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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME TROISIéME

 

CHAPITRE XII

 

TRAVAUX PAR LA PRIéRE ET LA SOUFFRANCE POUR LE CHEF DE LՃGLISE PIE VII,

POUR LA PROVINCE ECCLƒSIASTIQUE DU HAUT-RHIN,

POUR LA CONVERSION DES PƒCHEURS ET POUR LES MOURANTS.

- TABLEAUX DE FETES.

 

1. Pie VII.

 

         Les cinq dernires annŽes du pontificat de Pie VII furent pour lui un temps d'Žpreuves non moins rudes que ne l'avaient ŽtŽ son arrestation par les satellites de NapolŽon, sa prison, ses liens et les mauvais traitements qu'il avait eus si longtemps ˆ supporter. Bien plus, quand on considre la dignitŽ et la magnanimitŽ incomparables que l'auguste patient sut opposer aux plus rŽvoltantes iniquitŽs de son orgueilleux oppresseur, il est permis de conclure, quant ˆ ses tribulations ultŽrieures, qu'il avait dž tre moins pŽnible pour son grand et noble coeur de se trouver sans dŽfense et sans protection en face du puissant conquŽrant que de voir, aprs sa dŽlivrance, tendu autour du Saint-Sige le rŽseau de tromperies, de trahisons et d'artifices ˆ l'aide duquel on voulait l'empcher de satisfaire aux devoirs de sa charge, de passeur suprme envers l'ƒglise catholique dans les pays allemands. Pendant ces deux pŽriodes de son rgne, si rempli de soucis et de souffrances, Anne Catherine fut peut-tre le plus remarquable des instruments cachŽs au moyen desquels Dieu donna son assistance au chef de l'ƒglise et travailla ˆ l'encontre de ses adversaires. De mme que de nos jours, Marie de Moerl a eu ˆ prier et ˆ lutter pour GrŽgoire XVI et pour Pie IX; de mme que, dans des moments de dŽtresse et de dangers particuliers pour l'ƒglise, ses souffrances sont arrivŽes ˆ un degrŽ tout ˆ fait extraordinaire, de mme Anne Catherine, pendant tout le pontificat de Pie VII, fut la fidle image de la communautŽ apostolique de JŽrusalem qui offrait ˆ Dieu ses prires incessantes pour Pierre, lorsqu'il Žtait retenu en prison par HŽrode (note). Sans doute il ne lui ŽtŽ possible d'en raconter que peu de chose au Plerin : mais les lecteurs qui, plus tard, ont pu conna”tre en dŽtail de quels fils cette trame Žtait formŽe, seront aussi facilement convaincus de la vŽritŽ de ce qui lui a ŽtŽ montrŽ en vision qu'ils seront surpris de la grandeur de la mission donnŽe ˆ cette ‰me privilŽgiŽe.

 

15 novembre 1819. Ç Il me fallut aller ˆ Rome. Je vis le Pape faire trop de concessions dans d'importantes affaires traitŽes avec des hŽtŽrodoxes. Il y a ˆ Rome un homme noir qui sait beaucoup obtenir par des flatteries et des promesses. Il se cache derrire des cardinaux : et le Pape, dans l'espoir dÕobtenir une certaine chose a consenti ˆ une autre chose qui sera exploitŽe d'une manire nuisible. J'ai vu cela sous la forme de confŽrences et d'Žchange d'Žcrits. Je vis ensuite lÕhomme noir se vanter plein de jactance devant son parti : Ç Je l'ai emportŽ, disait-il; nous allons voir bient™t ce qui en est de la pierre sur laquelle est b‰tie l'ƒglise. È Mais il sՎtait vantŽ trop vite. Il me fallut aller trouver le Pape. Il Žtait ˆ genoux et priait. Ce fut quelque chose d'Žtrange. Je lui dis avec beaucoup de chaleur ce que j'avais ŽtŽ chargŽe de lui dire : cependant il semblait qu'il y avait quelque chose entre lui et moi, et il ne me parla pas. Mais je le vis tout ˆ coup se lever et sonner. Il fit appeler un cardinal qu'il chargea de retirer la concession qui avait ŽtŽ faite. Le cardinal fut bouleversŽ et lui demanda d'o lui venait cette pensŽe. Le Pape rŽpondit qu'il n'avait point ˆ s'expliquer lˆ-dessus : cela suffisait, dit-il, il en devait tre ainsi.

 

(note) Actus Apost., XXII, 5.

 

L'autre sortit tout stupŽfait. Je vis ˆ Rome beaucoup de gens pieux qu'attristaient fort les intrigues de l'homme noir. Il avait l'air d'un juif. È

         Ç Aprs cela, il me fallut aller ˆ Munster, prs du vicaire gŽnŽral. Il Žtait assis ˆ une table, lisant un livre. J'eus ˆ lui dire, qu'il g‰tait beaucoup de choses par sa raideur, qu'il devait donner des soins plus particuliers ˆ son troupeau et rester davantage chez lui pour ceux qui avaient besoin de le voir. Ce fut alors comme s'il ežt trouvŽ dans son livre un passage qui lui suggŽrait ces pensŽes : il fut mŽcontent de lui-mme. J'allai aussi chez Overberg : il se tenait en repos, consolait des vieilles femmes et des jeunes filles et priait sans cesse en son particulier. È

 

         12 janvier 1820 : Ç Mon guide me dit qu'il fallait aller prs du Pape et ranimer son courage pendant qu'il prierait. Il devait me dire tout ce que j'aurais ˆ faire. J'arrivai ˆ Rome. C'est quelque chose de singulier : je passe ˆ travers les murailles : je me tiens en haut dans un coin et je vois les personnes au-dessous de moi. Quand j'y pense pendant le jour, cela me fait une Žtrange impression. Souvent aussi je suis ainsi chez d'autres personnes. J'eus ˆ dire au Pape, pendant sa prire, qu'il devait se recueillir davantage parce que la chose qu'on nŽgociait en ce moment avec tant dÕartifice Žtait de grande consŽquence : il devait se revtir plus souvent de son pallium; il avait ainsi plus de force et recevait plus abondamment la gr‰ce du Saint-Esprit. Ce petit manteau a un certain rapport avec l'ornement dont le grand prtre de l'ancienne alliance devait se revtir quand il prophŽtisait. Maintenant on est d'avis que le Pape ne peut s'en servir qu'en certains jours : mais il n'y a pas de temps qui ne soit bon quand la nŽcessitŽ presse. Il fallait aussi qu'il rŽunit plus souvent les cardinaux en assemblŽes solennelles. Il traite ces affaires trop en particulier et sans en rien dire, et il est souvent trompŽ. Les ennemis inventent chaque jour de nouvelles ruses. Il est question maintenant de donner aux protestants une part dans 1e gouvernement du clergŽ catholique. J'ai eu ˆ lui dire qu'il devait invoquer lÕEsprit-Saint pendant trois jours et qu'ensuite il ferait ce qui devait tre fait. Beaucoup de gens de son entourage ne valent rien : il faut qu'il les confonde publiquement : cela les corrigerait peut-tre. È

 

13 janvier : Ç Je me trouvai encore ˆ Rome prs du Pape. Il est maintenant fermement rŽsolu ˆ ne rien signer. Mais les autres vont s'y prendre avec plus d'adresse. Je vis plusieurs fois les mouvements que se donnait l'homme noir, si rampant et si artificieux. Ils cdent souvent sur des choses qu'ils doivent nŽcessairement regagner plus tard. È Sa prire pour le Saint-Pre Žtait accompagnŽe de telles souffrances que le Plerin en parle en ces termes : Ç Elle est pleine de courage et toujours dans l'attente comme si elle se prŽparait ˆ porter secours, ˆ faire quelque chose qui la rŽjouira beaucoup. Elle dit qu'elle voit s'approcher dÕelle deux saintes religieuses et aussit™t commencent ces tortures qu'elle a dŽjˆ eues ˆ souffrir, il y a une semaine. Il arrive tout ˆ coup que ses bras sont tirŽs en haut par de force Žtrangre et invisible et semblent tre mis en croix avec des cordes : les pieds aussi sont croisŽs : tout le corps est dans une telle tension qu'on croirait qu'elle va tre mise en pices. La. douleur fait trembler et tressaillir ses pieds avec des mouvements trs-rapides : ses dents grincent et elle pousse des gŽmissements ŽtouffŽs. Le tremblement de ses membres se rŽpŽta plusieurs fois avec violence et l'on entendait craquer tous ses os. En outre tout le haut du corps se soulevait en l'air, les mains placŽes derrire le dos, raide comme s'il ežt ŽtŽ de bois et aussi dŽpourvu de pesanteur que si c'ežt ŽtŽ du carton creux. Tous les muscles Žtaient raidis et soumis ˆ une tension qui les rendait incapables de mouvement. On voyait que cet Žtat Žtait tout ˆ fait involontaire, qu'une force extŽrieure agissait. Son corps faisait tous les mouvements d'une personne Žtendue sur la croix. Cela dura environ dix minutes au bout desquelles elle laissa retomber ses mains. Elle s'affaissa alors tout ˆ fait sur elle-mme et commena parler en vision, disant que trois personnes qu'elle ne connaissait pas l'avaient Žtendue sur la croix avec des cordes. Elle vit ensuite monter sur une Žchelle une grande quantitŽ d'‰mes sortant du purgatoire qui la remerciaient. Aprs cela elle se sentit flageller et dŽchirer ˆ coups de fouet. Aprs une courte pause, ses mains furent de nouveau violemment tirŽes en l'air, et le supplice reprit son cours comme la premire fois. Cela finit encore au bout d'environ dix minutes. La sueur coulait de son front. Alors elle ne cessa de prier le Plerin de remettre ˆ leur place ses mains et ses pieds arrachŽs. Il le fit en mettant des reliques dans ses mains qu'elle put alors remuer. Elle avait soutenu cette lutte pour les gens qui mouraient cette nuit mal prŽparŽs et pour d'autres qui ne pouvaient pas recevoir les sacrements. Elle vit environ cinquante mourants, la plupart jeunes gens ou prtres. Elle ne voit jamais d'enfants lorsqu'elle a de ces services ˆ rendre. Ces cinquante personnes furent assistŽes d'une manire ou d'une autre. Elle dit qu'elle devait encore une fois souffrir et cette fois pour l'Eglise. Et le mme jour elle eut une troisime crise du mme genre. Son confesseur lui donna l'assistance sacerdotale par l'imposition des mains et la prire, ce qui lui procura un grand soulagement. Son abondante sueur froide disparut bient™t, mais, quand elle revint ˆ elle, elle ne put pas parler parce que sa langue Žtait paralysŽe et rentrŽe dans le gosier. La bŽnŽdiction de son confesseur lui en rendit l'usage. Alors elle le pria de nouveau de remettre en place ses bras et ses mains. Il la bŽnit au nom de JŽsus et elle se sentit assistŽe. Elle Žtait d'une faiblesse excessive, mais pourtant sereine, comme quelqu'un qui, fatiguŽ jusqu'ˆ en mourir, a achevŽ une bonne oeuvre et qui tombe en touchant le but. Elle dit encore avec un contentement na•f : Ç J'aurai encore ˆ passer une rude nuit tout ˆ fait seule, et si une ‰me vient ˆ moi, je devrai rendre des actions de gr‰ces : dans tous les cas, je dois tre contente. È

 

Le 15 au matin le Plerin la trouva toute brisŽe. Ses membres tremblaient et souffraient encore beaucoup, par suite de la terrible tension qu'ils avaient subie, et il en avait ŽtŽ de mme toute la nuit. Elle dit que, dans la matinŽe du jour prŽcŽdent, cette souffrance lui avait ŽtŽ annoncŽe par son guide pour trois heures de l'aprs-midi, mais qu'elle avait demandŽ un rŽpit jusqu'au soir. Dans ces circonstances, disait-elle, elle se comportait d'une manire toute passive et laissait disposer d'elle sans rŽsistance. Elle-mme ne donnait aucun concours actif. Ils avaient ŽtŽ trois qui l'avaient Žtendue sur la croix et dŽchirŽe avec des fouets et des verges. Elle ne savait pas qui ils Žtaient. Elle voyait toujours d'avance les misres pour lesquelles elle souffrait, et cela lui donnait un vif dŽsir de porter secours et de souffrir. Elle avait vu cette nuit que le Pape ne cŽderait rien, qu'il ne souscrirait pas aux mauvaises et artificieuses propositions, quoi qu'il en pžt arriver. Elle voyait presque tous les Žvques plongŽs dans le sommeil. Mais elle avait vu venir un nouveau Pape; il semblait que ce fžt entre 1840 et 1850 : celui-lˆ devait se montrer plus-vigilant et plus sŽvre. Elle l'avait vu dans le lointain, dans une ville un peu plus au midi que Rome : il ne portait pas un habit de moine, mais il avait sur son habit quelque chose comme une croix, un insigne religieux. L'Žtat de l'Eglise, disait-elle encore, Žtait extraordinairement affligeant. Les adversaires Žtaient si rusŽs et si habiles; le clergŽ si indolent, si timide et faisait si peu d'usage du pouvoir qu'il tenait de Dieu ! Elle en avait vu quelques-uns qui dŽsiraient devenir Papes, mais qui ne le seraient pas. Son martyre avait eu lieu sur le haut d'une montagne : elle l'avait subi dans la position horizontale : elle avait pu voir une grande Žtendue de pays: La montagne des prophtes Žtait en face d'elle. Ç Je sens encore trs-vivement, ajoutait-elle, la pression des cordes de cette nuit. Dans un moment o j'avais une corde autour du corps, je tombai tout ˆ coup, et alors la corde me serra d'une manire bien douloureuse. C'Žtait comme si on m'ežt dŽchirŽ toutes les veines et brisŽ tous les nerfs. Ce n'est que depuis ma confirmation que j'ai eu ˆ supporter de semblables tortures pour le prochain: auparavant je n'avais ˆ souffrir que ce que je m'imposais moi-mme. Tous mes accidents et mes maladies Žtranges ont ŽtŽ des souffrances pour autrui, spŽcialement au couvent.È

 

         22 fŽvrier 180. Ç J'arrivai, en passant par-dessus Francfort, dans une ville entourŽe de vignobles. J'y vis dans une Žglise beaucoup de dŽsordre et de mauvais prtres. J'eus lˆ ˆ consoler un vieux prtre que ses mŽchants chapelains accusent devant l'Žvque, parce qu'assistŽ de deux sacristains, il les a chassŽs du confessionnal et de l'Žglise; ˆ la suite d'une nuit qu'ils avaient passŽe ˆ boire. Cela fait beaucoup de bruit. Le vieux prtre disait la messe, il n'y avait pas d'autre office. Il est maintenant en Žtat d'accusation. Personne ne viendra ˆ son aide, sinon Dieu. È

 

2. Sainte-Marie de la Rotonde et la chapelle protestante de l'ambassade de Prusse ˆ Rome.

 

         13 mai 1820 : Ç Cette nuit, d'onze heures ˆ trois heures du matin, j'ai eu une vision des plus merveilleuses sur deux Eglises et deux Papes et sur une infinitŽ de choses anciennes et nouvelles. Je dirai, aussi bien que je le pourrai, ce que je m'en rappelle encore. Mon ange gardien vint me dire qu'il fallait aller ˆ Rome et porter deux choses au Pape. Je ne sais plus ce que c'Žtait, et c'est peut-tre la volontŽ de Dieu que je ne m'en souvienne plus. Je demandai comment je pourrais faire un si grand voyage, Žtant aussi malade que je l'Žtais, mais comme il me fut dit que j'arriverais sans difficultŽ, je ne fis plus d'objections. Il y avait devant moi une merveilleuse voiture, plate et mince : elle avait deux roues : le fond Žtait rouge avec une bordure blanche. Je ne vis pas de chevaux : on m'y posa doucement et je vis en mme temps un enfant lumineux, blanc comme la neige, voler vers moi d'un des c™tŽs, et se placer ˆ mes pieds sur la voiture. Cet enfant me rappela l'enfant habillŽ de vert reprŽsentant la patience. Il Žtait singulirement aimable et attrayant et tout ˆ fait transparent ; il m'Žtait donnŽ pour me consoler et prendre soin de moi. La voiture Žtait trs-mince et trs-lisse, et je pensai que je pourrais peut-tre glisser en bas. Mais elle se mit doucement en mouvement a elle toute seule. Je vis seulement un homme brillant de lumire aller en avant. Le voyage ne dura pas longtemps; cependant nous travers‰mes beaucoup de pays, beaucoup de montagnes et aussi une grande Žtendue d'eau. Lorsque nous arriv‰mes, je reconnus Rome. Je me trouvai bient™t prs du Pape. Je ne sais plus s'il priait, ou s'il dormait. Je devais lui dire ou lui donner deux choses, et j'appris que j'aurais ˆ venir encore une fois pour lui en annoncer une troisime. J'eus ensuite une merveilleuse vision. Je vis tout ˆ coup Rome comme elle Žtait ˆ une poque antŽrieure, et je vis un Pape du nom de Boniface (Boniface IV) et un empereur dont je ne me rappelle plus le nom (Phocas). Je ne savais pas me retrouver dans la ville : tout Žtait diffŽrent, mme les cŽrŽmonies du culte : cependant je reconnus que c'Žtait le culte catholique. Je vis aussi un grand Ždifice rond, semblable ˆ une coupole. C'Žtait un temple des faux dieux, plein de belles statues d'idoles. Il n'y avait pas de fentres, mais le jour venait par une ouverture pratiquŽe dans le haut de la vožte, au-dessus de laquelle se trouvait un appareil pour garantir de la pluie. Il semblait que toutes les idoles qui existent se trouvassent lˆ. Elles Žtaient dans diverses positions et plusieurs Žtaient trs-belles : il y avait pourtant aussi de bien singulires images. Je vis lˆ par exemple, des oies auxquelles on rendait un culte. Au milieu du temple s'Žlevait un Žchafaudage assez haut, se terminant en pyramide et tout couvert d'images. Je n'y vis pas cŽlŽbrer de culte idol‰trique : mais tout Žtait bien conservŽ. Je vis des envoyŽs du pape Boniface se rendre auprs de l'empereur et lui demander le temple pour en faire une Žglise. J'entendis distinctement celui-ci dŽclarer que le Pape devait y laisser subsister les anciennes statues d'idoles et y Žriger la croix ˆ laquelle lui, empereur; ferait rendre les plus grands honneurs. Cette proposition me parut faite en toute simplicitŽ et sans mauvaise pensŽe. Je vis les envoyŽs revenir, et Boniface rŽflŽchir pour savoir comment il pourrait se conformer ˆ certains Žgards ˆ la volontŽ de l'empereur. Je vis alors, pendant qu'il dŽlibŽrait, un prtre simple et pieux en prire devant une croix: il portait une longue robe blanche qui avait comme une queue par derrire. Je vis appara”tre un ange ˆ ses c™tŽs, puis il se leva, alla aussit™t trouver Boniface et lui dit qu'il ne devait en aucune manire accŽder au dŽsir de l'empereur. Je vis un envoyŽ se rendre auprs de l'empereur qui consentit ˆ ce qu'on vid‰t le temple. Je vis aussi arriver les gens de l'empereur : plusieurs statues d'idoles furent retirŽes et portŽes dans la ville impŽriale : mais il en resta aussi beaucoup ˆ Rome. Je vis encore toute la cŽrŽmonie de la consŽcration du temple; les saints martyrs y assistaient avec Marie ˆ leur tte. L'autel n'Žtait pas au milieu, mais adossŽ au mur. Je vis porter dans l'Žglise plus de trente chariots d'ossements sacrŽs. Beaucoup furent renfermŽs dans les murs: d'autres pouvaient tre vus : il y avait dans le mur des ouvertures rondes, fermŽes par quelque chose qui ressemblait ˆ du verre. Lorsque j'eus vu cette scne dans ses plus petits dŽtails, je vis le Pape actuel et je vis qu'au-dessous de lui il s'Žtait formŽ ˆ Rome une autre Žglise tŽnŽbreuse. C'Žtait dans une grande et vieille maison, semblable ˆ un h™tel de

ville : il y avait des colonnes sur le devant. Je ne vis dans cette Žglise ni autel ni sanctuaire, mais seulement des bans et au milieu comme une chaire. On y prchait et on y chantait: il n'y avait rien de plus. Trs-peu de personnes y assistaient : mais je vis un singulier spectacle. Chacun tirait de son sein une idole diffŽrente, la plaait devant lui et l'adorait.  C'Žtait comme si chacun mettait au dehors sa pensŽe intime, la passion qui l'animait, sous la forme d'un nuage noir, qui, lorsqu'il Žtait dehors, prenait aussit™t une figure dŽterminŽe. C'Žtaient purement des figures comme j'en avais vu suspendues au collier de la fausse fiancŽe dama la maison des noces (voir tome 2 chap.8), des reprŽsentations d'hommes et dÕanimaux de toute espce. Le dieu de l'un Žtait large avec une tte crŽpue; il avait plusieurs bras qu'il avanait et voulait tout engloutir et tout dŽvorer: le dieu de l'autre se faisait petit et se ramassait en lui-mme : un autre avait seulement un billot de bois qu'il regardait en roulant les yeux ; celui-ci avait devant lui une affreuse bte, celui-lˆ une longue perche. Le plus Žtrange Žtait que toutes ces idoles remplissaient la salle entire et que l'Žglise, o les assistants Žtaient en petit nombre, se trouvait pleine d'idoles, ˆ ce point qu'il y avait ˆ peine assez de place : quand ils eurent fini, le dieu de chacun rentra en lui. Toute la maison Žtait sombre et noire, et tout ce qui s'y faisait n'Žtait que tŽnbres et obscuritŽ. Alors je vis aussi le rapport entre l'un et l'autre Pape, entre l'un et l'autre temple. Je regrette d'avoir oubliŽ les chiffres, mais il me fut dit et montrŽ combien l'un avait ŽtŽ faible, quant au nombre de ses adhŽrents et de ses appuis humains, mais combien il avait ŽtŽ fort par la volontŽ puisqu'il avait renversŽ tant de dieux (j'ai su le chiffre), et rŽuni tant de cultes en un seul culte; combien au contraire celui-ci Žtait fort par le nombre et combien faible par la volontŽ, puisqu'en autorisant le faux temple, il avait laissŽ le seul Dieu vŽritable et la seule religion vŽritable se perdre dans tant de faux dieux et de fausses religions. Il me fut aussi montrŽ que les pa•ens d'autrefois adoraient humblement d'autres dieux qu'eux-mmes, qu'ils auraient mme voulu admettre en toute simplicitŽ le Dieu unique, la trs-sainte TrinitŽ, et que leur culte valait mieux que le culte de ceux-ci qui s'adoraient eux-mmes en mille idoles et ne laissaient aucune place au Seigneur parmi ces idoles. Je vis tout cela reprŽsentŽ par des chiffres, alors croissant, aujourd'hui diminuant, et combien la comparaison Žtait favorable ˆ ces temps anciens. Je vis aussi combien seraient funestes les suites de cette contrefaon d'ƒglise. Je la vis sÕaccro”tre, je vis des hŽrŽtiques de toutes les conditions venir dans la ville (note). Je vis cro”tre la tiŽdeur du clergŽ local, je vis un grand obscurcissement se faire. Alors la vision s'agrandit de tous c™tŽs. Je vis partout les communautŽs catholiques opprimŽes, vexŽes, resserrŽes et privŽes de toute libertŽ. Je vis beaucoup d'Žglises fermŽes. Je vis de grandes misres se produire partout. Je vis des guerres et du sang versŽ. Je vis le peuple farouche, ignorant, intervenir avec violence, mais cela ne dura pas longtemps. JÕeus de nouveau la vision o l'Žglise de Saint-Pierre Žtait sapŽe, suivant un plan formŽ par la secte sŽcrte, en mme temps qu'elle Žtait endommagŽe par des orages. mais je vis aussi le secours arriver au moment de la plus extrme dŽtresse. Je vis de nouveau la sainte Vierge monter sue l'Žglise et Žtendre son manteau. Lorsque j'eus ce dernier spectacle, je ne vis plus le Pape actuel. Je vis un de ses successeurs. Je le vis ˆ la fois doux et sŽvre. Il savait s'attacher les bons prtres et repousser loin de lui les mauvais. Je vis tout se renouveler et une Žglise qui s'Žlevait jusqu'au ciel. J'y vis celui des douze nouveaux ap™tres que dernirement la fiancŽe impudique avait voulu prendre pour mari. Cette vision Žtait une grande Žtendue et embrassait de nouveau tout ce qui m'avait ŽtŽ montrŽ antŽrieurement sur les destinŽes de lÕEglise. J'eus dans une autre occasion une vision touchant la rŽsistance opposŽe par le vicaire gŽnŽral dans l'intŽrt de l'ƒglise, ce qui jeta sur lui un grand Žclat (Tout le monde sait combien ce vicaire gŽnŽral, devenu archevque de Cologne, s'illustra par sa courageuse rŽsistance au gouvernement prussien dans l'affaire des mariages mixtes. -Note du traducteur.) Sur d'autres points, il Žtait en faute. J'appris qu'il me faudrait aller encore une fois vers le Pape. Quant ˆ l'Žpoque o tout cela doit arriver, je ne puis l'indiquer. È

 

Nouvelle Žglise sous l'influente des esprits planŽtaires.

 

         12 septembre 1820. Ç Je vis b‰tir une Žglise Žtrange et au rebours de toutes les rgles. Le choeur Žtait divisŽ en trois parties, dont chacune Žtait plus, haute que l'autre de quelques degrŽs. Au-dessous Žtait un sombre caveau plein de brouillard. Sur la premire partie je vis tra”ner un sige, sur la seconde un bassin plein d'eau; sur la plus ŽlevŽe Žtait une table. Je ne vis pas d'ange assister ˆ la construction.: mais divers esprits planŽtaires des plus violents tra”naient toute sorte d'objets dans le caveau, o des personnages en petits manteaux ecclŽsiastiques les prenaient pour les porter ailleurs. Rien ne venait d'en haut dans cette Žglise; tout y venait de la terre et de la rŽgion tŽnŽbreuse; tout y Žtait implantŽ par les esprits planŽtaires. L'eau seule paraissait avoir quelque chose de sanctifiŽ. Je vis porter dans cette Žglise une Žnorme quantitŽ d'instruments. Beaucoup de personnes, .parmi lesquelles des enfants, se servaient des instruments les plus variŽs pour faire et produire quelque chose ; mais tout Žtait obscur, ˆ contre-sens et sans vie : il n'y avait que division et haine. Je vis dans le voisinage une autre Žglise, o rŽgnait la clartŽ et qui Žtait pourvue de toute espce de gr‰ces d'en haut. J'y vis les anges monter et descendre, j'y vis de la vie et de l'accroissement, mais aussi de la tiŽdeur et de la dissipation : pourtant elle Žtait comme un arbre plein de sve en comparaison de l'autre qui ressemblait ˆ un coffre plein d'appareils inanimŽs. Celle-lˆ Žtait comme un oiseau qui plane, celle-ci comme un dragon de papier avec une queue chargŽe de rubans et d'Žcriteaux qui se tra”ne sur un chaume au lieu de voler. Je vis que beaucoup des instruments qui Žtaient dans la nouvelle Žglise, comme par exemple des flches et des dards, n'Žtaient rassemblŽs que pour tre employŽs contre l'Žglise vivante. Chacun y tra”nait quelque chose de diffŽrent, des b‰tons; des verges, des pompes; des rondins, des poupŽes, des miroirs. Ils avaient des trompettes, des cors, des soufflets et toute sorte d'objets de forme et de figure diverses. ils pŽtrissaient du pain dans le caveau d'en bas (la sacristie) ; mais il n'en rŽsultait rien et on travaillait en pure perte. Je vis aussi les hommes aux petits manteaux porter du bois devant les gradins o se trouvait le sige du prŽdicateur, allumer du feu, souffler de toutes leurs forces et se donner une peine extrme, mais tout cela ne produisait qu'une fumŽe et une vapeur abominables. Alors ils firent un trou dans le haut avec un tuyau au-dessus, mais la fumŽe ne voulait pas monter et tout restait plongŽ dans une obscuritŽ o l'on Žtouffait. D'autres soufflaient si fort dans des cors et faisaient tant de bruit que leurs yeux se remplissaient de larmes. Tout restait sur la terre et allait dans la terre, et tout Žtait mort, artificiel et fait de main d'homme : cÕest proprement une Žglise de fabrique humaine suivant la dernire mode, aussi bien que la nouvelle Žglise hŽtŽrodoxe de Rome, qui est de la mme espce.

 

12 novembre 1820. Ç Je voyageai ˆ travers une contrŽe sombre et froide et j'arrivai dans la grande ville: J'y vis de nouveau la grande et singulire Žglise qu'on y construisait ; n'y avait lˆ rien qui fžt saint; je vis que d'innombrables esprits planŽtaires y travaillaient. Je vis cela de la mme manire que je vois une oeuvre catholique, ecclŽsiastique, ˆ laquelle travaillent en commun des anges, des saints et des chrŽtiens ; mais ici le concours Žtait donnŽ sous d'autres formes plus mŽcaniques. Je vis monter et descendre des esprits planŽtaires, je les vis envoyer des rayons sur les gens qui construisaient l'Ždifice. Tout se faisait selon la raison humaine. Je vis en haut tirer des lignes et tracer des figures, et je vis comment aussit™t, sur la terre, un homme se trouvait avoir tracŽ un plan, un dessin. Je vis l'action des orgueilleux esprits planŽtaires dans ses rapports avec cette construction se faire sentir jusque dans les rŽgions les plus ŽloignŽes. Je vis arriver ˆ des distances immenses l'impulsion donnŽe pour la prŽparation de tout ce qui pouvait tre nŽcessaire et utile ˆ la construction et ˆ l'existence de cette Žglise; j'y vis concourir toute sorte de personnes et de choses, de doctrines, et d'opinions. Il y avait, dans tout cela, quelque chose d'orgueilleux, de prŽsomptueux, de violent, et tout semblait rŽussir et m'Žtait montrŽ dans une foule de tableaux. Je ne vis pas un seul ange, ni un seul saint coopŽrer ˆ cette oeuvre: C'Žtait une grande vision. Mais je vis beaucoup plus loin, sur l'arrire-plan, le tr™ne d'un peuple sauvage armŽ d'Žpieux, et une figure qui riait et disait : Ç B‰tis-la aussi solidement que tu voudras, nous la renverserons. È - J'allai aussi dans une grande salle de la ville, o se faisait une hideuse cŽrŽmonie, une comŽdie menteuse qui faisait frŽmir. Tout Žtait tendu de noir. Un homme fut mis dans un cercueil, puis il en sortit. Il Žtait lˆ portant une Žtoile sur sa poitrine. Il semblait que c'Žtait une menace, et que pareille chose devait lui arriver. Je vis au milieu de tout cela le diable sous mille formes; tout Žtait nuit sombre, c'Žtait horrible. È

 

3. L'empereur saint Henri ˆ Sainte-Marie-Majeure.

 

         12 juillet 1820. Ç J'ai eu une vision sur l'empereur saint Henri. Je le vis la nuit, dans une grande et belle Žglise, agenouillŽ seul devant le ma”tre-autel. Je connais cette Žglise, il s'y trouve une belle chapelle de la sainte crche et je l'ai dŽjˆ vue ˆ la fte de Notre-Dame des Neiges. Comme il Žtait ainsi agenouillŽ et priant, je vis une lumire para”tre en haut, au-dessus de l'autel, et je vis la sainte Vierge descendre seule. Elle avait un vtement de lumire d'un blanc bleu‰tre et rayonnait de clartŽ ; elle portait quelque chose ˆ la main. Ayant couvert l'autel d'un linge rouge et d'une nappe blanche par dessus, elle y plaa un livre enrichi de pierres prŽcieuses qui Žtait tout lumineux ; elle alluma ensuite les cierges de l'autel ˆ la lampe perpŽtuelle. Plusieurs autres cierges bržlaient en forme de pyramide.. Elle resta debout au c™tŽ droit de l'autel. Vint alors le Sauveur lui-mme en ornements sacerdotaux, portant le calice et le voile; deux anges lui servaient de ministres et deux autres l'accompagnaient. Il avait la tte dŽcouverte. La chasuble Žtait un ample et lourd manteau o le rouge et le blanc brillaient l'un ˆ travers l'autre, et qui Žtait ornŽ de joyaux. Les anges qui l'assistaient Žtaient blancs. Il n'y avait pas de clochette; mais les burettes y Žtaient. Le vin Žtait rouge comme du sang, il y avait aussi de l'eau. La messe fut courte. Je vis lÕoffertoire et l'ŽlŽvation, l'hostie Žtait comme les n™tres. Il n'y eut pas ˆ la fin d'Žvangile de Saint-Jean. Les anges lurent l'ƒvangile et portrent le livre ˆ Marie pour qu'elle le bais‰t. Lorsque Marie eut baisŽ le livre, JŽsus la regarda et lui indiqua Henri qui d'abord n'osa pas le baiser, ce qu'il fit pourtant ˆ la fin. Quand la messe fut terminŽe, Marie s'avana vers Henri, lui tendit la main droite et lui dit qu'elle honorait ainsi sa chastetŽ, puis elle l'exhorta ˆ ne point faiblir. Je vis alors s'approcher de lui un ange qui le saisit par le c™tŽ droit comme Jacob. Il manifesta une vive douleur et par la suite il marcha un peu de travers. Il y avait ˆ cette cŽrŽmonie beaucoup d'anges en adoration, les yeux fixŽs sur l'autel.

 

4. Fte du Scapulaire.

 

15 juillet 1820 : Ç je me trouvai sur le Mont-Carmel et jÕy vis deux ermites : ils demeuraient loin l'un de l'autre. Le premier Žtait trs-vieux et ne quittait pas sa grotte : l'autre, qui sÕappelait Pierre et qui Žtait franais, visitait le vieillard de temps en temps et lui portait quelque chose. Ce Pierre s'absentait souvent assez longtemps, puis il revenait prs du vieillard. Je le vis aussi faire des voyages ˆ JŽrusalem, ˆ Rome et dans nos pays. Je le vis revenir et avec lui plusieurs gens de guerre portant la croix sur leurs vtements. Je vis avec lui Berthold, alors soldat, et je le vis plus tard amener ce Berthold en qualitŽ d'ermite au vieillard qui Žtait sur le Carmel. Je vis comment par la suite ce Berthold devint le supŽrieur des ermites et les rapprocha les uns des autres. Ils Žlevrent des b‰timents et habitrent davantage ensemble. J'eus alors une autre vision. Je vis, lorsque dŽjˆ l'association des ermites Žtait devenue un couvent, un moine prosternŽ dans sa cellule auquel apparut la Mre de Dieu, portant l'enfant JŽsus, toute semblable ˆ l'image de la sainte Vierge que j'avais vue sur la montagne prs de la fontaine. Je vis qu'elle lui prŽsenta une pice d'habillement comme serait une serviette dans laquelle on aurait taillŽ un trou carrŽ pour y passer la tte. Elle descendait par devant jusqu'au creux de l'estomac; elle Žtait brillante de lumire et les couleurs rouge et blanche s'y entremlaient, comme sur le vtement du grand prtre que Zacharie montra ˆ saint Joseph. Des lettres Žtaient inscrites sur les attaches qui passaient au-dessus des Žpaules. Marie parla longtemps ˆ ce moine. Lorsqu'elle disparut et qu'il revint ˆ lui, il fut trs-Žmu en se voyant revtu du scapulaire, et je vis qu'il rassembla plusieurs de ses frres et le leur montra. J'eus ensuite le tableau d'une fte de l'ƒglise sur le Mont-Carmel. J'y vis dans les choeurs de l'ƒglise triomphante, figurer le saint prophte ƒlie, comme le premier des anciens ermites, mais pourtant sŽparŽ des autres : on lisait au-dessous de ses pieds : Ç ƒlie prophte. È - Je ne vis pas ces tableaux comme placŽs les uns derrire les autres, mais j'eus le sentiment qu'il y avait entre eux l'intervalle d'un grand nombre d'annŽes, spŽcialement entre la prŽcŽdente vision de la rŽception du scapulaire et la cŽlŽbration de la fte. Il me sembla que la fte ecclŽsiastique se cŽlŽbrait peut-tre de nos jours. A l'endroit voisin de la fontaine o avait ŽtŽ dÕabord l'image de la Mre de Dieu, il y avait alors une Žglise et un couvent. La fontaine. Žtait maintenant au milieu de l'Žglise et je vis au-dessus de l'autel la Mre de Dieu avec l'enfant JŽsus, semblable ˆ l'ancienne image sous la forme de laquelle elle avait apparu ˆ l'ermite, mais elle semblait vivre et se mouvoir dans une lumire Žclatante. A ses deux c™tŽs pendaient d'innombrables petites images en soie, attachŽes deux ˆ deux par deux cordons : il y avait des images sur les deux faces et elles se remuaient, comme font les feuilles d'un arbre sous les rayons du soleil, dans la lumire qui Žmanait de Marie. Plusieurs choeurs d'anges entouraient la sainte Vierge. A ses pieds, au-dessus du tabernacle o reposait le Saint-Sacrement, Žtait suspendu le grand scapulaire qu'elle avait donnŽ ˆ l'ermite dans la vision. Dans le haut Žtaient, de chaque c™tŽ, plusieurs choeurs de saints de l'ordre du Carmel, hommes et femmes., les plus anciens ermites en habits rayŽs de blanc et de brun, les autres avec le costume actuel. Je vis aussi des religieux d'ˆ prŽsent, nonnes et moines, cŽlŽbrer la fte : ils Žtaient ˆ leur place, soit dans le choeur, soit ailleurs, mais sur la terre.

 

5. Vision de la fte de l'indulgence de la Portioncule.

 

         1er aožt 1820 : Ç J'ai eu la vision d'une fte et je ne sais plus bien ce qu'elle signifiait : voici ce que je m'en rappelle encore. Je vis plusieurs saints dans une gloire lumineuse, comme dans une grande guirlande o ils Žtaient assis avec divers insignes, tels que des palmes et des Žglises qu'ils tenaient ˆ la main. Au-dessous planaient d'innombrables reliques et d'autres objets sacrŽs dans des vases prŽcieux, et il me semblait que c'Žtaient des ossements et des choses provenant des saints que je voyais dans la sphre lumineuse. Au milieu de cette sphre planait une petite Žlise et au-dessus de l'Žglise l'Agneau de Dieu avec un petit Žtendard sur le dos. La petite Žglise Žtait lumineuse et transparente et j'y vis sur un tr™ne, au-dessus de l'autel, la Mre de Dieu et le Seigneur JŽsus entourŽs d'une multitude d'anges. Je vis un ange entrer dans la sphre des saints et conduire saint Franois dans la petite Žglise devant JŽsus et Marie, et il me sembla que le saint demandait une gr‰ce qui avait rapport au trŽsor des mŽrites de JŽsus-Christ et de ses saints martyrs; c'Žtait la faveur d'une indulgence pour cette petite Žglise. Je vis ensuite Franois se rendre prs d'un Pape; ce n'Žtait pas ˆ Rome. Il lui demanda quelque chose, une indulgence qui se rapportait ˆ la vision. Je vis que dÕabord le Pape ne voulait pas l'accorder, mais tout ˆ coup une lumire vint sur lui, et un Žcriteau se montra en l'air devant lui : alors il se sentit ŽclairŽ et accorda au saint ce qu'il dŽsirait. Je vis aussi le saint, revenu d'auprs du Pape, prier ˆ genoux pendant la nuit, puis le diable s'avancer vers lui sous la forme d'un trs-beau jeune homme et lui reprocher ses mortifications. Le saint, qui se sentit tentŽ, courut hors de sa cellule, se dŽpouilla de son vtement et se roula dans un buisson d'Žpines jusqu'ˆ ce qu'il fžt tout couvert de sang. Je vis alors un ange venir ˆ lui et le guŽrir. Voilˆ tout ce dont je me souviens. È

 

6. Notre-Dame des Neiges.

 

         Ç Je vis dans une grande maison deux Žpoux d'un rang ŽlevŽ prier la nuit dans leur appartement devant une image de Marie suspendue ˆ la muraille. Cette image Žtait brodŽe au tissŽe grossirement, la robe Žtait en quelques endroits rayŽe de bleu et de rouge et se rŽtrŽcissait ˆ son extrŽmitŽ infŽrieure. Marie portait une couronne et dans ses bras l'enfant JŽsus avec le globe du monde. Devant l'image, qui n'Žtait pas grande, deux lampes bržlaient ˆ droite et ˆ gauche. Le petit banc sur lequel les deux Žpoux Žtaient ˆ genoux; serrŽs l'un contre l'autre, pouvait se relever devant l'image, et c'Žtait alors comme une armoire, au-dessus de laquelle pendait un rideau qui Žtait roulŽ sur lui-mme et qu'on pouvait baisser pour cacher l'image. J'ai vu dans ces anciens temps beaucoup de ces images de Marie tissŽes dans une Žtoffe. On les roulait pour les prendre avec soi en voyage et on les suspendait ˆ l'endroit o l'on voulait prier. Pendant la prire des deux Žpoux; je vis la sainte Vierge sous la forme de cette image, planer lumineuse entre eux et l'image elle-mme, comme si elle se fžt dŽtachŽe du mur, et leur enjoindre d'Žlever une Žglise en son honneur sur une colline de Rome qu'ils verraient couverte de neige. Je les vis, le matin suivant, annoncer la chose au Pape; je les vis aussi avec plusieurs ecclŽsiastiques, se rendre ˆ la colline, sur le sommet de laquelle la place que devait occuper l'Ždifice Žtait couverte d'une neige d'un Žclat extraordinaire. Je vis qu'on planta des pieux pour marquer la place couverte de neige et que la neige disparut aussit™t. J'eus encore une vision d'un temps postŽrieur ˆ celui o l'Žglise avait ŽtŽ b‰tie. J'y vis cŽlŽbrer la messe par un Pape du nom de Martin, lequel, au moment o il donnait la communion ˆ un grand personnage, devait tre assassinŽ par un homme que le premier avait apostŽ ˆ cet effet par ordre de l'empereur Constant. Je vis le meurtrier entrer dans lՎglise o il y avait beaucoup de monde, mais il fut aussit™t frappŽ d'aveuglement, de sorte qu'il se heurta contre les piliers, tomba et se mit ˆ crier, ce qui excita un grand tumulte. Je vis une autre fois le pape GrŽgoire chanter la grand'messe dans cette Žglise et je vis la Mre de Dieu appara”tre avec quelques anges qui rŽpondirent Et cum Spiritu tuo et assistaient le cŽlŽbrant. Je vis en dernier lieu, dans cette mme Žglise, une fte qui se cŽlbre de nos jours et o je vis la Mre de Dieu appara”tre sous la mme forme qu'elle Žtait apparue ˆ ceux qui avaient fait b‰tir l'Žglise. C'est cette Žglise dans laquelle j'ai vu prier rŽcemment l'empereur saint Henri pendant que le Christ lui-mme disait la messe. Il y a une chapelle de la sainte-crche. È

 

7. Du commencement d'aožt ˆ la fin d'octobre 1810.

 

Anne Catherine fut occupŽe d'une suite de travaux o elle eut ˆ prier pour le Saint-Pre et qui commencrent ˆ la suite d'une vision comprenant beaucoup d'objets. L'Žtat de l'ƒglise lui fut montrŽ, comme il arrivait toujours dans les visions de ce genre, sous l'image de l'Žglise de Saint-Pierre, et la secte secrte, Žtendant ses ramifications par toute la terre et engagŽe dans une guerre d'extermination incessante contre l'ƒglise lui apparut comme l'empire de l'antŽchrist. La secte reoit son caractre de la bte de l'Apocalypse qui, montant de la mer, s'arrte sur le rivage et pousse ladite secte au combat contre le troupeau du Christ. Le Plerin en rapportant cette vision fait les remarques suivantes : Ç Elle est certainement pleine de lacunes, parce que la narratrice l'a vue sous des formes allŽgoriques qu'elle ne peut dŽcrire que difficilement. Chose merveilleuse : cette vision reproduit beaucoup de traits de l'Apocalypse de saint Jean qu'Anne Catherine ne conna”t point, comme du reste elle conna”t trs-peu de chose de l'ƒcriture Sainte et des autres livres. Si elle semble parfois lire dans un livre, elle n'en est pas moins absorbŽe en mme temps dans la contemplation et elle voit de tout autres choses. Lorsqu'elle commena le rŽcit de cette vision, elle dit : Ç Je vois de nouveaux martyrs, non pas du temps prŽsent, mais d'un temps ˆ venir : cependant je vois qu'on les opprime dŽjˆ. J'ai vu, continua-t-elle, les gens de la secte secrte saper sans rel‰che la grande ƒglise, et j'ai vu prs d'eux une horrible bte qui est montŽe de la mer: Elle avait une queue comme celle d'un poisson, des griffes comme celles d'un lion, et plusieurs ttes qui entouraient comme une couronne une tte plus grande. Sa gueule Žtait large et rouge. Elle Žtait tachetŽe comme un tigre et se montrait trs-familire avec les dŽmolisseurs. Elle se couchait souvent au milieu d'eux pendant qu'ils travaillaient : souvent aussi ils allaient la trouver dans la caverne o elle se cachait quelquefois. Pendant ce temps, je vis ˆ et lˆ, dans le monde entier, beaucoup de gens bons et pieux, surtout des ecclŽsiastiques, vexŽs, emprisonnŽs et opprimŽs, et j'eus sentiment qu'ils deviendraient un jour des martyrs. Comme l'Žglise Žtait dŽjˆ en grande partie dŽmolie, si bien qu'il ne restait plus debout que le choeur avec l'autel, je vis ces dŽmolisseurs pŽnŽtrer dans l'Žglise avec la bte : ils y trouvrent une grande femme pleine de majestŽ. Il semblait qu'elle fut enceinte; car elle marchait lentement : les ennemis furent saisis d'effroi ˆ sa vue et la bte ne put plus faire un pas en avant. Elle allongea le cou vers la femme de l'air le plus furieux, comme si elle ežt voulu la dŽvorer. Mais la femme se retourna et se prosterna la face contre terre. Je vis alors la bte s'enfuir de nouveau vers la mer et les ennemis courir dans le plus grand dŽsordre : puis je vis, dans le lointain, s'approcher de grandes cohortes, rangŽes en cercle tout autour de l'Žglise, les unes sur la terre, les autres dans le ciel. La premire Žtait composŽe de jeunes hommes et de jeunes filles, la seconde de gens mariŽs de toute condition parmi lesquels des rois et des reines, la troisime de religieux, la quatrime de gens de guerre. En avant de ceux-ci je vis un homme montŽ sur un cheval blanc. La dernire troupe Žtait composŽe de bourgeois et de paysans dont beaucoup Žtaient marquŽs au front d'une croix rouge. Pendant qu'ils s'approchaient, des captifs et des opprimŽs furent dŽlivrŽs et se joignirent ˆ eux : mais tous les dŽmolisseurs et les conjurŽs furent chassŽs de partout devant eux et furent, sans savoir comment, rŽunis en une seule masse confuse et couverte d'un brouillard. Ils ne savaient ni ce qu'ils avaient fait, ni ce qu'ils devaient faire, et ils couraient, donnant de la tte les uns contre les autres, ce que je les vois souvent faire. Lorsqu'ils furent tous rŽunis en une seule masse, je les vis abandonner leur travail de dŽmolition de l'Žglise et se perdre dans les divers groupes. Alors je vis reb‰tir l'Žglise trs-promptement et avec plus de magnificence que jamais car les gens de toutes les cohortes se faisaient passer des pierres d'un bout du monde ˆ l'autre. Lorsque les groupes les plus ŽloignŽs s'approchrent, celui qui Žtait le plus prs du centre se retira derrire les autres. C'Žtait comme s'ils reprŽsentaient divers travaux de la prire et le groupe des soldats les oeuvres de la guerre. Je vis dans celui-ci des amis et des ennemis appartenant ˆ toutes les nations: C'Žtaient purement des gens de guerre comme les n™tres et vtus de mme. Le cercle qu'ils formaient n'Žtait pas fermŽ, mais il y avait vers le nord un grand intervalle vide et sombre : c'Žtait comme un trou, comme un prŽcipice, c'Žtait une descente dans les tŽnbres comme ˆ l'endroit du paradis o Adam sortit prŽcipitamment. J'eus le sentiment qu'il y avait lˆ une terre couverte de tŽnbres. Je vis aussi une partie de ce groupe rester en arrire : ils ne voulaient pas aller en avant et tous avaient l'air sombre et restaient serrŽs les uns contre les autres. Dans tous ces groupes, je vis beaucoup de personnes qui devaient souffrir le martyrs pour JŽsus : Il y avait encore lˆ beaucoup de mŽchants et une autre sŽparation devait plus tard avoir lieu. Cependant je vis l'Žglise complŽment restaurŽe; au-dessus d'elle, sur une montagne, l'agneau de Dieu entourŽ d'une troupe de vierges tenant des palmes ˆ la main, et aussi les cinq cercles formŽs de cohortes cŽlestes correspondant ˆ ceux d'en bas qui appartenaient ˆ la terre. Les uns et les autres Žtaient arrivŽs en mme temps et agissaient de concert. Autour de l'Agneau se tenaient les quatre animaux mystŽrieux de l'Apocalypse. È A la fte de la Purification, en 1822, elle raconta ce qui suit : Ç JÕai vu, ces jours-ci, les choses merveilleuses touchant l'Eglise. L'Žglise de Saint-Pierre Žtait presque entirement dŽtruite par la secte : mais les travaux de la secte furent aussi dŽtruits et tout ce qui lui appartenait; ses tabliers et son attirail furent bržlŽs par le bourreau sur une place marquŽe d'infamie. CՎtait purement du cuir de cheval et la puanteur en Žtait si grande qu'elle m'a rendue malade. J'ai vu dans cette vision la Mre de Dieu travailler de telle manire pour lÕEglise que ma dŽvotion envers elle s'en est encore beaucoup accrue. È

 

10 aožt. Ç Je vois le Saint-Pre dans une grande dŽtresse. Il habite un autre palais quÕauparavant et n'admet prs de lui qu'un petit nombre d'amis. Si le mauvais parti connaissait sa force, il aurait dŽjˆ ŽclatŽ. Je crains que le Saint-Pre, avant sa mort, n'ait encore bien dŽs tribulations ˆ souffrir. Je vois la fausse Eglise de tŽnbres en progrs et la funeste influence qu'elle exerce sur l'opinion. La dŽtresse du Saint-Pre et de l'ƒglise est rŽellement si grande que l'on doit implorer Dieu jour et nuit. Il m'a ŽtŽ prescrit de beaucoup prier pour l'Eglise et pour le Pape.

Ç J'ai ŽtŽ cette nuit conduite ˆ Rome, o le Saint-Pre, plongŽ dans l'affliction, sÕest encore cachŽ pour se dŽrober ˆ de dangereuses exigences. Il est trs-faible et tout ŽpuisŽ par la tristesse, les soucis et la prire. Sa principale raison pour se tenir cachŽ est qu'il ne peut plus se fier quՈ peu de personnes. Mais il y a prs de lui un vieux prtre trs-simple et trs-pieux, qui est son ami et qu'on regarde, ˆ cause de sa simplicitŽ, comme ne valant pas la peine d'tre ŽloignŽ. Or, cet homme reoit beaucoup de gr‰ces de Dieu. Il voit et remarque bien des choses qu'il communique fidlement au Saint-Pre. J'ai eu ˆ le renseigner, pendant qu'il priait, sur des tra”tres et des gens mal intentionnŽs parmi les hauts fonctionnaires qui vivent dans l'intimitŽ du Saint-Pre, afin qu'il lui en soit donnŽ connaissance. C'est de cette manire qu'il a ŽtŽ mis en garde contre celui qui faisait tout jusqu'ˆ prŽsent et qui ne fera plus rien. Le Pape est si faible qu'il ne peut plus marcher seul. È

 

         25 aožt. Ç Je ne sais plus comment j'allai ˆ Rome cette nuit,. mais je me trouvai prs de l'Žglise de Sainte Marie-Majeure et je vis beaucoup de pauvres gens pieux, pleins d'angoisses et de soucis parce qu'on ne voyait plus le Pape et ˆ cause de l'agitation qui rŽgnait dans la ville et des propos inquiŽtants qu'on y tenait, s'approcher de l'Žglise pour invoquer la Mre de Dieu. Ces gens ne paraissaient pas attendre que l'Žglise fžt ouverte : ils voulaient seulement prier en dehors. Une impulsion intŽrieure les avait conduits lˆ sans qu'ils se fussent concertŽs, mais j'Žtais dans l'Žglise et j'ouvris la porte : ils entrrent, surpris et effrayŽs de ce que la porte s'ouvrait. Il me sembla que je me tenais derrire et qu'ils ne me voyaient pas. Il n'y avait pas d'office dans l'Žglise, seulement les lampes perpŽtuelles bržlaient. Ils prirent trs-paisiblement. Puis je vis appara”tre la Mre de Dieu, laquelle dit que la tribulation serait grande. Elle ajouta que ces gens devaient prier avec ferveur et les bras tendus en croix quand mme ils ne pourraient le faire que le temps de dire trois fois le Pater : c'Žtait ainsi que son Fils avait priŽ pour eux sur la croix. Ils devaient se lever ˆ minuit pour prier de la sorte et continuer ˆ venir dans son Žglise, dont ils trouveraient la porte ouverte. Il leur fallait prier par-dessus tout pour que l'ƒglise tŽnŽbreuse s'en all‰t de Rome. Les soldats qui Žtaient dŽjˆ en marche ne devaient pas apporter le salut, mais la misre et la dŽvastation, parce qu'en faisant la guerre, on n'avait recours ni ˆ la prire ni au ministre des prtres. Elle ajouta beaucoup d'autres choses et, ce qui me cožte ˆ rŽpŽter, elle dit que, si un seul prtre offrait le sacrifice non sanglant aussi dignement et avec les mmes sentiments que les ap™tres, il pourrait dŽtourner toutes les calamitŽs. Je ne sache pas que les gens qui Žtaient dans l'Žglise aient vu cette apparition, mais ils durent pourtant tre remuŽs par quelque chose de surnaturel : car lorsque la sainte Vierge dit qu'ils devraient prier Dieu, les bras Žtendus, tous levrent les bras. Tous ces gens Žtaient bons et pieux, et ne savaient o trouver conseil et assistance. Il y avait pas de tra”tre, pas d'ennemi parmi eux, et pourtant ils Žtaient inquiets et avaient peur les uns des autres. On peut juger par lˆ de la situation. Il me semble qu'ils forment une association de prires. È

Elle assistait ds lors tous les soirs aux exercices de piŽtŽ de Sainte-Marie-Majeure, et elle dit, le 31 aožt : Ç La prire maintenant est gŽnŽrale et en permanence ils sÕagenouillent partout aux tombeaux des saints et implorent leur secours. J'ai vu les saints qu'ils rŽvŽraient plus spŽcialement. J'ai aussi vu le Pape. Il est trs-triste. J'ai de grandes inquiŽtudes pour lui et j'ai redoublŽ ma prire... La dernire requte du cardinal Consalvi a ŽtŽ par le Saint-Pre : il ne l'a pas approuvŽe et s'est retirŽ. L'influence de cet homme a cessŽ pour le moment. È

 

10 septembre. Ç J'ai vu l'Žglise de saint Pierre : elle Žtait dŽmolie, ˆ l'exception du choeur et du ma”tre-autel. Saint Michel descendit dans l'Žglise, revtu de son armure, et il arrta, en les menaant de son ŽpŽe, plusieurs mauvais pasteurs qui voulaient y pŽnŽtrer. Il les chassa dans un coin obscur o ils s'assirent, se regardant les uns les autres. La partie de l'Žglise qui Žtait dŽmolie fut en peu d'instants entourŽe d'un lŽger clayonnage, de manire ˆ ce qu'on pžt y cŽlŽbrer parfaitement le service divin. Puis il vint de toutes les parties du monde des prtres et des la•ques, qui refirent des murs de pierre, car les dŽmolisseurs n'avaient pas pu Žbranler les fortes pierres des fondements, È Anne Catherine passait maintenant des nuits entires ˆ prier les bras en croix, et elle avait en outre ˆ subir de terribles assauts de la part de l'ennemi des hommes. La premire nuit, il se jeta trois fois sur elle pour l'Žtrangler : Ç Il me fit des reproches, dit-elle, ˆ propos de fautes de toute espce commises depuis ma premire jeunesse, mais je ne voulus pas les accepter de sa part. Je rassemblai toutes mes reliques et je combattis avec elles contre l'ennemi. Enfin je me mis sur mon sŽant dans mon lit et je donnai la bŽnŽdiction de tous les c™tŽs avec la parcelle de la vraie croix, moyennant quoi il me laissa tranquille. È La nuit suivante, elle resta Žgalement en prire, mais combattit si victorieusement l'ennemi qu'elle chanta plusieurs fois le Te Deum. Elle avait des visions continuelles sur l'Žtat de divers diocses voisins et ŽloignŽs. Voici, par exemple, ce que le Plerin rapporte ˆ la date du 27 septembre : aujourdÕhui ˆ midi, elle entra d'une manire singulirement touchante et animŽe dans l'Žtat de contemplation ; elle avait les yeux ouverts, faisait des signes de c™tŽ et d'autre et se mit ˆ dŽcrire ce qui suit, comme dans une conversation ; Ç Que font-ils dans cette grande et belle Žglise? C'est la cathŽdrale (de Munster) : tout a ŽtŽ portŽ lˆ derrire, dans la chapelle qui contenait autrefois le vaisseau d'argent, lˆ o est enterrŽ Bernard de Galen. Tout va lˆ, toutes les gr‰ces, tout, tout ! Oh ! combien cela est beau et merveilleux ! Il y a lˆ un calice: il est vide : de ce calice part un rayon et s'Žlve une grande croix de lumire allant jusqu'au ciel; ˆ gauche du calice se tient une belle fiancŽe avec une Žglise ˆ la main, et ˆ droite un adolescent d'une admirable beautŽ. Ce doit tre son fiancŽ. Voilˆ qu'en effet ils sont fiancŽs. Mais voyez ! Au dehors, dans l'air, est assise la Mre de Dieu, ayant l'Enfant JŽsus devant elle et de ses mains sort un magnifique cep de vigne qui s'Žlve contre la chapelle : il y entre par le haut avec ses grappes, les raisins versent leur jus dans le calice; ˆ droite et ˆ gauche s'Žlancent de belles fleurs de lumire qui remplissent tout de splendeur : il y a encore des Žpis de blŽ magnifiques d'une belle couleur dorŽe, tous les buissons de fleurs se couvrent de fleurs nouvelles et aussi de merveilleux petits fruits brillants et lumineux. Tout est resplendissant de lumire et rempli de merveilles. Tout est rassemblŽ et conservŽ lˆ, et voilˆ qu'en haut se tient un saint Žvque des anciens temps: c'est Ludger; il garde et conserve tout. Qu'est ceci? Voilˆ que de la grande Žglise, ˆ l'exception de la chapelle, jaillissent des flammes rougissantes et furieuses, et il semble que sur plusieurs points de la ville, de grandes masses de maisons sont dŽtruites ! Lˆ-bas, dans le ch‰teau, les choses vont mal : mais tout ceci ne doit s'entendre que dans le sens spirituel. La grande Žglise reste intacte ˆ lÕextŽrieur, tout s'y fait comme ˆ l'ordinaire : mais les gr‰ces se sont toutes retirŽes dans la chapelle. È C'est dans ces termes qu'elle raconta cette vision : son visage Žtait serein, elle montrait du doigt tant™t un point, tant™t un autre, comme si tout le monde ežt pu voir ce qu'elle indiquait. Et tout cela continuait et se dŽveloppait autour dÕelle. Le jour suivant elle raconta ce qui suit: Ç J'ai revu toute la vision d'hier touchant la chapelle de Galen : j'ai vu dans l'air une Žglise toute neuve s'Žlever au-dessus de lÕancienne et toutes les belles choses y entrer par la chapelle de Galen. L'Žglise de dessous Žtait comme noire et semblait s'enfoncer dans la terre. Je me dis qu'il serait trs beau que l'Žglise qui Žtait en l'air descendit au moment o l'autre dispara”trait. Cette vision Žtait trs-dŽtaillŽe, mais j'en ai oubliŽ une partie. Je suivis un chemin o tout Žtait symbolique, et je trouvai derrire la cathŽdrale, ˆ peu de distance, dans un champ qui Žtait tant™t lande, tant™t prairie, un jeune garon ŽgarŽ qui n'avait pas de demeure et dont les pieds saignaient sur la lande. Je voulus le conduire sur le prŽ couvert de fleurs. Je lui dis qu'il y avait lˆ de belles fleurs dont il pourrait sucer le miel. Je ne savais que faire pour l'assister. Il me dit que c'Žtait sa destinŽe, qu'il devait ainsi souffrir et saigner jusqu'ˆ ce qu'il ežt trouvŽ un asile. Je me souvins du jeune garon qui, la veille, avait contractŽ mariage avec l'ƒglise dans la chapelle de Galen. È

         Elle vit aussi dans le lointain un diocse laissŽ ˆ l'abandon, sous l'image d'une Žglise profanŽe. Ç Je vis des choses dŽplorables : on jouait, on buvait, on bavardait, on faisait la cour aux femmes dans l'Žglise, en un mot on y commettait toute sorte d'abominations. Il semblait qu'on ežt Žtabli un jeu de quilles au beau milieu. Les prtres laissaient tout faire et disaient la messe avec beaucoup d'irrŽvŽrence. J'en vis peu qui eussent encore de la piŽtŽ et jugeassent sainement les choses. Je vis aussi des juifs se tenir sous le portail de l'Žglise. Tout cela m'affligea beaucoup. Alors mon Žpoux cŽleste m'attacha par le milieu du corps, comme lui-mme avait ŽtŽ attachŽ ˆ la colonne, et il me dit :  Ç C'est ainsi que l'ƒglise sera encore liŽe, c'est ainsi qu'elle sera Žtroitement serrŽe avant qu'elle puisse se relever. È

 

         Le 30 septembre au matin elle vomit du sang par suite des efforts qu'elle avait farts pendant la nuit en priant, les bras Žtendus, pour l'ƒglise qu'elle voit menacŽe des plus grands dangers. Elle souffrait surtout de la poitrine et elle dit :

Ç Saint Michel m'a recommandŽ une dŽvotion ˆ pratiquer pendant sept jours avec des aum™nes, je serai malade ces sept jours. È La nuit suivante, les douleurs l'assaillirent avec une telle violence qu'elle se croyait consumŽe par un feu intŽrieur qui pŽnŽtrait ˆ travers tous les membres de son corps. Ne pouvant plus y rŽsister, elle mit une relique de saint C™me sur sa poitrine, qui Žtait le lieu o les douleurs Žtaient les plus vives, et elle invoqua le saint ˆ haute voix. Quand elle eut ainsi priŽ, tous ses sens tombrent dans une profonde insensibilitŽ, et ce fut pour elle comme s'ils n'existaient plus. Elle tomba dans un doux sommeil, et quand elle reprit connaissance, elle vit devant elle saint C™me, revtu d'un long manteau blanc et tout resplendissant de lumire. Il avait dans la main un arbrisseau vert et des fleurs blanches. Il Žtait entourŽ d'une aurŽole rouge dont le bord extŽrieur Žtait d'un beau bleu. Son frre LŽonce, qui Žtait encore jeune et de plus petite taille, se tenait ˆ quelque distance ; Damien, qui Žtait aussi plus petit, Žtait un peu plus ŽloignŽ. Toutes les souffrances d'Anne Catherine avaient disparu et elle se trouva trs-calme et trs-reposŽe. Elle ne peut pas assez dire combien sa guŽrison a ŽtŽ merveilleuse. Cette gr‰ce Žtait venue aussi subitement et d'une manire aussi marquŽe que celles qu'elle avait obtenues par l'intermŽdiaire de saint Ignace et de saint Augustin.

 

         Dans la soirŽe du 1er octobre, le Plerin la trouva toute trempŽe de sueur, parce qu'elle avait ŽtŽ occupŽe sans rel‰che ˆ un travail de prire des plus laborieux. Elle rŽpŽta que saint Michel, outre d'autres travaux pour l'ƒglise pendant sept jours, lui avait prescrit des aum™nes qu'elle aurait ˆ faire durant ce temps. Les enfants qu'elle devait assister lui avaient tous ŽtŽ montrŽs et elle savait aussi ceux de ses effets qu'elle devait donner ˆ chacun d'eux. LÕEglise, dit-elle en gŽmissant, est en grand pŽril : j'ai l'ordre de demander ˆ quiconque vient me voir de dire un Pater ˆ son intention. Il faut prier pour que le Pape ne quitte pas Rome; il en rŽsulterait des maux incalculables. On veut maintenant exiger quelque chose de lui. La doctrine protestante et celle des grecs schismatiques doivent se propager partout. Il existe deux personnes qui veulent ruiner l'ƒglise. Il leur manque maintenant un auxiliaire de la plume duquel ils se sont servis : il a ŽtŽ tuŽ par un jeune homme, il y a un an. L'un de ces hommes a quittŽ l'Allemagne ˆ cette Žpoque. Ils ont partout des gens qui les aident : le petit homme noir de Rome, que je vois si souvent, a spŽcialement beaucoup de gens qu'il fait travailler pour lui sans qu'ils sachent proprement dans quel but. Il a aussi ses affidŽs dans la nouvelle ƒglise de tŽnbres. Si le pape quittait Rome, ces ennemis de l'ƒglise prendraient le dessus. Je vois faire chez le petit homme noir beaucoup de soustractions et de falsifications. Je vois que dans cet endroit l'on mine et l'on Žtouffe la religion si habilement qu'il reste ˆ peine une centaine de prtres qui ne soient pas sŽduits. Je ne puis dire comment cela se fait, mais je vois le brouillard et les tŽnbres s'Žtendrent de plus en plus. Cependant il y a trois Žglises dont ils ne peuvent s'emparer : ce sont telles de Saint-Pierre, de Sainte-Marie-Majeure et de Saint Michel. Ils travaillent continuellement ˆ les dŽmolir, mais ils n'en viennent pas ˆ bout. Je ne viens pas en aide, je n'™te aucune pierre du chemin, je dois bien prendre garde ˆ moi. Il faut tout reb‰tir bien vite; tous travaillent ˆ dŽmolir, mme les ecclŽsiastiques. Une grande dŽvastation est proche, Les deux ennemis de l'Eglise qui ont perdu leur auxiliaire ont bien l'intention de faire dispara”tre des hommes pieux et instruits qui les gnent. È

On vit bient™t de quels travaux, outre la prire et l'aum™ne, elle avait ŽtŽ chargŽe par saint Michel. Lorsque le Plerin vint la voir, dans la matinŽe du 4 octobre, il la trouva tout ŽpuisŽe des efforts de la nuit. Ç J'ai eu, dit-elle, ˆ livrer des combats plus terribles que cela ne m'Žtait jamais arrivŽ. Je suis presque morte: je ne puis dire ˆ quel point j'ai eu ˆ souffrir. Il y a longtemps que ce combat m'avait ŽtŽ montrŽ d'avance. J'ai vu une personne assaillie par plusieurs dŽmons et combattant contre eux. Maintenant je reconnais que j'Žtais moi-mme cette personne. J'ai ˆ lutter contre toute une cohorte de diables : ils excitent contre moi qui ils peuvent et comme ils peuvent. J'ai entrepris trop de prires. On veut maintenant instituer plusieurs mauvais Žvques et il y a un endroit o l'on veut faire d'une Žglise catholique un temple luthŽrien : je dois lutter, prier et souffrir ˆ l'encontre, et c'est ce combat qui m'a ŽtŽ donnŽ pour travail. Si les saints ne m'assistaient pas, je ne pourrais pas le soutenir : je suis appelŽe ˆ combattre, quoiqu'absolument dŽpourvue de force, et je dois remporter la victoire : mais combien cela me donne de peine ! Je vois le diable mettre tout en oeuvre pour faire tourner la chose ˆ ma honte. Il m'envoie aussi continuellement toute sorte de gens et des visiteurs venant de loin, pour me tourmenter et m'affaiblir. È (note)

         Ç Cette nuit, lorsque dans une vision du pape, j'eus vu saint Franois porter l'Eglise, je vis ensuite l'Žglise de saint Pierre qu'un petit homme portait sur ses Žpaules; il avait quelque chose de juif dans les traits du visage.

 

         (note) Le plerin lui-mme y contribua pour sa part. Le jour prŽcŽdent, par suite de l'imprŽvoyance de sa soeur, une modiste franaise s'Žtait introduite dans la petite chambre de la malade et avait, sans plus de faon, ŽtalŽ ses marchandises sur le lit. La malade ne put se dŽfaire de cette importune et se sentit toute troublŽe par son bavardage, si bien qu'elle put ˆ peine raconter ses visions au Plerin qui arriva plus tard. Lˆ-dessus celui-ci lui fit les reproches les plus vifs, comme si c'ežt ŽtŽ par sa faute que la modiste avait dŽballŽ sa marchandise.

 

La chose semblait trs dangereuse. Marie se tenait debout sur l'Žglise du c™tŽ du nord et Žtendait son manteau pour la protŽger. Le petit homme semblait succomber. Il paraissait tre encore la•que et je le connaissais. Les douze hommes que je vois toujours comme de nouveaux ap™tres devaient l'aider ˆ porter son fardeau :mais ils venaient un peu trop lentement. Il paraissait au moment de tomber sous le faix, alors enfin ils arrivrent tous, se mirent dessous et plusieurs anges leur vinrent en aide. C'Žtait seulement le pavŽ et la partie postŽrieure de l'Žglise, tout le reste avait ŽtŽ dŽmoli par la secte et par les serviteurs de l'Žglise eux-mmes. Ils portrent l'Žglise dans un autre endroit et il me sembla que plusieurs palais tombaient devant eux comme des champs d'Žpis qu'on moissonne. È

 

         Ç Lorsque je vis l'Žglise de Saint-Pierre dans son Žtat de ruine et comment tant d'ecclŽsiastiques travaillaient, eux aussi, ˆ l'oeuvre de destruction, sans qu'aucun d'eux voulut le faire ouvertement devant un autre, j'en. ressentis une telle affliction que je criai. vers JŽsus de toutes mes forces, implorant sa misŽricorde. Alors je vis devant moi mon Žpoux cŽleste sous la forme d'un jeune homme et il me parla longtemps. Il dit, entre autre choses, que cette translation de l'Žglise d'un lieu ˆ un autre signifiait qu'elle para”trait en complte dŽcadence, mais qu'elle reposait sur ces porteurs et qu'elle se relverait avec leur aide. Quand mme il ne resterait qu'un seul chrŽtien catholique, l'Eglise pourrait triompher de nouveau, car elle n'a pas son fondement dans l'intelligence et les conseils des hommes. Il me montra alors comme quoi il n'avait jamais manquŽ de personnes priant et souffrant pour l'Eglise: Il me fit voir tout ce que lui-mme avait souffert pour elle, quelle vertu il avait donnŽe aux mŽrites et aux travaux des martyrs et comment il endurerait de nouveau toutes les souffrances imaginables s'il lui Žtait possible de souffrir encore. Il me montra aussi dans des tableaux innombrables la dŽplorable conduite des chrŽtiens et des ecclŽsiastiques, dans des sphres de plus en plus vastes s'Žtendant ˆ travers le monde entier et o mon pays Žtait compris, puis il m'exhorta ˆ persŽvŽrer dans la prire et la souffrance. C'Žtait un tableau immense et indiciblement triste qu'il est impossible de dŽcrire. Il me fut aussi montrŽ qu'il n'y a presque plus de chrŽtiens dans l'ancien sens du mot, de mme que tous les juifs qui existent encore aujourd'hui sont de purs pharisiens, seulement encore plus endurcis que les anciens : il n'y a que le peuple de Judith en Afrique qui ressemble encore aux juifs d'autrefois. Cette vision m'a remplie de tristesse. È

 

         7 octobre. Ç J'ai fait un grand voyage pour mes travaux. Je me suis trouvŽe ˆ Rome dans les catacombes. Je vis la vie d'un martyr qui y vivait cachŽ avec beaucoup d'autres et qui avait converti bien du monde. Il existait ˆ une Žpoque peu postŽrieure ˆ celle o vivait sainte Thcle ; j'ai oubliŽ son nom. Trs-jeune encore, il allait avec de pieuses femmes consoler les chrŽtiens dans les catacombes et les prisons. Il fut martyrisŽ avec plusieurs autres. Il Žtait restŽ cachŽ un certain temps dans un ermitage. Il eut ˆ souffrit de cruels supplices et finit par tre dŽcapitŽ: il emporta sa tte de lˆ, je ne sais plus bien cette histoire. J'allai avec sainte Franoise Romaine et le martyr en question dans un caveau des catacombes dont tout le sol Žtait couvert de fleurs lumineuses. C'Žtait comme la floraison des douleurs de ce martyr et de ses compagnons qui avaient ŽtŽ mis ˆ mort en ce lieu. Il y avait lˆ spŽcialement beaucoup de belles roses blanches, et je vis tout ˆ coup que l'une d'elles Žtait attachŽe ˆ ma poitrine (la relique de ce saint). J'allai encore dans plusieurs endroits o je vis des fleurs innombrables, toutes provenant des souffrances des martyrs dont j'implorai l'intercession pour l'Eglise dans sa tribulation actuelle. Lorsque j'allai ˆ travers Rome avec sainte Franoise et l'autre saint, nous v”mes un grand palais entourŽ de flammes du haut en bas ( le Vatican ). J'avais grand-peur que les habitants ne fussent bržlŽs, car personne ne venait Žteindre le feu : mais lorsque nous nous approch‰mes, la flamme cessa et nous v”mes l'Ždifice noirci et calcinŽ. Nous pass‰mes par plusieurs salles magnifiques et nous arriv‰mes au Pape. Il Žtait assis dans l'obscuritŽ et dormait dans un grand fauteuil : il Žtait trs-malade et trs-faible; Il ne pouvait plus marcher. Devant la porte quelques personŽs aillaient et venaient. Les ecclŽsiastiques de son plus proche entourage ne me plaisaient pas, ils semblaient faux et dŽpourvue de zle. Les hommes pieux et simples que je vois quelquefois prs de lui Žtaient dans une partie plus ŽloignŽe de la maison. Je lui parlai longtemps et je ne puis dire ˆ quel point ma prŽsence lˆ me parut rŽelle : car j'Žtais d'une faiblesse indicible et ceux qui Žtaient prs de moi Žtaient obligŽs continuellement de me soutenir. Je lui parlai des Žvques qu'on doit instituer prŽsentement. Je lui dis encore qu'il ne devait pas quitter Rome ; que, s'il le faisait, tout tomberait dans la confusion. Lui croyait que le mal Žtait inŽvitable et qu'il devait s'en aller pour sauver sa personne et beaucoup de choses. Il Žtait trŽs-enclin ˆ quitter Rome et on l'y poussait beaucoup. Sainte Franoise lui parla encore plus longtemps. J'Žtais trs faible et prs de tomber en dŽfaillance, mes compagnons me soutenaient. Avant que je m'en allasse, le Pape me donna une soucoupe pleine de fraises avec du sucre. Je ne voulus pas les manger: je voulais, lorsque nous partirions, les porter ˆ un malade pour le soulager. È Elle dit plus tard, Žtant en extase : Ç Ces fraises ne signifient rien de bon : È elles indiquent que le pape est encore attachŽ a la terre par beaucoup de considŽrations. (note) È

         Ç Je vis Rome dans un Žtat si dŽplorable que la moindre Žtincelle pouvait mettre le feu partout. Je vis la Sicile sombre; effrayante et quittŽe par tous ceux qui pouvaient s'enfuir. È

Un jour, Žtant en extase, elle s'Žcria ˆ haute voix en gŽmissant : Ç Je vois l'Eglise compltement isolŽe et comme tout ˆ fait dŽlaissŽe. Il semble que tout le monde s'enfuit. Tout est en lutte autour d'elle. Partout je vois de grandes misres, la haine, la trahison et le ressentiments, le trouble; l'abandon et un aveuglement complet. Je vois un point central tŽnŽbreux partir des messagers pour porter quelque chose en plusieurs lieux : Cela sort de leur bouche comme une vapeur noire qui tombe sur la poitrine des auditeurs et allume en eux la haine et la rage. Je prie ardemment, pour les opprimŽs. Sur des lieux o prient quelques personnes, je vois descendre de la lumire, sur d'autres d'Žpaisses tŽnbres. La situation est terrible. Combien jÕai priŽ ! 0 ville, ™ ville (Rome) de quoi es-tu menacŽe ?

LÕorage est proche. Prends bien garde ! mais j'espre que resteras inŽbranlable. È

 

16 octobre. Ç J'ai fait cette nuit le chemin de la croix ˆ Coesfeld. Il y avait beaucoup d'‰mes prs de moi. Elles me reprŽsentrent la dŽtresse de l'ƒglise et combien il fallait prier. Je vis, sous l'image de plusieurs jardins formant un cercle autour de moi, les rapports du Pape avec les Žvques.

 

(note) C'est ˆ tort que le Plerin dans ses notes dit que Ç cette explication est faible, È car les fraises saupoudrŽes de sucre indiquent qu'une parrtie des efforts si laborieux d'Anne Catherine est restŽe sans fruits. Le Pape lui remet ce symbole de ses travaux avec du sucre, c'est-ˆ-dire sec des remerciements et des tŽmoignages de reconnaissance, parce qu'il croit gagner par des concessions les potentats de ce monde.

 

Je vis le pape lui-mme sur son tr™ne, placŽ comme dans un jardin. Je vis dans divers jardins, les droits et les pouvoirs de ces Žvques et de ces ŽvchŽs, sous forme de plantes, de fleurs et de fruits, et je vis des rapports, des courants, des influences, comme des fils ou des rayons allant du sige de Rome aux jardins. Je vis sur la terre, dans ces jardins, l'autoritŽ spirituelle du moment : je vis en l'air, au-dessus d'eux, l'approche de nouveaux Žvques. Ainsi, par exemple, je vis dans l'air, au-dessus d'un jardin o se trouvait le sŽvre supŽrieur, un nouvel Žvque avec la crosse, la mitre et tout le reste. Je vis autour de lui des protestants qui voulaient le faire descendre dans le jardin, mais non avec les conditions que le Pape avait exigŽes. Ils cherchaient ˆ s'y glisser par toute espce de moyens; ils bouleversaient certaines parties du jardin on y jetaient de mauvaises semences. Je les vis tant™t dans un endroit, tant™t dans un autre, cultiver, laisser en friche, dŽmolir et ne pas enlever les dŽcombres, etc. Tout Žtait plein de piŽges et de ruines. Je les vis intercepter et dŽtourner les voies qui allaient au Pape. Je vis ensuite que quand ils introduisaient l'Žvque de la manire qu'ils s'Žtaient proposŽe, il Žtait intrus, introduit contre la volontŽ du Pape et qu'il ne possŽdait pas lŽgitimement l'autoritŽ spirituelle . Beaucoup de tableaux semblables me furent prŽsentŽs : il me fallut prier et souffrir, et tout cela me remplit de tristesse. Je vis aussi dans un ŽvchŽ o un saint Žvque Žtais mort, un autre trs-peu saint qui s'approchait. È

         Pendant ces contemplations, elle Žtait continuellement en proie aux plus grandes souffrances. Elle ressentait au-dessous des fausses c™tes d'affreuses douleurs causŽes comme par une corde serrant son corps, elle avait des vomissements de sang et l'impression si vive d'une large couronne d'Žpines qu'elle ne pouvait poser la tte nulle part. En outre, plusieurs fois dans la nuit, les plaies du front et celle du c™tŽ rendirent beaucoup de sang. Elle raconta un

jour, dans cet Žtat, les fragments suivants d'une vision sur la Passion : Ç La couronne d'Žpines de JŽsus Žtait trs grande et trs-lourde et s'Žtendait ˆ une grande distance de la tte. Ils lui ™trent sa tunique tricotŽe en la faisant passer par-dessus sa tte et arrachrent en mme temps la couronne. Je me souviens confusŽment qu'ils tressrent une couronne plus petite, (je connais l'Žpine dont elle Žtait faite), et ils la lui mirent prs de la croix. Les trois trous de la

croix avaient ŽtŽ percŽs ˆ de trop grandes distances. LorsquÕils eurent clouŽ une main, ils tirrent l'autre avec des cordes jusqu'ˆ l'autre trou. Mais les pieds aussi n'atteignant pas, ˆ beaucoup prs, la place qui leur Žtait marquŽe, ils les tirrent jusque-lˆ de la mme manire; et pendant que les uns s'agenouillaient sur les membres du Sauveur, les autres enfoncrent les clous. Le corps Žtait disloquŽ ˆ toutes les articulations et on voyait en quelque sorte au travers.

Au-dessous de la poitrine, il Žtait tout ˆ fait aminci et creux. Ce fut un moment horrible que celui o ils Žlevrent la croix et la firent tomber dans le trou o elle devait rester fixŽe; il y eut un choc si violent que le saint corps reut une affreuse secousse. È

         Ç Je n'ai pas vu JŽsus aller dans le purgatoire. Mais lorsqu'il Žtait dans les limbes, je vis les ‰mes du purgatoire y venir. Je vis que toutes ces ‰mes furent dŽlivrŽes par lui. Je vis, avant la rŽsurrection, plusieurs anges recueillir et rejoindre ˆ son corps sacrŽ le sang et la chair qu'il avait perdus dans le cours de sa Passion, et je le vis sortir du tombeau brillant d'une lumire Žblouissante. Ses plaies resplendissaient, et elles Žtaient pour le corps comme une sainte parure d'une beautŽ incomparable. Il ne se montra pas aux disciples dans cette plŽnitude de gloire; leurs yeux n'auraient pu en supporter la vue. È

Ç J'ai vu que la sainte Vierge possŽdait des linges teints du sang de sa circoncision et de celui de ses autres plaies et qu'elle donna aux ap™tres, lors de leur sŽparation, des croix de la longueur du bras, faites d'un roseau flexible. Ils les portaient sous leurs manteaux. Ils avaient aussi des boites en mŽtal pour la Sainte-Eucharistie et pour des reliques qui Žtaient, je crois, des parcelles de ces linges donnŽs par elle. Je crois aussi qu'elle leur tricota des robes ˆ l'instar de scelle de JŽsus-Christ. Elle fit plusieurs de ces robes, soit avec deux petits b‰tons, soit au crochet. È

         A la fin de ce travail de prire si pŽnible, elle reut une vision consolatrice dont elle communiqua ce qui suit : Ç J'Žtais couchŽe sur une planche fort dure et j'Žtais tout entourŽe d'un rempart d'Žpines. Toutes les Žpines se dirigeaient ˆ l'intŽrieur et ˆ chaque mouvement que je faisais, j'Žtais blessŽe. Mais il y avait aussi sur la haie beaucoup de roses blanches et rouges, et d'autres fleurs blanches. JŽsus vint ˆ moi comme un fiancŽ qui me montrait son union et ses relations avec ses fiancŽes. Je vis successivement ThŽrse, Catherine de Sienne, Claire de Montefalco avec de semblables symboles de souffrance, et comment l'une Žtait assise au milieu des Žpines, l'autre s'y roulait, l'autre en Žtait entourŽe de toutes parts. Je vis avec quelle familiaritŽ et quelle hardiesse toutes lui parlaient. Je vis Claire de Montefalco tra”ner une croix et je vis diverses personnes, notamment quelques-unes de ses consoeurs, mettre sur sa croix une foule de petits objets jusqu'ˆ ce qu'elle tomb‰t sous le faix. Je vis JŽsus lui dire qu'il Žtait aussi tombŽ sous la croix, alors elle lui fit cette prire : Ç Tendez-moi la main comme votre Pre cŽleste vous a tendu la main. È Il me montra aussi comment toutes les personnes qui s'approchaient de mon lit poussaient sur moi, sans le vouloir, les haies d'Žpines. Je vis aussi les dŽfaillances, les souffrances et le chagrin souvent mortel de toutes ces fiancŽes. Alors je le vis placer devant moi une table lumineuse et la couvrir d'une nappe blanche comme la neige. Je vis un personnage de l'Ancien-Testament immoler sur cette table et offrir en sacrifice un agneau sans tache admirablement patient. Je reus des explications touchant la raretŽ de la table, de la nappe et de l'agneau. Le sang ne tachait point la nappe. Ensuite une couverture rouge fut mise sur la table blanche, et par-dessus une autre blanche et transparente. Il y avait dessus un calice et du pain, et Seigneur me donna de l'un et de l'autre. C'Žtait lui-mme que je reus. Il disparut et je restai toute consolŽe. Je vis ensuite, dans divers tableaux, un abrŽgŽ de toute sa Passion : je vis comment ses amis l'avaient abandonnŽ et le l'avaient pas compris, comment ils le traiteraient aujourdÕhui et le traitent en rŽalitŽ. Je vis sa prŽsence dans le Saint-Sacrement o il est plus prŽsent encore qu'il ne l'Žtait sur la terre pendant sa vie, et comment sa Passion se continue dans ses fidles imitateurs qui supportent patiemment et lui offrent leurs souffrances, mais aussi comment beaucoup de choses sont foulŽes aux pieds dans la boue. Je sortis de ces visions calme et fortifiŽe. È

 

9. DŽdicace de l'Žglise du Saint-Sauveur ˆ Rome.

 

Ç Je fus ˆ Rome o je vis une trs-belle Žglise nouvellement b‰tie et qui venait d'tre terminŽe : je vis le Pape avec une suite nombreuse recevoir cette Žglise des mains de l'architecte, lequel Žtait vtu ˆ l'ancienne mode et portait autour du cou une cha”ne d'or. Comme le Pape le louait, il lui rŽpondit par jactance qu'il aurait pu faire bien mieux encore. On le prit au mot ; on refusa de le payer parce qu'il n'avait pas fait l'Žglise aussi belle et aussi magnifique qu'il l'aurait pu, et parce qu'il avait omis d'y placer telles et telles sculptures qui, suivant ses propres

paroles, l'auraient embellie. Comme il dit alors, en mettant un doigt sur sa bouche : Ç Ah ! pourquoi ne me suis-je pas tu ! on aurait acceptŽ mon travail comme parfait, È on s'assura de sa personne et on ne voulait pas le rel‰cher qu'il n'ežt amŽliorŽ son oeuvre et qu'il n'ežt sculptŽ sur le mur de l'Žglise sa propre image avec un doigt sur sa bouche. Il Žcrivit alors au Pape qu'il complŽterait son travail quant ˆ la construction matŽrielle de l'Žglise en question lorsque le Pape aurait parfaitement accompli sa propre oeuvre quant ˆ l'Ždification spirituelle de l'ƒglise : et il dŽnona en mme temps beaucoup de fautes touchant la discipline du clergŽ, la charitŽ envers le prochain, etc., lesquelles dŽparaient beaucoup l'ƒglise. Ç L'extŽrieur, disait-il, n'a pas besoin d'tre plus parfait que l'intŽrieur. È Sur cette lettre, le Pape le laissa libre, selon le prŽcepte : Ç Ne fais pas ˆ autrui ce que tu ne veux pas qui te soit fait. È Je vis alors consacrer cette Žglise avec beaucoup de belles cŽrŽmonies et je vis en mme temps dans l'air une Žglise d'une beautŽ indescriptible, dans laquelle se faisait, mais bien plus parfaitement, tout ce qui s'accomplissait dans l'Žglise terrestre. Elle Žtait remplie de saints et d'anges. Je vis au-dessous une grande procession et les choeurs cŽlestes dans l'Žglise supŽrieure rŽpondant ˆ tout ce qui Žtait chantŽ en bas. Pendant cette procession, je fus tout ˆ coup appelŽe prs d'un mourant, dans un h™pital o il me fallut aller par un chemin couvert de neige, en sorte que je craignais qu'on ne vit comment j'avais marchŽ pieds nus dans la neige ; mais lorsque je revins je vis les traces de mes pas effacŽe. Je me trouvai alors dans la nouvelle Žlise, tout au haut du mur, et je vis qu'ˆ la procession, le Saint-Sacrement Žtait portŽ dans un ciboire : au-dessus planait comme un linge blanc lumineux, et au-dessus de celui-ci une hostie resplendissante avec une grande aurŽole. Lorsqu'il vint prs de moi, ce Saint-Sacrement cŽleste vola ˆ moi : je ne le reus pas sous forme de communion, mais je l'adorai. Je vis ensuite plus bas la consŽcration de l'Žglise suivre son cours et j'entendis les rŽpons chantŽs par l'Žglise cŽleste. J'y montai aussi et j'y assistai ˆ cŽlŽbration d'une fte de saint Martin : je vis beaucoup de choses de la vie de ce saint, spŽcialement sa mort et la propagation merveilleuse de son influence spirituelle marquŽe par des bandes lumineuses sortant de l'Žglise qu'il tenait ˆ la main : des extrŽmitŽs de ces bandes naissaient d'autres Žglises qui propageaient la foi de la mme manire et portaient des fruits semblables. È

         Aprs cela mon guide me porta au sommet de cette Žglise spirituelle qui reut de l'intŽrieur un accroissement et devint comme une tour pleine de sculptures lumineuses et transparentes. Il me montra du haut de cette tour la terre comme une carte de gŽographie. Je vis et je reconnus tous les pays o j'avais ŽtŽ si souvent : je vis le Gange et des endroits o gisait une quantitŽ de pierres prŽcieuses Žtincelantes : cela me fit penser ˆ celles qui avaient ŽtŽ volŽes au tombeau des trois rois. Je vis engloutis au fond des mers beaucoup de trŽsors et d'objets prŽcieux, des marchandises, des ballots, des coffres et des navires entiers. Je vis aussi les diffŽrentes parties de la terre : mon guide me nomma l'Europe et, en me montrant un petit coin sablonneux, il me dit ces paroles remarquables: Ç Voici la Prusse ennemie. È Il me montra ensuite un point plus au nord, disant : Ç Voilˆ la Moscovie apportant avec elle bien des maux. È

 

10. Souffrances pour l'Eglise supportŽes avec l'assistance de sainte CunŽgonde, de la fin de mai au milieu de juin 1821.

 

         On avait demandŽ des prires ˆ Anne Catherine pour une Ursuline trs-malade de la goutte que la violence de ses souffrances poussait ˆ un dŽsespoir complet. Voici ce qu'elle raconta : Ç Je fus prs d'elle, je vis sa maladie et je l'engageai ˆ ne pas prier pour sa guŽrison, mais ˆ demander ce qui plairait le plus ˆ Dieu. Elle sera soulagŽe, mais ne recouvrera plus entirement la santŽ. È Sa prire pour cette malade fut cette fois, comme toujours en pareil cas, une participation rŽelle, corporelle ˆ ses souffrances, c'est-ˆ-dire qu'elle prit d'elle la goutte avec tous ses sympt™mes, accompagnŽe de douleurs au milieu desquelles elle Žtait livrŽe ˆ un travail incessant pour l'ƒglise et le Saint-Pre. Le Plerin dit ˆ la date du 29 mai : Ç La maladie a pris un trs-grand accroissement. Dans la nuit elle a vomi de l'eau et une matire blanch‰tre avec de grandes souffrances, accompagnŽes de douleurs dans la tte et dans les membres, d'incapacitŽ de boire, de rŽtention d'urine et de soif ardente. Elle est comme une mourante; mais son ‰me est en paix. Elle peut ˆ peine et rarement prononcer quelques paroles. Toutes ses souffrances sont constamment accompagnŽes d'une vision o elle travaille toute seule dans une Žglise trs-sale et trs-nŽgligŽe. A midi, elle a eu encore le sentiment des approches de la mort ; elle Žtait incapable de se soulever: son corps Žtait froid et comme paralysŽ et elle ne pouvait pas appeler ˆ son aide. Par bonheur sa soeur vint et la releva, sans quoi le vomissement qui montait violemment menaait de l'Žtouffer. Quoique relevŽe, elle Žtait toujours dans l'Žtat le plus misŽrable et s'affaissait sur elle-mme comme morte. Mais tout ˆ coup elle se mit sur son sŽant, les mains jointes, et resta environ six minutes dans l'attitude de la prire, sans s'appuyer sur rien, ce qu'elle ne pouvait pas faire ordinairement. Tout paraissait passŽ, mais elle dit bient™t : Ç J'ai seulement pris un moment de repos et remerciŽ Dieu pour la pŽnible part de travail que j'ai eue ˆ faire. Ah ! c'Žtait un bien lourd balai que celui avec lequel j'ai balayŽ! È Elle ne put que balbutier ces paroles, mais sa respiration Žtait plus paisible. Il y eut des moments de souffrance si cruelle que, pendant environ cinq minutes, ses pieds tremblrent de manire ˆ faire remuer continuellement le fauteuil sur lequel ils s'appuyaient. Quand on touche alors ces pieds qui sont comme des os effilŽs enveloppŽs de bandelettes, on sent un vif tressaillement dans chaque muscle et c'est ce qui donne aux jambes ce mouvement en avant. On peut ˆ peine comprendre comment une telle quantitŽ de tortures trouve place dans ces pauvres membres. Elle dit que ce n'Žtait pas encore fini et comme son confesseur l'exhortait ˆ la patience, elle rŽpondit : Ç La patience est, lˆ-bas suspendue en l'air dans un globe. È Bient™t, aprs un peu de repos, elle retomba dans des souffrances du mme genre ; on ežt dit, ˆ la fin, d'une personne mise ˆ la torture jusqu'ˆ ce qu'elle en meure. È

 

30 mai. Ç Les vomissements ont cessŽ : mais il est survenu un mal d'oreilles si douloureux qu'elle cache entirement sa tte dans des coussins pour ne rien entendre, parce que cela lui cause les plus vives souffrances.

 

31 mai. Ç Ses douleurs de tte et son mal d'oreille on continuŽ toute la nuit et sont arrivŽs au plus haut degrŽ . La douleur lui a souvent fait perdre connaissance, son Žtat Žtait lamentable. È

 

1er Juin. Le matin, le Plerin la trouva sereine et d'une humeur singulirement aimable. Le mal de tte s'Žtait un peu calmŽ, mais elle avait de la peine ˆ entendre. Ç J'ai vu, dit-elle, des visions que je ne puis dŽcrire touchant l'Žtat de l'ƒglise en gŽnŽral et en particulier. Je vis l'ƒglise qui est sur la terre, sous lÕimage d'une ville semblable ˆ la JŽrusalem cŽleste, mais de forme et de figure terrestre. Je vis dans l'intŽrieur de cette ville beaucoup de rues, de palais et de jardins; j'allais de l'un ˆ l'autre. Je vis, parmi les tableaux les plus Žtranges, des processions entires d'Žvques. Je reconnus l'Žtat de tous, je vis ce qu'ils pensaient et disaient sortir de leur bouche en images. Je vis leurs fautes envers la religion reprŽsentŽes par des difformitŽs extŽrieures. Ainsi j'en vis quelques-uns qui n'avaient qu'un corps ; leur tte semblait un sombre nuage de brume; d'autres n'avaient qu'une tte et leur corps, avec leur coeur, Žtait une vapeur obscure : quelques-uns Žtaient boiteux, d'autres paralytiques, d'autres dormaient ou chancelaient. Je vis aussi une fois une mitre Žpiscopale flottant dans l'air, tandis qu'une main sortant d'un nuage tŽnŽbreux cherchait sans cesse ˆ saisir cette mitre, qui pourtant lui Žchappa. Sous cette mitre, je vis beaucoup de personnes qui ne m'Žtaient pas inconnues, portant sur leurs Žpaules des croix de toute espce avec des pleurs et des gŽmissement : je me vis moi-mme parmi elles. Je vis, ˆ ce que je crois, presque tous les Žvques du monde, mais un petit nombre seulement parfaitement sain. Je vis aussi le Saint Pre rempli de la crainte de Dieu et priant. Rien n'Žtant dŽfectueux dans son extŽrieur: mais il Žtait trs-affaibli par la vieillesse et par de nombreuses souffrances. Sa tte vacillait souvent d'une Žpaule ˆ l'autre ou tombait sur sa poitrine comme s'il ežt sommeillŽ; souvent aussi je le vis tomber en dŽfaillance et semblable ˆ un mourant. Je le vis souvent soutenu, pendant qu'il priait, par des apparitions cŽlestes; alors sa tte se tenait droite. Mais aussit™t qu'elle retombait sur sa poitrine, je voyais plusieurs personnes tourner rapidement la tte ˆ droite et ˆ gauche, c'est-ˆ-dire regarder du cotŽ du monde. L'Žglise de notre pays, quand la main sortant de l'ombre saisit la mitre qui fuyait toujours, me fut montrŽe comme dans un Žtat misŽrable auquel devait contribuer particulirement le savent jouvenceau de l'Žcole. Je vis tout ce qui tient au protestantisme prendre de plus en plus le dessus, et la religion tomber en dŽcadence complte. Je vis la plupart des prtres s'engouer des faux brillants du jeune ma”tre d'Žcole et tous travaillaient, ensemble ˆ la destruction. Il y en avait un surtout qui prenait part ˆ ce travail par vanitŽ et par ignorance, et quand il se ravisera, il sera trop tard. Je vis tout au plus, dans le pays, quatre ecclŽsiastiques rester fermes et fidles. L'Žtat du diocse sera dŽplorable sous cet Žvque. Les tableaux que j'ai vus Žtaient si affligeants que j'aurais presque voulu en parler hautement. Je vis aussi dans l'avenir la religion tombŽe trs-bas et se conservant seulement par endroits, dans quelques chaumires et dans quelques familles que Dieu ˆ protŽgŽes aussi dans les dŽsastres de la guerre. Beaucoup de gens simples, mais ŽclairŽs d'en-haut, et spŽcialement le ma”tre d'Žcole prient pour que ce pasteur soit ŽloignŽ È

Ç J'ai eu encore une singulire vision. Sainte CunŽgonde m'apporta une couronne et un petit morceau d'or pur dans lequel je pouvais me mirer. Elle me dit: Ç J'ai fait cette couronne pour toi, elle n'est pas encore tout ˆ fait finie du c™tŽ droit ( o Žtait la grande douleur de la malade ) ; c'est ˆ toi de l'achever avec cette plaque d'or. Je fais cela parce que tu as dŽjˆ ajoutŽ une pierre prŽcieuse ˆ ma couronne, avant mme que tu fusses nŽe. È Alors elle me montra sur un des cotŽs de sa couronne une pierre ou une perle, si Žblouissante qu'on pouvait ˆ peine en soutenir la vue. Et c'Žtait moi qui l'avais mise lˆ ? Je trouvai cela par trop risible et je dis tout net : Ç Comment cela se peut-il? Ce serait une chose bien Žtrange que j'eusse fait cela avant d'tre au monde. È Lˆ-dessus elle me rŽpondit que toutes mes souffrances et tous mes travaux, comme ceux de tous les hommes se trouvaient dŽjˆ divisŽs et rŽpartis parmi mes anctres. Elle me montra des tableaux o je vis comment JŽsus avait opŽrŽ dans la personne de David, comment nous avons pŽchŽ dans Adam, comment le bien que nous vivifions en nous est un bien dŽjˆ vivant dans nos anctres et qui Žtait seulement obscurci, etc. Puis elle me fit voir mon extraction du c™tŽ de ma mre qui s'appelait Hillers, en remontant par plusieurs gŽnŽrations jusqu'ˆ ses anctres ˆ elle, et il y avait lˆ un fil par lequel s'y rattachait aussi son extraction. Mais comment avais-je ajoutŽ le joyau ˆ sa couronne? Je le compris trs bien dans la vision, mais j'aurais de la peine ˆ le redire. C'Žtait comme si une facultŽ de souffrir avec patience provenant du fil de vie qui aboutissait ˆ mon existence, lui ežt ŽtŽ communiquŽe, et c'est ainsi qu'une victoire fut remportŽe en elle par moi ou par ce qui Žtait mien, victoire qui Žtait reprŽsentŽe par ce joyau sur sa couronne. Je la vis au commencement de la vision dans une sphre ou dans un jardin cŽleste avec des saints qui avaient ŽtŽ rois ou princes. Je vis l'empereur Henri, son saint Žpoux, dans une sphre o il me parut renouvelŽ et plus jeune. C'Žtait comme si son existence dans ses a•eux Žtait lˆ depuis trs-longtemps ; je ne puis expliquer cela, je ne le compris pas non plus alors et je laissai la chose de c™tŽ. Il y avait en gŽnŽral dans cette vision quelque chose d'incroyablement dŽgagŽ des conditions du temps : car quoique je fusse trs-ŽtonnŽe d'avoir dŽjˆ, avant ma naissance, travaillŽ ˆ une perle de la couronne de CunŽgonde, je le voyais pourtant trs bien d'une certaine manire, car je sentais que je vivais avec elle et que j'Žtais sa contemporaine; bien plus, que j'Žtais antŽrieure ˆ elle comme personne individuelle. Je me sentais prŽsente dans mon origine. Elle me montra son extraction selon la chair ˆ sa gauche, et ˆ sa droite sa descendance selon l'esprit, car elle n'avait pas d'enfants, mais pourtant cette descendance Žtait bien plus riche et plus fŽconde. Je vis mes anctres et les siens remontant jusqu'ˆ des gens qui n'Žtaient pas chrŽtiens et j'en vis parmi ceux-ci qui ont ŽtŽ jugŽs avec misŽricorde : cela m'Žtonnait beaucoup parce qu'il est Žcrit que quiconque ne croit pas et n'est pas baptisŽ n'entrera pas dans le ciel. Mais sainte CunŽgonde me dit : Ç Ces gens ont aimŽ Dieu tel qu'ils le connaissaient et leur prochain comme eux-mmes; ils ne savaient rien du Christianisme, ils Žtaient dans une fosse tŽnŽbreuse o la lumire n'arrivait pas: mais ils Žtaient tels, qu'ils auraient ŽtŽ de parfaits chrŽtiens s'ils avaient connu le christianisme et c'est pourquoi ils ont trouvŽ misŽricorde. È Je vis le tableau de ma vie avant ma naissance ou celle de mes a•eux, non comme un arbre gŽnŽalogique, mais comme quelque chose qui se rŽpandait sur la terre dans des lieux et des Žtablissements de toute espce : je vis des rayons aller d'un point ˆ un autre puis, aprs s'tre multipliŽes en formant des nÏuds, Žlancer de nouveau dans des directions sŽparŽes. Je vis lˆ beaucoup de gens pieux, j'en vis aussi dans une position ŽlevŽe, d'autres tout ˆ fait pauvres. Je vis encore toute une branche de ma famille dans une ”le : ils Žtaient riches et possŽdaient de grands navires: je ne sais pas o c'Žtait. Je vis une Žnorme quantitŽ de choses dans cette vision et j'eus de grandes lumires sur l'importance qu'il y a pour nous ˆ transmettre au monde une descendance pure et ˆ conserver pur ou purifier en nous ce qui nous a ŽtŽ transmis par nos anctres. Et je reconnus que cela Žtait Žgalement vrai pour la postŽritŽ selon la chair et pour la postŽritŽ spirituelle.

Ç Je vis aussi les parents de mon pre. Sa mre s'appelait Rensing; elle Žtait fille d'un riche cultivateur. Elle Žtait avare et, pendant la guerre de Sept Ans, elle enfouit son argent prs de notre maison. Je sais ˆ peu prs lÕendroit. Je sais aussi qu'on le trouvera longtemps aprs ma mort, quand une autre famille possŽdera la maison. Je savais dŽja cela, Žtant enfant. È

 

2 juin. Le Plerin la trouva toute bouleversŽe. Elle raconta ce qui suit, versant des larmes et pleine d'angoisses : Ç Je viens de passer une nuit des plus terribles. J'ai vu un chat venir vers mon lit: il sauta aprs ma main. Je le pris par les pattes de derrire, je le tins hors du lit et je voulais le tuer; mais il m'Žchappa et s'enfuit. J'Žtais ŽveillŽe, je voyais tout ce qui Žtait autour de moi ;je voyais l'enfant dormir paisiblement et je craignais qu'elle ne v”t ma misre. Pendant toute la nuit, jusque vers trois heures du matin, l'ennemi me maltraita; c'Žtait une horrible figure noire. Il me frappa et me tra”na loin de mon lit ; j'Žtais Žtendue par terre et appuyŽe sur mes mains. Il me lana en avant avec mes oreillers et m'Žtreignit terriblement. M'ayant ainsi lancŽe au loin, il me jeta sur le corps les coussins qui Žtaient sous moi, puis il m'Žleva trs-haut en l'air ; tout cela me causa une angoisse indescriptible. Je vis clairement par lˆ que ce n'Žtait pas un rve. Je fis tout ce que je pouvais. Je pris toutes mes saintes reliques et ma vraie croix, cela ne me servit ˆ rien. Je demandai ˆ Dieu et ˆ tous les saints si j'avais quelque pŽchŽ sur la conscience, si je retenais injustement le bien d'autrui : je ne reus pas de rŽponse. J'adjurai l'ennemi, au nom de tout ce qu'il y a de sacrŽ, de me dire quel droit il avait sur moi: Il ne rŽpondit pas et continua ˆ me tourmenter. Il me prenait sans cesse par le cou et par les Žpaules, et ses mains ou ses griffes Žtaient froides comme la glace. Enfin je me tra”nais jusqu'ˆ l'armoire qui est au pied de mon lit, j'y pris l'Žtole de mon confesseur qui y Žtait renfermŽe et je la jetai autour de mon cou. Alors il ne me toucha plus et mme il me fit une rŽponse. Il parle toujours avec une assurance et une habiletŽ qui me confondent et quelquefois je pourrais croire qu'il a raison, tant il parait sžr de son fait. Il me reprocha de faire manquer beaucoup de choses et de lui nuire beaucoup, et cela comme s'il avait les droits les mieux fondŽs du monde. Quand je demandai ˆ Dieu si je possŽdais du bien mal acquis, l'ennemi me dit : Ç Tu as quelque chose ˆ moi. È Mais je lui rŽpondis : Ç Ce que j'ai ˆ toi est le pŽchŽ qui a ŽtŽ maudit avec toi ds le commencement ! JŽsus-Christ a satisfait pour nous ; prends le pŽchŽ pour toi, garde-le et va-t-en avec lui dans les ab”mes de l'enfer ! Je ne puis dire tout ce j'ai souffert. È Elle pleurait et tremblait de tous ses membres.

 

3 juin. Ç Ses violentes douleurs de tte et d'oreilles ont diminuŽ : cependant elle souffre toujours d'une oreille dont une est devenue sourde, en sorte qu'elle parle trs haut sans qu'il y ait nŽcessitŽ. Mais avec cette infirmitŽ elle est trs-avenante et cela lui donne quelque chose de na•f et l'enfantin. Elle souffre de rŽtention. È

 

Ç Sainte- CunŽgonde, dit-elle, a ŽtŽ prs de moi une partie le la nuit. J'ai, ces jour-ci, appris d'elle et vu infiniment le choses, notamment touchant notre origine et notre participation ˆ une vie qui n'est pas la n™tre. J'ai vu des histoires et des dŽtails sans nombre concernant mes anctres et les siens. Elle m'a dit aujourd'hui que, comme moi, dans sa jeunesse, elle avait ŽtŽ dŽlivrŽe par la gr‰ce divine, de toutes les tentations charnelles et qu'elle s'Žtait fiancŽe ˆ Dieu de bonne heure. Elle n'avait pas osŽ le dire ˆ sa mre, mais elle l'avait dit ˆ son mari qui avait fait voeu de chastetŽ avec elle, et pourtant il lui avait fallu aprs cela tre en butte ˆ de bien affreuses calomnies et subir de bien rudes Žpreuves. Je n'ai pas vu cette nuit ce qui fut cause de sa mise en jugement et de l'Žpreuve du feu qu'on lui fit subir, mais je l'avais vu prŽcŽdemment. Elle Žtait trop bonne pour un serviteur qui, lui aussi, avait eu dŽjˆ beaucoup ˆ souffrir par suite d'accusations mensongres. - Je vis sa mort et celle de son mari. Je vis que son mari fut enterrŽ dans une Žglise qu'il avait fait b‰tir : elle Žtait dŽdiŽe ˆ Saint-Pierre (ˆ Bamberg). Je ne sais plus si ce fut dans cette Žglise ou dans une autre qu'elle assista ˆ un service funbre pour son mari, revtue d'un magnifique costume impŽrial, et qu'ensuite, devant cinq Žvques, elle dŽposa sa couronne et son riche vtement sous lequel elle portait un simple habit de religieuse, du mme genre que celui de Sainte Walburge. Elle mit aussi un voile sur sa tte. Les gens qui l'avaient vue entrer en si grande pompe furent Žmus jusqu'aux larmes lorsqu'ils la virent sortir. Peu de jours avant sa mort, son ange gardien lui dit que son mari viendrait la prendre ˆ son dernier moment. Je le vis en effet venir ˆ elle, et avec lui des ‰mes innombrables de pauvres qu'elles avait nourris et d'autres personnes auxquelles elle avait fait du bien. Et je vis que ceux-ci Žtaient ses enfants spirituels et que son mari lui montra ces nombreux enfants comme le fruit de leur union. È

 

4 juin. Ç Elle continue ˆ souffrir d'un violent mal d'oreilles et d'une demi-surditŽ. C'est une douleur trs-raffinŽe et elle sent distinctement combien est vrai le symbole du joyau finement travaillŽ ˆ ajouter ˆ la couronne de Sainte CunŽgonde. La douleur procde par lignes et par mouvements trs-subtils. Elle avait vu ce qu'elle avait ˆ faire comme un travail d'une ŽlŽgance exquise et, ˆ cause de cela, elle n'avait pas voulu l'entreprendre, È

 

5 juin. Ç La douleur d'oreille et la duretŽ de lÕouie continuent, mais cessent parfois pendant plusieurs heures ˆ la suite de l'imposition des mains du confesseur. Celui-ci ressent alors une douleur cuisante ˆ la main comme si elle Žtait piquŽe par des orties. Il est remarquable qu'elle sait trs-bien dans son intŽrieur comment cette souffrance lui est imposŽe et comment elle lui a ŽtŽ annoncŽe symboliquement par le fragment de couronne que sainte CunŽgonde lui a donnŽ ˆ travailler, et pourtant, dans ses rapports avec l'extŽrieur, elle parle ˆ chaque instant d'inflammation, de surditŽ, etc., et mme demande au mŽdecin des remdes que celui-ci lui prescrit, mais dont elle n'use pas. È

 

6 juin. ÇElle dŽclare que sa douleur d'oreilles doit durer jusqu'ˆ la Pentec™te. Dieu veut ce travail, il se servira d'elle, elle est lˆ pour cela. Ç CunŽgonde, dit-elle, a ŽtŽ mise en contact avec moi par suite d'un rapport secret qu'ont, les uns avec les autres, tous ceux qui, ds le premier ‰ge, ont ŽtŽ affranchis de la convoitise de la chair. Il est impossible d'expliquer cela au monde, ˆ cause de son impuretŽ ; il y a lˆ un secret de la nature inconnu. Du reste, j'ai avec elle une parentŽ selon la chair par une lignŽe de ses anctres. È

 

8 juin. Ç Sa difficultŽ d'entendre et son mal de tte durent toujours. Cette nuit le tentateur s'est de nouveau prŽsentŽ elle sous la forme d'un ange. Il lui a dit que, puisqu'Overerg ne venait pas la voir, elle ferait bien de s'adresser ˆ lui, qu'il lui viendrait en aide. Comme elle rŽflŽchissait lˆ-dessus et se tournait vers Dieu, elle reconnut Satan et le poussa hardiment loin d'elle. È

 

9 juin. Ç Elle s'est trouvŽe sans mal de tte, comme elle l'avait annoncŽ d'avance, mais la difficultŽ d'entendre subsiste. Elle a, dit-elle, fini et remis ˆ Dieu la couronne que CunŽgonde lui avait donnŽe ˆ achever. CunŽgonde lui a aussi montrŽ pour qui ce travail a ŽtŽ fait. Ç J'ai vu un protestant fort considŽrŽ, qui pense ˆ revenir ˆ l'ƒglise et qui lui rendra des services; ds ˆ prŽsent il fait, sans bruit, beaucoup de choses pour les catholiques. Il conna”t personnellement le Pape. Ma souffrance, ajouta-t-elle, doit tre le prix et l'achvement de la couronne qui lui est destinŽe, s'il triomphe de son amour-propre et suit le mouvement de son coeur. Moyennant mon travail uni aux mŽrites de JŽsus-Christ la couronne a ŽtŽ terminŽe pour lui. È

 

11. La Pentec™te. - La montagne des Prophtes

 

Ç J'ai vu la Pentec™te, en tant que fte de l'ƒglise, et la communication de l'Esprit-Saint ˆ travers le monde entier, m'a ŽtŽ montrŽe dans plusieurs tableaux, ainsi que cela m'est souvent arrivŽ. J'ai aussi vu les douze nouveaux Ap™tres et leur rapport avec l'ƒglise. J'ai vu encore une Žglise spirituelle se former de beaucoup de paroisses rŽunies et, celles-ci recevoir le Saint-Esprit. C'Žtait un nouveau rŽveil de l'ƒglise catholique. J'ai vu un trs-grand nombre personnes recevoir l'Esprit-Saint. È

Ç J'ai fait cette nuit un grand voyage et je suis allŽe notamment sur la montagne des Prophtes. J'ai aussi revu le paradis qui en est voisin. Sur la montagne des Prophtes tout Žtait comme ˆ l'ordinaire. Je vis l'homme Žcrire sous la tente, ranger des livres et des Žcritures, effacer et bržler, beaucoup de choses. Il me sembla aussi qu'il donnait quelques feuilles ˆ des colombes qui les emportaient en sÕenvolant. J'eus aussi une vision de l'Esprit-Saint comme une figure ailŽe, dans une surface triangulaire, avec une effusion de lumire de sept couleurs. Je vis comment cette lumire se rŽpandait sur l'ƒglise spirituelle planant en l'air, et sur ceux qui se trouvaient en relation avec elle. Dans la vision sur l'effusion du Saint-Esprit, j'eus l'impression que cette effusion avait aussi une action sur la nature. Je me trouvais au-dessus du globe de la terre, dans le voisinage de la montagne des Prophtes et je vis que les eaux qui en descendent dŽployaient au-dessus de la terre comme une tenture de crpe transparent et de couleurs variŽes. Je vis toutes sortes de choses briller ˆ travers. Chaque couleur procde d'une autre un peu diffŽrente et produit d'autres effets: si le voile se dŽchire, la pluie se rŽpand. Ces effusions sont liŽes ˆ certains temps et des saints y prŽsident avec leurs ftes et la cŽlŽbration de leurs victoires. Le jour de la fte d'un saint est le vŽritable jour de la rŽcolte, celui o sont cueillis ses dons qu'il porte, comme un arbre ses fruits. Ce que les ‰mes ne reoivent pas comme effusion des dons spirituels, la nature le reoit sous forme de pluie et de rosŽe, et c'est ainsi que la surabondance de pluie peut devenir un ch‰timent de Dieu. Je vois souvent de mauvaises gens dans des lieux fertiles o la bŽnŽdiction de la terre nourrit leur chair et, dans des pays pauvres, des gens de bien qui reoivent dans le Saint-Esprit la bŽnŽdiction de la terre. Si la terre et l'homme Žtaient en parfaite harmonie, ce serait le paradis. La prire ma”trise la tempŽrature et les jours marquŽs dans les anciens proverbes relatifs au temps sont comme des jours o se font des distributions. Quand il est dit dans un de ces proverbes : Ç S'il pleut le troisime jour de la Pentec™te, le grain ne sŽchera pas; È cela peut signifier: Ç Si les dons spirituels qui sont distribuŽs aux hommes ne sont reus que dans une faible mesure, ils se changent en eau qui se rŽpand comme un ch‰timent. È Je vois la vie de la nature Žtroitement liŽe ˆ la vie des ‰mes. È

Ç Le vent est quelque chose de merveilleux. Je vois souvent la tempte apporter une maladie d'une contrŽe ŽloignŽe. Cela m'appara”t comme un globe plein de mauvais esprits. Les vents violents sont difficiles ˆ supporter pour moi ; je les ai toujours eus en aversion. Les Žtoiles filantes aussi m'Žtaient antipathiques ds ma jeunesse. Lˆ o elles tombent, je vois l'air plein de mauvais esprits. ƒtant enfant, quand le voyais le soleil se lever et se coucher, je le croyais vivant et je me disais : Ç Il pleure sur les nombreux pŽchŽs qu'il est forcŽ de voir. È Le clair de lune m'ežt ŽtŽ agrŽable ˆ cause du calme et du silence; mais j'avais le sentiment des crimes nombreux qu'il favorise et de la pression pesante et sensuelle qu'il exerce sur les hommes, car la lune est plus profondŽment dŽchue que le soleil. È

 

12. Judith en Afrique.

 

         Ç J'allai prs de Judith ; dans les montagnes de la Lune. Il y avait eu beaucoup de changements. A l'endroit o, en partant de l'habitation de ses soeurs, on arrivait au ch‰teau de Judith par un pont jetŽ sur un ravin, il n'y avait plus de ravin. Il semblait qu'un Žboulement l'ežt comblŽ. On pouvait arriver de plain-pied ˆ la maison. Judith, qui me fit l'effet d'tre bien plus ‰gŽe, me sembla beaucoup plus rapprochŽe du christianisme ou mme rŽellement chrŽtienne dans lՉme, quoique vraisemblablement elle ne fžt pas encore baptisŽe. S'il y avait lˆ un prtre, cela se ferait tout de suite. Dans la chambre o je l'avais vue un jour prendre du cafŽ avec plusieurs personnes, il y avait comme un petit autel. On voyait dessus l'image d'un petit enfant couchŽ comme dans une jatte et il y avait devant comme une excavation, une espce de bassin pratiquŽ dans l'autel, o je vis une petite cuiller et un couteau blanc qui semblait en os ou en pierre. Des lampes bržlaient au-dessus et il y avait des pupitres avec des rouleaux d'Žcriture. Elle Žtait lˆ en prire, avec beaucoup de personnes plus jeunes ; elle avait aussi un vieillard comme assistant. Toutes ces gens semblaient arrivŽs avec elle ˆ la conviction, nouvelle pour eux, que le Messie Žtait dŽjˆ venu. Je ne vis pas encore de croix. Dans la chambre d'en haut o Žtaient les nombreuses ttes antiques, les vieux juifs Žtaient encore rassemblŽs ˆ part. Le trŽsor qui Žtait dans le caveau avait notablement diminuŽ; Judith donnait beaucoup aux pauvres gens. L'endroit qu'elle habite est admirablement situŽ. De sa maison, on voit au couchant, au-delˆ d'une vallŽe profonde, une montagne qui brille et Žtincelle au soleil comme si elle Žtait parsemŽe d'Žtoiles. De l'autre c™tŽ, dans un lointain trs reculŽ, s'Žlvent, sur des montagnes, de hautes tours d'un aspect Žtrange et de longs b‰timents. On ne peut pas voir cela de la maison; mais je l'ai vu ainsi. J'ai vu encore les gens qui habitent prs du Gange. Ils avaient dŽjˆ leur Žglise en bon ordre et aussi prs d'eux un vieil ecclŽsiastique : c'Žtait, je crois, un missionnaire. È

 

43. Souffrances pour les cinq ŽvchŽs de la province du Haut-Rhin.

 

Mars 1820.. Ç Je passai par Francfort (note) qui Žtait sur mon chemin et je vis dans une grande maison, peu ŽloignŽe de la grande Žglise, se rŽunir une sociŽtŽ qui va mettre en dŽlibŽration de mauvais projets. J'y vis des ecclŽsiastiques.

Des diables Žtaient assis sous les fauteuilsÉ Dans un autre voyage, je revins ˆ la grande maison. Satan Žtait couchŽ devant l'entrŽe, sous la forme d'un chien noir avec des yeux rouges et il dormait. Je le poussai du pied et lui dis : Ç Debout ! Satan; pourquoi dors-tu ici ? - Je puis dormir tranquillement ici, rŽpondit-il; ceux qui sont lˆ dedans font eux-mmes mes affaires. È

Elle vit aussi, dans un tableau symbolique, les rŽsultats de ce nouvel art de b‰tir appliquŽ ˆ l'Žglise : Ç Je me trouvai, dit-elle, dans un navire tout percŽ et j'Žtais couchŽe au fond, ˆ la seule petite place qui fžt encore intacte ; les gens Žtaient assis sur les deux bords du navire. Je priais continuellement pour qu'ils ne fussent pas prŽcipitŽs dans les flots : cependant ils me maltraitrent et me donnrent des coups de pied. Je voyais ˆ chaque instant le navire au moment de couler et j'Žtais malade ˆ mourir. Enfin ils furent forcŽs de me conduire ˆ terre o mes amis m'attendaient pour me mener dans un autre endroit.

 

(note) PrŽcisŽment en ce moment des dŽlŽguŽs ecclŽsiastiques et la•ques des petits ƒtats d'Allemagne s'Žtaient rŽunis pour la deuxime fois et dŽlibŽraient sur les moyens ˆ prendre pour arriver peu ˆ peu ˆ l'extinction du catholicisme dans cinq diocses.

 

Je priais toujours pour que ces malheureux dŽbarquassent aussi : mais ˆ peine Žtais-je sur le rivage que le navire coula ˆ fond et aucun de ceux qui y Žtalent ne se sauva, ce qui me remplit de tristesse. Dans l'endroit o j'allai il y avait une grande abondance de fruits. È

Le mercredi d'aprs le dimanche de la Passion, 22 mars 1820, cette rŽunion avait tenu ˆ Francfort sa premire sŽance en forme, pour dŽlibŽrer sur les moyens ˆ prendre pour s'emparer de JŽsus par la ruse et le livrer ˆ la mort. Ils disaient : Ç Que ce ne soit pas ˆ la clartŽ du jour, de peur que le Pape ne s'en aperoive et ne fasse quelque Žclat ! È Pendant qu'ils tenaient ainsi conseil, la pieuse vierge avait les yeux tournŽs vers eux et elle allait entrer en lutte avec eux. Ç Je porte, dit-elle, un Žnorme fardeau sur l'Žpaule droite. Je me suis chargŽe de trop de souffrances, afin de satisfaire pour autrui. Je succombe presque ˆ la peine. J'ai maintenant de si tristes visions sur l'Žtat de l'humanitŽ et notamment sur celui du clergŽ (note), que je ne puis m'empcher de m'imposer sans cesse de nouveaux fardeaux. J'ai priŽ pour que Dieu daigne toucher le coeur de ses ennemis les plus endurcis et que, pendant ces saintes ftes de P‰ques, ils reviennent ˆ des dispositions un peu meilleures. Je dis ˆ Dieu que je voulais chercher les plus endurcis parmi ceux que je connais, ou, comme il sait auxquels d'entre eux mes travaux et mes souffrances sont le plus nŽcessaires, je lui demandai la gr‰ce de souffrir pour ceux-lˆ.

 

(note) Ç Je vois, dit-elle un jour, une quantitŽ d'ecclŽsiastiques frappŽs d'excommunication qui ne semblent pas s'en inquiŽter, ni mme le savoir. Et pourtant ils sont excommuniŽs, quand ils prennent part ˆ des entreprises, qu'ils entrent dans des associations et adhŽrent ˆ des opinions sur lesquelles pse l'anathme. Je vois ces hommes entourŽs d'un brouillard comme d'un mur de sŽparation. On voit par lˆ combien Dieu tient compte des dŽcrets, des ordres et des dŽfenses du chef de l'ƒglise et les maintient en vigueur quand mme les hommes ne s'en inquitent pas les renient et s'en moquent. È

 

Alors je me sentis tout ˆ coup ŽlevŽe en l'air; ce fut comme si j'Žtais entre le ciel et la terre. Il me sembla d'abord tre dans un vaisseau brillant de lumire et je fus comme traversŽe par des accs de souffrances raffinŽes, indŽfinissables, qui n'ont pas encore cessŽ; en outre l'oppression dans le c™tŽ droit allait croissant. Quand je regardai au-dessous de moi, je vis trs-distinctement, ˆ travers un crpe de couleur sombre, les erreurs, les Žgarements et les pŽchŽs innombrables des hommes, et avec quelle sottise et quelle mŽchancetŽ ils agissent contre toute vŽritŽ et toute raison. Je vis des scnes de toute espce : je revis le navire en dŽtresse portant ces hommes convaincus de leur immense mŽrite et admirŽs aussi par bien d'autres, passer prs de moi sur une mer dangereuse et je m'attendais ˆ chaque instant ˆ le voir pŽrir. Je connaissais parmi eux des prtres et je souffris de grand cÏur pour les aider ˆ venir ˆ rŽsipiscence. Je vis aussi au-dessous de moi divers endroits o se mouvaient tristement une multitude de figures gris‰tres. C'Žtaient des cimetires, dont on ne savait plus qu'ils eussent jamais existŽ. Je vis aussi diverses ‰mes errer dans des lieux solitaires o elles avaient pŽri ou peut-tre fait mourir quelquÕun, je ne me rappelle pas bien lequel des deux, mais il m'a ŽtŽ dit, ce me semble, que ces ‰mes se tenaient lˆ pour quelque chose qui se rapportait ˆ l'expiation de meurtres commis. Je cherchais ˆ obtenir la guŽrison et le pardon pour tout ce que je voyais en demandant de nouvelles souffrances. Mais, quand je regardai au-dessus de moi, je vis, comme contraste aux abominations d'en bas; un spectacle cŽleste et tellement beau que j'en fus Žblouie. Je vis tous les saints; les choeurs des anges et le tr™ne de la trs-sainte TrinitŽ : je vis en dŽtail toutes les souffrances de notre Sauveur et comment il offrait pour nous chacune d'elles ˆ son Pre cŽleste : et je vis aussi la Mre de Dieu offrir de nouveau ses douleurs par JŽsus, ce que faisaient Žgalement tous les saints. C'est une vision o la variŽtŽ et l'unitŽ, le mouvement et le repos, la magnificence suprme, l'amour et lˆ paix s'unissent d'une faon qui ne peut s'exprimer. Tandis que je regardais ainsi en haut, je m'aperus tout ˆ coup que je me trouvais sur une balance, car je vis le flŽau et l'aiguille au-dessus de moi. Et alors je vis dans l'autre bassin, qui Žtait fort abaissŽ vers la terre et plongŽ dans l'obscuritŽ, les plus endurcis placŽs au milieu et les autres assis tout autour sur le bord ainsi qu'ils faisaient dans ce navire que jÕavais vu. Comme alors mes douleurs redoublrent ainsi que ma patience et mes supplications, le bassin monta un peu. Mais il Žtait trop lourd et je vis la plupart de ces hommes tomber du bord. Tous ceux pour lesquels je donnais mes souffrances comme contre-poids, restrent vivants. Quand je regardai en haut, pleine de joie, je vis le ciel et le secours de JŽsus. J'ai bien obtenu quelque chose par mes souffrances, avec la gr‰ce de Dieu : mais ces personnes ont le coeur dur comme la pierre, elles tombent d'un pŽchŽ dans un autre qui est souvent pire. È

         L'astuce avec laquelle ces contracteurs cherchaient ˆ colorer leurs intrigues lui apparut sons la forme du tentateur, et elle vit, en mme temps, quel salaire ils recevaient pour cela : Ç Lorsqu-'aprs mon examen de conscience, dit-elle, je me fus recommandŽe aux plaies de JŽsus, je tombai dans une grande angoisse. Je vis prs de moi un ecclŽsiastique lequel me dit qu'il venait de Rome et qu'il en rapportait des objets sacrŽs de toute espce. Il voulait me les donner. Je ressentais une grande rŽpugnance pour lui et pour ses dons. Il me mit sous les yeux des petites croix et des Žtoiles diversement travaillŽes ; mais aucune n'Žtait comme elle ežt dž tre ; toutes Žtaient de travers, contournŽes, pleines d'Žtranges dŽfectuositŽs. Il me fit de longs discours, me dit quÕil avait parlŽ de moi au Pape. Et que je n'avais pas le confesseur qu'il m'ežt fallu : il me dŽbitait de si belles paroles que, quoiqu'il me fžt tout ˆ fait antipathique, je me disais pourtant : Ç Peut-tre que je lui fais tort. È Mais lorsque j'examinai de nouveau ses singuliers objets sacrŽs, je lui dis, en le priant de ne pas le prendre en mauvaise part, que j'avais reu rŽcemment de Rome et de JŽrusalem des objets du mme genre qui n'Žtaient pas sans doute artistement travaillŽs, mais que ce qu'il apportait semblait massŽ dans une affreuse marnire ou dans un vieux tombeau abandonnŽ. Lˆ-dessus il me demanda comment je pouvais avoir une si mauvaise idŽe d'un homme innocent. Mais je ne voulais plus entendre parler de lui et je dis : Ç J'ai Dieu et les ossements des saints; je n'ai pas besoin de toi. Puis je lui tournai le dos. Alors il disparut. J'Žtais tremblante, baignŽe de sueur; et je priai Dieu de ne plus me faire en rencontrer qui me mit dans une telle angoisse. Quelques jours aprs il s'approcha de nouveau sous la figure un ecclŽsiastique qui, pendant longtemps, avec beaucoup d'hypocrisie et d'astuce, essaya de me mettre dans l'esprit toutes sortes de scrupules et me dit notamment que je me mlais de trop de choses, etc. Enfin je dŽcouvris que c'Žtait Satan, car il finit par dire qu'on me trouvait partout et qu'on n'avait nulle part de repos ˆ cause de moi. È

Les mauvais desseins qui empchrent si longtemps de faire cesser la vacance des siges Žpiscopaux, lui furent montrŽs dans une vision touchante dont les terribles souffrances qu'elle eut ˆ supporter ˆ cette occasion ne lui permirent de communiquer que le peu qui suit : Ç Dans un voyage ˆ la maison des noces je passai par un champ ˆ c™tŽ duquel Žtait une cabane. Je trouvai un fiancŽ qui attendait une fiancŽe. Je me rendis ˆ une grande maison voisine du champ o Žtaient les apostats; je rencontrai lˆ une fiancŽe qui Žtait trs-bonne. lie paraissait fort joyeuse d'aller avec moi. Il y avait aussi lˆ son frre (note), chez lequel il y avait quelque chose d'Žtrange et qui s'en retourna quand nous fžmes ˆ moitiŽ chemin. Je conduisis la fiancŽe ˆ l'homme qui Žtait dans la cabane. Il l'accueillit avec beaucoup d'amour et de joie et lui prŽsenta des mets de belle apparence, mais qui tous semblaient tre des aliments spirituels. La fiancŽe lui avait donnŽ la main et paraissait vraiment bonne : mais elle s'excusa encore et s'en alla de nouveau sans prendre de parti. Le fiancŽ en Žtait trs affligŽ ; mais il la regarda partir trs-tendrement. Il voulut attendre son retour et n'en pas prendre d'autre ˆ sa place. Il me fit tant de pitiŽ que je lui donnai un peu d'argent que j'avais sur moi et qu'il accepta. J'eus le sentiment que c'Žtait le fiancŽ cŽleste et que la fiancŽe Žtait son troupeau. L'argent que je lui donnai Žtait ma prire et mon travail par lesquels je m'Žtais engagŽe envers lui pour elle. Ah! si la fiancŽe pouvait voir le fiancŽ ! Comme il la dŽsirait, comme il la suivait des yeux, comme il l'attendait, elle qui le quittait avec tant d'indiffŽrence! Combien n'a-t-il pas ŽtŽ fait pour elle! Que de facilitŽs lui ont ŽtŽ donnŽes! Et pourtant elle l'a quittŽ! È

         La vision de la fiancŽe et du fiancŽ se rŽpŽta sous les formes les plus variŽes, chaque fois qu'elle eut ˆ prier pour que les siges Žpiscopaux fussent remplis, et ˆ travailler pour prŽvenir les consŽquences funestes qu'elle voyait rŽsulter de l'intrusion de sujets indignes. Ainsi, dans le mois de novembre, elle eut ˆ prier pour les cinq diocses durant huit jours, ˆ partir de la fte de saint Martin (note), et pendant ce temps sa prire fut toujours accompagnŽe de la vision d'un mariage spirituel.

        

(note) Le pouvoir sŽculier.

(note) Saint Martin lui vint en aide comme patron d'une Žglise dont le premier pasteur suscita plusieurs obstacles ˆ la sollicitude paternelle du Pape pour les cinq fiancŽes.

 

Ç Je vis, dit-elle, la fiancŽe trs belle et trs-sainte. JՎtais sa demoiselle d'honneur avec quatre autres. Mais le fiancŽ avait l'air sombre et sinistre; il avait cinq garons dÕhonneur. On but et on fit des rŽjouissances toute la journŽe. Mais, vers le soir, il vint un autre fiancŽ d'une beautŽ merveilleuse qui mit le premier ˆ la porte et lui dit : Ç Cette fiancŽe est trop noble et trop sainte pour toi. È Pendant ces jours-lˆ, je fus continuellement en contemplation : je vis la maison o l'on devait cŽlŽbrer la fte comme une Žglise et la fiancŽe si belle et si sainte qu'on ne pouvait la regarder qu'avec une crainte respectueuse. È

 

Un faux prŽtendant ˆ la main de la fiancŽe est mis hors de la vigne de l'ƒglise.

 

Un jour Anne Catherine resta six heures dans un Žtat inaccoutumŽ de sueur violente, avec paralysie de l'Žpaule droite et du c™tŽ droit. La sueur coulait de la tte et de la poitrine et traversait tout dans le lit. En outre elle souffrait d'une coqueluche incessante et elle dit qu'il lui avait ŽtŽ annoncŽ d'avance que cela durerait six heures. Pendant ce temps, elle tomba plusieurs fois en dŽfaillance. Ensuite elle raconta ce qui suit : Ç Lorsque tout rŽcemment j'Žtais ans la maison des noces, je trouvai des haies de noyers contre le choeur de l'Žglise, lˆ o il y avait ordinairement de beaux ceps de vigne. PrŽcisŽment derrire le ma”tre-autel, il y avait ˆ l'extŽrieur un rideau de noyers assez hauts, avec des noix mžres. Je vis lˆ un dignitaire ecclŽsiastique avec une croix. Ce devait tre quelque chose comme un vicaire gŽnŽral. Il s'approcha avec un casse-noix que je distinguai fort bien, cassa et mangea une bonne quantitŽ de noix, puis entra dans l'Žglise. Je vis qu'il cachait les coquilles. Je fus affectŽe de la grande inconvenance qu'il commettait en entrant dans l'Žglise aprs avoir cassŽ ses noix. Cet acte de casser les noix Žtait le symbole de la discorde et de la faussetŽ. Il venait de la maison funeste qui Žtait reliŽe par l'escalier ˆ la maison des noces et o, se rassemblent ceux qui n'entrent pas par la vraie porte. Mais il fut chassŽ de l'Žglise. Cet homme Žtait la cause de ma sueur, de ma grande douleur ˆ l'Žpaule et de la paralysie de mon c™tŽ droit. Il me fut montrŽ comme quoi, aprs avoir ŽtŽ rejetŽ hors de l'Žglise, il se tenait devant un mur et ne pouvait plus avancer ni reculer. Je le pris par les Žpaules et je le hissai avec une peine incroyable jusqu'au haut du mur. Il me fut donnŽ ˆ entendre, que je devais seulement le laisser tomber de l'autre c™tŽ, mais je vis qu'il se briserait tout le corps et je le portai en bas avec une fatigue inexprimable. Ensuite je le tra”nai encore dans un pays o je n'avais jamais ŽtŽ. J'y allai d'ici en remontant le cours d'un grand fleuve, puis au delˆ d'un lac prs duquel Žtait une ville (Constance). Autour du lac on voyait beaucoup de villages et aussi de petites villes. Pendant que je portais mon lourd fardeau ˆ travers le lac, des mains invisibles plaaient sous moi des planches Žtroites qui passaient tour ˆ tour l'une devant l'autre; quand je marchais sur l'Žtroite planche, elle s'enfonait, puis remontait. Ce fut un passage difficile; cependant je portai l'homme jusqu'au bout. A l'arrire-plan on voyait de hautes montagnes. J'ai dŽjˆ-vu plus d'une fois cet ecclŽsiastique (Wessenberg) dans la maison des noces. C'est un homme mondain ; les protestants lui sont trs-favorables et lui ˆ eux. Il les aidera beaucoup s'il peut arriver. Il s'est mis en possession de sa charge par des luttes et des artifices de toutes sortes, c'est ce que signifie le casse-noix. Il est fort opposŽ au Pape et il a encore de nombreux adhŽrents. Dernirement j'ai beaucoup priŽ pour l'ƒglise et pour le Pape et c'est alors que j'ai ŽtŽ chargŽe de ce travail. Il est trs-dŽsirable que cet homme soit amenŽ ˆ se tenir en repos sans trop, de scandale de la part de ses partisans. Ce serait un grand coup portŽ aux protestants- car ils l'ont constamment excitŽ et dŽfendu. Il m'a ŽtŽ aussi montrŽ que les protestants prennent la haute-main, mais ils perdront dŽjˆ beaucoup si ce mauvais prtre n'arrive pas. È

Ç Elle fut ds lors incessamment occupŽe ˆ repousser les attaques des ennemis de l'ƒglise, et les efforts que lui occasionnaient ces travaux en esprit Žtaient si grands, que souvent tout son corps semblait se fondre en sueurs.

Ç Elle est malade, trs-malade, dit le Plerin, et d'une maladie o les causes naturelles ne sont pour rien. Elle est dans un Žtat de changement perpŽtuel; tant™t inondŽe d'une sueur glacŽe comme si elle Žtait ˆ l'agonie, tant™t comme brillante de santŽ : elle tombe d'une dŽfaillance dans une autre. Elle dit qu'elle a entrepris une grande chose et qu'elle a dŽjˆ beaucoup fait. Quand ses souffrances deviennent tout ˆ fait intolŽrables, il lui vient une vision qui la console et la rŽjouit au point qu'elle ne peut s'empcher de rire. Ainsi lorsqu'elle Žtait tout abattue par l'excs de souffrances, saint Beno”t est venu et l'a plaisantŽe amicalement de ce qu'elle trŽbuchait toujours comme un petit enfant, quoique dŽjˆ avancŽe en ‰ge. Saint Joseph l'a conduite dans un champ plein de fleurs et lui a dit : Ç Marche dessus sans en briser aucune. È Cela ne lui Žtait pas possible; il n'y a que l'enfant JŽsus qui le puisse, et Joseph lui dit : Ç Tu, vois bien que tu n'es pas ˆ ta place ici. È On lui a montrŽ aussi un grand trŽsor formŽ de perles, c'est-ˆ-dire de gr‰ces perdues et foulŽes aux pieds, qu'elle doit recueillir ˆ l'aide de ses souffrances afin de payer la dette de ceux qui ont mŽprisŽ ces gr‰ces. Ses sueurs sont un supplice qui l'affaiblit mortellement; elle l'offre constamment pour les ‰mes du purgatoire. Elle a ŽtŽ souvent aussi conduite prs d'elles et a vu que ces ‰mes devenaient plus claires d'heure en heure et la remerciaient pour la consolation que leur avait procurŽe l'offrande faite pour elles. ƒtant allŽe dans la maison des noces, elle y a vu de nouveau les dangereuses menŽes du faux prŽtendu de la fiancŽe. Ç Dans la maison des noces, dit-elle, j'ai trouvŽ peu d'ecclŽsiastiques qui fussent ˆ mon grŽ. Il m'a fallu faire la cuisine pour eux, c'est-ˆ-dire leur prŽparer des aliments spirituels. Beaucoup se mirent ensemble ˆ table et je vis celui que j'avais portŽ s'y asseoir trs-effrontŽment avec cinq de ses adhŽrents. J'avais prŽparŽ trois plats que j'apportai ; alors cet impudent dit d'un air trs-dŽdaigneux : Ç Le Pape nous a donnŽ lˆ un fameux cuisinier; maintenant nous n'aurons ˆ manger que des pois gris. È

 

14. Dans la semaine d'aprs P‰ques de 1820, elle eut une vision touchant le mal immense que cet homme et ses adhŽrents faisaient ˆ l'ƒglise et celui que faisaient les rŽsolutions de Francfort. Ç Je vis, dit-elle, sur une verte prairie (note) beaucoup de gens, parmi lesquels il y avait des savants, se rŽunir ˆ part : et il apparut une nouvelle Žglise dans laquelle ils se trouvrent rassemblŽs. Cette Žglise Žtait ronde avec une coupole grise et tant de gens y affluaient que je ne comprenais pas comment l'Ždifice pouvait les contenir tous. C'Žtait comme un peuple entier. Cependant elle devenait de plus en plus sombre et noire et tout ce qui s'y faisait Žtait comme une noire vapeur.

 

(note) La plaine verte ou la prairie dŽsigne les ftes de l'ƒglise, l'annŽe ecclŽsiastique, la communion des fidles dont les propagateurs et amis des prŽtendues lumires ne veulent pas sortir, malgrŽ leur incrŽdulitŽ et leur rŽvolte coutre les chefs de l'ƒglise, parce qu'ˆ la manire des jansŽnistes, ils travaillent ˆ dŽtruire l'ƒglise du dedans au dehors. C'est pourquoi ils se rassemblent Ç ˆ part È sur la prairie, c'est-ˆ-dire dans l'ƒglise, y b‰tissent une Žglise Ç particulireÈ o ils rŽpandent Ç leurs lumires, È c'est-ˆ-dire la nuit de l'incroyance et les horreurs de la mort spirituelle. Lˆ o pŽntrent les prŽtendues Çlumires, È elles produisent les tŽnbres, la mort et la pourriture.

 

Ces tŽnbres se rŽpandirent au dehors, toute la verdure se flŽtrit; plusieurs paroisses des environs furent envahies par l'obscuritŽ et la sŽcheresse, et la prairie ˆ une grande distance devint comme un sombre marŽcage. Je vis alors plusieurs troupes de gens bien intentionnŽs, courir vers un c™tŽ de la prairie o il y avait encore de la verdure et de la lumire. Je ne puis trouver de termes pour dŽcrire l'action terrible, sinistre, meurtrire, de cette ƒglise. Toute verdure se dessŽchait, les arbres mouraient, les jardins perdaient leur parure. Je vis, comme on peut voir dans une vision, les tŽnbres produire leur effet ˆ une grande distance ; partout o elles arrivaient, s'Žtendait comme une corde noire. Je ne sais pas ce que devinrent toutes les personnes qui Žtaient entrŽes dans l'Žglise. C'Žtait comme si elle dŽvorait les hommes (note) : elle devenait de plus en plus noire, elle ressemblait tout ˆ fait ˆ du charbon de forge et s'Žcaillait d'une manire affreuse. Aprs cela j'allai, guidŽe par trois Anges, dans un lieu verdoyant entourŽ de murs, grand ˆ peu prs comme le cimetire qui est ici devant la porte ; j'y fus placŽe comme sur une banquette ŽlevŽe. Je ne sais pas si j'Žtais vivante ou morte; mais j'avais une longue robe blanche. Le plus grand des trois me dit : Ç Dieu soit louŽ ! Il restera encore ici de la lumire et de la verdure. È Alors il tomba du ciel, entre moi et l'Žglise noire, comme une pluie de perles brillantes et de pierres prŽcieuses Žblouissantes (note) et l'un de mes compagnons m'ordonna de les recueillir. Puis ils me quittrent. Je ne sais s'ils partirent tous ; je me souviens seulement que, dans la grande anxiŽtŽ que me causait l'Žglise noire, je n'eus pas le courage de recueillir les pierres prŽcieuses.

 

         (note) C'est-ˆ-dire dans le sens spirituel, elle les prive de la vie de la gr‰ce par la destruction de la foi et de la vie chrŽtienne qui na”t de la foi.

         (note) Les mŽrites de ses souffrances et de ses prires qui arrtent le progrs de la corruption.

 

Mais lorsque l'Ange revint ˆ moi, il me demanda si je les avais recueillies et je lui rŽpondis que non; sur quoi il m'ordonna de le faire tout de suite. Alors je me tra”nai en avant et je trouvai encore trois petites pierres avec des facettes taillŽes comme des cristaux. Elles Žtaient rangŽes par ordre : la premire Žtait bleue, la seconde d'un rouge clair, la troisime d'un blanc brillant et transparent. Je les portai ˆ mes deux autres compagnons qui Žtaient plus petits que le premier, et, tout en marchant ˆ et lˆ, ils les frottrent les unes contre les autres et en firent jaillir les plus belles couleurs et les plus beaux rayons de lumire qui se rŽpandirent partout. Lˆ o ils arrivaient, la verdure renaissait, la lumire et la vie se propageaient. Je vis aussi d'un c™tŽ l'Žglise tŽnŽbreuse se dŽgrader. Puis, tout ˆ coup, une trs-grande foule se rŽpandit dans la contrŽe verdoyante et ŽclairŽe, se dirigeant vers une ville lumineuse. De l'autre c™tŽ de l'Žglise noire tout resta encore dans une nuit sombre. È

 

15. La vision suivante, o tous les ravages exercŽs par l'incrŽdulitŽ dans l'ƒglise de son Žpoque et le renouvellement futur de celle-ci lui furent montrŽs, comprend encore plus de choses. Il lui fut dit, ˆ cette occasion, que la vision embrassait sept pŽriodes de temps. Malheureusement, lorsqu'elle la raconta, elle ne fut pas en Žtat de bien marquer ces pŽriodes, ni de dire, parmi les scnes et les faits qui passrent sous ses yeux, lesquels auraient lieu de son vivant, lesquels se produiraient seulement aprs sa mort.

         Ç Je vis la terre comme une surface ronde qui Žtait couverte d'obscuritŽ et de tŽnbres. Tout se dessŽchait et semblait pŽrir. Je vis cela avec des dŽtails innombrables chez des crŽatures de toute espce, telles que les arbres, les arbrisseaux, les plantes, les fleurs et les champs. C'Žtait comme si l'eau Žtait pompŽe dans les ruisseaux, les fontaines, les fleuves et les mers, ou comme si elle retournait ˆ sa source, aux eaux qui sont au-dessus du firmament et autour du paradis. Je traversai la terre dŽsolŽe et je vis les fleuves comme les lignes menues, les mers comme de noirs ab”mes o l'on ne voyait plus qu'au centre quelques flaques d'eau. Tout le reste Žtait une vase Žpaisse et trouble dans laquelle je voyais les animaux et des poissons Žnormes embourbŽs et luttant contre la mort. J'allai assez loin pour pouvoir reconna”tre le rivage de la mer o j'avais vu autrefois noyer saint ClŽment. Je vis aussi des lieux et des hommes dans le plus triste Žtat de confusion et de perdition et je vis, ˆ mesure que la terre devenait plus dŽsolŽe et plus aride, les Ïuvres tŽnŽbreuses les hommes aller croissant. Je vis beaucoup d'abominations dans un grand dŽtail; je reconnus Rome et je vis l'ƒglise opprimŽe et sa dŽcadence ˆ l'intŽrieur et ˆ l'extŽrieur. Je vis de grandes troupes venant de plusieurs pays se diriger sur un point et des combats se livrer partout. Je vis au milieu d'eux une grande tache noire, comme un Žnorme trou; ceux qui combattaient ˆ l'entour devenaient de moins en moins nombreux, comme si plusieurs y fussent tombŽs sans qu'on le remarqu‰t. Pendant ce temps, je vis encore au milieu des dŽsastres les douze hommes dont j'ai dŽjˆ parlŽ, dispersŽs en diverses contrŽes sans rien savoir les uns des autres, recevoir des rayons de l'eau vive. Je vis que tous faisaient le mme travail de divers c™tŽs; qu'ils ne savaient pas dÕo il leur Žtait commandŽ et que quand une chose Žtait faite, une autre leur Žtait donnŽe ˆ faire. Ils Žtaient toujours douze, dont aucun n'avait plus de quarante ans. Il y avait parmi eux trois prtres et quelques-uns qui voulaient le devenir. Je vis aussi qu'il y en a un avec lequel j'ai quelque fois des rapports, qui est connu de moi ou qui demeure dans mon voisinage. Il n'y avait rien de particulier dans leur costume, mais chacun Žtait

habillŽ ˆ la faon de son pays et suivant la mode actuelle : je vis que tous recevaient de Dieu ce qui s'Žtait perdu et qu'ils opŽraient le bien de tous les c™tŽs ; ils Žtaient tous catholiques. Je vis aussi chez les tŽnŽbreux destructeurs de faux prophtes et des gens qui travaillaient contre les Žcrits des douze nouveaux ap™tres. Je vis souvent ceux-ci dispara”tre dans le tumulte et toujours en sortir plus brillants. Je vis aussi une centaine de femmes assises comme dans l'Žtat de ravissement et prs d'elle des hommes qui les magnŽtisaient; je les vis prophŽtiser. Mais elles m'inspiraient de la rŽpugnance et de l'horreur et, comme je crus voir aussi la personne de Munster (note), je me dis avec anxiŽtŽ que du moins le pre (son confesseur) ne serait pas prs d'elle. Comme les rangs de ceux qui combattaient au tour de l'ab”me tŽnŽbreux allaient s'Žclaircissant de plus en plus, et comme pendant le combat toute une ville avait disparu (note), les douze hommes apostoliques gagnaient sans cesse un plus grand nombre d'adhŽrents, et de l'autre ville (Rome, la vŽritable ville de Dieu) partit comme un coin lumineux qui entra dans le disque sombre. Je vis au-dessus de l'Žglise, fort amoindrie, une femme majestueuse revtue d'un manteau bleu de ciel qui s'Žtalait au loin, et portant une couronne d'Žtoiles sur sa tte. La lumire partait d'elle et entrait toujours plus avant dans les sombres tŽnbres. Lˆ o cette lumire pŽnŽtrait, tout se renouvelait et fleurissait. Je vis dans une grande ville une Žglise qui Žtait la moindre devenir la premire (note). Les nouveaux ap™tres se rŽunirent tous dans la lumire.

 

(note) Voir le tome 1er

(note) C'est-ˆ-dire l'Ždifice de la fausse Žglise avec ses dŽpendances.

(note) Allusion ˆ la naissance de l'archiconfrŽrie du Trs-Saint et ImmaculŽ Coeur de Marie comme commencement de la rŽnovation de la vie chrŽtienne. La moindre Žglise de Paris, Notre-Dame-des-Victoires, est vŽritablement devenue une des premires Žglises du monde et un gage que Marie Žcrasera la tte de l'incrŽdulitŽ et de l'hŽrŽsie.

 

J'ai cru me voir au premier rang avec d'autres que je connaissais, (c'est-ˆ-dire avec ceux qui avaient contribuŽ comme elle et d'une manire semblable au bienfait de la rŽnovation). Maintenant tout refleurissait. Je vis un nouveau Pape trs ferme, je vis aussi le noir ab”me se rŽtrŽcir de plus en plus : ˆ la fin il Žtait arrivŽ ˆ ce point qu'un seau d'eau pouvait en couvrir l'ouverture. En dernier lieu je vis encore trois troupes ou trois rŽunions d'hommes s'unir ˆ la lumire. Ils avaient parmi eux des gens de bien ŽclairŽs, et ils entrrent dans l'Žglise. Alors tout se renouvela. Les eaux abondaient de toutes parts: tout Žtait vert et fleuri. Je vis b‰tir des Žglises et des couvents. Pendant que l'affreuse sŽcheresse durait encore, je fus portŽe ˆ travers une prairie verdoyante, pleine de ces fleurs blanches que j'avais eues ˆ cueillir autrefois. Ensuite je rencontrai une haie d'Žpines ˆ laquelle je m'Žtais fort dŽchirŽe pendant la pŽriode des tŽnbres: elle Žtait maintenant couverte de fleurs et j'y entrai joyeusement.

 

         16. Elle vit aussi, avec leurs terribles consŽquences, les mesures que les propagateurs des lumires prenaient, partout o ils arrivaient au pouvoir et ˆ l'influence, pour abolir le culte divin ainsi que toutes les pratiques et les exercices de piŽtŽ, ou pour en faire quelque chose d'aussi nul et d'aussi vain que l'Žtaient les grands mots de lumire, de charitŽ, d'esprit, sous lesquels ils cherchaient ˆ cacher ˆ eux-mmes et aux autres le vide dŽsolant de leurs entreprises o Dieu n'Žtait pour rien.

         Le 12 avril 1820, elle raconta ce qui suit: Ç J'ai eu encore une vision sur la grande tribulation, soit chez nous, soit dans des pays ŽloignŽs. Il me semblait voir qu'on exigeait du clergŽ une concession qu'il ne pouvait pas faire. J'ai vu beaucoup de vieux prtres et quelques vieux franciscains, qui toutefois ne portaient pas l'habit de leur ordre et notamment un ecclŽsiastique trs-‰gŽ, pleurer bien amrement. J'en vis aussi quelques jeunes pleurer avec eux. J'en vis d'autres, parmi lesquels tous les tides, se prter volontiers ˆ ce qu'on demandait d'eux. Je vis les vieux, qui Žtaient restŽs fidles, se soumettre ˆ la dŽfense avec une grande affliction et fermer leurs Žglises. Je vis beaucoup d'autres gens pieux, paysans et bourgeois, s'attacher a eux : c'Žtait comme si l'on se divisait en deux partis, un bon et un mauvais. È

         Comme les propagateurs des lumires portaient une haine toute spŽciale ˆ la dŽvotion du rosaire, l'importance de cette dŽvotion lui fut montrŽe dans une vision d'un sens trs profond. Ç Je vis, dit-elle, le rosaire de Marie avec tous ses mystres. Un pieux ermite avait imaginŽ cette manire d'honorer la Mre de Dieu et lui avait tressŽ, en toute simplicitŽ, des guirlandes de fleurs et de plantes. Il avait une rare intelligence de la signification de toutes les plantes et de toutes les fleurs; ses guirlandes avaient un sens symbolique de plus en plus profond. Alors, la sainte Vierge ayant demandŽ ˆ son fils une gr‰ce pour lui, il lui donna le rosaire. È Aprs cela, Anne Catherine fit la description du rosaire; mais il fut impossible au Plerin de reproduire ses paroles, elle-mme, ˆ l'Žtat de veille, ne pouvant bien exprimer ce qu'elle avait vu. Elle vit le rosaire entourŽ de trois rangŽes de feuilles dentelŽes de diverses couleurs, sur lesquelles tous les mystres de l'ƒglise contenus dans l'Ancien et le Nouveau Testament Žtaient reprŽsentŽs en figures transparentes. Au centre du rosaire se tenait Marie avec l'enfant JŽsus. D'un c™tŽ elle Žtait entourŽe d'anges, de l'autre de vierges qui se donnaient la main. Tout avait lˆ sa signification et indiquait par la couleur, la matire et les attributs, l'essence la plus intime des choses. Alors elle dŽcrivit chacune des perles du rosaire et commena par la croix de corail sur laquelle on rŽcite le Credo. Cette croix sortait d'un fruit qui ressemblait au fruit de l'arbre de la science. Elle Žtait travaillŽe ˆ jour, d'une couleur particulire et couverte de petits clous. Dans l'intŽrieur Žtait l'image d'un jeune homme, de la main duquel sortait un cep de vigne s'Žtendant vers les branches de la croix sur lesquelles Žtaient assises d'autres figures qui suaient des grains de raisin. Les divers grains du rosaire Žtaient reliŽs entre eux par des rayons de couleurs variŽes formant des anneaux et semblables ˆ des racines, conformŽment ˆ leur signification naturelle et mystique. Chaque Pater Žtait entourŽ d'une guirlande de feuilles particulire. Du milieu de cette guirlande sortait une fleur dans laquelle apparaissait un des mystres joyeux ou douloureux de la sainte Vierge. Les divers Ave Maria Žtaient des Žtoiles formŽes de certaines pierres prŽcieuses sur lesquelles les patriarches et les anctres de Marie Žtaient figurŽs dans des scnes qui se rapportaient ˆ la prŽparation de l'Incarnation et de la RŽdemption. Ainsi, ce rosaire embrassait le ciel et la terre, Dieu, la nature, l'histoire, la restauration de toutes choses et de l'homme par le RŽdempteur qui est nŽ de Marie ; et chaque figure, chaque matire, chaque couleur, suivant sa signification essentielle, Žtait employŽe ˆ l'accomplissement de cette oeuvre d'art divine. Quelque indescriptible que fžt ce rosaire, ˆ raison du sens profond qu'il prŽsentait, la description qu'en faisait la voyante Žtait touchante et pleine de na•vetŽ. Tremblante de joie, elle allait d'une feuille ˆ l'autre, d'une figure l'autre et dŽcrivait tout avec la promptitude inquite et joyeuse d'un enfant plein de vivacitŽ. Ç Ceci est le Rosaire, disait-elle, tel que la Mre de Dieu l'a donnŽ aux hommes comme la dŽvotion qui lui plait le plus. Peu l'ont dit de cette manire. Il a ŽtŽ aussi montrŽ ˆ saint Dominique par Marie. Sur la terre, il a ŽtŽ tellement sali et souillŽ de poussire que Marie l'a recouvert de son voile, comme d'un nuage ˆ travers lequel il brille. Il faut une grande gr‰ce, beaucoup de simplicitŽ et de piŽtŽ pour le comprendre encore. Il est voilŽ et tenu ˆ distance; on ne peut s'en rapprocher que par la pratique et la mŽditation. È

 

         17. Pendant toute l'octave de la Fte-Dieu de 1821, elle eut des visions sur l'Žtat de la dŽvotion envers le Saint-Sacrement dans tous les pays allemands. Elle gŽmissait au milieu de ses souffrances en voyant combien cette dŽvotion Žtait abandonnŽe et elle assurait que, s'il y avait quelque amŽlioration, c'Žtait lˆ o le Saint-Sacrement Žtait frŽquemment exposŽ et portŽ en procession : si on ne faisait pas ces choses au moyen desquelles la foi jette de temps en temps dans une ‰me tide de nouvelles et plus fortes racines, la dŽvotion au Saint-Sacrement tomberait tout ˆ fait en dŽcadence et le sacrement lui-mme dans l'oubli. Elle disait cela en l'appliquant particulirement ˆ cette partie de l'ƒglise o elle a vu toutes choses se dessŽcher et mourir devant le progrs des lumires et sous le rŽgime de la libertŽ, de la charitŽ et de la tolŽrance, et elle eut ˆ supporter, pour le renouvellement futur de la foi et de la piŽtŽ, de grandes souffrances qui lui arrivrent sous la forme de travaux trs-pŽnibles dans la vigne o elle eut ˆ arracher beaucoup d'orties et de mauvaises herbes. Ses mains Žtaient alors toutes couvertes de taches bleues et de piqžres comme celles de l'ortie. Dans le mois de dŽcembre ses regards furent encore appelŽs de ce c™tŽ et le spectacle de la corruption toujours croissante lui inspira une telle compassion que, toute surchargŽe qu'elle fžt d'ailleurs de peines de toute espce, elle supplia Dieu de lui envoyer de nouvelles souffrances. Elle sentait bien qu'elle en prenait trop sur elle, mais les peines que lui causait la charitŽ lui semblaient plus grandes qu'aucun martyre corporel; aussi ne cessait-elle de demander ˆ Dieu des souffrances pour l'expiation des outrages faits au Saint-Sacrement. Elle fut exaucŽe; mais ˆ condition qu'elle demanderait la permission de son confesseur, afin que le mŽrite de l'obŽissance lui donn‰t la force de ne pas succomber ˆ des tourments si grands et si multipliŽs. Voici ce que le Plerin rapporte ˆ la date du 12 dŽcembre 1821, qui tombe dans l'octave de la trs-sainte et immaculŽe Conception de Marie : Ç Depuis quelques jours et quelques nuits, elle a continuellement des crampes dans le bas-ventre une toux convulsive et des crachements de sang. Elle est souvent en dŽfaillance et dans un Žtat de prostration presque mortel, mais elle a des visions incessantes sur les dangers que court la foi. Ç Je dois souffrir cela, dit-elle en extase, je l'ai pris sur moi. J'espre pouvoir y rŽsister. È Puis elle voulut tout ˆ coup s'Žlancer hors du lit et s'Žcria: Ç Il faut que je voie mon confesseur, pour lui demander si je le puis. Je dois encore ouvrir une fontaine dans le coeur le JŽsus. Il y a cinq sources, mais qui sont tout ˆ fait obstruŽes par les hommes. HŽlas ! ils ne laissent pas l'eau de ces sources arriver ˆ eux. Je dois encore entreprendre cela ; je demande un nouveau travail quoique je n'en aie pas fini avec l'ancien. Je dois demander ˆ mon confesseur s'il me le permet. È Mais le confesseur n'Žtait pas prŽsent et la malade rŽpŽta encore plusieurs fois, quoiqu'inutilement, la mme prire afin de pouvoir dŽgager la source obstruŽe. Le Plerin crut au commencement qu'elle Žtait en dŽlire ; cependant il eut bient™t ˆ rapporter ce qui suit : Ç Son Žtat est de plus en plus dŽsespŽrŽ ; c'est un inextricable labyrinthe de tortures, de dŽfaillances, de vomissements et de sueurs de sang, de crampes dans le bas-ventre, de soif ardente avec impossibilitŽ de boire, de tentations continuelles d'impatience et de combats pour y rŽsister, de propension ˆ tout prendre en mal et de luttes ˆ l'encontre. Et le jour d'aprs : Ç Aujourd'hui s'est produit tout ˆ coup un Žtat tout diffŽrent de celui de la semaine passŽe, savoir une douloureuse paralysie des membres avec tous les tourments de la goutte la plus violente. On ne pouvait pas la toucher sans que la douleur la fit soupirer et pourtant il fallut la mettre plusieurs fois sur son sŽant pendant la nuit, ˆ cause des souffrances de la rŽtention. Elle est trop faible pour rendre compte du rapport intime de ses souffrances avec son travail de prire. Dans l'aprs-midi, comme le Plerin Žtait assis avec le confesseur dans la pice voisine, ils ne furent pas mŽdiocrement effrayŽs l'un et l'autre, quand la malade, que la goutte rendait incapable d'aucun mouvement, sortit tout ˆ coup de son lit, nu-pieds, entra dans la chambre les mains jointes et d'un pas assurŽ, et s'agenouillant devant le confesseur, lui dit : ÇJe demande une bŽnŽdiction; j'en ai besoin pour une personne ˆ qui certaines circonstances la rendent nŽcessaire. È Il lui donna tranquillement sa bŽnŽdiction et le squelette ambulant retourna ˆ son lit d'un pas aussi sžr que l'ežt fait une personne bien portante. En pareil cas, le moindre de ses mouvements a quelque chose de saisissant et de touchant au delˆ de tout ce qu'on peut dire. Ce n'est pas lˆ se mouvoir avec la conscience de ce qu'on fait comme font d'autres personnes, mme les plus gracieuses. On dirait d'une plante qui se tourne vers la lumire. Il y a lˆ quelque chose d'involontaire et de surprenant qu'on ne peut dŽcrire. Peu auparavant elle avait dit : Ç La terre est jonchŽe de feuilles de rose; quelqu'un devrait bien aller lˆ. È Aprs la bŽnŽdiction, elle dit qu'elle avait toujours oubliŽ de se confesser d'avoir si souvent suivi son propre sentiment et que cela l'avait bien tourmentŽe ; maintenant qu'elle avait reu l'absolution, elle se sentait le coeur lŽger. Quand plus tard elle sortit de l'Žtat d'extase, elle Žtait trs-fatiguŽe, trs-faible et elle avait le sentiment que tout un monde de souffrances pesait sur elle. Elle revint de nouveau ˆ sa vision o il lui fut montrŽ que pour une infinitŽ de personnes qui avaient bonne volontŽ, l'accs aux sources de gr‰ce du coeur de JŽsus se trouvait empchŽ et formŽ par la suppression des exercices de dŽvotion, par la cl™ture et la profanation des Žglises. Elle avait aussi reu lÕavis de faire pour cela un exercice spŽcial de dŽvotion en honneur du SacrŽ-Coeur de JŽsus. Ç Les grandes crises de souffrance, dit-elle, sont prŽcŽdŽes par des visions de roses et de fleurs semŽes sur moi et qui reprŽsentent les diffŽrentes espces de douleur. Ainsi, lorsque les douleurs de goutte m'ont prise, j'ai vu une pyramide d'Žpines toute couverte de roses et j'ai soupirŽ, pleine d'effroi, ˆ la pensŽe que j'avais ˆ la gravir. È

Dans une autre occasion elle pronona ces paroles sŽvres : Ç Je vois les ennemis du Saint-Sacrement qui ferment les Žglises et empchent qu'on l'adore, s'attirer un terrible ch‰timent. Je les vois malades et au lit de la mort sans prtre et sans sacrements. È

 

18. Depuis le dimanche de Quasimodo jusqu'au troisime dimanche aprs P‰ques (1820), ses souffrances expiatoires augmentrent ˆ tel point que son entourage, bien qu'accoutumŽ depuis longtemps ˆ de pareils spectacles, pouvait ˆ peine en supporter la vue. Anne Catherine souffrait ˆ cause des attaques dirigŽes par les adhŽrents de Wessenberg contre le cŽlibat des prtres et des scandales sans nombre liŽs ˆ ces malheureuses menŽes. Ses souffrances corporelles furent peut-tre encore moins pŽnibles pour elle que les efforts maladroits et dŽsordonnŽs de son entourage pour lui porter secours et le trouble qui en rŽsultait dans la paix du mŽnage. Quelque temps auparavant le frre du Plerin Žtait arrivŽ ˆ Dulmen. Ayant trouvŽ un jour les souffrances de la malade augmentŽes par le tapage qui se faisait dans le jeu de quilles Žtabli sous ses fentres, il prit la rŽsolution bien arrtŽe de la transporter dans une autre demeure plus tranquille. Il chercha par de sŽrieuses reprŽsentations ˆ gagner ˆ son projet l'approbation du confesseur, de Wesener et, par l'intermŽdiaire de ceux-ci, celle de l'abbŽ Lambert, alors malade et forcŽ de garder le lit; mais ce dernier rŽsista. Quand Wesener voulut lui persuader d'y consentir, ce vieillard, affligŽ de pŽnibles infirmitŽs corporelles et fort dŽsireux de finir ses jours en paix, se tra”na Ç plein d'affliction È (note) prs du lit de la malade pour dŽclarer qu'il voulait mourir tranquille dans l'ancien logement et qu'il ne pouvait pas se transporter dans un autre. Le souci que lui causait cette affaire l'avait entirement bouleversŽ, il en devint plus malade, fut pris de coliques et de vomissements. Elle-mme, par suite d'instances du mme genre, tomba dans l'Žtat le plus dŽplorable. A cela vint s'ajouter que chacune des personnes nommŽes plus haut la pressait d'employer tel ou tel remde, sans tenir compte de la signification intŽrieure et spirituelle de souffrances extraordinaires qui naturellement n'auraient pu avoir pour terme que la mort. Dieu seul sait ce qu'il en cožta ˆ la pauvre malade pour conserver la patience au milieu de ce dŽsordre irritant et l'on comprendra qu'elle dŽsir‰t ardemment voir Overberg afin que son autoritŽ lui rendit le repos dont elle avait besoin. Mais Žcoutons les dŽtails donnŽs par le Plerin, ˆ la date du 15 avril : Ç Je la trouvai dans un tel Žtat de souffrance qu'il lui Žtait impossible de parler. Pendant toute la nuit elle avait eu une douleur si excessive dans le c™tŽ droit qu'elle ne pouvait remuer ni la main, ni le pied. Elle n'Žtait pas mme en Žtat d'Žloigner ses pieds de la bouteille d'eau chaude qu'on avait placŽe dans son lit, ni d'Žtendre la main pour prendre un verre. Elle resta ainsi toute la nuit en proie ˆ une soif ardente, s'abandonnant entirement ˆ la misŽricorde de Dieu. Les lŽsions causŽes dans l'intŽrieur du bas-ventre par l'accident du panier de linge arrivŽ au couvent se font sentir de nouveau avec une extrme violence. Elle souffre aussi d'une rŽtention d'urine absolue.

 

(note) Ce sont les paroles du Plerin.

 

Quand son confesseur la visita le lendemain matin, il lui fallut subir des lotions d'eau-de-vie sur le corps. Ce fut en vain qu'elle essaya de se soustraire ˆ ce traitement. Son mal en fut aggravŽ. È

 

         16 avril. Ç Les douleurs de la plaie du c™tŽ lui sont encore bien plus sensibles que les souffrances dans le bas ventre. Elles ont commencŽ par une vision sur l'incrŽdulitŽ de saint Thomas. Il y eut encore effusion de sang au mme endroit pendant qu'elle contemplait une scne de l'ƒvangile d'aujourd'hui dimanche, et elle eut souvent la sensation que l'air entrait et sortait par la plaie lorsqu'elle respirait, si bien qu'elle mit la main devant. La rŽtention est de plus en plus pŽnible. En outre, le bruit du jeu de quilles sous ses fentres lui est extrmement incommode. Un ami cherche ˆ lui persuader d'aller se loger ailleurs. È

 

         17. Ç Les douleurs s'accroissent, l'inflammation augmente, le corps enfle. Elle perd souvent connaissance par suite des souffrances que lui cause la rŽtention ; elle reste tout ˆ fait sans mouvement et ressemble au cadavre d'une personne morte d'inanition. Souvent, au milieu de ses souffrances, elle ressent une faim subite et tellement violente du Saint-Sacrement que son coeur est tout bržlant pendant que ses mains sont froides et livides comme si elle Žtait morte. È

 

         18. Ç Son Žtat est lamentable. Son confesseur a demandŽ au curŽ de Haltern de venir pour prier sur la malade et la bŽnir. Cela lui procure du soulagement; mais le soir le confesseur requiert l'application de l'eau-de-vie. Elle obŽit, et les douleurs augmentent ˆ tel point qu'elle dit en gŽmissant : Ç Je me suis attirŽ cela moi-mme, parce que je n'ai pas cessŽ de demander des souffrances expiatoires. Maintenant le feu doit faire son oeuvre jusqu'au bout. Je dois tout abandonner ˆ Dieu. È

 

         19. Ç Elle a ŽtŽ toute la nuit en proie ˆ une chaleur ardente et elle n'ose pas boire ˆ cause de sa rŽtention. Le curŽ de Haltern est encore venu aujourd'hui et lui a procurŽ du soulagement par ses prires et sa bŽnŽdiction. Dans l'aprs-midi, quand le Plerin l'a visitŽe, il l'a trouvŽe sur sa couche dans une position tout autre que sa position ordinaire. Elle avait la tte lˆ o sont ordinairement les pieds et poussait des gŽmissements que la douleur lui arrachait; elle Žtait ramassŽe sur elle-mme dans son lit et croyait trouver du soulagement dans cette position. Elle avait une fivre des plus violentes. Maintenant la douleur s'est concentrŽe sur le c™tŽ droit de la colonne vertŽbrale. Elle remerciait Dieu de ses souffrances, se sentait prs des ‰mes en peine et se rŽjouissait d'tre dans le purgatoire et de ne plus pouvoir offenser Dieu.

 

         20. Ç Les douleurs durent toujours. Elle voit toutes les parties intŽrieures de son corps qui sont lŽsŽes et douloureuses. Son lit est trempŽ de sueur jusqu'ˆ la paillasse. Sa soeur, quoique peu facile ˆ Žmouvoir, ne peut s'empcher de pleurer ˆ l'aspect de semblables souffrances. La malade dit au Plerin que, si elle ne reoit point d'assistance, elle mourra, car elle ne peut plus supporter les douleurs qu'elle Žprouve. Elle est toute dŽfigurŽe. Elle a appelŽ en toute h‰te le curŽ de Haltern, qui n'a pas tardŽ ˆ venir, lui a parlŽ, a fait des prires prs d'elle et lui a imposŽ les mains, sur quoi elle s'est bient™t endormie d'un doux sommeil. Elle a dit ˆ ce propos : Ç J'avais priŽ ardemment pour que Dieu me pardonn‰t d'avoir demandŽ un supplice que je ne pourrais pas supporter jusqu'au bout, mais je l'ai suppliŽ aussi d'avoir pitiŽ de moi en vue du sang de son fils et de vouloir bien me venir en aide, si je puis faire encore quelque chose de bon sur la terre. Je sens bien que si je mourais de ce mal que j'ai obtenu ˆ force d'instances, j'aurais causŽ ma mort, ce qu'il me faudrait expier en Purgatoire. N'ayant obtenu d'autre rŽponse que celle-ci : Ç Le feu que tu as pris sur toi doit bržler jusqu'ˆ la fin, È je ne me suis plus laissŽe aller ˆ aucune espŽrance, car je vis tout de suite que jՎtais dans un Žtat extrmement dangereux et je recommandai ˆ Dieu bien des choses qu'il me fallait laisser derrire moi sans les rŽgler. Lorsque le curŽ m'a imposŽ les mains et a priŽ, on ežt dit qu'un courant de lumire plein de douceur passait ˆ travers moi; je me suis endormie, j'ai eu une vision o il me semblait que j'Žtais enfant et qu'on me berait. Ce fut aussi comme si une lumire reposait sur moi et quand il retira sa main, cette lumire s'Žvanouit. Je me sentis beaucoup mieux et je repris de l'espŽrance. È Vers midi le mal empira, le vieux malade Lambert lui imposa aussi la main, dit un rosaire et ce fut encore un secours pour elle. Plus tard le Plerin lui mit dans la main les crožtes de ses stigmates. Elle sourit d'un air ŽtonnŽ et dit : Ç Je vois lˆ une pauvre personne dans un bien triste Žtat. Le curŽ de Haltern doit la conna”tre; elle est couchŽe en face de moi, elle est bien plus ˆ plaindre que moi, mais elle est patiente. HŽlas ! elle est en grand danger; pourtant le curŽ lui a fait beaucoup de bien. Je ne puis plus la voir souffrir, cela me rend plus malade. Je veux prier pour elle; cela servira aussi ˆ m'humilier, car elle est bien meilleure, bien plus malade et bien plus patiente que moi. È Le Plerin reprit le papier o Žtaient les crožtes des stigmates.

 

         21. Ç Aujourd'hui elle a paru se trouver mieux : sainte Walburge et Madeleine d'Hadamar l'ont consolŽe; elle est le plus souvent absente en esprit. È

 

         22. Ç Les douleurs et la rŽtention n'ont plus la mme intensitŽ, mais la prostration des forces est si grande qu'elle peut ˆ peine parler. Le confesseur lui a dit aujourd'hui : Ç Vous ne voulez pas de spiritueux et pourtant j'ai bien vu par moi-mme combien leur emploi est bon pour le bas-ventre et pour le dos ! È

 

         23 avril, deuxime dimanche aprs P‰ques. Ç Sur la demande de Lambert et de la soeur d'Anne Catherine, la ma”tresse de la maison a apportŽ aujourd'hui une petite tasse de bouillon de poulet fort lŽger et sans sel. Tous trois tourmentrent la malade pour lui en faire prendre, car, disaient-ils, elle ne pourrait recouvrer ses forces si elle restait sans nourriture. Elle se soumit avec patience ˆ ce qu'on lui demandait et prit le bouillon; mais elle ressentit ˆ l'instant de fortes nausŽes et jusqu'au soir elle fut dans un tel Žtat que tous pleuraient, s'attendant ˆ la voir mourir. Elle avait une fivre des plus violentes, le frisson et la chaleur se succŽdaient rapidement et la douleur au bas-ventre avait ŽtŽ remplacŽe tout ˆ coup par un Žtat d'insensibilitŽ complte, sympt™me de gangrne, suivant le mŽdecin. ArrivŽe au dernier degrŽ de faiblesse, elle dit en souriant : Ç Je ne suis plus malade, je ne sens plus aucune douleur. È Le confesseur voulait qu'elle dormit, mais son ardente fivre ne le lui permit pas et elle dit d'une voix suppliante : Ç Je le voudrais bien, mais je ne puis pas. È Comme alors elle cherchait de la force dans de tendres effusions d'amour vers Dieu auquel elle parlait ˆ voix basse, le confesseur reprit : Ç Que voulez-vous aux saints? Dormez, soyez bien obŽissante. È Ç HŽlas! dit-elle encore, je ne le puis pas; je le voudrais pourtant bien. È A la fin elle tomba en extase et tout son corps se raidit, mais lˆ o les doigts du prtre la touchaient, ses muscles battaient (note) en mme temps que la fivre s'apaisait. È

 

(note) Ce battement, dit le Plerin dans ses notes, est un tŽmoignage intŽrieur de la plus grande importance que la nature rend ˆ l'ƒglise, mais il reste incompris : on ne l'observe malheureusement qu'ˆ la lŽgre et sans tirer les consŽquences de ses propres apprŽciations.

 

24 avril. Ç Le mŽdecin et le confesseur sont inquiets de l'invasion de la gangrne. Elle-mme dŽsire l'extrme-onction et demande qu'on Žcrive ˆ Overberg pour qu'il vienne la voir avant sa fin. Lambert et Limberg diffrent de lui donner la sainte communion parce qu'ils voudraient qu'elle lui fžt donnŽe par le vicaire gŽnŽral qu'on attend aujourd'hui ˆ Dulmen. È Or, il ne vint pas et la malade resta sans assistance de la part des hommes. Mais Dieu prit pitiŽ de sa fidle servante. Le Plerin rapporte ce qui suit ˆ la date du 26 avril : Ç La malade qui semblait ˆ l'extrŽmitŽ se dressa tout ˆ coup sur son sŽant, facilement et sans effort, comme une personne bien portante et joignit ses mains pour prier. Son visage prit ˆ l'instant les couleurs de la santŽ et de la jeunesse avec l'expression de la piŽtŽ la plus tendre et la plus aimable. Elle resta ainsi quelques minutes, fit ensuite un mouvement de la bouche comme si elle recevait un aliment et le mangeait, puis elle se recoucha entirement changŽe. Elle parla gaiement, avec un abandon plein de na•vetŽ. Ç J'ai, dit-elle, obtenu quelque chose ; j'ai si longtemps mendiŽ prs de la table magnifiquement servie que j'ai fini par en avoir une petite miette et cela m'a compltement refaite; je suis toute changŽe. Tout va bien, tout est dans la main de Dieu, j'ai tout abandonnŽ ˆ Dieu, je suis toute soulagŽe; il est sorti de mon corps comme une sombre vapeur qui s'en est allŽe en l'air : elle peut rester o elle est, je n'en veux plus. È Le jour suivant, elle dit : Ç Lorsqu'Žtant dans l'Žtat de contemplation, je voyais tout ce qu'on faisait pour me secourir ou pour arranger les choses autour de moi de la manire dont on le fait dans ce bas monde, cela me paraissait tellement au rebours du bon sens que, mme au milieu de mes souffrances, je ne pouvais m'empcher d'en sourire. È

 

         27 avril. Ç Ce matin elle Žtait trs-faible. Le Plerin lui dit qu'Overberg avait rŽpondu qu'il ne pouvait pas venir pour le moment. Cela la fit pleurer amrement : cependant elle se remit bient™t et raconta une vision d'enfants qu'elle avait eue pendant la nuit et qui l'avait consolŽe des souffrances qu'elle avait eues ˆ endurer. Ç J'Žtais enfant, dit-elle, je me trouvais ˆ la maison et malade ˆ la mort. J'Žtais toute seule; mon pre et ma mre n'Žtaient pas lˆ, mais les enfants du voisin, ceux du maire et plusieurs autres vinrent autour de moi; et combien ils Žtaient doux et aimables! Ils prirent aux arbres des branches vertes (on Žtait en mai), et les plantrent en terre pour faire un jardin. Ils firent une cabane et y portrent beaucoup de feuillage sur lequel ils me couchrent, puis ils vinrent m'apporter des joujoux, tels que je ne pouvais en imaginer d'aussi beaux : c'Žtaient des poupŽes, de petites crches, des ustensiles de cuisine, des animaux, de petits anges ; et je jouai avec jusqu'au matin. Je pense quelquefois que ces merveilleux objets devraient tre encore lˆ. Cet aprs-midi, j'ai de nouveau beaucoup pleurŽ et une fois j'ai serrŽ la Mre de Dieu sur mon coeur en lui rŽpŽtant plusieurs fois : Ç Vous tes ma mre, mon unique mre ! È Ce qui m'a beaucoup consolŽe.

         Il lui fallut travailler bien souvent ˆ l'encontre du mal affreux que faisaient les attaques contre le cŽlibat des prtres, ainsi qu'on le voit clairement par la vision suivante du 16 aožt 1821. Ç J'ai ŽtŽ conduite, dit-elle, vers un troupeau (diocse), ˆ une des extrŽmitŽs du champ de la maison des noces (c'est-ˆ-dire qui Žtait entourŽ de paroisses protestantes). Parmi les moutons qui le composaient, il y avait beaucoup de mauvais bŽliers qui endommageaient le troupeau en le frappant avec leurs cornes. Il me tut ordonnŽ de mettre ˆ part les mŽchants bŽliers. Cela Žtait trs-dŽsagrŽable et trs-pŽnible pour moi, car je ne pouvais pas bien les distinguer des autres. Alors saint Stanislas Kotska apparut et m'assista. Il me fallut aller ˆ un large cours dÕeau trs-rapide et y rassembler les bŽliers. Le saint me dit : Ç Les mŽchants bŽliers sont ceux qui ont derrire les oreilles et la nuque des poils rudes mlŽs ˆ leur laine. È Je saisis sept de ces bŽliers et je les jetai dans l'eau froide qui les emporta. . -19 aožt : Ç J'ai eu une terrible nuit. J'ai ŽtŽ clouŽe et crucifiŽe par le monde, la chair et le diable. J'eus aussi ˆ combattre contre un affreux bŽlier de trs-grande taille. J'en vins ˆ bout ˆ la fin; je lui courbai les cornes sur le cou, je les brisai et les plaai en croix sur son dos, en disant : Ç Toi aussi, il faut que tu portes une croix. È

Dans une vision postŽrieure, les fruits que devaient produire les souffrances supportŽes par elle lui furent montrŽes : Ç Je vis, dit-elle, une rŽunion de jeunes ecclŽsiastiques dans une maison qui me sembla tre un sŽminaire. Il devait y avoir un repas. J'arrivai lˆ en partant comme dÕune autre rŽgion plus ŽlevŽe; j'avais ˆ procurer beaucoup de choses pour le repas. Tout ce que j'apportai avait ŽtŽ recueilli en divers endroits avec de grandes fatigues. Je fus aidŽe par des pauvres et des estropiŽs et aussi par les ‰mes de plusieurs dŽfunts. Mes compagnes de couvent devaient aussi m'aider, mais il me fallut les Žclairer pour les faire sortir d'un sombre caveau (le purgatoire) et alors elles m'assistrent. La rŽvŽrende mre fit remarquer aux autres combien il Žtait Žtonnant que je fusse chargŽe de les mener ˆ ce travail. J'avais ˆ distribuer douze pains de sucre qu'il me fallut confectionner moi-mme. J'avais tirŽ de trs-loin la canne ˆ sucre et je lui avais fait subir les prŽparations nŽcessaires. J'en distribuai onze : j'en avais mis un de c™tŽ pour les besoins des pauvres. Une de mes compagnes, la soeur Eswig, fit du bruit ˆ ce sujet et m'accusa d'avoir soustrait ce sucre pour moi. Je rŽpondis : Ç CÕest bon, je vais le partager ; mais maintenant chacune va me donner pour ma peine quelque chose de tout ce qu'elle a È et de cette manire je reus plus que je n'avais eu d'abord. Cette vision prit une grande extension. Je vis le sacerdoce et les ordres religieux se relever aprs une grande dŽcadence ; je vis comment, aprs ma mort, la prire et le travail de pieux amis contribueraient ˆ ce rŽsultat. Il semblait qu'une masse de gens pieux avait surgi et que tout sortait d'eux et se dŽveloppait. Les dons faits aux ecclŽsiastiques Žtaient trs variŽs. Chacun recevait ce qui lui manquait. Il se trouvait parmi ces dons des herbes et des fleurs d'une espce toute particulire. Parmi ces ecclŽsiastiques les meilleurs furent choisis tout d'abord. È

         Elle avait du reste beaucoup ˆ faire dans les sŽminaires comme on le voit par la vision suivante de mai 1821 : Ç Je me trouvai dans une longue salle. Des deux c™tŽs Žtaient devant des pupitres, des jeunes gens en habits longs qui semblaient tre des sŽminaristes. Au milieu un gros homme allait et venait. J'Žtais cachŽe dans un coin. Tout ˆ coup ˆ la place des hommes, je ne vis plus, des deux c™tŽs, que des chevaux et au milieu un gros boeuf ruminant qui allait et venait, pendant que derrire lui les chevaux montraient les dents et faisaient toute sorte de grimaces moqueuses. J'espŽrais que le bÏuf leur montrerait les cornes et les obligerait ˆ rester tranquilles, mais la seule chose qu'il fit, fut, en arrivant ˆ un bout de la salle, de frapper la muraille avec ses cornes. Il y avait dŽjˆ un trou et je me disais que tout allait s'Žcrouler sur eux. Je ne savais pas comment sortir de lˆ. Enfin un cheval courut vers un autre; je trouvai une porte ˆ l'endroit qu'il avait quittŽ et je m'en allai bien vite. È

         Le soir du 15 janvier 1822 elle vomit des flots de sang, puis elle dit tout ˆ coup : Ç Voilˆ qu'un curŽ bien pieux vient de mourir de vieillesse ˆ Rome. Il a reu l'absolution gŽnŽrale : je l'ai reue avec lui. Son ‰me est allŽe tout droit en purgatoire, mais elle en sortira trs-promptement. Il nous faut prier. Il Žtait bien attachŽ au Pape et pendant la captivitŽ de celui-ci, il a fait beaucoup de bien en secret. Quant au Pape, il n'a plus longtemps ˆ vivre. È Elle dit encore : Ç Cet homme pieux Žtait un des douze en qui je vois toujours les soutiens inconnus de l'ƒglise et dont j'ai parlŽ plusieurs fois. Il est le second qui soit mort, il en reste dix; mais j'en vois grandir de jeunes. C'Žtait un ami et un  conseiller du Pape, mais pour rester fidle ˆ sa paroisse, il n'a jamais voulu accepter une position plus ŽlevŽe. Elle parle encore de ce prtre en termes trs affectueux.

 

19. Fte de l'Eglise ˆ l'occasion d'un pape futur.

 

Le 27 janvier 1822, (fte de la Conversion de saint Paul, dans le calendrier de Munster), elle fut toute l'aprs-midi plongŽe dans l'extase et pria avec beaucoup de ferveur. Le soir elle dit au Plerin : Il y a eu dans l'Žglise spirituelle une fte d'actions de gr‰ces ; il y avait lˆ une gloire splendide, un tr™ne magnifiquement ornŽ. Saint Paul, saint Augustin et d'autres saints convertis figuraient lˆ d'une manire toute spŽciale. C'Žtait une fte o l'ƒglise triomphante remerciait Dieu d'une grande gr‰ce qui ne doit arriver ˆ maturitŽ que dans l'avenir. C'Žtait quelque chose comme une consŽcration future. Cela avait rapport au changement moral opŽrŽ dans un homme de condition, svelte et assez jeune, lequel doit un jour tre Pape. Je le vis en bas dans lՎglise entourŽ d'autres hommes pieux : il avait ŽtŽ liŽ avec ce vieux prtre que j'ai vu mourir ˆ Rome, il y a quelques jours. J'ai vu aussi dans cette vision beaucoup de chrŽtiens rentrer dans le sein de l'ƒglise. Ils entraient ˆ travers les murs de l'Žglise. Je vis que ce Pape doit tre sŽvre et qu'il Žloignera de lui les Žvques tides et froids. Mais beaucoup de temps doit encore s'Žcouler jusque-lˆ. Tous ceux qui ont concouru par leurs prires ˆ l'obtention de cette gr‰ce Žtaient lˆ prŽsents dans l'Žglise. Je vis aussi les autres que je vois souvent comme Žtant particulirement des hommes de prire. Le jeune homme Žtait dŽjˆ dans les ordres et il semblait qu'il režt aujourd'hui une dignitŽ. Il n'est pas Romain, mais Italien, d'un endroit qui n'est pas trs ŽloignŽ de Rome, et qui appartient, je crois, ˆ une pieuse famille princire. Il voyage quelquefois. Il doit y avoir encore, pendant un certain temps, beaucoup de luttes et de troubles. C'Žtait une fte joyeuse, d'une beautŽ indescriptible et j'Žtais fort heureuse : mais cette Žglise est toujours lˆ, je veux y retourner. È A ces mots elle retomba en extase. Le confesseur raconta le jour suivant qu'elle s'Žtait relevŽe dans son lit et avait priŽ ardemment, Žtant dans l'Žtat extatique, jusqu'au moment o il lui avait ordonnŽ de se recoucher.,

 

         20. Dans l'automne de 1822, Anne Catherine fut incessamment occupŽe de l'Žtat de l'ƒglise en Allemagne. Chaque nuit il lui fallait faire ˆ Rome un voyage des plus fatigants. Tant™t elle avait ˆ conjurer les dangers qui menaaient un courrier auquel des voleurs et des assassins tendaient des embžches pour s'emparer de ses dŽpches, tant™t elle trouvait sur son chemin des malades et des lŽpreux qui demandaient des soins et la chargeaient de paquets malpropres; tant™t elle avait ˆ s'introduire chez des fiancŽes et ˆ les protŽger contre de faux fiancŽs, c'est-ˆ-dire ˆ s'opposer ˆ la prise de possession illŽgitime et coupable de certains siges Žpiscopaux. Ces voyages Žtaient accompagnŽs de trs-grandes souffrances corporelles, de sorte qu'elle n'Žtait en Žtat d'en raconter que peu de chose. On voit pourtant clairement par la vision suivante que ces voyages avaient pour motifs les affaires de la province ecclŽsiastique du Haut-Rhin, o, prŽcisŽment dans ce temps-lˆ, on allait tout mettre en oeuvre pour faire consentir le Saint Sige ˆ donner l'institution des siges Žpiscopaux en renonant absolument aux droits de l'ƒglise, et ˆ reconna”tre comme pasteurs des hommes qui avaient pris d'avance vis-ˆ-vis leurs protecteurs l'engagement formel de traiter la foi catholique, les droits et les prescriptions de l'ƒglise comme des choses dont il ne devait plus tre question. Anne Catherine doit travailler ˆ l'encontre de ces projets comme un instrument dÕexpiation employŽ par Dieu contre le mystre d'iniquitŽ. Ç J'Žtais en route vers Rome, raconta-t-elle le 22 octobre 1822, et j'eus beaucoup ˆ faire avec un singulier enfant que je trouvai sur le chemin au bord d'une lande. Cet enfant ne paraissait pas avoir plus d'un jour et il Žtait couchŽ au milieu dÕun globe sombre qui semblait une masse de vapeurs brumeuses, mais qui Žtait formŽ de milliers de fils tressŽs ensemble et partant des contrŽes les plus diverses. Il me fallait percer ce tissu pour en tirer l'enfant et le prendre avec moi. Il Žtait fortement emmaillotŽ dans un joli petit manteau avec un grand collet dentelŽ : je sentis sur son dos quelque chose de cachŽ sous le manteau (cela semblait tre un petit livre), et je m'efforai inutilement de l'en tirer : je sentais que ce nՎtait rien de bon. L'enfant d'un jour se mit ˆ rire. Je fus effrayŽe et je ne pouvais m'expliquer ce rire. J'ai appris ce cela signifiait : ceux qui avaient ourdi la trame ne doutaient pas de la rŽussite. Ils avaient ainsi emmaillotŽ lÕenfant pour le porter secrtement ˆ Rome. Je ne sais ˆ qui je devais remettre l'enfant : mais je crois que cՎtait ˆ un sŽculier. Je vis aussi des gens ˆ moi connus se rŽjouissant fort de ce que j'avais pris l'enfant : car il y avait ˆ Rome, mme parmi les prŽlats, bien des personnes de sentiments peu catholiques qui travaillaient au succs de cette affaire. Je vis aussi en Allemagne des ecclŽsiastiques mondains et des protestants ŽclairŽs manifester des dŽsirs et former un plan pour la fusion des confessions religieuses, et pour la suppression de l'autoritŽ papale. Il Žtait question d'Žtablir plusieurs chefs supŽrieurs, de supprimer beaucoup de dŽpenses en diminuant le nombre des ecclŽsiastiques, et ce plan avait, ˆ Rome mme, des fauteurs parmi les prŽlats. (J'ai souvent vu que le cardinal C. ne vaut rien, qu'il fait beaucoup de mal et qu'il hait son pre : mais il est trop avant dans les affaires et on ne peut pas le renvoyer. Il est aussi tout ˆ fait circonvenu par la secte secrte). C'est une association trs-rŽpandue. Elle travaille plus vite, mais du reste plus superficiellement que les francs-maons. È

         L'enfant dans le globe, dans la sphre de brouillard, est le plan ourdi par plusieurs pour la suppression de la foi catholique et recouvert de belles phrases comme d'un manteau : le brouillard est l'image de la fourberie qui travaille dans l'ombre. Le rire de l'enfant reprŽsente la joie prŽmaturŽe qu'Žprouvent les inventeurs du plan (gens adonnŽs aux plaisirs de la table), d'avoir trompŽ le Pape en dŽpit des dŽclarations et des brefs. Le livre cachŽ sous le manteau de l'enfant et, qu'Anne Catherine ne peut pas retirer, reprŽsente les Žcrits envoyŽs ˆ Rome en faveur du projet, lesquels font ˆ la vŽritŽ leur chemin, mais ne peuvent empcher que le plan ne soit pŽnŽtrŽ et qu'une rŽaction ne s'Žlve contre lui. C'est pourquoi elle vit encore que l'on recherchait des dŽcisions d'anciens conciles, et, ˆ cette occasion, le Pape GŽlase lui fut montrŽ travaillant contre les crimes secrets et les sorcelleries des manichŽens, lesquels lui furent dŽsignŽs comme une image de la nouvelle secte des illuminŽs. L'intention de rŽduire ˆ rien le chef suprme de l'ƒglise et son autoritŽ existait rŽellement, comme s'en est vantŽ tout haut avec un cynisme impudent, le conseiller ecclŽsiastique Werkmeister, le membre le plus actif et le plus influent de la secte. Cet homme, ancien moine ˆ Neresheim, devenu conseiller ecclŽsiastique ˆ Stuttgart, s'attribuait publiquement le mŽrite d'avoir montrŽ par ses pamphlets Ç comment PapautŽ pouvait et devait tre extirpŽe avec toutes ses racines. È Et prŽcisŽment cet Žcrit o il proposait aux gouvernements la•ques les voies les plus sžres et les moyens les plus efficaces pour atteindre ˆ ce but (note) fut suivi point par point dans les dŽcisions de l'assemblŽe de Francfort mentionnŽe plus haut. Pendant que les fauteurs et instigateurs de ce plan avaient en main tous les moyens, non seulement d'annuler toute rŽsistance, mais encore de gagner chaque jour de nouveaux instruments et de nouveaux coopŽrateurs, pendant qu'ils se flattaient d'avoir aplani les voies ˆ Rome mme pour prŽvenir la condamnation qu'ils craignaient de la part du Saint Pre pour leurs mesures, cՎtaient les prires et les souffrances de la patiente de Dulmen qui arrtaient dans son cours l'oeuvre de destruction. Elle marcha si courageusement centre les ennemis de Dieu et assiŽgea Dieu de si vives supplications que peu de temps aprs elle put raconter ce qui suit : Ç Il est entrŽ dans les desseins de Dieu que le Pape soit malade en ce moment : cela le fait Žchapper ˆ un pige qui lui Žtait tendu. L'ennemi avait tout prŽparŽ longtemps d'avance, mais il n'atteindra pas son but. Le plan est dŽcouvert. J'ai encore plusieurs visions ˆ ce sujet, mais je ne me rappelle que la suivante. Je vis la fille du roi des rois attaquŽe persŽcutŽe. Elle pleurait beaucoup sur tout le sang qui allait se rŽpandre (note) et promenait ses regards sur une tribu de vierges fortes (note) qui devaient combattre ˆ ses c™tŽs.

 

Note : Projet d'une nouvelle constitution de l'ƒglise catholique dans la ConfŽdŽration germanique. imprimŽ dans la patrie allemande, 1816

Note Les ‰mes nombreuses qui allaient se perdre.

note Les prtres chastes, comme dŽfenseurs de ses droits.

 

J'eus beaucoup ˆ faire avec elle et je la suppliai de penser d mon pays et ˆ certaines contrŽes que je lui recommandai. Je demandai pour les prtres quelque chose de ses trŽsors : elle rŽpondit : Ç Oui, j'ai de grands trŽsors, mais on les foule aux pieds. È Elle portait un vtement bleu de ciel. Lˆ dessus, je reus de mon conducteur une nouvelle exhortation ˆ prier moi-mme et ˆ exciter tout le monde, autant que possible, ˆ prier pour les pŽcheurs et en particulier pour les prtres ŽgarŽs. Ç De bien mauvais temps vont venir, me dit-il. Les non-catholiques sŽduiront bien des gens et chercheront par tous les moyens imaginables ˆ tout enlever ˆ l'ƒglise. Il s'ensuivra une grande confusion. È

         Ç J'eus une autre vision o je vis comment on prŽparait l'armure de la fille du roi. Une multitude de personnes y contribuaient. Et ce qu'elles apportaient consistait en prires, en bonnes Ïuvres, en victoires sur elles-mmes et en travaux de toute espce. Tout cela allait de main en main jusqu'au ciel et, lˆ chaque chose, aprs avoir subi un travail particulier, devenait une pice de l'armure dont on revtait la vierge. On ne pouvait qu'admirer ˆ quel point tout s'ajustait bien et l'on Žtait frappŽ de voir comment chaque chose en signifiait une autre. La vierge fut armŽe de la tte aux pieds. Je reconnus plusieurs des personnes qui donnaient leur concours et je vis avec surprise que des Žtablissements entiers et de grands et savants personnages ne fournissaient rien, tandis que des pices importantes de l'armure provenaient de gens pauvres et de petite condition. È

         Ç Je vis aussi la bataille. Les ennemis Žtaient infiniment plus nombreux : mais la petite troupe fidle abattait des rangs entiers. Pendant le combat la vierge armŽe se tenait sur une colline : Je courus ˆ elle et lui recommandai ma patrie et les endroits pour lesquels j'avais ˆ prier. Son armure avait quelque chose d'Žtrange : tout y avait une signification; elle portait un casque, un bouclier et une cuirasse. Quant aux gens qui combattaient ils ressemblaient ˆ nos soldats d'ˆ prŽsent. C'Žtait une terrible guerre : ˆ la fin il ne resta plus qu'une petite troupe de champions de la bonne cause, lesquels remportrent la victoire È.

 

Tableau symbolique d'un diocse sŽparŽ du rocher de Pierre.

 

Ç Je vis une Žglise se tenant sur l'eau et en grand danger de s'y ab”mer. Elle n'avait plus de fondement solide, elle Žtait sur la mer, flottant comme un vaisseau: J'avais, avec quelques autres, de terribles efforts ˆ faire pour la mettre en Žquilibre; nous y faisions entrer beaucoup de personnes que nous placions en divers endroits pour se faire contre-poids les unes aux autres. Cela se faisait sur des poutres et des planches flottant d'un c™tŽ et de l'autre. JÕeu spŽcialement ˆ faire entrer beaucoup d'enfants (note). Mais je vis dans l'Žglise, douze hommes prosternŽs par terre qui priaient avec ferveur sans faire aucun mouvement : tout contre l'entrŽe, devant un autel, Žtaient prosternŽs plusieurs enfants. Dans l'intŽrieur, je ne vis pas de pape, mais un Žvque prosternŽ devant le grand autel. Dans cette vision il y avait aussi des navires d'o l'on tirait sur l'Žglise et d'o l'on lanait contre elle des masses de projectiles incendiaires; mais nous suspend”mes devant elle des draps mouillŽs et elle n'Žprouva aucun dommage. Il semblait quÕelle Žtait menacŽe de plusieurs c™tŽs et je pensai qu'on voulait l'empcher de prendre pied nulle part. Lorsqu'elle fut en Žquilibre, avec beaucoup de personnes dedans, elle sÕenfona un peu et ce fut comme si elle reposait sur un fond de sable.

 

(note) Symbole de l'avenir dans lequel cette l'Žglise chancelante, prte ˆ dispara”tre sous les flots, retrouvera peu ˆ peu un terrain plus solide et finalement une complte union avec le rocher de Pierre.

 

Alors nous pos‰mes des poutres, nous f”mes un pont et elle se trouva de nouveau reliŽe ˆ la terre ferme. Ë peine cela fžt-il fait que plusieurs mauvais prtres (note) y accoururent avec d'autres personnes qui n'avaient donnŽ aucune aide : ils injurirent les douze hommes qui priaient et leur donnrent des soufflets : mais ceux-ci supportrent tout en silence et continurent ˆ prier. Il nous fallut alors apporter de grosses pierres que nous enfou”mes tout autour pour poser un fondement, et ce fondement ne cessa de s'accro”tre : c'Žtait comme une croissance vŽgŽtale. Les pierres afflurent; ce fut comme si le rocher s'Žlevait de lui-mme tout d'une pice, et tout prit une ferme consistance. Alors beaucoup de gens, mme des Žtrangers, entrrent par la porte et l'Žglise se retrouva sur la terre ferme. È Cette vision dura plusieurs nuits, accompagnŽe d'un rude travail. Une fois, Žtant en extase, elle fit entendre ces paroles ou plut™t ces lamentations : Ç Ils veulent enlever au pasteur le p‰turage qui est ˆ lui ! Ils veulent en imposer un qui livre tout aux ennemis ! È Alors, saisie de colre, elle leva son poing fermŽ, en disant : Ç Coquins d'Allemands ! (note) attendez ! vous n'y rŽussirez pas ! Le pasteur est sur un rocher ! vous, prtres, vous ne bougez pas ! vous dormez et la bergerie bržle par tous les bouts ! vous ne faites rien ! oh ! comme vous pleurerez cela un jour ! si vous aviez dit seulement un Pater ! Toute la nuit il m'a fallu voir comment les ennemis du Seigneur JŽsus l'ont tra”nŽ ˆ et lˆ et maltraitŽ sur le Calvaire ! Je vois tant de tra”tres ! Ils ne peuvent pas souffrir qu'on dise : Ç cela va mal. È Tout est bien ˆ leurs yeux pourvu qu'ils puissent se glorifier avec le monde ! È

 

         (note) La vieille clique libŽrale qui, lorsqu'il n'y a ni fatigue ni danger, ne manque gure de s'emparer des places aux dŽpens d'autrui.

         (note) Les soi-disants patriotes allemands, hostiles ˆ la langue latine comme langue de l'ƒglise, et voulant Žtablir une Žglise nationale allemande sans Pieu, sans sacrements sans pape.

 

21. Avril 1823 : Ç Cette nuit j'ai travaillŽ jusqu'ˆ extinction et je suis toute pleine de douleurs. D'abord il mÕa fallu tra”ner dans l'Žglise un grand homme qui voulait empcher d'adorer le Saint-Sacrement dans une Žglise rituelle et qui m'avait prise par les Žpaules. Il rŽsistait, mais je lui tins fortement les mains et, ne pouvant pas se dŽgager, il me tirait en arrire, appuyŽ sur ses genoux. Je le conduisis avec une peine extrme jusque devant l'autel. Or le feu Žtait dans la maison (des noces) d'o cet homme sortait: semblait qu'il l'ežt allumŽ lui-mme et il me fallut prendre des peines infinies pour tout sauver et tout porter ˆ la bergerie. Le feu courait dŽjˆ sous les tuiles : personne ne mÕaidait : je vis plusieurs prtres de ma connaissance se promener avec insouciance autour de la maison. Enfin vint ˆ moi un autre ecclŽsiastique et quelqu'un qui me sembla avoir l'air d'un jurisconsulte : ils m'aidrent ˆ tout ramasser. Nous ežmes ˆ prendre dans plusieurs caves des coffres, des cassettes, des manteaux et des chandeliers; cՎtaient des chandeliers d'Žglise, je m'en souviens encore. Nous port‰mes tout cela ˆ la bergerie; je travaillai jusqu'ˆ en mourir. Comme dŽjˆ le feu sortait du toit, le prtre courut encore jusqu'ˆ une chambre, y enleva un fils de la maison (note) que l'homme que j'avais tra”nŽ dans l'Žglise avit dž tuer, mais qui Žtait restŽ vivant. Au-dessus de la salle en feu dormaient aussi des serviteurs qui furent sauvŽs heureusement. La vapeur et la fumŽe cessrent et nous sauv‰mes tout ˆ nous trois. È

Elle eut dans ce temps ˆ s'occuper du cardinal Consalvi qui Žtait malade et qu'elle voulait convertir : car elle le voyait toujours entourŽ d'un brouillard, d'un mur de sŽparation, comme s'il ežt ŽtŽ sous le coup de l'excommunication.

 

(note) Le fils, l'enfant, c'est l'Žquivalent du plan. Le plan dont il est question ici indique les relations qu'on voulait Žtablir avec le schisme grec. Elle vit ce fils s'en aller en Russie.

 

Elle demanda ˆ Dieu pour lui la guŽrison corporelle et spirituelle et voici ce qu'elle raconta ˆ ce sujet : ÇJe le vois dans un Žtat tout diffŽrent de celui o il Žtait auparavant. Sa longue maladie a ŽtŽ une gr‰ce de Dieu, il a de tout autres sentiments sur beaucoup de points. C'Žtait comme s'il mourait, puis revenait ˆ la vie, mais tout changŽ : il fit plusieurs aveux au Saint Pre, s'accusa sur bien des choses, il renona ˆ tout, mourut ˆ tout, et alors je vis de nouveau la vie en lui. Je le vis Žtendu dans son lit et autour de lui plusieurs dignitaires ecclŽsiastiques; une fois aussi j'y vis le Pape. Autour de lui Žtaient des Žcrits et des objets de toute espce; on parlait, on interrogeait et je le vis souvent lever la main comme pour attester quelque chose. Peut-tre ne pouvait-il plus parler distinctement. Il semblait dŽclarer qu'il se dŽgageait de tout, qu'il abandonnait tout. Le Pape fut quelque temps seul avec lui; je ne sais pas s'il se confessa, mais il leva

encore la main comme il l'avait fait prŽcŽdemment et je crois qu'il passa le bras autour du cou du Pape. Je ne sais pas bien s'il l'embrassa, ou s'il lui fit ses adieux, ou si le Pape lui pardonna quelque chose. Aprs cela le Pape sortit. Parmi les Žcrits que le cardinal remit au Pape, il y en avait un en particulier qui avait rapport ˆ notre ƒglise et qui n'Žtait nullement conforme au sentiment du Saint Pre celui-ci me sembla mme n'en rien conna”tre et c'est un bonheur qu'il en ait ŽtŽ ainsi :les choses maintenant tourneront tout autrement que les ennemis ne s'y attendaient. Le cardinal pleura, le Pape pleura ainsi que les autres qui Žtaient avec lui; ils semblaient se faire des adieux. È

 

22. J'ai eu beaucoup ˆ m'occuper de l'Žglise de ce pays-ci : J'ai du reste ˆ prŽsent ˆ souffrir de cruelles tortures ; je passe par des Žtats terribles. J'ai ŽnormŽment ˆ travailler pour l'ƒglise en gŽnŽral et ma tte se perd en quelque sorte, par suite du dŽsordre et de la dŽtresse que je vois tout, ainsi que des peines et des travaux qu'il me faut porter. J'ai eu une vision sur la f‰cheuse situation des jeunes Žtudiants d'aujourd'hui; j'ai vu qu'ˆ Munster ils couraient les rues ainsi qu'ˆ Boun, qu'ils avaient dans les mains des paquets de serpents, qu'ils les mettaient dans leur bouche et en suaient la tte; et j'entendis ces paroles Ç Ce sont des serpents philosophiques. È Souvent aussi jÕai vu de vieux ma”tres d'Žcole pieux et simples qu'on traite d'ignorants, former les enfants ˆ la piŽtŽ, tandis que nouveaux instituteurs et institutrices si habiles ne leur mettent rien dans la tte. Cela vient de ce que par leur orgueil, leur jactance et leur suffisance, ils enlvent ˆ leur travail tout son effet et mme le g‰tent entirement. C'est comme pour la bŽnŽdiction attachŽe aux bonnes oeuvres, lesquelles, faites publiquement ou par les soins de la police, ont peu d'efficacitŽ. Lˆ o il n'y a ni charitŽ, ni simplicitŽ,

rien ne profite ni ne prospre intŽrieurement. È

         Je vis que beaucoup de pasteurs se laissaient prendre ˆ des idŽes dangereuses pour l'ƒglise. AccablŽe de tristesse, je dŽtournai les yeux de cette vision qui me remplissait dÕangoisses et je priai pour les Žvques : je me disais que sÕils devenaient meilleurs, les autres le deviendraient comme eux-mmes. Je vis, entre autres choses, que la maison d'o il m'avait fallu emporter cet homme dont j'ai parlŽ, Žtait lÕEglise sous le cardinal Consalvi. Il y avait de ses enfants (des plans) dans toutes les chambres et toutes ses vues se trouvaient lˆ rŽunies et formant un ensemble. Mais j'eus ˆ le tra”ner ˆ l'autel, ce qui signifiait sa conversion et l'aveu de ses fautes. Il avait mis le feu ˆ la maison et il me fallut,

avec d'autres, sauver tout ce qu'il y avait de prŽcieux et le porter ˆ la bergerie. È

         Ç Ils b‰tissaient une grande Žglise, Žtrange et extravagante; tout le monde devait y entrer pour s'y unir et y possŽder les mmes droits; ŽvangŽliques, catholiques, sectes de toute espce : ce devait tre une vraie communion des profanes o il n'y aurait qu'un pasteur et un troupeau. Il devait aussi y avoir un Pape, mais qui ne possŽderait rien et serait salariŽ. Tout Žtait prŽparŽ d'avance et bien des choses Žtaient dŽjˆ faites : mais ˆ l'endroit de l'autel, il n'y avait que dŽsolation et abomination. Telle devait tre la nouvelle Žglise et c'Žtait pour cela qu'il mettait le feu ˆ la maison de l'ancienne Žglise. Mais Dieu avait d'autres desseins. Le cardinal se vit au moment de mourir, se repentit, avoua ses fautes, et revint ˆ la vie. È

         Le PŽlerin ajouta ces mots : Ç Elle est dans un Žtat qui vraiment fait frŽmir. Toute communication a cessŽ. Il lui a ŽtŽ dit qu'elle a encore quinze jours ˆ souffrir pour l'ƒglise, d'ici ˆ la Pentec™te. È

         Dans l'automne de 1823, elle raconta ce qui suit :  Ç J'ai vu le Pape (note) au moment o il faisait une chute. Quelques personnes venaient de le quitter ˆ l'instant. Il se leva de son fauteuil pour aller chercher quelque chose, alors il tomba. Lorsqu'il fut mort, je ne pouvais croire que cela fžt. C'Žtait encore pour moi comme s'il gouvernait et comme si tout partait de lui. Je le vis mort sur sa couche et pourtant il me semblait que je le voyais encore agissant. Pie VII Žtait continuellement en prire, il s'entretenait continuellement avec Dieu et recevait souvent des lumires d'en haut. Il Žtait trs-doux et trs-condescendant. LŽon XII ne prie peut-tre pas encore comme lui, mais il a une volontŽ ferme. È

         Ç A la fte de l'Assomption, j'ai vu beaucoup de choses sur Consalvi ; c'Žtait comme si le Pape et en outre un autre cardinal l'exhortaient ˆ tenir sa promesse et ˆ prendre sŽrieusement en main la cause de l'Eglise.

 

(note) Pie VII mourut le 20 aožt 1823 ˆ la suite d'une fracture de l'os de la hanche, occasionnŽe par uni chute.

 

J'ai vu aussi que Consalvi, dans sa jeunesse, avait appris de sa mre, une courte invocation en l'honneur de Marie, qu'il la rŽpŽtait frŽquemment matin et soir et qu'il avait par lˆ obtenu la protection de la sainte Vierge que j'ai vue souvent intercŽder pour lui auprs de JŽsus. Je vis aussi que Marie l'avertissait et lui envoyait des gr‰ces pour qu'il s'amend‰t. È

 

Novembre : Ç Ces jours-ci il m'a fallu exciter un homme qui a un emploi dans l'Žglise de saint Pierre de Rome ˆ faire savoir au Pape qu'il est franc-maon. Il s'excusait, disant quÕil n'Žtait que caissier; que, comme d'ailleurs il n'y avait pas de mal ˆ cela, il dŽsirait garder sa place. Mais le Pape lui reprŽsenta sŽvrement qu'il lui fallait ou rompre immŽdiatement avec ses engagements ou se dŽmettre de son emploi. J'entendis l'entretien. È

 

23. Avec le mois de janvier 1823 commencrent des travaux par la prire et la souffrance qui consistaient ˆ recueillir pŽniblement et ˆ distribuer des Žtoffes destinŽes ˆ confectionner des ornements sacerdotaux. En mme temps elle commena aussi ˆ prŽparer ses cadeaux de No‘l pour les pauvres enfants; mais il lui manquait tant™t une chose, tant™t une autre : quelquefois aussi une assistance maladroite g‰tait son travail et le rendait inutile. Dans le cours de ses cruels maux d'yeux, elle eut mille fois ˆ vaincre des tentations d'impatience, mais elle en vint ˆ bout ˆ force de persŽvŽrance. Cela se rŽpŽta encore lors de ses travaux en vision o elle ne pouvait arriver que trs-difficilement ˆ achever la confection d'un ornement, parce que sans cesse telle Žtoffe ou telle pice lui manquait. Voici ce qu'elle raconta Ç J'ai fait un voyage ˆ l'”le de Chypre (o en ce mme elle accompagnait notre Seigneur dans ses pŽrŽgrinations). En quittant le continent, j'avais Marseille ˆ ma droite et je passai seulement une fois par-dessus la pointe extrme d'un pays; mon guide et moi longions toujours le rivage comme en volant. Sur le chemin j'eus ˆ et lˆ quelque chose ˆ faire et diverses dispositions ˆ prendre : ainsi il me fallut une fois porter un petit paquet que je tenais cachŽ et le remettre : je le portais dans un rouleau sous ma robe. Souvent il me fallut porter des lettres au milieu de danger qui m'effrayaient, surmonter de grands obstacles, encourager des gens qui priaient ou en rŽveiller d'autres qui dormaient, bander des plaies ˆ des malades, arrter dans leurs entreprises des voleurs et d'autres malfaiteurs, consoler des prisonniers, avertir des personnes en danger. Plusieurs fois dŽjˆ, depuis quelques jours, j'ai eu ˆ avertir un homme qui portait une lettre comme celle dont fut chargŽ Urie et o l'on recommandait de se dŽfaire du porteur. C'Žtait en deˆ de Rome. Je lui demandai o il allait, lui disant qu'il se trompait de chemin. Ç Non, me dit-il, l'adresse est sur ma lettre: È Alors je lui dis : Ç Ouvre la lettre et tu verras. È Il l'ouvrit, vit ce qu'on mŽditait contre lui et changea de direction. È

         Ç J'eus, aprs cela, ˆ faire un travail extraordinairement pŽnible o il fallut m'occuper de vtements ecclŽsiastiques de toute espce. C'Žtait dans la maison que j'avais vue bržler au printemps. J'Žtais chargŽe de faire une aube pour un Žvque que je voyais marcher dans le lointain : je ne pouvais pas en venir ˆ bout et je mendiais de tous c™tŽs. Overberg dit qu'il ne donnerait pas plus d'un gros (note) pour ce travail, cela me fit de la peine. Je devais faire l'aube parce que ma mort Žtait prochaine... En Suisse aussi, j'eus ˆ mendier afin de rassembler a grand peine des chiffons de toute sorte pour des rochets de choeur et en faire un lourd paquet et qu'il me fallait tra”ner ˆ Rome o les rochets doivent tre faits. È

 

(note) Pice de monnaie valant ˆ peu prs seize centimes.

 

Ç Je me trouvai ˆ Rome dans une assemblŽe o siŽgeait le Pape entourŽ de plusieurs ecclŽsiastiques. Il Žtait question de rŽtablir ou d'organiser quelque chose, mais les ressources qui auraient permis d'y arriver avaient ŽtŽ gaspillŽes : on voulait, ˆ cause de cela, laisser lˆ la chose et on disait : Ç o il n'y a rien, on ne peut rien faire. È Le Pape Žtait pour qu'on agit. Je dis alors : Ç Une bonne chose ne doit pas tre abandonnŽe : lˆ o il n'y a rien, Dieu peut aider. È le Pape me dit que j'avais beaucoup de courage pour une religieuse, mais que j'avais raison. È

 

Ç J'allai de nouveau ˆ Rome o j'eus un grand sujet de chagrin. J'y trouvai, suspendue en l'air, une Žnorme quantitŽ de linge d'Žglise qui Žtait lˆ depuis le temps du dernier Pape. Il y avait lˆ beaucoup de choses que j'avais confectionnŽes et livrŽes. Une grande partie n'avait pas ŽtŽ employŽe, mais nŽgligŽe et gaspillŽe: des pointes, des rubans, des galons avaient ŽtŽ dŽtachŽs des habits sacerdotaux, on en avait aussi dŽchirŽ des morceaux. J'avais donnŽ en outre leurs crucifix d'ivoire, mais les corps avaient ŽtŽ enlevŽs: il ne restait plus que les croix de bois et les socles en marbre ; on avait suspendu ˆ une croix un tout petit corps de laiton. Au milieu de ce linge, se promenaient divers ecclŽsiastiques considŽrables : ils s'arrtaient de prŽfŽrence prs du linge qui servait lors des examens dans les Žcoles, des habits de premire communion et d'autres objets sans valeur, mais ils laissaient les ornements d'Žglise suspendus ple-mle. Je me mis surtout en colre ˆ l'occasion de cinq affreuses chemises de femme, pendues au milieu du grand linge d'Žglise et faites suivant une mode recherchŽe tout ˆ fait extravagante. J'en fus scandalisŽe parce quÕelles me parurent indŽcentes et moins convenables pour une fiancŽe et un fiancŽ que pour des adultres. La partie supŽrieure Žtait mal cousue avec des Žpaulettes de grosse toile d'emballage : le reste Žtait d'une Žtoffe trs-fine et transparente, avec toute espce de broderies, de barbes et de dentelles. Les manches Žtaient aussi d'une Žtoffe trs-fine et il y avait en haut un capuchon qu'on tirait sur les yeux pour ne point voir, comme si l'on pouvait cacher la nuditŽ et la honte sous ce vilain voile. J'Žtais tout indignŽe du scandale de ces chemises : j'empaquetai les objets que j'avais fournis dans une longue corbeille, pour les emporter avec moi, me plaignant seulement de ce que mes croix avaient ŽtŽ ainsi dŽpouillŽes. Mais un des ecclŽsiastiques qui Žtaient lˆ ne voulut pas me laisser faire mon paquet, tandis qu'un autre que je connaissais parlait en ma faveur. Je vis aussi feu l'abbŽ Lambert passer dans le lointain (c'Žtait hier saint Martin jour de sa fte). Je lui demandai de m'aider et pourquoi il ne m'avait pas encore emmenŽe. Il sourit, leva le doigt comme pour faire une menace et rŽpondit : Ç Prends patience, ne t'ai-je pas dit que-tu dois encore beaucoup souffrir? È puis il s'en alla. Je disputai encore longtemps pour ravoir ce qui m'appartenait. Je pris enfin les socles en marbre des croix nues et j'empaquetai le tout. Je demandai comment les ignobles chemises Žtaient venues lˆ : je les aurais volontiers mises en pices. J'appris que cela s'Žtait fait par Žgard pour des messieurs protestants, qu'on les avait prises par complaisance et par tolŽrance. J'en dŽtachai une et ce fut alors seulement que je dŽcouvris le capuchon : j'avais cru d'abord que c'Žtait un collet. J'Žtais tellement en colre que je me dis : Ç Attendez un peu, que je couse vos belles nippes avec du ligneul, afin que vous soyez obligŽs de montrer ˆ tout le monde par o elles pchent. È Je vis aussi le Pape fort indignŽ de ces ignobles chemises. Il en dŽtruisit une qu'il dŽchira en morceaux. Je vis plusieurs cardinaux et aussi des princes sŽculiers trs-mŽcontents de ce qu'on dŽchirait es chemises. È

Ç Les cinq ignobles chemises, ajoute le Plerin expliquant cette vision, signifient l'occupation de cinq siges Žpiscopaux vacants, laquelle, selon les vues des pouvoirs sŽculiers, au lieu d'une chaste et lŽgitime union fondŽe sur la fidŽlitŽ et sur la foi, avec la fiancŽe qui est l'ƒglise ˆ pourvoir, Žtablirait des relations adultres reposant sur la trahison et le parjure, mais dont il faut voiler le vice intrinsque ˆ l'aide de belles phrases sur la tolŽrance, la paix, la gratitude, etc. Le tableau est aussi frappant que possible : il en est de mme de ce qui se rapporte aux reprŽsentations scolaires et ˆ l'appareil thŽ‰tral dŽployŽ, lors des premires communions, lesquels, dans un si grand nombre d'‰mes enfantines, chassent la piŽtŽ et le recueillement, la foi et le respect dž au Saint-Sacrement, les empchent de se prŽparer dignement et sŽrieusement, et dŽtournent leur attention vers la parure et les frivolitŽs de l'habillement. Anne Catherine souffrait d'autant plus ˆ la vue de ces choses, qu'elle avait une connaissance plus profonde de l'impression presque toujours dŽcisive pour le reste de la vie que produit une premire communion bien faite et prŽcŽdŽe d'une prŽparation sŽrieuse. Un jour, le Plerin la trouva occupŽe ˆ donner des leons ˆ sa petite nice, qui pleurait ˆ chaudes larmes parce que l'institutrice avait ordonnŽ aux enfants d'Žcrire quelque chose du sermon du dimanche. L'enfant n'en avait pas compris un mot, sinon ce qui avait ŽtŽ dit sur la manire dont les Pharisiens se justifiaient ˆ leurs propres yeux. Anne Catherine dit que cela suffisait. Les enfants parlent le bas-allemand, tandis que l'instruction et la prŽdication se font en haut-allemand : cette t‰che imposŽe aux enfants, disait Anne Catherine, Žtait dŽjˆ un fruit de l'impulsion donnŽe par le pernicieux jeune ma”tre d'Žcole de la maison des noces. È

 

24. Voyages pour porter secours.

 

         Ç J'ai eu cette nuit ˆ faire un merveilleux travail. Je rŽflŽchissais hier au soir sur le malheur des personnes qui vivent dans le pŽchŽ d'impuretŽ et je priais pour celles qui sent dans ce cas. Alors l'‰me d'une femme de condition vint ˆ moi prs de mon lit et me demanda de prier Dieu pour la conversion de sa fille : il fallait prier les bras en croix, disait-elle, pour forcer Dieu en quelque sorte ˆ faire misŽricorde, parce que son Fils a priŽ ainsi. La fille de cette femme allait mourir et dix-huit fois dŽjˆ elle avait cachŽ des pŽchŽs dans la confession. Alors mon guide me fit faire un grand voyage. La route, en partant d'ici, se dirigeait d'abord au levant et revenait ensuite au couchant : je rencontrai successivement des cas o mon assistance Žtait requise. Il y en eut au moins dix dont je ne me rappelle que les trois suivants. È

         Ç J'arrivai dans une belle ville o il y avait plus de luthŽriens que de catholiques et je fus introduite dans la maison d'une veuve : elle Žtait malade dans son lit. Lorsque j'entrai avec mon guide, son confesseur venait de la quitter et elle Žtait entourŽe d'amies et de compagnes. Je me tenais en arrire, ne sachant pas que j'Žtais lˆ seulement comme un esprit et comme une messagre. Je regardai tout et j'eus l'impression que peut avoir une pauvre personne de rien qui est traitŽe avec peu d'Žgards dans ses rapports avec des gens du grand monde. Je vis bient™t tout ce que cette personne avait fait. Elle Žtait catholique : elle vivait pieusement en apparence et faisait beaucoup d'aum™nes : mais elle s'Žtait livrŽe ˆ des dŽsordres secrets et l'avait cachŽ dix-huit fois dans la confession, croyant toujours compenser ses fautes par des aum™nes. Elle ne faisait pas conna”tre ses pŽchŽs, non plus que la maladie dont elle Žtait atteinte. J'Žtais intimidŽe et confuse devant ces personnes de haut rang et j'entendis la malade dire en riant ˆ ses amies qui la relevaient dans son lit : Ç Je ne lui ai pourtant pas dit (au prtre) telle et telle chose; È ce qui faisait rire celles-ci. Alors les autres s'Žloignrent un peu comme pour la laisser dormir et mois guide me dit de me souvenir que j'Žtais lˆ une messagre de Dieu et d'aller en avant. Je m'approchai alors avec lui du lit de la malade; je m'adressai ˆ elle et je vis que toutes mes paroles lui Žtaient montrŽes comme Žcrites en lettres lumineuses et que chaque ligne se prŽsentait successivement, puis disparaissait pour faire place ˆ celle qui suivait. Je ne sais pas si elle me vit, moi ou mon guide, mais elle p‰lit et tomba comme en dŽfaillance, tant son effroi fut grand. Et je vis qu'alors elle lut plus distinctement ce que je disais et qui apparaissait devant elle. Or je lui disais : Ç Tu ris et tu as dix-huit fois abusŽ des sacrements pour ta condamnation : tu as... È et alors je lui racontai toutes les transgressions passŽes sous silence. Ç Tu as cachŽ tout cela dix-huit fois dans une confession mensongre : dans peu d'heures tu seras devant le tribunal de Dieu : aie pitiŽ de ton ‰me : confesse tes fautes et repens-toi. Ç  Elle Žtait comme anŽantie : une sueur froide coulait sur son front. Je m'Žloignai d'elle : elle cria ˆ son entourage qu'elle voulait voir son confesseur. On lui reprŽsenta tout ce qu'il y avait d'Žtrange dans une pareille demande faite au moment o il venait de la quitter. Elle ne tint compte d'aucune observation : elle Žtait dans une affreuse angoisse. Le prtre fut appelŽ : elle confessa tout en pleurant : elle reut les derniers sacrements et mourut. Je sais son nom, mais je ne puis pas le dire parce que des personnes de sa famille vivent encore. C'est avec une impression consolante et pourtant dŽchirante de la misŽricorde dd Dieu que j'ai eu ˆ agir ainsi. È

Ç J'allai dans une contrŽe marŽcageuse, toute remplie de grands trous et de fondrires. Mon guide me conduisit tout le temps sans me faire toucher la terre. Nous arriv‰mes ˆ un village et dans une maison de paysan o la ma”tresse du logis Žtait trs-malade : il n'y avait pas de prtre dans le voisinage. C'Žtait une femme adultre qui faisait l'hypocrite : elle se tenait sŽparŽe de son mari pour commettre le pŽchŽ avec un autre. Je lui mis sous les yeux sa mauvaise conduite et je lui dis qu'il fallait confesser sa faute ˆ son mari et lui demander pardon. Du reste elle se repentait. Elle lui avoua tout, en pleurant beaucoup. Son complice fut aussi obligŽ de venir : le mari lui ouvrit encore la porte. Elle lui dŽclara avec beaucoup de gravitŽ que tout rapport devait cesser entre eux. Elle n'est pas morte, elle a recouvrŽ la santŽ. È

         Ç J'allai dans une grande ville, dans une maison o il y avait un beau jardin avec des bosquets, des pices d'eau et des maisonnettes de plaisance. Les chefs de la famille vivaient, la mre Žtait une bonne et pieuse femme : la fille, fort sage en apparence, se glissait dans le jardin pour y entretenir des relations trs-coupables et s'y rencontrer avec des hommes qui l'attendaient en cachette. Je la trouvai la nuit hors de la maison : elle attendait un amant. C'Žtait la nuit dernire. Je me trouvai prs d'elle et je priai Dieu de lui venir en aide. Je vis une figure dans laquelle je reconnus Satan, qui voulait s'approcher d'elle, mais qui ne le put pas. Elle Žtait intŽrieurement inquite et Žmue et je la suivis dans une maisonnette du jardin o elle vit une autre figure enveloppŽe dans un manteau qu'elle crut tre son amant qui l'attendait. L'homme ne s'approcha pas dÕelle, mais elle alla et le tira par son manteau qui l'enveloppait. Alors le manteau s'ouvrit : elle vit (et je vis comme elle) l'image du Sauveur, les mains liŽes, tout sanglant, couvert du haut en bas des blessures de la flagellation et la couronne d'Žpines sur la tte ; puis cette image de douleur lui dit : Ç Vois dans quel Žtat tu m'as mis ! . Alors la jeune fille tomba ˆ terre comme un corps mort. Je la pris dans mes bras et je lui dis qu'elle menait une vie abominable, qu'il fallait se confesser et faire pŽnitence. Elle revint ˆ elle et, croyant sans doute que j'Žtais une servante ou bien une Žtrangre qui l'avait rencontrŽe, elle me dit seulement d'une voix suppliante : Ç Ah ! si j'Žtais dans la maison ! Mon pre me tuera s'il me trouve ici ! Ç Je lui dis que, si elle promettait de confesser ses pŽchŽs et de s'en repentir, elle rentrerait dans sa chambre (car autrement il lui fallait

attendre le matin pour s'y glisser quand la maison serait ouverte). Elle promit de s'amender et de se confesser, et reprit assez de force pour pouvoir rentrer dans la maison de la manire accoutumŽe. Mais lˆ elle se trouva malade : le prtre qu'elle demanda, ds qu'il fit jour, se trouvait prt aussi par la gr‰ce de Dieu. Elle se confessa, se repentit sincrement et mourut munie des derniers sacrements. Ses parents ne surent rien de ses pŽchŽs. È

Ç J'ai vu cette nuit une dizaine de cas semblables. Je ne pus pas rŽussir partout. Quelques-uns ne voulurent pas se rendre : c'est quelque chose d'horrible. Je ne plus m'empcher d'en pleurer encore : le diable les tenait attachŽs par des liens trs-forts... J'ai surtout trouvŽ difficile de ramener des ecclŽsiastiques qui vivaient dans des pŽchŽs de ce genre J'ai rencontrŽ encore cette nuit des cas semblables pour lesquels il n'y a d'espŽrance que dans la prire. È

 

Novembre 1820. Ç J'entrepris un grand voyage o j'eus beaucoup ˆ faire. Je ne me rappelle distinctement que les cas suivants parmi bien d'autres. Mon guide me conduisit dans les environs de Paderborn prs d'une maison situŽe sur la route et il me dit : Ç Il y a dans cette maison une jeune fille plongŽe dans toute espce de vanitŽs et tu dois lui donner quelques avertissements. Elle va revenir de la danse chez elle, et je te donnerai la voix et le langage de la pieuse fille d'un voisin : quand elle se dŽshabillera, tu lui feras des exhortations È. Je vis alors en tableaux toute la manire de vivre de cette jeune fille. Je vis combien elle Žtait vaine, passionnŽe pour la toilette et pour la danse, dŽrŽglŽe dans ses moeurs, et comment elle trompait ses amants les uns aprs les autres. Je la vis en ce moment revenir de l'endroit ou l'on dansait : elle entra dans sa chambre sans lumire et se dŽshabilla pour se mettre au lit. Je m'approchai d'elle et lui dis : Ç Tu devrais pourtant penser ˆ quitter avec cette toilette la vie que tu mnes et ne plus servir 1e diable, mais ton Dieu, qui t'a donnŽ ton corps et ton ‰me et qui a rachetŽ celle-ci de son sang. È Lorsque la jeune fille entendit ces paroles, elle fut trs-mŽcontente et trs-irritŽe et me dit que je ferais bien mieux de m'en retourner chez moi, que mes bavardages Žtaient hors de saison, qu'elle n'avait pas besoin de gouvernante, qu'elle savait ce qu'elle avait ˆ faire. Elle alla se mettre au lit sans avoir priŽ et quand elle eut dormi quelque temps, mion guide me dit : Ç Il faut encore la secouer. Je lui ferai voir quelques tableaux qui lui apprendront ce qu'est en rŽalitŽ la vie qu'elle mne. È Je ne vis pas des tableaux, mais je sus qu'elle vit Satan, qu'elle se vit elle-mme ainsi que ceux qui lui faisaient la cour. Mon guide ne nomma pas Satan par son nom : il l'appela, je crois, le prince du monde. Je la secouai. Alors, toute palpitante d'angoisse et de terreur, elle se leva prŽcipitamment, s'agenouilla sur son lit et rŽcita dans une grande perplexitŽ tout ce qu'elle savait de prires. Je la vis aussi courir ˆ sa mŽre et lui raconter qu'elle avait eu de terribles angoisses et qu'elle ne voulait plus jamais aller ˆ la danse. Sa mre chercha ˆ l'en dŽtourner, mais elle n'y parvint pas : le lendemain, elle alla, comme je le lui avais prescrit, trouver un prtre et fit une confession gŽnŽrale de toute sa vie. Et j'ai eu l'assurance qu'elle se corrigerait. È

 

8 mars 1820. Ç Pendant un voyage que j'ai fait cette nuit, je traversai d'abord une neige Žpaisse et je vis deux voyageurs que d'autres hommes frappaient ˆ coups de b‰ton. L'un dÕeux tomba mort. Je courus pour les secourir, et il me sembla que j'effrayais les assassins. L'autre vivait encore. Il vint des gens de sa famille qui le transportrent chez un mŽdecin dans un endroit du voisinage. J'obtins par ma prire qu'il en reviendrait. Je sais bien que je ne dois plus ajouter ˆ mon fardeau, mais je voulais pourtant souffrir quelque chose ˆ sa place et j'obtins ce que je dŽsirais. Aprs cela je fis encore un grand voyage. Comme je revenais je me trouvai de nouveau dans les neiges. Lorsque je me rapprochai de chez moi, je vis, entre autres misres, un pauvre homme affamŽ, qui voulait se procurer du pain pour ses enfants, faire une chute dangereuse, au point qu'il ne pouvait plus se dŽgager de la neige. J'obtins aussi qu'il serait tirŽ de danger et qu'il trouverait des aliments. Je que crois que nous entendrons parler de cet homme. È Dans lÕaprs-midi, vers quatre heures, le Plerin la trouva malade et trempŽe de sueur. Elle a dit que cela continuerait jusqu'ˆ cinq heures. Une forte sueur, devant durer de trois heures ˆ cinq, lui a ŽtŽ imposŽe pour la guŽrison de lÕhomme. Le Plerin voit que c'est une sueur de sang et d'eau et qu'elle en a rendu une Žnorme quantitŽ, de quoi remplir une chopine. Elle se trouve bien malgrŽ cela, seulement elle Žprouve une lassitude excessive. Elle dit au Plerin : Ç On peut en penser ce qu'on voudra : je sait que cÕest la volontŽ de Dieu que je fasse ainsi, que je souffre ainsi. J'ai fait cela ds ma premire jeunesse, je suis appelŽe par Dieu ˆ ces travaux de misŽricorde: ƒtant ‰gŽe seulement de quatre ans, j'entendis ma mre pousser des gŽmissements : elle Žtait dans les douleurs de l'enfantement pour la naissance de ma soeur. J'Žtais couchŽe prs d'une vieille femme et je ne cessais d'implorer Dieu en lui disant : Je veux avoir les douleurs de ma mre : donnez-moi les douleurs de ma mre. È

 

Voyage ˆ Palerme.

 

Aožt 1820 : Ç Hier, pendant toute l'aprs-midi, j'avais dŽjˆ le pressentiment que je devais partir et que quelqu'un rŽclamait des prires et des secours. Cette nuit, j'ai eu une vision : dans lՔle qui est ˆ l'extrŽmitŽ de l'Italie, lors des meurtres et des brigandages affreux que j'ai vus commencer lˆ rŽcemment, il y avait parmi les meneurs un homme qui poussait des cris vers Dieu et vers la sainte Vierge pour qu'ils vinssent ˆ son secours : il Žtait dŽcidŽ ˆ changer de vie. Depuis deux ans ˆ la vŽritŽ il avait menŽ celle d'un impie, mais il voulait fermement s'amender. Je vis aussi qu'il avait femme et enfants et que sa femme Žtait parmi les plus furieux du parti. Pour lui, tout en vivant comme un impie, il portait sur lui une petite image de la Mre de Dieu, peinte sur parchemin ou sur autre chose

Elle Žtait cachŽe dans son habit entre les boutonnires, il ne s'en Žtait jamais sŽparŽ et y avait souvent pensŽ. Elle Žtait de couleur bleue et or et trs-joliment peinte. Je le vis comme une espce de chef subalterne parmi plusieurs insurgŽs endormis, lesquels avaient des armes, mais pas d'uniformes. Il semblait qu'ils dussent faire une attaque vers le matin : ils Žtaient couchŽs en plein air devant un lieu habitŽ. Je vis dans ce pays de grandes misres : beaucoup d'honntes gens y ont ŽtŽ tuŽs et d'autres pŽriront encore pour que la vue des malheurs qui vont venir leur soit ŽpargnŽe. J'ai vu la dŽtresse, le dŽsordre et l'exaspŽration rŽgner ˆ un point effrayant. J'ai vu le peuple trs-pauvre et adonnŽ ˆ bien des superstitions. Je vis ce pauvre homme dans de grandes angoisses de conscience: il implorait sans cesse Dieu, et Marie. : Ç Ah ! disait-il, si ce que la religion enseigne est vrai, que la sainte Vierge prie donc pour moi afin que je ne meure pas dans mes pŽchŽs ; autrement je serai condamnŽ pour toujours. È Il la suppliait de lui venir en aide parce qu'il ne savait pas comment se tirer de lˆ. J'eus aussi une vision sur sainte Rosalie et sur le jour de sa fte aprs lequel ces horreurs commencrent. A peine eus-je senti et vu la dŽtresse et les angoisses de cet homme que je priai du fond du coeur d'avoir pitiŽ de lui et de le sauver,

Et ˆ lÕinstant, sans avoir le sentiment que j'eusse fait un voyage, je me trouvai devant lui au milieu de ses camarades endormis. Je ne me souviens pas de tout ce que je lui dis : je sais seulement que je lui dis de se lever et de sÕen aller parce que sa place n'Žtait pas lˆ. Je ne crois pas quÕil m'ait vue : il peut avoir eu seulement un mouvement intŽrieur. Il quitta les rebelles, courut ˆ la mer et monta dans une petite embarcation qui avait deux rameurs et une voile. J'Žtais aussi lˆ : nous navigu‰mes; sans rencontrer d'obstacles, ˆ la clartŽ de la lune brillant dans une nuit tranquille et nous arriv‰mes avec une vitesse extraordinaire prs de la capitale de cette ”le o sont les deux religieuses stigmatisŽes (Cagliari en Sardaigne). Je le laissai lˆ en sžretŽ : il voulait s'amender et vivre pieusement, inconnu de tout le monde. Je visitai la religieuse de Cagliari, qui habite chez une pieuse femme et je la trouvai passablement bien portante et priant pour que le monde soit dŽlivrŽ des malheurs qui l'accablent. Je visitai aussi Rose Serra au couvent des capucines d'Ozieri, je la trouvai trs vieille, maigre, malade : personne ne parlait des gr‰ces quÕelle a reues. Les religieuses Žtaient bonnes et trs pauvres. Le pays Žtait tranquille. Je touchai Rome en revenant et je trouvai le Saint-Pre dans une grande affliction. Il lui a ŽtŽ ordonnŽ dans la prire de n'admettre personne prs de lui pour le moment. L'Eglise noire qui est lˆ est en progrs, et il y a beaucoup de malheureux prts ˆ s'y joindre, aux premiers troublŽs. J'ai vu la secte secrte qui entretient tous ces complots : elle travaille trs-activement. È

 

Salut d'une famille franaise ˆ Palerme.

 

Ç Depuis plusieurs jours, j'ai eu diffŽrentes visions touchant une affaire qui doit tre terminŽe cette nuit : on me fit voir une famille dans le malheureux endroit o le massacre a eu lieu. Je vis une maison riche et bien tenue, un mari avec sa femme et de grands enfants, un serviteur ancien esclave, brun avec des cheveux crŽpus, mais trs entendu. Il m'a ŽtŽ montrŽ comment cette famille est venu lˆ. Ce sont des Franais : je les vis, avant la rŽvolution mener en France une vie heureuse et chrŽtienne : je vis qu'ils Žtaient vraiment bons et pieux. Ils avaient, spŽcialement une dŽvotion cordiale envers la Mre de Dieu; il allumaient tous les samedis une lampe devant son image et faisaient ainsi en commun un exercice de piŽtŽ. L'esclave alors n'Žtait pas chrŽtien, mais c'Žtait un homme d'un bon naturel, extrmement intelligent et actif. Il est d'une taille ŽlancŽe et trs-bien fait, si souple et si adroit que j'avais toujours du plaisir ˆ voir la manire dont il servait ses ma”tres. Je n'ai jamais pu souffrir les gens roides, lents, incapables de mouvement : je pense souvent que les ‰mes des personnes qui savent se remuer sont aussi plus facile, ˆ Žmouvoir. Je vis que le ma”tre et toutes les personnes de la maison aimaient cet esclave : chacun dŽsirait que Dieu, par une impulsion intŽrieure, l'amen‰t au christianisme et son ma”tre et sa ma”tresse priaient souvent la sainte Vierge pour cela. Je vis alors que l'esclave tomba malade et que, la veille du jour de l'Assomption, son ma”tre vint le trouver, lui apporta une image de Marie et lui demanda, puisqu'il n'avait rien d'autre ˆ faire, d'entourer cette image d'une guirlande de fleurs aussi belle que possible : il lui rappela en mme temps que celle que reprŽsentait l'image pouvait avoir pitiŽ de ses souffrances et le recommander ˆ la misŽricorde de Dieu; il l'engageait donc ˆ travailler ˆ cette guirlande avec toute l'affection dont son coeur Žtait capable. Je vis que le serviteur accueillit avec joie la demande de son ma”tre, prŽpara pour l'image une guirlande trs-belle et trs-artistement faite et que, durant son travail, il fut remuŽ intŽrieurement: Je vis aussi que la Mre de Dieu lui apparut pendant la nuit et le guŽrit : elle lui dit que sa guirlande lui avait ŽtŽ agrŽable et qu'il devait aller trouver son ma”tre pour se faire instruire et prŽparer baptme. Je vis l'esclave faire le lendemain ce qui lui avait ŽtŽ dit et je vis le ma”tre, qui avait ardemment priŽ pour cela, tout joyeux de ce que sa tentative avait rŽussi. Je vis alors cet homme devenir chrŽtien et trs-dŽvot ˆ la Mre de Dieu. Il lui tressait une guirlande pour chacune de ses ftes, et, quand il n'avait pas de fleurs, il en faisait en papier de couleur: il allumait aussi tous les samedis un cierge devant l'image et sa piŽtŽ Žtait grande. La Mre de Dieu de son c™tŽ ne laissa pas sans rŽcompense la piŽtŽ de cette famille : car je les vis courir de grands dangers pendant la rŽvolution franaise, s'embarquer et arriver heureusement en vie. Cette scne me fut montrŽe, et je vis ensuite cet homme devenir lˆ trs-riche. Il avait des maisons magnifiquement meublŽes, des jardins et des habitations de campagne, une famille nombreuse et toutes choses en abondance. Mais il nՎtait plus aussi pieux : il s'Žtait engagŽ dans toutes sortes de mauvaises entreprises. Il avait un emploi public et sՎtait mis en relations avec la faction rŽvolutionnaire. Sa position Žtait telle qu'il lui fallait ou prendre parti pour la rŽvolution ou s'exposer aux plus grands pŽrils : il ne pouvait pas reculer. Il Žtait encore restŽ dans la maison quelque chose de ses anciennes habitudes : le cierge Žtait allumŽ tous samedis en l'honneur de la Mre de Dieu. Le bon serviteur Žtait restŽ beaucoup meilleur que ses ma”tres et faisait sa guirlande comme auparavant. J'allai plusieurs fois prs de ces gens pour exhorter le ma”tre ˆ s'amender et s'enfuir. La premire fois (c'Žtait avant l'Assomption), je m'avanai la nuit prs du lit o le mari et la femme Žtaient couchŽs, je leur remis en mŽmoire les jours de piŽtŽ et d'innocence o, ˆ l'approche de cette fte, ils avaient converti lÕesclave au moyen de la guirlande de fleurs en l'honneur de Marie : or voici que le jour de cette fte revenait Je leur montrai combien leur Žtat actuel Žtait l'opposŽ de celui d'alors :puis j'exhortai le mari ˆ faire une guirlande de toutes ses mauvaises habitudes et de tous ses pŽchŽ comme il en avait jadis fait une de fleurs, et ˆ la bržler devant la Mre de Dieu, le jour de sa fte, avec un repenti sincre, aprs quoi il devait quitter le pays aussit™t que possible. Je le pris par le bras et, le rŽveillai :lui-mme rŽveilla sa femme. Ils se racontrent alors qu'ils avaient fait le mme rve et ils furent trs-Žmus. L'esclave avait allumŽ le cierge devant l'image ˆ cause de la fte. J'alla encore quelquefois lˆ pour pousser le mari ˆ prendre son parti. Cela leur cožte beaucoup, il leur faut abandonner leurs maisons, leurs terres et renoncer ˆ leur grande opulence. La dernire nuit, j'allai le trouver : ils Žtaient prts. Ils avaient ramassŽ beaucoup d'or, plus qu'il ne leur en fallait : ils laissrent lˆ tout le reste et s'embarqurent pour l'Inde sur un grand navire, parce que le mari avait entendu dire qu'il y avait lˆ une ”le o la religion prospŽrai de nouveau. Ainsi le bon serviteur revint dans sa patrie. Je vis d'horribles misres dans ce pays (la Sicile). Tout le monde s'espionne rŽciproquement. J'ai vu aussi la femme de cet homme qui s'est enfui en Sardaigne. Elle est si enragŽe qu'elle voudrait le baigner dans son sang. C'Žtait elle principalement qui avait poussŽ son mari ˆ conspirer. Celui-ci, lors de sa fuite, Žtait si Žmu qu'il se tournait en esprit vers tous les sanctuaires. Il s'est confessŽ en Sardaigne, chose singulire, on m'a dit qu'il viendra dans notre pays et que je pourrai peut-tre le voir. È

 

14 octobre. Ç J'ai vu la famille qui a ˆ son service l'ancien esclave indien, aborder dans lՔle pour laquelle ils s'Žtaient embarquŽs. Ils ont ŽtŽ bien reus. È

 

2 septembre. Ç Je vis ˆ Syracuse la fte de saint Evodius, et je vis un homme pieux qui invoquait le saint du fond du coeur. Les troubles qui existaient partout l'inquiŽtaient beaucoup, et il voulait quitter le pays, mais il avait plusieurs enfants et sa femme s'y refusait. Je fus chargŽe de lui dire qu'il devait partir. Il Žtait dŽjˆ nuit quand j'entrai dans la cour de sa maison o il marchait de long en large, plein de soucis et d'inquiŽtude. Il ne me demanda pas qui j'Žtais : nous parl‰mes ensemble et je lui dis qu'il devait s'Žloigner, mme sans sa femme, si elle ne voulait pas, que du reste elle ne tarderait pas ˆ le rejoindre. Alors il prit son parti. È

 

13 octobre. Ç Cette nuit j'ai rencontrŽ pur la mer un navire sans rames et sans voiles ballottŽ par la tempte. Il Žtait plein de gens qui s'enfuyaient de Sicile. Mon guide me donna une barre de fer ronde avec laquelle je devais pousser le navire en avant. Mais elle glissait toujours; jÕen aurais voulu une pointue. Il me dit qu'il me fallait pousser ainsi avec peine et avec fatigue, que je devais tout faire de la sorte. Il ajouta que les objets armŽs de pointes Žtaient pour les affaires du monde et qu'on ne s'en servait que trop en Sicile. Les passagers arrivrent heureusement ˆ terre. È

 

Un homme dŽtournŽ du vol.

 

         Ç J'Žtais dans une petite ville, ˆ plus de cent lieues d'ici. J'y vis dans une Žglise une image de Marie ˆ laquelle Žtaient suspendues des offrandes en argent. Je vis trois hommes qui voulaient dŽpouiller cette image la nuit suivante. J'en connaissais un : il Žtait bon au fond. Je lui avais donnŽ une chemise avant qu'il quitt‰t le pays : c'Žtaient la faim et la misre qui l'avaient dŽgradŽ ˆ ce point. Les autres ne m'inspiraient pas les mmes sentiments : peut-tre Žtaient-ils d'une autre religion. Je ne pouvais pas prier pour eux avec la mme ferveur. Ces hommes se disaient : Ç Nous mourons de faim, l'image n'a besoin de rien. È Ils croyaient que c'Žtait ne voler personne. Les pauvres parents de celui que je connaissais l'avaient, lors de son dŽpart, recommandŽ ˆ Marie et ˆ Joseph, et j'Žtais maintenant chargŽe de le dŽtourner du vol. Ils voulaient entrer la nuit, ˆ l'aide d'une Žchelle, par la fentre de l'Žglise. Celui dont j'ai parlŽ devait rester prs d'un mur et faire le guet. La chose ne lui plaisait gure, mais la faim le poussait. Heureusement, une femme, abandonnŽe de son mari avec plusieurs enfants et accablŽe de dettes Žtait ˆ prier devant l'Žglise. Elle Žtait au moment de tout perdre parce qu'elle ne pouvait retirer ce qu'elle avait mis en gage, et elle avait recours ˆ la Mre de Dieu. La prŽsence de cette femme effraya ces malheureux. Je priai aussi pour elle. Mais ils voulaient se concerter de nouveau le lendemain. (Ici la malade engagea fortement le Plerin ˆ prier avec elle pour ce pauvre homme.) Le jour suivant, vers midi, je vis les trois compagnons se promener ensemble et dŽlibŽrer sur ce qu'il y avait ˆ faire. Mais l'homme en question ne voulut pas recommencer: il dit qu'il aimait mieux, lorsqu'il aurait faim, arracher des pommes de terre et les faire cuire. Ils le menacrent de la tuer s'il n'allait pas avec eux. Il promit d'y aller, mais il les quitta avec la ferme rŽsolution de n'en rien faire. L'Žglise est situŽe ˆ l'extrŽmitŽ de la petite ville. È

Ç Dans ma jeunesse, j'empchai une fois un jeune homme de faire un grand pŽchŽ. Plus tard il se maria ˆ la personne, et j'eus souvent l'occasion de donner des avis tant ˆ lui qu'ˆ sa femme. Ils Žtaient dans le besoin et il pensait ˆ recourir au vol. Je le vis plusieurs fois la nuit se glisser avec un sac vers les fours des boulangers pour y dŽrober du pain; je l'en empchai toujours, soit en faisant du bruit, soit en me mettant en face de lui. J'eus le bonheur de l'empcher plusieurs fois. Une fois je le vis se glisser dans la maison un homme de ma connaissance qui avait pŽtri du pain dans sa huche. J'Žtais comme encha”nŽe et je ne pouvais pas lÕarrter : il avait dŽjˆ dans son sac une grande quantitŽ de p‰te, lorsque le propriŽtaire, rŽveillŽ par l'aboiement chiens, voulut allumer sa lampe. Si elle s'allumait, le voleur Žtait perdu et sa famille dŽshonorŽe ˆ jamais : car il Žtait obligŽ de passer devant cet homme. Je ne pouvais plus l'empcher de voler. Je voulus le sauver pour qu'il sÕamend‰t. Je trouvai la force de faire battre la porte et Žtablir ainsi un courant d'air qui Žteignit plusieurs fois la lampe et le voleur s'Žchappa avec son sac. Quelques semaines aprs, l'homme volŽ vint me voir et me raconta toute l'affaire : il ne savait pas, disait-il, pourquoi il n'avait pas mis la main sur le voleur ; il en avait eu intŽrieurement pitiŽ. Celui-ci pouvait maintenant s'amender : il Žtait bien aise de ne pas l'avoir reconnu, etc. Il parla trs bien. La femme du voleur vint aussi me trouver, et comme elle me rappelait qu'avant son mariage, je l'avais prŽservŽe du pŽchŽ, je lui parlai de la facilitŽ avec laquelle de petites fautes font tomber dans de trs-grandes. Elle pleura beaucoup, elle savait ce qu'avait fait son mari. Tous deux ont fait rŽparation et se sont amendŽs. J'agis ainsi d'aprs la volontŽ de Dieu. È

 

         22 janvier 1820. Ç Je fus tout ˆ coup appelŽe par une ardente prire et je vis, au-delˆ de la mer, dans une contrŽe maritime, un vieillard qui paraissait trs-agitŽ et qui priait. Il y avait beaucoup de neige dans le pays; on y voyait des pins et d'autres arbres du mme genre avec des feuilles piquantes. Cet homme portait une grande pelisse et il Žtait coiffŽ d'un bonnet de fourrure grossirement fait o pendait une queue d'animal. Il habitait une grande maison isolŽe, dont dŽpendaient plusieurs autres plus petites situŽes dans le voisinage. Je ne vis pas d'Žglise, mais quelque chose comme des Žcoles. Cet homme semblait tre vraiment bon. Son fils, qui menait une vie trs-dŽrŽglŽe, avait quittŽ la maison dans un accs de colre pour s'embarquer sur un navire. JÕaperus ce navire. Il s'y trouvait de grandes valeurs en marchandises et en argent. Le pre, qui avait le pressentiment d'un grand danger o se trouvait ce b‰timent au milieu de la tempte, Žtait dans une vive inquiŽtude ˆ la pensŽe qu'il allait couler et que son fils mourrait dans son pŽchŽ. I1 se mit ˆ prier avec ardeur et envoya des domestiques et des servantes chargŽs de porter des aum™nes et de demander des prires dans les environs. Lui-mme alla dans un bois o vivait en solitaire un homme pieux dans lequel il avait beaucoup de confiance, pour lui demander aussi des prires. Je vis cela au-delˆ de la mer, et je vis sur la mer orageuse le navire qui portait le fils courir de trs-grands dangers. Je le vis ballottŽ ˆ et lˆ par la tempte. C'Žtait un Žnorme b‰timent presque grand comme une Žglise. Je vis les hommes de l'Žquipage grimper aux m‰ts et pousser des cris. Il y avait lˆ peu de gens qui eussent de la religion. Je vis le fils, il n'Žtait pas bon. Tout paraissait dŽsespŽrŽ. Je priai Dieu de toutes mes forces, et je vis dans plusieurs directions plusieurs personnes qui priaient, notamment le vieillard dans la fort. Je priai avec une grande ferveur et je prŽsentai ˆ Dieu ma demande avec beaucoup d'insistance et de hardiesse. J'Žtais peut-tre trop hardie, car je reus une rŽprimande, mais je ne me dŽcourageai pas. Il semblait que je ne dusse pas tre exaucŽe: mais la dŽtresse que je voyais Žtait dŽchirante, et je ne cessai pas prier, d'implorer et de crier, jusqu'au moment o je vis navire aborder dans une anse dont les bords Žtaient entirement revtus de maonnerie. Il paraissait y tre en sžretŽ. Le pre reut aussi une assurance intŽrieure qui le tranquillisa, et j'eus l'espoir que le fils s'amenderait. Lˆ-dessus je remerciai Dieu. J'ai su, sur les rapports du fils et pre qui Žtait veuf, toute une histoire dont j'ai perdu le souvenir. È

 

6 juillet 1820. Ç Il m'a fallu faire un grand voyage: un guide m'accompagnait. C'Žtait prs d'une ville du Nord: lˆ vivaient pauvrement, dans une maisonnette isolŽe deux Žpoux qui semblaient tre des fermiers : ils se croyaient ˆ la veille d'tre chassŽs de leur demeure et rŽduis ˆ la misre. Pourquoi cela, je n'en sais rien. Ils avaient confiance en moi, et dans leurs terribles angoisses ils s'Žtaient souvenus de moi, pensant que je m'adresserais ˆ Dieu pour qu'il vint ˆ leur secours. I1s avaient prs dÕeux de petits enfant, et je vis qu'ils avaient aussi, dans une contrŽe ŽloignŽe, des enfants-adultes; un fils, qui Žtait dans une bonne position, s'occupait de diverses affaires et fit beaucoup pour ses parents, et une fille qui semblait dans mon voisinage, et qui se tenait derrire moi, me poussant en avant vers ses parents. Le mari n'avait pas toujours ŽtŽ bon, mais il l'Žtait devenu. Sa femme semblait plus ‰gŽe que lui. Il me fallut aller ˆ eux : leur prire mÕattirait et mon conducteur m'ordonna de le suivre jusque-lˆ. J'avais prs de moi quelque chose dont je ne me souviens plus, un objet rŽel on symbolique. Dans le voyage, je me trouvai devant un rempart perpendiculaire qui me barrait le chemin, et que, suivant toute apparence, il m'Žtait impossible de franchir. Mais je me souvins de ce qu'a dit JŽsus, que la foi peut transporter les montagnes: pŽnŽtrŽe de cette vŽritŽ, je m'Žlanai pour sauter dessus, et la hauteur escarpŽe s'abaissa sous mes pieds jusqu'au niveau de la plaine. Je passai aussi par la contrŽe o, un jour, j'avais vu sauvŽ par la prire un pre de famille dont la vie Žtait en danger, pendant que des orages terribles s'amassaient sur lui. En passant par un pays de montagnes, je vis ˆ ma droite sainte Hedwige, et je vis encore sur le chemin d'autres saints en relations avec les pays dont ils Žtaient les patrons ou dans lesquels leurs corps reposaient. Les gens vers lesquels j'allais, habitaient une pauvre maisonnette ˆ peu de distance d'une petite ville. Il faisait nuit lorsque j'entrai. Le mari Žtait levŽ, je crois qu'il avait entendu du bruit. La femme Žtait couchŽe dans son lit et pleurait. Je ne sais plus ce que j'eus ˆ faire lˆ, ni ce que j'y apportai, mais ils furent consolŽs et secourus : le danger Žtait passŽ lorsque je les quittai. Je fus reconduite par une autre route, plus au couchant, et j'eus encore beaucoup ˆ faire sur le chemin. Il me fallut empŽcher un vol. È

 

         2 mars 1822. Une somme importante avait ŽtŽ volŽe ˆ un pauvre receveur de la douane qui Žtait protestant. Il avait perdu sa place et manquait de pain, lui et sa famille. Le Plerin demanda ˆ la malade de prier pour lui et elle y Žtait fort disposŽe. Ayant priŽ plusieurs fois pour cette famille, elle dit : Ç Chose Žtonnante, on ne peut presque rien faire dans ce cas par la prire. Je vois de ces protestants indiffŽrents dans un Žtat tout ˆ fait singulier. Ils sont dans l'ombre, dans le brouillard, compltement sourds et aveugles, et ils se heurtent de c™tŽ et d'autre. Ils sont comme milieu d'un vent qui les rend inaccessibles et dont le souffle enlve tout ce qu'ils ont sur eus. Je ne sais pas si cette fois Dieu viendra en aide. È

 

16 octobre 1820. ¥ J'Žtais dans une grande ville o il y plusieurs faubourgs, beaucoup de fumŽe et de noirs monceaux de charbon ; il s'y trouve beaucoup d'Žtudiants et de savants, et aussi plusieurs Žglises catholiques. J'y ai vu, dans une auberge, un homme qui n'avait rien de bon dans l'esprit. Il Žtait assis ˆ table et un chien noir, d'un aspect Žtrange, sautait en l'air aprs lui ; il semblait que ce fžt le diable. Je vis qu'il voulait tromper les gens de l'auberge et que, pour ne pas payer son Žcot, il monta sur la fentre et s'Žchappa. On l'attendit inutilement ˆ la porte, il Žtait parti. Je le vis ensuite dans une fort o un homme pieux voyageait ˆ pied. C'Žtait une fort de sapins. Il attaqua cet homme qui, pour sauver sa vie, lui donna un petit sac d'argent et s'enfuit. Le voleur avait ˆ son c™tŽ un couteau qu'il tenait cachŽ : Il voulut courir aprs le volŽ et le tuer par derrire, mais mon conducteur et moi nous lui barr‰mes le chemin : de quelque c™tŽ quÕil all‰t, nous nous trouvions toujours devant lui. En mme temps l'argent devint pour lui si lourd ˆ porter qu'il fut presque saisi de dŽsespoir. Ses bras et ses jambes tremblaient, et il se mit ˆ crier ˆ celui qu'il avait dŽpouillŽ : Ç Mon ami; mon ami, arrtez ! reprenez votre argent : ! È Alors il put avancer, le voyageur l'attendit, il courut ˆ lui et lui donna son argent; il lui avoua tout, mme qu'il avait voulu l'assassiner et que cՎtaient deux figures blanches qui l'avaient ainsi terrifiŽ. Il ne voulait plus jamais, disait-il, faire pareille chose. Il Žtait Žtudiant, il avait plusieurs complices de ses vols, il voulait les ramener au bien. Alors il continua sa route en compagnie du voyageur qui lui promit de s'intŽresser ˆ lui. È

 

Assistance donnŽe dans le royaume de Siam.

 

12 novembre 1820. Ç J'allai dans un grand dŽsert o je vis un homme et une femme trs-misŽrables et ˆ l'air trs-farouche qui Žtaient agenouillŽs et criaient vers Dieu. J'allai ˆ eux et ils me demandrent ce qu'ils devaient faire : j'Žtais certainement la personne qui, aprs qu'ils avaient si souvent criŽ au secours, leur avait ŽtŽ annoncŽe en songe comme devant les consoler. Je ne sais plus si j'avais vu d'avance, dans une vision, la dŽtresse de ces gens ou si je l'appris d'eux. Ils Žtaient tous deux abandonnŽs dans le dŽsert ˆ cause d'un grand crime. Ils auraient subir une mutilation, mais on les avait laissŽs s'enfuir par pitiŽ. Leur grande misre leur avait fait faire pŽnitence, et comme ils ne savaient rien de Dieu, ils en Žtaient arrivŽs dans le dŽsert ˆ prier ardemment pour tre instruits, et leur ange gardien leur avait dit en songe que Dieu leur enverrait quelqu'un pour leur dire ce qu'ils avaient ˆ faire. ils vivaient dans une caverne et, comme tous les ans on faisait lˆ une grande chasse, ils en cachaient l'entrŽe avec des broussailles et mettaient devant une charogne. Quand les chasseurs en sentaient l'odeur, ils quittaient cet endroit comme Žtant impur, pour se conformer ˆ une vieille coutume, et ainsi ces pauvres gens n'Žtaient pas dŽcouverts. Ils Žtaient comme abrutis par le chagrin et par les privations. Je leur donnai des consolations et des conseils que Dieu m'inspira pour eux, et je leur dis avant tout qu'ils vivaient l'un avec l'autre dans un commerce coupable qui Žtait une abomination devant Dieu, qu'ils devaient dorŽnavant s'abstenir de ces relations jusqu'ˆ ce qu'ils eussent ŽtŽ instruits dans la religion chrŽtienne et unis l'un ˆ l'autre d'une manire rŽgulire. Les pauvres gens eurent de la peine ˆ comprendre cela, et la chose parut leur cožter beaucoup, tant ils Žtaient abrutis et devenus semblables ˆ des animaux sauvages. Je leur indiquai aussi comment ils pourraient gagner un endroit o je voyais le christianisme faire de grands progrs dans ces contrŽes, et o j'avais envoyŽ plusieurs personnes de Sicile. C'Žtait lˆ qu'ils devaient tre instruits. Je ne me rappelle pas autre chose de cette vision. È

 

Ç J'allai aussi dans l'”le o les chrŽtiens sont si bien accueillis par les habitants pa•ens. J'y vis plusieurs maisons nouvellement construites. Le gentilhomme franais, ŽmigrŽ de Palerme avec sa famille, Žtait lˆ : il s'Žtait b‰ti une maison et en arrangeait une autre pour donner l'hospitalitŽ ˆ des prtres. Malheureusement il y avait peu de missionnaires catholiques, il y venait le plus souvent des missionnaires hŽtŽrodoxes. È

 

Ç Dans ce voyage je me trouvai au milieu de la mer, prs d'un navire qui Žtait en grande dŽtresse. Il ne pouvait plus marcher et Žtait au moment de couler bas. Je vis tout autour beaucoup de mauvais esprits. Il s'y trouvait toute une famille venant de Sicile, depuis le grand'pre jusquÕaux petits enfants, et ils ne pouvaient pas avancer, parce qu'au moment du pillage ils s'Žtaient appropriŽ des trŽsors appartenant ˆ l'Žglise, ˆ l'aide desquels ils voulaient se b‰tir de grandes maisons dans le pays o ils aborderaient. Je fus chargŽe de leur dire qu'ils couleraient bas trs-certainement, s'ils ne rejetaient pas et ne restituaient pas ce bien mal acquis: mais ils ne savaient comment le faire sans se trahir. Alors je leur conseillai de le dŽposer, avec l'adresse du possesseur lŽgitime, sur un point du rivage o il pourrait tre trouvŽ et rapportŽ par d'autres navires. Je savais que Dieu y pourvoirait. Lorsqu'ils eurent fait cela, ils purent avancer sans obstacle. È

 

25. Travaux pour des couvents.

 

13 aožt 1820. Ç J'eus ˆ visiter un dignitaire ecclŽsiastique qui laissait de c™tŽ plusieurs affaires trs-pressantes, ce qui avait des rŽsultats trs-f‰cheux. Toute sa manire d'tre me fut montrŽe : il avait un bon jugement et une humilitŽ qui semblait exagŽrŽe, mais il Žtait trs-nŽgligent. Je vis qu'ˆ l'occasion d'une affaire concernant un couvent, il avait reu des lettres de la supŽrieure, mais, les ayant placŽes parmi d'autres papiers, il les avait compltement oubliŽes, et il Žtait rŽsultŽ de lˆ un grand dŽsordre. Je vis aussi qu'il ne prenait pas assez au sŽrieux les affaires actuelles de l'ƒglise. Je ne pouvais pas croire que je fusse chargŽe d'avertir un homme aussi distinguŽ et de tant d'humilitŽ : je me dŽfiai de cette mission comme d'un pur rve, et j'y fus compltement incrŽdule. Alors tout a coup saint Thomas parut devant moi et me parla contre l'incrŽdulitŽ: je vis plusieurs visions sur lui, comme quoi il avait dŽjˆ ŽtŽ incrŽdule ds le commencement, et comment son incrŽdulitŽ aux rŽcits sur les miracles de JŽsus l'avait conduit ˆ JŽsus et avait fini par la persuasion qui avait fait de lui un disciple. Je vis en outre plusieurs choses de sa vie. Je fus ensuite conduite prs du prtre pour lequel je devais prier. Il Žtait couchŽ dans une grande chambre, lisant ˆ la lumire d'une bougie. Je vis qu'il Žtait Žmu et que ses diverses nŽgligences Žtaient comme un poids sur son coeur. Il se leva, chercha dans son Žcritoire la lettre longtemps oubliŽe de la supŽrieure, et en prit lecture. È

Ç J'eus aussi un travail ˆ faire pour de futures religieuses. Je vis dans un couvent plus de trente jeunes femmes qui n'avaient pas encore embrassŽ l'Žtat religieux. Elles s'entretenaient ensemble. Il semblait qu'elles fussent de trois classes; les unes appartenant ˆ deux instituts existants consacrŽs au soin des malades et ˆ l'Žducation, lesquels devaient tre renouvelŽs: les autres ˆ un troisime qui Žtait ˆ fonder et qui devait avoir aussi pour objet le travail manuel et l'Žducation. J'Žtais peinŽe de ce que ces filles souffraient qu'il y ežt tant de saletŽ parmi elles. Il y avait aussi lˆ une personne destinŽe ˆ devenir supŽrieure, et quelques-unes qui ne voulaient tre que soeurs converses, mais qui me parurent aussi bonnes que les autres. Mon guide me dit : Ç Vois ! ces personnes sont toutes hŽsitantes, elles sont dŽcidŽes et ne le sont pas : elles disent: .Ç Dieu veut ceci, Dieu veut cela; quelle est la volontŽ de Dieu ? si c'est la volontŽ de Dieu, etc. È En mme temps elles sont trs-attachŽes ˆ leur volontŽ propre et elles ont affaire lˆ dehors ˆ des chevaux qu'il te faut dompter. È Alors il me mena devant la maison o se trouvait tout un troupeau de chevaux furieux. Ces chevaux Žtaient les passions des personnes de cette maison et aussi d'autres personnes vivant dans le monde qui voulaient empcher l'Žtablissement de la maison. Ces passions les reliaient tous ensemble et ils travaillaient au-dedans et au-dehors contre le progrs de lÕinstitut. Il y avait ˆ peu prs autant de chevaux que de personnes dans la maison : tous faisaient rage contre la maison, tous voulaient lui donner l'assaut. Je me dis que cՎtait comme en ŽtŽ quand les chevaux sont tourmentŽs par

les mouches et veulent entrer dans les maisons. Il me paraissait bien singulier d'avoir ˆ me mler de ces chevaux, Žtant si faible et ne m'Žtant jamais occupŽe de chevaux sinon quand, dans mon enfance, je conduisais ˆ mon pre        son cheval au point du jour. Mon guide me dit: Ç Tu dois ˆ l'aide de moyens spirituels, monter tous ces chevaux, les dompter et les mettre sous tes pieds. È Je me demandais comment cela pourrait jamais se faire, alors il me dit : Ç Tu le peux et tu le feras, mais seulement par la prire et par la patience, en supportant avec patience et douceur ce qui t'est encore rŽservŽ et ce que tu as ˆ souffrir. Tu auras ˆ recommencer sans cesse. N'as-tu pas dit bien souvent que tu voulais recommencer mille fois? Commence donc maintenant de nouveau ˆ supporter ˆ chaque instant de nouvelles souffrances; pense toujours que tu n'as rien souffert, ni rien fait : c'est ainsi que tu dompteras tous ces chevaux. Tant que tu ne les auras pas domptŽs, ces jeunes filles seront imparfaites. Tu agiras aussi par lˆ sur ce qui t'entoure; tu seras la supŽrieure spirituelle des ‰mes de ces nouveaux rejetons de la vie religieuse : tu dois les cultiver, les pousser et les purifier dans les voies spirituelles par des moyens spirituels. È - Je lui dis qu'il me paraissait absolument impossible de dompter ces chevaux parce que quelques-uns Žtaient par trop furieux. Lˆ-dessus il me rŽpondit: Ç Celles auxquelles ces chevaux ont rapport deviendront prŽcisŽment les meilleures, les plus fortes colonnes de la maison des noces. Ce sont les grands talents, elles seront tout ˆ fait fortes quand leurs chevaux seront domptŽs.È

         Ç Alors, Žtant sortie, je commenai ˆ chasser les chevaux et je les poussai devant moi ˆ quelque distance de la maison. Ils se mirent ˆ courir dans diverses directions, et je vis dans un cercle autour de moi divers tableaux o figuraient des personnes qui travaillaient sciemment ou ˆ leur insu contre l'Žtablissement de la maison. Il y avait lˆ des gens dont les intentions Žtaient mauvaises et des gens de bien qui avaient bonne volontŽ, mais peu ŽclairŽs, et je vis avec peine que ces derniers agissaient bien plus contre elle que les autres. Je vis notamment parmi eux des ecclŽsiastiques fort considŽrŽs. È

         Ç J'eus encore (plus tard) ˆ prier pour le rŽtablissement d'un couvent de femmes qui me fut montrŽ par deux saintes religieuses. Je vis le couvent et l'endroit o le linge du couvent Žtait lavŽ et blanchi. Il y avait une surabondance de linge, mais dans le plus grand dŽsordre. A l'extrŽmitŽ du jardin coulait un cours d'eau fra”che et vive, mais on ne s'en servait pas: on allait ˆ une mare d'eau trouble plus rapprochŽe. Mes saintes compagnes me dirent : Ç Vois ! autant il est difficile de remettre l'ordre dans cette masse de linge, autant il l'est de le remettre dans la communautŽ. Essaye le voir si tu le pourras ! È Je me mis ˆ l'ouvrage et trouvai le linge plein de vieilles taches de toute espce et fort ab”mŽ; il fallut me donner terriblement de peine. Je ne pus pas terminer ma t‰che et j'aurai encore ˆ m'en occuper. È

 

Prire pour la Grce.

 

31 juillet 1821. Ç J'ai eu cette nuit un singulier travail ˆ faire. J'Žtais en prire pour les chrŽtiens et pour tant d'innocents dont la misre est grande en Turquie, et il me fallut combattre toute la nuit contre des Turcs pour repousser leurs attaques. J'avais appelŽ au secours saint Ignare de Loyola, il me donna son b‰ton et m'apprit comment je devais m'en servir. Je me trouvai au-dessus d'une ville, situŽe assez haut sur un golfe tournŽ vers le couchant. Il y avait sur la mer devant la ville beaucoup de navires; c'Žtait comme une fort de m‰ts. Je vis dans une vision comment le saint martyr Ignace d'Antioche avait passŽ lˆ, chargŽ de cha”nes, lorsqu'on le conduisait ˆ Rome, et y avait reu la visite d'autres Žvques. Je vis autour de la ville beaucoup de soldats turcs qui voulaient y entrer, tant™t sur un point, tant™t sur un autre, par des jardins et des brches faites aux murs. Tout Žtait dans la confusion et il n'y avait d'ordre nulle part. Je pouvais me tenir en l'air comme si j'avais eu des ailes. Quand je m'Žlevais un peu, je volais. Je rassemblai mes vtements autour de mes pieds, et, tenant ˆ la main le b‰ton de saint Ignace, je planai ˆ la rencontre des Turcs qui attaquaient. Il semblait qu'une quantitŽ de balles passaient autour de moi. Je les repoussai toujours. Il y avait encore avec moi plusieurs figures blanches, mais souvent elles restaient en arrire, je planais toute seule en avant et quelquefois j'avais grand'peur de rester accrochŽe dans de grands arbres qui avaient de larges feuilles et des fruits noirs en forme de grappes. Souvent aussi je me disais : Ç Il est bon que les gens de mon pays ne me voient pas ainsi en l'air: ils diraient certainement que je suis une sorcire. È Pendant qu'il me fallait ainsi combattre, tant™t d'un c™tŽ, tant™t de l'autre, je vis une grande quantitŽ de personnes sortir en toute h‰te de la ville avec leurs bagages et monter sur des vaisseaux bordŽs de galeries du haut desquelles on jeta de petits ponts jusqu'au rivage. Tous les vaisseaux Žtaient remplis d'habitants de la ville. Je travaillai ainsi toute la nuit. Je vis aussi les Grecs: mais ils me parurent presque plus cruels et plus sauvages que les Turcs. Je vis aussi ˆ une grande distance, du c™tŽ du nord, de nombreuses troupes en marche contre les Turcs, dans une vaste plaine, et j'eus l'impression que, si elles arrivaient, les choses empireraient encore. J'eus aussi une vision o il me fut montrŽ jusqu'ˆ quel point les Grecs Žtaient sŽparŽs d'avec l'ƒglise. Je vis cela sous la forme d'un fleuve qui coulait et j'en ressentis une impression trs-pŽnible. Les Turcs, quand ils se rŽpandent ainsi ˆ travers le pays, ne ressemblent pas ˆ des soldats : ils n'ont pas d'uniformes dans ce pays; ils courent ˆ demi nus, affublŽs de haillons de toute espce. È

 

Travail pour la paroisse de Gallneukirchen en Autriche sŽduite par les sectaires.

 

23 novembre 1822. Ç Dans le voyage que j'ai fait cette nuit, j'ai eu sainte Odile prs de moi. Elle alla avec moi ˆ Ratisbonne et dit prs d'une maison : Ç C'est lˆ qu'habitait Erhard qui m'a donnŽ la lumire des yeux et celle de l'‰me. È Il semblait que cela se fžt passŽ hier. Sur le chemin, sainte Walburge aussi se joignit ˆ nous. J'ai eu beaucoup ˆ disputer dans cette maison; je me suis extrmement fatiguŽe. Walburge et surtout Odile ne voulurent pas me laisser disputer plus longtemps. Odile me dit : Ç Il faut que nous allions plus loin ; il y a en Autriche un endroit o ils veulent enlever une fiancŽe et il faut que tu rŽveilles ses frres, autrement toute la descendance se perdra. È Elle ne me laissa pas de repos et il fallut partir. C'Žtait un pays de montagnes sur le territoire autrichien : il y a lˆ belles vaches tachetŽes et de magnifiques prairies, mais au milieu desquelles on voit souvent de grands rochers ; il y a aussi de grandes Žtendues d'eau dormante avec des roseaux. Le pays est habitŽ par des gens simples, dont quelques uns ont l'air idiot ; ils se comportent en tout comme des enfants. L'endroit o j'allai est ˆ peu prs ˆ deux lieues d'une grande rivire. il y avait lˆ un ch‰teau avec des maisons ˆ lÕentour. La fiancŽe habitait dans ce ch‰teau. Elle consentait ˆ se laisser enlever par un autre fiancŽ que le sien. Il faisait le guet ˆ la porte avec des valets et une voiture. Elle faisait ses paquets en silence et elle Žtait au moment de sortir. Son vrai fiancŽ n'Žtait pas lˆ, elle le trouvait trop raide et trop sŽvre. PoussŽe par Odile, j'allai pour rŽveiller les frres de fiancŽe qui dormaient dans un b‰timent dŽpendant du ch‰teau. J'eus une peine incroyable ˆ en venir ˆ bout. J'eus beau les prendre par les Žpaules et crier : ils continurent ˆ dormir profondŽment. Enfin je leur mis sous le nez une petite herbe que j'avais cueillie sur le chemin, alors ils se rŽveillrent. Je leur dis tout et je les fis venir avec moi devant la maison : lorsque la fiancŽe sortit, nous nous empar‰mes d'elle trs-doucement et nous la reconduis”mes chez elle. Le sŽducteur attendit encore ; puis il revint chez lui. Il se promenait, plein de rage, dans une belle salle qu'on avait magnifiquement dŽcorŽe avec des colifichets de toute espce, des fleurs artificielles et des miroirs empruntŽs de tous c™tŽs. On y apportait encore des miroirs. La colre le mettait hors de lui et il aurait volontiers tout brisŽ. Ce travail m'a beaucoup fatiguŽe. Tous les chemins Žtaient comme obstruŽs : souvent je m'Žgarais dans un labyrinthe de rochers, ou bien je me trouvais au milieu de pierres, de troncs d'arbres et de poutres amoncelŽs (symboles de la fatigue et des difficultŽs ˆ vaincre). Je reus aussi ˆ ce sujet diverses explications. La fiancŽe est une paroisse voisine de la frontire o beaucoup de personnes ŽgarŽes par un prŽdicateur hŽrŽtique avaient formŽ le projet de sortir de l'Žglise. Les frres sont deux chapelains qui sont trs-bons, mais peu vigilants. Le fiancŽ lŽgitime, habitant ˆ quelque distance, est le curŽ qui est un peu raide et nŽgligent. La salle du sŽducteur reprŽsente les vanteries du prŽdicant et les joies frivoles.

         Ç Quand cela fut fini, sainte Odile s'en alla dans la direction du levant, sainte Walburge dans celle du couchant : elles avaient encore d'autres choses ˆ faire. È

 

         21 novembre. Ç J'ai eu encore beaucoup de fatigue et de travail ˆ l'occasion de cette paroisse. Il me fallait avoir la bŽnŽdiction de mon pre et, pour aller ˆ lui, j'ai eu ˆ faire un voyage excessivement pŽnible ˆ travers mille obstacles. Je le trouvai dans un beau jardin, au milieu de belles habitations. Je lui parlai de la duretŽ de mon frre a”nŽ ˆ l'Žgard du plus jeune. Il me dit qu'il savait par sa propre expŽrience ce qu'il y avait lˆ de f‰cheux; mais il me fallait avoir sa bŽnŽdiction. Il me la donna : et, aprs l'avoir reue, j'allai dans une autre rŽgion plus ŽlevŽe, dans une ƒglise spirituelle. Il y avait lˆ de saints Žvques des premiers temps, lesquels avaient prchŽ dans le pays o se trouvait la paroisse en danger. Je vis saint Maxime, saint Rupert, saint Vital ; les frres de sainte Walburge et saint Erhard Žtaient aussi lˆ, ainsi que de pieux curŽs morts dans ce pays. Je reus d'eux un grand cierge bŽnit, merveilleusement beau; il me fallait le porter tout allumŽ dans cette paroisse, avec beaucoup de fatigue et par un long chemin o il risquait sans cesse de s'Žteindre. Je l'y portai heureusement, le plaai au milieu de la paroisse sur un chandelier et tout fut ŽclairŽ comme par la lumire du jour. Il y avait lˆ une vilaine lampe fumeuse, descendant tout prs de terre et o bržlait de l'huile de poisson ; elle pendait ˆ une longue mche et tout Žtait terne et obscur ˆ l'entour : sa lueur faisait l'effet d'un trou dans le sol. Il me fallut emporter cette lampe, non sans beaucoup de peine. Je ne pouvais pas la maintenir au bout de la longue perche, le chemin Žtait encombrŽ d'obstacles, de poutres, de pierres, de monticules, de dŽcombres. Je me heurtai, je salis mon vtement avec de la graisse, je me blessai au genou; j'Žtais harassŽe et impatientŽe. Je vins en gŽmissant trouver ma mre; elle Žtait dans une belle maison, dans un beau lit ; elle eut pitiŽ de moi. Comme je me plaignais, elle me dit de laisser lˆ cette lampe que je ne pouvais pas manier. Il fallait la tordre et la suspendre aux poutres du vestibule. Je m'aperus qu'elle Žtait de fer et je dis qu'on ne pouvait pas la tordre : mais ma mre m'en ayant donnŽ l'ordre, je pus la tordre comme du plomb de gouttire et je la suspendis dessus des poutres dans le vestibule inachevŽ. Ma mre me prit dans son lit et me banda le pied. È

 

Ç Je vis alors dans la paroisse tout le monde se rassembler autour de la lumire. Les deux chapelains travaillaient avec succs. Il en vint de loin un troisime trs-zŽlŽ. Je vis le curŽ, il demeurait ˆ un quart de lieue de lˆ et il Žtait un peu raide. Je vis lˆ un des saints qui avaient converti ce pays: c'Žtait saint Rupert. Il fit une instruction avec sa voix d'tre incorporel qui rŽpandait la lumire. Le nouveau chapelain Žtait tout ravi, il demanda au curŽ s'il ne trouvait pas cela admirable. Celui-ci dit: Ç Je n'entends pas un mot. È Alors les deux chapelains entendirent aussi, et ayant questionnŽ le curŽ, ils le conduisirent plus prs. Lˆ il entendit un peu. Ds lors, la situation s'est amŽliorŽe.

 

Voyage dans une ”le japonaise.

 

24 dŽcembre 1822. Ç J'ai fait cette nuit un grand voyage, tant™t par eau, tant™t par terre, jusqu'ˆ une ”le qui est sur la route du Japon. J'ai ŽtŽ un certain temps sur un navire en compagnie de chrŽtiens et de juifs. Je parlai ˆ ceux-ci de JŽsus et je vis une Žmotion particulire dans l'‰me de ces gens. Cela ressemblait ˆ ce qui m'est arrivŽ encore rŽcemment dans un cas o j'ai eu ˆ parler en vision avec quelques personnes d'ici. Je les convainquis, et au bout de quelques jours, elles vinrent ˆ moi et me demandrent si elles ne devaient pas faire telle ou telle chose, vu qu'elles Žtaient dans une inquiŽtude continuelle. C'Žtait l'effet de ce que je leur avais dit. - Prs de lՔle o j'abordai, il y en avait encore d'autres plus grandes et plus petites. Elle s'appelle Pahgai (elle articula les lettres l'une aprs l'autre). Les bords sont escarpŽs et rocailleux et l'aspect en est sinistre et sombre. Il semble qu'il y vient rarement des navires. Elle peut avoir dix lieues de tour. Il y a une ville et j'ai vu les habitants adorer comme une figure de lion qu'ils portent en procession. Il ne s'y trouve pas de chrŽtiens. J'allai voir une vieille femme malade : elle Žtait de ceux qui habitent ˆ l'entour d'une haute montagne, dans des cavernes devant lesquelles ils construisent un appentis dont l'Žpaisseur varie selon la saison. Ces gens sont basanŽs et assez laids, mais d'un trs-bon naturel. Il faisait jour lorsque j'arrivai lˆ. La femme Žtait Žtendue sur une couche de mousse trs-blanche : elle avait sur les Žpaules une espce de peau velue et sur le corps une couverture. Au commencement elle parut effrayŽe, mais ensuite elle prit confiance. Je lui racontai beaucoup de choses touchant l'enfant JŽsus et je lui dis de faire une crche. Elle avait lˆ-dessus quelques notions confuses venant de ses anctres. Elle Žtait au moment de mourir. Je lui demandai si elle voulait guŽrir : elle croyait qu'il lui fallait maintenant aller dans son pays, cՎtait le terme dont elle se servait. Je l'engageai ˆ invoquer du fond du coeur l'enfant JŽsus et je lui dis qu'elle pourrait peut-tre recouvrer la santŽ. Elle le fit de tout son coeur et promit de construire une crche aussi bien qu'elle le pourrait. Elle avait toujours eu un grand dŽsir de conna”tre la vraie religion : Ç Toute ma vie, disait-elle, j'ai ardemment souhaitŽ de voir des hommes blancs qui pussent m'instruire; souvent, Žtant dans les champs, j'avais le sentiment, qu'ils Žtaient derrire moi et je regardais tout autour de moi dans l'espoir de les voir. È Elle se plaignit ˆ moi de ce que son fils et sa fille Žtaient dans l'esclavage : elle n'avait aucune espŽrance de les revoir. Ah! si seulement ils pouvaient arriver ˆ la connaissance de la vraie religion: si son fils revenait et l'annonait ˆ son peuple ! Toute sa religion consiste ˆ faire des bandes de riz: elle enfonce en outre une croix dans la terre et la porte presque toujours sur elle. Elle Žtait couchŽe sur trois croix de fer qu'elle avait placŽes prs d'elle dans son lit de mousse. Les gens de ce pays font des espces de processions autour de leurs champs et bržlent du riz en l'honneur du dieu suprme. Ils font trois rŽcoltes par an. J'enseignai ˆ cette femme comment, dans mon enfance; j'avais construit une crche dans un champ, comment nous priions devant, et comment, en jouant, nous choisissions entre nous une espce de prtre qui prŽsidait ˆ la prire et maintenait l'ordre partout. Ces gens savent trs-bien tresser et ils font de jolis paniers et des figures de toute espce avec de menus joncs, des herbes et des branches de saule. La femme avait de cette manire tressŽ un corps sur sa croix. Je lui enseignai tout ce qu'elle devait enseigner aux autres ˆ son tour et ce qu'ils auraient ˆ faire. Je priai aussi avec elle et je ne la dŽcidai qu'avec peine ˆ se lever. Elle croyait toujours que cela lui Žtait impossible, qu'elle Žtait trop malade et qu'elle allait retourner dans son pays natal. Mais comme je lui avais dit ˆ plusieurs reprises que l'enfant JŽsus ne pouvait rien refuser ˆ quiconque le prie du fond du coeur, elle pria et se leva. Elle avait une longue chemise de coton et un mouchoir bariolŽ autour de la tte : il semblait bourrŽ de mousse. Lorsqu'elle se fut levŽe, elle sembla ne plus me voir : elle appela ses voisins, leur raconta quelle Žtait guŽrie, qu'une personne Žtait venue ˆ elle d'une Žtoile; je ne sais plus de quelle Žtoile, ou bien du ciel, et lui avait racontŽ des histoires du Sauveur nouveau nŽ dont c'Žtait-la fte le lendemain, qu'il lui avait fallu prier et que l'enfant JŽsus lui avait rendu la santŽ, enfin qu'elle avait promis de construire une crche et appris tout ce qu'il fallait pour cela. Il y eut ˆ cette occasion une grande joie parmi ces gens simples et innocents. Ils crurent tout ce que cette femme leur disait, car ils avaient beaucoup d'affection et de considŽration pour elle. J'ai aussi appris lˆ qu'ˆ une Žpoque antŽrieure, un voyageur chrŽtien, Žtant venu dans ce pays, avait vu les habitants; alors pa•ens, honorer pendant vingt jours dans l'annŽe un enfant dans une crche, seul usage qui fžt restŽ chez eux d'une premire conversion de l'”le. È

 

         Ç Le 25 dŽcembre, je fus encore prs de cette femme et je vis qu'elle avait fait une jolie crche, ornŽe avec une simplicitŽ na•ve. L'enfant Žtait une poupŽe emmaillotŽe, le visage n'Žtait indiquŽ que par des lignes et n'avait pas de relief. Le corps de la poupŽe Žtait adroitement tressŽ. Elle Žtait couchŽe au milieu d'un jardin, dans une belle corbeille entourŽe de mousse fine et de fleurs. La femme avait tendu au-dessus une tente de la meilleure Žtoffe qu'elle possŽd‰t. Il y avait une sainte Vierge habillŽe avec du papier fin formant beaucoup de petits plis. L'enfant Žtait trs grand en comparaison de la mre. Il y avait encore un saint Joseph, trois rois et des bergers, tous habillŽs avec du papier. Elle avait placŽ tout autour beaucoup de flambeaux, ce qui faisait un trs-bel effet sous les arbres. La lumire Žtait de longs roseaux creux fichŽs en terre. Il y avait dedans de l'huile avec une mche et autour -de la tige un anneau au moyen duquel on faisait monter l'huile; aux flambeaux Žtaient attachŽs partout dŽs morceaux de papier plissŽ de diverses couleurs, des roses, des Žtoiles, des guirlandes de papier. Ces gens avaient aussi parquŽ dans le voisinage une quantitŽ d'animaux trs-agiles formant des troupeaux : ce ne sont pas des moutons, ni des chvres comme les n™tres, ils ont de longs poils et courent fort vite. Tout cela Žtait vraiment beau. Beaucoup de gens vinrent en procession, parmi lesquels des enfants : ils tenaient des torches ˆ la main et s'agenouillaient prs de la crche o ils posaient toute sorte de choses qu'ils voulaient donner pauvres. La femme enseignait, racontant tout ce qui Žtait arrivŽ et tout ce qui lui avait ŽtŽ dit touchant la naissance du Christ, son enfance, sa doctrine, ses souffrances et son ascension au ciel, et tous Žtaient pleins de joie et dŽsir d'tre instruits. Ces gens venaient tous avec des couronnes et de longues guirlandes de fleurs. La femme Žtait trs-vieille et pourtant encore trs-vive et trs-leste. Cependant qu'ils cŽlŽbraient leur fte, je vis la sainte Vierge assister avec l'enfant JŽsus; mais ils ne la virent pas. Elle Žtait vtue comme ˆ BethlŽhem, prs de la crche, et lÕenfant JŽsus aussi. Elle avait une coiffe avec un pli faisant une pointe sur le front. È

Ç Plus tard je m'entretins encore avec la vieille femme et j'appris que, dans une autre ”le peu ŽloignŽe, deux sicles auparavant, les habitants avaient construit un tombeau pour le jour anniversaire de la mort de saint Thomas, qu'ils y Žtaient allŽs en plerinage pendant vingt jours (ce nombre se trouve frŽquemment dans leurs ftes), qu'ils avaient placŽ de beaux pains sur le tombeau, que l'ap™tre Žtait apparu et les avait bŽnis : ils s'Žtaient ensuite partagŽ ce pain, le regardant comme un objet trs-saint, mais plus tard il Žtait arrivŽ quelque chose qui leur avait fait perdre cette gr‰ce et l'ap™tre n'Žtait plus venu. Ils croyaient lui avoir fait quelque offense. Tel Žtait le rŽcit et la croyance de ces gens. La vieille l'avait appris de ses a•eux. Ayant entendu cette femme exprimer un si ardent dŽsir que son fils unique qui Žtait sur un vaisseau pžt rapporter dans sa patrie quelques notions du christianisme, il me fut donnŽ de jeter en regard sur lui. Il Žtait plus qu'un simple matelot; il Žtait dŽjˆ quelque chose comme un pilote sur un navire o il y avait des gens de toute espce. Il avait, dans un autre endroit, parlŽ en termes si pressants du dŽsir qu'avaient ses compatriotes de conna”tre la religion chrŽtienne que deux hommes avaient pris la rŽsolution d'aller les visiter. Ce ne sont pas des prtres, ˆ ce que je crois. On fait lˆ-dessus un rapport ˆ Rome ; peut-tre, qu'ils demandent l'envoi d'un prtre. È

Ç Dans l'autre partie de lՔle qui n'est pas cultivŽe, habitait une race de gens plus noirs qui sont des espces d'esclaves. La population dont ma femme fait partie porte de longs vtements, des bonnets pointus, les uns plus petits, les autres plus grandi. Ils ont beaucoup de riz. Il y a aussi lˆ des arbres couverts de grosses noix, et des singes qui grimpent comme feraient des hommes sur les rochers escarpŽs et se jettent toutes sortes de choses. La femme demeure ˆ deux lieues de la mer ˆ peu prs. È

 

Conversion d'un rabbin ˆ Maestricht.

 

Le 16 fŽvrier 1821, le Plerin voulut lui lire une lettre tenant la nouvelle de la conversion d'un rabbin de Maestricht. A peine avait-il commencŽ qu'elle l'interrompit ces paroles : Ç Je connais, cette histoire, je l'ai vue ˆ plusieurs intervalles de temps. Il doit y avoir un an de cela. JÕai vu une fois ce juif voyageant dans la malle-poste. Il y avait dedans avec lui des personnes pieuses qui parlrent de la Mre de Dieu et d'une image miraculeuse de Notre-Dame de Bon-Conseil, si je ne me trompe, qu'ils Žtaient allŽs vŽnŽrer et des miracles qu'ils avaient vus lˆ. Le juif dit : Ç Mre de Dieu ! mre de Dieu ! Dieu n'a pas de mre. È

Il tourna cette croyance en ridicule : ces bonnes gens furent contristŽs et formrent dans leur coeur le voeu que dÕautres chrŽtiens compatissants priassent pour ce juif et obtinssent d'tre touchŽ par Marie. Comme, depuis ma jeunesse, je ressens une grande compassion pour les juifs, et que la misŽricorde de Dieu m'a montrŽ en vision beaucoup de choses pour lesquelles il fallait prier, je vis aussi celle-lˆ et je priai. Plus tard je vis souvent ce juif et comment il ne pouvait s'empcher de penser ˆ Marie : je vis plusieurs fois Marie s'approcher de lui, lui prŽsenter l'enfant JŽsus et dire : Ç C'est le Messie. È Je ne sais pas s'il vit rŽellement des choses de ce genre ou si seulement ses pensŽes intŽrieures me furent montrŽes, de mme que je vois sous une forme visible des consolations et des tentations. Lui-mme avait ces pensŽes pour des tentations et les combattait: il cherchait les processions o l'on portait le Saint-Sacrement pour y contredire et, s'en moquer en lui-mme. Je le vis ˆ une procession, celle de la Fte-Dieu, ˆ ce que je crois, tomber involontairement ˆ genoux. Je ne sais pas si ce fut seulement l'effet d'une Žmotion inexplicable pour lui ou sÕil vit ce que je vis moi-mme, ˆ savoir la Mre de Dieu montrant l'enfant JŽsus dans le Saint-Sacrement. Je vis que lˆ-dessus il se fit chrŽtien. Je suis sžre que, si on l'interrogeait, il dirait que la pensŽe de Marie le poursuivait souvent. Je n'ai rien entendu dire de cette conversion et j'ai cru que c'Žtait seulement un rve que j'avais fait. È

 

Un infanticide empchŽ.

 

Le soir du 27 fŽvrier 1821, elle Žtait en prire dans son lit. Tout ˆ coup elle s'Žcria : .Ç Oh ! je suis venue bien ˆ propos. Il est heureux que j'aie ŽtŽ lˆ ! l'enfant est sauvŽ ! jÕai priŽ pour qu'elle lui donn‰t sa bŽnŽdiction : aprs cela, elle ne pouvait plus le jeter dans la mare. Une jeune fille qui avait failli voulait noyer son enfant : ce n'est pas loin d'ici. Dernirement j'ai tant priŽ pour les enfants innocents afin qu'ils ne meurent pas sans baptme et sans bŽnŽdiction ! car le temps du martyre des saints Innocents est proche : il faut profiter de ce temps. Maintenant j'ai pu aller au secours d'un enfant et d'une mre, peut-tre parviendrai-je ˆ voir encore l'enfant. È Telles furent ses paroles immŽdiatement aprs le fait accompli dans la vision. Le lendemain elle donna des explications plus dŽtaillŽes

Ç J'ai vu, dit-elle, une fille de mauvaises moeurs dans le pays de Munster. Elle Žtait accouchŽe derrire une haie et elle alla vers une mare profonde au-dessus de laquelle Žtait comme une crožte verd‰tre. Elle voulait jeter l'enfant dans l'eau. Il y avait prs d'elle une grande figure sombre qui pourtant jetait une sorte de lumire sinistre: je crois que c'Žtait le mauvais esprit. Elle avait l'enfant dans son tablier. Je m'approchai. d'elle, je priai, et je vis s'Žloigner la figure noire. Elle prit son enfant, le bŽnit et l'embrassa encore une fois, mais aprs l'avoir embrassŽ, elle n'eut plus la force de le noyer. Elle s'assit par terre et pleura amrement : elle ne savait que faire. Je la consolai et je lui suggŽrai la pensŽe d'aller trouver son confesseur. Elle ne me vit pas, mais son ange gardien le lui dit. Elle me parut tre de la classe moyenne. È

 

Assistance donnŽe ˆ une jansŽniste mourante.

 

Ç J'ai vu cette nuit ma mre qui m'appelait pour faire un voyage. Elle me montra dans le lointain un ch‰teau o je vais aller assister une femme qui se mourait. Dans ces cas; je suis toujours embarrassŽe et je ne puis comprendre pourquoi ma mre en use avec moi d'une faon si singulire et me parle en termes si brefs. C'est sans doute parce qu'elle est un esprit et moi une personne vivante. Il fallut donc me mettre en route avec mon guide sur un chemin difficile et pŽnible. Il se dirigeait vers les Pays-Bas, comme me le fit croire la configuration des lieux. Quand nous arriv‰mes assez prs pour qu'on pžt voir le ch‰teau, deux routes se prŽsentrent qui paraissaient y conduire, l'une unie et commode, l'antre trs-marŽcageuse et d'un aspect triste. Mon guide me dit alors de choisir. Je fus d'abord trs-indŽcise, et, ˆ cause de mon extrme fatigue, j'inclinais ˆ prendre le bon chemin; je finis pourtant par prendre le mauvais, ˆ l'intention des ‰mes du purgatoire. Lorsque j'arrivai au ch‰teau, je vis que c'Žtait un vieil Ždifice dŽlabrŽ et entourŽ de fossŽs. Il y avait de bon terrain dans les environs; il s'y trouvait aussi des bois de sapins. Je ne savais pas comment entrer dans ce ch‰teau : alors ma mre m'apparut de nouveau et me montra une petite ouverture, comme une sorte de fentre, par laquelle je devais m'introduire en grimpant. J'arrivai prs d'une veille dame de condition qui se trouvait dans un Žtat pitoyable. Elle Žtait au moment de mourir, couverte d'ulcres infects qui faisaient d'elle un objet de dŽgožt. Elle Žtait couchŽe assez prs de la porte, et abandonnŽe de tout le monde. On lui avait donnŽ pour gardien un vieux domestique de la maison. Prs d'elle, sur des assiettes de porcelaine, non pas rondes, mais de forme oblongue avec des angles, si je ne me trompe, Žtaient placŽs plusieurs jolis petits pains ˆ beurre ronds. Dans la maison personne ne pensait ˆ elle. Des jeunes gens habitaient une autre partie du ch‰teau, ils cŽlŽbraient une fte. C'Žtait, je crois, celle de quelqu'un d'entre eux. La pauvre vieille dame n'avait pas de prtre pour l'assister. Ces gens n'Žtaient plus catholiques. Un ecclŽsiastique que la vieille dame avait autrefois prs d'elle Žtait devenu jansŽniste et elle avait fait comme lui. J'ai aussi vu quelque chose dont je ne me souviens plus trs bien sur ce que sont ces jansŽnistes qui, au commencement, se sont sŽparŽs de l'ƒglise, ŽgarŽs par le dŽsir malentendu d'une plus grande perfection, puis sont devenus plus tard des espces de calvinistes. J'ai vu aussi que les gens qui, en Bavire, ont paru dŽbuter avec tant de piŽtŽ, pourraient bien tomber dans des erreurs semblables. Sur l'ordre de mon guide, il me fallut, pour me vaincre, donner un baiser ˆ la pauvre vieille dame toute couverte d'ulcres dŽgožtants. Lorsque j'entrai dans la chambre, elle devint tout autre; elle se mit sur son sŽant, se montra pleine de joie, me remercia cordialement d'tre venue et tŽmoigna le dŽsir de voir un prtre catholique. Il y en avait un dans un petit endroit ŽloignŽ de trois lieues. Il fut amenŽ en secret par le vieux domestique et apporta avec lui le saint viatique. Elle se confessa, revint ˆ l'ƒglise et mourut en paix. È

 

         Le 28 aožt 1822, comme elle s'entretenait avec son confesseur, elle s'arrta tout ˆ coup, tomba en extase et son visage prit une expression trs-grave. Revenue ˆ elle, elle raconta ce qui suit : Ç Mon ange gardien m'a appelŽe pour un homme de la classe moyenne qui est mourant ˆ la suite d'une attaque. È D'aprs le tŽmoignage du confesseur, de semblables cas se prŽsentaient trs-frŽquemment.

 

Mort touchante d'un pŽcheur converti ˆ Munster.

 

2 septembre 1802. Je vis un pauvre invalide trs-bon chrŽtien mourir dans de grands sentiments de pŽnitence. Je vis la sainte Vierge et l'enfant JŽsus ˆ son lit de mort. Je vis l'histoire de cet homme. Il appartenait ˆ une famille distinguŽe de France; ses parents l'avaient offert ˆ la pinte Vierge lors de sa naissance : ils furent, je crois, guillotinŽs. Je le vis se faire soldat, puis dŽserter, mais comme il avait toujours gardŽ au fond de son ‰me un grand respect pour la sainte Vierge, elle le sauvait toujours des dangers qu'il courait. Il entra ˆ la fin dans une bande de voleurs ou, pour mieux dire, d'assassins. Il vŽcut alors dans la dŽbauche, mais toutes les fois qu'il passait devant une image de Marie, il Žtait pris de honte et tremblait. Enfin, il fut jetŽ pour la vie dans un sombre cachot. mais ses compagnons le dŽlivrrent. Je le vis mener une vie errante, puis mis en prison pour vol dans la ville. Il fut encore mis en libertŽ par suite de l'invasion des Franais et il redevint soldat : il dŽserta de nouveau, prit du service ailleurs et, ayant reu un coup de feu dans le bras, il vŽcut ensuite dans la ville de sa pension d'invalide. Il se maria, soigna des malades ˆ domicile et remplit d'autres offices charitables du mme genre. Il voulut encore voler ˆ Ueberwasser, mais la sainte Vierge vint ˆ sa rencontre et lui dit que ses parents le lui avaient donnŽ lors de sa naissance et qu'il devait s'amender. Alors il rentra en lui-mme, pensa ˆ la longanimitŽ de Dieu envers lui et fit une rigoureuse pŽnitence. Il se donnait la discipline pendant des nuits entires, ježnait frŽquemment et il mena ds lors une vie vraiment sainte. J'ai vu cet homme mourir cette nuit dans la joie et dans la paix et la sainte Vierge lui appara”tre: Il a souvent changŽ de nom. È

28 novembre 1822. Elle Žtait trs-malade et raconta ce qui suit : Ç J'ai eu beaucoup ˆ travailler dans les Pays-Bas : je me trouvai lˆ prs d'un curŽ qui Žtait ˆ la mort et dans une dŽplorable situation. On ne pouvait rien obtenir de lui : il Žtait franc-maon et une troupe nombreuse de gens de la secte formait autour de lui comme une cha”ne fermŽe laquelle avait pour cadenas un autre curŽ qui vivait d'une manire scandaleuse avec une femme. Celui-ci Žtait aussi franc-maon et tellement dŽcriŽ que les fidles ne voulaient plus recevoir la communion de sa main. Cet homme devait prŽparer ˆ la mort son confrre qui connaissait sa mauvaise vie. C'Žtait une vilaine affaire. La cha”ne Žtait solidement fermŽe et les choses se passaient avec autant de solennitŽ et de recueillement apparent que s'il se fžt agi d'un saint assistŽ par des saints. Je pŽnŽtrai ˆ grand'peine jusqu'au malade et j'obtins par ma prire qu'il resterait en vie jusqu'au lendemain s'il reconnaissait ses fautes. Ce nid d'impies doit tre nettoyŽ. J'ai eu aussi ˆ m'occuper de l'Žvque et des affaires qu'il a ˆ Rome. J'ai ŽtŽ encore prs de cinq bŽguines qui vivaient dans cet endroit, prenant leurs aises et se complaisant en elles-mmes ; j'ai eu ˆ leur envoyer un homme pieux pour les rŽveiller un peu afin qu'elles changent de vie. È

 

         29 novembre. Ç Le curŽ vit encore et s'amende, il fait tout conna”tre, cela aura beaucoup de consŽquences. (Elle Žtait horriblement malade.) L'autre aussi fera des aveux et les personnes sŽduites par lui, ainsi que leurs enfants, obtiendront une pension alimentaire. È

         Les souffrances pour le malheureux prtre se prolongrent pendant plusieurs nuits, une fois elle eut des sueurs affreuses. Elle vit dans sa vision deux tabliers de peau qu'il lui fallait tremper de sa sueur pour que le mourant fžt en meilleur Žtat.

 

Vol avec effraction dans une Žglise.

 

Octobre 1820. Ç Cette nuit, Žtant livrŽe ˆ des souffrances sans rel‰che, j'ai vu avec de terribles angoisses un vol commis dans l'Žglise d'ici ; je n'avais personne que je pusse appeler et envoyer. Cela s'est passŽ entre une heure et trois heures du matin. Il y avait cinq ˆ six hommes, trois Žtaient dans l'Žglise, d'autres faisaient le guet en dehors aux angles de l'Ždifice. Le veilleur de nuit passa eux fois prs d'eux, mais ils se cachrent. J'en vis deux passer devant mon logis. Il me sembla que l'un d'eux Žtait restŽ cachŽ dans l'Žglise et l'ouvrit. Je les ai vus vers deux heures et demie occupŽs ˆ piller et ˆ briser. Une femme faisait le guet dans la rue derrire le choeur: un autre complice se tenait dans les environs de la maison du mŽdecin. J'ai vu aussi un garon de huit ans en observation prs de la poste. Une fois ils furent obligŽs de faire un temps d'arrt parce qu'il passait quelqu'un dans le cimetire. Ils projetaient aussi de s'introduire par effraction chez un chanoine. Ils firent longtemps le guet. Ce sont les mmes qui ont volŽ chez le doyen. Je crois que l'un d'eux a sa mre ici. Lorsqu'ils rŽpandirent les hosties sur la nappe de autel, l'un d'entre eux dit : Ç Je vais mettre notre Seigneur

Dieu sur un lit. È Ils firent aussi quelque chose derrire le grand autel. C'Žtait un horrible spectacle. Je vis un diable prs de chacun d'eux. Ces diables les aidaient, mais ils se tenaient autour de l'autel ˆ une assez grande distance. Je les vis courir les uns vers les autres : il semble qu'un diable ne sait pas ce que l'autre a dans l'esprit. Parfois il en venait un ˆ travers l'air qui soufflait quelque chose ˆ l'oreille d'un de ces misŽrables. Je vis des anges au-dessus du corps du Seigneur. Lorsqu'ils arrachrent l'argent de la grande croix, je vis tout ˆ coup en vision JŽsus adolescent qu'ils frappaient, poussaient et foulaient aux pieds. C'Žtait horrible. Ils firent tout cela effrontŽment et avec une grande insouciance. Ce sont des gens qui n'ont aucune espce de religion. Je criai vers JŽsus pour qu'il fit un miracle: il me fut rŽpondu que ce n'Žtait pas le moment. J'Žtais pleine d'angoisses et toute bouleversŽe. È

 

         30 dŽcembre 1821. Le soir Žtant en extase, elle rŽcita en souriant cette chanson d'enfants : Ç Lˆ-bas prs du Rhin - il y a un baril de vin, - sans douves et sans cerceaux. -Devine un peu ce que c'est. È Le Plerin crut que c'Žtait un ressouvenir de quelque jeu du temps de sa jeunesse. Quand elle fut revenue ˆ elle, il lai demanda l'explication de cette Žnigme. D'abord elle ne semblait plus rien savoir de ce qu'elle avait dit ; mais en y rŽflŽchissant davantage, elle dit qu'elle s'Žtait trouvŽe prs du Rhin, dans un endroit o de pauvres gens en grand danger dŽposaient un tonneau sur le bord, aprs quoi ils furent obligŽs de s'enfuir pour n'tre pas surpris par la douane. ÇIl m'y fallut aller et prier pour qu'ils Žchappassent. Je vis aussi les vexations de toute espce qu'ils auraient eu ˆ subir s'ils avaient ŽtŽ surpris. Je me tenais au bord du Rhin, prs du tonneau; j'Žtais toute gelŽe de froid au milieu de la tempte. C'Žtait un grand tonneau : je me disais : Ç maintenant il va se perdre : si seulement mon pre l'avait dans sa cave È Alors cette Žnigme d'enfants me revint en mŽmoire et je la rŽcitai au milieu du froid qui me gelait. È

 

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