléchir sur ce que prouve cette force dont ils sont doués. Je trouvai aussi un paquet d'écrits scellés et le jeûne homme me dit encore que ses gens étaient dans l’impuissance absolue de lever le seau : j'appelai de nouveau son attention sur ce manque total de force. Il répondit que, s'il était vrai que ses gens fussent tout à fait dépourvus de force, c'était bien un tort de leur part de traîner avec eux dans la maison la grosse femme impérieuse et insolente. Cette femme était très-irritée contre moi et excessivement mécontente de ce que le jeune homme se mettait à ce point en rapport avec moi. Elle m'avait déjà beaucoup cherché querelle et m'avait injuriée à cause des fiancées qu'elle appelait des péronnelles, de la femme à la boîte et d'autres choses de ce genre. Maintenant comme elle craignait que le jeune homme qui commandait dans la maison ne la mit à la porte, elle chercha à se rendre nécessaire et à se donner de l’importance en faisant toute espèce d'offices. Elle prit les vêtements de tous les habitants de la maison, les mit ensemble et entreprit de faire une grande lessive (confession générale). Mais le cuvier tombait toujours, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre elle ne put venir à bout de rien et il fallut tout rendre mouillé, mais non lavé. Elle voulut ensuite pétrir du pain mais cela aussi se fit très-mal et manqua complètement. Ensuite elle voulut faire la cuisine, fit un grand feu, sur lequel elle suspendit un énorme chaudron et se plaça devant dans toute sa largeur : personne n'en devait approcher. Elle répétait aussi sans cesse à mon adresse un rabâchage sur le Pape et l’Antéchrist. Mais tout d'un coup la crémaillère, le chaudron et la cheminée tombèrent au milieu des charbons avec un tel fracas,et envoyèrent les tisons de tant de côtés qu'elle s'enfuit hors de la maison ainsi que tous les autres, à l'exception du jeune homme qui resta et dit qu'il voulait se rendre à l’église du jardin des noces (c'est-à-dire se convertir, se faire catholique). Ce jeune homme désignait de nouvelles vues plus profondes (piétisme moderne) qu'ont les protestants touchant l'Église ; son uniforme, le vêtement séculier ; l'autorité qu'il exerçait dans la maison, la pression du pouvoir civil sur l'Église dans notre pays ; la femme insolente, le vieux levain luthérien. »


         « J'allai dans la maison des noces et je balayai la chambre du sévère supérieur. Je rejetai dehors de la paille, des espèces de brindilles de fagots et de la boue noirâtre. Il y avait là un trou dangereux où il fallait me tenir sur un étroit rebord pour y jeter tout cela à coups de balai. La vieille femme luthérienne, qui avait pris possession d'un coin, était fort en colère de ce que j'étais encore revenue là et elle me disait des injures. Elle versa de mon côté, comme pour me délier, des ordures qui se répandirent près de moi et comme en les balayant j'atteignis l'endroit où elle se tenait, elle dit que je n'avais pas, besoin de balayer auprès d'elle, qu'elle pouvait faire cela elle-même. Je répondis qu'alors elle ne devait rien jeter vers moi. Sa fille (c'est-à-dire le plat rationalisme) était toujours occupée à se parer, à se faire belle et à cacher sa saleté pour donner dans l'oeil aux autres et les attirer à soi : elle n'était rien moins que chaste. Le funeste et artificieux jeune garçon était au milieu des ecclésiastiques. Le sévère supérieur maintenant voyait plus clair dans ses intrigues et travaillait sérieusement à les déjouer. Je balayai aussi la chambre très-malpropre que le doyen occupait là lorsqu'il venait. Il en était embarrassé et un peu confus, Le maître d'école (Overberg) s'occupait d'une autre fiancée qu'il voulait opposer aux protestants. Je vis aussi ici que le sévère supérieur aurait toujours voulu m'avoir à Darfeld , mais j'eus une vision qui me montra combien j'y serais misérable, étant toujours comme sur un lit de parade, et comment Clara Soentgen voulait jouer un rôle, si j'allais là...


         Dimanche 6 février. Évangile du semeur. « Je vis trois jardins, trois pays ou parties de la terre. Le premier était plein de rochers, de montagnes et de pierres : celui du milieu plein de buissons, d'épines, de mauvaises herbes par endroits seulement il y avait une planche de fleurs. Le troisième qui était le plus grand et le mieux cultivé, était plein de pièces d'eau, de lacs et d'îles. Tout y réussissait pour le mieux et il était très-fertile. Je me trouvai dans celui du milieu. J'allai d'abord ou bien je regardai dans le jardin rocailleux qui, au premier coup d'exil, paraissait un jardin, une pièce de terre, mais qui, quand on s’arrêtait plus longtemps et qu'on le parcourait, se trouvait devenir un monde comme tous les tableaux de ce genre. J'y vis çà et là quelques bons grains lever dans un terrain stérile, parmi les pierres : je vis aussi dans un coin, des gens qui voulaient rassembler les plantes qui venaient bien et les transplanter dans une plate-bande : mais il vint un homme qui leur dit de n'en rien faire, parce que si les épices qui les entouraient ne maintenaient pas les tiges droites, elles s'affaisseraient sur elles-mêmes. C'était dans le jardin de l'île que se trouvait le meilleur terrain. Ce qui y était semé prospérait et rendait au centuple : mais par endroits les plantes étaient entièrement déracinées. La semence était reçue dans de bonnes conditions et les petits champs étaient entourés de fortes clôtures. Je reconnus dans ce jardin les autres parties du monde et les îles où maintenant je vois si souvent le christianisme se propager. Dans le jardin du milieu où j'étais moi-même, je vis, à l'abondance des mauvaises herbes et au peu de soin donné à l'entretien, qu'il était cultivé par plusieurs jardinier, paresseux. Rien n'y manquait, mais tout était laissé à l'abandon, encombré de mauvaises herbes, de chardons et de ronce.. Je reconnus en lui l'état de toutes les paroisses en Europe et je vis que le jardin même du Pape n'était pas tenu pour le mieux. Dans la partie ou se trouvait le jardin de mon pays natal, je vis un seigneur remplir d'argent une grande fosse où était rassemblé le produit de tous les champs mais le diable était assis sur le couvercle. Je vis, à mon grand étonnement, et cela me fit presque rire, une demi douzaine de petits compagnons agiles et rusés qui, d'un point éloigné, avaient établi des passages souterrains jusqu'à cette fosse, et enlevaient par-dessous, sans que rien les dérangeât, ce qu'on avait déposé là après l'avoir péniblement extrait du jardin. Je vis aussi que le maître en aperçut un qui se dérobait avec un sac plein d'or. Il regarda alors dans la fosse au trésor, au-dessus de laquelle pourtant le diable veillait si bien, et qui par-dessous, était pillée par ses serviteurs. Lorsqu'il regarda dedans et s'étonna qu'il y eût si peu d'argent, ils lui dirent qu'il n'en venait plus du jardin, qu'il ne rapportait plus, qu'il était trop mal cultivé et trop mal fumé, etc. J'allai alors dans la partie du jardin où est ma demeure et je vis une quantité de champs avec des jardiniers et des cultivateurs que je connaissais, puis dans ces champs des carrés auxquels étaient préposés des garçons jardiniers. J'en vis peu qui semassent et cultivassent passablement. Je vis que les mauvaises herbes y abondaient, que tout y était flétri et dans un état misérable. Je visitai les planches l'une après l'autre, je pris connaissance de tous ceux qui se trouvaient là et de leur état. J'en vis plusieurs en grand danger, ils couraient sur le bord d'un abîme ténébreux ; d'autres dormaient, d'autres cultivaient du grain qui n'avait que l'écorce. Parmi eux je vis courir de côté et d'autre des gens qui agissaient en maures et s'occupaient de la culture, mais qui, à proprement parler, n'avaient rien à faire là : Ces gens piochaient, creusaient et fumaient avec une énergie incroyable, mais rien ne pouvait leur réussir. Tout à coup ils apportèrent un enfant qu'ils avaient traîné là et avec lequel étaient quelques-uns d'entre eux. Ils l'apportèrent tout doucement, et tout d'un coup le lieu où je voyais l'enfant se montra à moi comme étant la ville de Munster : alors je reconnus la plupart des personnes. Il y avait dans cet enfant quelque chose qui me repoussait et qui m'inquiétait singulièrement. Je vis que c'était un enfant illégitime qui ne connaissait pas son père, et que sa mère avait vécu dans la débauche avec beaucoup de gens. Au commencement, cet enfant ne faisait que jouer, mais bientôt il se manifesta dans toute sa laideur. Il se montra vieux, malade, blême, bourgeonné : il était avec cela insolent, flatteur, moqueur, orgueilleux et n'allait jamais à l'église. Il riait de tout, il se traînait chargé de beaucoup de livres et d'écrits. Les ecclésiastiques se le renvoyaient l'un à l'autre et il s'insinuait partout. Je vis à mon grand étonnement que des ecclésiastiques français que je connaissais se laissèrent prendre par lui. Je vis peu d'hommes qui lui fussent contraires : car il faisait merveille partout : il comprenait tout et savait parler- toutes les langues. Je le vis spécialement aborder des maîtres d'école ; quant aux maîtresses, il passait outre ou les injuriait : il m'évitait absolument. J'avais peur qu'il ne fit beaucoup de mal, et je vis, partout où il était, la culture du jardin devenir encore pire et la terre produire des plantes très-touffues, mais de mauvaise nature et ne donnant aucun fruit. Je vis que le pieux maître d'école (Overberg) s'éloignait de lui tant qu'il pouvait et ne voulait rien avoir de commun avec lui. Le sévère supérieur (Droste) le laissait aller son train : un autre se plaisait fort à s'entretenir avec lui : le doyen fit à cet enfant un accueil particulièrement flatteur ; bien plus, il le reçut chez lui et trouva bon qu'il passât la nuit dans sa maison. Cet enfant fut pour moi un sujet d'angoisse pendant toute la journée : il était si facilement introduit partout et étendait si promptement ses relations qu'il m'apparaissait comme une vraie peste. Je l'ai toujours dans l'esprit avec ses manières de vieillard effronté qui n'ont rien de l'enfance. Je sais qu'il signifie la nouvelle méthode d'enseignement (rationaliste) qu'on se prépare à introduire dans les écoles. J'ai vu à ce sujet un tableau effrayant de persécution. C'était comme si je me trouvais entre les mains d'ennemis masqués qui voulaient m'enlever en secret. Ils m'avaient déjà emportée hors de la maison. Je m'abandonnai à la volonté de Dieu, mais il vint une colombe qui jeta de tels cris et attira une telle quantité d'autres oiseaux que les ennemis me ramenèrent chez moi. Ce fut comme s'il y avait une émeute. Je reconnus les oiseaux, c'étaient mes anciens amis : une alouette que mon confesseur m'avait retirée pour me mortifier ; un pigeon auquel j'avais, donné à manger sur la fenêtre, dans le couvent : des pinsons et des rouge-gorges qui volaient sur ma tête et sur mes épaules lorsque je traversais la cour du couvent ou que j'allais au jardin. »

 

         Des visions effrayantes du même genre se répétèrent à mesure que l'enfant illégitime, semant la corruption, trouvait de l'accueil et des encouragements dans le diocèse, car Anne Catherine, en tant qu'elle représentait tous les intérêts spirituels compromis par là, devait éprouver dans sa personne et souffrir le mal que les patrons et fauteurs ecclésiastiques de l'enfant faisaient au diocèse. Elle vit, par exemple, ses ennemis former le projet de s'emparer d'elle, lorsque de nouvelles effusions de sang leur fourniraient un prétexte pour cela, de l'emmener hors de Dulmen et (à l'instigation de Rensing) de se procurer à cet effet l'autorisation des supérieurs ecclésiastiques. A cette vue, elle se sentit touchée, d'une telle compassion pour ses oppresseurs qu'étant en extase elle se releva sur ses genoux afin de dire un rosaire pour eux. Mais comme elle était en ce moment prise d'une sueur très forte, elle se refroidit tellement que pendant plusieurs jours elle eut à souffrir de fréquents accès de toux convulsive. Une autre fois elle eut le sentiment qu'elle se trouvait couchée sans défense au milieu d'un champ où des chiens, parmi lesquels un lévrier et un dogue, étaient excités contre elle. Dans son angoisse mortelle, elle se trouva entourée de vingt-quatre enfants qu'elle avait habillés depuis Noël et qui empêchèrent les chiens de lui faire du mal. Dans un état de souffrance spirituelle du même genre, elle reçut de saint Benoît une assistance miraculeuse.


         « J'avais, dit-elle, tant de tourments à prendre sur moi que je serais morte sans les consolations de saint Benoît. Il me promit son secours, mais me dit que je ne devais pas perdre courage, si ce secours n'arrivait pas tout de suite. J'eus là-dessus une vision sur moi-même, comme s'il se fût agi d'une autre personne. Je me vis sur un siège appuyée à la muraille ; j'étais comme mourante et dans l'impossibilité de parler ou de faire un mouvement. Il y avait autour de moi des ecclésiastiques et quelques laïques qui parlaient d'un air suffisant de toute sorte de choses, et qui pendant ce temps me laissaient périr. Je ressentis la plus vive compassion pour la pauvre personne et je vis tout d'un coup saint Benoît (note) s'avancer vers elle, plein d'indignation contre messieurs les ecclésiastiques. Il s'entretint avec elle et ce fut alors que je sentis que cette personne, c'était moi-même : il dit qu'il voulait m'envoyer la sainte communion et il m'amena un jeune et aimable prêtre et martyr, portant l'aube et l'étole, lequel me donna le sacrement. Benoît me dit « : Que sa jeunesse ne t'étonne pas : il est prêtre et martyr : c'est mon disciple Placide. » Je sentis, au goût, que je recevais le sacrement et que j'était sauvée. Ces messieurs semblèrent s'apercevoir de ce qui se passait, à cause de l'attitude que j'avais prise et cela les intimida.

 

(note) Cette apparition du grand précepteur de l'Occident se relia avec les souffrances d'Anne Catherine à l'occasion du petit maure d'école.

 

Il vint aussi un étranger couvert d'un manteau qui parla d'un ton sévère et les fit rougir de honte. Benoît dit alors : « Voilà comme sont ces prêtres. Ils aspirent à des emplois et passent outre lorsqu'ils rencontrent des malheureux, disant : « Je n'ai pas le temps » ou bien : « Ce n'est pas un devoir de ma charge, ce n'est pas d'usage, je n'ai pas d'ordre. » Placide me fit voir la parabole du Samaritain et comment il m'arrivait quelque chose de semblable. Prêtre et lévite passent outre : c'est un étranger qui vient à mon secours. »

         A partir du dimanche de la Quinquagésime, elle ressentit sans interruption de telles douleurs à tous ses stigmates que souvent elle en était tout étourdie. De plus elle était toujours à l'état de contemplation et elle reçut en vision, au milieu de ses tourments, une touchante consolation. Elle vit s'approcher d'elle successivement beaucoup de pauvres vieilles gens auxquels elle avait fait du bien dans sa jeunesse. Ils étalèrent devant elle sur une table ce qu'ils en avaient reçu. La vue de ces personnes et de tous les dons faits autrefois en habits et en aliments fut pour elle, si consolante qu'elle ne put s'empêcher de sourire su milieu des douleurs les plus cruelles, surtout parce que tous ces gens lui apparurent tout rajeunis tandis qu'elle même paraissait vieille, et que tous les vêtements qu'elle leur avait donnés avaient beaucoup meilleure apparence que lorsqu'elle leur en avait fait présent. Elle vit, par exemple, une pauvre femme à laquelle, à Coesfeld, elle avait donné dans un coin, par un jour très clair, une robe dont elle s'était dépouillée, puis un vieillard malade auquel elle avait fait des habits, envoyé des craquelins parce qu'étant malade elle-même, elle n'avait pas autre chose dans son coffre, et pour lequel elle avait acheté un paquet du meilleur tabac. Ces craquelins se représentèrent sur la table, âgés maintenant de plus de vingt ans, ce qui l'amusa beaucoup, et, à la place du tabac, le vieillard y posa un beau bouquet de fleurs (symbole de souffrances). Ensuite apparut une très vieille femme, rajeunie aussi maintenant, dont elle dit : « Je n'avais pas pensé à cette femme depuis bien longtemps. Elle avait une fille qui avait mal tourné. Elle se plaignit à moi de son malheur et de ce qu'elle ne pouvait pas ramener sa fille dans le bon chemin. Elle fit voeu de faire le chemin de la croix sur ses genoux pour obtenir de Dieu qu'il guérît l'aveuglement de sa fille, mais cela lui fut tout à fait impossible, car elle en serait morte. Il y avait trois lieues de chemin à faire et elle était vieille et infirme. Elle me parla de ce voeu et dit qu'elle était bien tourmentée de ne pouvoir l'accomplir. Je la consolai et lui promis de donner satisfaction à Dieu par d'autres moyens. Je m'échappai plusieurs fois, la nuit, pour prier à son intention au pied d'une croix qui était dans un champ prés de chez nous. »


« J'allai dans la terre sainte et je vis Notre-Seigneur au bord du Jourdain. Il disait que le temps approchait où il sauverait lui-même ses brebis et les mettrait en sûreté : les agneaux devaient être conduits pour cela sur une montagne et les brebis rangées autour d'eux. Le voyant si soucieux de ses agneaux, je pensai à mes persécuteurs et un coup d’oeil qu'il me fut donné de jeter sur eux me les montra comme courant à travers un désert. Le bon Pasteur me dit : « Quand je m'approche d'eux, ils m'injurient et me frappent. » Je commençai à prier pour eux de tout mon coeur : j'obtins aussi le don de la prière et j'espère que cela aura servi à quelque chose. Je reconnus que mes ennemis m'avaient été très utiles pour mon intérieur. Comme je priais pour eux, le doyen aussi me fut montré comme entrant dans un de ces complots qu'ils font contre moi, ce dont je fut très surprise (note) ».

 

(note) Le Pèlerin ajouta ici ces mots - « Cela semble un peu exagéré, mais on peut juger qu'Anne Catherine avait bien vu, d'après le fait rapporté intérieurement d'où il résulte que Rensing essaya de la diffamer comme coupable d'imposture.

 

         « J'eus à porter sur la grande route des malades, des boiteux, des estropiés, jusqu'à une église où tout était disposé avec beaucoup d'ordre. Je portai Rave que je trouvai sur le point de se noyer : je portai le landrath à travers un marais. : je trouvai Roseri tout brisé comme d'une chute faite de très-haut : pour lui aussi, je me suis donné bien de la peine... Je me trouvai en vision près d'un champ de blé et d'orge situé sur une hauteur : non loin de là étaient des fossés profonds, des marécages, des déserts avec beaucoup de méchantes bêtes qui voulaient déchirer les gens. Il me fallut nourrir ces bêtes pour qu'elles ne courussent pas dans les champs. Il me fallait chercher pour chacune d'elles avec beaucoup de fatigues et de sueurs une herbe différente, des baies différentes, et tout cela avec une angoisse inexprimable et au milieu des assauts incessants de ces animaux. Il me fallut porter et nourrir des chats, des tigres, des porcs et un chien très hargneux. Dans cette vision je fondis presque en sueur. Ces bêtes signifient les passions des hommes qui s'efforcent de se rendre maîtres de moi. Je me suis imposé une lourde tâche. J'ai entrepris, dans ce temps de carême, d'obtenir de Dieu, à force de prières, l'amendement de mes ennemis et l'extinction de leurs dettes envers lui. J'ai enfin tant travaillé qu'ils ne seront pas punis pour tout ce qu'ils m'ont fait souffrir jusqu'à présent, s'ils veulent rentrer en eux-mêmes. Je sens ce que veulent dire ces mots : « porter des péchés et expier par des souffrances... » J'ai aussi détourné par mes prières beaucoup de dangers qui me menaçaient, j'ai reçu à ce sujet un avertissement précis, et il m'a été dit aussi combien je suis redevable à la protection des saintes reliques. C'est aux saints que je dois d'avoir empêché l'entreprise projetée contre moi. Je ne m'étais pas trompée : j'ai vu avec certitude que ce projet venait du doyen. Je devais de nouveau être enlevée d'ici par six hommes, dont deux ecclésiastiques, et soumise à une enquête : mais j'ai vu que le vicaire général ne voulait pas y donner son adhésion :

 

         8. Anne Catherine était si certaine que sa prière avait été exaucée que, toutes ses plaies ayant saigné le 9 mars, elle le fit annoncer au doyen sans la moindre crainte. Le Pèlerin rapporte à ce sujet : « Dans la soirée du 9 mars elle saigna de tous ses stigmates ; le sang coula surtout abondamment de la tête. Elle n'a aucune inquiétude, malgré tout ce que se disent les uns et les autres, se demandant s'il faut faire connaître la chose et de quelle manière. Elle est constamment à l'état de contemplation, même quand elle est éveillée, et elle voit dans toutes les directions ce que les gens font et disent dans leurs maisons. Enfin elle tomba formellement en extase, et elle parut alors jeune et fraîche, sans aucune indice de vieillesse ou de souffrance. Il y avait, en outre,, sur son visage un éclat particulier ; elle souriait avec un mélange de dévotion et de gravité.


         « Elle saigna encore dans la nuit du 9 au 10 mars ; le matin elle le fit annoncer au doyen par son confesseur et crut avoir accompli par là l'engagement pris avec le landrath... Ses effusions de sang continuèrent jusque vers trois heures de l'après-midi : toutefois le doyen ne vint pas pour vérifier le fait. Elle l'avait fait engager par son confesseur à l'annoncer lui-même au vicariat ou au landrath. »


         Vendredi saint, 30 mars. « Ses souffrances ont été toujours croissant jusqu'à ce jour. Elle est continuellement en contemplation et avec cela il lui faut subir des visites de parents et d'amis. L'excès de ses souffrances et la terrible violence exercée sur son organisme obligé de se transformer, afin de rendre témoignage de la mort de l'Homme Dieu, font qu'elle sent moins les dérangements extérieurs, elle est livrée tout entière à la souffrance. A dix heures du matin, le Pèlerin trouva son front couvert de sang par la quantité de gouttes qui y avaient coulé : des gouttes de sang s'étaient arrêtées sur ses deux mains et, dans la partie intérieure des mains, elles avaient coulé dans les rides de la peau : il en était de même pour les pieds. Il essuya ce sang aussi bien que cela était possible avec les violentes douleurs qu'elle éprouvait. Elle était, en outre, dans une crainte continuelle de quelque tentative contre elle. Elle cacha ces effusions de sang au médecin et à l'abbé Lambert pour épargner à ce vieillard malade et craintif la terreur qu'il en aurait ressentie. Elle fit informer de tout le doyen qui lui fit dire de tenir sa conscience en repos sur ce qu'elle ne faisait rien dire au landrath et qui promit de tout prendre sur lui. Mais le doyen, après avoir été prévenu deux fois, ne vint pas pour se convaincre par ses propres yeux (note) ! Elle dit que Jésus avait rendu l'esprit sur la croix vers une heure. Jusqu'à six heures elle ne cessa pas d'être dans une angoisse inexprimable. Lorsqu'elle contempla la scène de la descente de croix et vit Marie recevant entre ses bras le corps de son fils, elle eut cette pensée : « Qu'elle est forte ! elle ne tombe pas une fois en défaillance ! » A l'instant elle entendit la voix de son conducteur qui la réprimanda et lui dit : « Ressens donc ce qu'elle a ressenti ! » Aussitôt elle reçut comme un coup d'épée qui : lui traversait le corps de part en part de sorte qu'elle perdit connaissance en présence du Pèlerin. Le Pèlerin avait placé sous ses pieds douloureux et sanglants un petit linge où étaient des reliques, lequel fut humecté de quelques gouttes de sang.

 

(note) Et cependant, avant qu'une année se fût écoulée, cet homme osa l'accuser d'imposture.

 

Lorsqu'ensuite le soir il lui mit les reliques, toujours placées dans ce linge, sur l'épaule qui la faisait souffrir particulièrement, elle s'écria en extase : « Chose étonnante ! Je vois mon époux vivant, entouré de milliers de saints dans la Jérusalem céleste, et je le vois là étendu mort dans le tombeau ! Et qu'est ceci ? Parmi ces saints si nombreux, je vois une personne, une religieuse, qui saigne aux mains, aux pieds, au côté, à la tête, et les saints se tiennent près de ses mains, de ses pieds, de son côté et de son épaule ! »

Dans le cours de l'année suivante, elle reçut cet avertissement : « Fais bien attention que tu verseras ton sang, en souffrant avec le Seigneur, le jour historique, et non le jour du calendrier ecclésiastique. » En 1821, le vendredi saint tombait le 20 avril et le Pèlerin rapporte à propos de ce jour : « Chose qui n'est jamais arrivée depuis qu'elle a les stigmates, elle n'a pas saigné le vendredi saint et les stigmates, encore très-visibles, il y a quelques jours, avaient, pour ainsi dire, disparu. Elle ne pouvait comprendre cela. Mais voilà qu'à la minute où elle voyait crucifier le Seigneur, le bourgmestre entra dans la chambre, « par ordre supérieur, » disait-il. Il regarda de côté et d'autre, questionna, se promena de long en large. Comme on se sentait confondu de voir, l'un près de l'autre, ce pauvre homme et la malade ! »


         Le 30 mars précédent ; le Pèlerin avait écrit : « Elle fête aujourd'hui le vendredi saint. Le Pèlerin la trouva, vers dix heures du matin, le visage tout inondé de sang, et le corps et les bras couverts de marques comme celles qu'auraient laissées des coups de fouet. Vers deux heures, le sang jaillit des mains et des pieds. Elle était en extase ; elle ne savait rien du monde extérieur, n'avait aucune crainte d'être découverte. Elle était toute absorbée dans la contemplation de l’œuvre de la Rédemption. »

 

9. Souffrances à propos des mariages mixtes.

« Je vis beaucoup d'églises de ce pays dans un triste état de décadence : il me semblait voir leur destinée future. Je vis de jeunes prêtres qui faisaient mal et précipitamment toutes leurs fonctions ; plusieurs paroisses avaient l'air de dépérir entièrement. Je vis la maison des noces de Munster. La vieille femme avec sa fille étaient dehors, mais il y avait là maintenant un homme âgé (diplomate, négociateur) que le démon semblait avoir dressé, tant il était caressant et rusé. Il avait si bien fait que la division était dans le clergé. Il y avait là une espèce de concile et je vis le sévère supérieur et Overberg s'unir cordialement et agir de concert. Il s'agissait d'affaires touchant le mariage. C'était très-triste : du côté de ces deux hommes, c’est-à-dire du côté du droit, se rangeaient tout au plus cinq autres personnes, parmi lesquelles un homme trés-avancé en âge. Le reste était contre eux. Il y avait une réunion très-nombreuse, et on se mit à se quereller de telle sorte que j'en fus tout effrayée. Alors ceux qui ne voulaient rien céder se retirèrent : les autres s'enfermèrent avec les luthériens. Ce qu'il y eut d'affligeant, c'est que quelques-uns plus tard adhérèrent en secret aux plus mauvais, par exemple R… Je vis que ce fut un grand désappointement pour Droste et Overberg.


         J'allai de nouveau à la maison des noces. Elle était pleine de monde ; une séparation s'était faite. Au-dessous étaient les bons autour de Droste et d'Overberg : près d'eux était aussi le jeune homme à l'uniforme bleu qui avait fait mine de vouloir se convertir. Il ne portait plus d'uniforme et ces messieurs ne juraient que par lui ; il était tout pour eux. Il y avait aussi des tables avec des calices et on envoya des jeunes gens en message : mais rien ne pouvait arriver à bien. A l'étage supérieur, on avait construit un escalier venant du dehors sur lequel se pressaient une quantité de personnes, hommes et femmes, ecclésiastiques et séculiers, catholiques et protestants. Il régnait là, en haut, une activité extraordinaire, mais on travaillait complètement en dehors de l'église ou même directement contre elle : et pourtant je vis là plusieurs prêtres à moi connus s'entendre avec les protestants contre ceux qui étaient en bas. J'en vis quelques-uns ayant un fardeau sur les épaules monter et descendre, et apporter quelque chose, mais ce qui me causa une horreur indicible, ce fut de voir que le jeune homme qui se donnait pour converti et auquel les gens d'en bas se fiaient si complètement, était un traître infâme et allait secrètement révéler en haut ce qui se faisait en bas. J'en fus si révoltée que je voulus courir, traverser la foule et dévoiler sa trahison. Je ne pouvais m’empêcher de pleurer, tant cela me faisait mal, mais mon conducteur me retint et me dit : « Le moment n'est pas encore venu : attends un peu, il se trahira lui-même. » J'eus longtemps ce spectacle sous les yeux et je vis enfin que quelque chose vint sur les gens qui se tenaient en haut et qu'ils furent jetés dehors tous ensemble. Tous ceux qui étaient montés par l'escalier, qui par conséquent n'étaient pas entrés dans le bercail par la vraie porte, furent chassés et s'enfuirent. Je vis ensuite dans le jardin un parterre de fleurs dans lequel était une étroite échelle montant jusqu'au ciel, et je vis une quantité de ces gens chassés et dispersés auxquels il ne fut pas permis d'y monter. J'en vis d'autres qui montaient jusqu'au haut et redescendaient pour prendre quelqu'un avec eux. Je vis refuser des gens qui semblaient des gens d'importance et l'échelle remonter en l'air devant eux : car elle tenait au ciel d'où elle était descendue. Or, près de cette échelle, se tenait un jeune homme armé d'un glaive, qui repoussait les indignes.


         Cette vision avait rapport aux mariages mixtes à l'occasion desquels Anne Catherine, jusqu'à sa mort, eut à endurer des souffrances indicibles. Ainsi, une fois, elle fut en proie pendant plusieurs jours à d'horribles douleurs dans le bas-ventre et elle pria presque tout le temps les bras en croix. Elle alla travailler dans la maison des noces, vit le projet qu'avait la cuisinière luthérienne d'unir sa fille illégitime avec le petit maître d'école qui avait grandi. Elle vit le clergé en butte à des persécutions et à des attaques de toute espèce au sujet des mariages mixtes qui devenaient plus nombreux. Il lui fallut mettre en mouvement plusieurs autres personnes adonnées à la prière, afin que des prêtres hésitants fussent amenés à la ferme résolution de maintenir le droit. Elle vit tout cela dans des tableaux. Il lui fut montré aussi, à dater de Moïse, à travers tout le cours de l'histoire ecclésiastique, comment l'Église n'a jamais permis les mariages mixtes hors les cas de nécessité absolue et comment de ces mariages il est toujours résulté de grands dommages et un notable affaiblissement pour l'Église. « Je vis comment Moïse, avant d'arriver au mont Sinaï, sépara entièrement du peuple et renvoya des Israélites dégénérés qui voulaient s'unir à des femmes païennes et avaient déjà eu commerce avec elles, et comment ceux-ci alliés, je crois, à des femmes Madianites, ne se maintinrent pas, mais se divisèrent de nouveau et finirent par se fondre avec les Samaritains que je vis à leur tour, par leur mélange avec des Assyriens, devenir des hérétiques et des idolâtres. Je vis, lors de la captivité de Babylone, des unions mixtes, contractées par nécessité, mais ayant des conséquences très-funestes. Je vis, à la naissance de l'Église, des mariages entre personnes de différentes croyances tolérés par nécessité et pour la propagation dé la foi ; mais jamais l'Église n'a souffert que les enfants devinssent païens ou hérétiques ; cela n'a jamais été fait que par la violence.


A dater du moment où l'Église fut solidement établie, je ne vis jamais permettre de semblables unions. J'ai vu des contrées entières où la foi orthodoxe s'est entièrement éteinte par suite de semblables mélanges : bien plus, j'ai vu que, si les projets touchant les mariages et les écoles réussissent, ici aussi dans cent ans les choses iront au plus mal. »


         Juillet 1821. « Elle est depuis une semaine en proie à de telles souffrances que souvent elle se tord sur son lit en gémissant. Elle ne peut trouver de repos, ni rester dans aucune position. En outre elle est toujours dans l'état de contemplation et exerçant une action à distance. Elle est, jour et nuit, occupée de l'église de son pays : elle voit toutes les misères présentes et futures. Elle a dit combien il lui était difficile de s'entretenir avec son entourage parce qu'elle est toujours absente en esprit. »

« Il faut, dit-elle, que j'aille, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre vers diverses personnes, pasteurs, ecclésiastiques, conseillers, soit isolés, soit réunis ensemble : il me faut suggérer quelque chose à chacun, et ce travail dure souvent toute la journée. Si j'arrive dans l'assemblée où ils délibèrent, je vois comment tel d'entre eux souvent veut adhérer ou souscrire à quelque chose qui ne vaut rien et cependant ne le fait pas, ou bien, quand il s'agit de transgresser la justice, est au moins forcé de s'en abstenir. J'ai aussi toujours des visions relatives aux écoles. Je vois de grands garçons opprimés par de petits enfants qui ne sont pas encore nés, mais dont je reconnais l'origine, et aussi de grandes filles opprimées par de plus petites. C'est l'image de nouveaux plans qui proviennent de l'union illégitime de l'orgueil et des fausses lumières. Je vois cela purement en figures et je connais la plupart du temps les pères de ces enfants ou de ces projets. » Un matin, le Pèlerin la trouva le corps tout contracté par les souffrances qu'elle éprouvait et en proie à une fièvre brûlante. Elle était à l'état de contemplation et ne savait rien de ce qui pouvait se passer autour d'elle. Alors sa soeur ayant annoncé qu'un pauvre était là, le Pèlerin lui donna quatre gros au nom de la malade, sans que celle-ci pût le savoir ou le remarquer. Mais à peine la soeur eut-elle porté cette aumône au pauvre qui attendait devant la porte que la malade remua la langue et les lèvres comme si elle eût mangé quelque chose et murmura ces paroles :

         « Comme c'est bon ! comme c'est bon ! D'où vient le morceau que tu m'as donné ? » Puis, quoiqu'un instant auparavant, elle ne pût pas remuer la main, elle se redressa sur son séant et dit en souriant, sans sortir de l'extase ; « Comme tu m'as réconfortée avec ce bon morceau. C'est un fruit cueilli sur un arbre céleste et il m'a été donné ! » Le Pèlerin, très-surpris de cet incident, écrivit dans son journal ; « Combien est intime l'union de cette âme avec le Christ, puisque l'on voit se réaliser en elle d'une manière si palpable ce mot de l'Évangile : « Ce que vous faites à un pauvre, vous me l'avez fait ! »

 

L'essence du rationalisme.

 

10. « Je me trouvai dans la maison des noces et je vis un bruyant cortège matrimonial arriver dans plusieurs carrosses. La fiancée, qui avait près d'elle beaucoup d'hommes et de femmes, était une personne de grande taille, à l'air effronté et avec une parure de courtisane. Elle avait sur la tête une couronne, sur la poitrine beaucoup de bijoux, trois chaînes et trois agrafes de clinquant auxquelles était suspendue une quantité d'instruments, de figures représentant des écrevisses, des grenouilles, des crapauds, des sauterelles, et aussi de petites cornes, des anneaux, des sifflets, etc. Son vêtement était écarlate : sur ses épaules s'agitait un hibou, lui parlant à l'oreille, tantôt à gauche, tantôt à droite : il semblait être son esprit familier. Cette femme, avec toute sa suite et de nombreux bagages, entra pompeusement dans la maison des noces et en chassa tous ceux qui s'y trouvaient. Les vieux messieurs et les ecclésiastiques eurent à peine le temps de ramasser leurs livres et leurs papiers, tous furent obligés de sortir, les uns pleins d'horreur, les autres pleins de sympathie pour la courtisane (note). Quelques-uns allèrent à l'église, d'autres dans diverses directions, marchant en groupes séparés. Elle renversa tout ce qui était dans la maison, jusqu'à la table et aux verres qui étaient dessus. Il n'y eut que la chambre où étaient les habits de la fiancée et la salle que j'avais vue se transformer en une église consacrée à la Mère de Dieu qui restèrent fermées et intactes. Elle avait avec elle, entre autres, cet hypocrite insigne dont je vis en dernier lieu tous les manèges : il avait tout crédit sur elle. Le savant jeune garçon était son enfant ; il avait grandi et se mettait partout en avant avec beaucoup d'effronterie. Chose remarquable, la courtisane, tout son attirail et ses livres fourmillaient de vers luisants, et elle avait l'odeur infecte de ce scarabée brillant qui sent si mauvais. Les femmes qui l'entouraient étaient des prophétesses magnétiques : elles prophétisaient et la soutenaient. Il est bon qu'il y ait des gens de cette sorte : ils poussent en avant, puis enfin la chose éclate et la séparation se fait entre le bien et le mal. Lorsqu'elle eut tout dévasté dans la maison, elle alla dans le jardin avec sa suite et ils foulèrent beaucoup de choses sous leurs pieds : là où elle passait, tout se desséchait, noircissait, devenait plein de vers et d'infection.

 

(note) Je vis une fois la mère de cette femme apprêter dans la maison des noces, avec une herbe qui croît très-rapidement et qui a de grosses fleurs jaunes d'une odeur très-forte, un potage pour des savants qui devaient grandir avec la même rapidité que l'herbe en question. Ils venaient et mangeaient souvent de ce potage. »

 

Mais cette ignoble fiancée voulait se marier et, qui plus est, à un jeune prêtre pieux et éclairé. Je crois que c'était un des douze que je vois souvent opérer des oeuvres importantes sous l'influence de l'Esprit-Saint. Il s'était enfui de la maison devant cette femme. Elle le fit revenir en lui adressant les paroles les plus flatteuses. Quand il arriva, elle lui montra tout et elle voulait tout remettre entre ses mains. Il s'arrêta quelque temps : mais comme elle se montrait avec lui pressante et sans retenue, et qu'elle employait tous les moyens imaginables pour le porter à la prendre pour femme, il prit un air très-grave et très imposant : il la maudit ainsi que tous ses manèges, comme étant ceux d'une infâme courtisane, et se retira. Alors je vis tout ce qui était avec elle s'enfuir, céder la place, mourir et noircir. Toute la maison des noces devint en un instant sombre et noire, et les vers qui y fourmillaient commencèrent à piquer et à ronger tout. Et la femme elle-même, rongée entièrement par les vers, tomba par terre et resta étendue sur le sol, conservant sa forme extérieure : mais tout en elle était décomposé et comme de l'amadou. J'ai aussi écrasé quelques-uns des vers qui gisaient là sans vie et dont l'extérieur reluisait : ils étaient intérieurement desséchés et carbonisés. Mais quand tout fut réduit en poussière et que le silence régna partout, le jeune prêtre revint et avec lui deux autres dont l'un, qui était un homme âgé, semblait envoyé de Rome. Il portait une croix qu'il planta devant la maison des noces, devenue toute noire : il tira quelque chose de cette croix, entra dans la maison, ouvrit toutes les portes et les fenêtres, et il sembla que les autres qui étaient devant la maison priaient, consacraient et exorcisaient. Il s'éleva un orage impétueux qui passa à travers la maison et il en sortit une vapeur noire qui s'en alla au loin vers une grande ville où elle se partagea en nuages de diverses grandeurs. Quant à la maison, elle fut de nouveau occupée par un nombre choisi parmi les anciens habitants : on y installa aussi quelques-uns de ceux qui étaient venus avec l'impure fiancée et qui s'étaient convertis. Tout fut purifié et commença à prospérer. Le jardin aussi revint à son premier état. »

 

11. Le corps de l'Église. Travaux de la moisson.

 

Juin 1820. « J'allai dans l'église de la maison des noces., Il y avait une cérémonie qui était comme une préparation au départ des moissonneurs. Je vis dans l'église le Seigneur Jésus comme pasteur, les apôtres et les disciples, beaucoup de saints et d'âmes bienheureuses dans le choeur supérieur, et sur le pavé de l'église, un grand nombre d'ecclésiastiques et de laïques vivants dont beaucoup m'étaient connus. Il semblait qu'on faisait des prières pour que la moisson fût bénie, qu'il y venait des travailleurs, et que Jésus invitait à moissonner, disant : « La moisson est abondante, mais il y a peu d'ouvriers : priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. » Et c'était comme si le Seigneur donnait mission à ses disciples et à ses apôtres suivant le rite de l'Église, comme il l'avait fait pendant qu'il était sur la terre. Je sortis, moi aussi, pour aller moissonner ainsi que quelques-uns des prêtres et des laïques vivants. Toutefois plusieurs s'y refusèrent : ils s'excusèrent et restèrent en arrière, mais, à leur place, je vis s'avancer beaucoup de saints et de bienheureux. Je vis alors le champ à moissonner près de la maison des noces et, sur ce champ, je vis un corps se dressant vers le ciel. Il était horriblement mutilé, certaines parties des mains et des pieds avaient été retranchées et il y avait de larges ouvertures en beaucoup d'endroits. Plusieurs de ces blessures étaient récentes et saignaient encore, d'autres étaient recouvertes d'une chair courte et pourrie ; d'autres présentaient comme des excroissances cartilagineuses. Tout un côté du corps était noir, gangrené et comme rongé. Mon guide m'expliqua que c'était le corps de l'Eglise et aussi le corps du genre humain, et il me montra comment chaque plaie et chaque mutilation se rapportaient à une partie du monde. Je vis d'un seul coup d'oeil, à une très grande distance, des peuples et des hommes de moeurs et de costumes différents qui avaient été séparés. Je ressentis la douleur causée par la séparation de ces membres comme s'ils eussent été retranchés de mon propre corps. « Un membre n'aspire-t-il pas à se réunir à l'autre, ne souffre-t-il pas à cause de lui et ne doit-il pas travailler pour qu'il guérisse et se rattache de nouveau au corps ? un membre ne doit-il pas souffrir pour que l'autre guérisse ? » Ainsi me parla mon conducteur. Les plus proches, ceux dont la séparation a été la plus douloureuse, sont ceux qui ont été retranchés de la poitrine autour du coeur. Je pensais, dans ma simplicité, que c'étaient les frères et soeurs et les proches parents, et ma soeur alors me revint en mémoire, mais il me fut dit : « Qui sont mes frères ? Ceux qui gardent les commandements de mon père sont mes frères ; ce ne sont pas les parents selon la chair qui sont les plus proches et les plus voisins du coeur. » Les proches parents de Jésus-Christ sont ceux qui lui étaient unis par leurs sentiments, les catholiques qui ont fait défection. Or je vis que le côté noir se guérirait bientôt. La chair morte qui remplit les blessures, ce sont les hérétiques : ceux qui ne sont plus en communauté de sentiments sent la partie gangrenée. Je vis chaque membre, chaque blessure et leur signification. Le corps atteignait jusqu’au ciel. C'était aussi le corps du Christ. Cette vue me fit oublier mes souffrances et je me mis à travailler de toutes mes forces, à couper, à lier et à tout porter dans la maison des noces. Je vis les saints aider d'en haut et les douze futurs apôtres prendre part successivement au travail. Je vis des travailleurs vivants, mais en petit nombre et placés loin les uns des autres. Je succombais presque à la peine et j'avais grand mal aux doigts à force de lier des gerbes. J'étais inondée de sueur. J'avais précisément une gerbe de forts épis de froment ; ces épis me piquaient et je n'en pouvais plus de fatigue : alors un homme très bien vêtu, aux manières insinuantes, vint à moi et me dit qu'il fallait laisser là ce travail, que je n'étais pas de force à le supporter et que ce n'était pas mon affaire. Je ne le reconnus pas d'abord, mais quand il se mit à me faire la cour et me promit que j'aurais de beaux jours avec lui, je vis que c'était le diable et je le repoussai rudement, sur quoi il disparut. Je vis tout le champ de moisson entouré d'un cep de vigne d'une grandeur démesurée, je vis les nouveaux apôtres y travailler vigoureusement et en inviter d'autres à faire comme eux. Quand la moisson fut terminée, il y eut une grande fête d'actions de grâces célébrée par tous ceux qui avaient pris part au travail. »

 

Symbole consolant de l'effet de ses prières.

 

         « Je suis encore très-fatiguée de mon travail et j'ai des douleurs dans tous les membres. Étant sur le champ voisin de la maison des noces, j'entrai dans une vaste grange vide et j'y trouvai dans un coin quelques pauvres gens. Ils étaient affamés et je me demandais comment je pourrais les assister : mais il arriva un nombre toujours croissant de personnes de haut rang ou de petite condition, venant de près ou de loin, connus ou inconnus, ecclésiastiques ou laïques, de tout âge, de toute profession, de tout sexe, et toutes voulaient qu'on leur vint en aide. Mon guide me dit que je pouvais fournir à tout si je voulais travailler vigoureusement. Et comme je m'y montrais toute disposée, il me conduisit à travers une prairie à un grand champ de seigle et de froment. Ces gens me suivirent et ils se rassasiaient en mangeant des épis : mais ensuite je les mis tous en rang et les chargeai de moissonner, de lier les gerbes, de, les porter, et il me fallut tout ordonner et veiller à tout. Les gens de distinction étaient chargés seulement de la surveillance, mais tous ces travailleurs étaient la plupart paresseux et maladroits, leurs gerbes ne pouvaient pas se tenir debout. Il me fallait toujours en placer une au milieu de manière à ce que les autres s'y appuyassent. Le blé fut porté dans la grange, battu et divisé en une quantité de parts. Dans, l'étage supérieur de la grange on en plaça une grande partie qui fut attribuée au Pape, une autre partie fut donnée à un évêque très-pieux qui m'était inconnu. une autre encore au vicaire général et à notre pays. Je vis toutes les paroisses, et par endroits certains prêtres de notre pays recevoir peur part. Quelques-uns reçurent beaucoup, d'autres peu ; les bons reçurent davantage, les meilleurs plus de froment que de seigle. Il y en avait de mauvais qui n'eurent rien du tout. Il y eut très-peu de chose pour ce pays : le curé de H. eut une très-forte,part, le confesseur reçut une petite portion d'un setier. Du reste on donna à tous ceux qui demandèrent. Parfois un simple vicaire eut sa part tandis que le curé ne recevait rien. Mon guide travailla et distribua. Je me suis tellement fatiguée à ce travail que je ne puis encore me remettre. »