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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH
CHAPITRE XI
- RAPPORTS AVEC LES AMES DU PURGATOIRE.
- LES ANGES.
- LES HABITATIONS DE LA JRUSALEM CLESTE.
Dans ce qui prcde il a t dj souvent question de la profonde compassion pour les mes du purgatoire qui poussait Anne Catherine prier sans relche et faire sans cesse pour elles toute espce de sacrifices et d'oeuvres de charit. Nous rassemblerons maintenant celles de ses visions qui embrassent le plus de choses touchant les divers tats de souffrance des dfunts ; nous parlerons en mme temps de divers travaux faits pour les assister, afin que le lecteur puisse avoir une image aussi complte que possible de son incroyable activit.
La premire fois que le Plerin passa prs d'elle la fte de la Toussaint et le jour des Morts, le voyant partager cette indiffrence gnrale envers les dfunts, qui fait que nous nous tranquillisons si facilement sur leur sort par la pense que les secours que nous pouvons leur donner ne leur sont plus ncessaires ou ne le sont plus un haut degr, quoiqu'il en soit tout autrement dans la ralit, elle disait souvent en gmissant : Ç Il est triste de voir combien on pense peu secourir les mes du purgatoire. Et pourtant leur misre est si grande! Elles ne peuvent pas s'aider elles-mmes! Mais quand quelqu'un prie pour elles, souffre quelque chose pour elles, fait l'aumne pour elles, cela leur profite aussitt. Elles sont alors aussi joyeuses, aussi heureuses qu'un homme mourant de soif auquel on prsente une boisson rafrachissante. È
Et quand elle voyait que ses paroles faisaient impression sur le Plerin, elle lui montrait aussi quel pouvoir de consolation et d'assistance rside dans les actions mritoires offertes Dieu avec une intention pure pour les pauvres mes, par exemple dans les pratiques d'abngation de soi-mme et de mortification de la volont propre, dans les victoires remportes sur les mauvais penchants, dans les actes de patience, de douceur, de profonde humilit, de pardon sincre, de bienveillance vritable, etc.
Ç Ah ! disait-elle souvent, combien les pauvres mes ont souffrir cause de l'abandon o elles sont laisses, par suite du relchement dans la pit, du manque de zle pour la gloire de Dieu et le salut du prochain! Comment peut-on les secourir sinon par la charit qui satisfait pour elles, qui offre pour elles ces actes de vertu qu'elles-mmes ont le plus ngligs pendant leur vie? Les saints dans le ciel ne pouvant plus faire pnitence et satisfaire pour elles, elles n'ont attendre de secours que des enfants de l'Eglise militante. Et avec quelle ardeur elles le dsirent ! Elles savent qu'aucune bonne pense, qu'aucun dsir srieux qu'a un vivant de leur faire du bien ne reste sans effet et pourtant combien peu s'occupent d'elles ! Un prtre qui dit son brviaire dvotement dans la pense de suppler les manquements que les pauvres mes ont encore expier, peut leur procurer des consolations incroyables. De mme, la vertu de la bndiction sacerdotale pntre jusque dans le purgatoire et rafrachit, comme une rose cleste, les mes auxquelles elle est envoye avec une foi ferme. Celui qui pourrait voir tout cela comme je le vois, chercherait certainement les assister de tout son pouvoir.
Elle plaignait par-dessus tout ces dfunts que ceux qui leur survivent louent outre mesure et lvent jusqu'au ciel pour leurs qualits et leurs avantages naturels, ou auxquels ces mmes survivants portent une affection molle et exagre, au point de ne pouvoir supporter la pense qu'ils soient encore dans un tat de souffrance et de purification: car elle voyait leurs mes comme les plus dnues et les plus dlaisses de toutes celles qui sont dans le purgatoire.
Ç Je vois toujours, disait-elle souvent, les louanges immodres comme un vol, comme une soustraction faite au prjudice de celui auquel sont prodigus ces loges immrits. È
Un jour qu'Anne Catherine avait eu avec le Plerin, que ces sortes d'avertissements touchaient profondment, un long entretien sur les rapports des survivants avec les morts, il runit dans ce qu'on va lire ce qui lui parut le plus remarquable dans les discours de la voyante.
Tout ce que l'homme pense, dit et fait, a en soi quelque chose de vivant qui a son effet pour le bien ou pour le mal. Celui qui a fait le mal, doit se hter d'effacer sa faute par le repentir et la confession dans le sacrement de pnitence; autrement il lui est difficile ou mme impossible d'empcher les consquences du mal qu'il a fait de se dvelopper entirement. J'en ai souvent eu la perception, mme physique, dans les maladies et les souffrances de certaines personnes et dans la maldiction attache certains lieux, et il m'a toujours t montr que la faute non expie ni pardonne a des effets postrieurs incalculables. J'ai vu le chtiment de bien des pchs s'tendant une postrit loigne, comme quelque chose de naturel et de ncessaire, de mme que l'effet de la maldiction attache un bien mal acquis ou l'horreur involontaire devant des lieux o de grands crimes ont t commis. Je vois cela comme aussi naturel et aussi ncessaire qu'il l'est que la bndiction bnisse et que ce qui est saint sanctifie. Depuis que j'ai l'usage de la raison, j'ai un sentiment trs-vif de ce qui est bnit et de ce qui est profane, de ce qui est saint et de ce qui ne l'est pas. Ce qui est saint m'attire et m'entrane aprs soi, d'une manire irrsistible : ce qui est profane me repousse, m'inquite, me fait frissonner, me force le combattre par la foi et la prire. Cette impression a toujours t pour moi particulirement claire et vive prs des ossements humains, bien plus, prs du plus petit grain de poussire venant d'un corps habit jadis par une me. La force de ce sentiment en moi m'a toujours oblige de croire qu'il y a un certain rapport qui lie toutes les mes leurs corps car je me suis trouve dans les tats les plus divers, j'ai vu trs distinctement se produire les effets les plus tranges prs des ossements reposant dans les tombeaux et les cimetires. J'ai eu prs de certains ossements le sentiment de la lumire, de la bndiction surabondante et du salut prs d'autres j'ai eu celui de divers degrs de pauvret et d'indigence, et j'ai senti qu'on me suppliait de venir en aide par la prire, le jene et l'aumne. Mais, prs de quelques tombeaux, j'tais remplie d'pouvante et d'horreur. Quand j'avais prier la nuit dans le cimetire, j'prouvais sur les tombeaux de cette espce la sensation de tnbres plus profondes que la nuit elle-mme; il faisait l plus noir que dans le noir: c'tait comme quand on fait un trou dans un drap noir, ce qui fait paratre la teinte encore plus sombre. J'ai vu bien des fois s'lever de ces tombeaux comme une vapeur noire qui me faisait frissonner. Il m'est aussi arriv, quand le dsir de porter secours me portait pntrer dans ces tnbres, de sentir devant moi quelque chose qui repoussait le secours offert. La foi vive dans la trs-sainte justice de Dieu tait alors pour moi comme un ange qui me faisait sortir des horreurs d'un semblable tombeau. Sur d'autres tombes je voyais une colonne d'ombre d'un gris tantt plus clair, tantt plus terne, sur plusieurs une colonne de lumire, un rayon plus apparent ou plus faible: sur plusieurs je ne voyais rien paratre, ce qui m'attristait toujours excessivement. J'eus la conviction intrieure que les rayons plus clairs ou plus ternes sortant des tombeaux taient le moyen par lequel les pauvres mes exprimaient quel degr elles avaient besoin d'assistance, et que celles qui ne pouvaient donner aucun signe taient dans la partie la plus recule du purgatoire et absolument sans secours, que personne ne pensait elles, qu'elles taient prives de toute possibilit d'agir et rejetes au plus loin quant aux rapports avec le corps de l'glise. Quand je priais sur quelqu'un de ces tombeaux, j'entendais souvent une voix sourde, brise, arriver moi des profondeurs de lÕabme et me dire en gmissant Ç aide-moi sortir È Et je sentais distinctement en moi-mme l'angoisse d'une personne absolument dnue de tout secours. Je priais toujours pour ces dlaisss, ces oublis, avec plus d'ardeur et de persvrance que pour les autres, et j'ai vu souvent monter peu peu sur quelques-uns de ces tombeaux vides et muets des colonnes d'ombre gristre qui allaient s'claircissant de plus en plus mesure que le secours de la prire tait continu. Les tombeaux sur lesquels je voyais des colonnes d'ombre plus claires ou plus ternes, m'taient dsigns comme les tombeaux de ces dfunts qui ne sont pas entirement oublis, pas entirement enchans et qui, par le degr de purification o leur supplice expiatoire les a fait parvenir, ou par l'aide et les prires d'amis vivants, se trouvent dans un commerce plus ou moins consolant avec l'glise militante de la terre. Dieu leur fait encore la grce de pouvoir donner un signe de leur participation la communion des saints ; ils sont en voie d'accroissement quant la lumire et la batitude; ils nous implorent, car ils ne peuvent s'aider eux-mmes, et ce que nous faisons pour eux, ils l'offrent pour nous Notre Seigneur Jsus-Christ. Ils m'apparaissent toujours comme de pauvres prisonniers qui peuvent encore provoquer la piti de leurs semblables par un cri, par une prire, par une main tendue hors de la prison. Quand je voyais un cimetire o ces apparitions passaient devant mon me, avec leur degr diffrent de lumire et d'obscurit, le tout tait comme un jardin qui n'est pas partout galement cultiv ou dont une partie est tout fait en friche. Quand ensuite je priais et travaillais et que je poussais d'autres personnes en faire autant, il me semblait que les plantes se redressaient, que nous remuions et rafrachissions la terre, quÕune semence entirement cache se produisait au jour et que la rose et la pluie venaient sur le jardin. Ah! si tout le monde voyait cela comme moi, on travaillerait certainement dans ce jardin avec bien plus de diligence encore que je ne le fais. Lorsque dans des visions de ce genre, je visite des cimetires, je puis aussi bien me rendre compte de la charit et du zle chrtien d'une paroisse que je puis autour d'un village apprcier, d'aprs l'tat des champs et des jardins, la diligence et l'activit des habitants quant aux choses temporelles. Depuis que je suis au monde, Dieu m'a souvent accord la grce de voir de mes yeux beaucoup d'mes monter avec une joie indicible du purgatoire dans le ciel. Mais comme on ne peut ni travailler fructueusement, ni aider ceux qui souffrent, sans efforts, sans luttes et sans combats, souvent, lorsqu'tant un enfant plein de sant o une jeune fille robuste, je priais sur les tombeaux ou dans le cimetire, j'ai t trouble, effraye et maltraite d'une rude faon par des mes damnes ou mme par le dmon lui-mme. Des bruits soudains et des spectres effrayants m'environnaient; souvent j'tais renverse sur les tombeaux, souvent j'tais jete de ct et d'autre, quelquefois mme une force invisible cherchait me retenir hors du cimetire. Mais Dieu m'a fait la grce de ne jamais m'effrayer et de ne jamais reculer d'un pas devant l'ennemi : quand j'tais interrompue, je redoublais de prires. Oh ! combien de remerciements j'ai reus des pauvres mes ! Pourquoi tous les hommes ne veulent-ils pas partager cette joie avec moi ? Quelle surabondance de grces n'y a-t-il pas sur la terre? Mais combien on les oublie, et combien on les laisse se perdre, pendant que les pauvres mes soupirent si ardemment aprs ces grces ! Dans les lieux divers o elles endurent des supplices de toute espce, elles sont pleines d'angoisses et de dsirs; elles languissent dans l'attente du secours et de la dlivrance. Et quelque grande que soit leur dtresse, elles louent pourtant notre Seigneur et Sauveur. Tout ce que nous faisons pour elles, est une source de biens infinis. >
2. Fte de la Toussaint et jour des Morts (1819).
Ç J'ai fait un grand voyage avec mon conducteur. Il est impossible de rendre ce que sont ces prgrinations. Je ne me souviens pas alors qui je suis et comment je suis. Je vais tranquillement avec lui travers toute sorte de lieux : je regarde et je suis contente. Quand j'interroge, je reois une rponse, et quand je n'en reois pas, je suis encore contente. Nous traversmes la ville o ont eu lieu tant de martyres (Rome), puis nous allmes au-del de la mer, travers des pays dserts jusqu' l'endroit o existait autrefois la maison de sainte Anne et de Marie : l je m'levai de dessus la terre. Je vis les cohortes innombrables des saints avec leur varit infinie. Et pourtant dans l'me et le sentiment intrieur tout cela ne faisait qu'un. Tous vivaient et se mouvaient dans une vie d'allgresse et tous se pntraient mutuellement et se miraient les uns dans les autres. Ce que je voyais tait comme une coupole incommensurable pleine de trnes, de jardins, de palais, d'arcades, de guirlandes de fleurs, d'arbres, et tout tait reli par des voies et des chemins qui brillaient comme de l'or et des pierres prcieuses. Tout en haut, au centre, tait une splendeur infinie, le sige de la Divinit. Les saints taient groups selon leurs relations et leurs liens spirituels. Tous les religieux taient runis selon les ordres auxquels ils avaient appartenu et, dans ceux-ci, ils taient encore rangs par catgories, placs plus haut ou plus bas selon les combats personnels qu'ils avaient livrs. Ceux qui avaient souffert le martyre ensemble se tenaient ensemble, classs selon le degr de leur victoire. Les classes d'hommes qui, sur la terre, n'avaient reu aucune conscration ecclsiastique, taient ranges selon leurs progrs dans la vie spirituelle. C'tait une hirarchie particulire forme d'hommes de toutes les classes ainsi rangs d'aprs les efforts qu'ils avaient faits pour se sanctifier. Ils taient rpartis avec un ordre merveilleux dans les jardins et les habitations. Les jardins taient pleins de charme et revtus d'une splendeur inexprimable. Je vis des arbres avec de petits fruits jaunes lumineux. Ceux qui taient associs par la ressemblance de leurs efforts pour se sanctifier, avaient une aurole de mme forme qui tait comme un habit religieux surnaturel : ils se distinguaient d'ailleurs par divers insignes se rapportant leurs victoires. Ils portaient des couronnes et des guirlandes, tenaient des palmes la main, et formaient un mlange de toutes les professions et de tous les pays. Je vis entre autres un prtre connu de moi, qui me dit: Ç Ta tche n'est pas finie. È Je vis aussi de grandes troupes de soldats vtus la romaine et beaucoup de gens de ma connaissance. Tous chantaient ensemble, et je chantai avec eux un cantique plein de charme. Je regardai aussi en bas vers la terre et je la vis comme une petite le au milieu des eaux; autour de moi tout tait incommensurable.. Ah! la vie est si courte, elle finit si vite et on peut tant gagner que je ne dois pas m'attrister. JÕaccepterai volontiers et joyeusement toutes les souffrance possibles de la main de Dieu! È
2 novembre : Ç J'allai avec mon conducteur dans lin lieu o taient renfermes des mes. L'aspect en tait morne. J'allai de tous les cts et je donnai des consolations. Je vis ces mes enfonces dans les tnbres, les unes moiti, les autres jusqu'au cou, toutes plus ou moins. Elles taient les unes prs des autres, mais chacune comme dans une prison spare. Quelques-unes souffraient de la soif, d'autres du froid, d'autres du chaud : elles ne pouvaient pas s'aider et taient en proie des tortures et des dsirs infinis. J'en vis dlivrer une trs grande quantit : leur joie est inexprimable. S'levant en grand nombre sous la forme d'esprits d'apparence gristre, elles recevaient pour un peu de temps, pendant leur court trajet un lieu plus lev, les vtements et les marques distinctives de leur tat, tels qu'elles les avaient ports sur la terre. Le lieu o elles se rassemblaient tait un grand espace situ au-dessus du purgatoire et qui tait entour comme d'une haie d'pines. Je vis l la dlivrance de plusieurs mdecins : ils furent reus par une espce de procession forme, d'hommes qui avaient t mdecins comme eux, et elle les conduisit plus haut. Je vis aussi l'largissement d'un trs grand, nombre de soldats ce qui me fit grand plaisir pour les pauvres gens tus la guerre. Je vis peu de religieuses, encore moins de juges; mais beaucoup de vierges qui se seraient consacres la vie du clotre si elles en avaient eu l'occasion et je les vis emmener par de bienheureuses nonnes. Je vis aussi quelques anciens rois, quelques personnes de familles royales, un grand nombre d'ecclsiastiques et aussi beaucoup de paysans. Parmi toutes ces mes, j'en vis beaucoup de ma connaissance, beaucoup qu' leur costume je jugeai appartenir des pays trangers. Chaque classe
tait conduite en haut dans diverses directions par des mes de mme condition et, dans cette ascension, ils perdaient leurs insignes terrestres et recevaient un vtement de lumire propre aux bienheureux. Je reconnus dans le purgatoire non-seulement les gens de ma connaissance, mais aussi des parents de mes amis que je n'avais jamais vus. Je vis dans le plus grand abandon ces pauvres bonnes mes qui n'ont personne qui se souvienne d'elles, et, parmi ceux qui les oublient, il y a un si grand nombre de nos frres dans la foi qui ngligent la prire ! C'est pour ces mes que je prie le plus. Ensuite j'entrai dans une autre vision. Je me trouvai tout coup en costume de petite paysanne tel que je le portais dans mon enfance. J'avais un bandeau sur le front et un bonnet sur la tte. Mon conducteur me conduisit au-devant d'une troupe lumineuse qui venait du ciel. Ce n'taient que des figures couronnes, et au-dessus d'elles planait le Sauveur avec un bton blanc surmont d'une croix o flottait une petite bannire. Elles taient une centaine; la plupart taient des vierges; il n'y avait qu'un tiers d'hommes. Tous portaient des vtements royaux trs brillants o les couleurs de diverses auroles rayonnaient les unes travers les autres, ce qui en faisait un spectacle des plus admirables. Ils avaient sur la tte des couronnes circulaires ouvertes et aussi des couronnes fermes. Parmi eux plusieurs taient distingus par des blessures visibles autour desquelles se rpandait une lueur rougetre. Je fus mene eux par mon conducteur : j'tais excessivement intimide et ne savais pas comment moi, pauvre paysanne, je devais parler ces rois. Mon guide me dit : Ç Tu peux, toi aussi, devenir ce qu'ils sont È; et alors, la place de mon habit de paysanne, je fus revtue d'une blanche robe de religieuse : je vis autour de moi tous ceux qui avaient t prsents ma prise d'habit et notamment les religieuses de notre couvent arrives la batitude. Je vis que plusieurs personnes que j'avais connues pendant leur vie et auxquelles j'avais eu affaire, levaient les yeux vers moi du purgatoire. Je reconnus de vraies et de fausses sympathies. Plusieurs me suivaient des yeux avec tristesse et se repentaient de bien des choses lorsque je fus forc de m'loigner d'eux. C'taient des bourgeois de la petite ville.
3. Fte des Anges gardiens (1820).
Je vis une glise de la terre o se trouvaient beaucoup de personnes que je connaissais. Au-dessus d'elle, je vis plusieurs autres glises dans lesquelles le regard pntrait comme dans les tages d'une tour. Toutes ces glises taient remplies de choeurs angliques et chacun d'une manire diffrente. Au point le plus lev, je vis la trs sainte Vierge devant le trne de la sainte Trinit et entoure de la plus haute hirarchie cleste. Au-dessous je vis l'glise : au-dessus c'taient comme des cieux superposs les uns aux autres et o il n'y avait que des anges. En haut rgnaient un ordre et une activit indescriptibles en bas, dans l'glise, tout se faisait avec une apathie et une ngligence sans nom : on s'en apercevait surtout parce que c'tait la fte des anges, et parce que les anges portaient en haut jusqu' Dieu avec une incroyable rapidit toutes les paroles que les prtres prononaient sans respect et sans attention en disant la sainte messe, et qu'ils rparaient tous les manquements contraires l'honneur d Dieu. Je vis dans l'glise une surprenante activit des anges gardiens prs des hommes. Je vis comment ils chassaient loin d'eux d'autres esprits, en mme temps qu'ils leur suggraient de bonnes penses et leur prsentaient des tableaux mouvants. Les anges gardiens se complaisent dans les ordres de Dieu : la prire de leurs protgs augmente encore leur zle. J'ai vu entre autres choses que tout homme, sa naissance, reoit deux esprits, l'un bon, l'autre mauvais. Le bon est cleste par sa nature, mais appartenant la hirarchie infrieure : le mauvais n'est pas encore un diable, il n'est pas encore dans les supplices : mais il est priv de la vision de Dieu. Je vois toujours dans un certain cercle autour de la terre, neuf corps ou espaces sphriques comme des astres lointains : je les vois habits par des esprits de diverse nature et je vois partir d'eux des bandes de rayons dans lesquelles on peut suivre chaque ligne jusqu' un point quelconque de la terre : j'ai toujours pens qu'ils sont par l en rapport avec la terre. Ces neuf mondes peupls d'esprits forment comme trois sections ; au-dessus de chacune d'elles, je vis un autre grand ange siger sur un trne : l'un tient un sceptre, l'autre une verge, le troisime une pe. Ils ont des couronnes, de longues robes, et leur poitrine est toute orne de rubans. Dans ces mondes habitent les mauvais esprits qui, la naissance de chaque homme, s'associent lui par un rapport intime que je vois alors clairement et que j'admire, mais que je ne puis expliquer prsent. Ces esprits ne sont pas diaphanes et attrayants comme les anges ; ils reluisent la vrit, mais c'est une lueur extrieure et trouble, c'est comme un reflet. Les uns sont paresseux, languissants, rveurs, mlancoliques, les autres violents, irascibles, farouches, obstins, pleins de raideur ou bien encore fertiles en jongleries, etc. C'est comme s'ils taient des passions. Ils sont colors et j'ai remarqu chez eux les mmes couleurs que je vois se manifester travers les hommes lorsqu'ils prouvent des souffrances et des combats intrieurs, et qui, transfigures dans l'aurole des martyrs, rayonnent hors d'eux et se fondent dans la lumire qui les entoure. C'est comme si les passions chasses d'eux par les souffrances devenaient pour eux des couleurs triomphales. Ces esprits ont dans le visage quelque chose de svre, de tranchant, de violent, de pntrant : ils s'attachent avec une tnacit extraordinaire l'me humaine comme les insectes attirs en foule par certaines odeurs et certaines plantes. Ils provoquent dans l'homme des convoitises et des penses de toute espce. Toute leur personne est pleine de rayonnements et d'amorces attrayantes, comme d'aiguillons subtils : ils ne produisent par eux-mmes aucun acte, aucun pch : mais ils soustraient l'homme aux influences divines; ils l'ouvrent au monde, l'enivrent de lui-mme, le lient, l'attachent la terre de diverses manires ; quand il leur cde, il entre dans les tnbres, et alors le diable s'approche et imprime comme un sceau ; c'est un acte, un pch, cela devient comme une naissance : la sparation d'avec ce qui est divin s'est accomplie. J'ai vu spcialement comment la macration et le jene affaiblissent beaucoup l'influence de ces esprits, facilitent l'approche et l'action de lÕange gardien et comment par-dessus tout la rception des sacrements est un moyen de leur rsister. J'ai vu que certaines inclinations et antipathies des hommes, certains dsirs et dgots involontaires dpendent de ces influences, et que spcialement le dgot qu'inspirent certaines btes, notamment la vermine et les insectes, tire d'eux une signification mystrieuse : que les insectes qui nous sont particulirement antipathiques sont les images des pchs et des passions auxquels nos rapports avec ces esprits nous rendent le plus enclins. J'ai su aussi que lorsqu'on voit avec dgot de la vermine, on doit toujours se rappeler ses pchs et ses mauvaises qualits dont ces insectes sont la figure. J'ai vu de ces esprits prsenter dans l'glise plusieurs personnes des parures et des frivolits de toute espce et les tourner vers toute sorte de convoitises : souvent aussi j'ai vu l'ange gardien passer au milieu d'eux et remettre l'homme dans la bonne voie. Je ne puis rendre la varit infinie de ces visions.
J'ai vu que les grands de la terre ont prs d'eux des esprits de ce genre dous d'une plus grande puissance et je vois aussi des anges plus puissants qui leur sont opposs. J'ai jet un coup d'oeil sur la Suisse et j'ai vu comment le diable y travaille contre l'glise dans plusieurs cantons. J'ai vu aussi des anges qui font prosprer les biens de la terre et qui rpandent quelque chose sur les fruits et les arbres. J'ai vu des anges au-dessus de certains pays et de certaines villes, les protgeant et les dfendant, parfois aussi les abandonnant. Je ne puis dire quelle innombrable quantit d'esprits j'ai vus. S'ils avaient des corps, l'air en serait obscurci. L o ces esprits ont une grande influence sur les hommes, je vois toujours le brouillard et la nuit. - Je vois souvent qu'on reoit un nouvel ange gardien quand on a besoin d'un nouveau secours. Dans plusieurs occasions j'ai eu un nouveau conducteur, autre que l'habituel. È Pendant qu'Anne Catherine racontait cela, elle fut subitement ravie en extase. Au bout de quelque temps, elle dit en soupirant : Ç C'est si loin, si loin; l'endroit d'o viennent ces esprits violents, opinitres, cruels, qui descendent l, est si loign! È Revenue elle, voici ce qu'elle rapporta : Ç J'ai t porte une hauteur infinie, je vis descendre d'une des sphres, qui est la plus loigne des neuf, beaucoup d'esprits violents, obstins, indomptables, vers le pays o les troubles et la guerre vont clater incessamment. Ces esprits viennent prs de ceux qui ont le pouvoir et ils rendent presque impossible un rapprochement avec eux. J'ai vu aussi la sainte Vierge obtenir l'envoi de toute une arme d'anges sur la terre et j'ai vu ceux-ci descendre en volant : un grand ange plein d'ardeur, arm d'un glaive flamboyant, est parti pour combattre ces esprits intraitables. Ce sont eux qui rendent presque impossible le rapprochement entre les grands et le peuple.
Ç Il y a aussi des mes qui ne sont ni dans le purgatoire, ni dans l'enfer, ni dans le ciel, mais qui sont forces d'errer sur la terre, pleines d'angoisses et de soucis, et qui s'efforcent d'achever quelque chose qu'elles sont tenues de faire. Elles habitent des endroits dserts, des tombeaux, des ruines abandonnes et les lieux tmoins de leurs mfaits. Ce sont des spectres. È
Quelques heures aprs, elle dit, tant en extase : Ç Ah! qui jamais a vu pareille chose? Un grand ange flamboyant parti du lied du trne de Dieu, volait au-dessus de la ville de Palerme o rgne l'insurrection, et il prononait des paroles de chtiment avec une voix perante, qui pntrait jusqu' la moelle des os, et je vis, dans la ville qui tait au-dessous, des personnes tomber mortes. È
Dans une occasion postrieure, elle dit : Ç J'ai souvent vu, ds mon enfance et un ge plus avanc, que trois choeurs d'anges, qui taient plus levs que les archanges, tombrent tout entiers, mais que tous pourtant ne furent pas prcipits dans l'enfer, et qu'une partie qui prouvait une espce de repentir resta hors de l'enfer. Ce sont les esprits habitant les plantes qui viennent sur la terre pour garer les hommes. Au dernier jour ils doivent tre jugs et condamns. J'ai toujours vu que les diables ne peuvent jamais sortir de l'enfer. J'ai vu aussi que beaucoup de damns ne vont pas tout de suite en enfer, mais s'arrtent encore sur la terre dans des endroits dserts o ils sont tourments. È
Ç Les hommes, s'ils font des progrs dans la vie intrieure, reoivent des anges gardiens d'une hirarchie suprieure. Les rois et les princes ont aussi des anges gardiens d'une hirarchie plus leve. - Les quatre anges ails, appels lohim, qui distribuent les grces divines, se nomment Raphiel, Etophiel, Salathiel, Emmanuel. Les choses se passent dans un ordre bien plus rgulier que sur la terre, mme chez les mauvais esprits et les dmons. L o un ange se retire, un diable prend aussitt sa place et agit en sens contraire mme parmi les esprits plantaires, il rgne un grand ordre. Ce sont aussi des esprits tombs, mais pas encore des diables : ils sont trs diffrents de ceux-ci : ils montent et descendent sur la terre. Dans une des sphres, ils sont tout fait mornes et tristes, dans l'autre ardents et violents, dans l'autre lgers, dans une autre exacts et prvoyants. Ils agissent sur tout ce qui vit sur la terre et sur les hommes au moment de leur naissance. Ces esprits forment certaines hirarchies, certaines associations. Je vis dans leurs plantes des formes ressemblant des vgtaux et des arbres : cependant tout cela a peu de consistance : c'est comme des champignons. Il y a aussi l des eaux, quelques-unes limpides comme le cristal, d'autres troubles et qui semblent empoisonnes. Il me semble aussi que chacun de ces corps plantaires a quelque chose d'un mtal. Ces esprits se nourrissent de fruits qui sont appropris leur substance. Quelques-uns sont aussi une occasion de bien, en tant que l'homme fait tourner au bien leurs impulsions. Tous les corps clestes ne sont pas habits : quelques-uns sont seulement des jardins, comme des rcipients pour certaines influences et certains fruits. - Je vois aussi des lieux o habitent des mes qui ne sont pas des mes de chrtiens et qui pourtant ont bien vcu. Il y a quelque chose d'obscur dans leur vie et elles ont le pressentiment que cela doit changer un jour. Elles sont sans joie et sans souffrance et mangent aussi certains fruits. È
Ç La lune est froide et pierreuse, pleine de hautes montagnes, de cavernes et de gorges profondes. Elle exerce tour a tour comme une attraction et une pression sur la terre. Les eaux y sont dans un mouvement perptuel d'ascension et de chute : tantt elles tirent de la terre des masses de vapeurs, et ce sont alors comme de gros nuages qui entrent dans les parties creuses; tantt au contraire, il semble que tout dborde, et alors la lune exerce une pression si forte sur la terre que les hommes en deviennent mlancoliques. J'y vois beaucoup d'tres, dont la figure ressemble la figure humaine, qui s'enfuient toujours dans l'ombre devant la lumire ; ils se tiennent cachs comme s'ils avaient honte d'eux-mmes : on dirait qu'ils ont une conscience en mauvais tat. Je vois cela plus souvent au centre de la lune. Je vois ses limites extrmes comme des campagnes et des bosquets dans lesquels habitent des animaux. Je ne vois pas dans la lune de culte rendu Dieu. Le sol est jaune, mais le plus souvent rocailleux: les arbres et les vgtaux sont lgers comme de la moelle, de l'ponge ou du champignon. La lune a des connexions surprenantes avec la terre et avec toute la nature terrestre. Si les hommes la regardent avec tant de curiosit et de dsir, c'est que chacun y voit quelque chose qui le concerne. Elle tire beaucoup de nous et exerce une pression sur nous. Je vois souvent descendre de la lune de grands nuages qui semblent apporter du poison; ils se posent ordinairement, sur la mer. Je vois alors de bons esprits et des anges qui les divisent et les rendent inoffensifs. Sur la terre je vois certaines contres basses, maudites cause des pchs qui s'y commettent, et sur lesquelles descendent le poison; le brouillard et l'obscurit. Je vois toujours aussi les plus nobles races d'hommes habiter dans les lieux o il y a plus de bndictions. È
Ç Les mes que je vois toujours se cacher dans l'ombre semblent n'prouver ni souffrances, ni joie, il semble qu'elles soient l comme dans une prison jusqu'au jour du jugement. - La lumire dans la lune est comme morte, elle est d'un blanc bleutre; ce n'est qu'en s'loignant de la lune qu'on trouve plus de clart. È
Ç Les comtes sont pleines de poison, elles sont comme des oiseaux de passage ; s'il n'y avait pas entre elles et la terre de si grandes temptes et d'autres influences exerces par les esprits, elles pourraient aisment nous faire beaucoup de mal. Des esprits irascibles y habitent. Leur queue est un effet qu'elles produisent, de mme que le feu produit la fume. È
Ç La voie lacte se compose de beaucoup de petites masses d'eau limpides comme du cristal. Il semble que de bons esprits s'y baignent, y plongent, en ressortent et versent de l toute espce de rose et de bndictions comme un baptme. Le soleil suit une ligne ovale. C'est un corps bienfaisant, anim par de saints esprits. Dans le soleil lui-mme il ne fait pas chaud. La lumire et la chaleur ne prennent naissance qu'autour de lui. Il est blanc et travers par des raies de couleurs diffrentes et trs-belles. È
Ç Plusieurs corps clestes sont encore inhabits : ce sont de beaux lieux qui attendent une population future. Beaucoup sont des jardins et comme des magasins de certains fruits. On n'en comprend l'ensemble qu'en se reprsentant un Etat parfaitement rgl, une cit, un grand et merveilleux tablissement o rien ne manque. De tous ces corps aucun n'a la dignit ni l'nergie intrieure de la terre. Les autres possdent en plus grande abondance certaines proprits particulires : la terre les a toutes.. Le pch d'éve nous a fait tomber, mais maintenant nous pouvons aussi devenir vainqueurs.
Elle disait toutes ces choses avec la navet d'un enfant innocent qui ferait la description de son jardin. Ç Lorsqu'tant petite fille, disait-elle, je m'agenouillais, la nuit dans les champs, au milieu de la neige, j'aimais regarder les belles toiles et je priais Dieu ainsi : Ç Puisque tu es mon vrai pre et que tu as de si belles choses dans ta maison, tu devrais bien me les montrer ! È Et il me les montrait toutes : il me prenait par la main et me conduisait partout, et cela semblait tout naturel; alors je contemplais tout, le coeur plein de joie, et, je ne regardais rien d'autre. È
Le 2 septembre 1822 elle raconta ce qui suit : Ç Je vins travers des hauteurs escarpes dans un jardin flottant en l'air. Je vis l, entre le nord et le levant, monter, comme le soleil l'horizon, une figure d'homme qui avait un visage ple et allong. Sa tte semblait couverte d'un bonnet pointu. Il tait envelopp de cordons et avait sur la poitrine un bouclier dont j'ai oubli l'inscription. Il portait une pe entoure de rubans bariols, et planait au-dessus de la terre d'un vol lent, semblable celui de la colombe : il dnoua les rubans, agita son pe de ct et d'autre et jeta les rubans sur des villes endormies. Et les rubans les enlacrent comme des lacs. Il laissa aussi tomber des pustules et des bubons sur la Russie, l'Italie et l'Espagne. Il tendit un lacet rouge autour de Berlin : de l, il vint nous. L'pe tait nue, des banderoles d'un rouge de sang pendaient de la poigne, des gouttes de sang tombaient sur notre pays, Il volait en tournoyant : les rubans ressemblaient des boyaux d'animaux. È
11 septembre. Ç Un ange monte entre le levant et le midi, arm d'un glaive: il a la poigne comme une gaine pleine de sang qu'il verse et l; il vient jusqu'ici et verse du sang sur la place de la cathdrale Munster.
4. L'archange S. Michel.
29 septembre 1820. Ç J'ai eu plusieurs visions merveilleuses touchant les apparitions et les ftes de l'archange saint Michel. J'ai t en plusieurs endroits du monde j'ai vu en France son glise sur un rocher au milieu de la mer et je l'ai vu comme patron de la France. J'ai vu comment il aida remporter la victoire un pieux roi, du nom de Louis, qui, sur une rvlation de la Mre de Dieu, s'tait adress saint Michel et portait son image sur un tendard. Le roi fonda un ordre de chevalerie en l'honneur du saint archange. Je l'ai vu maintenant retirer le tabernacle de cette glise qui lui est ddie en ce lieu et l'emporter. Je vis aussi une apparition de lui Constantinople et beaucoup d'autres que je ne me rappelle plus. Je vis aussi toute l'histoire miraculeuse de l'glise de Saint-Michel sur le mont Gargano et je vis l une grande fte o se rendaient beaucoup de plerins trangers avec leurs vtements relevs et des pommes leurs btons. Ici l'ange servait l'autel avec d'autres. È (Elle raconta le miracle du mont Gargano peu prs comme il est rapport ailleurs : seulement elle dit que le lieu o l'glise fut btie avait t dsign par une figure trace sur le rocher et portant un calice la main.)
Ç J'allai ensuite avec lui Rome o on a aussi construit une glise en mmoire d'une de ses apparitions : je crois que c'est sous le pape Boniface et sur une rvlation de la Mre de Dieu. Je suivais l'ange partout : il volait au-dessus de moi, grand et magnifique. Il tenait une pe la main et portait une ceinture qui semblait compose de plusieurs rangs de cordons. Il y avait prs de cette glise de Saint Michel une contestation laquelle un trs grand nombre de personnes prenait part. La plus grande partie se composait de catholiques qui ne valaient pas grand'chose, il y avait aussi des sectaires et des protestants. Il me sembla que leur dispute avait rapport au culte divin. L'ange descendit et chassa la foule avec son pe : il ne resta qu'environ une quarantaine de personnes et le service divin se fit trs simplement. Ensuite l'ange prit par en haut l'aide d'un bouton le tabernacle o tait le Saint-Sacrement et s'envola de l. Mon conducteur m'ordonna, de le suivre et je marchai vers l'orient, toujours au-dessous de l'ange qui planait. J'allai jusqu'au Gange et ensuite plus au nord. Je vis d'un ct de ma route la montagne des prophtes : aprs quoi le chemin allait toujours en descendant, le pays tait toujours plus froid, plus dsert et plus sombre jusqu'au moment o nous arrivmes une immense plaine de glace. Je fus prise d'un grand effroi dans cette solitude : mais des mes vinrent moi pour me donner du courage. C'taient ma mre, Antrienchen, le vieux Soentgen et plusieurs autres. - Nous arrivmes prs d'un grand moulin o nous devions passer. Mais lorsque je fus l, les mes de mes amis restrent en arrire. La glace se brisait continuellement sous mes pas, l'eau fumait et j'avais peur ; mon conducteur me donnait souvent la main. L'eau qui faisait aller le moulin y venait sous la glace : elle tait chaude. Ce moulin tait plein de gens qui avaient rgn et d'autres grands personnages de tous les temps et de tous les pays. Ils taient obligs de moudre une quantit de crapauds, de serpents et d'autres btes venimeuses et dgotantes, et aussi de l'or, de l'argent et des objets prcieux de toute espce; toutes ces choses tombaient ensuite dans l'eau qui les rapportait vers la terre ferme, prives de font pouvoir de nuire. Ces animaux et ces objets leur taient continuellement rapports de la terre ferme par le courant. Ils travaillaient dans le moulin comme des garons meuniers et il leur fallait continuellement balayer la vermine sous la meule, sans quoi ils en taient trs incommods. Ils s'puisaient au travail. Cela me parut tre un lieu de pnitence pour les princes qui avaient introduit dans le monde beaucoup de fcheuses complications et de mauvaises institutions dont les suites se font encore sentir dans le temps actuel : c'est pour cela qu'ils ne peuvent arriver la batitude tant que les consquences de leurs actions n'ont pas entirement cess de se produire. Ces consquences venaient eux sous la forme de btes hideuses et ils devaient les exterminer pour les empcher de se perptuer. L'eau dans laquelle tout cela tait broy tait chaude, elle retournait dans le monde et n'avait plus rien de nuisible. - Il nous fallut passer travers le moulin l'un d'eux s'approcha de nous et balaya promptement la vermine sous la meule afin que nous puissions passer. Il me parla, m'expliqua ce qu'tait ce lieu et me dis qu'ils se rjouissaient fort de ce que nous passions par l et brisions sous nos pas un peu de cette norme masse de glace sur laquelle nous marchions, car ils devaient moudre l jusqu' ce que toute cette glace ft fondue. En nous loignant, nous traversmes la mer de glace comme par un chemin creux, car il s'y trouvait des fissures profondes, puis nous emes longtemps gravir une montagne de glace et nous rjoumes de ce que nous laissions derrire nous une trace assez prolonge qui pouvait servir aux pauvres gens condamns moudre. È
Ç En montant je voyais toujours l'archange Michel planer au-dessus de moi, le ciel devenait de plus en plus clair et d'un plus beau bleu et je vis le soleil et d'autres corps clestes comme des visions. Il m'a conduit tout autour de la terre et travers tous les mondes clestes. J'y vis des jardins innombrables suspendus en l'air : je vis les fruits et leurs significations. J'espre qu'il me sera encore donn d'y entrer et alors je demanderai quelques remdes et quelques recettes pour gurir des gens pieux. Je vis des choeurs de saints et je vis souvent aussi et l tel ou tel saint figurer dans la sphre laquelle il appartenait avec ses insignes distinctifs. Nous levant toujours plus haut, nous arrivmes dans un monde d'une merveilleuse et indescriptible beaut c'tait comme une coupole. Nous la vmes semblable un disque azur entour d'un anneau lumineux au-dessus duquel taient encore d'autres anneaux semblables, chacun d'eux supportant un trne. Tous ces cercles taient pleins d'anges de diverses catgories :des divers trnes partaient des lignes d'arcades de couleurs varies, ornes de fruits, de pierres prcieuses et de prcieux dons de Dieu, lesquelles allaient former une coupole surmonte son tour de trois siges ou trnes d'anges : celui du milieu tait le sige de Michel : il y vola, portant le tabernacle de l'glise qu'il plaa sur la coupole. Chacun des trois anges, Michel, Gabriel, Raphal, avait au-dessous de lui trois des neuf choeurs d'anges. En outre, quatre grands anges lumineux, entirement voils de leurs ailes, se mouvaient continuellement en cercle autour de ces trois. Ce sont, les Elohim et ils s'appellent Raphiel, Etophiel, Emmanuel et Salathiel : ils sont les administrateurs et les distributeurs des grces surabondantes de Dieu et les rpandent dans l'Eglise vers les quatre points cardinaux du monde. Ils les reoivent des trois archanges. Gabriel et Raphal taient en longs vtements blancs, avec un extrieur plus sacerdotal, Michel avait sur la tte un casque avec un cimier de rayons. La partie suprieure de son corps semblait arme et entoure de cordons formant comme une ceinture : son vtement allait jusqu'aux genoux comme un tablier franges. D'une main il tenait un long bton surmont d'une croix sous laquelle tait un petit drapeau avec un agneau; l'autre main tenait une pe flamboyante, ses pieds aussi taient lacs. È
Ç Au-dessus de cette coupole mon regard pntra dans un monde encore plus lev. J'y vis la Trs Sainte Trinit reprsente par trois figures: le Pre comme un vieillard semblable un grand-prtre qui prsentait son Fils plac sa droite le globe du monde : celui-ci tenait la croix de l'autre main, la gauche du Pre tait une forme lumineuse aile. Autour d'eux tait un cercle de vingt-quatre vieillards assis sur des siges : les chrubins et les sraphins se tenaient avec beaucoup d'autres encore autour du trne de Dieu, chantant incessamment un cantique de louanges. È
Ç Au centre, au-dessus de Michel, se tenait Marie qui avait autour d'elle des cercles innombrables d'mes lumineuses, d'anges et de vierges. C'est par Marie que la grce partant de Jsus va aux trois archanges. Chacun des archanges envoie, comme des rayons, trois espces de dons de Dieu sur trois des neuf choeurs d'anges infrieurs; et ceux-ci leur tour en font sentir l'action dans toute la nature et dans toute l'histoire du genre humain. È
Ç Lorsque le tabernacle eut t plac l, je le vis grandir de plus en plus, l'aide d'influences venant d'en haut par Marie, auxquelles se joignait le concours de tous les cieux et le travail actif de tous les choeurs angliques; il devint d'abord une glise, puis une grande cit resplendissante qui peu peu s'abaissa vers la terre. Je ne puis dire comment cela se fit, mais je vis des multitudes d'hommes s'approcher de moi, montrant d'abord la tte comme si la terre sur laquelle ils taient et tourn; puis ils se trouvrent tout coup sur leurs pieds dans la nouvelle Jrusalem, laquelle tait cette cit nouvelle qui descendit au-dessus de l'ancienne Jrusalem et qui me parut venir sur la terre. È
Ç Lorsque j'eus vu descendre la nouvelle Jrusalem, cette vision prit fin : je m'enfonai toujours plus avant dans les tnbres et je me dirigeai vers ma demeure. J'eus encore la vision d'une immense bataille. Toute la plaine tait couverte d'une paisse fume : il y avait des taillis remplis de soldats d'o l'on tirait continuellement. C'tait un lieu bas : on voyait de grandes villes dans le lointain. Je vis saint Michel descendre avec une nombreuse troupe d'anges et sparer les combattants. Mais cela n'arrivera que quand tout semblera perdu. Un chef invoquera saint Michel et alors la victoire descendra. È
Elle ignorait l'poque de cette bataille. Elle dit une fois que cela arriverait en Italie, non loin de Rome o beaucoup d'anciennes choses seraient dtruites et o beaucoup de saintes choses nouvelles (c'est--dire inconnues jusqu'alors) reparatraient un jour.
Elle raconta aussi ce qui suit : Ç Un jour que j'tais trs abattue et trs dcourage par suite des misres qui m'entourent et de mes nombreux ennuis, je disais en soupirant que Dieu devrait au moins m'accorder un jour de repos, puisque ma vie tait vraiment un enfer. Alors je fus svrement rprimande par mon conducteur qui me dit : Ç Afin que tu ne compares plus ton tat l'enfer, je vais te montrer l'enfer. È Il me conduisit vers le nord, du ct o la terre se termine en pente escarpe. Nous montmes d'abord en nous loignant de la terre. J'eus le sentiment que la montagne des prophtes tait ma droite au levant : au-dessus d'elle, encore plus au levant, je vis le paradis. Je fus conduite toujours vers le nord, je descendis pic par des sentiers tracs dans des dserts de glace et j'arrivai dans une contre horrible. C'tait comme un voyage fait autour de la terre dans une rgion plus leve et j'eus le sentiment bien assur que j'tais en face de la descente escarpe du nord de la terre. Le chemin tait dsert et descendait vers l'enfer dans l'obscurit et la glace. Lorsque j'arrivai au lieu de terreur, ce fut comme si je descendais vers un monde. Je vis un disque rond (une section de sphre). Quand je me rappelle ce que j'ai vu, je tremble encore de tout mon corps. Aux approches, c'tait comme si l'on et plan au-dessus de la terre. Je vis tout en masses distinctes: ici une place noire, l un foyer ardent, l de la fume, l ses tnbres. L'horizon tait toujours born par des tnbres. En m'approchant, je reconnus un sjour de tourments infinis. È
24 septembre 1820, Ç J'ai eu faire dans la maison des noces un rude travail dont je ne pouvais pas venir bout. Je devais avec un balai raide et tout fait impropre cet usage balayer beaucoup d'ordures : mais je ne pouvais y parvenir. Alors ma mre vint moi et m'aida ainsi qu'une amie laquelle j'avais donn avant sa mort le portrait de sainte Catherine qui m'avait t restitu par une voie surnaturelle (voir tome 1er). Elle portait la petite image sur sa poitrine et s'entretint longuement avec moi. Elles ne sont pas encore dans le ciel, mais dans un endroit o l'on est trs bien et o ont sjourn Abraham et le pauvre Lazare. Cet endroit est trs agrable : c'est comme de la rose, comme du miel, tout y est trs doux et trs suave. Il y a comme un clair de lune; c'est une lumire blanche, laiteuse. J'ai eu l la vision du pauvre Lazare tout exprs pour m'apprendre en quel lieu j'tais. Le paradis que je vis aussi de nouveau, ainsi que la montagne des prophtes, est plus joyeux, plus heureux que le sein d'Abraham et il est plein de magnifiques cratures. Je fus conduite par ma mre dans plusieurs sjours des mes et je me souviens que j'arrivai sur une montagne d'o un esprit brillant d'une lueur semblable au reflet du cuivre rouge et portant une chane laquelle il tait attach, vint au-devant de moi. Il tait l depuis trs-longtemps et dnu de tout secours. Personne ne se souvenait de lui, personne ne l'assistait et ne priait pour lui. Il ne me dit que quelques mots et cependant j'appris toute son histoire dont je me rappelle encore quelque chose.
Au temps d'un roi d'Angleterre qui faisait la guerre la France, il commandait une arme anglaise dans ce pays qu'il dvasta horriblement et o il exera toute sorte de cruauts. Il avait t bien mal lev et j'eus l'impression que c'tait par la faute de sa mre : cependant il avait toujours conserv une vnration secrte pour Marie. Il dtruisait toutes les images et un jour qu'il passait devant une trs belle statue de Marie, il voulut aussi la dtruire, mais il fut saisi d'une certaine motion et il s'en abstint. L-dessus il fut attaqu d'une fivre trs violente; il aurait voulu se confesser, mais il perdit connaissance : cependant il mourut avec des sentiments trs vifs de repentir. Cela lui fit trouver misricorde et il ne fut pas damn. On aurait pu lui venir en aide, mais il tait compltement oubli. Il disait qu'on pouvait surtout l'assister en faisant dire des messes et qu'il lui aurait fallu peu de chose pour tre dlivr depuis longtemps. Le lieu o il tait n'tait pas le purgatoire; dans le purgatoire, on n'est pas martyris par des diables, c'est un autre lieu de tourments. Je vis cet homme entour de chiens qui aboyaient aprs lui et le dchiraient parce qu'il avait fait souffrir d'autres un semblable supplice. Il tait souvent enchan dans diverses positions, attach notamment comme sur un billot, et il tait arros de sang bouillant qui courait travers toutes ses veines. Il me dit que l'espoir de la dlivrance tait pour lui un grand soulagement. Quand il m'eut parl, il disparut tout coup et sembla s'enfoncer dans la montagne. La place o je l'avais vu tait couverte comme de gazon enflamm. Il m'avait dj parl antrieurement. Cette fois c'tait la troisime. È
Ç Je fus ensuite transporte, avec plusieurs mes que le Seigneur avait dlivres ma prire, dans un couvent de franciscains o un frre lai luttait contre la mort dans une terrible agonie. Il faisait nuit. Le couvent tait situ dans un pays montagneux. Il n'y avait pas beaucoup de religieux, mais il s'y trouvait aussi des sculiers. Le moribond l'habitait depuis trois ans. Aprs une vie de dbauches, il tait entr dans l'ordre comme pnitent. Lorsque j'arrivai, de mauvais esprits faisaient grand bruit autour de la maison. Elle tait traverse comme par une tempte, les tuiles des toits volaient en l'air, les branches des arbres battaient les fentres, et je vis les mauvais esprits sous forme de corbeaux, d'autres oiseaux sinistres et de spectres hideux, se prcipiter autour de la maison et de la cellule du mourant. Il y avait, entre autres, prs de lui un vieux religieux trs pieux et, autour de celui-ci, plusieurs mes qui avaient t dlivres par ses prires. Le bruit devint si fort que les autres religieux s'enfuirent pleins d'effroi, mais le pieux vieillard alla devant la porte et adjura les mauvais esprits, au nom de Jsus, de dire ce qu'ils voulaient. J'entendis alors une voix qui demandait pourquoi il voulait leur arracher cette me qui avait t leur service pendant trente ans. Mais le religieux et moi et toutes les mes qui taient l, nous rsistmes l'ennemi et quand il se vit forc de se retirer, je l'entendis dire qu'il voulait entrer dans le corps d'une femme avec laquelle le mourant avait longtemps pch et la tourmenter jusqu' sa mort. Quant au malade, il mourut en paix. È
27 septembre 1820. Ç Cette nuit j'ai beaucoup pri pour les mes en peine: j'ai vu beaucoup de choses merveilleuses sur les chtiments qu'elles ont subir et sur l'ineffable misricorde de Dieu. J'ai revu le malheureux capitaine anglais, et j'ai pri pour lui. J'ai vu combien la misricorde et la justice de Dieu sont infinies, et comment rien ne se perd de ce qui est vraiment bon dans l'homme. J'ai vu le bien et le mal se transmettre des parents aux enfants et concourir au salut ou la perte de ceux-ci suivant leur volont et leur coopration. J'ai vu les mes recevoir par des voies merveilleuses l'assistance qui leur venait des trsors de l'glise et de la charit des membres de l'glise. Et tout cela tait une rparation relle et une compensation pour leurs manquements. La misricorde et la justice ne se font pas tort l'une l'autre, et pourtant toutes deux sont infiniment grandes. J'ai vu la purification s'oprer sous beaucoup de formes : j'ai vu notamment le chtiment de ces prtres aimant leurs aises et leur repos qui ont coutume de dire : Ç Je me contente d'une petite place dans le ciel, je prie, je dis la messe, j'entends des confessions, etc. È Ils ont souffrir des tourments indicibles, causs par un ardent dsir de faire des oeuvres de charit : ils sont condamns voir devant eux toutes les mes auxquelles leur assistance a fait dfaut et rester tranquillement assis avec un dsir dvorant d'assister et d'agir. Leur paresse devient un supplice de l'me, leur tranquillit se change en impatience, leur inactivit est une chane et tous ces chtiments ne sont pas imagins tout exprs, mais ils se produisent comme la maladie sort de son germe, clairement et merveilleusement. È
Ç Je vis aussi l'me d'une femme morte, il y a vingt ou trente ans. Elle n'tait pas dans le purgatoire, mais dans un lieu de supplices plus rigoureux : elle tait, comme un dtenu soumis la flagellation compar d'autres qui n'ont subir qu'un simple emprisonnement. Je vis cette femme dans une affliction et une peine inexprimables. Elle avait dans les bras un enfant de couleur fonce qu'elle recommenait sans cesse tuer et qui revenait toujours la vie. Il faut qu'elle le lave avec ses larmes jusqu' ce qu'il soit devenu blanc. Elle implora mes prires. Les mes aussi peuvent verser des larmes, autrement on ne pourrait pas pleurer dans le corps. Elle me raconta sa faute ou plutt je la vis dans une srie de tableaux. Elle habitait une ville de la Pologne et tait la femme d'un honnte homme. Ils tenaient une htellerie o logeaient des ecclsiastiques et d'autres gens paisibles. La femme tait foncirement pieuse et bonne ; ils avaient un parent trs pieux, prtre de la Congrgation des missionnaires rdemptoristes. Son mari s'tant absent pour un voyage, il vint loger chez elle un tranger, un sclrat qui lui fit commettre le mal en employant la violence. Sa faute la poussa presque au dsespoir; elle tint le sclrat distance ; mais il ne se laissa pas mettre hors de la maison, pas mme lorsque le retour du mari fut proche. Comme elle tait dans la plus horrible angoisse, le malin esprit lui suggra d'empoisonner, le sducteur. Elle l'empoisonna en effet, mais ce meurtre lui fit presque perdre la raison et, cdant au dsespoir, elle fit mourir aussi plus tard le fruit de ses entrailles. Dans son affreuse dtresse intrieure, elle chercha un prtre tranger pour se confesser lui, et comme un vagabond dguis en prtre vint loger chez elle, elle lui fit sa confession avec une contrition indicible et en versant des torrents de larmes. Elle mourut peu aprs, mais Dieu fut si misricordieux qu'il eut gard son grand repentir, et quoiqu'elle ft morte sans absolution et sans sacrements, il l'envoya au lieu de punition, o je la trouvai. Elle doit, par la satisfaction qu'elle y donne la justice divine, complter les annes que la Providence rservait son enfant jusqu' ce qu'il puisse par l arriver au sjour de la lumire, car pour de tels enfants, dans l'autre monde aussi, il y a une croissance. Cinq ans aprs sa mort, elle apparut au prtre son parent pendant la sainte messe. J'ai connu ce pieux vieillard, il a pri avec moi.
Ç A cette occasion, j'ai vu beaucoup de choses touchant le purgatoire et particulirement sur l'tat des enfants mis mort avant et aprs leur naissance, mais je ne puis dire cela d'une manire assez claire et c'est pourquoi je l'omets. Ce qui a t toujours certain pour moi, c'est que tout bien, qu'il soit dans l'me ou dans le corps, tend vers la lumire, comme tout mal tend vers les tnbres, s'il n'est pas expi et effac; c'est que la justice et la misricorde ont en Dieu leur perfection et que satisfaction est donne sa justice en vue de sa misricorde, des mrites inpuisables de Jsus-Christ et des saints unis lui dans l'glise par la coopration et par le travail des membres de son corps spirituel qui croient, qui esprent et qui aiment. J'ai toujours vu que rien ne se perd de ce qui se fait dans l'glise en union avec Jsus; que tout pieux dsir, toute bonne pense, toute oeuvre de charit inspire par l'amour de Jsus profite l'achvement du corps de l'glise et qu'une personne, qui ne fait rien que prier Dieu pour ses frres en esprit de charit, participe un grand travail portant des fruits de salut. È
12 avril 1820. Une fille de la campagne tait accouche en secret par crainte de la svrit de ses parents. L'enfant mourut peu aprs sa naissance par suite de l'imprudence de la mre, et elle le cacha dans un coffre o il fut dcouvert. Cette aventure jeta la malade dans une grande affliction; elle souffrait et priait incessamment pour la coupable afin de l'amener une srieuse pnitence. Elle dit ce sujet : Ç Je connais cette fille : elle est venue me voir, il y a un an. Depuis Nol je l'ai vue souvent en vision enveloppe dans un manteau et j'en ressentais un certain effroi comme si quelque chose de mauvais couvait en elle. Je l'ai vue dernirement, au temps fix pour la confession : elle tait mal dispose. Je priai pour elle et j'avertis son confesseur d'y faire attention, mais elle n'alla pas le trouver. Cette nuit aussi j'ai eu m'occuper d'elle et j'ai vu toutes les tristes circonstances o elle se trouve. Quoiqu'elle soit trs-bonne, elle n'est pas tout fait innocente de la mort de l'enfant. J'ai vu toute cette affaire et j'ai beaucoup pri pour cela. Alors le souvenir me vint des deux anciens jsuites auxquels je m'tais confesse dans ma jeunesse: Ç quelle pieuse vie ils menaient, me disais-je! combien ils faisaient de bien ! jamais pareille chose ne serait arrive dans ce temps-l! È Pendant que je pensais eux, ces deux hommes m'apparurent dans un tat qui semblait trs heureux, et l'un dÕeux me conduisit sa soeur avec laquelle il vivait autrefois et que j'avais connue. Elle se trouvait dans un lieu d'un aspect trs singulier; je n'aurais jamais cru que cette pieuse personne et encore quelque chose expier. C'tait un lieu obscur, o se trouvaient encore beaucoup d'autres mes, et elle y tait comme mure dans un trou quadrangulaire fort troit o elle ne pouvait se tenir que debout. Mais elle tait contente et patiente, je la vis passer dans un caveau plus spacieux qui tait en avant de l'autre. Elle me pria de la visiter encore souvent; j'ai beaucoup caus avec les deux vieux prtres et je leur ai demand quelque autre chose... J'ai depuis longtemps des claircissements intrieurs sur l'tat des enfants morts avant le baptme, et j'ai vu quel bien ineffable, quel trsor ils perdent par la privation du baptme. Je ne pais exprimer ce que je sens en voyant quelle perte ils font, mais cela m'meut tellement que, lorsque j'apprends une mort de ce genre, j'offre toujours Dieu des prires et des souffrances comme satisfaction pour ce qu'on a omis de faire en leur faveur, afin que le manque de charit que d'autres ont se reprocher soit compens par la communaut des fidles, par moi comme tant un de ses membres. C'est ainsi que j'ai ressenti une grande tristesse cause de l'enfant de cette malheureuse fille mort sans baptme et que je me suis offerte pour satisfaire Dieu. È
10 avril 1820. Ç J'ai eu cette nuit une vision pnible et une affaire difficile traiter. Je vis tout coup devant mon lit l'me bienheureuse et brillante d'une digne femme de Coesfeld; elle avait beaucoup aim son mari que j'avais aussi cru bon parce qu'il avait toujours eu les apparences de la pit. Il y avait longtemps que je n'avais pens ce mnage. L'homme s'est remari : mais je ne connais pas la seconde femme. L'me me dit : Ç Enfin j'ai obtenu de Dieu la permission de venir te trouver. Je suis heureuse maintenant, mais mon mari me fait beaucoup de peine : lorsque je vivais encore et que j'tais infirme, il avait dj eu des rapports criminels avec sa femme actuelle et, maintenant, il ne vit pas chrtiennement avec elle dans le mariage ; j'ai grande piti de son me et aussi de celle de la femme. È Lorsqu'elle me raconta cela, je fus trs-surprise de l'tat o tait cet homme que j'avais toujours cru trs-bon. Elle me raconta beaucoup de choses et me pria de donner des avis son mari qui avait la pense de venir me voir. Il me fallut aussi aller avec elle Coesfeld. Je vis clair sur toute la route; elle brillait comme un soleil : cela me causait une joie infinie. Je reconnus chaque place du chemin et trouvai plusieurs endroits bien changs. Elle me conduisit dans la maison de son mari, maison o j'avais t souvent autrefois et o je trouvai aussi bien des changements. Je m'approchai avec elle du lit des poux que je trouvai endormis. La femme parut ressentir l'impression de notre prsence et elle se mit sur son sant : je lui ai parl longtemps et je lui ai dit qu'il fallait s'amender et engager aussi son mari reconnatre ses fautes. Elle promit de le faire. Je pense que l'homme cherchera me voir, et l'me m'a si instamment supplie de prier pour lui et de lui donner des conseils que je suis un peu en peine de savoir comment je pourrai aborder ce sujet avec lui, s'il ne commence pas lui-mme en parler. È
Travail pour deux souverains.
6 octobre 1820. Ç J'ai eu une vision touchant un pieux franciscain du Tyrol. Je vis qu'il prvoyait un grand danger menaant l'Eglise par suite d'une runion politique qui va bientt avoir lieu. Il lui a t ordonn de prier constamment pour l'glise et je le vis prier dans son couvent qui n'est pas grand et qui est situ prs d'une petite ville. Il s'agenouilla pendant la nuit devant une Image miraculeuse de Marie, et je vis que les dmons, pour le troubler, firent un gland tapage dans l'glise, se prcipitant contre les fentres avec beaucoup de violence et de fracas, sous la forme da noirs corbeaux. Mais le pieux religieux ne se laissa pas distraire et continua prier, les bras tendus. A la suite de cette prire, je vis ensuite trois figures venir prs de mon lit. L'une tait un tre semblable mon conducteur qui s'approcha plus prs de moi : les deux autres taient des mes qui demandaient des prires. JÕappris que c'taient l'me d'un prince de Brandebourg catholique et celle d'un pieux empereur d'Autriche, et qu'ils m'taient envoys afin que j'intercdasse pour eux ; c'tait l'effet de la prire du franciscain qui avait vu le mme danger que moi. Ils demandaient tre levs un meilleur tat que celui o ils se trouvaient, afin de pouvoir agir sur leurs successeurs actuellement vivants. J'appris que des mes de cette catgorie ouf plus d'action sur leurs descendants que d'autres mes. Cc qui me parut remarquable, c'est que l'esprit qui les conduisait prit mes mains lui-mme et les leva en l'air. Je sentis sa main douce et agrable au toucher comme des plumes trs moelleuses. Quand je laissais tomber les miennes, il les relevait en disant : Ç Tu dois prier plus longtemps. È C'est tout ce que je me rappelle ! È
8 octobre. Ç Comme je revenais d'un voyage Rome, j'allai de nouveau dans le Tyrol avec mon guide prs du pieux franciscain qui avait donn occasion la visite rcente des mes des souverains que j'avais, vus antrieurement dans le moulin. C'est le mme religieux qui rcemment, lors de la mort de son confrre, avait si bien crach sur le diable. Il continuait prier, les bras tendus, pour dtourner le danger qui menaait l'glise. Il tient en outre le rosaire la main et, quand il va dormir, il le pend son cou. Je partis de l, en compagnie de mon conducteur et d'une belle femme resplendissante (je crois que tait Marie), et je m'levai au haut d'une montagne. Il y avait l toute espce de fruits, et de beaux animaux blancs jouaient au milieu des bosquets. Tout en, haut, nous arrivmes un jardin plein de fruits et de fleurs, notamment de roses de la plus grande beaut. Plusieurs figures s'y promenaient. Je vis l les mes des deux souverains, lesquelles taient arrives dans ce lieu comme par une promotion : elles s'approchrent de la porte, car je ne pouvais en aucune faon aller elles, et demandrent de nouvelles prires pour monter plus haut afin de pouvoir exercer sur leurs descendants une influence favorable au bien de l'glise. JÕaurais bien dsir avoir des roses de ce jardin, j'en aurais voulu un tablier plein; je pensais en envelopper le pied de l'abb Lambert et je croyais que cela lui ferait du bien. Mon conducteur ne m'en donna que quelques-unes et je n'en pus rien faire. È (Elle demande par l des souffrances expiatoires en quantit suffisante pour que le pied de Lambert soit guri. Elle veut souffrir pour cela, mais elle ne reoit pas cet gard d'assurances suffisantes et elle est persuade qu'elle n'obtiendra pas la gurison de Lambert en prenant sur elle les souffrances de celui-ci.)
5. Fte de la Toussaint et commmoration des morts. 1820
Assez longtemps ayant le commencement de la fte, elle tait dj en proie des souffrances continuelles pour les mes du purgatoire. Elle souffrait dans tous ses membres : elle tait assise dans son lit pendant des nuits entires et comptait toutes les heures. Il lui semblait toujours tre un petit enfant qui ne peut s'aider, ni se mouvoir. Elle souffrait de la soif et ne pouvait pas boire, elle tait torture jusqu' en perdre connaissance, dsirant ardemment de porter secours et se sentant charge de liens : si elle prouvait un allgement momentan, aussitt aprs, la douleur redevenait telle qu'elle tait prs d'en mourir. Avec tout cela, elle conservait la plus grande patience et restait calme malgr tous les drangements venant de l'extrieur.
Le 1er novembre, elle dit : Ç J'ai eu d'une manire trs distincte une vision d'une grandeur et d'une magnificence indescriptibles, mais je ne puis en rendre compte avec des paroles. Je vis une table immense avec une couverture rouge et une couverture blanche transparente : elle tait charge des mets les plus varis. Les vases semblaient d'or et avaient sur les bords des lettres bleues. Il y avait des fruits et des fleurs de toute espce, les uns prs des autres : ils n'taient pas l morts et spars de leur tige, ils taient vivants et pleins de sve, car ils donnaient une nourriture ternelle. En les voyant, on se nourrissait de l'ide qui tait en eux (note).
Note : C'est--dire qu'en les apercevant, on s'en nourrissait : mais cette alimentation consistait dans la perception intrieure de leur signification, de leur contenu, de leur ide ou de leur essence.
Des vques, et sous eux, des personnages de toute espce ayant eu charge d'mes figuraient cette table comme ordonnateurs et comme serviteurs. Autour de la table taient assis et debout, formant des choeurs et des hirarchies diverses, d'innombrables groupes de saints placs sur des trnes et rangs en demi-cercle. Comme je me tenais debout prs de la grande table, je vis ces choeurs sans nombre l'entourer, et tout ce monde semblait tre dans un grand jardin; mais en m'approchant d'un de ces choeurs ou en le considrant part, je le voyais dans un jardin part, et je voyais dans ce jardin une table particulire, et cette table recevait tout de la grande table prpare pour tous et y faisait participer. Et dans tous ces jardins, dans ces champs, dans ces plates-bandes, dans ces vgtaux, ces branches, ces fleurs et ces fruits, revivait ce qui vivait dans cette grande table. L'assimilation des fruits ne se faisait pas par une manducation, mais par une perception intrieure. Tous les saints taient avec leurs attributs. Beaucoup d'vques avaient des glises la main, parce qu'ils avaient fond des glises; d'autres portaient des crosses, parce qu'ils avaient seulement rempli leurs fonctions de pasteurs. Il y avait aussi prs des saints beaucoup d'arbres couverts de fruits, et j'avais un tel dsir d'en donner un peu aux pauvres hommes, que je les secouai (c'est--dire que son instante prire attirait les fruits sur la terre) et je vis alors quelle quantit de fruits tombait sur diffrentes contres de la terre. Je vis aussi les saints tous ensemble, chaque choeur d'aprs sa nature et sa force, apporter toute espce d'objets en fait d'chafaudages, d'ornements, de fleurs et de guirlandes pour construire un trne au bout de la table. Et tout cela se faisait avec une rgularit incroyable, comme dans un ordre de choses o il n'y aurait ni dfectuosit, ni pch, ni mort. Tout cela sortait comme spontanment de leur essence et de leur action; des gardiens et des soldats spirituels veillaient sur la table pendant ce temps. È
Ç Je vis ensuite vingt-quatre vieillards s'asseoir autour du trne sur des siges magnifiques : ils avaient, les uns des harpes, les autres des encensoirs, ils chantaient et encensaient. Et alors je vis une apparition venir d'en haut sur le trne; c'tait comme un vieillard avec une triple couronne et un manteau qui s'tendait au loin. Sur son front tait une masse de lumire de forme triangulaire et dans celle-ci un miroir o se rflchissait tout ce qui tait l'entour. Tout semblait y envoyer son image ou la recevait du dehors. De sa bouche sortait une zone de lumire dans laquelle je vis une quantit de paroles crites : je distinguai des lettres et des chiffres que je regardai en toute simplicit: du reste je les ai oublis. Devant sa poitrine, un peu plus bas, je vis un jeune homme crucifi brillant d'un clat indicible; de ses plaies, qui taient de grandes auroles, partaient des bandes de rayons ayant les couleurs de l'arc-en-ciel. Elles enveloppaient tous les saints comme d'un grand anneau, et les diverses auroles des saints, suivant leurs diffrentes couleurs, avaient part ces effusions de lumire et s'y jouaient librement, quoiqu'avec ordre, d'une manire qui ne peut s'exprimer. Je vis de ces courants de rayons, partant des plaies du crucifi tomber sur la terre comme une pluie dont les gouttes taient diversement colores, c'tait comme une pluie de pierres prcieuses. Tout cela avait beaucoup de significations et contenait beaucoup de vrits, car j'ai eu cette occasion des notions sur la valeur, la vertu, les proprits secrtes et les couleurs des pierres prcieuses, ainsi que sur toutes les couleurs en gnral. Je vis entre la croix et l'oeil triangulaire du front le Saint-Esprit apparatre comme une forme aile, et je vis des rayons allant de l'oeil et de la croix cette figure. Je vis en avant de la croix, mais un peu plus bas, la sainte Vierge avec beaucoup de vierges autour d'elle. Je vis un cercle de papes, d'aptres et de vierges autour de la moiti infrieure de la croix. Toutes ces apparitions, tous les saints et tous les anges sans nombre qui taient dans des cercles plus loigns taient en mouvement continuel, pntrant les uns dans les autres, et il y avait unit parfaite dans cette immense varit. Le spectacle tait du reste bien plus riche et plus grandiose que celui d'un ciel toil, et cependant tout y tait clair et distinct, mais il m'est impossible de le dcrire. È
Elle tait accable de souffrances pour les mes en peine : la violence de la fivre excitait chez elle une soif ardente, mais elle ne but pas afin d'allger les peines de ces mes. Pleine d'un vif dsir de porter secours au prochain, elle tait merveilleusement douce et patiente au milieu de ses douleurs. Elle tait trs-puise lorsqu'elle raconta ce qui suit :
Ç Je fus conduite trs-haut par mon guide. Je n'avais pas le sentiment distinct du point du monde vers lequel nous nous dirigions, mais c'tait un chemin bien pnible. Il allait toujours en montant, il tait trs-troit et conduisait comme un pont lumineux une hauteur prodigieuse. Il faisait nuit droite et gauche; il me fallait toujours monter de ct, tant le sentier tait troit. Je vis au-dessous de moi la terre couverte de tnbres et de brouillard, et les hommes accabls de misres et fouillant dans un bourbier. Je fus presque toute la nuit occupe cette pnible ascension : souvent je tombais et je croyais rouler dans quelque prcipice ; alors mon guide qui marchait devant moi me donnait la main et me faisait avancer. È
Ç Il est possible que je voyageasse dans la direction d'un point quelconque du globe, car mon conducteur me montrait quelquefois sur la terre, droite et gauche, des lieux dserts o s'taient accomplis certains dcrets mystrieux touchant la conduite du peuple de Dieu. Je vis divers endroits que les patriarches et ensuite les enfants d'Isral ont parcourus. Il me semblait que ces lieux, quand mon guide les indiquait du doigt, sortaient de la nuit et de l'loignement et se prsentaient moi tout clairs. C'taient des dserts, de grosses tours croules, des marais, de grands arbres tout courbs. Il me dit que quand tous ces lieux seraient de nouveau cultivs et habits par des chrtiens, les derniers temps seraient proches. Au-dessus du sentier que nous suivions planaient beaucoup d'mes accompagnes de leurs conducteurs : elles sortaient de la nuit comme des formes gristres et venaient nous. C'tait comme si elles s'envolaient hors d'une vaste nuit vers ce petit sentier lumineux que le gravissais en adressant Dieu des prires et des supplications incessantes. Elles ne venaient pas sur le sentier lui-mme, mais voltigeaient droite et gauche, prs de moi et derrire moi, le long du sentier. C'taient des mes de gens dcds dans ces derniers jours pour lesquelles j'tais appele souffrir et prier, car quelques jours avant, sainte Thrse, saint Augustin, saint Ignace et saint Franois-Xavier m'avaient apparu, m'exhortant la prire et au travail et me disant que ce jour mme, je saurais pourquoi. Mon chemin ne conduisait pas dans le purgatoire proprement dit : celui-ci tait au-dessous, et je vis ces mes y entrer pour huit jours et davantage, aides par mes prires que je devais encore continuer. Je vis des esprits plantaires tombs, mais non encore damns, tourmenter et harceler ces mes par des reproches, et s'efforcer de les troubler dans leur patience et leurs dsirs. Le lieu dans lequel j'entrai tait une grande contre o on ne voyait pas de ciel : il semblait qu'en l'air il s'tait form une vgtation qui couvrait tout d'une vote, d'un berceau de feuillage. On voyait l des arbres, des fruits et des fleurs, mais tout tait terne, sans souffrance et sans joie. Il y avait l des sections innombrables spares entre elles par des espces particulires de vapeurs, de brouillards, de nuages et de barrires, reprsentant divers modes de sparation et d'isolement, et je vis l habiter, les unes prs des autres, des mes en plus ou moins grand nombre. C'tait un sjour intermdiaire entre le purgatoire et le ciel : j'y vis mon arrive, une quantit d'mes, toujours trois par trois, voler et s'lever, en compagnie d'un ange, d'un ct o une sorte de lueur brillait sur une hauteur lointaine. Elles taient singulirement joyeuses. Je vis toutes ces mes brillantes d'une lumire colore : mesure qu'elles s'loignaient, la couleur de leur aurole devenait plus pure. Je fus aussi instruite sur la signification de leurs couleurs: l'ardente charit qu'elles n'avaient pas pratique assez purement sur la terre rpandait une lumire rouge et les tourmentait : la lumire blanche tait celle de la puret d'intention que la paresse leur avait fait ngliger; la verte tait celle de la patience, que le dpit et l'irritation avaient trouble chez eux. J'ai oubli la signification de la lumire jaune et de la bleue. Les mes partaient toujours trois par trois; elles me saluaient et me remerciaient. Il y en avait beaucoup que je connaissais, appartenant la plupart la classe moyenne et celle des paysans. Je vis aussi des personnes d'un rang plus lev, mais en petit nombre. Quoique dans ce lieu tous les rangs soient confondus, on peut toujours reconnatre les traces d'une ducation plus soigne. Il y a une diffrence essentielle entre les races et o peut les distinguer dans l'apparence extrieure. Le sexe se distingue car quelque chose de fort, d'nergique, de caractris chez les mes masculines : chez celles des femmes, il y a je ne sais quoi de mou, de passif, dÕimpressionnable : on ne peut pas rendre cela. Dans cet endroit se tiennent des anges qui nourrissent les mes avec les fruits qu'il produit : ces mes exercent une action sur le purgatoire et sur la terre; elles ont aussi une connaissance intrieure de la batitude cleste; leur dernire peine consiste dans le dsir ardent et dans l'attente. J'allai jusqu' l'extrmit de ce lieu, et en regardant par une ouverture o il y avait plus de lumire, j'eus la vue d'un espace plus clair et orn de plus belles fleurs. Je vis l des anges comme en mouvement : il me fut dit que les patriarches avaient rsid dans ce lieu avant la descente de Jsus aux enfers, et on me montra o avaient t Adam, Abraham, Jean Baptiste. Je pris ensuite gauche pour revenir mon logis par un chemin difficile. J'allai sur la montagne o j'avais vu l'homme livr la fureur des chiens : il n'y tait plus; il tait dans le purgatoire.
3 novembre, Ç Cette nuit je me suis adresse hardiment tous les saints dont j'ai des ossements prs de moi, et j'ai spcialement pri mes chres soeurs les bienheureuses Madeleine de Hadamar, Colombe de Bamberg, Julienne de Lige et Lidwine de venir avec moi dans le purgatoire et d'aider en sortir les mes qui sont les plus chres Jsus et Marie. J'ai eu la joie d'en voir beaucoup soulages et dlivres. È
4 novembre. Ç Cette nuit j'ai parcouru presque tout le diocse : je suis notamment alle dans la cathdrale, o j'ai vu toutes les omissions et les ngligences du clerg sous la forme d'un lieu rempli d'ordures recouvertes avec beaucoup d'art. Il me fallut porter toutes ces immondices un cours d'eau qui les emporta. Je succombai presque la peine. Pendant ce travail l'me de la fille d'une femme de mon pays vint moi et me dit que je devrais bien aller au secours de sa mre dans le purgatoire. Je vis la mre, qui tait de son vivant une femme trs bavarde et trs gourmande, assise toute seule dans un lieu qui ressemblait une petite cuisine; nul ne lui tenait compagnie; elle tait dvore d'ennui et remuait sans cesse les lvres comme si elle gotait et mchait quelque chose. Elle me pria instamment de rester auprs d'elle cette nuit. Elle passa ensuite dans un lieu meilleur et plus lev, plac en avant de celui o elle tait et j'allai prs d'elle pour la consoler. È
ÇLes esprits plantaires exercent leur action dans le purgatoire: ils reprochent aux patients leurs pchs. Les pauvres mes sont instruites de ce qui se passe dans le ciel et sur la terre dans l'ordre du salut; ce sont des anges qui les en informent : il vient aussi du sein d'Abraham des mes qui les visitent. L'me de la fille qui m'appela auprs de sa mre tait une de celles-l. Je consolai cette femme. Ces mes n'agissent en aucune faon. Dans le purgatoire il n'y aucun produit naturel, pas d'arbres, pas de fruits. Tout est sans couleur, plus clair ou plus sombre selon le degr de purification. Les lieux qui servent de demeures sont disposs avec une sorte de rgularit : ce n'est pas comme dans le sein dÕAbraham, o les mes ont pour sjour une espce de pays, ayant une nature qui lui est propre. Une me dans le sein d'Abraham a dj les couleurs de sa future aurole, mais troubles et ternes : elles passent l'tat de splendeur sans mlange lors de son entre dans la batitude. È
Ç Je vois l'me subir instantanment un jugement au-dessus du lieu o la mort la spare du corps. Je vois l Jsus, Marie, le saint patron de l'me et son bon ange : mme pour les protestants, je vois Marie prsente. Ce jugement s'accomplit en trs-peu de temps. È
6 novembre. Ç Je me disais ce soir qu'aprs tout les mes souffrantes ont l'assurance du bien qu'elles esprent, tandis que les hommes qui vivent mal sont en danger de se perdre pour jamais : c'est pourquoi je voulus prier pour ceux-ci. Alors saint Ignace parut devant moi, ayant d'un ct prs de lui un homme bien portant, indpendant, orgueilleux, que je connaissais, et de l'autre ct un homme enfonc jusquÕau cou dans un marais, qui poussait des cris de desse et ne pouvait rien faire pour s'aider : il tendait un peu au dehors le doigt d'une de ses mains. C'tait un ecclsiastique dcd que je ne connaissais pas. Saint Ignace me demanda alors : Ç Pour lequel veux-tu implorer du secours, pour ce mchant orgueilleux qui peut faire pnitence, s'il veut, ou pour cet homme priv de toute assistance qui ne petit rien faire pour s'aider? È Je tremblai de tous mes membres, et je ne pus mÕempcher de fondre en larmes. Je fus bientt conduite au purgatoire par un chemin pnible et je priai pour les mes. Aprs cela, je fus conduite dans une grande maison de correction et de travail. Je pus attirer l'attention de plusieurs dtenus, auxquels la sduction ou la misre avaient fait commettre des crimes et je pus les mouvoir : quant aux sclrats, rien ne pouvait les remuer. Cette maison de correction tait dans mon pays natal. Je fus encore dans plusieurs autres lieux semblables, et aussi dans une prison o des gens longue barbe taient couchs sous la terre. Leur me tait en bon tat et ils faisaient pnitence : je les consolai. Je vis tous ces lieux comme des purgatoires terrestres. Aprs cela il me fallut aller vers quelques vques. J'en trouvai un, qui tait trs-mondain, donnant un banquet auquel des femmes, mme taient invites. Je fis le calcul des frais du repas et du nombre de pauvres que cet argent aurait pu nourrir. Je prsentai ce compte au prlat, et comme cela le mettait fort en colre contre moi, je lui dis que tout cela tait crit par un ange qui se tenait au-dessus de lui, ayant la main un livre et une verge. Mais il me rpondit que c'tait l peu de chose, qu'on faisait encore pire ailleurs. Je vis qu'en effet il en tait ainsi, mais partout aussi je vis l'ange du chtiment. È
Au milieu de ces travaux de prire pour les mes souffrantes, travaux accompagns de si grandes peines, elle eut la fin de l'octave une vision consolatrice, o elle vit l'effet de toutes les oeuvres de charit que depuis son enfance elle avait accomplies pour ces mes. Ç Je me trouvai, dit-elle, dans la chaumire paternelle et il me semblait qu'on allait me marier. Toutes les mes pour lesquelles j'avais jamais pri vinrent l et apportrent des prsents de toute espce qu'elles chargrent sur la voiture nuptiale. Je ne pouvais pas me rsoudre attendre le dpart; j'tais confuse de voir tant de choses et je ne voulais pas prendre place dans la voiture nuptiale. Je me glissai sous cette voiture et je courus en avant vers la maison o devait se faire le mariage. Mais, en me tranant sous la voiture, j'avais fait une tache de goudron mon vtement blanc de fiance : jÕtais dj arrive Martenswinkel lorsque j'aperus la tache, ce qui me chagrina beaucoup. Je ne savais que faire: mais le bienheureux frre Nicolas de Flue vint mon secours et nettoya parfaitement la robe avec un peu de beurre. La maison des noces se trouvait tre la maison d'cole o j'allais dans mon enfance : elle avait t trs agrandie et trs-embellie. Les deux saintes nonnes me servaient de demoiselles d'honneur. Alors vint mon fianc avec la voiture. Je me disais dans la maison d'cole : Ç Me voici ici pour la troisime fois : j'y allai la premire fois, lorsqu'tant enfant on me mena l'cole et que, sur le chemin, la Mre de Dieu m'apparut avec le jeune garon, me disant que si j'apprenais bien, il serait mon fianc. La seconde fois fut lorsqu'allant au couvent je fus fiance en vision dans cette maison d'cole ; et maintenant j'y vais une troisime fois pour tre marie. È Tout cela tait prsent plein de magnificence et rempli de fruits : la maison et le jardin s'levrent en l'air au-dessus de la terre et je regardai au-dessous de moi la terre obscure et dsole. - Je fus informe intrieurement que cet acte de passer en me tranant sous la voiture indiquait la mort cause par lÕimpatience avant l'achvement de ma tche, et la perte de beaucoup de mrites qui en serait la consquence. È
9 novembre. Ç J'ai eu travailler plusieurs vignes qui avaient mauvaise apparence et o les raisins taient couverts pour les prserver de la gele. J'allai aussi Coblenz et j'eus faire des travaux trs-pnibles dans trois vignes du voisinage. Comme alors je pensais revenir vers les mes du purgatoire, je vis paratre autour de moi neuf figures qui avaient des paquets sur les paules.
Une dixime figure avait dpos son fardeau et s'en tait alle. Or, je devais prendre sur l'paule et sous le bras son long et lourd paquet et monter toujours vers le nord, ainsi charge et entoure des neuf autres figures. Le chemin n'tait pas un chemin ordinaire : il allait en droite ligne vers le levant et il tait fort brillant ; des deux cts rgnaient la nuit et le brouillard. Comme je succombais sous ma charge et ne pouvais pas aller plus loin, je vis apparatre sur le chemin un banc o je dposai mon fardeau. Dans le paquet tait une grande figure humaine et prcisment celle que, deux jours auparavant, saint Ignace m'avait montre enfonce dans la vase : j'appris que c'tait un des derniers lecteurs de Cologne. Il avait un bonnet d'lecteur attach au bras. Les neuf autres taient des coureurs comme en avaient ces princes. Il semblait qu'il ne pouvait pas marcher comme les autres et qu'un d'eux qui l'avait jusqu'alors tran l'avait laiss dans l'embarras: c'tait pour cela qu'il me fallait faire cette besogne. Montant toujours, nous arrivmes enfin un endroit tout fait singulier. Nous vnmes une porte o des esprits se tenaient comme en sentinelle. Les neuf entrrent tout droit, mon paquet me fut t et mis en lieu sr; quant moi on m'indiqua droite une haute muraille. Il y avait des arbres dans l'endroit o j'allai. J'avais de l une vue trs-tendue tout autour de moi : mais je ne voyais rien qu'une pice d'eau immense, coupe de toute sorte de retranchements et de collines auxquels travaillaient des figures en nombre infini. C'taient des rois, des princes, des vques, d'autres personnes de toutes conditions, appartenant surtout la domesticit. Plusieurs princes avaient leurs couronnes attaches au bras, de plus mauvais les avaient aux jambes. Tous devaient travailler aux retranchements, creusant des fosss, charriant des matriaux, gravissant des pentes, etc. J'en vis plusieurs qui tombaient sans cesse du haut des murs et qui devaient aussitt y remonter. Les mes des serviteurs taient charges de faire travailler les mes de leurs anciens matres. Si loin que ma vue s'tendt, je ne vis autre chose que de l'eau et des retranchements : prs de moi taient quelques arbres, mais sans fruits. Je vis l'homme que j'avais port travailler avec les autres : je crois qu'il devait toujours fouiller sous la terre. Les neuf compagnons me parlrent : je devais les aider pour quelque chose dont je ne me souviens plus. Il n'y avait pas l d'mes de femmes. Ce sjour paraissait tre meilleur que purgatoire : car il y avait du mouvement et de l'activit; semblait aussi que les mes dussent y aplanir et y combler quelque chose. A mon grand tonnement, je ne vis lÕhorizon limit d'aucun ct : je voyais seulement le ciel haut et les travailleurs au-dessous de moi droite et gauche et comme une immense tendue d'eau ou d'air. È
Ç Alors, bien loin par del, un autre espace ou une autre sphre me fut montr o il n'y avait que des femmes. Mon guide me dit d'y aller. D'abord je ne savais pas comment m'y prendre, mais il me dit : Ç A l'aide de ta foi È: Je voulais d'abord prendre mon drap, l'tendre sur l'eau m'embarquer dessus : aussitt il vint un petit radeau sur lequel je naviguai sans ramer. Mon guide planait prs de moi au-dessus des eaux. Je vis sur cet espace comme une grande demeure carre et rien que des mes de femmes de toute espce, parmi lesquelles des religieuses et d'autres personnes que je connaissais. Elles avaient une grande quantit de jardins cultiver : les servantes, ici aussi, avaient l'autorit sur leurs anciennes matresses. Elles habitaient des cabanes de feuillage. Aux quatre angles de cette demeure planaient quatre esprits qui surveillaient. Ils avaient sur de grands arbres comme de petites gurites suspendues aux branches. Les mes ici cultivaient des fruits de toute espce, mais ils n'taient pas tout fait mrs, car il y avait bien du brouillard et le ciel tait bien bas. Ce que ces mes obtenaient par leur travail tait remis d'autres mes petites et d'apparence chtive que je vis aller un autre lieu entre de hautes montagnes de glaces. Elles chargeaient les fruits sur des radeaux et elles allaient ces autres personnes parmi lesquelles elles faisaient encore un triage et dont elles envoyrent les meilleures d'autres endroits destins au sjour des mes. Celles qui taient sur les montagnes de glace taient des mes appartenant des peuples infidles qui taient encore moiti sauvages. Les femmes me demandrent en quelle anne l'on tait et comment les choses se passaient maintenant sur la terre. Je le leur dis et je pensai qu'un petit nombre seulement devait venir se joindre ici elles, cause de la multitude des pchs qui se commettent. Je ne me souviens plus de ce que je fis encore l. È
Ç Le retour se fit sur un troit sentier qui allait toujours en descendant. Il arriva ainsi que je vis la montagne des prophtes : tout m'y parut plus vert et plus vigoureux. Il y avait sous la tente deux figures qui s'occupaient des livres. L'un dposait de nouveaux crits, l'autre faisait des ratures dans les livres. Je vis alors paratre les points les plus levs de la terre, je vis des fleuves comme des fils d'argent et des mers comme des miroirs : je distinguai des forts et des villes et je descendis enfin sur la terre prs du Gange. Lorsque je regardai derrire moi, le chemin que j'avais suivi m'apparut comme un rayon dli qui se perdait dans le soleil ainsi qu'une petite flamme. Les bons Indiens que j'ai vus rcemment prier devant une croix, avaient maintenant construit avec des branches entrelaces une glise de feuillage toute verdoyante qui tait fort jolie. Ils taient runis plusieurs ensemble et ils clbraient l'office divin. J'allai de l, travers la Perse, l'endroit o Jsus enseigna au temps qui prcda son crucifiement : il n'en reste plus rien, sinon de beaux arbres fruitiers et aussi des traces du vignoble que le Seigneur y avait fait planter. J'allai ensuite en Egypte : je passai par le pays o habite Judith, je vis son chteau et j'eus l'impression qu'elle a un dsir toujours croissant dÕtre chrtienne. È
Ç Je suivis une autre route tout fait extraordinaire et arrivai au-del de la mer, en Sicile, o je vis beaucoup de lieux dvasts et abandonns. Je franchis ensuite des montagnes peu loignes de Rome. Plus tard je vis dans une plaine sablonneuse, prs d'un bois de sapins, une troupe de brigands qui voulaient attaquer un moulin dans le voisinage. Quand mon conducteur et moi fmes prs d'eux, un de ces hommes fut pris d'pouvante: il dit aux autres : Ç De quelle terreur je suis saisi! Il me semble qu'on est derrire nous ! È Et l-dessus tous prirent la fuite. Je suis tellement fatigue de ce voyage, surtout d'avoir tran cette me lourde, que je suis tout endolorie. JÕai vu et fait dans ce voyage une infinit de choses que j'ai oublies. È
31 dcembre. Ç J'ai fait mes comptes avec moi-mme pour l'anne qui vient de finir. J'ai vu de combien d'omissions je me suis rendue coupable et combien j'ai de choses raccommoder. Je me suis trouve bien misrable et j'ai pleur amrement sur moi-mme. J'ai eu aussi plusieurs visions d'mes en peine et de mourants. J'ai vu un prtre, mort hier neuf heures du soir; il tait trs-pieux et trs charitable. Il est pourtant all pour trois heures en purgatoire parce qu'il avait perdu du temps divers amusements. Il aurait d y passer plusieurs annes, mais de ferventes prires et de nombreuses messes ont ainsi avanc la dlivrance. J'ai vu ses souffrances pendant trois heures et, quand il fut dlivr, je l'entendis dire l'ange, ce qui me fit rire : Ç Maintenant je vois que les anges aussi peuvent nous tromper : je ne devais tre ici que trois heures et j'y suis rest si longtemps, si longtemps! È Cet ecclsiastique tait bien connu de moi. È
Le 29 juin 1821, le Plerin enveloppa dans du papier des cheveux d'une femme dcde et de ses deux enfants dont l'un tait mort sans baptme peu d'heures aprs sa naissance et l'autre l'ge de deux mois, mais baptis, puis il les attacha la camisole de la malade sans qu'elle en st rien. Le jour suivant, elle raconta ce qui suit: Ç J'ai vu la vie de saint Pierre et des scnes o figurait Marie, mre de Marc, mais en mme temps j'avais toujours une vision d'mes en peine vers lesquelles je me sentais fortement tire sans pouvoir arriver elles. C'taient une mre et deux enfants. La mre tait une grande profondeur. Je ne pus aller prs d'elle. Elle me parla d'une voix creuse et sourde : ce qu'elle disait tait trs-difficile comprendre. Les enfants taient dans un autre cercle : je pus aller eux. L'un d'eux tait baptis. Je pus m'entretenir avec lui. Il tait l seulement comme en visite, il appartenait un cercle plus lev. Quand je voulus aller la mre, il me sembla que j'enfonais, comme si j'eusse t trop lourde. J'essayai de l'assister de diverses manires, j'offris pour elle des prires et des souffrances, mais je ne pus arriver jusqu' elle. Mes regards plongrent dans un sombre et vaste empire, dans un monde de brouillard o il y avait plusieurs cercles. L'tat o sont ces mes, les privations et les peines qu'elles subissent sont la suite ncessaire de leurs imperfections et de leurs transgressions sur la terre. Plusieurs sont en compagnie, d'autres sont seules. Les lieux dans lesquels elles se trouvent sont nbuleux et comme dans un brouillard, tantt plus pais, tantt plus lger; les uns sont humides, les autres secs : il y rgne un froid vif ou une chaleur touffante : il y a aussi des diffrences dans la lumire et les couleurs. Je vis pourtant l dj une ple lueur d'aurore. Les enfants taient plus prs du bord. Les non-baptiss souffrent surtout de la liaison troite avec le pch et l'impuret de leurs parents, les baptiss sont libres et purifis. On ne peut aider les mes que par la grce, la mditation, la prire, les bonnes oeuvres, les mrites des saints, quelquefois par le fruit provenant de quelque chose de bon qui tait dans ces mes elles-mmes et qui s'est produit pendant leur vie. L'ide la plus claire qu'on puisse se faire de cet tat de choses est de se reprsenter sur la terre des tablissements rgls selon la justice la plus parfaite pour la correction et l'amlioration des dtenus, o toutes les punitions infliges et les satisfactions exiges correspondraient exactement aux dlits. Qu'on se figure en outre la sparation corporelle des hommes comme n'existant pas, en sorte que chacun puisse agir dans les autres et pour les autres, et l'on se fera une ide de la manire dont sÕoprent la satisfaction et la dlivrance. Le captif ne peut rien faire que souffrir. Il est ce qu'est dans un corps un membre malade ou paralys. Mais si les veines et les nerfs les plus proches qui communiquent de ce membre au reste du corps ne sont pas entirement morts, sa souffrance va produire la sympathie et la compassion dans les autres parties du corps qui cherchent alors le dlivrer. En ce monde on ne peut arriver aux maisons de correction que par des intermdiaires et des amis; on peut aussi soi-mme par des supplications, des travaux, des satisfactions, des extinctions de dettes, obtenir des grces et amener des jours de pardon; de mme ceux qui sont renferms dans de profonds cachots ne peuvent faire entendre leur voix que de loin, comme par un soupirail ou par-dessus un mur; les choses se passent ainsi certains gards dans l'autre monde. Mais, sur la terre, tout est mlang de pch, de mensonge et d'injustice, tandis que l, tout ce qui se fait, tout ce qui a pour but de consoler et d'assister sÕopre selon la justice la plus parfaite. C'est la mme diffrence qu'entre la monnaie de la terre, et celle qui a cours devant Dieu, au moyen de laquelle on s'acquitte envers lui. Je fis beaucoup de tentatives pour comprendre ce que disait l'me de cette femme et pour lui porter secours, tant elle qu'aux enfants, et quand je me croyais au moment de la faire arriver en haut, il y avait toujours quelque empchement. Enfin je persuadai sainte Marie, mre de Marc, de m'accompagner l car cette vision touchant les mes tait toujours interrompue par la vue de la fte de saint Pierre et de Marie, mre de Marc. Celle-ci vint en effet avec moi et, par ses mrites, je pus arriver plus prs des pauvres mes. Je reus aussi un avertissement accompagn d'une vision touchant un enfant mort qui ne pouvait pas recevoir la spulture : je devais le faire enterrer et le Plerin en faire les frais. JÕappris que l'me de la femme dsirait comme une chose qui lui tait ncessaire le mrite de cette bonne oeuvre. En outre elle me dit ce qu'il y avait faire pour elle, indpendamment des prires qu'il fallait toujours continuer. Je le dirai en temps opportun au Plerin. È
Le jour suivant, il vint une pauvre femme de Dulmen, demandant qu'on pourvt aux frais de l'enterrement de son enfant mort l'ge de trois ans. C'tait le mme que la malade avait vu pendant la nuit. Le Plerin fit les frais et elle-mme donna de la toile. Cela se fit au bnfice de cette me dont il a t parl.
1er juillet. Ç Je me trouvai de nouveau avec l'me en question. J'avais affaire un petit enfant que je devais habiller. L'enfant tait sans force, il s'affaissait sur lui-mme. Je voulais lui mettre un petit vtement, une femme me le donna. Je crois que c'tait la Mre de Dieu. Le vtement tait blanc et transparent, et cependant il tait ctes et semblait fait au tricot. J'tais toute honteuse, je ne sais pourquoi : c'tait peut-tre pour les gens qui auraient d faire cela. Le petit enfant auparavant ne pouvait pas se tenir sur ses pieds. Je le vis maintenant aller une fte o beaucoup d'enfants jouaient. Le lieu o cela se passait et o la mre se trouvait prsent tait dans de meilleures conditions ; il y faisait plus clair. (Cette vision eut lieu aprs l'enterrement de l'enfant.) L'me de la mre me remercia ; cela ne se fait pas comme en ce monde, mais on n'a le sentiment. Il faut se donner beaucoup de peine pour arriver une de ces mes, car elles-mmes ne peuvent rien faire. Si l'une d'elles pouvait tre seulement un quart heure sur la terre, elle pourrait abrger sa peine de plusieurs annes.
3 juillet 1821. Ç Je me suis trouve dans le clotre de la cathdrale de Munster o j'ai eu nettoyer, avec beaucoup de fatigue, du linge d'glise qu'apportaient de tous cts des ecclsiastiques du pays. Je fus aide par Claire de Montefalco, Franoise Romaine, Louise et plusieurs bienheureuses de notre couvent. Je fus spcialement occupe empeser et bleuir. C'tait un trs-grand travail. Je voulais toujours savoir quelle heure il tait et j'allais voir lÕhorloge. Alors il vint moi une pauvre me que le Plerin avait recommande mes prires et qui me donna un petit sablier qu'elle me dit avoir t terriblement lourd sur elle. Elle le tira de son ct. Je le pris, et cette me fut incroyablement allge par l et toute joyeuse d'tre dbarrasse du sablier : je ne le trouvai pas trop pesant. Je retournai au travail et je pensai vendre le sablier pour les pauvres. Je trouvai l'ouvrage tout gt : je fus au moment de perdre patience. Alors l'me revint moi en hte et me chuchota l'oreille : Ç Doucement ! doucement ! il y a encore assez de temps : È Puis elle me pria instamment de continuer paisiblement le travail, comme si mon impatience lui et fait du tort. Elle me quitta et je finis heureusement ma lessive. Je mis aussi en bon tat l'empois gt et je pus en faire usage. J'eus encore envie de voir l'heure, mais je me reprochai mon impatience. Les horloges taient ici une image du temps et de la patience : la pauvre me s'est trouve secourue parce que j'ai persvr patiemment au travail et, lorsque je lui pris le sablier, le temps ne fut plus si lourd supporter pour elle. È
Dans la premire semaine de juillet, une femme de Dulmen tait livre aux douleurs d'un enfantement trs-difficile. Elle pria Anne-Catherine de l'aider de ses prires, et celle-ci, qui ne cessait de voir l'tat de la femme en couches, priait sans relche afin que l'enfant pt recevoir l'ondoiement dans le sein de sa mre. La sage-femme jusqu'alors irrsolue le donna l'enfant : il vivait encore, mais le lendemain il vint au monde sans vie. La mre vcut jusqu'au 13 juillet : mais l'enfant mort-n apparut le 8 Anne-Catherine, svelte, lumineux et semblable quelqu'un qu'elle aurait connu depuis longtemps. Il lui rendit grces pour le baptme qu'il avait reu et lui dit : Ç Sans cela je serais all avec les paens. È
13 juillet 1821 . Ç J'ai vu la vie de sainte Marguerite. Son pre tait un prtre des idoles d'Antioche, riche et considr. Je la vis dans une belle maison presque semblable celle de sainte Agns. Il y eut une grce attache la naissance de sainte Marguerite : l'enfant tait brillante de lumire. La mre devait avoir eu quelque point de contact avec le christianisme, car je la vis mourir des suites de ses couches, ayant un grand dsir du baptme et souhaitant que sa fille pt devenir chrtienne. Le pre remit l'enfant une nourrice qui habitait la campagne. Celle-ci n'tait pas marie : mais son enfant tait mort et elle tait chrtienne en secret. Je la vis, par suite de l'impression que fit sur elle l'admirable caractre de l'enfant, devenir vertueuse et pieuse et lever l'enfant tout fait en chrtienne. Je vis souvent l'esprit de sa mre, je vis aussi des anges se tourner sur le berceau de Marguerite. Je vis comment la nourrice rapporta l'enfant son pre dans la ville, comment celui-ci la prsenta devant ses idoles et comment l'enfant se dbattit, ce qui courroua fort son pre. Je vis l'enfant dans sa sixime anne, ramene par son pre et mise ans une maison laquelle tait prpos un instituteur paen. Il y avait l beaucoup de petits garons et de petites filles et aussi des matresses. Je vis souvent des apparitions d'anges et la direction donne par Dieu Marguerite. Je la vis apprendre faire des broderies de toute espce : elle avait aussi fabriquer des poupes rembourres. Je la vis, un ge un peu plus avanc, envoye par le matre paen dans la maison de son pre. Il voulait la faire sacrifier dans sa maison. Elle s'y refusa et fut fort maltraite. Elle attira beaucoup de vierges elle. Je la vis souvent punie et mme fouette cause de son penchant au christianisme. Je la vit aussi, dans sa douzime anne, enferme avec des jeune gens chargs de la sduire : mais elle tait toujours secourue par Dieu. Une fois on voulut la faire sacrifier aussi dans le temple : elle rsista et fut trs-maltraite par son pre. Aprs cela, je la vis garder les moutons avec dÕautres : ce devait tre, une punition. Je vis qu'un juge distingu d'Antioche, passant par l, la vit et la demanda en mariage son pre. Elle fut ramene la ville et, comme elle se dclara chrtienne, elle eut subir des interrogatoires et des tortures. Je la vis une fois, le corps tout dchir, prier dans la prison et je vis sa mre et un ange venir elle et la gurir. Elle eut aussi en prison la vision d'une fontaine surmonte d'une croix, ce qui se rapportait son baptme et son futur martyre. Comme on la trouva parfaitement gurie, on attribua la chose aux dieux. Mais elle maudit les dieux les paens, et je la vis, sur la place o avaient lieu les excutions, brle avec des torches, puis jete dans une fosse pleine d'eau pour y tre noye. Elle y fut attache des pieux avec plusieurs autres; et enfonce si profondment qu'elle avait de l'eau par-dessus la tte. Je vis alors qu'elle entra dans l'eau avec le saint dsir que ce ft pour elle un baptme, qu'un nuage lumineux en forme de croix descendit sur elle et qu'un ange apparut portant une couronne. Cela fut vu de beaucoup des assistants, lesquels confessrent Jsus-Christ, puis furent mis en prison et martyriss. Mais il survint un grand tremblement de terre : les liens de la vierge se rompirent et elle sortit de l'eau saine et sauve. Je la vis reconduire en prison au milieu des cris d'une populace en tumulte comme elle tait en prires, je vis un grand dragon avec une tte de lion s'avancer contre elle, mais elle fit le signe de la croix sur lui et lui mettant la main dans la gueule, elle lui pressa fortement la tte contre la terre. Je vis dans ce moment entrer dans la prison deux hommes qui voulaient abuser d'elle : mais ils s'enfuirent et la terre trembla. On conduisit ensuite Marguerite un amphithtre o tait une multitude immense : on avait plac autour d'elle plusieurs jeunes filles charges de l'intimider. Elle pria le bourreau de la laisser parler et elle tint ces jeunes filles un discours si touchant que toutes confessrent le Christ haute voix et prirent avec elle lorsqu'elle fut dcapite. Je vois que cette sainte est invoque par les femmes en couche parce que sa mre mourut convertie en la mettant au monde et parce qu'elle-mme, par les supplices qu'elle a soufferts, a engendr spirituellement un trs-grand nombre de filles au Seigneur. È
Ç Aprs cela j'eus encore une vision horrible. Je ne savais pas au commencement comment elle se rattachait cette sainte. Je vis un norme pourceau, d'un aspect effrayant, qui sortait d'un profond bourbier. Je tremblai et je frissonnai. C'tait l'me d'une grande dame de Paris qui me dit qu'il n'y avait pas prier pour elle, qu'on ne pouvait pas la secourir, qu'elle tait oblige de se rouler dans ce cloaque jusqu' la fin du monde, mais elle me demanda de prier pour sa fille afin que celle-ci se convertit et ne ft pas cause d'autant de mal qu'elle-mme l'avait t. J'eus la vision de sainte Marguerite dans une petite chapelle de Paris, dernier reste d'une abbaye dtruite. Il sÕy trouve une portion du bras et du crne de la sainte. Lorsque j'eus vnr ces ossements, je vis lÕme de la dame et un tableau de sa vie. Son tombeau n'est pas loign la chapelle. Elle tait d'un rang trs-lev et fit beaucoup de mal pendant la Rvolution : elle fut cause que plusieurs prtres furent mis mort. Avec tous ses vices, elle avait conserv depuis sa jeunesse une certaine vnration pour sainte Marguerite et elle empcha la destruction de la chapelle de la sainte : cÕest pourquoi elle obtint par son intercession la grce de pouvoir demander des prires pour sa fille et empcher par l chez celle-ci la continuation de ses propres pchs. Je vis cette fille mener la vie du grand monde : elle tait affilie aux partis les plus mauvais et les plus dangereux du pays. È
28 aot. Ç Diverses personnes de ma connaissance, mortes depuis longtemps, vinrent me prier de les assister et me conduisirent successivement dans des champs et des lieux resserrs et sombres o elles avaient faire des travaux de toute espce, mais elles ne pouvaient pas en venir bout parce qu'il leur manquait tel ou tel outil. Elles criaient au secours vers moi et il me fallut faire pour elles les divers travaux trs-pnibles, ce qui leur donna du soulagement. C'taient pour la plupart des travaux agricoles. Je retournais chez moi aprs chaque travail et il me fallait revenir pour en faire un autre. J'eus aussi travailler des vignes. C'tait pour des prtres. J'allai aussi un lieu rempli de pieux pointus o les gens ne pouvaient changer de place sans se blesser. Je fis l un faux pas : un pieu m'entra dans le mollet et je saignai trs-abondament. È Elle avait la jambe une grande marque rouge triangulaire. Elle eut aussi ces jours-l subir un supplice particulier : c'tait comme si son poux cleste adaptait des vis certains endroits de son corps et comme si elle tait mise sous le pressoir.
30 aot 1821. Ç J'ai eu cette nuit de terribles peines me donner pour de pauvres mes, notamment pour des juifs, vivants et morts. J'ai eu d'abord beaucoup souffrir. Je fus appele au secours par l'me d'une femme de mon pays qui avait eu une fille pieuse, mais un peu simple, qu'elle avait toujours injurie et battue cruellement quand elle tait sur la terre. Je ne pouvais pas arriver cette me, mais j'entendais ses cris et je la voyais horriblement flagelle et maltraite. Je me suis pendant longtemps donn beaucoup de peine pour elle et je dois trouver quelque moyen d'exciter sa fille qui est encore vivante se souvenir de l'me de sa mre. È
Ç J'ai eu hier le tableau d'une noce juive : mais je ne me rappelle rien de plus. È (Il y en avait une dans la ville.) Cette nuit lÕme d'une pauvre juive vint moi et me conduisit en divers endroits pour exhorter les juifs se convertir et devenir meilleurs. Ç Alors elle raconta diverses scnes o figuraient des juifs vivants et morts, les uns connus, les autres inconnus d'elle. Elle visita des juifs dans les pays les plus loigns, mme en Asie et prs du mont Sina. Elle alla aussi dans une boutique juive de Coesfeld qu'elle connat. La juive tait occupe arranger, pour tromper les acheteurs, des marchandises de mauvaise qualit qu'elle mlait avec de bonnes : c'taient des dentelles et des pices de toile dont il n'y avait pas un tiers qui valt quelque chose. Anne Catherine lÕempcha plusieurs reprises de trouver ce qu'elle cherchait. La femme ne pouvait pas ouvrir les armoires ni trouver les marchandises. Elle devint horriblement inquite, courut son mari et se mit pleurer. Celui-ci lui dit qu'elle devait avoir pch, qu'elle avait eu peut-tre de mauvaises penses et qu'il fallait faire pnitence. La femme l-dessus alla se blottir dans un coin. Anne Catherine reut alors un pouvoir sur elle, lui tint divers discours, l'inquita et lui fit si vivement sentir son action que cette femme appela son mari au secours. Celui-ci vint et dit : Ç Vois-tu maintenant que tu as pch ? È L-dessus la femme prit la rsolution, pour expier sa fraude, de donner beaucoup de vieux linge de pauvres chrtiens, et la distribution de ce linge et d'autres aumnes servit, par l'intervention d'Anne Catherine, faire pardonner cette juive des pchs de divers genres. È
Ç Je fus conduite par l'me de la vieille juive dans le sjour des mes des juifs et j'eus y donner conseil et assistance divers pauvres juifs de Coesfeld dont je connaissais quelques-uns. Je vis ce lieu comme tant tout fait part et comme attenant au lieu de purification des chrtiens. Je fus trs-touche de voir qu'ils n'taient pas perdus pour l'ternit. Je vis les tats les plus divers, les plus dignes de piti. Je vis une pauvre famille juive, dÕailleurs pieuse, qui avait fait chez nous un commerce de vieille argenterie et de petites croix de tout genre, renferme comme dans un atelier d'orfvre; ils taient obligs de fondre, de peser, de limer sans cesse; mais ils n'avaient pas les outils qu'il et fallu et ils ne pouvaient jamais finir; il restait toujours quelque chose faire et ils taient
toujours forcs de recommencer. Je me souviens d'avoir fait un soufflet pour eux. Je parlai tous du Messie et de choses semblables, et ce que je disais; la vieille juive le conseillait et le rptait. Je vis aussi des juifs qui nageaient dans le sang, au milieu d'intestins de toute espce, et y prouvaient le supplice d'un dgot toujours subsistant : d'autres qui couraient sans jamais sÕarrter, tranaient de lourds paquets, roulaient et droulaient sans cesse des ballots. D'autres ressentaient des souffrances varies causes par des abeilles, de la cire et du miel. Tout cela ne peut se dcrire. Je visitai aussi tous les juifs de cette ville-ci. J'allai la nuit dans leurs demeures; le rabbin tait tout immobile et comme ptrifi, la grce ne lui arrivait par aucun ct: je ne pus m'approcher de lui en aucune faon. La femme P. est comme enchane par un principe absolu, suivant lequel c'est un pch que de penser seulement des choses concernant le christianisme d'o vient qu'elle se croit oblige de repousser de telles penses. La plus rapproche de la vrit chrtienne est la grosse juive qui vend de la viande : si elle n'tait pas si porte frauder, elle recevrait encore plus de grces; mais personne n'a piti de ces gens. J'ai t prs du lit de cette femme et j'ai agi sur elle. Je lui dis beaucoup de choses : je vis qu'elle s'veilla, courut, tout effraye, son mari et lui dit qu'elle croyait que l'esprit de sa mre lui tait apparu. Elle tait dans une terrible angoisse et elle prit la rsolution de donner quelque chose aux pauvres chrtiens. Je fus aussi chez des juifs, dans une grande rue habite exclusivement par eux : il y avait l beaucoup de gens pieux : il s'en trouvait aussi de trs-riches qui tenaient cachs sous les dalles de leurs appartements une quantit d'or et de bijoux. Je fus chez des juifs distingus et opulents : mais il n'y avait rien faire avec eux. Je fus aussi Thessalonique. dans une grande ville de juifs o je rencontrai des gens pieux en grand nombre, je les vis plus tard se rassembler tout mus et parler comme si le Messie tait venu. Ils se communiquaient leurs motions et leurs projets. Je fus aussi chez des juifs qui habitaient de vieilles cavernes de voleurs prs du mont Sina et qui commettaient dans le pays beaucoup de brigandages et de cruauts. J'ai t charge de les frapper d'pouvante, peut-tre dans lÕintrt des plerins et des chrtiens du pays.
18 septembre 1821. Ç J'ai vu une paysanne revenir chez elle d'une fte de village. Une me s'approcha d'elle, sous l'apparence d'une figure gristre et mlancolique, et lui murmura quelque chose l'oreille. La femme tressaillit, parut mcontente, crut que c'tait un pur effet de l'imagination et alla dans une chambre pour parler une servante. L'me ne se retira pas, mais poursuivit la femme de ses remontrances : celle-ci alla de nouveau la fte le lendemain. Alors la figure grise et mlancolique vint moi : elle me parla d'une voie creuse et sourde qui semblait sortir du fond d'un puits et dans un langage bref o beaucoup de choses se disent en peu de mots. Je compris qu'elle tait retenue dans un tat de captivit et d'obscurit, parce qu'elle tait ne dans une bergerie o les brebis n'allaient pas aux vrais pturages, ce qui faisait qu'elles connaissaient peine leur pasteur et ne pouvaient rien recevoir de lui. Il est terrible de vivre dans l'iniquit et l'aveuglement par la faute de ses aeux et de ne s'en apercevoir qu'aprs la mort. Elle tait charge par Dieu de parler cette paysanne et d'avertir celle-ci qui, excite par de faux amis, tait au moment d'entamer un procs dont le rsultat devait tre de lui faire perdre ce qu'elle possdait et de rduire ses filles la misre. Elle avait mari son fils la fille d'une veuve et elle avait pris avec ladite veuve des engagements par suite desquels elle allait se jeter dans ce procs qui devait lui faire perdre son bien et son crdit. Quant l'me qui me parlait, c'tait celle du mari de cette paysanne et elle ne pouvait trouver de repos que la femme n'et chang d'avis: mais malheureusement ce mari tait dans un tat de captivit o il ne pouvait rien faire, sinon inquiter sa femme par des reproches intrieurs et la porter de meilleures penses. Il ne cessait pas d'y travailler : mais jusqu'alors ses efforts avaient t inutiles car la femme croyait toujours que c'taient de pures imaginations. Elle ne s'ouvrait personne; cherchait des distractions dans les noces, les baptmes et les ftes de village, ne prtait l'oreille qu' des domestiques et des servantes perfides qui la poussaient plus avant dans sa mauvaise voie et ne voulait pas couter des voisins honntes et senss. Aussi n'y avait-il pas de bndiction sur sa maison et son mnage, parce que cette femme cachait en confession d'anciens pchs et touffait toujours les avertissements de sa conscience : or, la grce ne se trouve que sur le chemin de la pnitence. È
Ç Depuis longtemps, disait l'esprit du mari, j'inquite ma malheureuse femme, mais elle subit de plus en plus l'influence de la veuve et cela doit la conduire sa ruine : elle ne veut pas m'couter et quand elle ne peut plus rsister son inquitude, elle court l'table et la prairie, visite ses troupeaux et ses champs ou fait faire des travaux. Tu as pri rcemment pour ma pauvre femme : tu as pri avec tant de ferveur que Dieu t'a exauce :tu as offert Dieu pour ma femme les cruelles souffrances de ce jour-l et cela m'a fait obtenir la grce de pouvoir venir toi et te prendre avec moi pour m'aider. Je vais maintenant te conduire mon fils auquel tu parleras: je suis trop troitement li: je ne le puis pas moi-mme. Peut-tre que mon fils pourra ouvrir les yeux sa mre : il est bon et simple et ne refusera pas de nous croire. È J'allai alors avec l'esprit d'abord la fte du village o sa femme tait assise en compagnie d'autres femmes. Je vis qu'il s'approcha encore d'elle et lui parla l'oreille, lui disant qu'il fallait enfin se dlivrer de la veuve et ne pas risquer sa vie, son me et son bien dans un procs injuste. Je vis la femme triste, inquite, quitter sa socit et chercher d'autres conversations. L'esprit me dit aussi que cette femme insense tait au moment d'engager l'affaire, mais qu'il ne resterait pas inactif, car ses souffrances dans l'autre monde et sa sparation de la lumire taient aggraves et prolonges par la folie de sa femme, dont lui-mme tait en partie responsable parce que le mnage avait t souvent mal administr par sa faute. Il me conduisit alors chez son fils. Le chemin tait long et dsert et il me fallut traverser un grand tang dont les eaux taient agites. Le passage tait trs-dangereux. Je faisais de grands efforts et j'avais peur. LÕme tait mes cts, sa voix tait caverneuse et semblait venir de loin : l'angoisse et le pril taient partout. Sur le chemin, l'me me disait chaque champ, chaque chaumire, quel danger pour l'avenir, quel pch s'y rattachait; comment il fallait prier et agir. Quand nous fmes de lÕautre ct de l'eau, le chemin se dirigea au nord travers une contre d'un aspect sombre. Nous arrivmes un gros bourg. L'me me conduisit travers un champ une chaumire : nous entrmes dans la chambre du fils. Il fut saisi d'effroi : je crois qu'il vit l'esprit de son pre : mais pourtant il se remit. Il me fallut lui parler longuement, lui dire qu'il devait mieux prier qu'il ne faisait et lui indiquer ce qu'il avait faire l'gard de sa mre qui allait tout perdre si elle s'engageait dans le procs de sa belle-mre. Je lui dis que l'me de son pre, qui ne pouvait arriver sa mre, lui recommandait d'avertir celle-ci et de lui dire que c'tait par sa faute qu'il ne pouvait trouver de repos. J'eus encore lui dire des choses importantes dont je ne me souviens plus. Ce fils me part simple, bon et pacifique : il a le visage rond, le nez un peu retrouss; il n'y a en lui aucun artifice. Il fut trs-mu et montra un grand dsir de marcher dans la bonne voie, l'tat de sa mre lui faisait beaucoup de peine. La simplicit de ce jeune paysan tait vraiment touchante. Je vis alors l'effet de mes paroles dans une vision grande distance. Je vis le fils appeler sa femme d'une pice o elle filait. Elle le suivit de trs-mauvaise humeur, tenant le rouet entre elle et lui. Mais il lui parla de ce qui lui tait arriv et la pria de faire en sorte que sa mre pt se retirer du procs. J'entendis la femme dire une fois : Ç Il faut ter ta mre jusqu' la robe qu'elle a sur le corps. Je vis le mari l'implorer genoux pour sa mre, demander qu'on lui laisst au moins deux champs et deux mtairies que je vis en l'air comme des les. J'entendis alors la femme dire: Ç Tu es si bon et si honnte que je rendrai une robe ta mre si je le puis. È Ce fut comme si ds lors le procs de la veuve allait de travers, comme si l'affaire tombait du mauvais ct o elle penchait, et comme si la paysanne n'y tait plus implique. Je vis celle-ci plus pauvre, mais dans une meilleure voie, parmi les paysans de la commune contre lesquels la veuve avait commenc le procs inique. J'aurai encore souvent accompagner la pauvre me. C'tait un chemin bien difficile, notamment sur l'eau. Dans la dtresse et les efforts de cette me, il y avait quelque chose de singulirement touchant. Quand je voulais m'approcher de la paysanne, je ne le pouvais pas : elle tait toujours environne comme d'un lac : elle se tenait au milieu et semblait prs de tomber. >>
Dans la dernire semaine d'octobre 1821, elle eut s'occuper des pauvres mes avec des efforts trs-laborieux. tout en souffrant de grandes douleurs dans le bas-ventre : Ç J'allai, dit-elle, dans un lieu obscur visiter des mes qui n'taient pas catholiques. Il leur manquait quelque chose que je devais leur faire avoir. Elles me demandaient de faire moi-mme et de faire faire des pices d'habillement pour divers pauvres et de me procurer les toffes ncessaires, au moyen d'aumnes. Toutes ces pices d'habillement me furent montres et il me fut dit o j'aurais les toffes. Je voulais d'abord dcliner la proposition, mais les pauvres mes me pressrent tellement que j'y consentis, et ce fut pour moi une tche bien pnible. È Au milieu de ses douleurs, elle tailla pendant plusieurs jours des chemises pour des pauvres et fut durant ce temps trs-trouble par des visites de parents et par la vive impatience que causait au Plerin le drangement qui en rsultait : cependant elle surmonta parfaitement tout ce qui pouvait l'exciter l'impatience, ainsi que le Plerin fut oblig de le reconnatre, la date du 4 octobre : Ç Quoique souffrant excessivement de ses douleurs dans le bas-ventre, dit-il, elle a t aujourd'hui enjoue, patiente et affectueuse. De nouvelles visites d'trangers, qu'elle n'osait pas refuser, l'ont extrmement fatigue, mais n'ont pu troubler son calme et sa bonne volont. Elle parle avec
beaucoup de bienveillance de tous ceux qui lui causent des ennuis. È Elle raconta de son ct : Ç J'ai encore eu beaucoup faire avec les pauvres mes et je sais toutes les pices d'habillement que je dois faire pour des indigents. Je connais aussi leur forme, leurs dimensions et l'toffe qu'il faut employer : mais je ne connais pas encore les pauvres auxquels elles sont destines. Il m'a encore t recommander de demander pour cela des aumnes au Plerin. Je visiterai les mes souffrantes dans mon voyage la maison des noces : j'ai en outre nettoyer l, dans le champ, un coin de terre inculte et plein de ronces. Dans la maison des noces elle-mme je trouvai la grosse cuisinire. Elle avait autour du corps un cercle de fer o taient pendus ses cuillers, ses cuelles et tous ses ustensiles. Comme le mal que jÕai au bas-ventre me faisait excessivement souffrir, mon confesseur m'ordonna de rsister la douleur. Je me tins tranquille : mais vers minuit elle devint encore plus vive et je vis comme une horrible figure fondre sur moi. je me soulevai avec peine et je dis avec simplicit et avec foi Ç Va-t'en bien vite ! Que viens-tu faire ici? Je n'ai pas besoin de toi. Mon confesseur me l'a ordonn. È Et aussitt la douleur disparut et je fus en repos jusqu'au matin. È Le 10 octobre, les vtements demands par les mes souffrantes taient achevs : alors on annona la venue d'une pauvre femme qui en demandait pour ses enfants : d'autres indigents furent nomms par les pauvres mes Anne Catherine pour qu'elle leur donnt ce qui restait. Le 7, le Plerin avait dj fait la remarque suivante : Ç Elle a prpar tous les objets qui lui ont t demands par les mes souffrantes, mais elle ne sait pas pour qui. La nuit elle avait fait chercher l'toffe dans les boutiques, elle savait o elle se trouvait et o elle manquait. È
Fin d'octobre 1821 : Ç Depuis plusieurs jours, cause de l'approche du jour des Morts, elle a continuellement de rudes travaux faire la nuit avec des mes en peine qu'elle connat ou qu'elle ne connat pas : souvent elle est requise par une me qui lui apparat ou par l'ange gardien de celle-ci de faire telle ou telle chose comme satisfaction. Elle doit exhorter des vivants un travail, une rparation. Ainsi dans ces dernires nuits l'me d'une dfunte vint la trouver et lui exposa qu'un bien mal acquis lui avait t transmis par ses parents et qu'il tait maintenant entre les mains de sa fille. Anne Catherine eut avertir cette fille et faire un grand voyage au milieu d'une neige paisse : elle se souvenait aussi d'une merveilleuse glise spirituelle dans laquelle il lui avait fallu servir la messe et donner la sainte communion quelques mes. È - Ç Je fus trs-intimide, dit-elle, quoique je dusse prendre l'hostie avec un linge. Je sentais que ma qualit de femme m'interdisait: Je ne servis la messe non plus qu'avec beaucoup d'inquitude, jusqu' ce que le prtre se tourna vers moi et me dit d'un ton trs grave qu'il fallait le faire et que cela devait tre ainsi. Je reconnus dans ce prtre le dfunt abb Lambert qui tait tout lumineux. Je n'ai plus cette scne bien prsente l'esprit et je ne la comprends pas. È
Le matin du 25 octobre, le Plerin la trouva toute terrifie et toute bouleverse : Ç J'ai eu cette nuit, dit-elle, une effrayante vision qu'encore maintenant je ne puis pas chasser de mon esprit. Comme je priais hier soir pour les mourants, je fus conduite prs d'une femme assez riche et j'eus la douleur de voir qu'elle allait se damner. Je luttai avec Satan devant son lit, mais sans succs : il me repoussa ; tait trop tard. Je ne puis dire quel fut mon dsespoir quand il enleva cette me et qu'il laissa l le corps courb en deux et aussi repoussant pour moi qu'une charogne. Je pus m'en approcher : je ne le vis que de haut et de loin; il y avait l aussi des anges qui regardaient. Cette femme avait un mari et des enfants. Elle passait pour une trs bonne personne et elle vivait la mode du monde. Elle avait un commerce illicite avec un prtre, et c'tait l un vieux pch d'habitude quÕelle n'avait jamais confess. Elle avait reu tous les sacrements : on parlait de sa belle contenance on la disait bien prpare. Elle tait pourtant dans lÕangoisse cause du pch qu'elle avait tenu secret. Alors le diable lui envoya une misrable vieille femme, son amie, laquelle elle s'ouvrit sur ses inquitudes. Mais celle-ci lÕexhorta chasser ces penses et ne pas faire de scandale; elle lui dit qu'il fallait se tenir en repos quant aux choses passes, qu'elle ne devait plus se tourmenter maintenant qu'elle avait reu les sacrements et difi tout le monde, qu'elle ne devait pas exciter des soupons, mais s'en aller paix Dieu. Puis la vieille femme ordonna qu'on la laisst seule et en repos. Mais la malheureuse, si voisine de la mort, avait encore l'imagination pleine de dsirs qui la portaient vers le prtre complice de son pch. Et lorsque je l'abordai, je trouvai Satan sous la figure de ce prtre qui priait devant elle. Elle-mme ne priait pas, car elle agonisait, pleine de mauvaises penses.- Le maudit lui lisait des psaumes; il lui citait, entre autres; ces paroles : QuÕIsral espre dans le Seigneur, car en lui est la misricorde et la rdemption surabondante, etc., etc. Il fut furieux contre moi. Je lui dis de faire une croix sur la bouche de la mourante, mais il ne le put pas. Tous mes efforts furent inutiles : il tait trop tard, on ne pouvait pas arriver elle; elle mourut. Ce fut quelque chose d'horrible quand Satan emmena son me. Je pleurai et je criai. La misrable vieille femme revint, consola les parents qui taient l et parla de la belle mort de son amie. Lorsque je m'en allai, en passant sur un pont qui tait dans la ville, je rencontrai encore quelques personnes qui allaient chez elle. Je me dis : Ç Ah! si vous aviez vu ce que j'ai vu, vous vous enfuiriez loin d'elle ! È Je suis encore toute malade et je tremble de tous mes membres. È
A peine eut-elle dit cela qu'elle pria le Plerin de la laisser seule : on l'appelait, disait-elle, elle voyait quelque chose; il fallait qu'elle prit. Le Plerin remarqua sur son visage cette absorption qu'il connaissait, quoiqu'elle ft, encore parfaitement veille. Il tira le rideau devant elle et la quitta. Dans l'aprs-midi, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu ce matin, lorsque je vous ai pri de vous retirer, une religieuse mourante qui ne pouvait recevoir le saint viatique parce que la clef de la sacristie tait perdue. C'tait un couvent supprim ; les malades y taient restes avec quelques autres, mais en habits sculiers. Quelques nonnes taient loges dans la ville. On clbrait encore le service divin dans l'glise et le Saint-Sacrement y tait. Cette ville tait habite en partie par des protestants. Je les vis voter la malade. Il vint aussi de la ville des religieuses mises hors du couvent : on bavardait et on buvait du caf prs de cette malade. Elle avait une phtisie : elle tait au moment de mourir et demandait les derniers sacrements.
Lorsque le prtre vint, on ne put trouver la clef de la sacristie. Une nonne ngligente l'avait mise prs du foyer dans un petit trou de mur et elle l'avait oublie par distraction. On cherchait de tous cts, tout tait en mouvement : on parlait beaucoup, et c'tait une confusion gnrale. Le prtre se retira. Je vis tout cela : je vis aussi que la nonne tait sur le point de mourir, ce qu'on n'imaginait pas. Mon conducteur m'ordonna de prier et la clef fut retrouve, je ne sais comment. Le prtre fut rappel et la salade reut le saint viatique. Je ne connaissais pas cette religieuse et je ne sais plus o cela se passait. È
Ç Dans la ville o tait morte la malheureuse femme, jÕallai prs du lit de mort d'un crivain. C'tait un homme de bien, mais il avait crit quelquefois, contre sa conscience des choses rprhensibles qu'il avait oublies. Il s'tait confess et avait communi et on le laissait seul sur le conseil d'autres personnes inspires par l'ennemi. Alors Satan lui suggra diverses penses et chercha le pousser au dsespoir. Il obsda le mourant de visions o plusieurs personnes lui reprsentaient le mal caus par ses crits et il le jeta dans une grande angoisse. Ce pauvre homme allait ainsi mourir dans l'abandon. Alors mon guide me conduisit lui et il me fallut par mes prires susciter des inquitudes dans lÕme d'un prtre, de manire le faire accourir prs du malade. Le malade le reconnut et le pria de ne pas le dranger, parce qu'il avait des affaires traiter avec les gens qui taient l.
Le prtre s'aperut qu'il tait dans le dlire, lui jeta de l'eau bnite et lui fit baiser quelque chose qu'il portait son cou; sur quoi il revint la raison et raconta au prtre ses angoisses qui s'taient si subitement empares de lui. Cette fois l'ennemi se prit dans son propre pige : s'il nÕavait pas pouss cet homme au dsespoir, il ne se serait souvenu de rien. Je vis alors qu'il fit chercher des papiers et que le prtre mit divers crits en ordre, en prsence de tmoins : aprs quoi cet homme mourut en paix. J'ai eu aussi intervenir, l'occasion de la mort de jeunes gens que l'amour de la danse avait mens mal. Les choses se passrent bien, l aussi. È
Le 22 septembre, un grand buveur d'eau-de-vie- mourut subitement en tat d'ivresse Dulmen. Elle le vit toute la nuit dans une horrible situation, et dit que les diables taient couchs prs de lui, le tenant comme de jeunes chiens.
28 octobre 1821 : Ç J'ai vu cette nuit la bienheureuse vierge Ermelinde. Dans sa douzime anne, elle avait des relations innocentes avec un jeune homme auquel ses parents voulaient la marier. Elle tait noble et riche et habitait dans une grande maison o je vis, un jour qu'elle voulait aller jusqu' la porte au-devant du jeune homme, Jsus lui apparu et lui dit : Ç Ne m'aimes-tu pas plus que lui ? È Comble de joie, elle rpondit que oui ; alors Jsus alla avec elle dans sa chambre, et lui donna un anneau pour signifier qu'il la prenait pour pouse. Je vis qu'aussitt elle se coupa les cheveux et dit ses parents, ainsi qu'au jeune homme, qu'elle s'tait fiance Dieu. Je priai la sainte de me conduire des mourants et des mes en peine et ce fut comme si je voyageais avec elle travers la Hollande. Il me fallut avec beaucoup de peine et de fatigue passer tantt dans l'eau, tantt travers des terres basses et marcageuses, des tourbires et des fosss de toute espce. Je fus auprs de pauvres gens qui ne pouvaient avoir de prtre parce qu'il fallait pour cela aller de grandes distances et traverser l'eau. Je consolai, priai et assistai dans des circonstances de toute nature. De l, j'allai toujours plus avant vers le nord. Je ne puis pas bien me rendre compte dans quelle rgion est proprement le purgatoire. Le plus souvent je vais au nord: mais je perds ensuite le contact du sol naturel : il me faut aller par un passage tnbreux et surmonter beaucoup de difficults, d'obstacles, de souffrances, telles que peuvent les produire l'eau, la neige, les pines, les marcages et choses semblables. Je travaille les vaincre pour les pauvres mes, et aprs cela il me semble souvent descendre par des chemins tnbreux et sans consistance, et aller comme sous la terre. J'arrive ensuite dans des lieux o rgnent, des degrs diffrents, l'obscurit, le brouillard, le froid, les dsagrments de toute espce; et l je vais d'un endroit l'autre vers des mes places plus haut ou plus bas et d'un accs plus ou moins facile. Cette nuit encore je suis alle d'un lieu l'autre, j'ai donn des consolations et en outre j'ai t charge de divers travaux. Ainsi il m'a fallu dire tout de suite les litanies des Saints et les sept psaumes de la Pnitence. Mon guide me dit qu'il faut bien prendre garde de m'impatienter et offrir tout ce qui peut me dplaire au profit des pauvres mes. Le lendemain matin je ne pensais plus cette exhortation et j'tais au moment de me mettre en colre propos d'une certaine chose, mais je rprimai ce mouvement ; je suis toute heureuse de l'avoir fait et je remercie mon cher ange gardien qui m'y a aid. On ne peut pas dire quelle consolation on donne aux mes souffrantes par un petit sacrifice et une petite victoire sur soi-mme. È
2 novembre 1821. Elle tait, depuis quinze jours dj, continuellement occupe des mes du purgatoire, faisant pour elles toute sorte de prires, de mortifications, d'aumnes et de travaux spirituels afin de complter ce qui manquait encore pour leur dlivrance. Elle semblait prparer et disposer une foule de choses afin de pouvoir les prsenter acheves le jour de la commmoration des morts. Elle avait constamment offert pour ces mes des actes hroques de patience et de charit, elle avait offert toutes ses actions et toutes ses souffrances. Elle raconta ce qui suit : Ç J'ai fait avec les saints de nouveaux voyages au purgatoire. Les prisons o les mes subissent leur chtiment ne sont pas dans un mme lieu : il y a de grandes diffrences entre elles et il me faut faire des voyages d'un endroit lÕautre. La route. se dirige souvent de telle manire qu'on voit au-dessous de soi des mers, des montagnes de glace, de la neige, des nuages. Souvent il me semble descendre par un chemin qui tourne tout autour de la terre. Les saints passent lgrement prs de moi; ils ont sous eux comme un support de nues lumineuses qui marche avec eux. Ces voies lumineuses sont sous les pieds de l'un d'une autre couleur que sous ceux de l'autre, correspondant la diversit des sources de consolation et d'assistance qu'ont fait jaillir les travaux accomplis par eux pendant leur vie. Il me faut avec cela toujours aller par des chemins difficiles et tnbreux que je parcours en priant, ce qui est un travail fait au profit des mes. Je rappelle alors aux saints leurs souffrances et je les offre Dieu pour les mes avec les souffrances de Jsus. Je vois les lieux o sjournent les mes diffrer entre eux selon l'tat de celles-ci : cependant ils me font toujours l'effet d'tre de forme ronde et semblables des globes. Je ne puis les comparer qu'avec les endroits que j'appelle jardins, parce que j'y vois conserves comme des fruits, des grces et des influences spciales. Ainsi les diffrents sjours des mes sont comme des jardins, des magasins, des mondes contenant une grande varit de choses dplaisantes, de privations, de tourments, de misres, d'angoisses, etc., etc. : il y en a parmi eux de plus petits que les autres. Quand j'y arrive, je vois distinctement leur contour arrondi, je vois aussi un rayon de lumire tomber sur un point ou une lueur crpusculaire clairer l'horizon. Ces sjours sont les meilleurs. Dans aucun on ne voit le ciel bleu : tout y est partout plus ou moins terne et sombre.
Dans beaucoup de lieux, les mes sont trs-serres les unes contre les autres et on est l dans une grande angoisse. Quelques endroits sont plus profonds et plus sombres, d'autres plus levs et plus clairs. Les lieux o elles sont enfermes sparment sont aussi de formes diverses; quelques-uns, par exemple, sont comme des fours cuire le pain. Ceux qui taient runis sur la terre ne sont ensemble que quand ils ont besoin d'une purification du mme degr. Dans beaucoup d'endroits, la lumire est colore, par exemple couleur de feu, ou trouble, ou rougetre. Il y a des endroits o de mauvais esprits font souffrir les mes, les effrayent et les tourmentent. Ce sont les plus affreux et on les prendrait pour l'enfer si la patience indiciblement touchante des mes ne persuadait le contraire. On ne peut dire quelle joie, quelle consolation ressentent ceux qui restent quand d'autres sont dlivrs. Il y a aussi des sjours o les mes font des travaux de pnitence, comme celles que j'ai vues une fois courir tumultueusement et lever des remparts : il en tait de mme de ces les o taient des femmes, cultivant des fruits qui taient emports sur des barques. Ce sont celles qui peuvent faire quelque chose pour d'autres places dans une position infrieure : elles sont dans une situation meilleure. Cela peut tre une image symbolique : mais c'est pourtant rel. Dans cette rgion la nature est faible, molle, sans vigueur et les fruits s'en ressentent : pourtant ils donnent un soulagement d'autres mes encore plus indigentes. Souvent des rois et des princes retrouvent ceux qui ont t opprims par eux et qu'ils servent humblement au milieu des souffrances. J'ai vu dans le purgatoire des protestants qui avaient t pieux dans leur ignorance. Ils sont trs-dlaisss parce que les prires leur manquent. J'ai vu des mes, quand quelques autres taient dlivres, passer des degrs infrieurs une condition meilleure. Plusieurs peuvent aller et venir et changer des consolations. C'est une grande grce que de pouvoir apparatre pour demander des prires et du secours. J'ai vu aussi des lieux o taient purifies, des mes qui ont t proclames saintes sur la terre, mais dont la saintet n'tait pas encore arrive la perfection lorsqu'elles taient sorties de ce monde. J'ai t aussi dans beaucoup d'endroits et dans plusieurs glises; j'ai visit des prtres et j'ai command des messes et des exercices de dvotion. J'ai t Rome, dans l'glise de Saint-Pierre, prs de certains ecclsiastiques d'un haut rang : c'taient des cardinaux, ce que je crois. On devait dire l sept messes pour diverses mes et je ne sais plus pourquoi on avait nglig de le faire. Lorsqu'elles furent dites, je vis des mes dlaisses, toutes sombres et tristes, se presser autour de l'autel. Elles disaient comme tourmentes par la faim : Ç Qu'il y a longtemps que nous n'avons eu de nourriture! È Je crois que c'taient des messes de fondation qu'on avait oublies. La confiscation des fondations pour messes des morts est, comme je le vois, une affreuse cruaut et un vol fait aux plus pauvres d'entre les pauvres. Je ne vis sur mon chemin que peu ou point de personnes vivantes: mais je rencontrai des mes, des anges et des saints et je vis aussi beaucoup d'effets produits par la prire. J'ai aussi ces jours-ci tran au confessionnal et l'glise beaucoup de gens qui sans cela n'y seraient pas alls.
Elle passa tout le jour en prire pour les mes du purgatoire, rcita pour elles l'office des morts et rendit une telle quantit de sang par la plaie du ct et par la poitrine qu'il traversa ses vtements. Lorsque le Plerin revint le soir, il la trouva en prire et toute raidie par l'extase. Il y avait bien une demi-heure qu'elle tait ainsi lorsque son confesseur entra dans la chambre : alors elle se redressa subitement, marcha d'un pas ferme et assur, comme une personne bien portante, vers le confesseur stupfait, se prosterna; le visage contre terre, et chercha baiser ses pieds qu'il retira tout confus. Cependant il finit par la laisser faire : alors elle se releva sur ses genoux et lui demanda sa bndiction pour elle et pour toutes les mes qui taient avec elle. Elle resta encore agenouille et en prire pendant quelques minutes, demanda encore une fois la bndiction pour les mes, puis se leva et marcha vers sa couche d'un pas rapide. Son front tait couvert de sueur et son visage avait une expression joyeuse. Pendant tout ce temps et encore aprs, elle tait reste dans l'tat d'extase le plus complet. Lorsque, le jour suivant, le Plerin lui rapporta la chose, elle voulait peine croire que cela se ft rellement pass ainsi, mais elle se souvint distinctement que des dfunts, anciens pnitents du P. Limberg, l'avaient prie de lui baiser les pieds et de lui demander sa bndiction. Ç Cela a t trs-pnible pour moi, dit-elle, parce qu'il n'a pas consenti tout de suite et, qu'il ne m'avait pas bien comprise. Il n'a pas non plus donn la bndiction avec une foi ferme, ce qui fait que, dans la nuit, j'ai eu encore quelque chose faire pour les mes. È
2 novembre 1822. Ç J'ai eu cette nuit beaucoup faire dans le purgatoire. J'y allai en me dirigeant toujours vers le nord; il me fait l'effet d'tre situ au-dessus du lieu o est comme la pointe du globe terrestre. Quand je suis l, j'ai les montagnes de glace comme au-dessus de moi : pourtant il ne me parut pas que ce ft dans l'intrieur de la terre, car je voyais la lune et, en courant autour des prisons, j'essayai de faire une ouverture, afin de faire entrer dans quelques-unes un peu de clair de lune. De l'extrieur, cela se prsente moi comme un mur noir, avec quelques reflets brillants, ayant la forme d'une demi-lune. A l'intrieur il y a des passages et comme des chambres innombrables, levs ou surbaisss, montant ou descendant. Prs de l'entre, on est moins mal: les mes errent et se glissent de ct et d'autre, mais plus bas elles sont plus troitement emprisonnes. et l on en voit couches dans une cavit, dans une fosse souvent aussi plusieurs sont runies dans un mme lieu et places plus haut ou plus bas. Parfois on en voit une assise une certaine hauteur, comme sur une pierre. Plus loin dans l'arrire-fond, ce sont des scnes plus terribles, les dmons y exercent leur empire et c'est un enfer temporaire. Les mes sont livres divers supplices : des spectres affreux, de hideuses figures de diables parcourent ces lieux, tourmentent et pouvantent les mes. È
Je vois aussi dans le purgatoire un lieu de prire, une sorte d'glise o elles reoivent souvent des consolations. Elles tournent les yeux de ce ct comme nous vers nos glises. Les mes n'ont aucun secours venant immdiatement du ciel ; elles reoivent tout de la terre et des hommes vivants qui, pour acquitter leurs dettes, offrent au juge suprme des prires et des bonnes oeuvres, des mortifications et des actes de renoncement, mais surtout le saint sacrifice de la messe. Quand je vais d'ici vers le nord et que je passe sur la glace, l'endroit o la circonfrence de la terre se rtrcit considrablement (note), je vois de l le lieu o est le purgatoire comme quand on voit le soleil ou la lune trs-bas l'horizon : on passe ensuite par-dessus une espce de bourrelet, de rue, d'anneau (elle ne trouve pas le mot propre) et ensuite on a devant soi le purgatoire formant comme un demi-cercle. A gauche, mais assez loin en avant, est le moulin; droite sont les nombreux travaux de terrassement et les retranchements.
(note) Le 15 juillet 1820, elle disait : Ç Je vois la terre dans l'obscurit et plus semblable un oeuf qu' un globe. C'est au nord que la descente est la plus escarpe ; du cot du levant, elle semble plus longue, la descente pic va toujours vers le nord. È
Quand je suis dans le purgatoire, je ne vois, l'exception de mon guide, personne autre qui le visite, mais et l, dans le lointain, sur la terre, des anachortes, des religieux et religieuses, de pauvres gens, lesquels, priant et se mortifiant, travaillent pour les mes souffrantes. Ce purgatoire est celui de l'glise catholique : les sectes sont spares l comme ici et souffrent beaucoup plus, parce qu'elles n'ont pas de membres qui prient sur la terre, ni le saint sacrifice de la messe. On ne distingue si les mes sont des mes d'hommes ou de femmes que quand on examine de plus prs ce qu'elles ont de particulier: On voit des figures, les unes plus sombres, les autres plus claires, dont le visage incroyablement altr exprime la douleur, mais exprime aussi la patience. On ne peut dire combien elles sont touchantes voir. Rien n'est plus consolant que leur patience, la joie que chacune ressent de la dlivrance des autres et leur sympathie pour les souffrances d'autrui et pour les mes qui arrivent. J'ai vu l aussi des enfants. È
La plupart sont l par suite de cette lgret avec laquelle on traite ce qu'on appelle les petits pchs et qui fait qu'on nglige de petites condescendances envers le prochain, de petits actes de charit et de petites victoires sur soi-mme. Les rapports des mes avec la terre ont quelque chose de doux et de tendre en ce qu'elles prouvent dj un grand soulagement par l'effet du dsir et de l'intention qu'ont les vivants de les secourir et d'allger leurs peines. Que de bien fait celui qui se surmonte continuellement lui-mme pour l'amour de ces mes, qui aspire continuellement les secourir ! È Pendant ces jours et ces nuits, elle souffrit excessivement de la soif et prit sur elle de toutes les manires.
3 novembre. Ç Je fus dans la rgion situe en avant du purgatoire, dans la rgion des glaces, prs d'un moulin o beaucoup de princes, de rois et de rgentes sont obligs de moudre, comme on le fait faire sur la terre des chevaux et des hommes. Ils sont obligs de moudre de la glace. Les femmes portaient au moulin toute sorte de mets recherchs et d'objets prcieux qu'il leur fallait moudre, et quelque distance taient des chiens qu'on nourrissait avec cette mouture. Leurs anciens serviteurs taient maintenant leurs matres et les excitaient au travail. È Elle parla aussi d'un chemin menant au purgatoire qu'elle avait suivi et parla de beaucoup de pays qu'elle dcrivit; elle semblait avoir travers l'Asie pour gagner le ple nord. Elle avait pass par le pays originaire de Djemschid, puis par une contre o taient de hautes montagnes remplies de singes, grands et petits :quand il faisait froid d'un ct, ils passaient de l'autre. Puis elle vint dans un pays dont les habitants, couverts de peaux de btes, sont laids de visage et portent de longs cheveux ;ils sont misrablement logs et se font traner par des chiens; on voit mme l de ces chiens traner sans conducteurs les traneaux chargs de marchandises et revenir ensuite au logis. Il y a l des hommes blancs et des noirs, mais ceux-ci y sont venus depuis peu. Ces gens font la chasse de petits animaux au corps allong, porteurs de riches fourrures, qui ont de longues oreilles, des pattes courtes et ne sont pas aussi jolis que ceux qui sont au pied de la montagne des prophtes. Ces animaux vont de l encore plus au nord. On y trouve un pays plein de marais et de dserts, mais il y fait un peu plus chaud; il semble que le soleil levant y arrive quelquefois. J'y vois courir des animaux de cette espce. Il y a par endroits des petits hommes chtifs au nez cras et une vgtation misrable. Aprs cela elle ne mentionne plus de terre habite, tout est nbuleux et gristre ; il fait noir l'horizon. Elle passe ensuite sur cette voie ou cet anneau mentionns plus haut, qu'elle dcrit comme tant de bronze ou de mtal; puis elle se trouve devant le purgatoire, sous lequel l'enfer situ une grande profondeur retourne vers le centre de la terre. Ç Sur ces chemins, dit-elle, je vois la lune extrmement grande, pleine de cavits et de montagnes vomissant du feu. Tout y est comme ptrifi; on dirait des arbres de corail. La lune attire et renvoie une grande quantit de vapeurs : c'est comme si elle pompait beaucoup de liquide et le rejetait ensuite. Je ne vis des hommes semblables nous ni dans la lune, ni dans d'autres astres : plusieurs astres sont comme des corps consums par le feu o il n'y a plus de vie. J'y vois sjourner des mes et des esprits, mais pas d'hommes de notre espce. È
4 novembre. Ç Je ne sais pas o j'ai t, ni pourquoi j'ai cette vision. J'ai t conduits dans une belle maison : une femme me montra les figures sculptes de son mari : cÕtaient de trs-belles statues paennes. Il me fallut descendre toujours, passer par des portes trs-troites et presque ramper. Les images taient de plus en plus laides et la fin tout fait horribles. Alors vint un homme qui me conduisit dans des salles pleines de peintures dont la beaut allait toujours croissant. Je me disais souvent : Ç Ah ! si le Plerin pouvait voir cela ! È Plus lÕhomme s'arrtait longtemps regarder les tableaux, plus ils devenaient beaux.. Enfin je sortis de l. J'eus aprs cela une autre vision. Je vis un protestant avec sa femme, qui tait catholique, parcourir diverses chambres pleines d'objets dÕart de tout genre et lui montrer des salles votes toutes pleines de tableaux et de rarets, ce qui le rjouissait beaucoup, et j'entendis la femme lui dire que toutes ces choses taient pour lui l'objet d'une vritable idoltrie : mais, disait-elle, quoi cela menait-il ? Il ferait bien mieux de penser Dieu et l'Eglise. Il lui rpondit que, selon lui, il suffisait d'tre honnte homme pour tre agrable Dieu et que le reste tait chose secondaire. Elle nia qu'il en fut ainsi
et lui dit que, dans son voisinage, elle aussi sentait sa foi s'affaiblir, mais qu'elle avait conserv des enseignements de son instituteur qu'elle indiqua. Je vis aussi qu'elle le mena dans un caveau o taient enterrs plusieurs de ses anctres : alors la voix d'un aeul, sortant d'un tombeau qui ne contenait plus que de la pourriture et de la poussire, retentit aux oreilles de cet homme. C'tait une voix forte et caverneuse qui parla longuement quoiqu'avec des interruptions. Il lui tait possible, disait cet anctre, de rparer beaucoup de maux que lui-mme avait faits; il en avait les moyens, et rien ne l'en empchait. Le dfunt parla trs-longtemps de la seigneurie dont il s'tait empar par la violence, de sa sparation d'avec l'glise, de la quantit de personnes qu'il avait entranes dans l'erreur, de la misre et de la confusion qui s'en taient suivies. Il y avait pour son descendant autre chose faire que de cultiver les beaux-arts, de donner des bals et des ftes :ses sujets taient livrs aux loups qui les dchiraient et s'engraissaient de leur substance. C'tait l qu'il fallait porter secours. Il fallait aussi restaurer la vraie foi et rendre l'glise ce qui tait elle, autrement il ne lui resterait rien que cette pourriture et ces cendres, et il perdrait tout le reste. È
Ç Pendant ce long discours, divis, pour ainsi dire, en chapitres o venait se placer toute l'histoire de cette famille, celui auquel il s'adressait tomba en dfaillance diverses reprises et voulut plusieurs fois s'enfuir, mais sa femme le retint tendrement dans ses bras et l'encouragea rester et couter. J'ai oubli ce qui s'ensuivit et je ne sais pas quels fruits a produits l'exhortation. Le pre de cet homme qui avait, je crois, deux enfants, vivait encore mais il avait perdu la raison et le fils devait bientt prendre en main l'administration des affaires de la famille. Sa femme et lui s'aimaient, et elle avait un grand empire sur lui. J'eus cette vision le matin, en plein jour et veille. È
Ames souffrantes des fanatiques qui s'taient crucifis Wildensbuch prs Zurich.
19 octobre 1823. Ç J'ai t dans le purgatoire et j'ai vu plusieurs personnes de la secte de Mme Krudener, dont quelques-unes se sont martyrises rcemment. Ces gens n'taient pas dans le purgatoire des catholiques, ils taient au-dessous ou l'entour, dans des espces de fosses, quelques-uns au fond, quelques autres sur les bords de ces fosses. C'taient les mes qu'une ignorance aveugle avait engages dans cette affaire. Ils pouvaient s'entretenir avec les mes souffrantes des catholiques et les suppliaient avec une amre douleur d'avertir leurs amis encore vivants afin qu'ils reconnussent leur erreur et se tournassent, vers l'glise. Ces mes rpondaient qu'elles ne pouvaient rien, qu'il fallait qu'un vivant prit, travaillt et fit dire messe pour eux. È (Anne Catherine semblait s'tre charge elle-mme de cela ; car elle prescrivit tous ceux auxquels elle donnait des vtements d'entendre la sainte messe, et elle-mme de son ct fit dire des messes.) J'appris aussi l comment le diable avait pouss ces gens ces meurtres et ces crucifiements, comment il les avait rendus insensibles la douleur et comment plusieurs d'entre eux taient perdus pour l'ternit. Je sus aussi qu'une secte plus raffine tait en train de se former. È (Elle dcrivit celle de Hennhoefer.) Ç Je vis encore que parmi les dmons enchans par le Christ, lors sa descente aux enfers, quelques-uns ont t dlis, il n'y pas longtemps, et ont suscit cette secte. J'ai vu que d'autres sont relchs de deux gnrations en deux gnrations. È
Habitations de la Jrusalem cleste.
Le 8 janvier 1820, Overberg, Munster avait remis pour Anne Catherine au chapelain Niesing de Dulmen un reliquaire en forme de tour que celui-ci porta sous son bras de Munster Dulmen. Quoiqu'elle ne pt connatre en aucune faon le dessein, qu'avait Overberg de lui envoyer ce reliquaire, elle vit pourtant le chapelain revenant Dulmen porter pendant tout le voyage une flamme blanche sous le bras.
Ç JÕtais toujours dans lÕtonnement, dit-elle, de ce qu'il ne se brlait pas et jÕavais presque envie de rire en le voyant aller ainsi son chemin, sans faire aucune attention cette lumire : c'taient pourtant des flammes de couleurs varies comme celles de lÕarc-en-ciel. Je ne vis d'abord que ces flammes de diverses couleurs : quand il fut plus prs, je ils aussi le vase. Il le porta en passant devant ma maison et travers toute la petite ville. Je n'y pouvais rien comprendre : jÕtais presque attriste, pensant qu'il se dirigeait vers lÕautre porte pour l'emporter hors de la ville. Les reliques qui taient dedans me proccupaient beaucoup. Je fus informe qu'il y en avait de trs anciennes et d'autres plus modernes qui avaient t retires des lieus o elles taient l'poque des anabaptistes. Le lendemain, Niesing lui ayant remis le reliquaire, elle en prouva beaucoup de joies et le 12 janvier elle raconta au Plerin la vision suivante relative une relique qui s'y trouvait : Ç Je vis venir moi l'me d'un jeune homme sous une forme vague et toute lumineuse, avec un vtement peu prs semblable celui de mon conducteur: Une aurole, blanche l'entourait et il ma dit qu'il avait gagn le ciel par la continence et par la victoire remporte sur les penchants de la nature. Il lui avait mme t avantageux de s'tre abstenu de cueillir de roses malgr le dsir, qu'il en avait Alors mon sens intime subit une sorte d'clipse et je passai une autre cne. Je vis cette me, sous la forme d'un adolescent de treize ans; se promener avec plusieurs camarades dans un grand et beau jardin de plaisance. Il avait un chapeau fronc, une sorte de jaquette jaune; trs-juste, ouverte par devant, descendant par-dessus le haut-de-chausses, et dont les manches se terminaient par une sorte dÕappendice prs de la main. Les culottes et les bas ne faisaient qu'un et taient lacs trs troitement sur les cts. La partie lace tait dÕune autre couleur que le reste. Les genoux avaient des attaches : les souliers taient troits et garnis de rubans. Il y avait dans le jardin des haies bien tailles; plusieurs berceaux de verdure lgamment disposs et des petits pavillons dÕagrment qui souvent taient carrs l'extrieur, tandis que l'intrieur tait en forme de rotonde. Il y avait aussi des champs avec beaucoup d'arbres et des gens qui travaillaient. Ces travailleurs avaient des vtements assez semblables ceux dont jÕavais coutume d'habiller les bergers la crche du convent. Le jardin appartenait des personnes d'un rang lev habitant la ville voisine, ville importante qui tait patrie du jeune homme, il tait permis de s'y promener. Je vis les adolescents sauter gaiement et cueillir des roses rouges et blanches sur des haies de rosiers : mais le bienheureux jeune homme surmonta l'envie qu'il avait de faire comme eux et les autres lui mirent sous le nez; pour le narguer leurs gros bouquets de roses. Ici lÕesprit bienheureux me dit : Ç JÕavais t prpar cette victoire sur moi-mme par une autre beaucoup plus utile et plus difficile que j'avais remporte. Il y avait dans une famille voisine de la maison de mon pre une jeune fille d'une rare beaut; compagne de mes jeux, et que jÕaimais beaucoup en toute innocence. Mes pieux parents allaient souvent au sermon et jÕentendis une fois lÕglise le prdicateur dire quÕil fallait se garder de semblables relations : j'vitai alors en me faisant beaucoup de violence, la socit de cette jeune fille et ce fut cette victoire sur moi-mme qui fut cause que je renonai cueillir des roses. È LorsquÕil eut dit cela jÕentrai plus avant dans la vison et je vis cette jeune fille de grce et frache comme une rose aller par la ville : je vis la belle maison des parents de l'adolescent situe sur une grande place carre qui tait celle du march. Toutes les maisons avaient sur le devant des portiques en arcades. Son pre tait un riche ngociant. J'entrai dans la maison, je vis le pre, la mre et plusieurs autres enfants. C'tait une bonne et pieuse famille, chrtiennement gouverne. Le pre faisait le commerce de drap et de vin : il tait vtu avec luxe et portait une escarcelle de cuir pendue au ct. C'tait un homme grand et gros ; la mre, qui tait aussi fortement constitue, avait une riche et singulire coiffure. Ses cheveux relevs au-dessus du front formaient une espce de bourrelet retenu par une broche d'argent; par l-dessus elle portait un bonnet pointu enroul dans de larges dentelles et d'o pendaient par derrire de larges rubans. Son vtement tait rouge et brun. Le jeune homme tait lÕan de leurs enfants. Devant la maison taient des chariots chargs de marchandises. Au centre du march tait une fontaine entoure d'une belle grille de fer artistement travaille avec des figures de grandeur naturelle; au milieu du bassin se trouvait encore une figure qui versait de l'eau. Il y avait aux quatre coins de la place de petits btiments semblables des gurites. La ville elle-mme tait situe dans une contre fertile : d'un ct elle tait entoure comme d'un foss ; devant la porte qui tait l'oppos coulait une rivire assez forte. Elle avait environ sept glises, mais aucun clocher remarquable. Les toits la vrit taient angles trs-aigus, mais devant les maisons il y avait des constructions affectant la forme carre.
Aprs cela je vis encore que le jeune homme alla dans un convent pour y tudier. Je ne pais pas bien dire quel tait ce pays : cela semblait une ville allemande, cependant je n'en ai pas la certitude. Ce couvent tait une douzaine de lieues de la ville, situ dans un lieu solitaire, sur une montagne o il y avait des vignes. LÕadolescent tait trs-studieux et tellement plein de confiance dans la Mre de Dieu que, quand il ne comprenait pas quelque chose dans les livres, il disait son image de Marie: Ç Vous avez enseign votre enfant, vous tes aussi ma mre, instruisez-moi donc aussi. È Et alors Marie lui apparaissait en personne et l'enseignait, et il tait plein de simplicit et de confiance avec elle. Son humilit tait cause qu'il ne voulait pas tre lev la prtrise, mais tous faisaient grand cas de lui casse de sa pit. Il passa trois ans dans le couvent; o il fut gravement malade pendant un an ; il y mourut dans la vingt-troisime anne de son ge et il y fut enterr. Il y avait, parmi ceux qui l'avaient connu, un homme qui ne pouvait pas matriser ses passions et qui tombait trs souvent dans le pch. Ayant une trs-grande confiance dans le dfunt, il vint prier sur son tombeau plusieurs annes aprs sa mort. Le bienheureux lui apparut et lui donna des instructions, puis il lui dit de remarquer un signe en forme d'anneau qu'il avait au doigt et qu'il avait reu lors de ses fianailles avec Jsus et Marie: il lui enjoignit de dire qu'on et chercher ce signe sur son corps comme preuve qu'il lui tait rellement apparu. L'ami, qui tait un homme d'une trentaine d'annes, rapporta ce qui lui avait t dit. On fit la leve du corps, on trouva le signe et on se le partagea comme relique. Ce jeune homme n'a pas t dclar saint. Il me rappela beaucoup saint Louis de Gonzague par toute sa manire d'tre. È
Ç Son me me conduisit dans un lieu qu'il me dit appartenir la Jrusalem cleste. Tout y tait lumineux et transparent. J'arrivai sur une grande place ronde, entoure de beaux, palais resplendissants; au milieu, s'tendait, travers la place, une grande table couverte de mets qu'on ne saurait dcrire. De quatre des palais environnants partaient des arcades de fleurs qui venaient se runir au-dessus du centre de la table et y formaient une couronne lgante autour de laquelle je vis briller les noms de Jsus et de Marie. Il n'y avait l aucun produit de l'art : tout tait vgtation et fructification naturelle. Ces arcades prsentaient un mlange de fleurs trs-varies, de beaux fruits et de figures brillantes. Je connus l la signification de toutes ces choses et de chacune d'elles, car je vis ce quelles taient en ralit : ce nÕtait pas proprement une signification, c'tait plutt une essence, une substance qui pntrait dans l'esprit comme un rayon de soleil multiple et qui en mme temps instruisit. Ici-bas cela ne peut pas s'exprimer avec des paroles. Il y avait sur un des cts, un peu en arrire des palais, deux glises, l'une plus rapproche consacre Marie, l'autre l'enfant Jsus. Elles taient octogones. Lorsque j'y fus arrive, d'innombrables mes
d'enfants bienheureux sortirent de tous les cts, travers les parois, sur tous les points des palais resplendissants, et volrent au-devant de moi pour me souhaiter la bienvenue.
Ils se montraient au commencement sous la forme qu'affectent gnralement les mes dans leurs apparitions; mais ensuite je les vis habills de la manire dont ils l'taient pendant leur vie et je reconnus plusieurs de mes compagnons d'enfance, dcds une poque antrieure. Je reconnus avant tous les autres le petit Gaspard, le frre de Diericke, un enfant espigle, quoique point mchant d'ailleurs, qui tait mort dans sa onzime anne, la suite d'une longue et trs douloureuse maladie. Cet enfant vint moi, il me conduisit et m'expliqua tout. je m'tonnais de voir si beau et si distingu ce petit Gaspard qui, de son vivant, n'tait ni l'un ni l'autre. Comme jÕexprimais ma surprise de me trouver
l, il me dit : Ç Ce ne sont pas tes pieds qui t'amnent ici, c'est la vie que tu mnes. È Ce discours me rjouit beaucoup. Comme au commencement je ne le reconnus pas tout de suite, il me dit : Ç Ne te souviens-tu pas comment jÕai aiguis ton couteau ? Je me suis vaincu moi-mme en cette occasion et cela m'a t avantageux. Ta mre tÕavait donn quelque chose couper en deux et ton couteau tait si mouss que tu ne pouvais en venir bout : tu pleurais et tu avais peur que ta mre ne se fcht. Je vis cela et je me dis d'abord : Ç Je veux voir comment sa mre la traitera; È mais ensuite je fis un effort sur moi et je me dis : Ç Je vais repasser le couteau de la pauvre fille. È Je le fis en effet, je te vins en aide et cela a profit mon me. Te souviens-tu encore qu'un jour o les enfants jouaient d'une manire peu convenable, tu leur dis que c'tait un vilain jeu, qu'il ne fallait pas faire cela : puis tu te retiras, tu t'assis dans un foss et tu pleuras. Je vins alors toi et je te demandai pourquoi tu ne voulais pas jouer avec nous. Tu me rpondis que quelquÕun t'avait emmene en te prenant par le bras. Je rflchis l-dessus et je pris sur moi pour ne plus jouer des jeux de ce genre. Cela m'a t bon. Te rappelles-tu encore qu'au jour o nous allions en troupe ramasser des pommes tombes d'un arbre, tu nous dis qu'il ne fallait pas faire, cela. Je rpondis que, si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient. Tu dis alors qu'il ne fallait donner personne une occasion de scandale. Et tu ne pris pas une seule pomme. Je remarquai aussi cela, part moi, et j'en tirai profit.- Un jour je voulais te jeter un os et je vis que quelquÕun dtourna de toi le coup. Cela aussi m'alla au coeur. È Le petit Gaspard me remit encore en mmoire une quantit de choses du mme genre. Je vis alors que nous recevions tous pour chaque victoire sur nous-mmes et, chaque bonne action de toute nature un mets particulier ne nous mangions, en ce sens que nous en avions lÕintelligence et qu'il brillait travers nous.. Cela ne peut s'expliquer dans le langage humain. Nous n'tions pas assis une table, nous volions en quelque sorte d'un bout l'autre et chacun ressentait une saveur particulire pour chaque acte de renoncement. Au commencement une voix se fit en entendre disant : Ç Celui-l seul peut comprendre cette nourriture qui la prend. È Mais ces mets taient la plupart du temps des fleurs merveilleuses, des fruits, des pierres brillantes, des figures, des plantes d'une substance spirituelle tout autre que celle des objets d'ici-bas. Ils taient servis sur des plats brillants, transparents, d'une beaut indescriptible, et il en sortait une force merveilleuse pour ceux qui, par tel ou tel acte de renoncement accompli sur la terre, s'taient mis dans une certaine relation avec l'un ou l'autre de ces mets. Toute la table tait aussi couverte de petits verres de cristal en forme de poire, semblables ceux dans lesquels m'avaient t prsents quelquefois des breuvages. salutaires; nous buvions dans ces vases. Un des premiers mets qui furent servis tait de la myrrhe qui tait merveilleusement arrange. D'un plat d'or sortait un petit calice dont le couvercle avait un petit bouton, sur lequel tait un beau petit crucifix. Sur le bord du plat taient des lettres lumineuses d'un bleu violet; je ne pus comprendre ce qu'elles disaient : je ne le comprendrai que dans l'avenir. De ce plat sortaient, comme par une vgtation naturelle, de beaux bouquets de myrrhe qui s'levaient en forme de pyramides de couleur jaune et verte jusqu' la coupe du calice. C'taient de petites feuilles frises avec des fleurs semblables des Ïillets d'une beaut extraordinaire : en haut tait un bouton rouge entour de ptales du plus beau bleu violet. L'amertume de cette myrrhe tait, pour l'esprit, une douceur merveilleusement aromatique et fortifiante. J'eus ma part de ce plat cause de toute l'amertume de coeur que j'avais supporte en silence ds mes premires annes. Pour ces pommes que j'avais laisses terre sans y toucher, des pommes lumineuses me furent donnes savourer : il y en avait un grand nombre runies sur une mme branche. J'eus aussi un mets particulier pour le pain sec que j'avais distribu en grande quantit des pauvres. Il avait une grande ressemblance avec ce pain, mais il tait comme du cristal o se rflchissaient mille couleurs et il tait servi sur large assiette de cristal. Pour avoir refus de prendre part ce jeu inconvenant, je reus un vtement blanc. Le petit Gaspard m'expliquait tout, et ainsi nous avancions toujours davantage le long de la table. Je vis encore, comme m'tant destine; une petite pierre toute seule sur un plat, telle que je l'avais reue autrefois au couvent. J'entendis aussi dire l que je recevrais avant ma mort un vtement blanc et une pierre blanche sur laquelle serait inscrit un nom que seule je pourrais lire. C'tait l'extrmit de la table que l'amour du prochain recevait sa rcompense. È
Ç C'taient des vtements blancs, des fruits blancs, de grosses roses blanches et toute espce d'aliments et objets merveilleux d'une blancheur admirable. Il m'est possible de dcrire tout cela. Le petit Gaspard me dit : Ç Il faut que tu voies aussi quelles crches nous avons ici. Tu as toujours aim faire de petites crches.'È Alors nous allmes tous dans les glises, d'abord dans l'glise de la mre de Dieu o l'on chantait incessamment. Il y avait aussi un autel sur lequel se succdaient toutes sortes de tableaux de la vie de Marie, et tout autour taient, des hauteurs diverses, des choeurs d'adorateurs. Il fallait passer par cette glise pour, arriver la petite crche qui tait dans l'autre glise. Dans celle-ci aussi il y avait un autel sur lequel tait reprsente la naissance du Sauveur, puis, succdant les uns aux autres, des tableaux de sa vie jusqu' l'institution du Saint-Sacrement, tout fait dans le genre de ceux que j'ai vus en vision.
Ici la narratrice s'interrompit pour exhorter le Plerin travailler son salut avec plus d'ardeur, tout faire aujourd'hui, ne pas remettre au lendemain. Car la vie est courte et le compte rendre si rigoureux ! Aprs cela elle continua : Ç J'allai alors dans un lieu plus lev. Je montai prs de l'glise dans un jardin plein de fruits magnifiques avec des tables lgamment ornes et des dressoirs couverts de riches dons. De tous cts je voyais voler l des mes qui sur la terre avaient fait beaucoup de bien par leurs tudes et leurs crits et qui s'taient ainsi rendues utiles aux autres. Elles allrent de divers cts dans le jardin : tantt une d'elles, tantt plusieurs s'arrtaient prs d'une table pour recevoir ce qui leur tait destin. Au milieu du jardin s'levait un appareil demi-circulaire, avec des gradins, o taient exposs les objets les plus prcieux. En avant et des deux cts s'avanaient des bras dont chacun prsentait un livre. Ce jardin, l o l'on voyait des chemins vers l'extrieur, paraissait avoir de belles portes. Par une de ces portes, je vis entrer un superbe cortge : toutes les mes prsentes se pressrent en foule de ce ct et formrent deux rangs pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. C'taient des mes en grand nombre qui introduisaient le bienheureux Stolberg. Elles formaient comme une procession avec des bannires et des guirlandes de fleurs. Quatre portaient sur leurs paules, mais sans que ce ft un poids pour elles, une litire d'honneur o le bienheureux tait plutt assis que couch. Les autres suivaient et ceux qui taient venus recevoir la procession portaient des fleurs et des guirlandes. Stolberg avait au-dessus de sa tte une couronne, forme surtout de roses blanches, de petites pierres tincelantes et d'toiles. Cette couronne ne reposait pas prcisment sur sa tte, mais planait toujours au-dessus. Au commencement toutes ces mes mÕapparurent sous des formes semblables, comme celles que j'avais vues plus bas dans le ciel des enfants : mais ensuite chacune m'apparut comme portant le costume et les insignes de sa condition sur la terre, et presque toutes taient de celles qui par leurs travaux et leurs enseignements en avaient amen d'autres dans la voie du salut. Je vis Stolberg descendre de son sige qui disparut aussitt, puis je le vis s'avancer vers les dons qui lui taient destins. Je vis paratre un ange derrire les gradins de lÕhmicycle. De trois cts de cet appareil couvert de fruits, de fleurs et de vases prcieux, s'avanait un bras tenant un livre ouvert, en face des assistants. L'ange reut des esprits qui l'entouraient des livres dans lesquels il effaa ou marqua diverses choses et qu'il plaa sur deux pidestaux qui taient ses cts. Ces esprits reurent de lui leur tour des crits grands et petits qu'ils rpandirent, les faisant passer de main en main. Je vis notamment une infinit de petits crits dirigs d'un certain ct par l'intermdiaire de Stolberg. Il me semblait que c'tait la continuation dans le ciel des travaux et des oeuvres oprs sur la terre par ces sortes d'mes. Je vis alors aller de ces gradins Stolberg un grand plat transparent et au milieu de ce plat apparatre un beau calice d'or autour duquel taient disposs des raisins, des petits pains, des pierres prcieuses et de petits flacons de cristal. Le calice n'tait pas fixe comme sur l'assiette de myrrhe : ils y buvaient ainsi que dans les flacons et se nourrissaient de tout ce qui tait l. Stolberg distribuait tout aux uns et aux autres. Lorsque les mes se communiquaient quelque chose, je les voyais souvent se donner la main. Aprs cela tous furent emmens plus haut pour rendre grce. Aprs cette vision mon guide me dit qu'il me fallait aller Rome auprs du Pape et exciter son zle pendant sa prire : il devait me dire tout ce que j'aurais faire l. È