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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME TROISIéME

 

CHAPITRE XIII

 

COMMENT ELLE RECONNAISSAIT LES OSSEMENTS
ET LES AUTRES RELIQUES DES SAINTS.

 

           Avec la lumire prophŽtique, Anne Catherine avait reu la facultŽ de reconna”tre tout objet saint ˆ l'aide des sens corporels extŽrieurs. Le son des cloches bŽnites Žtait pour son oreille essentiellement diffŽrent de tout autre son, mme aussi harmonieux. Elle sentait au gožt la bŽnŽdiction de l'eau et distinguait l'eau bŽnite de celle qui ne lՎtait pas aussi sžrement et aussi facilement qu'une autre personne distingue l'eau du vin. Elle reconnaissait les ossements des saints par l'odorat aussi bien que par les yeux ou par le toucher. Elle avait un sentiment aussi vif de la bŽnŽdiction sacerdotale, quand elle lui Žtait envoyŽe de la distance la plus ŽloignŽe, que quand elle lui Žtait donnŽe du point le plus rapprochŽ d'elle : soit en extase, soit ˆ l'Žtat de veille, elle suivait involontairement les doigts consacrŽs du prtre comme un pouvoir saint d'o dŽcoulaient en elle la force et la bŽnŽdiction. Or, l'impression des vertus et des propriŽtŽs spirituelles et invisibles n'arrivait pas ˆ ses sens par suite d'une connaissance prŽcŽdente reue en esprit ou dÕune vision; cette impression Žtait aussi involontaire et aussi indŽpendante de l'activitŽ propre de l'esprit qu'elle l'est dans la vie ordinaire pour chaque notion transmise par la sensation. Cette facultŽ de percevoir d'une manire corporelle par les organes des sens les choses inaccessibles aux sens avait, comme la lumire prophŽtique, pour base et pour condition prŽalable la gr‰ce baptismale et la foi divine infuse. L'ange lui dit un jour : Ç Tu perois la lumire des ossements des saints par la facultŽ qui t'a ŽtŽ donnŽe de sentir la communion des membres du corps de l'ƒglise : or la foi est la condition de toute aptitude ˆ recevoir les saintes influences. È

Elle voyait ce qui Žtait saint sous forme de lumire, de rayons de lumire : Ç Quand je suis dans mon lit ŽveillŽe, disait-elle, je vois parfois un corps resplendissant et des milliers de rayons s'Žlevant de la terre qui deviennent un avec lui : souvent je vois un des fils se briser et retomber et alors l'ombre se fait sur ce point. È (Image de la communion spirituelle des fidles par la prire et les bonnes oeuvres.)

           Elle sentait et percevait l'action de cette lumire comme quelque chose qui la soulageait, la fortifiait, lui apportait la joie et l'attirait fortement vers soi ; de mme qu'au contraire elle Žtait subitement et involontairement repoussŽe, elle se sentait remplie de dŽgožt et d'horreur, quand un objet profane, sur lequel pesaient le pŽchŽ et la malŽdiction, Žtait portŽ dans son voisinage, ou quand elle arrivait dans un lieu o quelque acte coupable avait ŽtŽ commis ou sur lequel pesaient les consŽquences de crimes non expiŽs.

           Ç Il m'est difficile d'exprimer cela clairement, rŽpondit-elle un jour au Plerin. Je perois la bŽnŽdiction et l'objet bŽnit comme un remde et comme un secours; je le vois lumineux et multipliant la lumire, et je vois le mal, la faute et la malŽdiction comme tŽnŽbreux, rŽpandant les tŽnbres et produisant la corruption. Je vois la lumire et les tŽnbres comme choses vivantes agissant pour Žclairer ou pour obscurcir. J'ai depuis longtemps dŽjˆ le sentiment de la vŽritŽ et de l'authenticitŽ des reliques, et comme je crains extrmement qu'on n'en vŽnre de fausses, j'ai dŽjˆ enterrŽ beaucoup de ces dernires. Mon guide m'a dit que c'est un grand abus de prŽsenter comme vraies reliques des objets qui ont seulement touchŽ des choses saintes. Un jour qu'au couvent jՎtais occupŽe ˆ prŽparer les hosties, je ressentis un grand dŽsir qui me poussait vers une armoire et je fus violemment tirŽe vers elle. J'y trouvai une boite ronde avec des reliques et je ne pus plus avoir de repos qu'elles ne fussent remises en honneur. È Le 19 juillet 1820 elle communiqua ce qui suit au Plerin. Ç J'ai ŽtŽ informŽe que jamais personne nÕavait eu le don de reconna”tre les reliques au degrŽ o Dieu me l'a accordŽ, ce qu'il a fait ˆ cause de la triste dŽcadence o leur culte est tombŽ et parce qu'il faut le ressusciter È

Ces dernires paroles sont expliquŽes plus clairement par les communications que fit Anne Catherine sur ce qui Žtait arrivŽ ˆ la fte des Saintes-Reliques dans les annŽes 1819 et 1820. Le premier dimanche de juillet 1819, e raconta ce qui suit : Ç J'ai eu un grand voyage ˆ faire (note). JÕai ŽtŽ conduite par mon guide dans toutes les parties de notre pays o se trouvaient cachŽs des ossements de saints. Je vis des corps saints entiers au-dessus desquels on avait b‰ti des maisons et je vis aussi des endroits ou il y avait eu couvents et des Žglises. Lˆ se trouvaient des rangŽes de corps et parmi eux des corps saints. Ici aussi, ˆ Dulmen, je vis reposer des ossements sacrŽs entre l'Žglise et la maison dՎcole. Les saints auxquels ces ossements appartenaient sortirent alors des choeurs bienheureux et vinrent me dire : Ç Ceci fait partie de mes ossements. È Je vis aussi comment trŽsors si mŽprisŽs portent toujours bonheur aux endroits o ils se trouvent et garantissent des influences de Satan. J'ai vu des endroits qui ont ŽtŽ prŽservŽs par lˆ de grandes calamitŽs et d'autres endroits de date plus rŽcente qui ont beaucoup souffert parce qu'ils ne possdent rien de semblable.

 

Note : Ç Cette vision me parut surprenante, dit le Plerin, lorsque je dŽcouvris que la fte des Saintes-Reliques se cŽlbre aujourd'hui dans le pays de Munster, ce qu'elle ignorait complŽtement. C'est en elle un phŽnomŽne tout-ˆ-fait mystŽrieux qu'elle ait ˆ satisfaire pour toutes les nŽgligences et les omissions commises dans l'ƒglise. È

 

Je ne puis dire dans combien de lieux singuliers et dŽserts je suis allŽe regarder sous des murs, sous des maisons, dans des coins o les plus riches trŽsors de reliques gisaient sans honneur, cachŽs sous des dŽcombres. Je les rŽvŽrais tous et je priais les bons saints de ne pas retirer leur affection ˆ mes compatriotes. J'allai aussi visiter ˆ Rome les endroits o ont eu lieu des martyres et je vis les nombreuses troupes de saints qui avaient ŽtŽ martyrisŽs dans cette ville. Mon fiancŽ cŽleste Žtait lˆ prŽsent sous une forme o je le vois souvent, tel qu'il Žtait dans la douzime annŽe de son ‰ge. La cohorte des saints me parut innombrable: elle Žtait divisŽe en choeurs ˆ la tte desquels se trouvait toujours celui qui avait instruit et fortifiŽ les autres. Ils portaient des espces de mitres desquelles de longues bandelettes descendaient de chaque c™tŽ sur les Žpaules. Ils avaient en outre de longs manteaux blancs avec des croix. J'allai avec eux dans les caveaux souterrains. Il y avait lˆ des passages, des chambres, des pices rondes ayant l'air de chapelles et o plusieurs se rŽunissaient : au milieu Žtait un pilier qui soutenait le plafond. Ces piliers Žtaient souvent ornŽs de belles figures. Dans les parois Žtaient pratiquŽes de profondes excavations de forme quadrangulaire dans lesquelles souvent reposaient des ossements. Pendant que les saints me faisaient parcourir ces lieux, tant™t l'un des coryphŽes, tant™t l'autre, me disait : Ç Vois, c'est ici que nous vivions dans la persŽcution : c'est ici que nous avons enseignŽ et cŽlŽbrŽ les mystres de la RŽdemption ! È Ils me montrrent aussi des autels de pierre en forme de carrŽ long qui faisaient saillie sur la paroi, d'autres de forme ronde ornŽs de belles images de pierre sculptŽes et sur lesquels ils avaient cŽlŽbrŽ le service divin et ils me disaient : Ç Vois ! nous avons vŽcu lˆ dans l'ombre et dans la pauvretŽ, mais la lumire et la vertu de la foi Žtaient avec nous. È Aprs m'avoir ainsi parlŽ, ce qu'ils faisaient toujours en peu de mots, les diffŽrents coryphŽes disparaissaient avec leurs choeurs ˆ l'endroit o ils avaient fait leur devoir. Nous v”nmes aussi plusieurs fois ˆ la lumire du jour, puis nous entrions dans d'autres souterrains; je voyais avec Žtonnement au-dessus de nous des jardins, des murs des palais; je ne pouvais comprendre comment les gens

qui Žtaient lˆ-haut ne savaient rien de ce qui Žtait au-dessous dÕeux, comment toutes ces choses Žtaient descendues lˆ et comment tout cela s'Žtait fait. Tout ˆ la fin un vieillard vint prs de moi, seul avec le jeune garon. Nous entr‰mes dans une grande salle spacieuse dont je ne puis bien dŽterminer la forme parce que je ne la vis pas dans son ensemble. Elle reposait sur plusieurs piliers dont le haut Žtait ornŽ de sculptures. De trs-belles statues, plus grandes que nature, Žtaient couchŽes tout autour sur le sol. Cette salle aboutissait d'un c™tŽ comme ˆ un angle : lˆ se trouvait, dŽgagŽ de la paroi, un autel isolŽ, derrire lequel il y avait encore statues adossŽes au mur. Je vis aussi des tombeaux creusŽs dans les murs : il y restai des ossements, mais qui nՎtaient pas lumineux. Je vis encore dans des coins beaucoup de rouleaux entassŽs par terre, longs ˆ peu prs comme le bras, d'autres plus courts et Žpais, ressemblant ˆ des paquets de toile. Je pensai que c'Žtaient des livres. Lorsque je vis tout cela si bien conservŽ, cette salle si propre dont l'aspect n'avait rien de lugubre, je me dis que jÕaimerais ˆ vivre lˆ, ˆ tout examiner, ˆ tout ranger, et je mՎtonnais que les gens qui vivaient au-dessus n'en eussent pas la moindre idŽe. Il y avait au-dessus des jardins, des murs et un grand palais. J'eus aussi la pensŽe soudaine que tout cela repara”trait au jour par suite d'une grande destruction. Si j'Žtais lˆ, je voudrais trouver quelque moyen dÕy faire arriver sans rien dŽmolir. Rien ne me fut dit dans cet endroit, je n'eus qu'ˆ regarder. Pourquoi cela ? Je n'en sais rien. Le vieillard disparut bient™t. Il avait, comme les autres, une coiffure avec des bandelettes pendantes sur les Žpaules et une longue barbe : aprs cela l'adolescent me ramena chez moi. È

 

Fte des Saintes-Reliques en 1820.

 

           Ç Je suis encore allŽe dans une quantitŽ innombrable de lieux o gisent des reliques cachŽes sous des dŽcombres, enfouies et oubliŽes. Je visitai de tous les c™tŽs, ˆ travers la boue et la poussire, des caveaux, de vieilles cryptes d'Žglise, des sacristies, des tombeaux, et j'y vŽnŽrai les objets sacrŽs tombŽs dans l'oubli et dispersŽs au hasard. Je les ai vus brillants et pleins de vertus bienfaisantes; ils Žtaient d'autant plus dŽdaignŽs que la dŽcadence de la vie religieuse allait croissant. Je vis les Žglises b‰ties au-dessus noires et dŽsolŽes, depuis que les saints dont les restes y reposaient n'y Žtaient plus honorŽs. Je vis que le culte des saints et de leurs reliques tombait en dŽcadence dans la mesure o s'amoindrissait l'adoration du Trs-Saint-Sacrement et je vis combien c'est une mauvaise chose de recevoir la trs-sainte Eucharistie par pure habitude et pour conserver les apparences. De cruelles souffrances me furent imposŽes pour ce mŽpris, et il me fut montrŽ dans l'Eglise spirituelle quelle est la valeur et l'efficacitŽ des saintes reliques si dŽdaignŽes aujourd'hui sur la terre.

           Ç Je vis une Žglise octogone. Elle sortait comme un lis d'une tige et elle Žtait entourŽe d'un cep de vigne. Il n'y avait pas d'autel ˆ l'intŽrieur, mais, au milieu, les plus riches trŽsors de l'Žglise s'Žlevaient sur un chandelier ˆ plusieurs branches comme des buissons de fleurs qui s'Žpanouissent. Je vis les objets sacrŽs, selon l'ordre dans lequel ils avaient ŽtŽ recueillis et mis en honneur, placŽs et rangŽs par les saints mmes qui les avaient recueillis sur ce candŽlabre, sur cet Žchafaudage qui allait toujours grandissant. Ceux qui apportaient quelque chose venaient se mettre ˆ leur place dans l'enceinte de l'Žglise et souvent leurs propres reliques revenaient portŽes dans le saint Ždifice par quelqu'un qui avait vŽcu plus tard. Je vis des disciples qui apportaient la tte de saint Jean-Baptiste et d'autres reliques de lui, et je vis la sainte Vierge portant de petites fioles contenant du sang de JŽsus. Ces fioles Žtaient en cristal et je vis dans l'une d'elles le sang brillant de clartŽ. Tout cela Žtait dans les prŽcieux reliquaires o l'Eglise le conserve. Je vis de saints hommes et de saintes femmes ayant vŽcu du temps de la trs-sainte Vierge, dŽposer des objets venant d'elle dans des vases prŽcieux. Ceux- ci occupaient le premier rang et Žtaient placŽs ˆ droite, au centre de cet ensemble. Je vis un vase de cristal en forme de mamelle o il y avait de son lait; je vis des morceaux de ses vtements et un vase contenant de ses cheveux. Je vis ensuite un arbre devant l'Žglise et j'appris par une vision comment il Žtait tombŽ et avait ŽtŽ faonnŽ par des ouvriers pour en faire la croix du Sauveur : je vis la croix, sous la forme o je la vois toujours, apportŽe dans l'Žglise par une femme portant une couronne : elle planait en l'air au-dessus des reliques de Marie. Les trois clous y Žtaient attachŽs; le petit appui pour les pieds s'y trouvait ainsi que l'inscription, et je vis artistement rangŽs ˆ l'entour, tous les instruments de la Passion, l'Žchelle, la lance, l'Žponge, les verges, les fouets, les massues, la colonne, les coins, les marteaux et beaucoup d'autres choses. La couronne d'Žpines Žtait suspendue au milieu de la croix. Pendant qu'on apportait et qu'on plaait ces divers objets sacrŽs, j'eus constamment des visions au dehors de l'Žglise, qui me montraient, ˆ des distances plus ou moins, grandes, les lieux o se trouve quelqu'une de ces reliques de la Passion. JÕacquis ainsi la certitude que quelque chose de tout ce que je voyais Žtait encore conservŽ et rŽvŽrŽ quelque part. Il doit y avoir beaucoup de reliques de la couronne d'Žpines dispersŽes en divers lieux. Je vis que ma parcelle de la sainte lance vient de la hampe. Je vis dans toutes les directions sur des autels, dans des chambres, dans des Žglises, dans des caveaux, dans des dŽcombres, dans des murs, sous la terre et sur la terre quelque partie des diverses reliques que je vis placer lˆ. Je vis aussi dans l'Žglise plusieurs hosties consacrŽes apportŽes par des Žvques dans des calices et des ciboires, et des corporaux teints du sang prŽcieux : tout cela se tenait en l'air au-dessus de la croix. Puis vinrent les ossements des premiers martyrs et ap™tres, ils furent placŽs au pied de la croix : ensuite ceux de troupes entires de martyrs, de prtres, de confesseurs, de papes, de vierges, d'ermites, de religieux, etc. Tous furent placŽs dans des vases prŽcieux, des ch‰sses richement ornŽes, des tourelles et des montures admirables. Toute une montagne de trŽsors s'Žleva croissant toujours, au-dessous de la croix; la croix s'Žleva de son c™tŽ en proportion et finit par s'arrter comme sur un Calvaire transfigurŽ. Tous ceux qui apportaient ces ossements sacrŽs Žtaient ceux qui les avaient exaltŽs et prŽsentŽs ˆ la vŽnŽration des fidles, et la plupart du temps, c'Žtaient de saints personnages dont les reliques devaient tre vŽnŽrŽes ˆ leur tour. Tous ceux dont il y avait lˆ des ossements et des reliques se formrent en choeurs suivant leur rang et leur profession : l'Žglise se remplit ainsi de plus en plus, le ciel s'ouvrit au-dessus et la splendeur de la gloire se rŽpandit partout : tout prit les traits de la JŽrusalem cŽleste. Les reliques Žtaient entourŽes de la couleur des aurŽoles des saints auxquels elles appartenaient, comme les saints eux-mmes jetaient des rayons teints de ces mmes couleurs, se montrant ainsi dans un rapport visible et merveilleux entre eux et leurs ossements, rapport qui existait Žgalement entre ceux-ci et leurs possesseurs. È

 

Ç Je vis aprs cela beaucoup de gens en habits de fte presser en foule vers l'Žglise et l'entourer ˆ l'extŽrieur avec des marques de vŽnŽration. Je les vis avec des manires et des costumes diffŽrents, suivant les temps o ils avaient vŽcu, jusqu'ˆ l'Žpoque la plus rapprochŽe de nous, o ils Žtaient trs clairsemŽs. Tous ceux-lˆ Žtaient des gens qui honoraient les saints et leurs reliques de la manire dont ils doivent tre honorŽs, comme membres du corps de JŽsus-Christ, comme vases de la gr‰ce divine sanctifiŽs par JŽsus et en JŽsus. Et je vis comment les saints exeraient sur eux une action bienfaisante et rŽpandaient sur eux comme une rosŽe cŽleste qui les faisait prospŽrer. Je me rŽjouis de voir, ˆ et lˆ, dans ces derniers temps, des gens dont je connaissais un certain nombre honorer les reliques avec simplicitŽ. Ils appartenaient pour la plupart ˆ la classe des paysans et saluaient na•vement tous les saints ossements qui Žtaient dans l'Žglise. Je fus trs joyeuse de voir parmi eux mon frre qui, dans l'Žglise, s'adressait en toute simplicitŽ aux saintes reliques et je vis qu'elles rŽpandaient la prospŽritŽ sur ses champs. Je vis aussi l'Žtat actuel du culte des saints et des reliques sous l'image symbolique d'une Žglise en ruines. Je vis les reliques abandonnŽes, couvertes de poussire, dispersŽes au hasard, bien plus, jetŽes dans la boue et l'ordure, et je les vis pourtant rŽpandre de lˆ la lumire autour d'elles et faire descendre la bŽnŽdiction. Je vis cette Žglise elle-mme dans un aussi triste Žtat que les saintes reliques. Il y entrait encore des fidles, mais ils Žtaient comme des ombres gris‰tres : ce n'Žtait que par endroits qu'on voyait encore une ‰me simple et touchŽe qui Žtait claire et lumineuse. Rien n'Žtait pire que certains prtres, malheureusement en grand nombre. Ils Žtaient tout ˆ fait dans le brouillard et ne pouvaient pas faire un pas en avant. Il semblait qu'ils n'auraient pas pu trouver la porte d'entrŽe de l'Žglise si, malgrŽ le peu de cas qu'ils en faisaient, quelques rayons dŽliŽs partant de ses ossements qu'ils dŽdaignaient n'Žtaient arrivŽs ˆ eux ˆ travers le brouillard. J'eus alors des visions touchant l'histoire du culte des reliques. Je vis des autels b‰tis au-dessus des ossements des saints, lesquels, par la bŽnŽdiction du ciel, Žtaient devenus des chapelles et des Žglises, mais qui tombaient maintenant en ruines par suite du mŽpris qu'on faisait de ces reliques. Je vis ˆ l'Žpoque o tout Žtait devenu brouillard et obscuritŽ, jeter en tas les reliques et les mettre au rebut en mme temps qu'on brisait les beaux reliquaires pour eu faire de l'argent. Je vis que la dispersion des ossements sacrŽs Žtait cause de plus grands maux que la vente des reliquaires. J'ai vu tomber en ruines les Žglises dans lesquelles les reliques Žtaient dispersŽes ˆ et lˆ et indignement traitŽes, et plusieurs d'entre elles dispara”tre. J'ai ŽtŽ ˆ Rome, ˆ Cologne, ˆ Aix-la-Chapelle et j'y ai vu de grands trŽsors de reliques auxquelles on rendait encore certaine honneurs.

 

           3. Par suite de la destruction des couvents et de la dŽvastation d'une si grande quantitŽ d'Žglises, d'innombrables reliques avaient ŽtŽ dispersŽes et profanŽes et elles Žtaient tombŽes dans toute sorte de mains comme des objets qu'on jugeait sans valeur et sans importance. C'Žtait une grande douleur pour Anne-Catherine et elle saisissait toutes les occasions pour raviver le respect de ces objets sacrŽs et mettre un terme ˆ de nouveaux abus. On sut ainsi bient™t dans bien des endroits qu'on ne pouvait lui procurer une plus grande joie qu'en lui apportant des reliques ou en lui demandant conseil pour savoir o on devait remettre celles qu'on possŽderait, afin de leur faire rendre de nouveau les honneurs qui leur Žtaient dus (note) ; elle put ainsi recueillir successivement une grande

 

(note) Clara Soeatgen lui ayant un jour apportŽ un petit paquet de reliques, Anne Catherine le prit dans sa main et dit : Ç C'est un grand trŽsor, Il y a lˆ des reliques de saint Pierre, de sa belle fille PŽtronille, de saint Lazare, de sainte Marthe et de sainte Madeleine. Ce prŽcieux reliquaire est venu de Rome, il y a longtemps. Mais il en va ainsi avec les ossements des saints, quand ils ne sont plus dans la possession de l'Eglise et tombent entre les mains des particuliers. Ce reliquaire a ŽtŽ transmis en hŽritage, donnŽ, mis au rebut avec de vieilles choses sans valeur, jusqu'au moment o il est tombŽ par hasard entre les mains de la soeur Soentgen. Il faudra que je prenne des mesures pour qu'il soit honorŽ. È Une juive avait trouvŽ parmi de vieux habits qu'elle avait achetŽs un reliquaire qu'elle avilit ouvert en le forant ; mais cela lui avait censŽ de telles angoisses qu'elle le fit remettre ˆ la malade, laquelle avait vu en vision ce qui s'Žtait passŽ et ne put s'empcher de sourire des terreurs de la juive.

 

 

quantitŽ d'ossements sacrŽs. Il y en avait, lorsqu'elle mourut, plus de trois cents avec d'autres choses saintes dont elle avait vu et racontŽ en partie l'histoire depuis les temps les plus anciens jusqu'au moment o ils Žtaient venus en sa possession. Outre ses anciennes compagnes de couvent et le Plerin, c'Žtaient particulirement d'Overberg, du P. Limberg et d'autres prtres qu'elle recevait de temps en temps beaucoup de reliques, depuis qu'on avait connaissance de son don de reconna”tre les choses saintes. Si elle ne les reconnaissait pas comme vŽritables, elle les faisait enfouir en terre bŽnite : les autres formaient son trŽsor spirituel, ˆ propos duquel il se manifestait plus clairement chaque jour que les occasions, fortuites en apparence, qui le grossissaient Žtaient mŽnagŽes par Dieu lui-mme, afin que la confirmation des dons gratuits octroyŽs ˆ la servante conduisit ˆ l'expiation des irrŽvŽrences commises envers les saints et ˆ la restauration du culte qui leur est dž. La reconnaissance de chaque relique Žtait, pour Anne-Catherine, une gr‰ce qui, selon un ordre Žtabli par Dieu, se trouvait dans un rapport intime avec l'accomplissement de toute la t‰che de sa vie et avec tous ses autres dons gratuits : et c'est pourquoi son guide angŽlique veillait si sŽvrement ˆ ce que le caprice, la vaine curiositŽ, l'amour dŽrŽglŽ du merveilleux ou le dŽsir d'Žprouver la voyante ne vinssent pas soumettre ˆ leurs expŽriences le don dont il avait la garde. Voilˆ pourquoi ce fut seulement aprs la cl™ture de l'enqute ecclŽsiastique o toute la vie intŽrieure et extŽrieure d'Anne Catherine avait ŽtŽ soumise au jugement de l'autoritŽ ecclŽsiastique, que Dieu amena les occasions par lesquelles la multiplicitŽ et la grandeur de ses dons devaient tre manifestŽes dans la personne de sa fidle servante laquelle, conformŽment ˆ sa volontŽ, s'Žtait soumise ˆ toute espce d'Žpreuves, afin qu'on vit dans la perfection de sa vertu la preuve de la rŽalitŽ des dons gratuits qui lui Žtaient dŽpartis, au lieu de chercher dans ce qu'il y avait d'extraordinaire en elle la pierre de touche de sa saintetŽ. Le premier exemple d'une tentative faite avec de fausses reliques et repoussŽe par son ange gardien est ainsi racontŽ par le Plerin ˆ la date du 30 aožt 1820.

           Ç Le curŽ de N. avait envoyŽ trois petits paquets contenant des ossements, par l'intermŽdiaire du frre du Plerin, ˆ la suite d'une communication faite par celui-ci sur le don qu'avait Anne Catherine de reconna”tre les reliques. Elle prit prs d'elle un de ces paquets ˆ la demande du Plerin auquel, le jour suivant, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu dans le lointain des tombeaux sombres et dŽsolŽs et des ossements noircis: je n'eus pas le sentiment qu'il y ežt lˆ rien de saint. Je vis le curŽ prendre un peu de ces ossements et je me trouvai ensuite dans une chapelle tŽnŽbreuse situŽe sur une hauteur: tout ˆ l'entour Žtait froid, brumeux et sinistre. Alors mon guide me quitta et je vis s'approcher de moi une figure de trs belle apparence et ayant l'air trs bienveillant : je crus d'abord que c'Žtait un ange ; mais bient™t je tremblai et je fus saisie d'effroi. Je lui demandai qui il Žtait. Il me dit deux paroles en langue Žtrangre. Je m'en suis souvenue toute la matinŽe, ce qui m'a beaucoup surprise, puis elles sont sorties de ma mŽmoire. Elles signifiaient: Ç corrupteur de Babylone, sŽducteur de Judas. È Il me dit en mme temps : Ç Je suis cet esprit qui a rendu grande la SŽmiramis de Babylone et qui a formŽ son empire : je suis aussi celui qui a ŽtŽ cause de ta rŽdemption, car j'ai fait en sorte que Judas fit prendre celui que tu sais. È Il ne nomma pas le Christ. Il me parla de cela comme voulant me faire accroire qu'il avait fait lˆ quelque chose de trs bon. Je fis le signe de la croix sur mon front : alors son aspect devint horrible et il me reprocha avec rage de lui avoir enlevŽ une jeune fille qui s'Žtait convertie, aprs quoi il disparut en faisant des menaces. Lorsqu'il avait prononcŽ le premier de ces mots Žtrangers, j'avais vu sous de beaux arbres SŽmiramis, encore trs jeune, et j'avais vu ce mme esprit se tenir devant elle et lui offrir des fruits de toute espce. L'enfant le regardait d'un air effrontŽ; elle avait quelque chose de repoussant. Elle Žtait trs belle, mais il n'y avait rien en elle qui ne fžt comme une griffe, elle semblait pleine de pointes. Je vis que cet esprit nourrissait l'enfant et lui fournissait toute sorte de colifichets. A l'entour Žtait une belle contrŽe : je vis des tentes, de belles prairies, des troupeaux d'ŽlŽphants et d'autres animaux avec des bergers. Il me fut aussi montrŽ comment SŽmiramis exera ses fureurs contre la race des hommes pieux, comment elle Žloigna MelchisŽdech de son pays, et quelles abominations elle fit, ce qui ne l'empcha pas d'tre presque adorŽe. De mme, lorsqu'il pronona le deuxime mot, j'eus une vision du Christ au Mont des Oliviers; de la trahison de Judas et de toute la douloureuse Passion. Je n'ai pas compris pourquoi cet esprit m'Žtait apparu. Peut-tre que les ossements sont pa•ens et que l'ennemi a eu par lˆ le pouvoir de s'approcher de moi. Il m'a ŽtŽ sŽvrement interdit par mon guide d'accepter ˆ l'avenir des ossements de cette espce : Ç Je te le dŽfends, m'a-t-il dit, au nom de JŽsus! C'est en pareille matire une trahison et qui expose ˆ de grandes tentations : tu peux par lˆ beaucoup perdre et Žprouver de grands dommages. Il ne faut pas jeter les perles devant les pourceaux, c'est-ˆ-dire devant ceux qui ne croient pas. Les perles doivent tre ench‰ssŽes dans de l'or. Continue ˆ reconna”tre les ossements qui sont prs de toi par la volontŽ de Dieu. È

           Lorsqu'au mois de septembre suivant, des reliques tut furent envoyŽes par un prtre de Suisse qui lui avait rendu visite ˆ Dulmen, elle raconta ce qui suit : Ç Je n'ai eu aucune vision prŽcise quant aux reliques, mais le prtre qui les a envoyŽes m'a ŽtŽ montrŽ comme bon : il y a toutefois dans sa paroisse des gens inclinant ˆ un piŽtisme qui Žloigne de l'ƒglise. Il ne sait pas les discerner et les croit trs bons. J'ai vu ces gens rŽpandre les tŽnbres; ils ne font pas grand cas des pratiques de l'ƒglise; ils n'ont pas encore manifestŽ leur sentiment ˆ ce sujet, il est en eux ˆ l'Žtat latent. J'ai entendu aussi prs de moi ces paroles : Ç Tu m'oublies ! È C'Žtait un avertissement des autres reliques qui se trouvent chez moi. Et il me fut dit encore que je ne devais plus accepter de reliques Žtrangres, qu'il fallait d'abord en avoir fini avec mes anciennes reliques. Je dois bien me garder d'accepter de personne des reliques ˆ reconna”tre, quand mme elles me seraient apportŽes par le plus saint prtre du monde, il pourrait en rŽsulter pour moi de graves inconvŽnients. È

           Le Plerin fut bient™t la cause d'une violation de cette rigoureuse dŽfense. Un ami lui avait apportŽ quelques reliques provenant de deux couvents des bords du Rhin et, sans dire d'o elles lui venaient, il les prŽsenta ˆ la malade, alors absorbŽe dans une vision. Elle les prit sans difficultŽ croyant que c'Žtaient des reliques de son propre trŽsor et les garda prs d'elle ; mais le lendemain elle eut l'explication suivante avec le Plerin : Ç Mon guide, dit-elle, m'a rŽprimandŽe et punie sŽvrement, pour avoir contrevenu ˆ sa dŽfense en prenant les reliques. J'ai oubliŽ tout ce que j'ai vu ˆ leur occasion. Il m'a dit de nouveau que ce n'Žtait pas le moment de reconna”tre des reliques Žtrangres; cette trop grande facible ˆ accepter des reliques (note) pourrait tout ˆ fait m'Žgarer.

 

(note) C'est-ˆ-dire, pour parler plus clairement, cet acte du pŽlerin qui les lui avait prŽsentŽes sans tenir compte d'aucun avertissement.

 

Le don de les reconna”tre n'est pas une chose qu'on puisse Žvoquer arbitrairement ˆ chaque minute : c'est une gr‰ce de  Dieu et le temps viendra o j'aurai ˆ en faire usage pour reconna”tre d'autres reliques que celles qui se trouvent prs de moi. Je dois me souvenir d'une vision que j'ai eue ˆ l'occasion du petit paquet du curŽ R. Je vis alors comme quoi celui-ci disait avec une certaine lŽgretŽ que ce qu'on rapportait de moi, au sujet des reliques, ne signifiait rien, et je vis ce qui pouvait rŽsulter de ces propos. Je dois maintenant refuser ces reliques et n'avoir prs de moi que celles qui m'appartiennent. È

           Le mme avertissement lui fut rŽpŽtŽ plus tard et il lui fut dit que l'ami du Plerin ne voulait par lˆ que faire des expŽriences, ce qui pouvait lui attirer de grandes tribulations, car ses dons n'Žtaient pas ce que celui-ci pensait : ils n'Žtaient pas soumis au bon plaisir de celle qui les possŽdait, ni une facultŽ naturelle qui pžt tre livrŽe ˆ l'indiscrŽtion des curieux. Le Plerin finit par accepter l'avertissement, mais il n'en fut pas de mme de son ami qui nÕy trouvait que plus de raisons pour mettre la malade ˆ l'Žpreuve. Toutefois, le 12 dŽcembre, elle eut ˆ dŽclarer encore : Ç Le jugement de votre ami sur moi et sur ce qui se voit en moi est tout ˆ fait erronŽ : c'est pourquoi il m'a ŽtŽ expressŽment dŽfendu, par mon guide de recevoir de lui aucune relique de saint parce qu'il ne cherche jamais qu'ˆ faire des expŽriences. Il m'a ŽtŽ dit que ses expŽriences pourraient m'tre trs nuisibles parce qu'il en parle devant d'autres personnes et qu'il veut prouver par lˆ des choses d'une tout autre nature (note).

 

(note) Cet ami Žtait un partisan enthousiaste de la thŽorie du magnŽtisme animal.

 

Mais mes dons et mes moyens de conna”tre ne sont pas ce qu'il s'imagine. Je vois le fond de sa pensŽe quand il me parle; il dŽraisonne compltement ˆ mon sujet et j'en ai ŽtŽ depuis longtemps instruite et avertie en vision. È

 

           Le 16 dŽcembre, elle dit : Ç J'ai eu une vue des reliques merveilleusement claire. Je les vis toutes autour de moi. Je vis aussi plusieurs Žglises des bords du Rhin et il me fut montrŽ en vision comment une voiture Žtait attaquŽe par des voleurs, ˆ la suite de quoi une petite cassette Žtait jetŽe dans un champ et trouvŽe plus tard par une autre personne. Le propriŽtaire revint inutilement pour la chercher et la cassette resta ˆ l'endroit o elle avait ŽtŽ trouvŽe. J'y vis la relique que votre ami a apportŽe ici avec beaucoup d'autres, mais je ne dois pas la nommer, il faut que l'ami attende et qu'il y ait en lui un changement. Il est encore Žtonnamment grand et large : la foi ˆ la vŽritŽ est aussi grande et large, mais il faut souvent qu'elle passe par un trou de serrure. Votre ami s'obstine dans son erreur quant ˆ moi et ˆ ma destination ; il a sur toutes ces choses des opinions bizarres et dŽraisonnables. J'ai reu l'avertissement positif de ne m'occuper en rien de reliques avec lui, parce que ses vues ˆ ce sujet sont fausses, qu'il les propage sans nŽcessitŽ et qu'il peut m'attirer des souffrances, car mon temps n'est pas encore venu. È Ensuite elle annona que le jour de la fte du saint ap™tre Thomas, elle dŽcouvrirait plusieurs reliques anciennes. Et en effet, le Plerin rapporte, ˆ la date du 21 dŽcembre, qu'il la trouva ayant la botte de reliques sur son lit. On ne pouvait voir sans surprise dans quel bel ordre elle avait rangŽ les ossements pendant la nuit, quoiqu'Žtant dans l'Žtat contemplatif : elle avait arrangŽ une vieille Žtoffe de soie dans l'intŽrieur de la cassette bien mieux qu'elle n'aurait pu le faire ˆ l'Žtat de veille. Elle avait enveloppŽ ˆ part les cinq reliques de saint Jacques le Mineur, de saint Simon le ChananŽen, de Joseph d'Arimathie, de Denys l'ArŽopagite et d'un disciple de saint Jean qu'elle nommait Eliud. Ç J'ai eu, disait-elle, une nuit pleine de clartŽs. J'ai su les noms de tous ceux dont les ossements se trouvent prs de moi : j'ai vu aussi les voyages des ap™tres et des disciples dont je possde des reliques ainsi que les lieux par o ils ont passŽ : j'ai eu la vision d'une grande fte ˆ propos de saint Thomas. J'ai vu aussi comment des reliques des premiers sicles sont venues ˆ Munster, comment un Žvque Žtranger les a recueillies ˆ une Žpoque trs-ancienne et comment elles sont venues ensuite en la possession d'un Žvque de Munster. J'ai vu tout cela avec l'indication des Žvques et des noms. Dieu, je l'espre, fera en sorte que cela ne soit pas perdu... J'ai aussi reu la permission de rŽvŽler ˆ mon confesseur, afin qu'il en prenne note, le nom de la relique que l'ami a apportŽe : je ne dois point le dire ˆ l'ami lui-mme. Ce dernier ne voulut pas comprendre cet avertissement dans lequel pourtant se trouvait indiquŽe si clairement l'origine surnaturelle du don dŽparti ˆ Anne Catherine, ainsi que le lien qui la rattachait ˆ l'ƒglise. Voyant qu'il ne changeait pas d'idŽes ˆ ce sujet, elle Žprouva un vif dŽsir de pouvoir lui faire conna”tre le nom ˆ lui-mme. Ç Ah ! s'Žtait-elle dit, si pourtant je pouvais lui dire ˆ qui appartient cet ossement ! J'avais dŽjˆ le nom sur la langue: mais tout ˆ coup une main blanche et lumineuse sortit de l'armoire qui est prs de moi ˆ droite, se posa sur ma bouche et m'empcha de parler. Cela se fit d'une manire si prompte et si surprenante que je fus au moment d'en rire. È

Un semblable avertissement se rŽpŽta quelques jours plus tard lorsqu'elle allait de nouveau cŽder au dŽsir de dire le nom pour la satisfaction de l'ami. Ç J'ai eu encore, dit-elle, un grand dŽsir de nommer le saint dont la relique m'a donnŽ tant d'ennui : mais comme j'allais parler, un bruit se fit entendre dans l'armoire et cela me fut impossible; je ne me souvins plus de rien; je ne puis ni ne dois ouvrir la bouche. J'ai eu plusieurs fois le nom sur la langue, je n'ai pas pu parler et ma volontŽ n'y est pour rien. È Le confesseur et l'ami avaient aussi entendu le coup donnŽ dans l'armoire sans pouvoir se l'expliquer et lorsque le confesseur dit : Ç Le malin ne nous fera pourtant pas de ses tours cette foi,È Anne Catherine prit la relique dans l'armoire et dit : Ç C'est le saint qu'a apportŽ l'ami du Plerin. È

           Mais voici des faits qui font voir clairement quelle Žtait, lˆ aussi, la puissance du commandement sacerdotal. Le 18 janvier 1821, le confesseur plaa prs d'Anne Catherine un petit paquet cachetŽ et dit au Plerin qui Žtait prŽsent: Ç Je ne sais pas ce qu'il y a dedans, mais quand elle aura parlŽ, je vous dirai o je l'ai trouvŽ. È Lˆ-dessus il dit ˆ la malade : Ç Qu'est-ce que c'est ? Est-ce bon ? Dites ce que c'est. È Quoique par lˆ, il ežt interrompu Anne Catherine au milieu d'une autre vision, elle rŽpondit pourtant au bout de peu de minutes. Ç Ce petit paquet vient d'un homme pieux du sŽminaire de Paris qui l'a rapportŽ de JŽrusalem et de Rome : il y a des cheveux du Pape, une petite parcelle des ossements d'un nouveau saint qui est mort dans un couvent de la terre promise, une petite pierre du saint sŽpulcre, de la terre o a reposŽ le corps du Seigneur et encore des cheveux d'une autre personne.È Le Plerin dit alors au confesseur : Ç Vous l'avez sans doute trouvŽ chez l'abbŽ Lambert qui, avait reu de Paris des objets de ce genre. È

- Ç Oui, rŽpondu-il, en rangeant les papiers de Lambert, j'ai trouvŽ ce petit paquet cachetŽ. Lorsque le confesseur se fut retirŽ, elle dit encore : Ç Qu'est-ce qu'une pauvre nonne qui est couchŽe lˆ, dans un si triste Žtat ? Le Pre ne me dit pourtant rien. Il devrait aller la voir; elle est bien plus ˆ plaindre que moi, elle est tout enveloppŽe d'Žpines ! È Elle se vit elle-mme sous cette image, parce que le petit paquet contenait de ses cheveux que le vieux Lambert avait voulu envoyer ˆ son ami de Paris.

           Un jour elle avait reconnu une relique comme Žtant d'un Pape : mais elle avait oubliŽ le nom. Alors le Plerin pria le confesseur de la lui prŽsenter de nouveau en lui demandant ce nom. Celui-ci y consentit; et ˆ peine eut-elle tenu quelques instants la relique dans sa main qu'elle dit : Ç C'est du Pape Boniface 1er. È

 

           Le 9 aožt, elle dit : Ç J'ai ŽtŽ trs occupŽe cette nuit des ossements sacrŽs qui se trouvent prs de moi. J'ai vu tous les saints et j'ai ŽtŽ invitŽe ˆ dire autant de Pater qu'il y avait de reliques chez moi. Je dois offrir cette prire pour les ‰mes des dŽfunts qui reposent dans le cimetire d'ici. È

 

           4. Combien Žtaient involontaires et puissantes les impressions que faisaient sur Anne Catherine les objets saints ou profanes, c'est ce que fait voir d'une manire singulirement frappante le fait suivant rapportŽ par le Plerin ˆ la date du 9 mai 1820.

           Ç Le docteur Wesener, en fouillant un tombeau pa•en, avait trouvŽ un vase de cendres auxquelles Žtaient mlŽs quelques fragments d'un cr‰ne humain et le Plerin apporta un de ces fragments sur le lit de la malade pendant qu'elle Žtait absorbŽe dans une prire extatique. Elle n'approcha pas la main de cet os, elle qui ordinairement pourtant est si puissamment attirŽe par la lumire des ossements sacrŽs, qui la suit, Žtant en extase; avec la tte et le haut du corps,

mme avec les pieds, les orteils et le tressaillement des muscles, ˆ l'endroit o l'ossement la touche. Elle laissa celui-ci reposer sur la couverture devant les doigts de sa main gauche dont il Žtait trs-rapprochŽ et ne fit aucun mouvement, en sorte que le Plerin crut que c'Žtait un objet trs indiffŽrent et qui ne produisait aucune impression. A la fin elle dit : Ç Que me veut cette vieille RŽbecca ? È Comme il cherchait ˆ rapprocher d'elle l'ossement, elle cacha ses mains sous sa couverture et dit qu'une vieille femme basanŽe, d'un aspect sauvage, courait autour d'elle avec des enfants nus comme des grenouilles, qu'elle ne pouvait pas les regarder, que c'Žtait pour elle un objet d'horreur. Elle avait bien vu en ƒgypte des gens aussi basanŽs et d'un aspect aussi sauvage, mais elle ne savait pas ce que ceux-ci lui voulaient, etc. L'ossement ayant ŽtŽ laissŽ encore un certain temps dans son voisinage, elle Žtendit la main, sans se rŽveiller, sur la bo”te de reliques qui Žtait auprs d'elle, la pressa des deux mains contre sa poitrine et dit: Ç Maintenant elle ne peut me nuire en rien. ÈAlors, les membres raidis par l'extase, elle se glissa sous sa couverture, et comme le Plerin qui Žtait debout prs d'elle mit alors dans sa poche l'ossement pa•en, elle tourna la tte du cotŽ opposŽ, puis, quand il porta cet os de cet autre c™tŽ, elle en dŽtourna encore la tte; lorsqu'enfin il Žloigna l'os, elle dit qu'elle s'Žtait cachŽe devant les saints. Pendant ce temps son confesseur lui ayant prŽsentŽ le doigt consacrŽ, elle le suivit de la tte si bien qu'elle le prit dans sa bouche et le sua fortement. Ç Qu'est-ce que cela ? lui demanda-t-il, È et elle lui fit cette rŽponse Žtourdissante : Ç C'est plus que tu ne peux comprendre. È Il retira ses doigts et posa sa main au pied du lit : mais la malade la suivit aussi lˆ. Dans son Žtat de raideur, sans quitter la bo”te de reliques, elle redressa le haut du corps pour se mettre sur son sŽant et chercha ˆ rapprocher sa tte et sa bouche des doigts consacrŽs. È

 

Ç Plus tard le Plerin mit prs de sa main qu'elle tenait fermŽe autour de la bo”te de reliques et qui Žtait toute raidie, le fragment d'un os d'animal fossile que le docteur Wesener avait trouvŽ dans la rivire de la Lippe. Elle le prit et dit: Ç Ceci est mieux ˆ sa place ici, ceci n'a rien de nuisible, c'est une bonne bte et qui n'a pas commis de pŽchŽs. È Elle avertit encore plusieurs fois le Plerin de ne plus s'occuper d'ossements de cette espce et de ne pas les apporter avec les ossements des saints. Ç Va-t'en, dŽbarrasse-toi de la vieille femme, prends garde ˆ elle; elle peut te nuire, È dit-elle avec insistance ˆ diverses reprises, sans sortir de l'Žtat d'extase. Lorsque le Plerin, un des jours suivants, amena la conversation sur l'incident racontŽ plus haut, la malade lut reprŽsenta en termes sŽvres combien il Žtait dŽplacŽ et mme dangereux de faire sur elle de ces expŽriences indiscrtes et propres ˆ jeter la confusion, de mler ainsi le sacrŽ avec le profane et de lui prŽparer par lˆ des impressions trs-inconvenantes. È Elle se plaignit aussi beaucoup que le Plerin ne se fžt pas laissŽ dŽtourner par le confesseur de lui prŽsenter ces os. Elle dit encore : Ç Les ossements des pa•ens m'ont repoussŽe et ont excitŽ en moi l'horreur et la rŽpugnance. Je ne puis pas dire que j'aie eu le sentiment que cette femme Žtait damnŽe ; mais j'ai senti lˆ quelque chose de sinistre, qui se dŽtournait de Dieu, qui rŽpandait la nuit ou plut™t qui exprimait en soi les tŽnbres, tout ˆ fait le contraire et l'opposŽ de ce que je vois de lumineux, d'attrayant, de bienfaisant dans les ossements des saints. Je vis cette vieille femme regardant d'un air craintif autour d'elle: c'Žtait comme si elle Žtait en rapport intime avec des puissances mauvaises; comme si elle pouvait faire du mal. Je ne vis qu'obscuritŽ autour d'elle; il y avait un bois et une prairie, mais tout Žtait sombre, non pas comme quand il fait nuit, mais de cette obscuritŽ spirituelle que je vois dans les mauvaises doctrines, dans l'Žloignement volontaire de la lumire du monde, dans l'alliance avec les tŽnbres. Ce n'est pas la nuit dans le sens ordinaire du mot : ce sont des tŽnbres spirituelles. Je vis cette femme seule avec les enfants ; mais il y avait lˆ de misŽrables cabanes dispersŽes de formes diverses, toutes creusŽes sous la terre et surmontŽes d'un toit quelques-unes Žtaient rondes et avaient des toits de gazon, d'autres Žtaient carrŽes avec des toits de roseaux. J'en vis aussi, mais en petit nombre, qui avaient des toits plus ŽlevŽs :elles se terminaient en pointe et Žtaient rangŽes plus rŽgulirement. Je vis aussi entre quelques-unes de ces huttes des passages souterrains qui Žtaient recouverts. L'action dŽplaisante de ces ossements pa•ens peut produire beaucoup de mal, si l'on a recours ˆ des pratiques superstitieuses, contraires aux prŽceptes de l'ƒglise, car par lˆ, on se rend, ˆ son insu, participant ˆ leurs influences et il s'Žtablit une sorte de communion avec eux, comme, en sens inverse, la vŽnŽration des reliques des saints fait participer ˆ la bŽnŽdiction et ˆ l'action sanctifiante de tout ce qui est rachetŽ et transfigurŽ. È

 

           5. Mais, mme dans l'Žtat de veille naturel, elle ressentait l'attraction des saintes reliques, les voyait briller et reconnaissait leurs noms : c'est ce dont le Plerin fut tŽmoin ds son premier sŽjour ˆ Dulmen. On lit dans son journal, ˆ la date du 30 dŽcembre 1818 : Ç La soeur Neuhaus, ancienne ma”tresse des novices de la malade, lui apporta un petit paquet. Lorsqu'elle entra dans la chambre, Anne-Catherine ressentit un frisson de joie (ce fut son expression), et eut la certitude intŽrieure que c'Žtaient des relique. È Ah ! se disait-elle, tu portes le trŽsor hors de ta chambre et tu y gardes la poussire ! È Et quand la soeur Neuhaus posa le petit paquet sur la table, elle fut si pleine d'Žmotion qu'elle craignait ˆ chaque instant d'tre ravie hors d'elle-mme. C'Žtait comme si une voix intŽrieure l'ežt appelŽe : Ç Ludger est lˆ ! Il est lˆ ! È - Et tout en s'entretenant avec la soeur Neuhaus, elle ne cessait d'tre tellement attirŽe vers les reliques qu'elle avait beaucoup de peine ˆ ne pas tomber en extase, en sorte que l'autre lui demanda si elle ne se trouvait pas bien. Ç Pas tout ˆ fait, È rŽpondit-elle, et elle parla exprs d'autres choses parce qu'elle ne voulait pas passer ˆ l'Žtat contemplatif. Aprs cela elle raconte ce qui suit au Plerin : Ç Je voyais toujours prs de ces reliques quelques lueurs brillantes, une lumire d'un blanc de lait, mais pourtant plus Žclatante et plus vive que le jour, et comme une petite parcelle tomba ˆ terre, je vis une Žtincelle lumineuse voler nous la bo”te (note).

 

(note) Ç Je la cherchai alors, moi, pauvre aveugle, et je la trouvai. È Le Plerin

 

Plus tard comme le Plerin considŽrait les reliques, je fus tout de suite ravie hors de moi, et une voix me dit : Ç Voici Ludger, c'est son ossement. È Et en mme temps je vis le saint Žvque avec la mitre et la crosse dans l'assemblŽe des saints. Plusieurs autres me furent montrŽs, les uns derrire les autres ; d'abord sainte Scholastique au-dessus de beaucoup de religieuses et son ossement sur la table. Je vis ensuite sainte Afre parmi des religieuses et sa relique; puis saint Beno”t au-dessus d'un grand nombre de moines et sa relique sur la table; puis Walburge prs d'une troupe de religieuses et au-dessous, prs du Plerin, sa relique; puis une jeune religieuse me fut montrŽe parmi d'autres nonnes et il me fut dit : Ç C'est EmŽrentienne et voilˆ sa relique ! È Je fus ŽtonnŽe, car je n'avais jamais entendu ce nom. Je vis ensuite une jeune fille ayant une couronne de grosses roses pur la tte et tenant dans ses deux mains, devant elle, un beau bouquet de fleurs et une guirlande de roses. Il me fut dit : Ç C'est Rosalie qui a tant fait pour les pauvres. Elle tient la guirlande de fleurs de la mme manire qu'elle distribuait ses dons charitables, et sa relique est lˆ. È Aprs cela je vis briller une religieuse parmi beaucoup d'autres et il me fut dit : Ç C'est Louise et sa relique est lˆ. Vois ! comme elle rŽpand les aum™nes !  Et je vis qu'elle avait son tablier rempli de pains et qu'elle les distribuait ˆ plusieurs malheureux. Puis je vis un Žvque et il me fut dit : Ç Il vivait du temps de Ludger : ils avaient travaillŽ ensemble et s'Žtaient connus. È Je les vis pourtant se tenir loin l'un de l'autre. Puis je vis une jeune fille sŽculire trs-jeune encore, avec un vtement immatŽriel, de la forme de ceux du moyen ‰ge, parmi d'autres bienheureuses vierges. Et voyez ! on avait trouvŽ son corps entier et parfaitement conservŽ; on avait reconnu sa saintetŽ et placŽ un ossement d'elle parmi d'autres saintes reliques. En mme temps je vis son tombeau ouvert : il Žtait revtu de maonnerie. Puis je vis un jeune homme ˆ l'air dŽlicat, un adolescent des premiers sicles et, prs de lui, six autres et une femme. J'entendis prononcer le nom de FŽlicitŽ : une place ronde entourŽe de murs avec des arcades me fut montrŽe et il me fut dit qu'il y avait lˆ, sur l'un des c™tŽs, des trous renfermant les btes fŽroces et de l'autre c™tŽ les prisons o les martyrs Žtaient tenus captifs et attachŽs ˆ des cha”nes suspendues en l'air en attendant qu'on les livr‰t aux btes. Je vis encore des gens qui creusaient lˆ pendant la nuit et emportaient des ossements. Il me fut dit : Ç Ils font cela en secret ; ce sont des amis des martyrs et c'est ainsi que les ossements ont ŽtŽ portŽs ˆ Rome et distribuŽs. È Puis je vis FŽlicitŽ prs des sept jeunes gens. È

           Une semaine aprs, le Plerin apporta devant Anne Catherine le reste des reliques du paquet de la soeur Neuhaus : Ç Je lui donnai sept parcelles, È dit-il dans son journal. Elle les reconnut toutes comme Žtant de sainte ƒlisabeth de Thuringe et dit: Ç Je vois ƒlisabeth tenant d'une main une couronne et de l'autre une corbeille. De la corbeille tombent de grandes et de petites roses d'or. Au-dessous je vois un pauvre vers lequel elles tombent. È Ici elle montra elle-mme une relique et dit: Ç C'est sainte Barbe; je la vois avec une couronne sur la tte et tenant en main le calice avec le Saint-Sacrement. È Puis elle se retourna vers un petit amas d'autres reliques et dit : Ç Celles-ci viennent d'un lieu de martyre qui est ˆ Rome. È Et alors elle y fut ravie en vision et dŽcrivit au Plerin les lieux qu'elle voyait et les supplices des saints martyrs en mme temps qu'elle lui nommait les diverses reliques et les lui prŽsentait pour les envelopper et en prendre note. Il fut tellement surpris de la rapiditŽ avec laquelle tout cela se fit qu'il exprima son Žtonnement en ces termes ; Ç Je dois dire, ˆ ma honte, que je n'ai pas la moindre idŽe de toutes ces choses. Qu'on se figure cette pieuse villageoise, ayant sous les yeux le vieux monde romain avec tous ses usages et ses moeurs, et qui ne comprend de tout ce qu'elle voit que l'Žtat moral des martyrs livrŽs aux supplices, qui, du reste, par suite de son inexpŽrience, ne sait comment dŽcrire les objets, les lieux, les instruments ! Comme jusqu'ˆ prŽsent elle n'a eu ˆ s'exprimer que sur ce qui touche ˆ la vie spirituelle, il est facile de comprendre pourquoi le Plerin ne peut noter que fort peu de choses. È Lorsqu'ˆ la fin de la vision elle demanda ˆ son guide comment ces saintes reliques Žtaient venues ici et ne recevaient pas ailleurs les honneurs qui leur Žtaient dus, il rŽpondit qu'elles avaient ŽtŽ dŽterrŽes trs anciennement dans les endroits o les martyrs avaient souffert; qu'elles avaient passŽ de lieu en lieu et qu'enfin, Žtant venues ˆ Munster, elles avaient sans cesse cŽdŽ la place ˆ de nouveaux objets, et qu'on les avait mises tout, ˆ fait de c™tŽ. Ç Je me trouvais une fois, dit-elle, dans une ville Žtrangre d'un merveilleux aspect, et j'Žtais debout sur une plate-forme au sommet d'un Ždifice qui entourait une place circulaire. Je me trouvais au-dessus d'une entrŽe, d'o partaient ˆ droite et ˆ gauche des escaliers intŽrieurs conduisant en haut jusqu'ˆ l'endroit o j'Žtais. L'un des c™tŽs contenait des prisons communiquant par des portes ˆ l'enceinte circulaire ; de l'autre c™tŽ Žtaient des loges renfermant les btes fŽroces. Derrire celles-ci Žtaient des recoins o se glissaient les bourreaux quand ils l‰chaient les btes. Vis-ˆ-vis l'entrŽe, prs du mur, on voyait sur la place un sige de pierre ŽlevŽ auquel des degrŽs conduisaient des deux c™tŽs. Lˆ siŽgeait la femme du mŽchant empereur et, prs d'elle, deux personnes d'une grande cruautŽ. Derrire cette tribune, en haut de la plate-forme, Žtait assis un homme chargŽ de donner des ordres. Il faisait des gestes, tant™t dans une direction, tant™t dans une autre, comme s'il indiquait une marche ˆ suivre. Tout n'abord une porte fut ouverte devant les btes et il en sortit un animal tachetŽ ressemblant ˆ un grand chat. Les bourreaux se trouvaient derrire les portes et ils s'enfuirent dans les trous pour se mettre en sžretŽ, puis ils montrent les escaliers en courant, jusqu'au bord supŽrieur. Pendant ce temps deux autres exŽcuteurs avaient tra”nŽ une jeune fille hors des portes de la prison situŽe en face et lui avaient arrachŽ son vtement blanc. Elle Žtait lumineuse comme tous les martyrs et se tenait tranquille au milieu de la place, les yeux levŽs au ciel et les mains croisŽes sur la poitrine; elle ne manifestait pas la moindre frayeur. La bte fŽroce ne lui fit pas de mal, mais s'humilia devant elle et se jeta sur les valets qui cherchaient ˆ l'exciter en lui jetant des pierres et en poussant des cris. Mais comme l'animal ne voulait pas attaquer la victime, on le rappela et il revint, je ne sais comment. La jeune fille fut conduite ˆ un autre lieu de supplices qui Žtait dans le voisinage et autour duquel il n'y avait que des barrires. Elle fut attachŽe, les mains liŽes derrire le dos, sur une pierre surmontŽe d'un poteau et on lui trancha la tte. Elle mit elle-mme ses mains derrire son dos. Ses cheveux Žtaient tressŽs : elle Žtait charmante et il n'y avait pas trace de frayeur chez elle. Alors on conduisit un homme dans le lieu o Žtaient les btes : on lui arracha aussi son manteau : il n'avait plus qu'un vtement de dessous descendant aux genoux. Les btes ne lui firent aucun mal : on lui trancha la tte. È

           Ç Il fut, comme la jeune fille avant lui, poussŽ de c™tŽ et d'autre et piquŽ avec des b‰tons de fer pointus. Ces martyres causent tant de tristesse et pourtant aussi tant de joie ! ils sont si terribles et pourtant ils enthousiasment tellement qu'on ne peut que s'affliger de n'tre pas lˆ. Les bourreaux souvent sont si merveilleusement frappŽs de la sublimitŽ des martyrs qu'ils courent ˆ eux, confessent JŽsus ˆ haute voix et sont souvent martyrisŽs avec eux sur-le-champ. Je vois un martyr dans l'endroit o sont les btes ; Ç une lionne se prŽcipite sur lui, le tra”ne ˆ et lˆ et le met en pices. Je vois aussi beaucoup de gens bržlŽs sur un thŽ‰tre et un martyr duquel les flammes se dŽtournent pour se jeter sur les bourreaux dont elles font pŽrir un grand nombre. Je vois un prtre, qui a consolŽ en secret bien des personnes, auquel les bourreaux coupent les membres l'un aprs l'autre, aprs quoi ils les lui prŽsentent, l'engageant ˆ abjurer. Mais le corps mutilŽ demeure plein de joie et louant Dieu jusqu'au moment o on lui tranche la tte. J'allai aussi dans les catacombes et je vis, devant une table garnie de flambeaux, beaucoup de personnes, hommes et femmes, s'agenouiller et prier. Un prtre rŽcitait les prires et un autre faisait bržler de l'encens dans un vase. Tous semblaient offrir quelque chose dans un plat placŽ sur la table. Les prires Žtaient comme une prŽparation ˆ un prochain martyre. Je vis ensuite une femme noble avec trois filles de seize ˆ vingt ans, exposŽes dans l'enceinte des btes. Le juge qui sige en haut n'est plus le mme. Beaucoup d'animaux fŽroces sont l‰chŽs sur elles, mais ils ne leur font pas de mal; bien plus, ils lchent amicalement la plus jeune. Alors elles sont conduites devant le juge et de lˆ ˆ la petite place destinŽe aux supplices. La fille a”nŽe est d'abord bržlŽe avec des torches de couleur noire aux joues, aux mamelles et sous les bras, puis tenaillŽe partout le corps et enfin ramenŽe au juge. Elle ne le regarde pourtant pas, mais se retourne sans cessŽ pour voir sa soeur qu'on martyrise pendant ce temps. La mme chose se fit pour toutes les quatre, aprs quoi, on les fit asseoir et on leur trancha la tte. La mre qui avait incroyablement souffert ˆ la vue de ses pauvres filles, fut dŽcapitŽe la dernire. Je vois aussi un saint pape victime d'une trahison : on le tire des catacombes et on le martyrise. Un des plus furieux parmi les Romains, touchŽ de repentir, se jette dans les rangs des chrŽtiens et meurt ˆ son tour martyrisŽ. Je ressentis un tel dŽsir du martyre que je le demandai ˆ haute voix, mais il me fut dit : Ç Chacun a sa voie. Nous le souffrons en une fois, mais toi tu dois tre martyrisŽe ˆ tous les instants; nous n'avions qu'un ennemi, tu en as beaucoup. È

 

           6. A une Žpoque postŽrieure, le Plerin lui offrit une certaine quantitŽ de reliques qu'elle prit successivement et porta ˆ l'Žpigastre. Puis elle les mit en ordre, les pressa toutes sur son coeur et les considŽra attentivement. Elle les rendit ensuite l'une aprs l'autre, en signala une comme fausse, les autres comme vŽritables, en ajoutant ces paroles : Ç Elles sont magnifiques; on ne peut dire ˆ quel point elles sont belles. È InterrogŽe de nouveau sur ce qu'elle ressentait ˆ la vue des saints ossements, elle dit : Ç Je vois et sens la lumire: c'est comme un rayon qui entre en moi et me ravit et je sens alors la connexion du rayon avec le corps lumineux d'o il Žmane et avec tout un monde de lumire. J'ai ensuite des visions touchant la vie terrestre du saint et la place qu'il occupe dans les rangs de l'ƒglise triomphante. Il y a entre le corps et l'‰me un merveilleux rapport qui ne cesse pas aprs la mort, en sorte que les ‰mes bienheureuses continuent toujours ˆ agir sur les fidles par les parties dŽtachŽes de leur corps. Au dernier jour il sera trs facile aux anges de sŽparer les bons des mauvais, car il n'y a rien qui ne soit ou lumire ou tŽnbres. È

           Le 31 juillet, Žtant en contemplation, elle avait choisi parmi plus de cent reliques, une petite parcelle qu'elle disait provenir de saint Ignace de Loyola. Etant ŽveillŽe, elle prit de nouveau la bo”te o Žtaient les reliques pour chercher les petits fragments qui se rapportaient les uns aux Vautres. A peine les avait-elle considŽrŽs quelques instants qu'elle en fit six petits tas sŽparŽs. Elle dit de l'un : Ç Je dois avoir lˆ dix parcelles, È et ne put pourtant en compter que neuf. Cependant elle rŽpŽta : Ç Il doit y en avoir dix, È jusqu'ˆ ce qu'enfin elle ežt trouvŽ aussi la dixime. Elle fit cela en moins de cinq minutes et dit ensuite : Ç Je ne puis plus, je ne vois plus, È Puis, ŽpuisŽe de fatigue, elle s'arrta. Elle dit plus tard : Ç Je sentais une irrŽsistible envie de contempler les reliques, j'y aspirais ardemment, elles m'attiraient. Il est facile alors de les reconna”tre, elles ont une lumire diffŽrente. Je vois de petites images qui semblent tre les visages des divers personnages auxquels elles appartiennent ; des fils de lumire vont des parcelles d'ossements ˆ ces images. Je ne puis exprimer cela, c'est un Žtat merveilleux : c'est comme si l'on sentait renfermŽ en soi quelque chose qui veut sortir ; cela fatigue beaucoup et on finit par tomber ŽpuisŽ. È Pendant qu'elle faisait cette recherche, de mme qu'auparavant et aprs, elle Žtait tout ˆ fait ˆ l'Žtat de veille et on ne voyait en elle aucun changement extŽrieur, si ce n'est une espce d'attention profonde et intime. Lors de l'ouverture du papier, elle dit tout d'abord : Ç Il y a lˆ-dedans une petite pierre, È et elle la retira en effet du milieu de plusieurs autres petits fragments semblables. Elle n'a pas besoin de la lumire du jour pour un pareil travail, car elle le fait souvent pendant la nuit. - Le vicaire Hilgenberg, ayant garni deux bandes d'Žtoffe de reliques ŽlŽgamment disposŽes, les apporta pour les lui montrer : elle fut trs-Žmue et dit : Ç J'en vois beaucoup avec une aurŽole lumineuse de plusieurs couleurs : la lumire les pŽntre de part en part. Quand je m'attache davantage ˆ les considŽrer, il y surgit une petite figure, puis cette figure grandit :j'entre en elle et je vois l'extŽrieur, le vtement, la manire d'tre, le nom, la vie et l'histoire du saint. Les noms sont toujours placŽs sous les pieds pour les hommes, au c™tŽ droit pour les femmes. Ils ne sont pas Žcrits en entier, mais seulement les premires syllabes; le reste se peroit intŽrieurement (note).

 

(note) Chaque fois qu'Anne Catherine, pour condescendre aux demandes du Plerin, essayait de tracer au crayon les noms des saintes reliques, tels qu'ils lui avaient ŽtŽ indiquŽs en vision, elle n'Žcrivait jamais non plus que la premire syllabe du nom et cela en caractres romains.

 

Les lettres ont une aurŽole de la mme couleur que les reliques et les saints auxquels celles-ci appartiennent. Il semble que ces noms soient quelque chose d'essentiel, qu'ils aient par eux-mmes une substance : il y a en eux un mystre. Quand je vois les saints, sans qu'il s'agisse de les reconna”tre individuellement, mais seulement d'une vue gŽnŽrale, ils m'apparaissent rangŽs en hiŽrarchies et en choeurs, vtus suivant leur importance et leur rang, mais seulement dans leur forme essentielle, portant les costumes de l'ƒglise du ciel, et non ceux qui leur Žtaient Žchus dans le temps. Je vois alors tous les Žvques, les papes, les martyrs, les oints du Seigneur, les rois, les vierges revtus d'un vtement cŽleste, mais toujours dans une gloire. Les sexes ne sont pas sŽparŽs. Les vierges ont un rang mystique tout ˆ fait distinct. Je vois les vierges comme vierges par la volontŽ: il y a parmi elles des femmes mariŽes et de saintes martyres auxquelles les bourreaux ont fait violence. Je ne vois pas Madeleine parmi les vierges, mais elle est ˆ un rang trs-ŽlevŽ. Elle Žtait grande, belle et si Žnergique que, si elle ne s'Žtait pas convertie ˆ JŽsus, elle aurait pu devenir un monstre parmi les femmes. Elle a remportŽ une grande victoire. È

           Quelquefois je ne vois des saints que la tte, quelquefois aussi la poitrine entourŽe de splendeur. Je vois cette splendeur diversement colorŽe. Chez les vierges et chez les personnes qui ont menŽ une vie trs-paisible et pour lesquelles le combat n'a ŽtŽ que la patience dans les Žpreuves journalires et dans les peines domestiques, elle est d'un blanc de neige ; il en est de mme pour les adolescents : je vois souvent ceux-ci tenir un lis ˆ la main. Je vois briller d'un rouge p‰le ceux qui ont ŽtŽ martyrisŽs par des souffrances secrtes en l'honneur de JŽsus. Les martyrs portent des palmes, leur aurŽole est d'un rouge Žclatant; celle des confesseurs et des docteurs est jaune et verte : ils tiennent ˆ la main des branches vertes. Je vois les saints martyrs dans des gloires d'une espce diffŽrente selon le degrŽ des tourments qu'ils ont endurŽs: Parmi les saints dont les ossements se trouvent chez moi, j'en vois aussi quelques-uns qui par le martyre intŽrieur de l'‰me sont devenus martyrs sans verser leur sang.

           Ç Je vois les anges sans aurŽole. Je les vois ˆ la vŽritŽ sous forme humaine, ayant des visages et des chevelures, mais avec quelque chose de plus svelte, de plus noble, de plus beau, de plus immatŽriel que les hommes. Je les vois entirement diaphanes, tout en eux est lumire, mais il y a des degrŽs diffŽrents. Je vois les humains arrivŽs ˆ la bŽatitude avec une lumire corporelle qui est plut™t blanche que resplendissante et je vois autour d'eux une sphre de splendeur, une gloire, une aurŽole diversement colorŽe dont la couleur se rapporte au mode de leur purification. Je ne vois pas les anges remuer les pieds, les saints non plus, si ce n'est dans les tableaux historiques de la vie qu'ils ont menŽe sur la terre, comme hommes ou parmi les hommes. Je ne vois jamais ces apparitions dans leur Žtat parfait se parler entre elles par l'organe de la bouche, quoique je voie qu'ils se tournent les uns vers les autres, passent les uns dans les autres, s'informent mutuellement. È

           Elle avait deux ossements de sainte Hildegarde, un petit et un plus grand, provenant de l'os de la hanche. Un jour elle parut surprise comme si quelqu'un s'approchait ˆ l'improviste et elle s'Žcria : Ç Qui est-ce que je vois en long vtement blanc. È Elle regarda alors l'armoire qui Žtait prs d'elle : Ç C'est Hildegarde. J'ai deux reliques d'elle : une grande qui ne vient pas ˆ moi, une autre plus petite qui vient assez souvent. La grande est moins lumineuse, elle provient d'une partie moins noble. Les ossements diffrent en dignitŽ. Ainsi, les vtements que sainte Madeleine portait avant sa conversion brillent moins que les autres. De mme les membres qu'un saint a perdus avant sa renaissance sont des reliques, de mme que toute l'humanitŽ, mme avant JŽsus-Christ, a ŽtŽ rachetŽe par lui. Les saints ossements des ‰mes pures, chastes, fortes, sont toujours plus solides et plus durs que ceux des personnes qui ont ŽtŽ agitŽes par les passions : c'est pourquoi les ossements des vieux temps o rŽgnait la simplicitŽ sont plus forts et plus attrayants que ceux des temps postŽrieurs.

           Le Plerin lui apporta une petite bo”te contenant une cinquantaine de fragments de reliques mlŽs ensemble. Elle Žtait parfaitement ŽveillŽe. Il lui dit qu'il serait bon d'en faire le triage. A peine les eut-elle considŽrŽs une minute qu'elle put se mettre ˆ l'oeuvre. EveillŽe comme elle l'Žtait, et sans interrompre la conversation, elle mit ensemble les petites parcelles qui appartenaient ˆ un mme corps; bien plus, elle dŽsignait en mme temps les divers membres desquels elles provenaient. Elle dit encore: Ç En voici qui ont ŽtŽ dans le feu, je vois qu'on les retire de la cendre. Celles-ci ont ŽtŽ dans l'Žglise de la ville, je vois qu'on les nettoie et qu'on les pare. Celles qui sont lˆ-bas brillent davantage, celles-ci moins et il y en a une qui rŽpand une lumire rouge dorŽ d'une beautŽ particulire. È A ces mots elle tomba en contemplation, mais bient™t elle revint ˆ l'Žtat de veille et dit : Ç Je vois un vieillard paralytique couchŽ en plein air sur un petit lit; un Žvque dont la crosse repose sur son bras, se penche sur lui et met la tte sur son Žpaule. Il y a lˆ des gens qui portent des flambeaux. È Elle dŽsigna l'ossement dont la lumire Žtait d'un rouge dorŽ comme ayant une relation avec cette scne et lui donna le nom de Servulus ; elle nomma aussi saint Quirinus comme ayant un ossement parmi ces reliques.

 

           Le Plerin lui ayant prŽsentŽ un petit paquet de reliques, appartenant ˆ la maison de Dulmen, lequel contenait environ huit morceaux d'une Žtoffe ancienne, elle les sŽpara du reste et dit : Ç Ceci a ŽtŽ portŽ par un saint : ceci est la rognure d'une Žtole, ou d'un ornement sacerdotal, ceci a touchŽ ˆ une chose sainte. È Et comme on lui demandait ˆ quoi elle reconnaissait cela, elle dit que, depuis que le petit paquet Žtait dans sa chambre, elle avait vu prs d'elle quatre saints vtus de ces Žtoffes qu'elle avait vu aussi couper et taire toucher, et qu'elle les voyait encore au moment o elle faisait le triage. Il lui demanda ensuite si elle ne voyait pas sainte Thcle dont elle avait une relique prs d'elle. Elle rŽpondit : Ç Oui, je la vois, tant™t ici, tant™t lˆ, dans une vision o elle m'appara”t faisant le guet prs d'une prison o saint Paul est renfermŽ. Je la vois se glisser tant™t la long d'un mur, tant™t sous une arcade comme une personne qui cherche quelque chose d'un air inquiet. È

           Le Plerin lui ayant donnŽ, outre ces petits morceaux d'Žtoffe, un petit Žclat de bois enveloppŽ dans une Žtoffe bleue, elle dit aussit™t : Ç Ceci est du bois dont la croix Žtait faite et que Marie avait dans sa maison prs d'Ephse : c'est du bois de cdre. Le petit morceau de soie vient d'un manteau qui recouvrait autrefois une image de Marie, il est trs-ancien. È

 

           Le 6 novembre 1821, elle trouva parmi ses reliques un petit morceau de bois qu'elle remit au Plerin en lui disant: Ç Il a ŽtŽ rapportŽ, il y a longtemps, de la Terre-Sainte par un ermite. J'ai vu qu'il vient d'un arbre qui avait ŽtŽ dans le jardin d'un EssŽnien. JŽsus a ŽtŽ portŽ au-dessus de cet arbre par le tentateur ˆ la fin de son jeune de quarante jours. È Puis elle tendit un petit paquet au Plerin et lui dit : Ç Voici de la terre du mont Sina•. Je vois en outre la montagne. È Elle prit ensuite un ossement et dit : Ç Il vient d'un saint du mois de juillet. Son nom commence par un E. Je l'ai vu en prison avec deux autres que la faim rŽduisait ˆ sucer des os de morts. Comme on le conduisait au martyre, il parla de Dieu en termes admirables qui le firent prendre pour un fou et on voulait le mettre en libertŽ. Mais un soldat dit : Ç Voyons s'il pourra faire venir son Dieu du ciel, car il est aussi bon ˆ supplicier que les autres. È Le soldat fut frappŽ de la foudre. Je vis ce saint cŽlŽbrer encore l'office divin dans une Žglise, puis souffrir le martyre. È

 

Histoire dune croix contenant des reliques.

 

Le 8 novembre 1819, le Plerin apporta dans sa poche une ancienne croix contenant des reliques qu'Anne Catherine n'avait jamais vue. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle s'Žcria : Ç Voilˆ toute une procession qui vient ! È et elle Žtendit la main vert la Croix qui se trouvait encore dans la poche du Plerin. Elle la prit et l'ayant ouverte, elle dit : Ç Ils sont tous lˆ ! et parmi eux un vieillard sincre et droit comme l'ermite suisse. È Le Plerin lui laissa la croix et voici ce qu'elle lui raconta le jour suivant. Ç Lorsque cette croix fut prs de moi, je vis dans l'ordre o sont placŽes leurs reliques, les saints appara”tre en l'air, rangŽs en forme de croix et, au-dessous d'eux, une contrŽe sauvage couverte de bois, un massif de broussailles trs-Žpais et des personnes prs desquelles Žtait un homme semblable au vieil ermite suisse. J'eus ensuite une vision touchant la croix. Je vis au fond d'une vallŽe boisŽe, dans une contrŽe montagneuse peu ŽloignŽe de la mer, un ermitage o six recluses vivaient, en commun. Je vis toute leur manire de vivre. Elles Žtaient toutes d'‰ge ˆ pouvoir encore s'aider. Elles vivaient dans la retraite et le silence et dans une extrme pauvretŽ; elles n'avaient jamais de provisions et recevaient quelques aum™nes. Elles avaient une supŽrieure et rŽcitaient les heures canoniales. Elles portaient une robe brune d'Žtoffe grossire avec un capuchon-: Je les vis aller et venir dans les jardinets qui Žtaient en avant des cellules dont chacune avait une porte particulire pour y entrer. Ces jardins Žtaient trs-bien arrangŽs, mais petits. Il s'y trouvait des arbres chargŽs d'oranges. Elles cultivaient tout cela elles-mmes. Je les vis aussi occupŽes ˆ un travail qui m'Žtait inconnu. Elles avaient une machine ressemblant ˆ un mŽtier de tisserand o Žtaient tendus des cordons dont elles tissaient des tapis de diverses couleurs, grossiers, mais pourtant trs-soignŽs. Je les vis aussi faire de jolis ouvrages en belle paille blanche qu'elles tressaient. Elles couchaient par terre; leurs lits se composaient d'une planche, d'un mŽchant traversin et d'une paire de couvertures. Leur cuisine se rŽduisait ˆ peu de chose. Elles mangeaient ensemble sur une table Žpaisse dans laquelle Žtaient creusŽs des trous qui leur servaient d'assiettes. A droite et ˆ gauche de cette table retombaient des planches mobiles qu'on relevait et on recouvrait ainsi les cavitŽs servant d'assiettes. Je vis ces femmes manger ensemble un hachis d'herbes de couleur brune. Leur chapelle se distinguait Žgalement par la plus grande simplicitŽ. Ce qui s'y trouvait d'ŽlŽgant Žtait en paille tressŽe. Je me disais alors : Ç Il y a lˆ des prires d'or et des ornements de paille, mais aujourd'hui la prire est de paille et les ornements sont dorŽs. È L'autel de pierre Žtait recouvert d'une belle natte de paille qui Žtait dentelŽe ˆ droite et ˆ gauche et qui retombait. Il y avait au milieu un petit tabernacle et sur celui-ci la croix que possde le Plerin. A droite et ˆ gauche, Žtaient deux chandeliers de bois et deux vases de bois avec des bouquets de fleurs en forme d'ostensoir trs-symŽtriquement arrangŽs. La maison conventuelle Žtait un b‰timent de pierre carrŽ avec un toit en charpente. Les chambres Žtaient sŽparŽes par un clayonnage de copeaux de bois trs-minces, larges comme la main. Ces cloisons Žtaient de diffŽrentes hauteurs : dans la chapelle elles s'Žlevaient plus qu'ˆ hauteur d'homme, sans pourtant atteindre le toit de la maison; entre les cellules elles Žtaient plus basses. Les recluses pouvaient voir par-dessus. Elles Žtaient soutenues par des b‰tons fixŽs dans les murs. L'entrŽe du c™tŽ de la mer conduisait dans la cuisine, ensuite venait le rŽfectoire avec la singulire table o l'on mangeait ; derrire le rŽfectoire Žtait la chapelle. A droite et ˆ gauche, de chaque c™tŽ, Žtaient trois cellules et devant celles-ci les petits jardins. Les portes qui conduisaient des cellules ˆ ces jardins Žtaient en forme d'arcades, basses et Žtroite, et les fentres Žtaient au-dessus de ces portes, de sorte qu'on ne pouvait pas regarder dehors. Au-devant se trouvaient des nattes de paille qu'on pouvait relever sur des perches pour s'abriter. Les siges en paille tressŽe Žtaient sans dossier, il y avait seulement une poignŽe en bois. Le sol de la chapelle Žtait couvert d'un tapis grossier et bariolŽ comme elles savaient les faire. Elles n'avaient pas la messe tous les dimanches : un ermite venait de temps en temps la leur dire et leur donner la sainte communion : elles avaient du reste le Saint-Sacrement dans leur petite Žglise. È

           Ç Je les vis le soir, pendant qu'elles faisaient la prire dans leur chapelle, assaillies par des pirates. Ils portaient une ŽpŽe courte, large par le bas, Žtaient coiffŽs d'un bourrelet et parlaient une langue Žtrangre. Ils enlevaient toute sorte de personnes pour en faire des esclaves. Ils Žtaient brutaux et farouches, presque comme des btes fauves. Leur vaisseau Žtait grand et resta ˆ quelque distance du bord; ils vinrent ˆ terre dans un canot. Ils dŽvastrent l'ermitage et emmenrent les recluses avec eux, cependant je ne les vis rien faire de contraire ˆ la dŽcence. Une des vierges, encore jeune et robuste, prit sur l'autel la croix garnie de reliques pour s'en faire une protection et implora avec ferveur le secours de Dieu. Avant d'arriver ˆ la mer, les pirates se querellrent ˆ propos de leur butin; pendant ce temps la jeune fille se tra”na dans le fourrŽ sur les pieds et sur les mains et promit ˆ Dieu de se consacrer ˆ son service dans la solitude, s'il daignait la dŽlivrer. Les pirates la cherchrent longtemps sans succs et, au point du jour, elle les vit se rembarquer. Alors elle remercia Dieu, agenouillŽe devant la croix. La solitude o elle se retira Žtait couverte d'une Žpaisse vŽgŽtation, loin de tout chemin frayŽ, et situŽe au fond d'une gorge entre des montagnes couvertes de neige. Personne n'y venait, pas mme les chasseurs. Elle chercha longtemps un lieu convenable qu'elle trouva enfin trs-avant dans la fort. C'Žtait une petite clairire entourŽe d'arbres et de buissons d'Žpines et assez spacieuse pour qu'une maisonnette y trouv‰t place: Au-dessus s'Žlevaient des arbres qui la cachaient presque entirement et dont les racines traversaient la partie unie du sol. Elle rŽsolut de servir Dieu en cet endroit, sŽparŽe des hommes, dŽnuŽe de toute assistance humaine et de tous secours spirituels. Elle avait seulement la croix qu'elle plaa sur un autel construit par elle avec des pierres et derrire lequel elle disposa une place o elle pžt prendre son repos. Elle n'avait pas de feu : le feu brillait dans son coeur. Elle passa environ trente ans sans voir un morceau de pain. È

           Ç Je vis dans ce pays, tout au haut des montagnes, des animaux semblables ˆ des chvres sauter au milieu des rochers: je vis aussi autour de la demeure de la recluse des livres blancs et des oiseaux blancs de la grosseur d'un poulet. Je vis, arriver dans le voisinage un chasseur avec des chiens. Il Žtait au service d'un seigneur qui avait un ch‰teau situŽ sur le penchant d'une montagne, ˆ quelques lieues de lˆ. Je vis plus tard ce ch‰teau dŽtruit; il n'en reste plus qu'un fragment de tour couvert de vŽgŽtation. Le chasseur avait une tunique grise fermŽe, et autour du corps une ceinture brodŽe large comme la main, un petit chapeau rond, un Žpieu et sous le bras une arbalte. Les chiens se prŽcipitrent dans le fourrŽ en aboyant, le chasseur s'approcha et vit briller quelque chose : c'Žtait cette croix. Ayant pŽnŽtrŽ jusqu'ˆ elle, il se mit ˆ appeler. La solitaire s'Žtait cachŽe et ne voulait d'abord donner aucun signe de sa prŽsence. Cependant elle finit par lui dire de ne pas s'effrayer de ce qu'elle n'avait plus l'apparence d'un tre humain; alors il la regarda et moi aussi. Je la vis entourŽe d'une lumire Žclatante. Elle Žtait grande, avait une ceinture autour du corps; de longs cheveux gris pendaient sur sa poitrine et sur ses Žpaules. Ses pieds Žtaient durcis, ses bras tout brunis, elle marchait courbŽe par les annŽes. Avec cet extŽrieur Žtrange, elle avait en elle quelque chose de trs-noble et de trs-imposant. Au commencement, elle ne voulait pas dire qui elle Žtait, mais ayant reconnu dans le chasseur un homme pieux, elle lui dit :  Ç Je vois que tu es un serviteur de Dieu, È et lui raconta comment elle Žtait venue lˆ. Elle refusa de s'en aller avec lui, elle voulut rester et le pria de revenir dans un an avec un prtre qui lui porterait le saint Sacrement. Au bout de l'annŽe, je vis le chasseur revenir avec un ermite qui Žtait prtre et je la vis recevoir la sainte communion. Elle demanda alors ˆ rester seule quelque temps et quand ils revinrent vers elle, elle Žtait morte. Ils voulurent emporter le corps, mais ne purent pas en venir ˆ bout. Il n'y eut pas moyen de le remuer. Ils l'enterrrent lˆ, et le chasseur prit la croix comme souvenir. Plus tard, on Žleva sur son tombeau une chapelle en lÕhonneur d'une sainte qu'elle honorait particulirement et qu'elle avait nommŽe. Des portes conduisaient dans la chapelle de tous les c™tŽs. È

Ç Cette vierge avait vŽcu tout en Dieu, dans une extrme pauvretŽ. Avant l'invasion des pirates, elle avait eu en songe une vision d'aprs laquelle elle devait tre tra”nŽe de force dans l'eau. Dans cette vision, elle avait fait voeu ˆ Notre- Dame-des-Ermites de ježner dans la solitude, si elle Žtait sauvŽe de ce danger. Elle se trouva alors dans un canal ou une rigole et s'y tra”na longtemps jusqu'ˆ ce qu'elle arriv‰t dans la solitude o elle vŽcut rŽellement plus tard. Il lui fut dit qu'elle devait rester lˆ. Lorsqu'elle demanda de quoi elle vivrait, elle reut pour rŽponse qu'il tomberait des arbres beaucoup de figues et de ch‰taignes qui, recueillies par elle, deviendraient des pierres prŽcieuses signifiant les fruits de sa pŽnitence et de sa mortification. Je vis aussi ce songe prophŽtique lorsqu'elle le raconta au chasseur. Elle Žtait originaire de la Suisse. Lorsque le chasseur la trouva dans le dŽsert, elle y Žtait depuis trente ans. Elle lui dit qu'elle Žtait nŽe en Suisse, qu'il n'avait qu'ˆ prendre des informations pour s'en assurer. Elle lui nomma l'endroit et lui dit qu'elle avait toujours eu une grande confiance en Notre-Dame-des-Ermites. Ds sa jeunesse, elle n'avait cessŽ d'entendre une voix lui disant qu'elle devait quitter sa patrie et servir Dieu dans la solitude Elle n'en avait jamais tenu compte : mais, un jour, il arriva qu'un jeune homme vint ˆ elle et lui dit : Ç Quoi ! tu es encore ici ? Tu n'es pas encore partie? È Puis il l'avait emmenŽe. Elle avait cru faire un rve, mais, ˆ son rŽveil, elle s'Žtait trouvŽe loin de chez elle dans un autre pays, et Žtait entrŽe dans le couvent des recluses, o elle avait ŽtŽ bien accueillie.È

           Ç Le chasseur eut longtemps de la dŽvotion envers la croix : il finit pourtant par la donner, sans motifs sŽrieux, ˆ un bourgeois de la petite ville situŽe contre la montagne : celui-ci y attachait beaucoup de prix et priait toujours devant elle; aussi fut-il prŽservŽ ainsi que sa maison lors d'une grande tempte qui dŽvasta toute la ville. Aprs sa mort, elle alla a ses hŽritiers et passa de main en main. En dernier lieu, elle Žtait Žchue ˆ un paysan qui la vendit avec d'autres objets mobiliers et qui, aprs cela, perdit sa maison et son bien. Je vis alors la prŽcieuse croix mise au rebut et ŽgarŽe au milieu d'objets de toute espce chez des gens qui n'avaient pas la crainte de Dieu. C'est ˆ ceux-ci que l'acheta un Žtranger qui n'avait plus aucun principe fixe. Il ne l'acheta pas par piŽtŽ, mais par pure curiositŽ : il ne connaissait pas le trŽsor qu'il possŽdait et pourtant cette croix lui fut trs-utile. È

           A ce propos le Plerin fait la remarque suivante : Ç Ce dernier incident se rapporte au Plerin lui-mme qui a achetŽ la croix ˆ Landshut, chez un fripier, alors qu'il vivait dans un dŽplorable aveuglement. La malade n'en pouvait rien savoir et par consŽquent toute l'histoire de la croix peut tre considŽrŽe comme aussi vŽritable que cette dernire circonstance. È Puis, frappŽ de cette connaissance si exacte des choses, il dit ˆ Anne Catherine : Ç Comme toutes choses, mme les moindres, sont merveilleusement conservŽes dans les trŽsors de Dieu ! Donc rien n'est perdu, rien n'est anŽanti, rien n'arrive en vain ! Tout est Žternel dans la science de Dieu ! -Maintenant je sens pourquoi Dieu doit punir toute parole oiseuse. Je suis contristŽ en pensant ˆ tout le mal que j'ai fait et je voudrais savoir si ce mal aussi subsiste Žternellement. Les pŽchŽs d'un homme sont-ils encore visibles quand il s'en est repenti et en a fait pŽnitence? È Elle rŽpondit: Ç Non, JŽsus-Christ a satisfait pour eux, ils n'existent plus. Je ne puis pas les voir ˆ moins qu'ils ne soient destinŽs ˆ servir d'exemple comme le pŽchŽ de David. Quant aux pŽchŽs qui n'ont pas ŽtŽ expiŽs, ceux que l'homme porte partout avec lui et tient renfermŽs en lui, je les vois toujours. Ceux dont on a fait pŽnitence sont comme la trace d'un pied dans le sable qu'efface le pas suivant, celui du repentir. La confession du pŽchŽ, accompagnŽe de repentir fait dispara”tre le pŽchŽ. È

 

Un enfant martyr de Sachsenhausen.

 

Le Plerin lui prŽsenta une relique que dŽjˆ auparavant elle avait dit tre celle d'un ermite. Elle la garda prs d'elle et raconta quelques jours plus tard une vision que cette relique lui avait occasionnŽe touchant un enfant apparentŽ au vieil ermite et qui avait ŽtŽ martyrisŽ par les Juifs. Ç Un enfant d'environ quatre ans m'est apparu avec lÕaurŽole rouge des martyrs. Il y avait dans toute sa personne quelque chose d'extraordinairement aimable. Ses paroles Žtaient trs-concises, mais pleines d'un sens profond. Je fis avec lui une longue route et j'Žprouvais une singulire impression en voyant ce petit garon si brillant de lumire, si grave et si sage. Nous travers‰mes une ville et j'eus promptement le sentiment intŽrieur de l'Žtat o elle se trouvait. Je sentis que les ‰mes pieuses y Žtaient en petit nombre. L'enfant me fit passer un pont et me montra la maison o il Žtait nŽ. C'Žtait une vieille maison bourgeoise de moyenne grandeur, restŽe telle qu'elle Žtait autrefois. Tout y Žtait tranquille, mais ˆ notre approche les possesseurs actuels pensrent au petit garon et un faible souvenir de son histoire se rŽveilla en eux. Je fus alors instruite que le souvenir soudain des morts est souvent l'effet de leur approche. Le petit garon me fit voir que, de mme qu'il existe toujours un rapport entre l'‰me et le corps, jusqu'ˆ leur rŽunion ˆ la rŽsurrection gŽnŽrale, de mme l'action d'une ‰me sainte ne cesse jamais de s'exercer sur tout ce qui lui tient par les liens du sang : un saint continue donc ˆ agir sur sa famille qui ne cesse pas d'tre assistŽe par lui dans la mesure o la foi et la crainte de Dieu l'en rendent capable. Il me dit aussi comment il avait exercŽ une influence salutaire sur ses proches et comment il avait atteint par le martyre mme la perfection ˆ laquelle il serait arrivŽ si sa vie n'avait pas ŽtŽ abrŽgŽe par la mŽchancetŽ des hommes. Il pouvait, du reste, par des voies toutes spirituelles, faire profiter les siens des fruits de l'action qu'il aurait exercŽe, s'il Žtait restŽ en vie et n'ežt pas ŽtŽ enlevŽ dans sa quatrime annŽe.. Quoique tout ce qui arrive de mal, ajoutait-il, n'arrive pas par la volontŽ de Dieu, mais seulement par sa permission, cependant l'accomplissement du bien interrompu dans l'un par le pŽchŽ de l'autre n'est pas supprimŽ, mais se produit autrement. Le crime dans ses suites essentielles atteint seulement son auteur; quant ˆ l'innocent qui en est victime, le martyre l'amne plus promptement ˆ sa perfection. Bien que le pŽchŽ contre autrui soit un acte contraire ˆ la volontŽ de Dieu, cependant cette volontŽ de Dieu n'est jamais empchŽe par lˆ d'atteindre son but final, parce que, tout ce que la victime aurait fait pendant sa vie, son ‰me l'accomplit d'une manire spirituelle et pourtant librement.È Je vis alors lÕhistoire de l'enfant martyrisŽ. Ses parents vivaient, il y a environ trois cents ans, ˆ Sachsenhausen, prs de Francfort; c'Žtaient des gens trs-pieux. Ils avaient un proche parent qui menait en Egypte la vie d'anachorte et auquel ils pensaient trs souvent avec beaucoup d'affection et de respect. Souvent ils disaient, en regardant leur enfant, qu'ils se trouveraient heureux si lui aussi en venait un jour ˆ mener une vie sainte, consacrŽe ˆ servir Dieu dans la solitude. Des parents qui forment un pareil voeu pour leur unique enfant, encore dans sa premire annŽe, ne peuvent tre que des gens d'une grande piŽtŽ. È

           Ç Ce dŽsir se renouvelait trs-frŽquemment chez eux. Lorsque l'enfant eut un an, l'un de ses parents mourut, l'autre se remaria et continua, dans sa nouvelle famille, ˆ parler de l'ermite et de la possibilitŽ que l'enfant march‰t sur ses traces. L'enfant en Žtait souvent entretenu, ˆ mesure qu'il grandissait. Cependant celui de ses parents qui survivait vint ˆ mourir en sorte qu'il n'eut plus de vrais pre et mre. Mais on continuait ˆ parler de l'ermite dans la famille et l'enfant, ‰gŽ alors de quatre ans, dŽsirait ardemment le voir. Il me dit aussi qu'il serait devenu trs bon, s'il Žtait restŽ en vie, que peut-tre il ežt ŽtŽ ermite, qu'il avait ŽtŽ un trs-bel enfant, mais pas ˆ beaucoup prs aussi beau que je le voyais maintenant. Les beaux parents qui voyaient en lui l'hŽritier de la maison se seraient volontiers dŽbarrassŽs de lui et ce dŽsir secret se rattacha dans leur esprit ˆ ce qui Žtait dit touchant l'ermite. L'enfant n'avait pas encore tout ˆ fait quatre ans lorsqu'ils le confirent ˆ des Juifs Žtrangers pour que ceux-ci le conduisissent en Egypte prs de son parent. Au fond ils voulaient se dŽfaire de lui et tout ce qui avait ŽtŽ dit n'Žtait qu'un moyen de colorer leur trahison envers l'enfant. Quoique tout cela ežt abouti ˆ conduire l'enfant au martyre, il ne cessait pourtant jamais de donner des marques de son affection ˆ sa famille et ˆ sa patrie. Il me montra une grande maison qui n'Žtait pas tout ˆ fait ˆ la nouvelle mode et dans laquelle on Žtait en fte : je crus que c'Žtaient des noces, mais l'enfant me dit que c'Žtait chose frŽquente en cet endroit. Je vis une quantitŽ de chambres ŽclairŽes avec des lustres et beaucoup de gens en grande toilette occupŽs ˆ danser et ˆ faire bonne chre... Ç Ils font cela, dit l'enfant, sur les ossements d'un anctre qui, par sa piŽtŽ, a posŽ le fondement de leur aisance. È Il me conduisit alors dans un caveau murŽ o se trouvait un squelette blanc, bien conservŽ et couchŽ dans un double cercueil. Le cercueil intŽrieur Žtait de plomb : celui de dessus me parut tre d'un bois de couleur foncŽe. Le jeune garon me dit que c'Žtait l'anctre de cette maison et qu'il Žtait de sa parentŽ : 'avait ŽtŽ un homme pieux ; il avait acquis de grandes richesses et pourtant il Žtait restŽ pieux. Lorsque l'Žglise dans laquelle il avait ŽtŽ enterrŽ fut dŽmolie, ses enfants avaient fait placer son corps dans le caveau que je voyais. Mais maintenant il Žtait compltement oubliŽ. Je parcourus toutes les pices de la maison. - Dans la ville, je vis encore une trs-grande quantitŽ d'ossements de saints et de bienheureux reposer sous des Žglises et des couvents dŽmolis, sur les ruines desquels des maisons avaient ŽtŽ b‰ties. Le petit garon me dit, entre autres choses, que cette ville devait un jour beaucoup dŽchoir, qu'elle Žtait maintenant arrivŽe au comble de l'orgueil. Je fis ensuite un grand voyage au delˆ de la mer dans un pays chaud et sablonneux. Le petit garon m'avait quittŽ. Je me trouvai de nouveau avec lui dans une ville en ruines o les maisons semblaient tomber les unes sur les autres et je vis dans un caveau, sous une colline, le lieu de son martyre et le martyr lui-mme.

Cet endroit Žtait comme une boucherie ou un abattoir. Aux parois Žtaient attachŽs des crochets de fer auxquels l'enfant avait ŽtŽ suspendu comme en croix et o on avait fait couler son sang peu ˆ peu. Sur le sol gisaient encore beaucoup d'ossements lumineux d'enfants martyrisŽs antŽrieurement : ces ossements brillaient comme des Žtincelles. Personne ne semblait conna”tre cet endroit. Le martyre de cet enfant ne fut pas non plus connu, ni puni selon les lois humaines. Il semblait qu'il n'y avait pas lˆ de chrŽtiens, si ce n'est quelques ermites qui venaient du dŽsert ˆ la ville. Aprs cela j'allai dans le dŽsert lui-mme et je vis le jeune martyr prs du tombeau de l'ermite, lequel Žtait enterrŽ ˆ l'endroit o il avait vŽcu. Il Žtait mort avant que le petit garon ežt ŽtŽ emmenŽ de Francfort. Ses ossements brillaient. Plusieurs autres Žtaient enterrŽs dans le dŽsert. Il y avait dans le sable blanc des fragments de couleur noire ressemblant ˆ des morceaux de poteries. On voyait lˆ des palmiers. L'enfant me quitta de nouveau et je fus conduite au delˆ de la mer dans un autre endroit. C'Žtait une colline voisine de la ville o sont les lieux consacrŽs par tant de martyres (Rome). Sur un c™tŽ de la colline, il y avait des maisons, et des vignes croissaient ˆ et lˆ. Au-dessous Žtait un grand caveau supportŽ par des colonnes ; l'entrŽe Žtait obstruŽe, personne n'en avait plus connaissance. Lorsque j'y entrai, l'enfant martyr se trouva de nouveau prs de moi. Je vis lˆ un riche trŽsor de saints ossements, tout le caveau brillait. Il y avait des corps entiers dans des cercueils placŽs contre les parois et des ossements sŽparŽs dans de petits cercueils trs-nombreux. Je dŽblayai, je travaillai de c™tŽ et d'autre et j'ouvris les cercueils. Je vis lˆ un corps dont le linceul Žtait bien conservŽ aux endroits o il touchait le corps, tandis que le reste Žtait tombŽ en poussire. J'en vis qui Žtaient compltement dessŽchŽs et blancs comme de la neige. Je vis aussi plusieurs scnes de la vie de ces saints qui Žtaient pour la plupart des premiers temps. Je vis lˆ des personnes qui avaient ŽtŽ martyrisŽes pour avoir portŽ des offrandes ˆ des prtres chrŽtiens. Je les vis marcher avec de petits oiseaux sous le bras et elles semblaient avoir ŽtŽ dŽnoncŽes par des parents pa•ens. J'en vis aussi beaucoup qui avaient embrassŽ la vie religieuse en faisant voeu de chastetŽ, et des Žpoux qui, par amour pour JŽsus, avaient vŽcu dans la continence. Je me dirigeai ˆ travers toutes ces reliques vers un coffre carrŽ, peu profond et ˆ parois minces. Je me sentais attirŽe vers lui : je croyais qu'il m'appartenait, car lˆ Žtaient tous mes saints, ceux dont je possde ici des ossements. Je voulais l'emporter, mais le petit garon me dit que cela ne se pouvait pas, qu'il devait rester o il Žtait. Les reliques qui s'y trouvaient Žtaient toutes trs-ŽlŽgamment disposŽes sur de petits coussins. Ne pouvant le prendre avec moi, je le couvris d'un voile bleu. Le petit garon me dit que ces ossements avaient ŽtŽ cachŽs lˆ dans les premiers sicles, qu'ils devaient y rester, mais qu'ils repara”traient au jour. È

 

Reconnaissance des reliques des Žglises de Munster envoyŽes par Overberg.

 

Overberg, ˆ diverses reprises, avait envoyŽ ˆ Dulmen des petits paquets de reliques, tant™t ench‰ssŽes et dŽsignŽes par leurs noms, tant™t sans dŽsignation et dŽpouillŽes de leur enveloppe. Anne Catherine eut d'abord ˆ ce sujet une vision gŽnŽrale; ce ne fut que plus tard qu'elle distingua les ossements en dŽtail suivant les indications de son guide angŽlique : et ˆ l'occasion des ftes de l'Eglise qui s'y rapportaient.

           Ç Lorsque je reus les reliques d'Overberg, dit-elle, j'eus une vision qui me montra comment ces saints objets avaient ŽtŽ portŽs trs-solennellement de Rome ˆ Munster, la plupart du temps par les premiers Žvques, et avec quel respect ils avaient ŽtŽ accueillis et distribuŽs. Je vis de pieuses femmes se rassembler pour les envelopper et les parer : il fallait, pour tre admises ˆ remplir cet office, qu'elles vŽcussent trs-purement et trs-saintement. Il y avait prŽs d'elles des prtres qui divisaient les reliques. Elles furent collŽes, entourŽes de broderies et de fleurs et disposŽes en pyramides. La premire fois qu'elles furent exposŽes ˆ la vŽnŽration publique, il y eut une grande fte ˆ cette occasion et toute la ville fut dans la joie. Je vis que beaucoup d'ossements sacrŽs furent placŽs dans les autels de l'Žglise d'Uberwasser. Je vis plus tard, dans le chapitre de la cathŽdrale, quelques pieux chanoines, lorsqu'ils entendaient parler d'un saint ou d'un bienheureux, faire tous leurs efforts pour avoir une relique de lui, et l'honorer ensuite comme quelque chose de trs-prŽcieux. Mais je vis que, lors des travaux ultŽrieurs qu'on fit ˆ l'Žglise et aux autels, des reliques de diverses Žpoques furent entassŽes les unes sur les autres. On trouva aussi plusieurs corps saints dont des membres furent mis parmi d'autres reliques. C'est ainsi qu'on dŽcouvrit le corps d'une vierge dont j'ai un petit ossement. Je vis les grandes bŽnŽdictions qui Žtaient venues par les reliques se retirer ˆ proportion du mŽpris qu'on en fit. Je vis que ce ne fut pas sans un dessein d'en haut que les reliques arrivrent entre les mains d'Overberg qui, sans les conna”tre, les plaa pourtant convenablement. È- Ç Combien sont merveilleuses les voies de Dieu, ajoute ici le Plerin. Il fallait que ces reliques fussent dispersŽes pour tre mises plus tard sous des yeux si clairvoyants, si miraculeusement prŽparŽs ˆ les vŽnŽrer. È

Avant pris un jour dans ses bras la cassette o elle conservait ces reliques et qu'elle appelait son Žglise, l'ap™tre saint Thomas lui apparut et elle eut une vision Žtendue touchant ses voyages et ses travaux apostoliques dans l'Inde. Ç Il allait, dit-elle, d'un roi ˆ l'autre et il opŽra beaucoup de miracles : il fit plusieurs prophŽties avant sa mort. Je vis notamment comment il Žrigea une pierre loin de la mer, la marqua et dit que, quand la mer arriverait jusque-lˆ, un autre viendrait propager dans le pays la doctrine de JŽsus. Je vis qu'il dŽsignait par lˆ saint Franois-Xavier. Je le vis percŽ de coups de lance, puis mis au tombeau et je vis aussi son corps exhumŽ et honorŽ. Je crois que, parmi ces reliques, il y a aussi des ossements de saint Matthias et de saint Barsabas, car j'ai eu une courte vision de l'Žlection qui appela l'un d'eux ˆ l'apostolat. Matthias, quoique plus dŽlicat et plus faible, avait plus de force dՉme et c'est pour cela qu'il fut prŽfŽrŽ par Dieu ˆ Barsabas qui Žtait jeune et robuste: Je vis beaucoup de choses concernant celui-ci. Je vis aussi une vision touchant SimŽon, un parent de JŽsus qui fut Žvque de JŽrusalem aprs saint Jacques et qui y souffrit le martyre, Žtant ‰gŽ de plus de cent ans.

 

           Il doit aussi y avoir de ses ossements parmi ces reliques. È Le jour suivant la relique de saint Thomas lui fut montrŽe en vision. Elle la dŽsigna et l'enveloppa dans du papier. Ç J'eus ˆ cette occasion, dit-elle, une nouvelle vision sur les voyages de cet ap™tre, je les voyais comme sur une carte de gŽographie. Les ossements des saints Simon et Jude ThaddŽe me furent aussi montrŽs. Je vis en outre toute la famille de sainte Anne, et comme quoi sainte Anne eut trois maris. Joachim mourut avant la naissance du Christ ; aprs lui Anne eut deux autres maris dont elle eut deux filles. Ces mariages m'Žtonnrent beaucoup, mais il me fut dit pourquoi elle devait agir ainsi. Je pensai alors ˆ Anne la prophŽtesse et je vis celle-ci, ainsi que tous les logements des veuves et des vierges dans le temple. Simon et Jude ThaddŽe sont frres. La premire fille de sainte Anne fut Marie, femme d'AlphŽe. Celle-ci, lors de la naissance de la trs-sainte Vierge, avait dŽjˆ une fille assez grande, Marie, femme de ClŽophas dont elle eut quatre enfants, Jacques le Mineur, Simon, Jude ThaddŽe et JosŽ Barsabas. J'ai des ossements des trois derniers. Auprs de la relique de Jude ThaddŽe comme auprs de celles de ses frres, j'ai senti qu'il est uni ˆ JŽsus par les liens du sang. J'ai eu aussi une vision sur le voyage qu'il fit ˆ Edesse pour voir Abgare. Il tenait ˆ la main un Žcrit que Thomas lui avait donnŽ. Lorsqu'il entra, je vis ˆ c™tŽ de lui appara”tre le Sauveur brillant de lumire. Le roi malade s'inclina devant l'apparition et ne regarda pas l'ap™tre. Celui-ci lui imposa la main et le guŽrit. Ensuite il prcha dans cette ville et convertit tout le peuple. È

           Ç J'ai eu de nouveau des visions concernant divers saints. Je vis le martyre d'un saint Evodius qui souffrit en Sicile avec son frre Hermogne et une soeur. Je vis aussi beaucoup de choses concernant une sainte religieuse habillŽe de blanc, Catherine de Parcum, Cistercienne. Je la vis, nŽe dans le juda•sme, lire sur des cornets de papier toute sorte de choses concernant JŽsus et en tre fort touchŽe. Je vis que des enfants chrŽtiens lui parlaient de l'enfant JŽsus, de Marie et de la crche, qu'elle fut conduite par eux ˆ la crche et que cela tourna encore davantage son coeur vers JŽsus. Je vis qu'on l'instruisit en secret et qu'ˆ la suite d'une apparition de Marie, elle se rŽfugia dans un couvent. Je vis encore beaucoup de choses touchantes sur elle, notamment. son dŽsir d'tre- mŽprisŽe. È L'ossement de cette sainte Žtait solidement cousu dans du velours noir : lorsqu'Anne Catherine, Žtant ˆ l'Žtat contemplatif, voulut le dŽsigner par son nom et l'envelopper dans du papier, il lui fut dit intŽrieurement qu'il se trouvait lˆ encore un petit morceau d'Žtoffe ayant touchŽ ˆ la crche du Sauveur, quelques Žclats de bois de cette mme crche et une Žtiquette o cela Žtait marquŽ. -C'Žtait la relique que cette sainte religieuse avait particulirement honorŽe. Jeune fille juive, elle avait ŽtŽ poussŽe ˆ se faire chrŽtienne par une image de la crche ; elle avait vu en vision le Sauveur couchŽ dans la crche et souvent elle avait eu le bonheur de tenir l'enfant JŽsus dans ses bras. Anne Catherine raconta cela au Plerin qui ouvrit l'enveloppe fortement cousue de la relique, et trouva dans un morceau d'Žtoffe provenant d'un voile brun les petits Žclats de bois avec l'inscription : de proesepio Christi. Il en fut agrŽablement surpris, et, trouvant la malade retombŽe en extase, il lui prŽsenta dans un petit papier les parcelles de la crche. Elle les prit en souriant et dit : Ç Ceci vient de la crche du Seigneur, la religieuse l'a vŽnŽrŽ. È Saisi d'Žmotion, il voulut lui baiser la main, mais elle la retira et dit: Ç Baise l'ossement de sainte Claire, o il n'y a plus rien de terrestre, ceci est encore mŽlangŽ de terre. È Le Plerin se sentit encore plus Žmu par ces paroles imprŽvues, car il portait dans sa poche une relique qu'il ne voulait montrer que plus tard ˆ la malade. Il l'en retira alors et la lui donna. Elle la baisa et dit : Ç Sainte Claire est prs de moi. È Elle dit plus tard, revenue ˆ elle : Ç J'ai eu une petite vision touchant sainte Claire; la guerre Žtait partout autour de son couvent. Quoiqu'elle fžt trs-malade, elle se fit porter ˆ la porte du couvent; elle y fit porter aussi le saint Sacrement qui Žtait dans un ciboire d'argent recouvert d'ivoire. Elle s'agenouilla lˆ avec toutes les religieuses, invoqua le secours de Dieu et entendit une voix intŽrieure qui lui dit de se rassurer. Je vis alors les ennemis s'Žloigner de la ville. È

           Un jour le Plerin porta prs d'elle, sans qu'elle en sut rien, une relique tirŽe de la cassette et, comme il approchait de son lit, elle s'Žcria pleine de joie: Ç Sainte Afre, nous avons donc sainte Afre ! Je la vois attachŽe ˆ un poteau par les mains et les pieds. Oh ! comme les flammes l'enveloppent ! Elle tourne la tte ˆ droite pour regarder. È

Et en disant ces mots, elle saisit la relique, la vŽnŽra, et la baisa comme Žtant un ossement de sainte Afre.

Le mme jour, au commencement de la soirŽe, le Plerin ayant ouvert un petit paquet o Žtaient inscrits ces mots : Ç Du vtement d'un saint, È il s'y trouva aussi un ossement et une petite inscription. Il ne pouvait pas s'imaginer, vu l'obscuritŽ et la petitesse des objets, qu'Anne Catherine ežt remarquŽ l'ouverture du paquet; mais elle lui cria tout ˆ coup : Ç Ne perdez pas l'inscription ! elle dit vrai ! elle luit ! È Le Plerin lui prŽsenta alors le fragment d'ossement et elle tomba subitement en contemplation. Revenue ˆ elle, elle dit : Ç J'ai voyagŽ bien loin, j'ai ŽtŽ ˆ Bethanie, ˆ JŽrusalem et en France. C'est un ossement de sainte Marthe, l'habit est de sainte Madeleine, il est bleu avec des fleurs jaunes et mlŽ de vert. C'est un reste du temps de ses vanitŽs mondaines. Elle le portait encore sous un manteau de deuil lors de la rŽsurrection de Lazare ˆ BŽthanie. Tous ces habits restrent dans la maison de Lazare, lorsque ses soeurs et lui partirent pour la France. De pieux amis en ont pris quelque chose comme souvenir. Des gens qui Žtaient allŽs en plerinage ˆ leur tombeau en France ont enveloppŽ dedans la relique, et ils croyaient que l'un et l'autre Žtaient de Madeleine, mais le morceau de vtement seul vient d'elle, l'ossement est de Marthe. È Lorsque le Plerin examina l'inscription, il y lut en effet : sancta Maria Magdalena.

Elle reconnut parmi les reliques envoyŽes par Overberg lÕossement du pape Sixte, huitime successeur de saint Pierre et un autre de son troisime successeur. Elle se rŽjouissait d'avoir pu dŽsigner les chiffres; mais, dŽs le jour avant, elle raconta : Ç Lorsque j'ai revu les saints auxquels appartiennent les ossements, il mÕa ŽtŽ dit: Ç Ce n'est pas le troisime, mais le treizime pape aprs saint Pierre; son nom signifie Sauveur.È - Ç On ne saurait trop admirer, ajoute le Plerin dans ses notes, combien la direction ˆ laquelle elle obŽit est conforme ˆ la vŽritŽ. Le treizime pape aprs saint Pierre s'appelait Soter, mot grec qui veut dire Sauveur. È

           Le confesseur lui prŽsenta un petit paquet sur lequel on lisait : Ç Saint ClŽment, È et lui demanda si elle reconnaissait la relique comme Žtant de ce pape. Elle la prit prs d'elle et, le jour suivant, elle dŽclara qu'elle n'Žtait pas de saint ClŽment, mais de sainte Marcelle, veuve. Le confesseur ne se tenant pas pour satisfait et demandant des explications plus prŽcises, elle garda la relique et dit au bout de quelques jours : Ç J'ai vu de nouveau la vie de sainte Marcelle. Je la vis, Žtant veuve, vivre trs-retirŽe dans une grande maison ˆ la mode romaine comme Žtait celle de sainte CŽcile. Il y avait des cours et des jardins avec une fontaine jaillissante. Je vis souvent saint JŽr™me chez elle, ils ouvraient ensemble des rouleaux d'Žcritures. Je la vis donner tout ce qu'elle avait aux pauvres et aux prisonniers; je la vis sortir la nuit et visiter les prisons dont les portes s'ouvraient devant elle. Je vis aussi qu'aprs une lecture de la vie de saint Antoine, elle prit le voile avec un vtement tout ˆ fait monastique et amena plusieurs vierges ˆ faire comme elle. Je vis que des Žtrangers vinrent ˆ Rome qu'ils pillrent, entrrent dans la maison de Marcelle et voulurent lui extorquer de l'argent ˆ force de coups, quoiqu'elle ežt donnŽ aux pauvres tout ce qu'elle possŽdait. C'est tout ce que je me rappelle. Lorsque je vis cette sainte pour la premire fois, elle me consola ˆ propos de mes visions tirŽes de l'Ecriture Sainte, et me dit pour mon confesseur quelque chose que j'ai tout ˆ fait oubliŽ. È

           Elle reconnut une relique comme Žtant du pape saint Marcel et raconta ce qui suit : Ç J'ai eu une vision touchant ce saint : j'ai vu comment, en compagnie de plusieurs autres, il recherchait les corps des saints dispersŽs ˆ et lˆ, leur donnait une sŽpulture plus dŽcente et y inscrivait leurs noms. Je l'ai vu souvent la nuit aller de c™tŽ et d'autre avec beaucoup d'ossements sous son manteau. Il porta aussi beaucoup de corps saints dans les catacombes et plaa auprs des rouleaux d'Žcritures avec des indications ; il y lˆ notamment des rŽcits de martyres. Je crois que dans le grand souterrain o j'ai vu tant de rouleaux d'Žcritures conservŽs, il se trouve beaucoup de choses qu'il y a portŽes. J'ai vu de nouveau, ˆ cette occasion, que nous avons des reliques trs prŽcieuses, car il y en a beaucoup qui proviennent de corps qu'il avait accompagnŽs d'indications semblables. J'ai vu la sainte veuve Lucine qui le priait d'enterrer deux martyrs morts de faim en prison, il y avait dŽjˆ longtemps. Ils firent cela pendant la nuit et portrent le corps d'un homme et d'une femme ˆ l'endroit o Žtait le tombeau de saint Laurent. Lorsqu'ils voulurent mettre les deux corps prs de lui, les os de saint Laurent se reculrent comme s'ils ne voulaient pas avoir les autres dans leur voisinage, ce qui fit qu'on enterra ceux-ci ailleurs. Je vis aussi Marcel conduit devant l'empereur et, comme il refusait de sacrifier aux idoles, fouettŽ jusqu'au sang et conduit dans une grande Žtable pour y servir de valet. L'Žtable Žtait ronde et b‰tie autour d'une cour : il n'y avait pas seulement des btes de somme, mais aussi des loges pour les btes fŽroces auxquelles on livrait les martyrs. Il devait aussi donner leur nourriture ˆ celles-ci et elles Žtaient trs-douces envers lui. Lˆ aussi il assistait ses frres en secret et, gr‰ce ˆ Lucine qui donnait de l'argent ˆ ses ge™liers, il sortait souvent la nuit sa prison pour enterrer les morts et encourager les fidles. Je vis que d'autres prtres lui portaient le saint Sacrement qu'ensuite il l'administrait pendant la nuit: Je vis qu'il fut tirŽ de l'Žtable par d'autres personnes, puis pris de nouveau, et qu'il fut rendu ˆ la libertŽ aprs avoir guŽri la femme d'un grand personnage. Alors il se tint dans la maison de Lucine, en fit secrtement une Žglise et continua ˆ pratiquer toutes ses oeuvres de misŽricorde: Les persŽcutions vinrent encore l'y chercher, la maison fut dŽvastŽe et on en fit une Žtable o il lui fallut de nouveau servir. Comme il ne cessait pas d'y remplir en secret son office de pasteur des ‰mes, on lui dŽchira tout le corps de la manire la plus horrible avec les fouets dont on se servait pour les btes de somme et il mourut couchŽ dans un coin. Les chrŽtiens lui donnrent la sŽpulture. Aprs cela, j'eus encore des visions concernant saint Ambroise, saint Liboire et le gouvernement de l'ƒglise par saint GrŽgoire; je me souviens seulement qu'elles se rapportaient aux rapports de ces saints avec de pieuses femmes et que ces rapports avaient donnŽ lieu ˆ bien des calomnies. Saint GrŽgoire avait ŽrigŽ plusieurs couvents de femmes et, les jours des anciennes ftes pa•ennes, il faisait faire des prires et des pŽnitences publiques ˆ des centaines d'entre elles vtues en pŽnitentes, afin de donner par lˆ ˆ l'ƒglise une compensation pour les pŽchŽs qui se commettaient ces jours-lˆ. Je vis qu'il fit par lˆ un grand bien et que le nombre des ftes consacrŽes au dŽmon et au pŽchŽ en fut fort diminuŽ. Je vis aussi qu'il eut beaucoup ˆ souffrir ˆ cette occasion... J'eus encore une vision sur un certain diacre Cyriaque qui eut ˆ souffrir au delˆ de toute expression. Une fois il resta cachŽ pendant longtemps dans les catacombes, assez prs du lieu o s'Žlve aujourd'hui l'Žglise de Saint-Pierre; il y mourut presque de faim. Plus tard il souffrit le martyre. Je me souviens que le diacre Cyriaque fut ordonnŽ par saint Marcel, qu'il assistait, avec deux autres chrŽtiens, Largus et Smaragde, les fidles qu'on faisait travailler ˆ des fortifications, que lui-mme y fut forcŽ et qu'il dŽlivra du dŽmon la fille d'un persŽcuteur. È

           Ç Je reconnus les ossements de saint Placide et de saint Donat. Je vis Placide plein de charme dans sa personne comme saint Franois de Sales. Il fut massacrŽ en Sicile avec ses frres. Je vis beaucoup de traits de sa vie, notamment de son enfance. Il avait deux frres et une soeur plus figŽs que lui et, tout enfant, il Žtait dŽjˆ regardŽ comme un saint. Je le vis, Žtant encore dans les bras de sa mre, saisir des rouleaux d'Žcritures, poser ses petites mains sur les noms de JŽsus et de Marie et tŽmoigner une grande joie. Je vis qu'il Žtait aimŽ de tout le monde et que souvent des familles entires se rassemblaient autour de lui pendant que sa mre le tenait sur ses genoux. Je le vis, un peu plus avancŽ en ‰ge, en compagnie de son pieux prŽcepteur, se promenant dans le jardin o il s'amusait ˆ tracer des croix et o il en tressait aussi avec des fleurs et des feuilles. Je vis aussi les oiseaux trs-familiers avec lui. Il fut conduit dans un autre endroit pour y faire ses Žtudes, puis au couvent de saint Beno”t qui avait encore peu de disciples. Je le vis plein de gr‰ce et de distinction, se dŽveloppant rapidement comme un enfant de haut rang. J'eus en mme temps une vision touchant un autre saint nŽ dans une basse condition et gardant les troupeaux, lequel pourtant devint pape. Je vis quelle devait tre la destinŽe de tous les deux. Je m'entretins avec Placide et il me promit de nouveau son assistance. Il me dit que je n'avais qu'ˆ l'invoquer pour qu'il vint ˆ mon secours.

           Etant ˆ lՎtat de veille, le Plerin lui fit remarquer que la fte de sainte ThŽrse Žtait proche, et elle lui dit : Ç Nous avons une relique d'elle et une autre de sainte Catherine de Sienne. Elles sont lˆ jointes ˆ plusieurs autres. È Alors elle nomma successivement et toujours dans le mme ordre les saints dont les ossements Žtaient dans une croix suspendue au pied de son lit. Elle dit encore : Ç Je vois leurs noms, tant™t sous leurs pieds, tant™t ˆ leur cotŽ et je vois aussi leurs attributs. Je vois Ediltrude avec une couronne qu'elle a dŽposŽe, ThŽrse, Radegonde, Genevive, Catherine, Phocas, Marie de ClŽophas. Celle-ci est plus grande que la sainte Vierge et habillŽe de la mme manire. Elle est fille de la soeur a”nŽe de Marie. Je vois aussi Ambroise, Urbain et Silvain. È Le Plerin lui demanda alors : Ç O est PŽlagie? È, Elle rŽpondit : Ç Elle n'est plus ˆ c™tŽ de moi : elle est lˆ È (montrant du doigt la poche du Plerin). Il avait pris cette relique sans qu'elle en sžt rien pour la marquer et l'envelopper, comme ayant ŽtŽ antŽrieurement reconnue. Le Plerin s'approcha d'elle, ayant une autre relique dans sa poche; mais, avant qu'il ežt pu la lui montrer, elle s'Žcria : Ç Je vois Engelbert; avons-nous des ossements de lui ? È Il lui donna alors la relique et le jour suivant elle raconta ceci: Ç J'ai reconnu la relique comme Žtant de saint Engelbert de Cologne et j'ai vu cette nuit beaucoup de traits de sa vie. Engelbert Žtait trs-puissant ˆ la cour et mlŽ ˆ de grandes affaires de l'empire. Il menait ˆ la vŽritŽ une vie austre et irrŽprochable, mais non ˆ l'Žgal d'autres saints, ˆ cause des affaires dont il Žtait chargŽ. Il avait une grande dŽvotion ˆ Marie. Je vis qu'il fit des travaux ˆ la cathŽdrale, qu'il rŽunit dans des cercueils de prŽcieuses reliques qu'on ne connaissait plus et les enterra sous des autels. Cela n'Žtait pas convenable. Je vis aussi sa mort. Un parent qu'il avait dž punir lui tendit des embžches. Cet homme l'attaqua pendant un voyage et le maltraita horriblement. Je comptai sur son corps plus de soixante-dix blessures. Engelbert fut sanctifiŽ par sa sŽrieuse prŽparation ˆ la mort, car il avait fait peu auparavant sa confession gŽnŽrale avec une vive contrition; il le fut aussi par la patience indicible avec laquelle il souffrit son long Žgorgement, ne cessant de prier pour ses meurtriers. Je vis que la Mre de Dieu lui apparut pendant qu'on le martyrisait; le consola, l'encouragea ˆ souffrir et ˆ mourir patiemment et qu'il fut redevable de sa sainte mort ˆ l'assistance qu'elle lui donna. È

Ç J'ai reconnu aussi la relique de saint Cunibert de Cologne.. Je le vis encore enfant, prs du roi Dagobert et dormant dans la chambre de ce prince. È

 

Sainte Agns et sainte EmŽrentienne.

 

           Ç Je vis une dŽlicate et charmante jeune fille au milieu de soldats qui la tra”naient. Elle Žtait enveloppŽe dans une longue robe brun‰tre et sa tte, dont les cheveux Žtaient relevŽs en tresses, Žtait couverte d'un voile. Les soldats la tiraient violemment en avant par les deux c™tŽs de son manteau, en sorte qu'il se dŽchira en deux. La foule se pressait ˆ sa suite : il s'y trouvait quelques femmes. On la conduisit ˆ travers une cour carrŽe entourŽe d'une haute muraille dans une pice o il n'y avait d'autre mobilier que quelques longs coffres avec des coussins. Ils poussrent la jeune fille dedans et la tra”nrent de c™tŽ et d'autre, lui arrachant son manteau et aussi son voile. Elle Žtait entre leurs mains comme un innocent agneau plein de patience, et elle Žtait si lŽgre qu'elle ressemblait ˆ un oiseau qui plane ˆ fleur de terre. Il semblait qu'elle vol‰t quand elle Žtait ainsi tra”nŽe de c™tŽ et d'autre. Ils emportrent le manteau et la laissrent. - Agns se tint alors dans un coin retirŽ de la pice, n'ayant d'autre vtement qu'une tunique blanche sans manches, ouverte sur les c™tŽs : elle priait tranquillement, le visage tournŽ vers le ciel et les mains ŽlevŽes. Les femmes qui l'avaient suivie ne furent pas admises dans la cour. Des hommes de toute espce se tenaient ˆ la porte comme si la sainte ežt ŽtŽ une proie qui leur Žtait livrŽe. Je vis son vtement blanc ensanglantŽ sur le cou par suite d'une blessure que peut-tre elle avait reue sur le chemin. È

           Ç Il entra d'abord deux ou trois jeunes hommes qui se prŽcipitrent sur elle comme des furieux, la tra”nrent ˆ et lˆ et lui arrachrent de dessus le corps son vtement ouvert. Je vis du sang ˆ son cou et ˆ sa poitrine, mais elle n'essaya pas de se dŽfendre, car au mme moment ses cheveux tombrent autour d'elle de manire ˆ la couvrir et je vis para”tre au-dessus d'elle un jeune homme resplendissant planant en l'air qui Žtendit sur elle, comme un vtement, des torrents de lumire. Les scŽlŽrats furent ŽpouvantŽs et s'enfuirent. Alors son tŽmŽraire adorateur, se moquant de leur l‰chetŽ, se prŽcipita ˆ son tour vers elle. Il voulut la saisir, mais elle lui prit fortement les mains et le repoussa. Il tomba par terre, mais il se releva et se prŽcipita furieux sur elle. La vierge le repoussa encore jusqu'ˆ la porte et alors il tomba par terre sans mouvement. Elle resta calme comme auparavant, toujours en prire, Žclatante de lumire et de beautŽ: son visage ressemblait ˆ une rose resplendissante. Au cri poussŽ par les autres, quelques personnages d'importance arrivrent : l'un d'eux semblait le pre du jeune homme Žtendu par terre. Il Žtait plein de colre et de rage et parlait de sorcellerie. Mais quand il lui entendit dire qu'elle prierait pour la vie de son fils, s'il le lui demandait au nom de JŽsus, il se calma et la conjura de le faire. Alors elle parla au mort qui se releva et fut emmenŽ par les autres, tout chancelant encore. Quelques autres hommes vinrent ˆ Agns, mais tous se retirrent ŽpouvantŽs. Au bout de quelque temps, je vis des soldats entrer de nouveau prs d'elle: ils apportaient un vtement brun ouvert sur le c™tŽ et retenu par une agrafe et un mŽchant voile tel qu'on le donnait ordinairement ˆ ceux qui Žtaient destinŽs au dernier supplice. Elle le mit, noua ses cheveux autour de sa tte et fut ainsi conduite ˆ un tribunal. C'Žtait un espace carrŽ, entourŽ d'une muraille Žpaisse dans laquelle Žtaient des prisons ou des chambres: on pouvait monter en haut et voir de la ce qui se passait au-dessous sur la place; il s'y trouvait en effet des spectateurs. Plusieurs personnes furent conduites devant le tribunal, venant d'une prison qui ne semblait pas trs-ŽloignŽe de ce mauvais lieu o Agns avait ŽtŽ renfermŽe seule. Je crois que c'Žtaient un grand-pre, ses deux gendres et leurs enfants : ils Žtaient attachŽs les uns aux autres avec des cordes. Lorsqu'ils arrivrent devant le juge qui Žtait assis dans la cour carrŽe sur un siŽge de pierre ŽlevŽ, Agns, ˆ son tour, fut conduite devant lui et il lui adressa des exhortations trs-bienveillantes, aprs quoi les autres aussi furent interrogŽs et exhortŽs. Or, ils n'avaient ŽtŽ conduits lˆ que pour tre interrogŽs et assister au supplice. Les femmes de ces hommes Žtaient encore pa•ennes. Plusieurs autres ayant paru successivement devant le juge, Agns fut de nouveau prŽsentŽe devant lui et de cette manire son tour vint trois fois. On lui fit, aprs cela, monter trois degrŽs jusqu'ˆ un poteau et on voulut la lier : mais elle s'y refusa. Autour d'elle Žtait entassŽ du bois o on mit le feu. Mais je vis de nouveau en l'air au-dessus d'Agns une figure qui fit descendre sur elle une effusion de rayons comme un abri protecteur d'o toutes les flammes se rejetrent sur les bourreaux et en blessrent plusieurs. Quant ˆ elle, elle n'en reut pas la moindre atteinte. Alors d'autres satellites l'emmenrent encore et la conduisirent de nouveau devant le juge. Lˆ elle fut placŽe sur un bloc de bois ou sur une pierre : on voulait lui lier les mains, mais elle s'y refusa; elles restrent posŽes sur sa poitrine. Je vis qu'une figure humaine Žtait auprs d'elle et lui soutenait les bras. Alors un homme la prit par les cheveux et lui trancha la tte, qui resta pendante sur une Žpaule, comme celle de sainte CŽcile. Son corps fut ensuite jetŽ tout vtu sur le bžcher et les autres prŽvenus furent ramenŽs ˆ leur prison. Pendant le jugement, je vis dans le lointain des amis d'Agns qui pleuraient. Il m'a souvent paru Žtonnant, lors de ces martyres, qu'il n'arriv‰t rien aux amis qui tŽmoignaient leur sympathie aux victimes, les assistaient ou les consolaient. Le corps ne fut pas consumŽ; le vtement non plus, ˆ ce que je crois. J'ai vu son ‰me sortir de son corps, blanche comme la lune, et s'envoler au ciel. Cette exŽcution, ˆ ce qu'il me semble, eut lieu avant midi, et il faisait encore jour quand ses amis retirrent le corps du bžcher et lui donnrent la sŽpulture avec de grandes marques de respect. Beaucoup de personnes Žtaient lˆ, mais elles Žtaient enveloppŽes dans des manteaux, peut-tre pour n'tre pas reconnues. Il me semble avoir vu, entre autres, sur la place o Žtait le tribunal, le jeune homme qu'Agns avait rendu ˆ la vie : il n'Žtait pas encore converti. Je la vis aussi en dehors de cette vision appara”tre prs de moi toute resplendissante de lumire et une palme ˆ la main. L'aurŽole qui rayonnait tout autour d'elle Žtait rouge‰tre intŽrieurement et les rayons passaient au bleu ˆ leur extrŽmitŽ. Elle me regarda d'un air trs joyeux, me consola de mes souffrances et dit : Ç Il est doux de souffrir avec JŽsus, de souffrir en JŽsus. È Je ne puis dire combien il y a de diffŽrence entre ces Romains et nos gens d'ˆ prŽsent. Chez eux il n'y avait pas de mŽlange : ils Žtaient tout un ou tout autre. Chez nous tout est si indŽcis et si embrouillŽ ! c'est comme s'il y avait en nous mille compartiments dans lesquels il y en aurait encore mille autres. È

           Ç Je vis une jeune fille qui allait souvent la nuit au tombeau de sainte Agns, s'y prosternait et y priait. Elle Žtait enveloppŽe dans de longs vtements et se glissait furtivement comme Madeleine au tombeau du Seigneur. Je vis aussi des ennemis des chrŽtiens, qui Žtaient lˆ aux aguets, tomber sur elle et l'emmener prisonnire. Je vis ensuite une toute petite Žglise octogone, avec un autel. En l'air, au-dessus de l'autel, il y avait fte parmi les saints, et c'Žtait comme une fte patronale pleine de na•vetŽ, d'innocence et de gr‰ce. Une charmante vierge martyre fut placŽe sur un tr™ne et parŽe de guirlandes de fleurs par d'autres martyres et martyrs romains des premiers temps. Je vis sainte Agns ayant aussi auprs d'elle un petit agneau. È Le Plerin lui donna une relique sous laquelle Žtait Žcrit en lettres trs-lisibles le nom de l'ap™tre saint Matthieu, mais que dŽjˆ antŽrieurement elle avait dŽsignŽe comme Žtant de sainte EmŽrentienne. A peine l'eut-elle touchŽe qu'elle s'Žcria : Ç Oh ! l'aimable enfant ! D'o vient ce bel Enfant ! Et voici une femme avec un autre enfant. È Le lendemain elle raconta ce qui suit: Ç Cette nuit j'ai eu affaire avec deux charmants enfants et aussi avec une suivante. Je vis d'abord l'un des enfants qui pouvait avoir quatre ans passer par la porte d'un mur auquel s'appuyait ˆ l'intŽrieur une galerie ˆ colonnes; puis une femme ‰gŽe avec un nez recourbŽ sortir de la maison. Elle avait quelque chose de juif dans la physionomie, portait un vtement ample, avec un collet dentelŽ autour du cou, et aux bras des espces de manipules. Une petite fille qu'elle conduisait dehors semblait ‰gŽe d'un peu plus de cinq ans. Elle s'avana avec elle sous le pŽristyle et les enfants se mirent ˆ jouer. Dans ce pŽristyle les colonnes du milieu Žtaient rondes supportaient des ttes crŽpues coiffŽes en quelque sorte de feuilles frisŽes : en outre, autour de ces colonnes s'enroulaient comme des serpents sculptŽs surmontŽs d'une belle face humaine qui regardait au dehors. Les colonnes des angles Žtaient carrŽes et supportaient au sommet, sur les deux c™tŽs intŽrieurs, de grands masques taillŽs dans la pierre; semblables ˆ des ttes de bÏuf, au-dessous desquels Žtaient creusŽs trois ouvertures rondes placŽes les unes sous les autres. La paroi postŽrieure du pŽristyle Žtait divisŽe par des piliers engagŽs ; dans un endroit de cette paroi se trouvait une surface en saillie sur laquelle on pouvait monter et o l'on arrivait des deux c™tŽs par des marches. Au milieu Žtait comme un tabernacle par lequel on pouvait faire sortir quelque chose du mur. Tout autour, contre le mur, Žtaient quelques siges travaillŽs comme la partie infŽrieure des colonnes. Mais, au-dessous, il y avait tout autour des cases o les enfants mettaient leurs jouets. La servante se plaa sur un des siges. Les deux aimables enfants avaient de petites robes tricotŽes ou faites au mŽtier, semblables ˆ des chemises avec une ceinture. Il vint encore plusieurs enfants du voisinage qui se rŽunirent ˆ eux et ils jourent trs-gentiment ensemble, notamment prs du tabernacle qu'ils ouvraient comme un tour et o ils avaient leurs jouets. C'Žtaient des poupŽes ˆ membres mobiles trs-artistement faites, avec des fils qu'ils faisaient aller et qui servaient ˆ faire remuer les membres. Les enfants sautaient aussi sur les marches qui menaient au tabernacle et montaient au-dessus de celui-ci jusqu'ˆ la plate-forme. Ils avaient aussi de petits vases et jouaient prs des siges sous lesquels ils plaaient leur petit attirail dans les ouvertures demi-circulaires. Je pris une fois l'une des petites filles que je mis en travers sur mes genoux, mais elle ne voulut pas rester tranquille et se dŽbattit: je m'en attristai et je crus que cela venait de mon indignitŽ. Aprs cela, les autres enfants retournrent chez eux et la servante ou nourrice sortit avec les deux enfants par la porte, traversa une cour antŽrieure, puis monta un Žtage plus haut dans une salle o la mre d'un des enfants Žtait assise et semblait lire des feuilles Žcrites. C'Žtait une femme robuste vtue d'une robe plissŽe; elle avait une marche tra”nante, l'air grave et ne se livrait pas beaucoup avec les enfants; elle ne les caressait pas, cependant elle leur parlait et leur donnait des g‰teaux qui Žtaient comme de petites figures de diverses couleurs. Il y avait dans la salle des siges semblables ˆ des coussins, avec une poignŽe pour les prendre. Il semblait qu'on pžt les hausser ou les baisser ˆ volontŽ. Les coussins Žtaient de cuir brun, il y en avait aussi en laine. Le plafond et les murs de la salle Žtaient entirement peints; les fentres n'Žtaient point de verre, elles Žtaient couvertes comme d'un filet sur lequel Žtaient tracŽes ˆ l'aiguille des figures de toute espce. La femme s'occupait encore moins de l'enfant Žtranger que du sien propre. Je vis encore la nourrice avec les enfants dans un petit jardin qui Žtait comme une cour entourŽe par les b‰timents. Il y avait des chambres tout autour et, au milieu, une fontaine jaillissante. Dans ce jardin les enfants jourent et mangrent des fruits. Je ne vis pas le pre. J'eus alors une autre vision. Je vis les deux enfants plus vieux de quelques annŽes. Ils Žtaient seuls et priaient. J'eus le sentiment que la gouvernante Žtait chrŽtienne en secret et dirigeait les pas de ces enfants. Je la vis se rŽunir en cachette avec plusieurs autres vierges dans une des petites maisons latŽrales attenantes ˆ la grande maison ; je vis aussi que, la nuit, des gens s'approchaient avec prŽcaution du mur de la maison dans l'intŽrieur de laquelle elles dormaient, que lˆ ils mettaient la main dans un trou pratiquŽ dans le mur et donnaient aux habitants de la maison un signal sur lequel ceux-ci se levaient et sortaient. La gouvernante les conduisait toujours dehors par un passage de derrire et n'allait pas plus loin. Je la vis, enveloppŽe dans un manteau, longer avec d'autres une vieille muraille et entrer dans un lieu souterrain o beaucoup de personnes Žtaient rassemblŽes. Je vis deux de ces salles; dans lÕune, il n'y avait pas d'autel, on y faisait seulement des prires et des instructions; dans l'autre, Žtait un autel o les arrivants dŽposaient une offrande. Je vis les deux enfants aller furtivement la nuit ˆ ces rŽunions secrtes des chrŽtiens È

Ç Je me trouvai de nouveau devant la maison o j'avais vu jouer les petits enfants et je ressentis un vif dŽsir de les voir revenir. Alors je vis un enfant qui avait pris part aux jeux et je l'envoyai dans la maison pour qu'il pri‰t la gouvernante de sortir avec les petites filles. Elle vint, portant sur les bras Agns qui Žtait un nourrisson d'environ dix-huit mois et elle me dit que l'autre enfant n'Žtait pas lˆ. Je rŽpondis que certainement elle viendrait bient™t. Alors nous all‰mes ensemble sous un grand arbre touffu, semblable ˆ un tilleul, et l'autre enfant ne tarda pas al tre amenŽe par une jeune servante sortant d'une maison voisine plus petite. Mais les deux surveillantes ne voulurent pas rester longtemps; elles avaient ˆ faire au logis et je les priai instamment de vouloir bien me laisser un peu les enfants; elles me les laissrent en effet, aprs quoi elles se rendirent chez elles. J'avais les deux enfants sur mes genoux et je les caressais, mais ils furent bient™t inquiets et se mirent ˆ crier. Je n'avais absolument rien ˆ leur donner pour les calmer et dans le trouble extrme o j'Žtais, je les mis contre mon sein o elles restrent tranquilles. Je mis autour d'elles un grand manteau dont j'Žtais revtue et je sentis avec une surprise mlŽe d'effroi qu'elles Žtaient rŽellement allaitŽes, par moi. Alors les bonnes revinrent, je leur donnai les enfants et les deux mres arrivrent aussi bient™t. Celle d'EmŽrentienne Žtait plus petite, plus vive et plus remuante que l'autre, elle avait aussi des manires plus avenantes. Elle porta elle-mme son enfant chez elle ; l'autre fit porter le sien. Je sentis alors, avec un grand effroi, que mon sein, o les enfants avaient bu, s'Žtait gonflŽ et rempli de lait. J'y eus une sensation d'oppression et de chaleur cuisante et mon anxiŽtŽ fžt grandi. Mais j'Žtais ˆ peine ˆ moitiŽ chemin de chez moi que deux enfants de ma connaissance vinrent ˆ moi et me vidrent le sein en me faisant beaucoup souffrir : il en vint encore plusieurs autres qui firent la mme chose et sur lesquels je remarquai une quantitŽ de vermine que je tuai, en sorte qu'ils furent nourris et nettoyŽs. Je fus moi-mme dŽbarrassŽe de mon oppression et, comme je craignais que cela ne me fžt venu des reliques, je les plaai dans l'armoire. È

           Le jour suivant, pendant qu'elle Žtait en extase, le Plerin ayant apportŽ pris d'elle les reliques de sainte Agns et de sainte EmŽrentienne, elle cria en se dŽtournant: Ç Non ! non ! je ne puis pas. J'aime bien ces enfants, mais je ne puis pas recommencer! È

 

Sainte Paule.

 

Le Pre Limberg prit dans un paquet de reliques et prŽsenta ˆ la malade un petit morceau d'Žtoffe brune, en lui demandant si elle reconnaissait cela. Elle le considŽra attentivement et dit d'un ton trs-dŽcidŽ : Ç Cela vient du voile de la femme qui a ŽmigrŽ de Rome ˆ JŽrusalem et ˆ BethlŽem. C'est du voile de sainte Paule. La sainte est lˆ : son voile est long et descend sur son visage. Elle tient ˆ la main un b‰ton avec de gros nÏuds. È Elle reconnut un autre morceau d'Žtoffe de soie comme provenant d'un rideau que sainte Paule avait suspendu devant la reprŽsentation de la crche dans sa petite chapelle. Ç La sainte a souvent priŽ avec sa fille devant ce rideau et l'enfant JŽsus lui est souvent apparu dans ce lieu. È A ces mots le Plerin lui demanda si ce rideau Žtait devant la vŽritable crche dans la grotte mme de la crche. Elle rŽpondit : Ç Non ! il Žtait devant la petite crche que les religieuses de sainte Paule avaient dans leur chapelle. Le monastre Žtait si rapprochŽ de la sainte grotte de la crche ˆ BethlŽem que la chapelle semblait b‰tie en quelque sorte contre celle-ci et s'appuyait ˆ l'endroit o JŽsus est nŽ. La chapelle Žtait faite seulement de bois et de clayonnage et tendue de tapisseries ˆ l'intŽrieur. A partir de lˆ couraient quatre rangŽes de cellules, de construction lŽgre comme les maisons o l'on recevait les voyageurs dans la terre promise. Chaque cellule avait devant elle un petit jardin. Ce fut lˆ que Paule et sa fille rassemblrent leurs premires compagnes. Dans la chapelle Žtait un autel isolŽ de tous c™tŽs, avec un tabernacle, et derrire cet autel, cachŽ par un rideau de soie rouge et blanche, l'endroit o se trouvait la crche dressŽe par sainte Paule, et qui n'Žtait sŽparŽ que par un mur du lieu rŽel de la naissance de JŽsus. Cette crche Žtait une reproduction de la vraie sainte crche, seulement moins grande et en pierre blanche; mais tellement exacte que le foin mme Žtait imitŽ. Le petit enfant Žtait reprŽsentŽ avec des langes de couleur bleue, collant au corps. Paule le prenait souvent dans ses bras lorsqu'elle priait. Lˆ o la crche s'appuyait au mur, Žtait suspendue une couverture sur laquelle Žtait dessinŽ ˆ l'aiguille l'‰ne, tournant la tte vers la crche : c'Žtait un travail de diverses couleurs, les poils Žtaient imitŽs avec des fils. Plus haut, au-dessus de la crche, Žtait fixŽe une Žtoile. Des lampes Žtaient suspendues ˆ droite et ˆ gauche, devant le rideau. È

 

Sainte Agathe.

 

           Ç Je me suis trouvŽe cette nuit dans la ville o j'ai vu le grand soulvement (Palerme). Je vis encore beaucoup de dŽg‰ts dans les Žglises et les maisons, et je vis une grande et singulire fte religieuse. Des tapisseries Žtaient suspendues dans l'Žglise, et au milieu pendait un drap comme chez nous ce qu'on nomme le linge de la faim pendant le carme. J'ai aussi vu vers une place un grand feu ressemblant ˆ nos feux de la Saint-Jean et o les prtres allaient en procession avec un tapis. C'Žtait une merveilleuse fte, avec beaucoup d'appareil et de pompe. Le peuple s'y porte avec beaucoup d'ardeur, et il y a toujours des rixes. L'Žglise Žtait magnifiquement ornŽe, et pendant le service divin, je vis sainte Agathe avec d'autres saints. È

           Ç Je vis qu'Agathe avait ŽtŽ martyrisŽe dans, une autre ville, ˆ Catane. Ses parents habitaient Palerme, sa mre Žtait chrŽtienne en secret. Son pre Žtait pa•en. Je vis que sa mre l'avait, ds son enfance, instruite secrtement dans la religion chrŽtienne. Elle avait deux suivantes. Ds ses premires annŽes, elle avait des rapports familiers avec JŽsus. Je la vis souvent assise dans le jardin, ayant auprs d'elle un bel enfant resplendissant de lumire qui lui parlait souvent et jouait avec elle. Je vis comment elle lui faisait un sige dans le gazon et comment elle l'Žcoutait toute pensive, les mains posŽes sur ses genoux. Je les vis jouer avec des fleurs et des petits b‰tons. L'enfant semblait grandir auprs d'elle. Il vint aussi plus grand ˆ elle lorsqu'elle-mme fut devenue plus grande, mais il ne venait que lorsqu'elle Žtait seule. Je crois qu'elle le voyait aussi, car je la vis faire divers arrangements qui supposaient sa prŽsence. Je l'ai vue grandir merveilleusement en puretŽ et en force intŽrieure. Il est impossible d'expliquer comment on voit cela : c'est comme si l'on voyait un objet quelconque devenir de plus eu plus magnifique, un feu qui devient soleil, une lueur qui devient Žtoile ou de l'or qui deviendrait plus parfaitement or. Je vis aussi avec quelle fidŽlitŽ extraordinaire elle coopŽrait ˆ la gr‰ce, comment elle ne cessait de repousser ou de punir sur elle-mme la moindre tache, la moindre imperfection. Quand elle voulait se coucher le soir, son ange gardien se tenait souvent sous une forme visible prs d'elle et lui rappelait quelque chose qu'elle avait oubliŽ : alors elle se h‰tait de le faire : c'Žtait une prire, ou une aum™ne, ou quelque chose qui se rapportait ˆ la charitŽ, ˆ la puretŽ, ˆ l'humilitŽ, ˆ l'obŽissance, ˆ la misŽricorde, aux efforts ˆ opposer au mal. Je l'ai vue souvent, dans son enfance, se glisser furtivement loin de sa mre avec des aum™nes et des aliments. Combien elle Žtait magnanime et chŽrie de JŽsus ! dans quel Žtat de lutte continuelle elle vivait ! Je la vis souvent se pincer et se frapper pour des dŽsirs et pour les moindres fautes. Et avec tout cela, comme elle Žtait franche, courageuse et ouverte ! Je vis que, vers sa huitime annŽe, elle fut conduite ˆ Catane dans une voiture avec plusieurs autres jeunes filles. Cela se faisait par l'ordre de son pre qui voulait qu'elle fžt ŽlevŽe dans toute la libertŽ d'une Žducation pa•enne. On la mena lˆ chez une femme ˆ l'air hardi qui avait cinq filles. Je ne puis pas dire que sa maison fžt une maison publique de dŽbauche, comme j'en ai vu plus d'une fois ˆ cette Žpoque : elle me parut plut™t une femme galante et de manires libres. J'y ai longtemps vu Agathe. La maison Žtait dans une trs-belle situation et tout y Žtait somptueux; mais elle ne pouvait pas en sortir. Je la voyais ordinairement avec d'autres jeunes filles d'assez mauvaise compagnie dans un salon devant lequel Žtait une pice d'eau o toute la maison se rŽflŽchissait : de l'autre c™tŽ, la maison avait des gardiens. La femme et ses cinq filles se donnaient toute la peine imaginable pour former Agathe ˆ la vertu entendue ˆ leur manire. Je les vis se promener avec elle dans de superbes jardins, lui montrer toute espce d'habits magnifiques et de belles choses, mais elle restait indiffŽrente ˆ tout cela; elle s'en dŽtournait toujours. Lˆ aussi, je vis que l'enfant cŽleste Žtait souvent auprs d'elle et qu'elle devenait de plus en plus sŽrieuse et courageuse. C'Žtait une trs-belle enfant, pas grande, mais parfaitement faite. Elle avait des cheveux foncŽs, de grands yeux noirs, un beau nez, une figure ronde, quelque chose de trs-doux et de trs ferme en mme temps et une physionomie o se manifestait une force d'‰me extraordinaire. Je vis sa mre mourir de chagrin loin d'elle.

Ç Je vis dans la maison de cette femme, Agathe combattre ses penchants naturels avec une constance et un courage remarquables et lutter contre toutes les sŽductions. Quintianus qui plus tard la fit martyriser y venait souvent. Il Žtait mariŽ, mais il ne pouvait pas souffrir sa femme. C'Žtait un homme dŽsagrŽable, d'un caractre bas et orgueilleux : il r™dait dans la ville, espionnant tout ce qui se faisait et il vexait et tourmentait tout le monde. Je le vis chez cette femme : il regardait souvent Agathe comme on regarde un bel enfant : il ne se permettait rien d'inconvenant avec elle. Je vis lˆ son fiancŽ cŽleste se tenir prs d'elle, visible pour elle seule; et il lui disait : Ç Notre fiancŽe est petite, elle n'a pas de mamelles (cant. VIII,8) : quand elle en aura, elles lui seront retranchŽes, car il n'y a lˆ personne qui puisse s'y abreuver. È Le jeune homme parlait ainsi ˆ Agathe en vision, et cela voulait dire qu'il y avait lˆ peu de chrŽtiens et de prtres (note). J'ai aussi vu que son fiancŽ lui montrait les instruments de son martyre : je crois mme qu'ils jouaient avec. Plus tard, je la vis de nouveau dans sa ville natale : son pre ne vivait plus. Elle avait environ treize ans. Elle confessait publiquement la foi chrŽtienne et avait prs d'elle des gens de bien. Je la vis enlevŽe de sa maison par des personnes que Quintianus avait envoyŽes de Catane; je vis comment, en sortant de la ville, elle se baissa pour attacher plus solidement sa chaussure, et comment; regardant en arrire, elle s'aperut que tous ses amis l'abandonnaient et retournaient ˆ la ville. Elle pria Dieu de faire para”tre un signe de cette ingratitude, et un olivier stŽrile, sortit de terre ˆ cet endroit. È

 

(note) Agathe est Ç la fiancŽe È, l'ƒglise de Sicile encore jeune... Elle reoit l'anneau de son futur martyre par lequel elle doit devenir la mre d'‰mes innombrables en ce sens que le lait de ses mamelles, c'est-ˆ-dire la plŽnitude de bŽnŽdictions de son martyre, leur procure la gr‰ce du salut.

 

Ç Je l'ai vue de nouveau chez la mauvaise femme et j'ai vu aussi appara”tre prs d'elle son fiancŽ cŽleste qui lui dit un jour : Ç Lorsque le serpent qui Žtait muet auparavant, se mit ˆ parler, Eve aurait dž s'apercevoir que c'Žtait le dŽmon. È Je vis aussi que la femme chercha de toute manire ˆ sŽduire Agathe, en la flattant et en lui donnant des divertissements, et j'entendis Agathe lui faire l'application de ce que lui avait enseignŽ son fiancŽ, car la femme ayant voulu la pousser au rel‰chement par ses discours, elle lui dit : Ç Ta chair et ton sang sont la crŽature de Dieu, comme le serpent, mais ce qui parle par eux est le dŽmon. È Je vis les allŽes et venues de Quintianus chez cette femme et je connais aussi trs-bien deux amis qu'il avait.. Je vis ensuite Agathe jetŽe en prison, interrogŽe et frappŽe. On lui coupa les mamelles : un homme la tenait pendant qu'un autre lui enlevait le sein avec un instrument qui ressemblait ˆ une tte de pavot. Il s'Žtendait sur trois tiges, formant comme une bouche et dŽtachait comme d'une morsure la mamelle qui le remplissait tout entier. Les bourreaux eurent encore la cruautŽ rŽvoltante de lui mettre sous les yeux avec des moqueries ses mamelles coupŽes ; puis ils les jetrent ˆ ses pieds comme sur une planche. Pendant son supplice, Agathe dit ˆ Quintianus : Ç Peux-tu, sans frŽmir d'horreur, arracher ˆ une femme cette partie du corps qui, chez ta mre, t'a nourri autrefois ! È Elle Žtait pleine de fermetŽ et de calme et dit : Ç Mon ‰me a de plus nobles mamelles que tu ne peux pas m'enlever. È Son sein Žtait peu dŽveloppŽ et elle-mme Žtait ˆ peine dans l'‰ge de pubertŽ. La blessure Žtait parfaitement ronde : il n'y avait pas de dŽchirure : le sang jaillissait en plusieurs petits jets. J'ai vu souvent ce mme instrument employŽ pour les supplices des martyrs : on enlevait ainsi du corps des saints des morceaux de chair tout entiers. L'assistance et la force qu'ils reoivent de JŽsus-Christ est quelque chose d'admirable. Je le vois souvent lui-mme prs d'eux qui les soulage : ils ne tombent pas en dŽfaillance lˆ o un autre tomberait ˆ l'instant comme mort.. Je vis ensuite Agathe dans la prison, o un saint vieillard lui apparut et lui dit qu'il guŽrirait ses blessures. Elle rŽpondit qu'elle le remerciait, qu'elle n'avait jamais eu recours ˆ la mŽdecine humaine, qu'elle avait son Seigneur JŽsus-Christ qui pouvait la guŽrir s'il le voulait. ÇJe suis un chrŽtien et un vieillard, lui dit-il : ne crains pas de me montrer tes plaies ! È Elle lui rŽpondit : Ç Mes plaies n'ont rien qui blesse la pudeur: JŽsus me guŽrira s'il le veut: il a crŽŽ le monde, il peut aussi me crŽer un sein. È Alors je vis le vieillard sourire et dire : Ç Je suis son serviteur Pierre : vois ! ton sein est dŽjˆ guŽri, È puis il disparut. Je vis plus tard qu'un ange attacha au haut de sa prison comme un Žcriteau o Žtait Žcrit quelque chose : je ne me rappelle plus ce que c'Žtait. Or, elle avait ses deux seins parfaitement remis dans l'Žtat o ils Žtaient auparavant. Ce n'Žtait pas seulement un rapprochement de la peau, c'Žtait un nouveau sein complet. Autour de chacun des seins je vis une aurŽole de lumire et tout le cercle intŽrieur de cette aurŽole rempli de rayons ayant les couleurs de l'arc-en-ciel. Je vis Agathe conduite de nouveau au martyre. Dans un caveau Žtaient des ‰tres sous lesquels on avait allumŽ du feu: ils Žtaient profonds comme des coffres et garnis ˆ l'intŽrieur de toutes sortes d'objets pointus et anguleux. Il y avait un certain nombre de ces coffres les uns prs des autres. Souvent plusieurs personnes Žtaient livrŽes ˆ ce supplice en mme temps : on pouvait passer dans les intervalles qui sŽparaient les coffres. Le feu bržlait dessous, en sorte que ceux qui y Žtaient Žtendus sur des tessons de pot Žtaient r™tis. Lorsque, Agathe eut ŽtŽ jetŽe dans une de ces caisses, la terre trembla, un mur s'Žcroula et Žcrasa les deux amis de Quintianus. Il y eut un soulvement dans le peuple, si bien que Quintianus s'enfuit. La vierge fut ramenŽe en prison, o elle mourut. Je vis Quintianus se noyer misŽrablement dans une rivire, comme il Žtait en route pour aller confisquer les biens de sainte Agathe. J'ai aussi vu comment, plus tard, une montagne ayant vomi des flammes, le peuple s'enfuit devant le fleuve de feu qui en dŽcoulait auprs du tombeau d'Agathe dont il opposa le couvercle au feu qui s'Žteignit. È

 

Sainte DorothŽe.

 

           Ç Je reconnus de nouveau la relique de la sainte et je vis une ville considŽrable dans un pays de collines. Je vis lˆ, dans le jardin d'une maison b‰tie ˆ la mode romaine, jouer trois jeunes filles de cinq ˆ huit ans. Elles se tenaient par les mains, dansaient en rond, puis s'arrtaient et chantaient : en mme temps elles cueillaient des fleurs. Lorsqu'elles eurent jouŽ un certain temps, je vis les deux plus ‰gŽes se sŽparer de la plus jeune, s'Žloigner avec les fleurs et les mettre en morceaux. La plus petite parut Žprouver beaucoup de peine lorsque ses deux compagnes s'en allrent d'un autre c™tŽ du jardin. Je vis l'enfant restŽe seule ayant dans le coeur une douleur poignante que je ressentis moi-mme. Son visage p‰lit, en mme temps son vtement devint blanc comme la neige et elle tomba ˆ terre comme morte. J'entendis alors intŽrieurement une voix qui disait : Ç C'est DorothŽe ! È - Et en mme temps je vis appara”tre un petit garon brillant de lumire qui s'avana vers elle, tenant un bouquet de fleurs ˆ la main; il la releva, la conduisit dans un autre partie du jardin, et lui donna le bouquet, aprs quoi il disparut. L'enfant redevint joyeuse, courut aux deux autres, leur montra ses fleurs et leur dit qui les lui avait donnŽes. Elles furent fort ŽtonnŽes, la pressrent sur leur coeur et parurent regretter la peine qu'elles lui avaient faite, en sorte que l'union fut rŽtablie entre elles. A cette vue, le dŽsir s'Žveilla en moi d'avoir aussi de semblables fleurs pour me fortifier : mais tout d'un coup DorothŽe, devenue jeune fille, m'apparut, me fit une belle exhortation comme prŽparation ˆ la communion et me dit : Ç Comment peux-tu dŽsirer des fleurs, toi qui reois si souvent la fleur de toutes les fleurs ? È Elle m'expliqua aussi le sens de la scne des enfants qui se rapportait ˆ la dŽfection et au retour des deux jeunes filles plus ‰gŽes. J'eus ensuite la vision de son martyre. Je la vis en prison avec deux soeurs aimŽes et je vis une contestation entre elles: Les deux aimŽes ne voulurent pas mourir pour JŽsus-Christ et on les remit en libertŽ. Je vis alors DorothŽe devant le juge : il la fit conduire prs de celles qui avaient apostasiŽ, dans l'espoir qu'elle suivrait leur exemple et leurs conseils, mais DorothŽe les ramena ˆ la foi. Elle fut ensuite attachŽe ˆ un poteau, dŽchirŽe avec des crochets, bržlŽe avec des torches et enfin dŽcapitŽe. Lorsque cela fut fait, je vis se convertir un jeune homme qui pendant qu'elle allait au martyre, lui avait adressŽ des paroles de dŽrision et auquel elle avait rŽpondu quelques mots. Un jeune garon resplendissant apparut devant lui portant des roses et des fruits : il rentra en lui-mme, confessa la foi et subit le martyre; il eut la tte tranchŽe. plusieurs autres furent encore martyrisŽs avec DorothŽe ; ils furent bržlŽs ou ŽcartelŽs ˆ l'aide d'animaux auxquels on les attachait. È

 

Sainte Apollonie.

 

Ç J'ai eu une relique d'elle prs de moi et j'ai vu aussi la ville o elle souffrit le martyre. Elle est situŽe sur une langue de terre et les divers bras par lesquels le Nil se rend dans la mer ne sont pas loin de lˆ. C'est une grande et belle ville o Žtait la maison des parents d'Apollonie, entourŽe de cours et de jardins et situŽe sur un lieu ŽlevŽ. A l'Žpoque de son martyre, c'Žtait une veuve ‰gŽe (note), de grande taille. Ses parents Žtaient pa•ens : mais elle avait ŽtŽ convertie ds son enfance par sa nourrice qui Žtait chrŽtienne en secret. ArrivŽe ˆ l'‰ge adulte, ses parents l'avaient donnŽe en mariage ˆ un pa•en avec lequel elle vŽcut dans la maison paternelle. Elle eut beaucoup ˆ souffrir et la vie conjugale fut pour elle une rude pŽnitence. Je l'ai vue couchŽe par terre, pleurant, priant, jetant de la cendre sur sa tte. Son mari Žtait trs-maigre et trs-p‰le; il mourut longtemps avant elle, la laissant veuve sans enfants. Elle vŽcut bien encore trente ans. Elle se montrait extrmement compatissante envers les pauvres chrŽtiens cachŽs ; elle Žtait la consolation et l'espoir de tous ceux qui souffraient. Sa nourrice souffrit aussi le martyre peu de temps avant elle. Ce fut ˆ l'occasion d'un tumulte o les maisons des chrŽtiens furent pillŽes et bržlŽes et o plusieurs furent mis ˆ mort. Je vis plus tard Apollonie arrtŽe dans sa maison sur l'ordre du juge, conduite devant le tribunal, puis jetŽe en prison. Je la vis menŽe plusieurs fois devant le juge et horriblement maltraitŽe ˆ cause de ses rŽponses sŽvres, et fermement chrŽtiennes. C'Žtait une vue qui me dŽchirait le coeur et je ne pouvais m'empcher de pleurer, quoique je pusse voir avec moins d'Žmotion d'autres supplices plus cruels. Peut-tre Žtait-ce son ‰ge et la dignitŽ de son extŽrieur qui me touchaient ainsi. Ils la poussrent avec des massues, la frapprent au visage et sur la tte avec des cailloux. Son nez fut ŽcrasŽ, le sang coulait de sa tte, ses joues et son menton furent dŽchirŽs et ses dents brisŽes dans sa bouche. Elle portait la robe blanche fendue dont je vois si souvent les martyrs revtus; lˆ-dessous elle avait une tunique de laine teinte. (note) Le brŽviaire et le martyrologe romain la qualifient de vierge et martyr.(Note du traducteur).

On la fit s'asseoir sur un sige de pierre sans appui ; ses mains Žtaient liŽes derrire le dos et attachŽes ˆ la pierre par une cha”ne ; ses pieds aussi Žtaient entravŽs. On lui arracha son voile : ses longs cheveux Žpars tombrent autour d'elle, son visage Žtait tout dŽfigurŽ et couvert de sang. Un bourreau la saisit par derrire et lui renversa violemment la tte, un autre ouvrit sa bouche en y introduisant de force un petit billot de plomb. Alors l'exŽcuteur arracha l'une aprs l'autre, avec une pince grossire, les dents dŽjˆ brisŽes de la sainte martyre, et il enleva en mme temps des morceaux de la m‰choire. Pendant ce supplice o Apollonie souffrit jusqu'ˆ perdre connaissance, je vis que des anges, des ‰mes d'autres martyrs et une apparition de JŽsus lui-mme la fortifiaient et la consolaient, et que, sur sa prire, elle reut la gr‰ce de pouvoir secourir efficacement tous ceux qui souffrent des dents ou qui ont des douleurs quelconques ˆ la tte et au visage. Comme elle ne cessait pas de glorifier JŽsus et de tŽmoigner son mŽpris pour les idoles, le juge           ordonna de la conduire au bžcher et de l'y jeter, si elle persistait dans ses sentiments. Je vis qu'elle ne pouvait plus marcher seule; elle Žtait ˆ demi morte. Deux bourreaux la tra”nrent sous les bras jusqu'ˆ un lieu ŽlevŽ, pavŽ de dalles, o un grand feu Žtait allumŽ dans une fosse. Lorsqu'elle fut devant, elle sembla faire une prire. Elle ne pouvait plus redresser la tte. Les pa•ens crurent qu'elle voulait renier JŽsus ou qu'elle Žtait ŽbranlŽ dans sa rŽsolution, et ils la laissrent libre. Elle s'affaissa alors sur elle-mme et resta ˆ terre comme expirante; mais bient™t, ayant priŽ, elle se releva tout ˆ coup et s'Žlana dans les flammes. Je vis pendant toute la durŽe du supplice beaucoup de pauvres gens qu'elle avait longtemps secourus tendre les mains vers elle, se lamenter et crier. Elle n'aurait pas pu sauter dans le feu d'elle-mme. Dieu lui donna pour cela lÕinspiration et la force. Je vis qu'elle ne fut pas consumŽe, mais seulement r™tie. Lorsqu'elle fut morte, les pa•ens se retirrent. Des chrŽtiens s'approchrent secrtement, enlevrent le corps et l'enterrrent dans un caveau. È

 

Sainte Scolastique et saint Beno”t.

 

           Ç La relique de sainte Scolastique m'a fait voir plusieurs scnes de sa vie et de celle de saint Beno”t. Je vis leur maison paternelle dans une assez grande ville, peu ŽloignŽe de Rome. Elle n'Žtait pas tout ˆ fait construite ˆ la manire romaine. Devant le c™tŽ attenant ˆ la rue se trouvait un espace pavŽ, enceint d'un mur peu ŽlevŽ qui supportait une grille de couleur rouge. Derrire la maison Žtait une cour et un jardin avec un jet d'eau. Dans ce jardin se trouvait une jolie maison de plaisance dans laquelle je vis Beno”t et Scolastique, qui Žtaient frre et soeur, jouer comme des enfants trs-innocents et trs-unis entre eux. Cette maison Žtait ˆ l'extŽrieur toute couverte de verdure. Le toit Žtait plat et entirement dŽcorŽ de figures de diverses couleurs et de statues. Il me semblait que les figures Žtaient dŽcoupŽes et collŽes, tant tous les contours Žtaient nettement dessinŽs. Le frre et la soeur s'aimaient beaucoup et me semblaient tellement du mme ‰ge que je les crus jumeaux. Des oiseaux venaient sur la fentre et se montraient trs-familiers avec eux. Ces oiseaux portaient dans leur bec des fleurs et de petites branches et cherchaient les enfants du regard. Ceux-ci jouaient aussi avec des fleurs et des plantes : ils plantaient en terre des branches de toute espce et faisaient de petits jardins. Je les vis Žcrire et dŽcouper diverses figures dans une Žtoffe de couleurs variŽes. Parfois venait une gardienne qui les surveillait. Les parents semblaient tre riches et avoir beaucoup d'affaires

car il y avait dans la maison une vingtaine de personnes que je voyais aller de c™tŽ et d'autre. Ils ne s'occupaient pas beaucoup des enfants. Je vis le pre, qui Žtait un homme gros et fort, habillŽ presque entirement ˆ la mode romaine : il prenait ses repas avec sa femme et quelques autres personnes dans la partie postŽrieure de la maison : les enfants logeaient en haut et pas tous ensemble. Beno”t avait pour prŽcepteur un vieil ecclŽsiastique avec lequel il Žtait seul. Scolastique Žtait avec une surveillante prs de laquelle elle couchait. J'ai remarquŽ que ceux qui Žtaient chargŽs d'eux ne les laissaient pas volontiers ni souvent seuls ensemble : mais quand ils pouvaient se rŽunir ˆ la dŽrobŽe, ils Žtaient trs-joyeux et trs-contents. Je vis que Scolastique apprenait prs de sa surveillante ˆ faire un travail d'un genre tout particulier. Il y avait dans une pice voisins de la chambre o elle dormait une table sur laquelle elles travaillaient : sur cette table Žtaient plusieurs corbeilles pleines d'Žtoffes de toutes couleurs o elle dŽcoupait des figures, des oiseaux, des fleurs, des ornements variŽs qui Žtaient ensuite cousus sur une plus grande pice d'Žtoffe, de manire qu'ils ressemblaient ˆ des ciselures. Les plafonds des chambres Žtaient ornŽs de figures de diverses couleurs comme la maison de plaisance. Les fentres n'Žtaient pas de verre, c'Žtaient des Žtoffes sur lesquelles Žtaient dessinŽes des figures d'arbres, des espces d'arabesques et des ornements de tout genre. Scolastique couchait derrire un rideau : sa couche Žtait trs-basse. Je la voyais, le matin, quand sa gouvernante se dirigeait vers la porte pour sortir, sauter ˆ bas de son lit, se prosterner et prier devant une croix attachŽe au mur : quand elle entendait le pas de la gouvernante, elle se glissait promptement derrire le rideau et elle Žtait dans son lit avant que l'autre fžt de retour. Je vis Beno”t et Scolastique Žtudier avec le prŽcepteur du premier, mais chacun de son c™tŽ. Je les vis lire dans de grands rouleaux d'Žcritures : je les vis aussi tracer des lettres avec de l'or, du rouge et une couleur bleue extraordinairement belle. Quand le travail Žtait fait, on roulait le parchemin. Ils se servaient pour cela d'un instrument de la longueur du doigt. Plus les enfants grandissaient, moins on les laissait ensemble. È

           Ç Je vis Beno”t ˆ Rome, lorsqu'il avait environ quatorze ans, dans un grand Ždifice o il y avait un corridor avec beaucoup de chambres. Cela avait l'air d'une Žcole ou d'un monastre. Je vis plusieurs jeunes gens et quelques vieux ecclŽsiastiques assister ˆ une espce de banquet dans une grande salle. Cette salle Žtait dŽcorŽe dans le haut de peintures comme celles de la maison paternelle de Beno”t. Je vis que les convives ne mangeaient pas couchŽs: ils Žtaient assis sur des siges ronds, tellement bas que ceux qui y Žtaient assis Žtaient obligŽs d'allonger les jambes, aussi s'asseyaient-ils de c™tŽ et les uns derrire les autres, devant une table fort basse aussi. Dans cette table, qui Žtait trs massive, Žtaient pratiquŽes des ouvertures pour la vaisselle qui Žtait de couleur jaune. Je ne vis pas beaucoup de mets; au milieu se trouvaient trois grands plats avec des g‰teaux plats et jaunes. Lorsqu'on eut fini de manger, je vis entrer six femmes de diffŽrents ‰ges. Elles avaient des p‰tisseries de diverses formes et de petits flacons dans des corbeilles qu'elles portaient au bras : c'Žtaient des parentes des jeunes gens. Ceux-ci s'Žtaient levŽs de table : ils s'entretinrent avec elles ˆ un bout de la salle et elles leur donnrent des friandises et des liqueurs. Il y avait parmi elles une femme d'environ trente ans que j'avais dŽjˆ vue une fois chez les parents de Beno”t : elle s'approcha de Beno”t avec des manires singulirement affectueuses : celui-ci, pur et innocent, ne souponnait rien de mauvais chez elle. Mais je vis que cette puretŽ lui Žtait odieuse et qu'elle avait pour lui un amour criminel. Je vis qu'elle lui donna ˆ boire de la liqueur contenue dans un petit flacon et qu'il y avait dans ce breuvage quelque chose qui empoisonnait, qui ensorcelait. Il ne souponnait rien de cela : mais je le vis le soir dans sa cellule, trs-agitŽ et trs-tourmentŽ, aller trouver un homme auquel il demanda la permission d'aller dans la cour : il ne sortait jamais sans permission. Alors je le vis la nuit, dans un coin de la cour, se frapper le dos avec de longues branches Žpineuses et des orties. Je vis que plus tard, Žtant anachorte, il secourut cette femme qui avait voulu le corrompre et qui Žtait dans une grande dŽtresse, prŽcisŽment parce qu'elle Žtait son ennemie. Il avait ŽtŽ instruit de sa tentative criminelle par une rŽvŽlation intŽrieure.

           Ç Je vis aprs cela Beno”t sur une haute montagne pleine de rochers. Il pouvait avoir vingt et quelques annŽes. Je vis comment il se tailla une cellule dans le rocher, et comment il y avait ajoutŽ un passage et une autre cellule, puis plusieurs cellules toutes creusŽes dans le roc. Cependant la premire seule avait une sortie ˆ l'extŽrieur. Je vis aussi qu'il les vožta par en haut et en orna la vožte de plusieurs tableaux qui semblaient faits d'un assemblage de petites pierres. Je vis dans une cellule trois tableaux de ce genre; le ciel Žtait figurŽ en haut : sur l'un des c™tŽs Žtait reprŽsentŽe la NativitŽ du Christ, sur l'autre le jugement dernier. Je me souviens que, dans ce dernier tableau, Notre-Seigneur Žtait assis sur une arcade et qu'un glaive sortait de sa bouche : au-dessus, entre les Žlus et les rŽprouvŽs, se tenait un ange avec une balance. Il avait en outre reprŽsentŽ un monastre, un homme qui semblait un abbŽ et, derrire lui, beaucoup de moines : il semblait qu'il ežt vu d'avance son propre monastre. È

           Ç Je vis sa soeur, qui Žtait toujours chez ses parents, lui rendre plusieurs fois des visites qu'elle faisait ˆ pied. Mais il ne souffrait jamais qu'elle pass‰t la nuit : elle lui portait parfois un rouleau Žcrit de sa main et il lui montrait aussi ce qu'il avait Žcrit ou fait. Ils s'entretenaient des choses de Dieu. Je vis aussi qu'il avait plantŽ en avant de sa cellule une allŽe de verdure, comme un chemin de procession. Il Žtait toujours trs-grave quand sa soeur Žtait prs de lui, et celle-ci, toute pleine de na•vetŽ et d'innocence, se montrait extraordinairement amicale et enjouŽe. S'il n'Žtait pas aussi communicatif qu'elle l'ežt voulu, elle s'adressait ˆ Dieu, le priait, et son frre devenait aussit™t doux et affectueux. Je la vis, plus tard, sous la direction de Beno”t, diriger un couvent sur une autre montagne, ˆ une petite journŽe de marche : une trs-grande quantitŽ de religieuses vinrent ˆ elle. Je vis qu'elle leur apprenait le chant. Il n'y avait pas lˆ d'orgues : les orgues ont ŽtŽ trs-nuisibles et ont fait du chant une chose tout ˆ fait subordonnŽe. Je vis aussi qu'elles prŽparaient elles-mmes tous les ornements de leur Žglise et cela, par un travail ˆ l'aiguille comme celui que Scolastique avait appris ˆ faire dans son enfance. Je vis aussi qu'elles avaient disposŽ sur la table o elles mangeaient une grande couverture o Žtaient reprŽsentas les objets les plus variŽs : il y avait toute sorte d'images, d'ornements et aussi des sentences, le tout arrangŽ de manire que chaque religieuse avait toujours sous les yeux, ˆ la place qu'elle occupait, des choses qui reprŽsentaient ce qu'elle Žtait particulirement chargŽe de faire. Elle m'a aussi dit beaucoup de choses aimables et consolantes sur le travail spirituel et le travail des personnes ecclŽsiastiques. È

Ç Je vis toujours que saint Beno”t et elle Žtaient fort entourŽs d'oiseaux familiers. Quand elle Žtait encore chez ses parents, je vis des colombes voler d'elle ˆ Beno”t qui Žtait dans le dŽsert. Dans le monastre, je vis prs d'elle des pigeons et des alouettes qui lui apportaient des fleurs blanches, jaunes, rouges et violettes. Je vis un jour une colombe lui apporter une rose avec une feuille. J'eus encore sur elle beaucoup de visions que je ne puis pas rapporter, je suis trop faible et trop misŽrable. Elle Žtait parfaitement pure : je la vois dans le ciel blanche comme la neige. Je ne connais rien d'aussi aimant exceptŽ, Marie et Madeleine. >

 

Sainte Eulalie.

(note) Elle avait souvent senti et manifestŽ le voisinage de la sainte relique et elle avait dit : Ç Il doit y avoir dans mon Žglise une sainte Culalie. Elle est de Barcelone. È Comme le nom lui avait ŽtŽ montrŽ en vision, Žcrit en petits caractres romains, elle avait lu C au lieu dÕE.

 

           Ç Parmi les reliques se trouvaient deux dents sous le nom de sainte Eulalie. Mais Anne Catherine les ayant eues quelque temps prs d'elle, fit cette dŽclaration : Ç Une seule des dents est de la sainte vierge martyre Eulalie de Barcelone : l'autre dent est d'un prtre qui n'a reu les saints ordres qu'ˆ un ‰ge avancŽ. Je l'ai vu faire beaucoup de voyages peur secourir des veuves et des orphelins. La dent de sainte Eulalie lui fut arrachŽe environ six mois avant son martyre. Je vis comment cela se passa. Eulalie se fit arracher cette dent qui lui causait de vives douleurs dans la maison d'une vierge son amie, parce que sa mre, par suite de sa tendresse un peu molle, ne voulait pas que la chose se f”t dans la maison paternelle. Le vieillard qui arracha la dent Žtait un chrŽtien. Il Žtait assis sur un siŽge peu ŽlevŽ et Eulalie assise par terre devant lui, le dos tournŽ de son c™tŽ. Elle renversa la tte vers lui et il arracha la dent trs-promptement avec un instrument terminŽ par une cavitŽ s'adaptant ˆ la dent et muni d'un manche avec une poignŽe transversale. Aussit™t aprs avoir retirŽ la dent, il la prŽsenta aux deux jeunes filles dans l'instrument et elles se mirent ˆ rire. L'amie d'Eulalie la pria de lui faire prŽsent de sa dent et elle y consentit. Toutes les amies d'Eulalie la tenaient en grande estime. Aprs son martyre, cette dent devint un objet beaucoup plus prŽcieux : c'Žtait une relique sacrŽe pour celle qui la possŽdait. Aprs sa mort, je la vis successivement en la possession de deux autres femmes : puis, ˆ une Žpoque postŽrieure, je la vis dans une Žglise o on la conservait dans un vase d'argent qui avait la forme d'un petit encensoir et o on l'avait suspendue devant une image de sainte Apollonie. Apollonie n'y Žtait pas reprŽsentŽe vieille, mais jeune encore, avec une tenaille ˆ la main et un bonnet pointu sur la tte. Plus tard, lorsque toute l'argenterie de cette Žglise fut enlevŽe, je vis la dent au pouvoir d'une personne consacrŽes ˆ Dieu, loin du pays d'Eulalie. On avait brisŽ un petit morceau d'une des racines de la dent, lequel est aussi conservŽ comme relique. Je vois la dent briller, mais non avec l'Žclat des ossements qui ont souffert le martyre. Je la vois briller par suite de l'innocence d'Eulalie, de l'ardent dŽsir de mourir pour JŽsus-Christ dont elle Žtait ds lors animŽe et de la grande souffrance qu'elle supporta patiemment ˆ l'occasion de cette dent. Je ne vois pas les ossements que les saints ont perdus avant leur martyre briller avec les couleurs de l'aurŽole qui distingue ceux qui existaient au moment du supplice. A la lumire de cette dent, il manque encore le martyre du reste du corps. Les parents d'Eulalie, Žtaient des gens de distinction qui habitaient une grande maison autour de laquelle il y avait des oliviers et beaucoup d'arbres avec des fruits jaunes. Ils Žtaient chrŽtiens, mais un peu tides : ils ne laissaient rien voir de leur christianisme. Eulalie Žtait intimement liŽe avec une personne plus ‰gŽe, qui Žtait une chrŽtienne trs-zŽlŽe et qui habitait une dŽpendance de la maison des parents d'Eulalie o elle s'occupait de grands travaux de broderie. Je vis Eulalie et cette personne travailler ˆ l'aiguille et confectionner des ornements d'Žglise. Je les vis coudre sur les Žtoffes des figures dŽcoupŽes. Elles faisaient cela en secret, pendant la nuit. Elles avaient prs d'elles une lampe et, devant la flamme, quelque chose de transparent comme du verre qui donnait beaucoup de clartŽ. Je vis souvent Eulalie prier seule dans sa chambre devant une simple croix qu'elle avait faite avec du buis. Elle Žtait consumŽe d'un ardent dŽsir de confesser publiquement JŽsus-Christ qui lui montrait souvent en vision la couronne du martyre. Je la vis aussi se promener avec d'autres jeunes filles et manifester devant elles ce dŽsir qu'elle n'osait pas exprimer dans la maison paternelle.È

 

Sainte Walburge.

 

           Anne Catherine prit dans Ç son Žglise È un ossement provenant d'un doigt, garda le silence pendant quelques minutes et dit ensuite : Ç Quelle aimable petite religieuse ! Si pleine de clartŽ: si belle! si transparente! C'est Walburge. Je vois son couvent. È Elle vit alors des scnes de sa vie et la levŽe de son corps et elle raconta ce qui suit. Ç J'ai ŽtŽ conduite par deux bienheureuses nonne dans une Žglise o l'on faisait une grande fte comme si c'Žtait la translation du corps de la sainte ou sa canonisation. Il y avait lˆ un Žvque qui veillait ˆ tout et assignait ˆ chacun sa place. Ce n'Žtait pas l'Žglise du couvent o elle avait vŽcu, cela se passait dans un autre endroit plus considŽrable. Il s'Žtait rassemblŽ plus de personnes que je n'en ai jamais vues prs de la croix de Coesfeld. La plupart furent obligŽes de rester en plein air devant l'Žglise. J'Žtais prs de l'autel, ˆ peu de distance de la sacristie, et les deux religieuses auprs de moi. Sur les marches de l'autel Žtait un coffre blanc, trs-simple dans lequel Žtait couchŽ le corps de la sainte. Le linceul blanc qui la recouvrait Žtait relevŽ et pendait des deux c™tŽs du coffre. Le corps Žtait blanc comme la neige, on l'aurait dit vivant; les joues Žtaient vermeilles. Walburge avait toujours eu le teint dŽlicat d'un jeune enfant. Alors la fte commena : c'Žtait une messe solennelle. Mais je ne pus pas rester : il me sembla tomber eu dŽfaillance et je me vis couchŽ par terre, appuyŽe sur mon bras : mes deux compagnes Žtaient assises prs de ma tte et de mes pieds. Je vis aussi comment une abbesse du monastre deWalburge, pŽtrissait dans la sacristie trois espces de p‰tes pour faire des petits pains: deux de ces p‰tes Žtaient de bonne qualitŽ, la troisime trs-grossire, de farine blanche, mais pleine de petites pailles. Je me demandais ˆ qui on devait en donner. Alors je perdis de vue la fte de l'Žglise qui disparut au-dessous de moi et j'allai dans un jardin cŽleste o je vis la rŽcompense de sainte Walburge dans le ciel. Je la vis dans un jardin cŽleste avec Beno”t, Scolastique, Maur, Placide et plusieurs autres saints religieux de l'ordre de S. Beno”t. Il y avait lˆ une table avec des fleurs et des plats merveilleux. Walburge Žtait au haut bout de la table et toute entourŽe de guirlandes et d'arcades de fleurs. Lorsque je redescendis dans l'Žglise, la fte Žtait terminŽe : mais je reus de l'abbesse et de l'Žvque un pain fait de la p‰te grossire. Il Žtait marquŽ du chiffre IV : les pains de bonne qualitŽ furent donnŽs ˆ mes compagnes. L'Žvque me dit que mon pain Žtait pour moi seule et que je ne devais pas en donner ˆ d'autres. Alors il me conduisit au dehors devant la porte de l'Žglise o les religieuses de Sainte-Walburge avaient leur place marquŽe et chacune un petit prie-Dieu. J'eus encoreune vision relative ˆ Walburde;, je vis comment, peu de temps avant sa bienheureuse fin, elle fut trouvŽe comme morte ˆ son prie-Dieu. Son frre Willibald fut appelŽ et il lui trouva le visage et les mains couverts de blanches gouttes de rosŽe semblables ˆ la manne. Willibald recueillit cette rosŽe dans une Žcuelle brune et la donna aux religieuses qui la conservrent comme une sainte relique et, aprs la mort de Walburge, opŽrrent par son moyen beaucoup de guŽrisons. Lorsqu'elle revint ˆ elle, Willibald lui donna la communion. Cette rosŽe Žtait l'image qui figurait d'avance l'huile de sainte Walburge. Je vis que l'huile de sainte Walburge commena ˆ couler un jeudi ˆ cause de la grande dŽvotion qu'avait la sainte au Saint-Sacrement et ˆ la sueur de sang du Sauveur au jardin des Oliviers. Toutes les fois que je prends de cette huile, je me sens comme rafra”chie par une rosŽe cŽleste. Elle m'a ŽtŽ bien utile dans de cruelles maladies. Walburge Žtait pleine de la charitŽ la plus affectueuse envers les pauvres. Elle les voyait en vision et savait avant qu'ils vinssent ˆ elle, dans quelle mesure elle devait leur distribuer le pain. Elle donnait des pains entiers; des moitiŽs de pain et de plus petits morceaux qu'elle-mme coupait. Elle distribuait aussi de l'huile : il me sembla que cՎtait de l'huile de pavot trs-Žpaisse, qu'elle y mlait du beurre, l'Žtendait sur le pain destinŽ aux pauvres et leur en donnait aussi pour la cuisine. C'est ˆ cause de cette bontŽ de l'influence calmante et consolante de sa douceur et de affectueuses paroles que ses reliques ont reu la propriŽtŽ de distiller de l'huile. Elle protge aussi contre les chiens furieux et les btes sauvages. J'ai vu en vision comment visitant lˆ nuit la fille malade d'un gentilhomme du voisinage, elle fut assaillie par les chiens furieux de celui-ci et comment elle les chassa loin d'elle. Elle portait une robe brune assez juste, une large ceinture et un voile blanc couvert d'un voile noir. C'Žtait l'habillement des personnes pieuses ˆ cette Žpoque plut™t qu'un vtement proprement monastique. Je vis aussi un miracle qui arriva lors des grands plerinages qui furent faits ˆ son tombeau. Deux voleurs se joignirent ˆ un plerin qui s'y rendait. Il partageait son pain avec eux : mais ils l'assassinrent pendant qu'il dormait. L'un d'eux, voulant emporter le cadavre sur son dos pour l'enfouir, ne put pas s'en dŽcharger: il resta attachŽ ˆ lui comme une partie de lui-mme. Je le vis ainsi errer de c™tŽ et d'autre avec le cadavre : je le vis se jeter dans l'eau avec lui, mais la rivire ne voulut pas le garder. Il ne put pas aller au fond et il fut jetŽ sur l'autre bord avec le cadavre. Un autre voulut un jour couper les mains du mort avec son ŽpŽe, mais il ne put pas y rŽussir ; il resta lui-mme fortement liŽ au cadavre jusqu'ˆ ce qu'il s'en dŽlivr‰t par la prire. È Lorsque le Plerin objecta ˆ ce rŽcit qu'il Žtait singulier qu'elle v”t comme vŽritables tant de choses Žtranges et de prodiges qui Žtaient niŽs mme par des prtres pieux, elle rŽpondit : Ç On ne peut dire combien toutes les choses de ce genre paraissent simples, naturelles et bien liŽes quand on les voit dans l'Žtat contemplatif, et combien au contraire est irrŽflŽchi, dŽraisonnable et mme empreint de folie, tout ce que font et disent raconte les gens soi-disant ŽclairŽs. Souvent des personnes qui se croient trs-intelligentes et qui passent pour telles me paraissent dans un Žtat de dŽraison qui pourrait les faire mettre dans une maison de fous. È

 

Les saints martyrs Pascal et Cyprien.

 

           Ç Lorsque je pris mon Žglise pour ranger et vŽnŽrer les saintes reliques, je reconnus un fragment de l'os d'un bras comme appartenant au saint martyr Pascal.

(note) Elle eut cette vision le 26 fŽvrier 1821 et regarda en consŽquence ce jour comme Žtant celui de la commŽmoration annuelle du martyre ou de la dŽcouverte merveilleuse du corps de ces saints lesquels, d'aprs ce que rapportent les Acta sanctorum, furent donnŽs le 26 fŽvrier 1646 par le cardinal Altieri au collge des jŽsuites d'Anvers. Le corps de saint Cyprien fut plus tard donnŽ au collge de Malines.

 

 Je le vis ds son enfance paralytique, quoique du reste bien constituŽ. Son pre perdit la vie dans une persŽcution contre les chrŽtiens, et je le vis aprs cela avec sa soeur chez un frre beaucoup plus ‰gŽ qui avait pour fils un prtre du nom de Cyprien. Je vis celui-ci dire la messe dans un souterrain. Ils habitaient contre des murs en ruine et mme dans des tombeaux souterrains. Cyprien fit preuve d'une charitŽ incroyable envers le paralytique Pascal qui ne pouvait faire usage

d'aucun de ses membres. Je vis qu'ˆ l'‰ge de seize ans, Pascal demanda ˆ tre portŽ au tombeau d'un martyr. Il y AVait une vingtaine de personnes, dont Žtait Cyprien, qui le portrent sur une civire ˆ un lieu o il y avait eu des martyres. Il Žtait tellement contrefait que ses genoux touchaient son menton. Ils allrent en silence dans le voisinage des prisons ˆ un endroit o un saint avait ŽtŽ soit martyrisŽ, soit enterrŽ, je ne me souviens plus bien de ce dŽtail. Ils se mirent alors en prire : Pascal Žtait dans une espce de litire qu'on pouvait hausser et baisser, selon la posture qu'il voulait prendre. Je vis qu'il pria avec

ferveur ainsi que tous les autres et que, tout d'un coup, il se trouva guŽri et jeta loin de lui ses bŽquilles. Il avait la ferme confiance que Dieu l'assisterait en ce lieu. Je les vis tous remercier Dieu pleins de joie et embrasser Pascal qui revint avec eux en pleine santŽ. Je vis alors, dans une sŽrie de tableaux, combien il Žtait pieux et charitable et avec quel zle il assistait Cyprien, le fils de son frre, dans les soins qu'il donnait aux pauvres. Je le vis porter sur ses Žpaules des gens qui ne pouvaient pas marcher. Son frre a”nŽ mourut : je vis qu'on l'enterra secrtement. Aprs cela il y eut une grande persŽcution : c'Žtait, je crois, sous lÕempereur NŽron. Une grande quantitŽ de chrŽtiens, hommes, femmes et jeunes filles, furent menŽs ensemble sur une place de la ville. On leur fit subir un court interrogatoire et on les livra ˆ des supplices de toute espce. On courbait des arbres rangŽs en ligne et l'on attachait les chrŽtiens par un membre ˆ l'un de ces arbres et par l'autre membre ˆ celui qui Žtait vis-ˆ-vis : alors on les laissait se redresser et les chrŽtiens Žtaient dŽchirŽs. Je vis les jeunes filles pendues par les pieds de faon que leur tte touchait presque la terre : leurs mains Žtaient liŽes derrire le dos et des animaux tachetŽs, semblables ˆ des chats, leur dŽvoraient le sein quand elles Žtaient encore pleines de vie. Je vis que, lors de cette persŽcution, la soeur de Pascal s'enfuit avec d'autres dans un asile ŽloignŽ. Mais je vis Pascal et Cyprien visiter les lieux o on suppliciait les martyrs et consoler leurs amis. Au commencement on les repoussait, mais, s'Žtant fait conna”tre comme chrŽtiens, ils furent interrogŽs et martyrisŽs avec les autres. Je vis en outre de grandes pierres plates entre lesquelles les chrŽtiens Žtaient placŽs et ŽcrasŽs, les bras et les jambes pendant au dehors. Quelquefois on en mettait deux face ˆ face, l'un sur l'autre et on les Žcrasait ensemble. Pascal et Cyprien furent pressŽs entre deux de ces pierres plates, l'un ˆ c™tŽ de l'autre. J'eus alors une vision d'un temps postŽrieur. Je vis les chrŽtiens plus libres : ils pouvaient visiter et honorer les tombeaux des saints. Je vis un pre et une mre porter entre eux un enfant paralytique dŽjˆ grand ˆ travers un champ o beaucoup de martyrs Žtaient enterrŽs. Il y avait dŽjˆ par endroits des monuments et de petites chapelles au-dessus des tombeaux. A la limite du cimetire qui reut le nom du pape saint Calliste, les parents s'arrtrent avec l'enfant paralytique ˆ un endroit o il n'y avait que du gazon : car l'enfant avait dit que lˆ Žtaient enterrŽs deux saints qui l'assisteraient, et je le vis se lever droit et bien portant. Je crois qu'il les nomma par leurs noms. Je vis alors le pre, pendant que la mre et l'enfant remerciaient Dieu ˆ genoux, courir ˆ la ville et annoncer la gr‰ce reue. Je vis des hommes venir avec lui : il y avait parmi eux des prtres. Ils creusrent la terre avec prŽcaution et je vis les corps des deux saints couchŽs l'un ˆ c™tŽ de l'autre. Les bras qui se touchaient Žtaient entrelacŽs. Ils Žtaient trs bien conservŽs, tout blancs et comme dessŽchŽs. Le tombeau Žtait quadrangulaire et lˆ o reposaient les bras entrelacŽs, le petit mur de sŽparation Žtabli entre les deus corps Žtait interrompu. On ne les dŽterra pas entirement. Mais je vis qu'on fit lˆ une fte, que le tombeau fut arrangŽ avec soin et qu'on y dŽposa un Žcrit. Il fut refermŽ et on Žleva au dessus un toit supportŽ par quatre ou six colonnes et que l'on couvrit de gazon. Je vis cro”tre au-dessus diverses plantes dont une avec des feuilles Žpaisses et grasses, formant une grosse touffe comme la joubarbe. Sous ce toit on cessa une pierre ˆ laquelle s'appuyait un autel. A la surface de cet autel, je vis une cavitŽ qu'on pouvait fermer. Une inscription fut mise sur la pierre ŽrigŽe verticalement. Je vis cŽlŽbrer la sainte messe et distribuer le Saint-Sacrement. Les communiants tenaient sous leur menton un plat avec un linge blanc. Les saints corps restrent enterrŽs lˆ : mais la construction qui Žtait au-dessus fut plus tard dŽtruite. È

Ç Je vis dans une autre vision comment, longtemps aprs, on ouvrit lˆ plusieurs tombeaux et l'on enleva les saints ossements. Je vis qu'on enleva, entre autres, les corps de Pascal et de Cyprien qui Žtaient ˆ lՎtat de squelettes et rangŽs en bon ordre. Je les ai vus aussi renfermŽs dans deux petites caisses carrŽes : des jŽsuites d'Anvers les obtinrent, et je vis ˆ cette occasion une fte trs-solennelle avec une procession ; je vis aussi qu'on les ench‰ssa richement et ils furent mis dans de belles armoires. È

 

PerpŽtue et FŽlicitŽ.

 

Le 27 fŽvrier 1820, elle raconta ce qui suit : Ç Cette nuit, comme je commenais ˆ me plaindre ˆ Dieu de mon triste Žtat, je reus de justes reproches sur ce que je me lamentais ainsi, entourŽe, comme je l'Žtais, d'un grand trŽsor de reliques que d'autres n'avaient acquises qu'au prix de longs voyages, et ayant mme le bonheur de vivre avec ces saints personnages et de voir ce qu'ils avaient fait et ce qu'ils avaient ŽtŽ. Je sentis alors combien j'avais tort, et je vis une grande troupe de saints dont les reliques sont prs de moi. Je vis lˆ beaucoup de choses de la vie de sainte PerpŽtue et comment ds son enfance, elle avait des visions qui reprŽsentaient d'avance son martyre; cela me remit en mŽmoire un songe de mon enfance d'aprs lequel je ne devais avoir pour toute nourriture que du pain noir et de l'eau. Je croyais que je serais rŽduite la mendicitŽ. Je pensai alors que le pain noir que j'avais reu de sainte Walburge se rapportait ˆ ce songe. Je vis aussi tout le supplice des saintes PerpŽtue et FŽlicitŽ et de plusieurs autres qui furent martyrisŽs au mme endroit, avec elles et aprs elles. Je les vis attaquŽs et dŽchirŽs par des btes. Ayant ainsi parlŽ, elle prit dans sa main une des reliques, la mit sur son coeur, la baisa et dit: Ç PerpŽtue est prs de moi. È Alors elle prit une autre petite relique et dit : Ç Ceci est quelque chose de trs-prŽcieux. C'est un ossement d'un jeune garon qui souffrit fort courageusement le martyre avec deux soeurs, son pre et sa mre : il Žtait en prison avec sainte PerpŽtue : il fut bržlŽ vif. L'ossement rŽpand une vive clartŽ. C'est un Žclat tout ˆ fait merveilleux, une gloire du plus beau bleu traversŽe par des rayons dorŽs et c'est dans une gloire semblable qu'a lieu l'apparition de l'enfant martyr. Cette lumire rŽconforte ˆ un point que je ne puis exprimer. Au commencement, j'ai cru que PerpŽtue et FŽlicitŽ avaient ŽtŽ martyrisŽes ˆ Rome parce que je les ai vues livrŽes au supplice dans un Ždifice comme il y en a ˆ Rome, mais je sais maintenant que d est dans un lieu trs-ŽloignŽ de cette ville. Le petit garon est mort par le supplice du feu : il y avait dans une enceinte fermŽe par des murs de petites Žminences surmontŽes de poteaux ou de siges sur lesquels on plaait les martyrs pour tre bržlŽs. On allumait le feu tout autour du monticule. È

 

2 mars. Ç Ayant prŽs de moi la relique de sainte PerpŽtue, j'ai vu beaucoup de choses touchant sa captivitŽ et aussi son martyre: mais le dois voir tout cela plus clairement le jour de sa fte. J'ai vu les saints dans une prison souterraine de forme ronde, dans laquelle ils Žtaient sŽparŽs les uns des autres par des grilles, en sorte qu'ils pouvaient s'entretenir ensemble et mme se donner la main. II faisait trs-sombre dans cette prison, cependant je vis de la lumire briller autour d'eux. Au-dessus de la prison Žtait une vieille b‰tisse. Chacun Žtait assis seul dans sa cage. La porte de cette prison Žtait comme une porte de cave qu'on levait. Il y avait en outre dans le plafond environ quatre ouvertures grillŽes. Outre PerpŽtue et FŽlicitŽ, je vis quatre hommes. PerpŽtue avait avec elle son enfant qu'elle allaitait; FŽlicitŽ, qui Žtait enceinte, se trouvait dans le cachot voisin. PerpŽtue Žtait grande et imposante dans tous ses mouvements, elle Žtait forte et bien faite. Toutes ces personnes avaient des cheveux noirs. FŽlicitŽ Žtait beaucoup plus petite, plus dŽlicate et plus gracieuse. PerpŽtue parlait ˆ tous nettement et Žnergiquement, et elle relevait le courage de tous les captifs. Il y avait dans une partie ŽloignŽe de la prison d'autres personnes en plus grand nombre. Le courageux petit martyr Žtait assis prŽs de son pre dans un compartiment ˆ part; sa mre avec les deux jeunes filles Žtait dans un autre, sŽparŽ du premier par un mur ˆ travers lequel je voyais. J'ai vu dans cette prison les amis des captifs s'entretenir avec eux. Devant la grille de PerpŽtue je vis un vieillard accablŽ de tristesse, il s'arrachait les cheveux et pleurait beaucoup. Il n'Žtait pas chrŽtien : je crois que c'Žtait son pre. Je vis avec les soldats un officier compatissant ; il portait souvent ˆ PerpŽtue du pain ou quelque autre chose qu'elle distribuait ˆ ses compagnons. PerpŽtue avait prŽs d'elle un Žcrit qu'elle cachait soigneusement. Ils portaient des habits de prisonniers, longs et assez Žtroits : ceux des femmes Žtaient de laine blanche grossire; ceux des hommes de couleur plus foncŽe. Je vis que les prisons des hommes Žtaient plus prs de l'entrŽe et celles des femmes plus au centre. Je vis un jeune homme mourir parmi eux dans la prison. Son corps fut enlevŽ par les siens qui l'enterrrent. Je vis un soir PerpŽtue s'entretenir avec un homme; ensuite, pendant la nuit, je vis prs d'elle, comme elle dormait couchŽe par terre sur le c™tŽ, une nouvelle vision. Tout l'espace s'Žclaira et je vis pour la premire fois ˆ cette lumire l'ensemble de la prison et comment tous Žtaient couchŽs et dormaient ou bien priaient. Je vis dans cette clartŽ une merveilleuse Žchelle qui atteignait jusqu'au ciel, et en bas, ˆ droite et ˆ gauche, deux dragons dont la tte Žtait tournŽe vers l'extŽrieur. L'Žchelle s'Žlevait jusqu'au ciel et semblait aboutir par en haut ˆ un jardin. Elle consistait en une perche singulirement mince pour sa hauteur, en sorte que je m'Žtonnais qu'elle ne se bris‰t pas, et de laquelle partaient ˆ droite et ˆ gauche des Žchelons qui pourtant ne se correspondaient pas : ˆ l'endroit o le court Žchelon faisait saillie ˆ gauche, le cotŽ droit de la perche Žtait hŽrissŽ d'une quantitŽ de crochets, de pieux et d'instruments de supplice, et cela se rŽpŽtait alternativement. Il Žtait presque incomprŽhensible que quelqu'un pžt monter lˆ. Je vis pourtant une figure monter la premire, puis, quand elle fut tout ˆ fait en haut, se tourner et descendre de l'autre c™tŽ comme si elle voulait aider un autre ˆ monter. Alors je vis l'image de PerpŽtue, qui Žtait couchŽe lˆ et dormait, marcher sur la tte d'un dragon qui courba le cou trs-docilement ; je la vis monter et d'autres aprs elle, puis je les vis en haut dans un jardin au milieu duquel se trouvaient plusieurs figures qui les rŽconfortrent. Je vis une autre fois, prŽs de PerpŽtue qui dormait, l'image d'un petit frre dŽfunt. Je vis alors un grand espace obscur et je vis l'enfant, qui semblait tre dans un triste Žtat, se tenir, dŽvorŽ par la soif, prs d'un bassin plein d'eau, mais dont le bord Žtait si ŽlevŽ qu'il ne pouvait pas y puiser. Lorsque PerpŽtue eut la vision de l'Žchelle, je vis ˆ la clartŽ qui s'Žtait faite dans la prison que FŽlicitŽ, sa voisine, n'Žtait pas encore accouchŽe. Je vis ensuite que tous Žtaient prosternŽs, le visage contre terre, et priaient, et je vis aprs cela un petit enfant couchŽ sur les genoux de FŽlicitŽ. Je vis qu'une femme qui pleurait et semblait trs-triste prit cet enfant et que FŽlicitŽ le lui remit avec joie. È

Ç Je vis les martyrs conduits au supplice. On les fit sortir de la prison entre deux rangs de soldats qui les poussaient de c™tŽ et d'autre d'une manire qui faisait pitiŽ. La place on le martyre avait lieu Žtait divisŽe en plusieurs parties qui dŽpendaient les unes des autres : ce n'Žtait pas tout ˆ fait disposŽ comme ˆ Rome. Sur le chemin je vis deux personnes montrer ˆ PerpŽtue son enfant. Ils arrivrent d'abord pris d'une porte o tout le cortge s'arrta et o il y eut une contestation avec les prisonniers ˆ propos de quelque chose qu'ils refusaient de faire sur les exhortations de PerpŽtue. Plus tard les personnes qui avaient l'enfant avec elles vinrent encore ˆ la rencontre de celle-ci par un chemin de traverse. Tous ceux qui Žtaient dans la prison en avaient ŽtŽ tirŽs pour assister au martyre. Cette fois, on ne livra au supplice que PerpŽtue, FŽlicitŽ et trois hommes. Je ne puis dire ˆ quel point ces martyrs Žtaient beaux ˆ voir. Les deux femmes Žtaient comme transfigurŽes et les hommes adressaient des exhortations pleines de hardiesse ˆ la foule des spectateurs. Je vis ensuite qu'on les fit marcher lentement entre deux rangs de bourreaux qui leur dŽchiraient les Žpaules ˆ coups de fouet. Puis je vis deux des martyrs mis en prŽsence d'un animal ressemblant ˆ un Žnorme chat tachetŽ : il bondit sur eux plein de fureur, mais il leur fit peu de mal. Je les vis aussi tra”nŽs par un ours. Ensuite on l‰cha sur un troisime un sanglier, mais il se retourna contre le bourreau qui fut emportŽ tout sanglant.. È

 

3 mars. Ç PerpŽtue et FŽlicitŽ vinrent prs de moi et me donnrent ˆ boire. J'eus alors des visions du temps de leur jeunesse. Je les vis avec dix autres jeunes filles jouer dans un jardin de forme ronde. Il Žtait entourŽ d'un mur, et on y voyait beaucoup d'arbres d'un part ŽlŽgant dont la hauteur trŽpassait la taille humaine et qui Žtaient entrelacŽs ensemble par le haut. Au milieu du jardin Žtait un pavillon rond sur le toit duquel on pouvait se promener. Il y avait au-dessus une statue blanche de la hauteur d'un enfant qui avait une main levŽe, l'autre baissŽe, et tenait quelque chose entre les deux. Je vis que le toit Žtait bordŽ d'une grille pour qu'on ne pžt pas tomber. PrŽs de ce pavillon Žtait une fontaine jaillissante, entourŽe d'une grille ŽlevŽe, tellement remplie de pointes et de piquants que les enfants ne pouvaient pas y grimper : mais ils pouvaient, au moyen d'une ouverture pratiquŽe en avant, faire couler l'eau hors de la grille dans des bassins de pierre peu profonds et en forme de conque prŽs desquels ils jouaient. Ils jouaient aussi avec des poupŽes ˆ ressorts et avec de petits animaux de bois. Je vis souvent les deux saintes s'Žloigner des autres et s'embrasser tendrement: j'appris par lˆ qu'elles s'Žtaient toujours beaucoup aimŽes ds leurs jeunes annŽes; qu'elles s'Žtaient promis de ne jamais se sŽparer et que souvent, dans leurs jeux, elles faisaient comme si elles Žtaient des chrŽtiennes, qu'on martyrisait et qui ne voulaient pas se quitter mme dans la mort. Sainte Monique dont j'ai une relique m'a dit que la ville s'appelle Carthage. È

 

6 mars. Ç J'ai ŽtŽ jusqu'ˆ deux heures avec PerpŽtue et FŽlicitŽ et j'ai vu constamment des scnes de leur jeunesse jusqu'ˆ leur emprisonnement. Elles n'habitaient pas l'endroit o elles furent mises en prison et martyrisŽes, mais ˆ une demi-lieue environ, dans un faubourg moins bien b‰ti et o les maisons ne se touchaient pas d'aussi prs. Cet endroit Žtait reliŽ ˆ la grande ville par un chemin bordŽ de deux murs peu ŽlevŽs, qui passait sous plusieurs hautes portes cintrŽes. La maison des parents de PerpŽtue Žtait sur une place ouverte : elle Žtait assez grande et les parents paraissaient des gens de distinction. Il y avait une cour fermŽe avec un pŽristyle intŽrieur, mais ce n'Žtait pas tout ˆ fait comme dans la maison d'Agns ˆ Rome. On voyait aussi des statues dans le passage. Devant la maison Žtait la place: derrire, mais non pas tout contre le jardin rond que j'ai vu rŽcemment. Je vis que la mre de PerpŽtue Žtait chrŽtienne en secret et savait quelle Žtait la croyance de ses enfants. Il y avait des jeunes gens dans la maison : le pre seul Žtait pa•en et resta tel. Je vis que les parents de FŽlicitŽ, qui Žtait plus jeune que PerpŽtue, Žtaient de trs pauvres gens, habitant de l'autre c™tŽ de la villa une misŽrable petite maison qui Žtait b‰tie dans le mur d'enceinte. La mre Žtait une femme brune, vive, assez grasse, et le pre Žtait dŽjˆ avancŽ en ‰ge ˆ l'Žpoque du martyre. Je vis ces gens porter au marchŽ dans des paniers des fruits ou des lŽgumes. Je vis souvent PerpŽtue aller les voir. Etant jeune fille, elle Žtait dŽjˆ trs-liŽe avec FŽlicitŽ, et ses frres et d'autres jeunes gens avaient avec elles des relations trs-innocentes. Je les vis souvent ensemble dans ce jardin dont j'ai parlŽ. PerpŽtue et FŽlicitŽ, dans leurs jeux d'enfants, Žtaient toujours chrŽtiennes et martyres. Et je vis PerpŽtue ds sa jeunesse faire le bien et propager la foi chrŽtienne avec une hardiesse vraiment hŽro•que. Je la vis aussi, ˆ cause de cela, courir des dangers auxquels elle Žchappait toujours. Les parents de FŽlicitŽ Žtaient chrŽtiens en secret. Celle-ci Žtait gracieuse et dŽlicate et, ˆ proprement parler, plus belle que PerpŽtue qui avait des traits un peu plus forts et plus marquŽs et quelque chose de hardi et de viril dans ses allures. Toutes deux avaient le teint assez brun, comme tous les gens de ce pays, et leurs cheveux Žtaient noirs. Je vis PerpŽtue jeune fille aller souvent chez FŽlicitŽ et je vis aussi leurs futurs maris : ils Žtaient trs-pieux, doux de caractre et chrŽtiens en secret. PerpŽtue avait appris par une vision que, si elle se mariait, elle arriverait plus t™t au martyre. Elle avait vu dans cette vision une grande partie de ses supplices et aussi le mŽcontentement de son pre. PerpŽtue arrangea le mariage de FŽlicitŽ : elle-mme Žtait dŽjˆ mariŽe. Elle soutint aussi son amie dans sa pauvretŽ. Le mari de PerpŽtue, ˆ ce qu'il me parut, Žtait d'une condition fort au-dessous de la sienne. Elle paraissait l'avoir pris uniquement ˆ cause de sa vertu. Quand elle quitta pour lui la maison paternelle, elle fut vue de mauvais oeil par certains amis et je la vis aller seule avec lui : son pre aussi paraissait peu satisfait de cette union. Le mari de FŽlicitŽ Žtait un bon chrŽtien trs-pauvre. Ils allaient la nuit dans un lieu ŽloignŽ et cachŽ : c'Žtait comme un grand caveau souterrain assez bas et reposant sur des piliers carrŽs : il Žtait hors des murs de la ville sous des Ždifices en ruine. Ils Žtaient lˆ trs-tranquilles, ils voilaient toutes les ouvertures et allumaient des flambeaux. Il y avait bien lˆ une trentaine de personnes, rangŽes en diverses sections. Je n'y ai pas vu cŽlŽbrer le service divin, on donnait seulement des instructions. È

 

           7 mars. Ç Je vis venir deux saints d'un c™tŽ de mon lit, trois saintes de l'autre c™tŽ. C'Žtaient PerpŽtue, FŽlicitŽ et la mre du mari de PerpŽtue, une vieille femme au teint basanŽ: les hommes Žtaient leurs maris. PerpŽtue et FŽlicitŽ me mirent dans un autre lit dŽgagŽ de tous c™tŽs et, qui avait des rideaux bleus attachŽs avec du crpe rouge. La belle-mre apporta devant ce lit une table ronde qui ne touchait pas la terre et y plaa toute sorte de plats merveilleux. Il semblait qu'elle f”t cela au nom de PerpŽtue. Les deux saintes passrent devant mon lit et entrrent dans une autre pice plus grande. Je crus que cette marche silencieuse signifiait quelque chose de f‰cheux pour moi et cela m'affligea. La belle-mre les suivit : les deux martyrs aussi disparurent. Alors je m'aperus que mes mains et mes pieds saignaient et je vis tout ˆ coup venir ˆ moi, comme pour m'assaillir, plusieurs hommes dont l'un disait: Ç Ah! ah! elle mange! È Cela ne dura pas longtemps. Alors les saints revinrent prs de moi et la belle-mre me dit que j'aurais eu une rude persŽcution ˆ supporter ˆ l'occasion du saignement de mes plaies, si l'intercession des saints ne l'avait pas dŽtournŽe ou mitigŽe. Elle ajouta que les trois enfants que j'avais habillŽs pour la communion avaient par leurs prires dŽtourner de moi bien des tribulations, et qu'au lieu de souffrir une nouvelle persŽcution, il me fallait endurer une maladie douloureuse : c'Žtait pour cela que, je recevais tous ces beaux aliments. C'Žtaient des fruits, de jolis pains sur des assiettes d'or avec des inscriptions en lettres bleues, enfin des fleurs. La sainte femme Žtait prs de moi et elle me dit beaucoup de choses. Elle Žtait entourŽe d'une aurŽole toute blanche qui se perdait dans un fond gris. Elle me dit qu'elle Žtait la mre du mari de PerpŽtue et qu'elle avait vŽcu prs d'eux. Elle n'ait pas ŽtŽ mise en prison ni martyrisŽe avec eux : elle Žtait pourtant maintenant prs d'eux, parce que, comme beaucoup d'autres pendant la persŽcution, elle Žtait morte de chagrin et de dŽnuement dans un endroit o elle Žtait cachŽe et que Dieu lui avait comptŽ cela comme martyre.

PerpŽtue et FŽlicitŽ auraient bien pu se dŽrober au supplice, mais perpŽtue le dŽsirait plus qu'elle ne le craignait: quand la persŽcution avait commencŽ, elle avait confessŽ trs-ouvertement sa qualitŽ de chrŽtienne. Elle me dit aussi que PerpŽtue s'Žtait mariŽe par suite d'une vision et pour sortir de la maison de son pre. Je vis celui-ci : c'Žtait un vieillard robuste, mais de petite taille : il Žtait rarement chez lui. Il se tenait au second Žtage o Žtait aussi sa femme. Il pouvait voir tout ce qu'elle faisait, car leurs appartements n'Žtaient sŽparŽs que par une lŽgre cloison en clayonnage au haut de laquelle Žtait pratiquŽe une ouverture avec une coulisse. Il s'occupait peu d'elle et pourtant il semblait la voir avec dŽfiance, parce qu'elle Žtait chrŽtienne. Je vis souvent la femme dans cette chambre : elle semblait lente dans ses mouvements : elle Žtait assez forte, et se tenait le plus souvent assise ou Žtendue sur une espce de prie-Dieu. Je la vis faire avec des b‰tonnets une sorte de tricot grossier. Les murs de la chambre Žtaient peints de diverses couleurs comme ˆ Rome, mais avec moins d'ŽlŽgance. Quand le pre Žtait au logis, tout Žtait silencieux et sentait la gne : quand il Žtait dehors, la mre Žtait affectueuse avec les enfants. Je vis dans la maison, outre PerpŽtue, une couple de jeunes gens. Lorsque PerpŽtue avait environ dix-sept ans, je la vis dans une chambre soigner un enfant malade ‰gŽ de sept ans, et lui mettre des bandages. Cet enfant avait au visage un horrible ulcre qui le dŽfigurait entirement : il manquait de patience dans sa maladie. Les parents n'allaient pas le visiter. Je le vis mourir dans les bras de PerpŽtue qui l'enveloppa tout entier dans des linges et le cacha. Le pre et la mre ne le virent plus.

Ç FŽlicitŽ Žtait servante dans une maison et l'un des compagnons de son martyre servait avec elle. Elle venait, frŽquemment dans la maison de ses parents et y couchait. PerpŽtue y apportait souvent, la nuit ou au crŽpuscule, des aliments qu'elle tenait cachŽs dans une petite corbeille ou mme sous ses vtements, et ces gens en faisaient leur profit ou le portaient ˆ des chrŽtiens cachŽs dont beaucoup mouraient de faim. Je vis de mes yeux toutes ces allŽes et venues. PerpŽtue n'Žtait pas belle de visage, elle avait le nez court et un peu ŽcrasŽ, les pommettes des joues larges et les lvres retroussŽes comme beaucoup de personnes dans ce pays. Elle avait de longs cheveux noirs tressŽs autour de la tte. Elle Žtait habillŽe ˆ la mode romaine, mais non pas tout ˆ fait aussi simplement qu'on l'Žtait ˆ Rome : sa robe avait des dentelures autour du cou et aussi sur les bords; et le vtement de dessus semblait aussi un peu chamarrŽ de passements. Du reste elle avait des dehors imposants, une grande taille et quelque chose de trs-dŽcidŽ dans les manires. Je vis dans la maison de PerpŽtue les maris des deux saintes faire leurs adieux ˆ leurs femmes et s'enfuir. Ils Žchapprent ˆ la persŽcution. Quand ils furent partis, je vis PerpŽtue et FŽlicitŽ se jeter tendrement dans les bras l'une de l'autre comme si elles se fussent senties plus joyeuses. La maison de PerpŽtue Žtait plus petite que celle de ses parents. Elle n'avait qu'un Žtage et la cour n'Žtait entourŽe que d'un clayonnage en bois. Le matin, au point du jour, je vis une troupe de soldats assaillir la maison o se trouvaient PerpŽtue, FŽlicitŽ et la belle-mre de celle-ci. Ils s'Žtaient dŽjˆ saisis de deux des jeunes hommes devant la porte. PerpŽtue et FŽlicitŽ allrent ˆ leur rencontre et partirent avec eux pleines de joie. La belle-mre garda l'enfant et personne ne s'enquit d'elle. Ces quatre personnes furent alors conduites, accablŽes de coups et de mauvais traitements, non par le chemin ordinaire le long des murs et sous les arcades, mais par un autre chemin allant ˆ travers champs, dans une mŽchante maison qui ressemblait ˆ un blockhaus isolŽ, en attendant qu'on les mentit dans la prison de la ville. Je vis, quelque temps aprs, un jeune homme frapper ˆ la porte de la prison jusqu'ˆ ce que les soldats l'y eussent introduit et rŽuni aux autres prisonniers. J'y ai vu aussi venir le pre de PerpŽtue : il priait, il suppliait, il la conjurait de renoncer ˆ sa foi : il finit par la frapper au visage. Elle parla avec beaucoup de gravitŽ et souffrit tout avec patience. Je vis ensuite comment ils furent conduits, ˆ travers une partie de la ville et le long de plusieurs murs, dans la prison souterraine o Žtaient dŽjˆ beaucoup d'autres personnes. Je vis encore lˆ de nouveau la vision de l'Žchelle qui fut montrŽe ˆ PerpŽtue, et comment PerpŽtue, dans cette vision, monta jusqu'au haut de l'Žchelle et redescendit aprs avoir reu quelque chose qui la rŽconforta. Je vis comment, en descendant, dans un moment o elle regardait de c™tŽ, elle dŽchira aux Žpieux une partie de son vtement au-dessus de la hanche. C'Žtait l'endroit o plus tard, lors de son martyre, je vis sa robe dŽchirŽe, pendant qu'elle Žtait lancŽe en l'air par la vache furieuse. Je vis PerpŽtue, qui Žtait couchŽe par terre, se remuer tout ˆ coup comme pour ranger son vtement : ce fut ˆ l'instant o, dans la vision, elle vit sa robe dŽchirŽe ˆ la descente de l'Žchelle. Je la vis souvent dans la prison parler hardiment aux prŽposŽs, porter la parole au nom de ses compagnons de captivitŽ et inspirer ˆ tous le respect. Pendant le martyre, sous les coups de la vache, je vis PerpŽtue comme absorbŽe dans une vision et n'ayant pas conscience de son supplice. Elle fut misŽrablement tra”nŽe de c™tŽ et d'autre et enfin lancŽe en l'air d'une manire effrayante. En retombant, elle mit son vtement en ordre et sembla pendant un instant avoir la connaissance de ce qui se passait. Lorsqu'ensuite elle fut emmenŽe par des chemins de traverse dans une autre cour, je la vis demander si elle subirait bient™t son supplice. Elle Žtait toujours en contemplation, elle ne savait rien de ce qui se passait. Il y avait de petits siges au milieu de la place, on y tra”na quelques-uns des martyrs et on leur pera la gorge. Il Žtait affreux de voir combien PerpŽtue avait de difficultŽ ˆ mourir. Le bourreau la frappa dans les c™tes, puis au cou au-dessus de l'Žpaule droite il fallut qu'elle conduis”t sa main. CouchŽe par terre, elle Žtendit encore la main; elle mourut la dernire et avec une difficultŽ incroyable. Ils furent tous jetŽs en tas. On avait amenŽ les deux femmes dŽpouillŽes de leurs habits et enveloppŽes dans un filet : mais par suite des coups et de la flagellation qui leur avaient ŽtŽ infligŽs, elles avaient le corps tout couvert de sang. Les corps furent emportŽs secrtement et enterrŽs par des personnes de Carthage. Je vis beaucoup de gens convertis par l'hŽro•sme de PerpŽtue: la prison fut bient™t remplie de nouveau. È

 

           8 mars. Ç J'ai eu toute la nuit prs de moi les reliques de PerpŽtue et de FŽlicitŽ; mais, ˆ ma grande surprise, je n'ai rien vu qui les concern‰t. J'avais pourtant espŽrŽ de voir encore quelque chose d'elles, mais je n'ai pas aperu la moindre chose. Je reconnais par lˆ que ces visions sont quelque chose de trs-sŽrieux et qu'on ne les a pas quand on veut. È

 

Saint Thomas d'Aquin.

 

Ç Ma soeur avait reu en cadeau d'une pauvre femme une relique ench‰ssŽe qu'elle avait mise dans son coffre. J'en sentis la prŽsence et je donnai ˆ ma soeur en Žchange une image de saint. Je vis que cette relique rŽpandait une belle lumire et je la mis dans ma petite armoire. Or, la nuit dernire, aprs avoir souffert toutes-les douleurs et les supplices qui peuvent torturer un corps humain, j'eus une vision touchant saint Thomas d'Aquin. Je vis dans un grand Ždifice une nourrice avec un enfant auquel elle donna un petit papier o Žtait Žcrit Ave Maria. L'enfant le saisit vivement, le porta ˆ sa bouche et ne voulut plus le l‰cher : sa mre Žtant venue d'un autre c™tŽ de la maison voulut le lui prendre, mais l'enfant se dŽbattit et pleura beaucoup. La mre ouvrit de force sa petite main et prit le papier : mais le voyant pleurer si fort, elle le lui rendit et l'enfant l'avala. J'entendis une voix intŽrieure me dire : Ç C'est Thomas d'Aquin ! È et je vis ce saint venir plusieurs fois ˆ moi de ma petite armoire, mais ayant chaque fois un ‰ge diffŽrent. Il me dit qu'il me guŽrirait de mon point de c™tŽ. Alors la pensŽe me vint que mon confesseur Žtait de son ordre et que, si je pouvais lui dire que saint Thomas m'avait guŽrie, il croirait sans peine que sa relique Žtait lˆ, prs de moi. Mais le saint me dit : Ç Dis-lui seulement que je te guŽrirai. È Aprs cela il s'approcha de moi et me posa une ceinture sur la tte. È Le confesseur raconta alors au Plerin ce qui suit : Ç Elle parla de saint Thomas, dit qu'il voulait la guŽrir, qu'il Žtait prs d'elle, qu'il la guŽrirait certainement si lui, son confesseur, le voulait. Je lui ordonnai alors de chercher la relique. Elle me la donna, mais son point de c™tŽ la rendait si malade et l'avait mise dans un tel Žtat qu'elle ne pouvait, pour ainsi dire, ni vivre ni mourir. Je lui mis la relique sur le c™tŽ et lui dis de prier et d'avoir toute confiance en JŽsus-Christ. Je priai de mon c™tŽ et je me dis, que si c'Žtait rŽellement saint Thomas, elle pourrait se remettre et guŽrir. Tout ˆ coup, elle se releva dans son lit sur ses pieds avec une agilitŽ extraordinaire et voulut sortir du lit et me porter la relique. Ç Je ne sens plus rien, dit-elle, et je n'ai plus de point de c™tŽ. Le saint m'a guŽrie et m'a dit qu'il fallait supporter mes autres douleurs. È - ÇJ'ai vu en outre divers traits de sa vie et spŽcialement qu'Žtant tout petit enfant, il feuilletait continuellement des livres et ne voulait pas les laisser mme quand on le baignait. J'ai vu aussi que cette relique a ŽtŽ donnŽe ˆ notre couvent par un Augustin qui en fut le premier supŽrieur. Je vis beaucoup de choses de la vie de ce saint homme et comme quoi il fit dŽcorer de nouveaux ornements toutes les reliques du couvent. Une demoiselle trs pieuse vivait alors dans notre couvent ; je l'ai revue ˆ cette occasion plusieurs autres fois. È Dans la journŽe Anne Catherine, Žtant en extase, voulut encore se lever et porter la relique au Plerin. Elle Žtait trs-occupŽe du saint.

 

Le bienheureux Hermann Joseph.

 

           Ç j'ai eu des visions touchant les annŽes de son enfance. Il avait, Žtant enfant, une petite image de Marie sur parchemin, c'Žtait un petit rouleau qu'il portait sur lui : il y attachait un mŽchant cordon et la pendait ˆ son cou. Il faisait cela avec beaucoup de simplicitŽ et de foi et lui rendait sans cesse des honneurs. Quand il jouait seul dans sa cour, deux jeunes garons venaient toujours ˆ lui; ce n'Žtaient pas des enfants des hommes, mais il ne le savait pas. Il jouait avec eux en toute simplicitŽ et les cherchait souvent parmi les enfants de la ville, mais il ne pouvait pas les y trouver. Quand il quittait les autres enfants pour les chercher, ils ne venaient pas : ils venaient seulement quand il Žtait seul. Je le vis une fois jouer, prs de Cologne, dans une prairie, au bord d'un ruisseau qui coule ˆ travers le champ du martyre de sainte Ursule. Je le vis tomber dans le ruisseau : mais plein d'une confiance na•ve, il Žleva au-dessus de l'eau sa petite image de la Mre de Dieu afin qu'elle ne se mouill‰t pas. Et je vis comment la sainte Vierge, le prenant par l'Žpaule, l'Žleva au-dessus de l'eau et l'en retira. Je vis en outre beaucoup d'autres scnes touchant la grande familiaritŽ de ce jeune garon avec la sainte Vierge et l'enfant JŽsus ; je vis comment Žtant dans l'Žglise, il offrit ˆ Marie une pomme qu'elle accepta ; comment il trouva dans l'Žglise, sous une pierre, de l'argent qu'elle lui avait indiquŽ dans un moment o il n'avait pas de chaussure ; comment elle l'assistait dans ses Žtudes. È

 

Saint Isidore.

 

           Ç Je vis plusieurs scnes de la vie de ce saint laboureur et comment il tenait sa maison. Il y avait quelque chose d'ŽlŽgant et de dŽgagŽ dans son costume. Son pourpoint Žtait court avec beaucoup de boutons par devant et par derrire; il avait sur les Žpaules une garniture dentelŽe, les manches Žtaient aussi dentelŽes, la jaquette Žtait brune. Il portait des chausses larges et courtes avec des rubans. Ses pieds Žtaient lacŽs. Il avait une coiffure formant des angles : c'Žtait comme un chapeau ˆ forme basse dont les rebords auraient ŽtŽ relevŽs et assujettis par un bouton : c'Žtait une espce de barrette. Isidore Žtait un grand et bel homme; il n'avait pas la figure d'un paysan, mais quelque chose de distinguŽ dans les traits. Je vis sa femme qui Žtait aussi une grande, belle et sainte personne. Ils avaient un fils que je vis auprs d'eux, une fois trs jeune, une autre fois ‰gŽ d'environ douze ans. Leur maison Žtait situŽe prs d'un champ d'o l'on pouvait voir la ville voisine qui Žtait ˆ peu prs ˆ une demi-lieue. Je vis beaucoup d'ordre et de propretŽ dans la maison. J'y vis encore d'autres personnes qui n'Žtaient pas ses valets. Je vis que sa femme et lui ne faisaient rien sans commencer par la prire et que notamment ils bŽnissaient chaque plat. Il ne priait pas longtemps; il Žtait tout de suite en contemplation. Quand il passait devant son champ, je le voyais bŽnir la terre avant de commencer son travail. Je vis qu'il recevait une assistance surnaturelle pour son agriculture. Je vis souvent plusieurs charrues tra”nŽes par des bÏufs blancs et conduites par des apparitions lumineuses ouvrir la terre devant lui : son travail Žtait achevŽ avant qu'il y ežt pensŽ. Il paraissait du reste ne pas voir cela, car son esprit Žtait toujours absorbŽ en Dieu. Je vis que quand il entendait sonner les cloches de la ville; il laissait tout en suspens dans les champs, courait entendre la sainte messe et suivre d'autres exercices de dŽvotion auxquels il assistait comme ravi en esprit. Je le voyais ensuite revenir joyeux et son travail se trouvait fait. Je vis une fois son petit garon tenant les traits derrire les bÏufs et conduisant la charrue avec lui : les bÏufs Žtaient pleins de bonne volontŽ. Alors les cloches sonnrent la messe; il courut ˆ l'Žglise et je vis pendant ce temps les bÏufs aller au champ et, sous la conduite d'un faible enfant, labourer facilement la terre. Je vis qu'un jour, comme il priait ˆ l'Žglise, on vint lui dire qu'un loup dŽchirait son cheval : mais il resta agenouillŽ, recommandant l'affaire ˆ Dieu, et quand il revint au champ, il trouva le loup Žtendu mort devant le cheval. Je vis souvent sa femme dans les champs, prs de lui, le matin et ˆ midi. Je les vis tous deux piocher dans le champ et je vis plusieurs ouvriers invisibles travailler prs d'eux, en sorte qu'ils eurent bient™t fini. Son champ Žtait plus beau et plus fertile que tous les autres et les produits semblaient d'une qualitŽ supŽrieure. Je vis qu'ils donnaient tout aux pauvres, que souvent ils n'avaient presque plus rien au logis, qu'alors, pleins de confiance en Dieu, ils cherchaient encore et trouvaient d'abondantes provisions. Je vis souvent que des ennemis voulaient faire du mal au bŽtail d'Isidore quand il l'abandonnait pour aller ˆ la messe, mais ils ne pouvaient y rŽussir et ils Žtaient repoussŽs. Je vis aussi beaucoup de scnes de sa sainte vie. Je le vis ensuite parmi les saints ; une fois, dans son costume de paysan, ce qui Žtait quelque chose d'Žtonnant, puis, plus tard, sous la forme d'‰me bienheureuse.

 

Saint Etienne, saint Laurent, saint Hippolyte.

 

Le 8 aožt 1820 Anne Catherine dit au Plerin : Ç Parmi les reliques qui se trouvent prs de moi, je sens celle de saint Laurent. C'est un petit fragment d'os, dans une enveloppe brune. È Le Plerin chercha dans la cassette et trouva dans une enveloppe brune deux ossements entourŽs de fil d'or. II lui prŽsenta l'un et l'autre : ˆ peine les eut-elle dans les mains qu'elle dit: Ç L'un d'eux est de saint Etienne: oh! quel prŽcieux trŽsor! l'autre est de saint Laurent. È (Alors elle parut plus profondŽment absorbŽe.) Ç Voyez, ils sont lˆ tous deux. Laurent laisse la premire place ˆ Etienne. Etienne a un vtement blanc de prtre juif et une large ceinture : il a aussi un morceau d'Žtoffe sur les Žpaules. C'est un beau jeune homme : il est plus grand que Laurent. Laurent a un ample vtement de diacre. È Elle tŽmoigna ensuite une grande joie d'avoir trouvŽ ce trŽsor : mais bient™t, pŽnŽtrŽe de la vŽritŽ de l'apparition, elle dit : Ç Nous n'avons pas d'ossements d'eux, car ils vivent encore : ils sont lˆ, c'est vraiment risible; comment pouvais-je croire que nous avons des ossements d'eux, puisqu'ils sont vivants?

Plus tard elle dit : Ç Etienne, outre le vtement sacerdotal blanc avec sa large ceinture, avait, sur les Žpaules un collet tailladŽ, tissŽ de rouge et de blanc : il tenait une palme ˆ la main. Laurent m'est apparu dans une longue robe ˆ plis d'un blanc bleu‰tre avec une large ceinture et une Žtole autour du cou. Il n'Žtait pas aussi grand qu'Etienne, mais il Žtait, comme lui, jeune, beau et plein de courage. Son ossement doit avoir ŽtŽ bruni par le feu : il est enveloppŽ dans un morceau d'Žtoffe noire. È (Le Plerin trouva la relique, dont il ouvrit l'enveloppe, telle, qu'elle l'avait dŽcrite.) Ç Le gril avait un rebord comme une pole: il y avait aux quatre c™tŽs une poignŽe qui se relevait : il Žtait comme un cercueil, plus large d'en haut que d'en bas : il avait six pieds et quatre barres transversales plates. Lorsque le saint y Žtait Žtendu, une barre de fer Žtait placŽe sur lui en travers. Il avait ce gril prs de lui lors de l'apparition. È

Le jour de la fte de saint Laurent, elle raconta ce qui suit : Ç Je vis que Laurent Žtait Espagnol, natif de la ville de Huesca. Sa mre s'appelait Patience, j'ai oubliŽ le nom de son pre; c'Žtaient de pieux chrŽtiens. Il n'y avait pas que des chrŽtiens dans cet endroit : les maisons de ceux-ci, Žtaient marquŽes de croix taillŽes dans la pierre; quelques-unes de ces croix avaient une traverse simple, d'autres une double. Je vis que Laurent avait une singulire dŽvotion envers le Saint-Sacrement et que, vers sa onzime annŽe, Dieu lui fit le don merveilleux d'en reconna”tre la prŽsence, en sorte qu'il le sentait approcher mme quand on le portait cachŽ: Il l'accompagnait partout o on le portait et avait pour lui la plus profonde vŽnŽration. Ses parents, quoique pieux, n'avaient pas un sentiment aussi vif ˆ l'Žgard du Saint-Sacrement et ils bl‰maient son zle comme excessif. Je vis une preuve touchante de son amour pour l'auguste sacrement. Laurent vit porter en secret la sainte eucharistie ˆ une malade atteinte de la lpre et fort dŽgožtante, qui demeurait dans une misŽrable cabane adossŽe au mur de la ville. Il accompagna le prtre, par dŽvotion, jusque dans cette cabane et suivit des yeux, tout en priant, la sainte cŽrŽmonie. Le prtre prŽsenta ˆ la malade le corps du Seigneur, mais elle vomit et le saint viatique fut rejetŽ de sa bouche avec son vomissement. Le prtre, dont j'ai su le nom, devint aussi un saint :mais en ce moment il fut tout bouleversŽ, ne sachant comment retirer le sacrement de ces dŽjections immondes. Le jeune Laurent vit tout cela de l'endroit o il se tenait cachŽ: ne pouvant plus ma”triser son amour pour le trs-Saint-Sacrement, il se prŽcipita dans la chambre : surmontant son dŽgožt, il se jeta sur les matires rejetŽes par la malade et, adorant profondŽment le corps du Seigneur, il le prit entre ses lvres. Je vis que par suite de cette victoire hŽro•que sur lui-mme, il reut de Dieu le don d'un grand courage, et d'une force insurmontable. J'ai vu aussi d'une manire que je ne puis dŽcrire comment il n'Žtait pas nŽ du sang, ni de la volontŽ de l'homme, mais de Dieu (Jean I,13). Je le vis au moment de sa naissance et il me fut dit que ses parents l'avaient engendrŽ en esprit de renoncement, avec des sentiments de confusion et de pŽnitence, Žtant en Žtat de gr‰ce, et aprs avoir reu le sacrement; qu'il avait ŽtŽ ainsi consacrŽ ˆ Dieu ds sa conception et qu'ˆ cause de cela il avait eu en partage une vŽnŽration prŽcoce envers le Saint-Sacrement et le sentiment de sa prŽsence. J'eus une grande joie de voir en cette circonstance un enfant recevoir la naissance comme j'ai toujours cru que cela devait arriver dans le mariage chrŽtien, o lÕunion devrait avoir lieu comme un acte de pŽnitence humiliant. Bient™t aprs son acte hŽro•que, Laurent alla ˆ Rome, du consentement de ses parents. Je l'y vis aussit™t en compagnie des prtres les plus saints, chŽri particulirement du Pape saint Sixte et ordonnŽ diacre. Je le vis servir la messe au Pape et comment le Pape, aprs avoir communiŽ lui-mme, lui donna la communion sous les deux espces. Je le vis aussi distribuer le sacrement aux chrŽtiens. Il n'y avait pas de table de communion comme aujourd'hui, mais, ˆ la droite de l'autel, se trouvait une grille avec un appui qui se relevait et derrire lequel les communiants s'agenouillaient. Les diacres devaient ordinairement se relayer pour l'administration du sacrement, mais je vis qu'auprs de saint Sixte, Laurent remplissait toujours cette fonction ˆ la place des autres. Lorsque le Pape fut conduit en prison, je vis Laurent courir aprs lui, le conjurant de ne pas le laisser en arrire, et je vis que Sixte, par une inspiration divine, lui prŽdit son prochain martyre et lui ordonna de distribuer aux pauvres les trŽsors de l'ƒglise. Je le vis alors, portant sur sa poitrine une grande quantitŽ d'argent, aller chez une veuve nommŽe Cyriaque, chez laquelle Žtaient cachŽs beaucoup de chrŽtiens et de malades : je le vis laver humblement les pieds ˆ tous, soulager par l'imposition des mains cette veuve qui depuis longtemps souffrait de violents maux de tte, guŽrir aussi des paralytiques; des infirmes et des aveugles et distribuer de l'argent. La veuve lÕaidait en toutes choses, notamment ˆ convertir en argent les vases sacrŽs. Je le vis, cette mme nuit; entrer dans un caveau, pŽnŽtrer dans les catacombes ˆ une grande profondeur, faire des aum™nes, porter secours, distribuer aussi le sacrement, donner ˆ tous de grandes consolations, et leur inspirer un courage extraordinaire : car il y avait en lui une force d'‰me surnaturelle et une sŽrŽnitŽ grave et sainte. Je le vis courir avec Cyriaque ˆ la prison du Pape :lorsque celui-ci fut conduit au supplice, Laurent lui dit qu'il avait distribuŽ les trŽsors de l'Žglise et qu'il voulait le suivre ˆ la mort comme son ministre ˆ l'autel. Le Pape lui prŽdit de nouveau son martyre, et il fut arrtŽ par les soldats, parce qu'il avait parlŽ de trŽsors. È (Elle vit aussi tout le martyre de saint Laurent avec toutes les circonstances accessoires, comme la conversion de Romain et dÕHippolyte et les guŽrisons opŽrŽes dans la prison; telles qu'elles sont racontŽes dans la lŽgende, ainsi que les apparitions des anges et l'assistance qu'ils lui donnrent pendant son supplice, en un mot, tout ce que contiennent les actes de son martyre.) Ç Le supplice ne finissait pas, il se prolongea toute la nuit avec une incroyable cruautŽ. Entre deus cours destinŽes aux supplices Žtait un pŽristyle couvert o se faisaient tous les prŽparatifs et o se trouvaient tous les instruments du martyre. Les salles Žtaient ouvertes : on y admit beaucoup de spectateurs et le supplice eut son cours jusqu'ˆ ce qu'on mit Laurent sur le gril. Aprs avoir reu les consolations de l'ange, il se retourna sur le gril et dit quelques paroles avec calme et sŽrŽnitŽ. Il se plaa lui-mme sur le gril et ne s'y laissa pas attacher. J'eus l'impression que, gr‰ce ˆ l'assistance divine, il resta insensible pendant la plus grande partie du supplice et que ce fut comme s'il Žtait couchŽ sur des roses : d'autres martyrs ont eu de plus terribles souffrances. Ses vtements de diacre Žtaient blancs. Il portait une ceinture, une Žtole, un collet fond tailladŽ sur les Žpaules et une espce de mantelet comme ƒtienne. Je vis Hippolyte et le prtre Justin lui donner la sŽpulture : beaucoup de personnes pleuraient sur son tombeau et on y dit la messe. Laurent m'est aussi apparu un jour o j'avais des scrupules quant ˆ la rŽception du Saint-Sacrement. Il m'interrogea sur l'Žtat de mon ‰me, et quand je le lui eus dŽcrit, il me dit que je pouvais communier encore le jour suivant. È

En reconnaissant une relique de saint Hippolyte, elle dit : Ç J'ai eu des visions sur sa vie: je le vis enfant, nŽ de parents indigents. Son pre mourut de bonne heure. Sa mre Žtait une femme insupportable et, quoique pauvre et de basse condition, elle Žtait dure et orgueilleuse vis-ˆ-vis d'autres pauvres. Plusieurs traits de la jeunesse d'Hippolyte me furent montrŽs et il me fut dit alors que c'Žtaient les premires racines de la gr‰ce qui lui Žtait rŽservŽe de devenir chrŽtien et martyr de JŽsus-Christ. Il me fut montrŽ quelles gr‰ces se rattachent aux actions gŽnŽreuses, mme des pa•ens. Je vis sa mre en querelle avec une autre pauvre femme : elle la traita fort mal et la chassa de sa maison avec des injures hautaines. Je vis que cela fit beaucoup de peine au petit Hippolyte, qu'il prit en cachette un de ses vtements de dessous et le porta ˆ cette femme comme si sa mre le lui ežt envoyŽ en signe de rŽconciliation. Il ne dit pas cela en termes exprs ˆ l'offensŽe, mais elle dut naturellement le croire. Je la vis retourner chez la mre d'Hippolyte et celle-ci la recevoir avec bienveillance parce qu'elle Žtait surprise de voir cette femme revenir ˆ elle si amicalement, aprs la manire dont elle l'avait traitŽe. Je vis encore d'autres actes de charitŽ de ce jeune garon. Il devint soldat, et je vis alors qu'un de ses amis devant un jour recevoir un ch‰timent sŽvre ˆ cause d'une infraction ˆ la discipline. Hippolyte, pour le lui Žviter, se prŽsenta au chef comme Žtant le coupable. Cette accusation spontanŽe fut cause que la punition qu'il reut ˆ la place de l'autre fut adoucie. Son ami s'attacha tellement ˆ lui par suite de cet acte de charitŽ qu'il devint avec lui chrŽtien et martyr. Il me fut suggŽrŽ, ˆ cette occasion, que les actions charitables et les bonnes oeuvres provenant d'une charitŽ cordiale ne sont jamais perdues aux yeux du Seigneur, mais prŽparent celui qui les accomplit ˆ recevoir plus tard de grandes gr‰ces. Je vis ensuite comment Hippolyte fut commis ˆ la garde de saint Laurent, et combien il fut touchŽ de voir celui-ci prŽsenter les pauvres ˆ l'empereur comme Žtant les trŽsors de l'ƒglise. Hippolyte Žtait plein de droiture et il Žtait pa•en de la mme faon que Paul Žtait juif. Je vis qu'il se convertit dans la prison et qu'aprs le martyre de Laurent, il pleura et pria trois jours et trois nuits sur son tombeau avec beaucoup d'autres chrŽtiens. Justin cŽlŽbra la sainte messe sur le tombeau et distribua aussi la communion que tous ne purent pas recevoir, mais sur ceux mme qui ne la reurent pas, je vis rayonner la flamme du dŽsir. Le prtre les aspergea tous avec de l'eau. Le tombeau Žtait isolŽ, au delˆ d'une colline, dans un lieu o il ne pouvait pas attirer l'attention. Je vis bient™t Hippolyte arrtŽ avec plusieurs de ceux qui habitaient la mme maison. Il fut tra”nŽ par des chevaux dans un lieu dŽsert peu ŽloignŽ du tombeau de saint Laurent. Les chevaux ne voulaient pas avancer. Les valets du bourreau les frapprent, les piqurent, les bržlrent avec des torches et il fut plut™t ŽcartelŽ que tra”nŽ. On avait disposŽ lˆ dans beaucoup d'endroits des tas de pierres, des trous et des Žpines pour dŽchirer le corps. Une vingtaine d'autres furent martyrisŽs avec lui et notamment son ami. Il portait une robe baptismale blanche. È

 

Saint Nicodme.

 

           Elle avait plusieurs fois assurŽ qu'il devait se trouver dans Çson ŽgliseÈ une relique da Nicodme, car elle l'avait vu en vision visiter secrtement JŽsus pendant la nuit. Elle trouva la relique, et quand elle l'eut prise, elle eut, une vision dont elle communiqua ce qui suit : Ç Je vis que Nicodme, lorsqu'aprs avoir mis JŽsus au tombeau, il revint avec Joseph et les autres, n'alla pas au CŽnacle o quelques ap™tres Žtaient cachŽs. Il voulut retourner seul chez lui portant avec lui les linges qui avaient servi ˆ descendre JŽsus de la croix, mais les Juifs lui avaient tendu des embžches. Ils le saisirent et le mirent dans une chambre qu'ils fermrent soigneusement. Ils voulaient le laisser lˆ jusqu'aprs le sabbat et ensuite le mettre en jugement. Mais je vis pendant la nuit un ange venir ˆ lui. Il n'y avait pas de fentre dans 1a chambre : ce fut comme si l'ange soulevait le toit et faisait passer Nicodme par-dessus le mur. Alors je le vis aller dans la nuit rejoindre les autres au CŽnacle. Ils le cachrent, et, deux jours aprs, lorsqu'il sut que le Christ Žtait ressuscitŽ, Joseph d'Arimathie l'emmena avec lui et le tint un certain temps cachŽ dans sa maison jusqu'au moment o ils furent chargŽs l'un et l'autre de rŽpartir les aum™nes parmi les chrŽtiens. Ce fut alors que les linges qui avaient servi pour la descente de croix tombrent entre les mains des Juifs. Je vis encore comment, dans la troisime annŽe d'aprs lÕascension du Christ, l'empereur romain fit venir ˆ Rome VŽronique, Nicodme et un disciple nommŽ Epaphras, parent de Jeanne Chusa. Il voulait voir des tŽmoins de la mort et de la rŽsurrection de JŽsus. Epaphras Žtait un disciple d'une grande simplicitŽ et trs-serviable. Il avait ŽtŽ serviteur du temple et messager des prtres ˆ JŽrusalem. Il avait vu JŽsus ressuscitŽ, ds les premiers jours, en mme temps que les ap™tres : il l'avait vu encore plusieurs autres fois. Je vis VŽronique chez l'empereur: il Žtait malade, sa couche Žtait ŽlevŽe sur des degrŽs; un grand rideau Žtait suspendu au devant. La chambre Žtait de forme carrŽe et n'Žtait pas grande. Je ne vis pas de fentre, la lumire venait d'en haut : des cordons Žtaient attachŽs ˆ des clapets qu'on pouvait ouvrir. Lorsque je vis VŽronique le visiter, il n'y avait personne prs de lui ; ses gens Žtaient dans l'antichambre. Je vis qu'elle avait avec elle le saint suaire et un des linges du tombeau: elle Žtendit le suaire devant lui: la face Žtait sur l'un des c™tŽs. C'Žtait une longue bande d'Žtoffe, une espce de voile que VŽronique portait autour de la tte et du cou. La face du Christ ne ressemblait pas une peinture : elle Žtait imprimŽe sur le linge avec du sang et elle Žtait plus large que dans un portrait, parce que le linge avait ŽtŽ appliquŽ tout autour du visage ; sur lÕautre linge je vis l'empreinte sanglante du corps de JŽsus flagellŽ. Je crois que c'Žtait un linge sur lequel il avait ŽtŽ lavŽ avant la mise au tombeau. Je ne vis pas que l'empereur fžt en contact avec ces linges ni qu'il les touch‰t, mais il fut guŽri par leur vue. Il voulait retenir VŽronique, lui faire de riches prŽsents, lui donner une maison et des gens pour la servir : mais elle demanda seulement ˆ retourner ˆ JŽrusalem et ˆ mourir o JŽsus Žtait mort. Je vis dans une autre vision, Pilate mandŽ devant l'empereur qui Žtait trs en colre. Je vis que Pilate, avant d'y aller, mit sur sa poitrine, sous son vtement, un morceau du manteau de JŽsus que lui avaient donnŽ les soldats. Je le vis parmi des soldats, attendant l'empereur. Il semblait que l'on sžt dŽjˆ combien l'empereur Žtait irritŽ. Il arriva plein de colre, mais, ds qu'il fut prs de Pilate, il s'adoucit beaucoup et l'Žcouta avec bontŽ. Lorsque Pilate se fut retirŽ, je vis l'empereur se remettre en colre et le faire encore mander devant lui, puis s'adoucir de nouveau, et je vis que c'Žtait l'effet du voisinage du manteau de JŽsus que Pilate avait sur la poitrine. Je crois pourtant qu'aprs cela, je vis Pilate, lorsqu'il se fut retirŽ, condamnŽ ˆ l'exil o il finit misŽrablement ses jours. Nicodme fut plus tard maltraitŽ par les Juifs et laissŽ pour mort. Gamaliel le fit porter dans sa propriŽtŽ, o Etienne Žtait enterrŽ. Nicodme y mourut et y reut aussi la sŽpulture.

 

La sainte martyre Suzanne.

 

Ç J'ai eu plusieurs visions touchant la vie de sainte Suzanne dont une relique Žtait prs de moi et qui m'a tenu compagnie toute la nuit. Je ne me souviens plus que de quelques-unes. Je la vis ˆ Rome dans une grande maison. Son pre s'appelait Gabinus : il Žtait chrŽtien, son frre Žtait pape et habitait une maison voisine. Je vis la maison de Gabinus avec une avant-cour et un pŽristyle. La mre de Suzanne devait tre morte, car je ne la vis jamais. Il y avait plusieurs autres chrŽtiens dans la maison. Je vis, que Suzanne distribuait tout ce qu'elle avait aux pauvres chrŽtiens et qu'il en Žtait de mme de son pre. Tout cela se faisait avec un certain mystre. Je vis un messager envoyŽ par l'empereur DioclŽtien ˆ Gabinus qui Žtait son parent. Il voulait que Suzanne fžt donnŽe en mariage ˆ son beau-fils dont la femme Žtait morte. Je vis que Gabinus parut d'abord satisfait de cette union et en parla ˆ Suzanne, mais celle-ci lui tŽmoigna son extrme rŽpugnance ˆ Žpouser un pa•en et lui dit qu'elle avait pris JŽsus-Christ pour Žpoux. Je vis que, lˆ-dessus, DioclŽtien la fit emmener de chez son pre et conduire ˆ la cour prs de l'impŽratrice (Serena) pour qu'elle change‰t de sentiment. Je vis que l'impŽratrice Žtait chrŽtienne en secret, que Suzanne se plaignit devant elle de son malheur et qu'elles prirent ensemble. Je la vis ensuite ramenŽe dans la maison de son pre. Je vis que l'empereur lui envoya un de ses parents (Claudius), lequel en entrant voulut l'embrasser, non pour prendre une libertŽ inconvenante, mais parce que c'Žtait l'usage ou parce qu'ils Žtaient parents. Je la vis faire un geste pour l'en empcher, et comme celui-ci lui reprŽsenta qu'il n'avait aucune mauvaise intention, elle lui dit qu'une bouche souillŽe par la louange des faux dieux ne devait pas la toucher. Je vis comment cet homme se fit expliquer par elle en quoi consistaient ses erreurs, comment ensuite il fut instruit par le Pape, oncle de Suzanne, et baptisŽ avec sa femme et ses enfants. Je vis que l'empereur, voyant que Claudius tardait ˆ revenir lui rendre rŽponse, envoya le frre de celui-ci pour savoir ˆ quoi s'en tenir; que ce frre trouva Claudius agenouillŽ et priant avec sa femme et ses enfants et qu'il fut fort ŽtonnŽ de le voir devenu chrŽtien. Et comme il demandait quelle Žtait la rŽponse de Suzanne touchant le mariage proposŽ, Claudius l'engagea ˆ se rendre avec lui auprs dÕelle et ˆ se convaincre par lui-mme qu'une personne menant un tel genre de vie ne pouvait Žpouser un idol‰tre. Je vis qu'ils se rendirent prs d'elle et que cet autre frre fut, lui aussi, converti par Suzanne et par le Pape son oncle. LÕimpŽratrice Serena avait prs d'elle deux hommes et une femme attachŽs ˆ son service, lesquels Žtaient aussi chrŽtiens. Je les vis la nuit aller en secret avec Suzanne dans une petite chambre souterraine qui Žtait sous le palais. Il s'y trouvait un autel et une lampe toujours allumŽe. On y faisait des prires et parfois aussi un prtre y venait en secret consacrer et administrer aux fidles le Saint-Sacrement. Je vis que l'empereur entra en fureur lorsqu'il apprit la conversion des deux frres et les fit mettre en prison l'un et l'autre avec leurs famille. Plus tard ils furent martyrisŽs. Le pre de Suzanne fut aussi mis en prison. J'eus alors une vision o je vis Suzanne seule dans une grande salle, assise prs d'une petite table ronde dŽcorŽe de figures dorŽes. Elle avait les mains jointes, les yeux levŽs au ciel et priait. Il y avait dans le haut de la salle des ouvertures rondes. Dans les angles Žtaient des figures blanches de la taille d'un enfant : on voyait aussi ˆ et lˆ des ttes d'animaux spŽcialement aux pieds des meubles. Je vis des figures assises sur les pieds de derrire, ayant de longues queues et des ailes et quelques-unes qui tenaient comme des rouleaux entre leurs pattes de devant (vraisemblablement des ornements d'architecture, lions ailŽs, griffons, elle.). Comme Suzanne Žtait assise et priait, je vis que l'empereur envoya son fils lui-mme pour lui faire violence. Je vis celui-ci, laissant plusieurs personnes dans l'antichambre, entrer et s'approcher de Suzanne par derrire. Aussit™t apparut devant elle une figure qui marcha ˆ la rencontre de cet homme, sur quoi il tomba comme mort; alors seulement je vis Suzanne se retourner et appeler au secours lorsqu'elle le vit Žtendu par terre. Je vis ensuite ceux qui l'avaient accompagnŽ entrer tout surpris, le relever et l'emporter. L'apparition Žtait en face de Suzanne et l'agresseur derrire elle; lorsqu'elle se plaa entre les deux, celui-ci fut renversŽ par terre. J'eus ensuite une autre vision. Un homme vint ˆ elle accompagnŽ de vingt autres : deux prtres pa•ens portaient entre eux une idole dorŽe. Elle devait tre creuse, car elle Žtait trs-lŽgre. Ils la portaient sur un plateau ˆ deux anses. Ils la placrent dans une niche sous les colonnes qui entouraient la cour antŽrieure et prirent dans la maison une petite table ronde ˆ trois pieds qu'ils placrent devant. Plusieurs personnes entrrent dans la maison et allrent prendre Suzanne dans la salle qui Žtait situŽe plus haut. Ils tra”nrent Suzanne dehors pour la forcer ˆ sacrifier devant l'idole. Elle adressa ˆ Dieu une ardente prire et, avant quelle arriv‰t jusque-lˆ, je vis un miracle. L'idole fut comme lancŽe par-dessus la cour et la colonnade environnante, jusqu'ˆ une grande distance dans la rue o elle tomba brisŽe en morceaux. Je vis qu'un homme qui Žtait ˆ l'extŽrieur courut annoncer cette nouvelle. Je vis ensuite qu'on arracha ˆ Suzanne son vtement de dessus. Elle l'avait plus qu'un petit linge sur la poitrine, ses Žpaules et son dos Žtaient nus et il lui fallut dans cet Žtat traverser le vestibule au milieu des soldats qui la poussrent avec des b‰tons pointus jusqu'ˆ ce qu'elle tomb‰t comme morte. Ils la tra”nrent ensuite dans une chambre de la maison et l'y laissrent Žtendue par terre. Je vis ensuite qu'on voulut la forcer ˆ sacrifier dans un temple et que lÕidole tomba ˆ la renverse. Je vis que, dans sa maison, elle fut tra”nŽe par les cheveux dans l'avant-cour o on lui trancha la tte. Je vis que l'impŽratrice et une nourrice de Suzanne y vinrent la nuit, lavrent son corps et l'envelopprent d'un linceul, aprs quoi il fut enterrŽ. L'impŽratrice lui coupa les cheveux et aussi une partie des doigts. Je vis aussi que, bient™t aprs, le Pape dit la messe ˆ l'endroit o on l'avait mise ˆ mort. Suzanne avait un visage rond avec de grands traits : ses cheveux Žtaient noirs. Elle Žtait vtue de blanc. Sa chevelure Žtait relevŽe en tresses autour de la tte : un voile qui lui couvrait les cheveux Žtait attachŽ sous son menton et retombait par derrire, formant deux pointes.È

 

Sainte Claire.

 

           Ç Ayant prs de moi la relique de sainte Claire, j'eus une vision sur sa vie. Sa pieuse mre priait avec une grande dŽvotion devant le Saint-Sacrement afin que son enfantement fžt bŽni de Dieu et il lui fut rŽvŽlŽ intŽrieurement qu'elle mettrait au monde une fille plus claire que le soleil. C'est pourquoi l'enfant reut le nom de Claire. Je vis que prŽcŽdemment la mre Žtait allŽe en plerinage ˆ JŽrusalem, ˆ Rome et ˆ d'autres lieux saints. Les parents Žtaient de la haute classe, mais c'Žtaient aussi des gens trs-pieux. Je vis Claire, ds sa premire jeunesse, merveilleusement attirŽe par tout ce qui Žtait saint. Si on la portait dans une Žglise, elle tendait les mains vers le Saint-Sacrement : mais tous les autres objets qu'on lui prŽsentait, de quelque jolie couleur qu'ils fussent, ne faisaient aucune impression sur elle, non plus que les images qui Žtaient dans l'Žglise. Je vis la mre apprendre ˆ prier ˆ l'enfant et comment l'attention de celle-ci Žtait particulirement attirŽe vers tout ce qui tendait au renoncement. La dŽvotion du rosaire devait tre dŽjˆ en usage dans ce temps, car je vis que les parents de Claire rŽcitaient le soir avec tous les gens de leur maison un certain nombre de Pater et d'Ave. Je vis ensuite que l'enfant cherchait de petites pierres polies de diffŽrentes grosseurs, qu'elle les portait avec elle dans une double poche de cuir et les plaait ˆ sa droite ou ˆ sa gauche quand elle priait. Je vis aussi qu'elle les mettait en ligne ou en rond pendant sa prire et se guidait toujours d'aprs certains chiffres dans sa mŽditation ou sa contemplation. Quand elle craignait d'avoir priŽ sans attention, elle s'imposait une pŽnitence. Elle tressait trs-artistement de petites croix de paille. Elle avait tout au plus six ans lorsque je la vis dans une cour o l'on tuait des cochons, prendre de leurs soies, les couper en petits brins qu'elle portait sous ses vtements, autour du cou et sur la nuque, ce qui faisait beaucoup souffrir. Plus tard le bruit de sa piŽtŽ se rŽpandit et saint Franois, par suite d'une inspiration intŽrieure, rendit visite ˆ ses parents. Je vis, lors de cette visite, comment ils firent venir Claire avec laquelle Franois s'entretint et sur laquelle il fit une trs-vive impression. Je vis aussi qu'un jeune homme vint la demander ˆ ses parents et qu'ils n'Žtaient pas ŽloignŽs de la marier sans lui en parler d'avance. Mais elle en fut avertie intŽrieurement : alors elle courut ˆ sa chambre et, devant son petit autel, s'engagea envers Dieu par le voeu de virginitŽ. Je la vis plus tard, lorsque ses parents la mirent en rapport avec le jeune homme, dŽclarer solennellement son voeu. Les parents furent surpris et ne la contraignirent pas au mariage. Je vis Claire pratiquer toutes les vertus et exercer une grande charitŽ envers les pauvres auxquels elle portait son repas, s'abstenant de le prendre toutes les fois qu'elle pouvait le faire en secret. Je la vis visiter saint Franois ˆ la Portioncule et s'affermir de plus en plus dans sa rŽsolution. Le dimanche des Rameaux, elle se rendit ˆ l'Žglise, vtue de ses plus beaux habits. L'Žvque distribua des palmes ˆ ceux qui s'approchaient de l'autel pendant que Claire se tenait ˆ distance dans le bas de l'Žglise. Mais l'Žvque vit un rayon de lumire sur elle et il descendit pour lui donner aussi un rameau. Je vis aprs cela cette lumire se rŽpandre sur plusieurs autres personnes qui Žtaient dans lՎglise autour d'elle. Je la vis sortir la nuit de la maison de ses parents et aller ˆ la Portioncule o Franois et ses frres la reurent avec des cierges allumŽs, en chantant le Veni Creator. Je vis qu'on lui donna dans l'Žglise un habit De pŽnitente et qu'on lui coupa les cheveux. Franois la conduisit ensuite ˆ un couvent situŽ dans la ville. DŽjˆ auparavant, elle portait une ceinture de crins de cheval avec treize nÏuds : mais alors elle en prit une en peau de cochon avec les soies tournŽes en dedans. Je vis dans son couvent une religieuse qui l'avait prise en haine et qui ne voulait pas se rŽconcilier avec elle. Cette religieuse Žtait malade depuis longtemps au moment o Claire Žtait sur son lit de mort. Claire mourante l'ayant fait prier de se rŽconcilier avec elle, essuya un refus. Alors Claire pria ardemment et dit ˆ quelques religieuses de lui amener la malade. Celles-ci se rendirent auprs-d'elle, la levrent et elle se trouva guŽrie. Elle en fut si Žmue qu'elle alla ˆ Claire et lui demanda pardon : mais la sainte elle-mme lui demanda pardon de son c™tŽ. Je vis la Mre de Dieu prŽsente au, moment de sa mort avec une troupe de vierges bienheureuses.

 

Vision touchant la vie de saint Augustin, de saint Franois

de Sales et de sainte Jeanne Franoise de Chantal.

 

           Parmi les reliques envoyŽes par Overberg, il s'en trouvait de saint Augustin, de saint Franois de Sales et de sainte Franoise de Chantal. Anne Catherine les avait bien reconnues toutes; mais le Plerin changea les noms par inadvertance, attribuant !a relique de saint Augustin ˆ saint Franois de Sales et rŽciproquement. Il en prit une avec lui, laissant parmi les autres celle qu'il croyait tre de saint Augustin. Anne Catherine alors affirma dans plusieurs occasions qu'elle avait le sentiment du voisinage de saint Franois de Sales et elle dit un jour : Ç J'ai vu un saint Žvque et une sainte femme. Il doit y avoir dans mon voisinage des ossements de tous les deux, car ils ont apparu prs de moi et ont aussi disparu prs de moi. Quand je vois l'apparition d'un saint dont une relique est prs de moi, la lumire part de l'ossement qui est ˆ c™tŽ de moi et il vient d'en haut une autre lumire qui se joint ˆ la premire et dans laquelle se produit l'apparition. Mais quand je n'ai pas de relique du saint, la lumire et l'apparition viennent seulement d'en haut. È

Lˆ-dessus le Plerin crut devoir porter de nouveau prs d'elle le petit paquet o Žtait la prŽtendue relique de saint Franois de Sales. Elle Žtait alors en extase, mais le saisit ˆ l'instant le petit paquet, le porta ˆ son coeur, sourit joyeusement et dit ; Ç J'ai prs de moi mon cher pre Augustin; È puis, Žtant revenue ˆ elle, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu le saint dans ses ornements Žpiscopaux au-dessous de lui son nom Žcrit en caractres trs-anguleux. Cela me parut singulier : je crus d'abord voir ses saints ossements dans une maison de forme bizarre, contournŽe comme la coquille d'un limaon. Je ne pouvais pas m'imaginer ce que c'Žtait. Tout ˆ coup je vis cette maison ayant pris une plus belle forme : elle Žtait maintenant polie comme de la pierre et dans la chambre intŽrieure se trouvait la relique; cette relique Žtait dans une boite en nacre de perle. È Elle eut aussi des visions touchant la vie de saint Augustin et elle en raconta ce qui suit :

Ç Je vis le saint encore enfant dans la maison de ses parents. Cette maison n'Žtait pas ŽloignŽe d'une ville de moyenne grandeur. Elle Žtait ˆ la mode romaine avec une cour antŽrieure et un pŽristyle : ˆ l'entour se trouvaient autres b‰timents avec des jardins et des champs. Cela fit l'effet d'une maison de campagne. Le pre Žtait un homme grand et fort : il avait quelque chose de sombre et de sŽvre et il devait avoir beaucoup d'ordres ˆ donner, car je le vis parler d'un air trs-sŽrieux avec des gens qui paraissaient ses infŽrieurs. Je vis aussi des gens s'agenouiller devant lui comme s'ils lui adressaient une prire. Ce pouvaient tre des valets ou des paysans. Je vis que le pre, en prŽsence du petit Augustin, Žtait de meilleure humeur et parlait plus volontiers avec Monique sa femme; il semblait avoir une prŽdilection pour l'enfant. Je vis toutefois qu'il s'occupait peu de lui : Augustin le plus souvent Žtait avec deux hommes et avec sa mre. Monique Žtait une petite femme, dŽjˆ sur le retour, qui marchait un peu courbŽe et dont le teint Žtait trs-brun, mais elle avait la crainte de Dieu ˆ un haut degrŽ :elle Žtait douce et toujours dans les soucis et les inquiŽtudes ˆ cause d'Augustin. Elle le suivait partout, car il Žtait trs-remuant et trs-espigle. Je le vis grimper, non sans danger, et courir ˆ et lˆ sur l'extrme bord du toit en terrasse de la maison. Des deux hommes qui Žtaient dans la maison, l'un semblait tre un prŽcepteur, l'autre un serviteur. Le premier allait avec lui ˆ l'Žcole de la ville voisine o se rŽunissaient beaucoup d'enfants et le ramenait ensuite ˆ la maison. Hors de l'Žcole, je le vis faire toute sorte de tours et d'espigleries. Il frappait les animaux et leur jetait des pierres, se battait avec d'autres enfants, entrait dans des maisons, ouvrait des armoires et dŽrobait des friandises : il y avait pourtant toujours du bon chez lui, car il distribuait ˆ d'autres ce qu'il avait pris, quelquefois aussi il le jetait. Je vis dans la maison, outre sa mre, une autre femme qui Žtait servante ou bonne. Plus tard je vis qu'on le conduisit ˆ l'Žcole dans une ville plus grande et plus ŽloignŽe. Il y alla sur un chariot trs-bas portŽ sur de petites roues massives et tra”nŽ par deux btes : deux personnes Žtaient avec lui. Je le vis lˆ dans une Žcole avec beaucoup d'autres jeunes garons. Il couchait avec plusieurs d'entre eux dans une grande salle : cependant il y avait entre chaque couche une sŽparation formŽe par une espce de paravent fait de roseaux ou d'Žcorce d'arbre. Les leons se donnaient dans une grande salle, les Žcoliers Žtaient assis tout autour sur un banc de pierre adossŽ au mur et ils avaient sur les genoux !es planchettes brunes pour Žcrire : ils avaient des rouleaux de papier et des crayons. Le ma”tre se tenait deux degrŽs plus haut et il avait une petite chaire ; derrire lui Žtait un grand tableau o il traait souvent des figures. Ensuite il faisait venir tant™t l'un, tant™t l'autre au milieu le la salle. Ils se tenaient aussi vis-ˆ-vis les uns des autres et avaient des manuscrits dans lesquels ils lisaient. Ils faisaient aussi des gestes comme s'ils eussent prchŽ. Ils semblaient quelquefois discuter ensemble, quelquefois on ežt dit qu'ils prchaient. Je vis, que dans cette Žcole, Augustin Žtait facilement et presque toujours le premier. mais quand les enfants en Žtaient sortis avec lui, il Žtait D'une pŽtulance incroyable et des plus ardents ˆ dŽtruire et ˆ rire du dŽg‰t. Je le vis, dans son emportement, tuer, en les happant et en leur jetant des pierres, des oiseaux ˆ long cou qui sont des animaux domestiques dans ce pays; aprs cela il les portait quelque part et pleurait de compassion. Je vis les jeunes garons courir et lutter dans un jardin rond o il y avait des allŽes de verdure, et briser, soustraire et jeter ˆ et lˆ beaucoup de choses. È

Ç De lˆ, je le vis revenir chez lui et s'y livrer ˆ toute espce d'excs et d'extravagances. Une fois je le vis, la nuit, dŽrober des fruits avec ses compagnons. Je vis qu'en ayant rempli son manteau, il les jeta quelque part. Je vis Monique l'avertir sans cesse, prier et pleurer beaucoup sur lui. Je le vis ensuite en voyage, se dirigeant vers la grande ville o PerpŽtue avait souffert le martyre. Il devait, pour y arriver, traverser une large rivire sur laquelle passait un pont. Je reconnus tout de suite la ville. Sur l'un des c™tŽs sÕavanaient jusque dans la mer des rochers surmontŽs de murailles et de tours : il y avait aussi lˆ beaucoup de navires : une petite ville attenait ˆ la grande. Il s'y trouvait

beaucoup de grands Ždifices comme ceux de l'ancienne Rome et aussi une grande Žglise chrŽtienne. J'eus plusieurs visions touchant les folies qu'il faisait lˆ avec d'autres jeunes gens, Il habitait seul dans une maison et discutait beaucoup avec d'autres. Je le vis visiter seul une femme dans une maison : cependant il n'y allait pas trs-souvent : il Žtait dans un mouvement perpŽtuel. Je le vis aussi assister frŽquemment ˆ des spectacles publics qui me parurent tout ˆ fait diaboliques. Je vis un grand Ždifice rond : il y avait en haut, sur l'un des c™tŽs, des siges s'Žlevant les uns au-dessus des autres comme les marches d'un escalier : au-dessous Žtaient plusieurs entrŽes d'o l'on montait en haut par des degrŽs pour prendre place dans les siŽges arrondis de l'intŽrieur. L'Ždifice n'avait pas de toit, mais on tendait au-dessus un voile comme un pavillon. Les places rondes Žtaient pleines de spectateurs : en face Žtait une plate-forme ŽlevŽe o se passaient toute sorte de choses qui Žtaient pour moi une abomination. Dans le fond on voyait des pays de toute espce qui tout ˆ coup semblaient s'enfoncer dans la terre. On poussait ensuite une cloison par devant, ou bien l'on faisait tourner quelque chose et c'Žtait un spectacle tout diffŽrent. Je vis une fois s'ouvrir en quelque sorte une grande et belle place dans une grande ville et pourtant cela se faisait dans un petit espace. Alors des hommes et des femmes vinrent, deux par deux, sur cette place et c'Žtait comme s'ils parlaient et fol‰traient ensemble. Tout cela me faisait horreur. Je vis aussi que les gens qui figuraient lˆ comme acteurs avaient devant eux d'affreux visages coloriŽs avec de larges bouches. Ils avaient aux pieds des espces de socques pointus par le bout et larges par en bas, qui Žtaient rouges, jaunes et d'autres couleurs. Je vis aussi se tenir plus bas des troupes entires qui parlaient et chantaient avec ceux d'en haut. Je vis encore de jeunes garons, ‰gŽs de huit ˆ douze ans qui jouaient d'une flžte droite, ou recourbŽe et pinaient des instruments sur lesquels des cordes Žtaient tendues. Je vis une fois plusieurs de ces jeunes garons se prŽcipiter d'en haut, les jambes en l'air et la tte en bas : ils Žtaient sans doute attachŽs avec des cordes solides, mais cela faisait un effet horrible. Je vis aussi des hommes qui combattaient les uns contre les autres ; l'un d'eux reut deux coups qui lui mirent le visage en sang et un mŽdecin vint bander ces blessures. Je ne puis dŽcrire tout ce qu'il y avait lˆ d'abominable et de dŽsordonnŽ. Les femmes reprŽsentŽes dans ces jeux Žtaient des hommes dŽguisŽs. È

Ç Je vis aussi qu'Augustin parut un jour en public, mais ce n'Žtait pas dans une reprŽsentation de ce genre. Je le vis livrŽ ˆ toute espce de divertissements et de pŽchŽs : partout il Žtait le premier et il semblait que ce fžt par pure vanitŽ, car avec cela je le voyais toujours triste et inquiet quand il Žtait seul. Je vis aussi que la femme avec laquelle il vivait lui donna un enfant, ce qui ne parut pas lui faire de peine. La plupart du temps je le voyais dans des salles et des lieux publics disputer avec d'autres, parler ou Žcouter, produire aussi des manuscrits et faire des lectures. Je vis que sa mre vint le rejoindre ˆ Carthage, lui parla avec beaucoup de tendresse et pleura beaucoup. Elle ne demeurait pas avec lui quand elle Žtait lˆ. Je ne vis jamais, chez elle, une croix ni une image de saint. Il y avait dans sa maison des statues de toute espce ˆ la mode pa•enne, mais ni elle ni son mari ne sÕen occupaient en rien. Je vis sans cesse la mre d'Augustin se cacher pour prier dans quelque coin de la maison ou jardin : elle s'asseyait lˆ, courbŽe en deux, priait et pleurait. Avec tout cela je ne vis pas qu'elle fžt exempte de mauvaises habitudes ; pendant qu'elle se lamentait et pleurait ˆ propos des vols de friandises de son fils, elle-mme en dŽrobait aussi et je vis qu'il avait hŽritŽ d'elle ce penchant. Je vis que quand elle allait ˆ la cave prendre du vin pour son mari, elle buvait un peu de ce qui Žtait dans les tonneaux, qu'elle dŽrobait aussi quelques friandises et qu'Augustin en cela ne faisait que l'imiter. Mais je vis combien elle se repentait et combien elle luttait contre ce penchant. Je vis encore diverses particularitŽs qui la concernaient et quelques-unes de ses pratiques. Ainsi, ˆ certains temps de l'annŽe, elle postait au cimetire dans des corbeilles du pain et divers aliments : d'autres du reste faisaient de mme. Le cimetire Žtait entourŽ d'une forte muraille : les tombeaux Žtaient surmontŽs de coffres de pierre et de constructions. Je vis Monique placer lˆ ces aliments dans une pieuse intention et je vis aussi plus tard de pauvres gens prendre ces offrandes. Je la vis un jour, son fils Žtant dŽjˆ arrivŽ ˆ l'‰ge d'homme, faire un voyage ˆ pied, accompagnŽe d'un serviteur qui portait un petit paquet, pour visiter un Žvque qui l'entretint longtemps et la consola au sujet de son fils. Elle versa des larmes trs-abondantes et il lui dit quelque chose qui la calma. Je vis Augustin revenu de Carthage au logis : son pre Žtait mort : je le vis alors enseigner dans la petite ville et continuer ˆ vivre encore dans le dŽsordre et dans l'agitation. Je le vis auprs d'un ami qui se fit baptiser peu de temps avant de mourir : je le vis faire des railleries sur ce baptme, mais aprs la mort de son ami, je le vis trs-affligŽ ; puis je le vis de nouveau ˆ Carthage menant le mme genre de vie qu'auparavant. È

           Le Plerin eut alors la certitude de l'erreur commise par lui dans la dŽsignation des reliques : il s'en expliqua avec le confesseur et la malade, et celle-ci lui promit de chercher dans Ç son ƒglise È, comme elle appelait la cassette aux reliques, les ossements de saint Franois de Sales et de sainte Jeanne Franoise. Le 29 mai 1820, le Plerin eut ˆ rapporter ce qui suit: Ç AujourdÕhui, dans l'aprs-midi je la trouvait en contemplation. Je lui prŽsentai la cassette aux reliques. Elle la prit et la serra contre sa poitrine. Ses traits altŽrŽs par la douleur se rassŽrŽnrent bient™t. Je lui demandai si saint Franois de Sales Žtait dans Ç l'Žglise. È Elle me rŽpondit avec effort, comme si elle ežt parlŽ d'une hauteur ŽloignŽe : Ç Le voilˆ! È et en mme temps elle indiqua avec le doigt, ˆ droite, la petite planche qui Žtait devant son armoire. Je fus surpris et j'y cherchai inutilement la relique indiquŽe. Alors, arrachant, pour ainsi dire, sa main droite ˆ la rigiditŽ extatique, elle la dirigea de ce c™tŽ, quoique son visage demeur‰t immobile, que ses yeux restassent fermŽs et que sa main gauche tint toujours la cassette de reliques  sur sa poitrine. Alors sa main droite mit rapidement de c™tŽ, et dans le plus grand ordre, les livres placŽs sur la planche, et pendant qu'avec un sentiment de curiositŽ trs-excitŽe, je regardais la planche parfaitement vide, sa main alla chercher entre la planche et le placard un petit fragment d'os enveloppŽ de soie verte qui s'Žtait ŽgarŽ lˆ. Elle le porta ˆ ses lvres, lui rendit un pieux hommage et me le prŽsenta comme Žtant une relique de saint Franois de Sales. Pendant que je le notais et que je l'enveloppais, sa main droite remit en place tout ce qu'elle avait mis de c™tŽ. Aprs cela elle chercha dans la cassette aux reliques qui Žtait ouverte la relique de Franoise de Chantal, laissa sa main reposer quelques minutes sur un petit paquet et me le prŽsenta comme relique de sainte Franoise. Je lui demandai comment il se faisait que ces reliques de saint Franois de Sales et de sainte Chantal fussent venues se placer parmi les antiques ossements des martyrs romains, et elle me rŽpondit : Ç Il y a longtemps, on a fait des travaux dans l'Žglise d'Uberwasser ˆ Munster, alors les reliques retirŽes des autels et des armoires ont ŽtŽ entassŽes ple-mle. È

           Elle eut en divers temps les visions suivantes touchant saint Franois de Sales. Elle vit d'abord sous une forme symbolique les fruits de son ministre apostolique. Ç Je vis, dit-elle, un jeune ecclŽsiastique de haute condition qui travailla immensŽment dans un pays de montagnes situŽ entre la France et l'Italie et que j'accompagnai aussi dans de nombreux voyages. Je le vis dans sa jeunesse Žtudier avec beaucoup d'ardeur et je le vis un jour frapper une mauvaise femme avec un tison enflammŽ. Je le vis aussi aller d'un village ˆ l'autre avec une torche allumŽe et mettre le feu partout : les flammes couraient de village en village. Je vis aussi que le feu gagna une grande ville au bord d'un lac. Et, quand je ne vis plus le feu, il tomba une pluie douce dont les gouttes couvraient le sol partout comme des perles et des pierres Žtincelantes que l'on recueillait et que l'on portait ˆ et lˆ dans les, maisons ; lˆ o elles arrivaient, tout croissait et tout s'Žclairait. Je vis avec admiration sa douceur inexprimable et ensuite le zle ardent avec lequel il se mit de nouveau ˆ agir et ˆ courir en avant. Il allait partout lui-mme et grimpait ˆ travers les neiges et les glaces. Je l'ai vu aussi chez le roi de France et chez le Pape et ˆ une cour situŽe entre les deux autres. Je le voyais jour et nuit courir ˆ pied d'un endroit ˆ l'autre, porter secours et enseigner. Souvent il couchait la nuit dans les bois. Je me trouvai par lui en rapport avec une dame de condition, Franoise de Chantal, qui suivit avec moi tous les chemins o il avait passŽ et me montra tout ce qu'il avait fait. Je fis divers voyages avec elle et nous avons eu ensemble beaucoup d'entretiens. C'Žtait une veuve qui avait des enfants et je l'ai vue une fois avec eux. J'entendis raconter une histoire qui la concernait et tous les chagrins qui en Žtaient rŽsultŽs pour elle et je vis les principaux traits de cette histoire. Une petite dame du monde, d'une conduite lŽgre, qui se montrait repentante de ses fautes, fut mise par elle en rapport avec l'Žvque ; mais elle retomba dans ses mauvais errements. Franoise disait que cette femme lui avait occasionnŽ beaucoup de chagrins : elle avait cru tre ensorcelŽe par elle. Plus tard l'Žvque Žrigea un couvent de concert avec Franoise. La mauvaise personne parut aussi s'tre corrigŽe et fit pŽnitence dans une petite maison voisine du couvent. J'ai le souvenir que Franoise m'a montrŽ dans un lieu sombre l'Žtat actuel de cette personne. È

           Ç Je vis l'Žvque dire la messe dans un endroit o beaucoup de gens doutaient de la vŽritŽ du changement qui s'opre dans le sacrement. Il sut alors par une vision, pendant la messe, qu'il y avait dans l'Žglise une femme venue seulement pour faire plaisir ˆ son mari, que cette femme ne croyait pas ˆ la transsubstantiation et qu'elle avait un morceau de pain dans sa poche. Je le vis aprs cela dire du haut de sa chaire que le Seigneur pouvait aussi bien changer le pain en son corps qu'il pouvait changer le pain en pierre dans la poche des incrŽdules. Je vis ensuite la femme sortir et trouver son pain changŽ en pierre. Je vis le saint Žvque toujours vtu avec beaucoup de propretŽ et de convenance. Je le vis dans un endroit plein d'ennemis, cachŽ la nuit dans une cabane, o il vint ˆ lui une vingtaine de personnes qu'il enseigna. Je vis aussi qu'on chercha ˆ le faire pŽrir et qu'on lui tendit des embžches dans un bois o il s'Žtait rŽfugiŽ. J'allai aussi avec la dame (sainte Franoise) dans une grande ville o elle me montra comment il disputa contre un hŽrŽtique qui avait sans cesse recours ˆ des subterfuges; comment, sans perdre de vue la vraie voie, il suivit cet hŽrŽtique sur les voies dŽtournŽes pour l'en faire sortir : mais cet homme ne voulut pas se laisser sauver. Dans cette ville, la dame et moi nous ežmes ˆ traverser une grande place remplie de bourgeois et de paysans qu'on exerait ˆ faire des charges ˆ la manire des troupes rŽglŽes. J'Žtais dans une grande anxiŽtŽ: ils pouvaient tomber sur nous et, en outre, la bonne dame disait qu'elle ne pouvait pas se soutenir plus longtemps sans nourriture, qu'elle Žtait prte ˆ tomber en dŽfaillance, tant elle avait faim. Je vis alors un des gens qui Žtaient lˆ tirer d'un papier du pain et de la viande pour les manger. Je le priai de me donner seulement une bouchŽe. Il me donna du pain et un peu de viande de poulet. Lorsque j'eus fait prendre cela ˆ la dame, elle fut en Žtat d'aller jusqu'ˆ son couvent. A propos de ces scnes o je pratique en vision un acte de charitŽ ˆ l'Žgard de quelque saint qui m'appara”t, j'ai ŽtŽ informŽe intŽrieurement, ds mon enfance, que ce sont des oeuvres que les saints demandent de nous pour les faire tourner au profit de quelque autre personne. Ce sont de bonnes oeuvres dont ils semblent l'objet, mais qu'ils font faire par les uns, pour les autres. (C'est au rebours de ce qui est dit que ce que nous faisons au prochain nous le faisons au Seigneur : ici nous faisons pour le prochain ce que nous faisons pour les saints.) J'allai aussi dans le couvent que la dame avait fondŽ avec l'Žvque et j'en visitai toutes les chambres. C'est un vieil Ždifice singulier : j'en ai vu tous les recoins. Il y avait dans plusieurs pices une grande provision de blŽ, des fruits de toute espce, et une grande quantitŽ de vtements et de bonnets de forme Žtrange. Ces religieuses doivent avoir fait beaucoup de bien aux pauvres. Je mis en ordre ce qui Žtait dŽposŽ lˆ: mais une mŽchante jeune religieuse se glissait toujours derrire moi : elle me faisait toute espce de reproches et cherchait ˆ me dŽcrier comme si j'eusse ŽtŽ une voleuse. Elle me dit toutes mes fautes; selon elle, j'Žtais avaricieuse, car je disais toujours que l'argent Žtait de la boue et pourtant je tournais et retournais chaque petite pice de monnaie ; je me mlais sans nŽcessitŽ des affaires de ce monde; je voulais faire une infinitŽ de choses et je ne venais ˆ bout de rien, etc. Elle se tenait toujours derrire moi et n'avait jamais le courage de passer devant: je lui dis qu'elle devait pourtant se montrer en face de moi, si elle en avait le courage. Mais cette nonne n'Žtait autre que le tentateur qui me tourmenta beaucoup pendant ces jours-lˆ. Dans le haut du couvent, ˆ l'extrŽmitŽ et dans le coin le plus reculŽ, je trouvai une religieuse qui avait ŽtŽ placŽe lˆ avec une balance par la fondatrice. Elle avait prs d'elle sur un plat, un mŽlange de lentilles, de petites graines jaunes que je ne connaissais pas, de perles et de poussire : elle devait enlever cette poussire et rapporter dans la partie antŽrieure du couvent la moitiŽ de la bonne semence pour faire des semailles, mais elle ne le faisait pas et refusait d'obŽir. Il en vint bient™t une autre chargŽe de la remplacer, mais qui ne valait pas mieux. Alors je me mis ˆ l'oeuvre et je commenai ˆ trier le mŽlange et ˆ mettre chaque chose de c™tŽ. Cela signifiait que, sur la moisson spirituelle de ce monastre, il fallait prendre et transmettre ˆ la partie antŽrieure du nouveau blŽ de semence bien purifiŽ, c'est-ˆ-dire que le but de sa fondation et la bŽnŽdiction qui y Žtait attachŽe devaient tre renouvelŽs ˆ l'aide des mŽrites provenant de la bonne discipline et du bon ordre d'autrefois, et qu'il fallait rŽparer ce qui s'Žtait g‰tŽ par la faute des dernires supŽrieures. È

Plus tard il lui fut donnŽ de contempler toute la vie de saint Franois de Sales depuis sa premire enfance jusqu'ˆ sa mort. Mais elle n'eut ni le temps, ni la force de faire sur ce sujet au Plerin des communications tant soit peu dŽtaillŽes. Sainte Franoise lui apparut encore ˆ plusieurs reprises et rŽclama ses souffrances et ses travaux de prire pour la rŽnovation de son ordre. Le 2 juillet 1821 elle raconta ce qui suit: Ç J'ai ŽtŽ cette nuit ˆ Annecy, dans le couvent des filles de sainte Chantal. J'Žtais dans une salle, trs-malade et couchŽe dans un lit, et je vis les prŽparatifs qu'on faisait pour la fte de la Visitation : j'Žtais comme dans le choeur et je voyais au-dessous de moi l'autel o l'on arrangeait tout pour la fte. Je me trouvai dans un si triste Žtat que je tombai en dŽfaillance: alors saint Franois de Sales vint tout ˆ coup ˆ moi et m'apporta quelque chose qui me soulagea : il portait un long vtement de fte, de couleur jaune et ˆ c™tes. Sainte Chantal vint aussi prs de moi. È

 

Sainte Justine et saint Cyprien.

 

           Ç Je vis Justine, enfant, dans la cour de son pre, prtre des idoles, laquelle n'Žtait sŽparŽe du temple que par une rue. Elle descendit, en prŽsence de sa nourrice, dans une citerne o elle se tint debout sur une pierre, ayant de l'eau tout autour d'elle ; ˆ cette eau aboutissaient plusieurs cachettes souterraines o se tenaient des serpents et d'autres vilaines btes qu'on conservait et qu'on nourrissait lˆ. Je vis Justine prendre dans ses mains, sans la moindre apprŽhension, un grand serpent et d'autres plus petits. Elle les prenait par la queue et aimait ˆ les voir se dresser droits comme des cierges et remuer la tte de c™tŽ et d'autre. Ils ne lui faisaient aucun mal et Žtaient tout ˆ fait familiers avec elle. Il y avait aussi lˆ-dedans de ces btes qu'on nomme chez nous grosses ttes (des salamandres) : elles avaient bien un pied de long et on s'en servait pour le culte des idoles. Je vis ensuite que Justine entendit prcher dans une Žglise chrŽtienne sur la chute originelle et sur la rŽdemption. Elle fut touchŽe, se fit baptiser et convertit aussi sa mre. Celle-ci le dit ˆ son mari qui, ayant ŽtŽ trs-tourmentŽ par une apparition, se fit aussi baptiser avec sa femme. Ils vivaient trs-pieusement et trs-paisiblement. Une scne me frappa particulirement. Justine avait un visage arrondi trs-agrŽable et des cheveux d'une rare beautŽ, brillants comme de l'or et qui Žtaient roulŽs en belles tresses soyeuses autour de sa tte ou tombaient en boucles nombreuses sur ses Žpaules. Je la vis ˆ table avec son pre et sa mre, mangeant des petits pains : le pre, regardant sa chevelure avec complaisance, lui dit: Ç Je crains, mon enfant, que tu ne puisses pas passer ˆ travers le monde, mais que, comme Absalon, tu n'y restes suspendue par les cheveux. È Ces paroles rendirent Justine trs pensive; elle n'avait jamais songŽ ˆ ses cheveux. Je la vis aprs cela se retirer, et je ne sais pas ce qu'elle fit ˆ ses cheveux, mais elle les dŽnatura entirement ainsi que ses sourcils, c'Žtait comme si elle les ežt flambŽs. Elle alla ainsi changŽe par la ville et, quand son pre la revit, il eut de la peine ˆ la reconna”tre. Je vis un jeune homme devenir amoureux d'elle : ne pouvant arriver ˆ la possŽder, il voulut l'enlever de force. Il l'attendit pour cela, avec des compagnons armŽs, dans un chemin solitaire qui passait entre des murs, mais quand il voulut se saisir d'elle, elle le poussa avec ses deux mains, et lui commanda de rester lˆ immobile: il fut miraculeusement empchŽ de la suivre jusqu'a ce qu'il n'y ežt plus de danger pour elle. Je vis ce jeune homme recourir au magicien Cyprien qui lui promit avec une grande prŽsomption de le faire arriver ˆ ses fins. È

Ç Je vis ce Cyprien tout ˆ fait plongŽ dans sa magie, quoique ce fžt d'ailleurs un homme d'un naturel noble et gŽnŽreux. Il avait ŽtŽ ds sa jeunesse instruit dans les arts magiques : il avait fait de longs voyages pour accro”tre ses connaissances et il Žtait trs-renommŽ dans la ville dÕAntioche o il habitait et o Justine s'Žtait convertie avec ses parents. Il Žtait si avancŽ dans le mal qu'il allait insulter publiquement JŽsus-Christ dans l'Žglise chrŽtienne et quÕil en chassait des gens par ses sortilges. Je le vis Žvoquer le dŽmon. Il avait dans sa maison un caveau ˆ demi souterrain qui recevait le jour par en haut. Tout autour, le long des parois, on voyait de hideuses idoles d'animaux et de serpents, spŽcialement dans les coins. Une statue creuse grandeur d'un homme se tenait, dans un angle, la gueule ouverte, sur le rebord d'un autel dans lequel Žtait un bassin plein de feu. Quand Cyprien Žvoquait le diable, il portait un costume particulier: il alluma du feu sur l'autel, lut des noms sur un rouleau de papier, monta ˆ l'autel et pronona ces noms dans la gueule de l'idole. Bient™t l'esprit se montra auprs de lui, sous une forme humaine : il avait l'apparence d'un serviteur : il y a du reste dans les traits de ces apparitions quelque chose de sinistre et d'inquiet, comme l'expression d'une mauvaise conscience. Je vis alors que, deux fois de suite, l'esprit tenta de sŽduire Justine sous la forme d'un jeune homme. Il alla au-devant d'elle dans la cour antŽrieure de la maison de son pre, mais Justine chassa toujours l'ennemi avec le signe de la croix et elle se guŽrit elle-mme de ses influences avec des croix qu'elle Žrigeait dans les coins de sa chambre. Je la vis dans un caveau secret prier ˆ genoux : il y avait dans une niche contre la muraille une croix et un petit enfant tout blanc: il Žtait comme dans une gaine : le haut de son corps Žtait dŽcouvert et ses petites mains Žtaient jointes. Pendant qu'elle Žtait ainsi agenouillŽe, un jeune homme entra derrire elle, poussŽ par un mauvais dessein, mais je vis appara”tre une femme sortant du mur qui renversa le jeune homme par terre avant que Justine l'ežt aperu alors elle s'enfuit. Je vis qu'elle se dŽfigura compltement avec un onguent. Je vis aussi Cyprien se glisser autour de la maison de Justine et y faire une aspersion. Ce fut dans un moment o elle ne pensait ˆ rien et n'Žtait pas occupŽe ˆ prier : elle se sentit violemment agitŽe, en sorte qu'elle erra de tous c™tŽs dans la maison, finit par se rŽfugier dans sa chambre, fixa les croix posŽes dans les angles et s'agenouilla pour prier : alors les effets du charme furent surmontŽs. Lorsque Cyprien fit sa troisime tentative, l'ennemi parut sous la forme d'une pieuse jeune fille qui tint ˆ Justine des discours sur la chastetŽ. Au commencement celle-ci en fut trs-satisfaite, mais lorsque l'autre ;

se mit ˆ parler d'Adam et d'Eve et du mariage, Justine reconnut le tentateur et se rŽfugia auprs de la croix. Lorsque Cyprien eut appris tout cela de l'esprit, je le vis se faire chrŽtien. Je le vis prosternŽ sur sa face dans une Žglise : il se laissa mme fouler aux pieds comme un fou. Il Žtait pŽnŽtrŽ d'un repentir inexprimable et il bržla tous ses livres de magie. Il devint Žvque et plaa Justine parmi les diaconesses. Elle habitait contre l'Žglise, cousant et brodant de grands ornements ecclŽsiastiques. Je les vis ensuite tous deux souffrir le martyre. Cyprien et Justine Žtaient suspendus par une main ˆ un arbre qu'on avait courbŽ lorsqu'on les dŽchira avec des crocs. È

 

Saint Denys l'ArŽopagite.

Note : C'Žtait de ce saint qu'Žtait la relique dont elle n'osa pas dire le nom quand l'ami du Plerin voulut la mettre ˆ l'Žpreuve.

 

Ç Je vis le saint pendant les annŽes de son enfance : il Žtait nŽ de parents pa•ens, mais il cherchait constamment la vŽritŽ et se recommandait sans cesse ˆ un Dieu suprme.

Dieu l'encouragea et le fortifia par des visions qu'il lui envoya en songe. Je vis ses parents lui demander compte de sa nŽgligence ˆ l'Žgard des dieux et le mettre entre les mains d'un gouverneur sŽvre. Je vis qu'une apparition vint ˆ lui la nuit et l'engagea ˆ fuir pendant que son prŽcepteur dormait. Je vis Denys parcourir la Palestine o il entendit raconter sur JŽsus beaucoup de choses qu'il recueillit avidement. En Egypte, je le vis Žtudier l'astronomie ˆ l'endroit o avait demeurŽ la sainte famille. Avant cela, je le vis observer avec plusieurs autres l'Žclipse de soleil qui eut lieu ˆ la mort de JŽsus. Il disait : Ç Cela n'est pas naturel. Ou cÕest un Dieu qui meurt, ou c'est le monde qui va pŽrir. È Je vis aussi son gouverneur, qui Žtait animŽ de bonnes intentions, exhortŽ par une apparition ˆ le chercher. Il parvint ˆ le trouver et Denys alla avec lui ˆ HŽliopolis. pendant longtemps, il ne put se faire ˆ l'idŽe d'un Dieu crucifiŽ. Aprs sa conversion, il accompagna souvent saint Paul dans ses voyages. Il alla avec lui ˆ Ephse pour voir Marie. Le pape saint ClŽment l'envoya ˆ Paris. Je vis son martyre. Il prit sa tte dans ses mains croisŽes devant sa poitrine et marcha autour de la montagne. Tous les bourreaux s'enfuirent : une grande lumire sortait de lui. Une femme lui donna la sŽpulture. Il Žtait extrmement vieux. Il eut beaucoup de visions cŽlestes et, en outre, saint Paul lui a rŽvŽlŽ ce qu'il vit dans ses contemplations. Il a Žcrit plusieurs trs beaux livres dont il reste encore une grande partie. Il n'a pas mis lui-mme la dernire main ˆ son livre sur les sacrements : c'est un autre qui l'a fait. È

 

Une relique de saint Luc.

 

           Le 11 mars 1821 Anne Catherine dit : < Depuis quelque temps, je vois souvent dans mon voisinage un beau petit fragment trs-blanc du cr‰ne de saint Luc. Je le vois trs distinctement; ensuite je ne veux pas y croire mme dans la vision, et je l'oublie pour ma punition quand je suis ŽveillŽe. Cette nuit j'en ai vu toute l'histoire. GrŽgoire le Grand porta de Constantinople ˆ Rome le cr‰ne de saint Luc avec un bras de saint AndrŽ et cela lui porta tellement bonheur qu'il put faire beaucoup de bien aux pauvres. Ces reliques furent placŽes dans son monastre de saint AndrŽ : il vint aussi ˆ Cologne quelque chose du cr‰ne et du bras. Je vis que l'Žvque en eut une grande joie. Une partie de ces reliques alla ensuite ˆ Mayence, puis ˆ Paderborn, puis ˆ Munster et maintenant l'une et l'autre parcelles sont chez moi. La relique de saint AndrŽ est ench‰ssŽe. L'ossement de saint Luc doit tre dans un coin sous des chiffons; pour le moment je ne sais pas bien o. È

Le lendemain, le Plerin la pria de chercher dans ses reliques. Elle trouva peu aprs celle de saint Luc, Žtant ˆ l'Žtat vision. C'Žtait un petit fragment triangulaire du cr‰ne, cachŽ sous toute espce de chiffons, dans un coin de l'armoire du mur, et elle raconta ce qui suit: Ç J'ai vu de nouveau, lorsque ces corps furent trouvŽs dans une Žglise dŽmolie de Constantinople, qu'on en fit l'Žpreuve sur des malades. On lava les ossements et on donna de cette eau ˆ boire ˆ un lŽpreux qui guŽrit. J'ai vu beaucoup de choses touchant saint GrŽgoire; combien toutes les reliques avaient de prix pour lui et combien il guŽrit de personnes avec celles-ci. La premire fut une femme folle, la seconde une jeune fille possŽdŽe d'un esprit immonde. Il leur posa les reliques sur la tte. J'ai vu ensuite comment il en est venu quelque chose ˆ Cologne sous un saint Žvque, puis ˆ Trves, ˆ Mayence, ˆ Paderborn et enfin ˆ Munster, sous un Žvque du nom de Furstenberg, ˆ ce que je crois. È

 

Sainte Ursule.

 

Ç Ursule et ses compagnes furent, vers lÕan 450, massacrŽes par les Huns ˆ une lieue environ de la Cologne d'alors et en divers autres lieux. Ursule fut suscitŽe par Dieu pour garantir les jeunes filles et les veuves de son temps de la sŽduction et du dŽshonneur et pour les faire entrer dans lÕarmŽe cŽleste des martyrs couronnŽs. Elle a accompli sa mission avec une Žnergie et une constance extraordinaires. LÕarchange Rapha‘l lui avait ŽtŽ donnŽ pour guide : il lui annona sa mission, lui dit que la misŽricorde de Dieu ne voulait pas qu'ˆ cette affreuse Žpoque de destruction, tant de vierges et de veuves que des guerres sanglantes laissaient sans protection et sans dŽfense, fussent livrŽes en proie aux sauvages hordes des Huns envahisseurs :c'est pourquoi elles devaient mourir comme des enfants encore innocents, avant d'avoir pu tomber dans le pŽchŽ. Ursule Žtait grande et forte, trs-rŽsolue et trs-active :elle n'Žtait pas prŽcisŽment belle, sa physionomie Žtait trs-sŽrieuse et ses allures viriles. Lorsqu'elle souffrit le martyre, elle Žtait ‰gŽe de trente-trois ans. Je la vis trs-jeune en Angleterre dans la maison de son pre Deonotus et de sa mre Geruma. È

           Il y avait des degrŽs devant l'entrŽe : la maison donnait sur une large rue et elle en Žtait sŽparŽe par une grille dont les barreaux Žtaient en mŽtal et surmontŽs de boutons jaunes; cela ressemblait ˆ la maison paternelle de saint Beno”t en Italie, o il y avait aussi des grilles de cuivre avec un support en maonnerie. Ursule avait dix compagnes qui venaient la trouver tous les jours, le matin et dans l'aprs-midi : aprs quoi, divisŽes en deux groupes, elles couraient ensemble dans une place entourŽe de murs, y luttaient avec les mains et mme s'exeraient au maniement de la lance. Ces jeunes filles n'Žtaient pas toutes chrŽtiennes, mais Ursule et ses parents l'Žtaient. Ursule Žtait directrice de ses compagnes et les exerait ainsi par ordre de son ange. Ses parents la regardaient souvent avec joie. L'Angleterre Žtait alors sous la domination d'un certain Maximien : c'Žtait un pa•en et je ne sais plus bien s'il n'Žtait pas le mari d'une soeur a”nŽe d'Ursule, nommŽe Ottilie. Celle-ci Žtait mariŽe, tandis qu'Ursule s'Žtait vouŽe ˆ Dieu. Je vis qu'un homme de guerre puissant et considŽrŽ vint trouver le pre d'Ursule: il avait entendu parler des exercices auxquels se livraient les jeunes filles et voulait les voir. Le pre fut trs-embarrassŽ et chercha par tous les moyens possibles ˆ l'en dissuader. Mais je vis cet homme, auquel le pre d'Ursule n'osait rien refuser, insister fortement et assister aux exercices guerriers des jeunes filles : je vis que, charmŽ de la beautŽ et de l'adresse d'Ursule, il la demanda en mariage. Les compagnes de celle-ci devaient Žpouser ses officiers et la chose devait se faire dans un endroit au delˆ de la mer qui Žtait dŽpeuplŽ. Cela me lit penser ˆ Bonaparte qui mariait aussi des jeunes filles aux officiers de sa garde. Je vis la grande affliction du pre et l'effroi de la fille quand il lui notifia cet ordre qui ne pouvait tre dŽclinŽ. Ursule alla la nuit ˆ l'endroit de ses jeux guerriers et Žleva vers Dieu une ardente prire : je vis alors que l'archange Rapha‘l lui apparut, la consola et lui ordonna de demander ˆ adjoindre dix autres vierges ˆ chacune de ses compagnes : elle devait en outre rŽclamer un dŽlai de trois ans et s'exercer avec elles sur des navires ˆ toute sorte de combats et de manÏuvres : il lÕexhorta ˆ avoir confiance en Dieu qui ne permettrait pas que son voeu de virginitŽ fžt violŽ. Pendant ces trois annŽes, elle devait convertir ses compagnes ˆ la religion chrŽtienne et compter pour cela sur la protection de Dieu. Je vis alors Ursule dire tout cela ˆ son pre et celui-ci faire part de ces conditions au prŽtendant qui les accepta. Ursule et ses dix compagnes obtinrent chacune dix autres vierges pour lesquelles elles furent comme des directrices. Le pre leur fit Žquiper cinq petits navires, sur chacun desquels Žtait une vingtaine de jeunes filles et aussi quelques matelots pour leur enseigner ˆ se servir des voiles et ˆ combattre sur lÕeau. Je les vis alors s'exercer tous les jours ˆ manÏuvrer leurs navires, d'abord sur un fleuve, puis sur la mer ˆ peu de distance du bord. Elles mettaient ˆ la voile, se poursuivaient, se sŽparaient, sautaient d'un navire sur l'autre et ainsi de suite. Je vis que souvent beaucoup de personnes, dont Žtaient le pre et le prŽtendu d'Ursule, les regardaient du rivage et que celui-ci se rŽjouissait ˆ la pensŽe d'avoir une femme si belliqueuse et si adroite : il croyait qu'aprs cela, rien ne pourrait lui rŽsister. Je vis que les jeunes filles ˆ la fin firent leurs exercices tout ˆ fait seules et que Bertrand, le confesseur d'Ursule, et deux autres ecclŽsiastiques Žtaient sur les navires. Pendant ce temps, Ursule avait converti toutes ses jeunes filles et elles furent baptisŽes par les prtres : en outre son courage et sa confiance dans les Promesses de Dieu avaient toujours ŽtŽ croissant pendant leurs exercices. Il y eut mme des jeunes filles de douze ans qui vinrent sur les navires et se firent baptiser. Je les vis aborder dans de petites ”les et se livrer entre ces ”les ˆ leurs exercices maritimes. Tout cela se faisait avec accompagnement de prires et de chants et pourtant avec beaucoup de libertŽ et de hardiesse. On ne saurait dire ˆ quel point Ursule Žtait grave et courageuse. Les jeunes filles portaient des robes courtes descendant sur les genoux, leurs pieds Žtaient lacŽs : leur vtement Žtait fortement serrŽ autour de la poitrine, dŽgagŽ et s'adaptant bien ˆ la taille. Elles avaient les cheveux, soit dŽcouverts et roulŽs en tresses autour de la, tte, doit recouverts d'une espce de mouchoir dont les extrŽmitŽs pendaient par derrire. Elles se servaient dans leurs exercices d'Žpieux lŽgers dont la pointe Žtait ŽmoussŽe. Quand les trois annŽes dont on Žtait Žtait convenu approchrent de leur terme, je vis que les jeunes filles en Žtaient venues ˆ n'avoir quÕun coeur et qu'une ‰me. Quand, aprs avoir pris congŽ de leurs parents, elles furent au moment de se mettre en voyage pour aller se marier, je vis Ursule en prire. Une figure lumineuse lui apparut et lui dit d'avoir confiance en Dieu, que le Seigneur voyant en elles ses fiancŽes voulait les faire toutes mourir martyres avec leur puretŽ virginale ; quant ˆ elle, elle devait propager la foi en JŽsus-Christ partout o le Seigneur la conduirait : beaucoup d'autres vierges, encore devaient tre sauvŽes par elle du dŽshonneur dont elles Žtaient menacŽes par de sauvages pa•ens et arriver au ciel parŽes la couronne du martyre. L'ange ordonna aussi ˆ Ursule dÕaller ˆ Rome avec une partie de ses vierges. Je vis qu'elle confia tout cela ˆ ses dix surintendantes qui en furent trs consolŽes. Mais comme plusieurs des autres jeunes filles murmuraient contre Ursule et avaient de la rŽpugnance ˆ devenir les fiancŽes du Christ, puisque le voyage qu'elles allaient faire avait le mariage pour but, Ursule passa tour ˆ tour sur chaque navire, leur parla d'Abraham, du sacrifice qu'il avait fait de son fils et de l'assistance merveilleuse qu'il avait reue de Dieu : elles aussi, leur dit-elle recevraient tous les secours de Dieu et pourraient ainsi lui offrir un sacrifice pur et parfait. Elle enjoignit ˆ celles qui se dŽcourageaient de quitter les navires : mais toutes se sentirent fortifiŽes et lui restrent fidles. Lorsqu'elles partirent d'Angleterre, croyant toujours qu'elles allaient tre conduites aux maris qui leur Žtaient destinŽs, il s'Žleva une grande tempte qui sŽpara les navires des vierges de ceux qui les accompagnaient et les poussa vers les Pays-Bas. Je vis qu'elles ne purent faire usage ni de la rame, ni la voile, et que l'eau s'enfla miraculeusement quand elles trouvrent prs de terre. Ds leur premier dŽbarquement, le danger commena pour elles. Des gens grossiers voulant les retenir, Ursule s'avana et fit une allocution : elles purent alors remonter sur leurs navires sans trouver dÕopposition. A l'endroit o elles quittrent la mer pour remonter le Rhin, il y avait une ville o elles eurent beaucoup ˆ souffrir. Ursule parla et rŽpondit pour toutes les autres. Quand on voulait mettre la main sur les vierges, elles se mettaient courageusement en dŽfense et recevaient un secours surnaturel. Je vis qu'alors leurs agresseurs Žtaient comme paralysŽs et ne pouvaient rien contre elles. Dans le cours de leur voyage, beaucoup de jeunes filles et de veuves avec des enfants s'adjoignirent ˆ elles. Avant d'arriver ˆ Cologne, elles furent encore plusieurs fois appelŽes, interrogŽes et menacŽes par des dŽtachements de soldats appartenant ˆ des populations barbares. C'Žtait toujours Ursule qui rŽpondait et qui poussait ses compagnes ˆ faire force de rames. Elles arrivrent ainsi saines et sauves ˆ Cologne. Il y avait lˆ une communautŽ chrŽtienne avec une petite Žglise ; elles y sŽjournrent quelque temps et les veuves qui s'Žtaient jointes ˆ elles pendant le voyage y restrent ainsi que plusieurs jeunes filles. Ursule les exhorta toutes ˆ souffrir le martyre en vierges et en matrones chrŽtiennes plut™t que de supporter les outrages des barbares pa•ens. Celles qui restrent se rŽpandirent dans le pays propageant les exhortations et les sentiments d'Ursule. Quant ˆ celle-ci, elle remonta sur cinq bateaux de Cologne ˆ B‰le o plusieurs restrent avec les bateaux ; de B‰le, elle partit pour Rome avec environ quarante personnes parmi lesquelles des prtres et des guides. Elles allaient en procession, comme on fait pour un plerinage, ˆ travers les solitudes et les montagnes. Elles priaient, chantaient des psaumes et, lˆ o elles faisaient halte, Ursule parlait de la dignitŽ de fiancŽe de JŽsus-Christ et de la mort pure et immaculŽe des vierges. Partout o elles passaient, quelques personnes se joignaient ˆ elles tandis que d'autres s'en sŽparaient. È

           A Rome, elles visitrent les lieux sanctifiŽs par des martyres et les tombeaux des saints, et comme leurs vtements courts et leurs allures dŽgagŽes attiraient l'attention, on les en avertit et elles prirent des manteaux. Le pape LŽon le Grand fit venir Ursule pour l'interroger : elle s'ouvrit franchement ˆ lui sur le secret de sa mission et sur ses visions, et elle reut tous ses avis avec beaucoup d'humilitŽ et de soumission. Il lui donna sa bŽnŽdiction et y joignit des reliques. Lorsqu'elles repartirent, l'Žvque Cyriaque se joignit ˆ elles ainsi qu'un prtre de l'ƒgypte et un autre de la ville natale de saint Augustin, neveu de l'homme qui avait donnŽ des terres au saint prŽlat pour y b‰tir un monastre. Ces prtres se dŽcidrent surtout ˆ la suivre pour accompagner les prŽcieuses reliques qu'elle avait reues. Ursule emporta avec elle ˆ Cologne une relique de saint Pierre qui est encore connue comme telle sans qu'on sache d'o elle provient, une autre de saint Paul, des cheveux de saint Jean l'ƒvangŽliste et un morceau du vtement qu'il portait lorsqu'il fut jetŽ dans l'huile bouillante. Lorsqu'elles furent de retour ˆ B‰le, tant de personnes se joignirent ˆ elles qu'il leur fallut onze bateaux pour revenir ˆ Cologne. Pendant ce temps les Huns y avaient fait irruption et tout Žtait dans la misre et la confusion. Assez longtemps avant Cologne, l'ange Rapha‘l apparut encore une fois ˆ Ursule dans une vision et lui annona le martyre qu'elle allait recevoir : il lui dit tout ce qu'elle aurait ˆ faire, et entre autres choses, qu'elle devait opposer de la rŽsistance jusqu'ˆ ce que toutes celles qui Žtaient avec elle eussent ŽtŽ baptisŽes et convenablement prŽparŽes. Elle communiqua cette vision aux plus considŽrables d'entre ses compagnes et toutes tournrent leurs pensŽes vers Dieu. DŽjˆ aux approches de Cologne, les Huns poussrent de grands cris en les voyant et leur lancrent des traits; elles firent force de rames et de voiles et passrent rapidement devant la ville: elles n'auraient pas dŽbarquŽ si elles n'avaient pas laissŽ en arrire un si grand nombre des leurs. Elles prirent terre ˆ une lieue ˆ peu prs au-dessous de Cologne et s'arrtrent dans une plaine parsemŽe de bois o elles Žtablirent une espce de camp. Je vis lˆ beaucoup de celles qui Žtaient restŽes en arrire se joindre ˆ elles avec d'autres nouvellement arrivŽes. Ursule et les prtres parlrent aux divers groupes et les prŽparrent au combat. Je vis les Huns sÕapprocher et leurs chefs entrer en pourparler avec Ursule.

Ils voulaient enlever de force plusieurs des vierges et les partager entre eux. Les vierges marchrent ensemble et se dŽfendirent; il y avait aussi avec elles des habitants de la ville et des environs qui, opprimŽs par les Huns, s'Žtaient joints ˆ elles :d'autres qui avaient eu des rapports d'amitiŽ avec les vierges restŽes ˆ Cologne, et qui voulaient dŽfendre la pieuse compagnie :ces gens se dŽfendirent avec des perches, des b‰tons et avec ce qu'ils purent trouver.. Cette rŽsistance avait ŽtŽ ordonnŽe par l'ange ˆ Ursule afin qu'on pžt gagner du temps pour prŽparer tout le monde au martyre. Je vis pendant le combat Ursule courir ˆ et lˆ ˆ travers les groupes qui Žtaient en arrire, parler et prier avec beaucoup d'ardeur. Je vis aussi les prtres baptiser de c™tŽ et d'autre celles qui n'avaient pas reu le baptme, car i1 Žtait venu beaucoup de femmes et de jeunes filles pa•ennes. Lorsque toutes furent baptisŽes et prŽparŽes et qu'elles furent cernŽes de tous c™tŽs par l'ennemi, elles cessrent de se dŽfendre et s'offrirent au martyre, chantant les louanges de Dieu. Les ennemis, les ayant entourŽes de toutes parts, les Žgorgrent ˆ coups de lances et de haches. Je vis tout un rang de vierges tomber sous une grle de traits lancŽs par les Huns qui s'avanaient sur elles :parmi celles-ci, il y en avait du du nom d'Edith dont nous possŽdons une relique. Ursule fut percŽe d'une lance. Parmi les corps qui couvraient le champ des martyres, il y avait, outre les vierges bretonnes, celles, en beaucoup plus grand nombre, qui Žtaient venues de divers endroits s'adjoindre ˆ elles : il y avait encore des prtres venus de Rome, d'autres hommes et aussi des ennemis. È

           Ç Plusieurs furent aussi massacrŽes sur les navires. Cordula n'Žtait pas allŽe ˆ Rome : elle Žtait restŽe ˆ Cologne et beaucoup s'Žtaient attachŽes ˆ elle. Elle eut peur d'abord et se cacha pendant la persŽcution : mais ensuite elle se livra elle-mme avec toutes ses compagnes et demanda la mort. Les Huns auraient voulu les Žpargner et les conserver, mais elle et ses compagnes opposrent une si vive rŽsistance qu'aprs tre longtemps restŽs en suspens, ils les attachrent par les bras les unes aux autres sur un seul rang et les turent ˆ coups de flches. Elles allrent au martyre avec joie, en chantant et presque en dansant, comme si elles Žtaient allŽes ˆ la noce. Plus tard beaucoup d'autres, s'Žtant dŽnoncŽes, furent mises ˆ mort dans divers endroits du pays. Les Huns se retirrent de lˆ au bout de quelque temps. Les corps des vierges et des autres martyrs furent bient™t aprs emportŽs et enterrŽs plus prs de Cologne dans un lieu protŽgŽ par des barrires. Il y avait de grandes fosses revtues de maonnerie o ils furent dŽposŽs pieusement, et rangŽs en ordre. È

 

Ç Les navires des vierges Žtaient trs-beaux et trs-lŽgers; ils Žtaient dŽcouverts, bordŽs de galeries o flottaient de petits Žtendards; ils avaient un m‰t et un rebord saillant. Pour ramer elles s'asseyaient sur des bancs sur lesquels elles dormaient aussi. Je n'ai jamais vu de navires si bien arrangŽs. Vers le temps o Ursule quitta l'Angleterre, vivaient en France les saints Žvques Germain et Loup. Le premier visita ˆ Paris sainte Genevive qui avait peine douze ans. Lorsque saint Germain passa en Angleterre avec avec saint Loup pour combattre les hŽrŽtiques, il isola les parents d'Ursule et ceux des autres jeunes filles s'affligeaient de leur absence. Les Huns pour la plupart avaient les jambes nues et des lanires qui pendaient autour du corps; ils portaient de larges pourpoints et de longs manteaux qu'ils dŽroulaient et mettaient sur leurs Žpaules. È

 

Saint Hubert.

 

Ç Quand je pris sa relique prs de moi, je vis le saint Žvque qui dit : Ç C'est un de mes ossements, je suis Hubert ! È J'eus des visions touchant sa vie et je le vis, encore trs-jeune, dans un vieux ch‰teau isolŽ de toutes parts, autour duquel Žtait un fossŽ. Il portait un habit trs-juste et errait avec son arbalte, soit dans la fort, soit dans les champs derrire les laboureurs, pour tirer des oiseaux; ce qu'il tuait Žtait donnŽ par lui ˆ des pauvres et ˆ des malades qui habitaient les environs du ch‰teau. Je le vis souvent traverser secrtement le fossŽ du ch‰teau sur une planche flottante afin de distribuer ses aum™nes : Je le vis nouvellement mariŽ dans un autre pays et prenant part avec beaucoup d'autres ˆ une grande chasse. Il portait un casque de cuir : sur sa poitrine pendait un instrument creux recourbŽ. Il avait une arbalte sur l'Žpaule et tenait ˆ la main une lance lŽgre. Tous les chasseurs avaient de petits chiens fauves : j'en vis un plus grand prs d'Hubert. Il avait avec lui une civire placŽe entre deux ‰nes pour rapporter le gibier ˆ la maison. Ils parcoururent une vaste contrŽe sauvage et chassrent ensuite dans une plaine prs d'un cours d'eau. Je vis Hubert avec ses chiens poursuivre longtemps un petit cerf jaune : quand les chiens Žtaient arrivŽs prs de lui, ils revenaient en courant vers Hubert et gŽmissaient comme s'ils eussent voulu lui dire quelque chose. Alors le cerf s'arrtait et regardait Hubert. Cela s'Žtant rŽpŽtŽ plusieurs fois, Hubert lana sur lui les chiens de ses compagnons de chasse, mais ceux-ci aussi revinrent en courant prs de leurs ma”tres et se mirent ˆ gŽmir. Le dŽsir d'Hubert alla toujours croissant, d'autant que le cerf semblait devenir toujours plus grand: Il se sŽpara ainsi de ses compagnons pour le suivre. Le cerf courut vers un fourrŽ assez ŽlevŽ et parut encore grandir. Hubert se dit que certainement il s'embarrasserait les cornes dans les branches et ne pourrait pas aller plus loin. Mais l'animal continua sa course trs-facilement et Hubert qui ordinairement passait trs-vite ˆ travers toutes les haies le suivit beaucoup plus pŽniblement. Je vis alors le cerf s'arrter : il Žtait devenu trs-beau et trs-grand, il ressemblait par la couleur ˆ un cheval alezan et il avait sur le cou une belle et longue crinire soyeuse. Hubert Žtait ˆ sa droite et il leva sa lance pour le frapper. Alors le cerf regarda Hubert d'un Ïil amical et un crucifix lumineux apparut entre ses cornes. Hubert tomba ˆ genoux et sonna du cor : ses compagnons arrivrent et le trouvrent Žvanoui: Ils virent encore l'apparition, mais bient™t la croix disparut: le cerf devint plus petit et disparut aussi. Je vis alors Hubert malade et portŽ ˆ la maison sur la civire qui Žtait entre les deux ‰nes. Il Žtait chrŽtien, son pre semblait tre un duc tombŽ dans la pauvretŽ, car son ch‰teau Žtait fort dŽlabrŽ. Hubert, Žtant tout jeune, avait dŽjˆ vu dans la solitude appara”tre un jeune homme qui l'avait engagŽ ˆ se mettre ˆ la suite de JŽsus-Christ et il avait ŽtŽ fort touchŽ, mais cette impression sՎtait effacŽe par suite de sa passion pour la chasse. Une autre fois, il avait poursuivi dans la plaine un agneau qui sՎtait rŽfugiŽ dans un hallier d'Žpines. Il avait fait du feu tout autour : mais la fumŽe et la flamme se retournrent vers lui, si bien qu'il faillit tre bržlŽ, tandis que l'agneau ne fut pas atteint. Hubert fut rapportŽ malade et il se crut au moment de mourir. Il Žtait plein de repentir et il demanda ˆ Dieu la gr‰ce de le servir fidlement jusqu'ˆ son dernier jour sÕil revenait ˆ la vie. Il guŽrit, sa femme mourut et je le vis aprs cela avec un vtement d'ermite. Il reut dans une vision un don particulier consistant en ce que la victoire remportŽe sur ses passions devait transformer toute la fougue, toute l'Žnergie destructive qui Žtait en lui en une vertu opŽrant des guŽrisons. Je le vis par l'imposition des mains guŽrir dans le corps et dans l'‰me les maladies rŽsultant de la colre, de la fureur, de la soif du sang : il guŽrissait jusqu'aux animaux. Il mettait sa ceinture dans la gueule des chiens enragŽs et les guŽrissait. Je le vis faire cuire et bŽnir des petits pains, de forme ronde pour les hommes, de forme oblongue pour les animaux, ˆ l'aide desquels il guŽrissait de la rage. Je vis comme chose certaine que quiconque invoque ce saint avec une foi ferme, trouve dans ses mŽrites et dans le pouvoir de guŽrir qu'il possde des armes puissantes contre la colre et la rage. Je le vis aussi ˆ Rome et comment le pape, ˆ la suite d'une vision, lui donna la consŽcration Žpiscopale. È

 

Saint Nicostrate.

 

           Ç La relique que j'ai marquŽe d'un N est de saint Nicostrate. C'Žtait un grec et il fut dans son enfance conduit ˆ Rome avec sa mre et d'autres chrŽtiens captifs. La mre fut martyrisŽe avec plusieurs autres et on donna ˆ l'enfant une Žducation pa•enne. Il Žtait sculpteur. Je le vis travailler avec trois autres. Les sculpteurs habitaient un certain quartier de la ville o il y avait beaucoup de blocs de pierre. Ils travaillaient dans des salles ŽlevŽes o la lumire tombait par en haut; ils avaient souvent sur la tte des capuchons qui semblaient tre de cuir brun afin que les Žclats de pierre qui sautaient ne les frappassent pas au visage. Je vis que Nicostrate et ses compagnons tiraient souvent des pierres de certaines carrires souterraines o les chrŽtiens se tenaient secrtement et qu'ils firent lˆ connaissance avec un vieux prtre nommŽ Cyrille qui Žtait trs-affable et trs-enjouŽ. Cyrille avait dans sa manire d'tre quelque chose dÕOverberg : il Žtait affable et affectueux avec tout le monde; plaisantait mme volontiers, sans pourtant rien perdre de sa dignitŽ et quand l'occasion s'en prŽsentait, il convertissait beaucoup de personnes. Les sculpteurs badinaient souvent avec lui et ils se proposrent, par manire de plaisanterie aimable, d'exŽcuter pour lui une statue de la mre de Dieu. Ils avaient appris par lui et par d'autres chrŽtiens quelque chose de l'histoire de Marie et de JŽsus et ils firent une trs-belle statue, reprŽsentant une femme voilŽe en longs vtements qui paraissait chercher quelque chose avec des gestes de douleur. Cette statue Žtait admirablement belle. Ils la chargrent sur un chariot attelŽ d'un ‰ne et Nicostrate et Symphorien la conduisirent chez Cyrille. Ç Voilˆ que nous t'apportons la mre de ton Dieu cherchant son fils, È lui dirent-ils en riant, et ils placrent la statue devant lui. Cyrille se rŽjouit beaucoup de voir cette image bien rŽussie : il les remercia et leur dit qu'il voulait la prier afin qu'elle les cherch‰t, eux aussi, qu'elle les trouv‰t et change‰t leurs rires en pensŽes sŽrieuses. Il dit ces graves paroles en souriant et d'un air aimable et ils le prirent en plaisanterie comme d'ordinaire. Comme ils revenaient, ils furent saisis tout ˆ coup d'une terreur et dÕune Žmotion extraordinaires, mais ils n'en dirent rien lÕun ˆ l'autre. Je vis que plus tard ils voulurent faire une statue de VŽnus : mais je ne sais plus par quel miracle ils firent au lieu de cela l'image chaste et touchante d'une martyre. Ils Žtaient quatre qui tous se firent instruire et baptiser par Cyrille. Aprs cela ils ne firent plus d'idoles, mais dÕautres statues de toute espce et comme ils Žtaient devenus trs-pieux et trs-croyants, ils marquaient les pierres d'une croix avant de les travailler et leurs travaux rŽussissaient admirablement. Je vis chez eux les images un saint jeune homme percŽ de flches sur une colonne, une vierge agenouillŽe devant une colonne tronquŽe et dont le cou Žtait traversŽe par une ŽpŽe, enfin un bloc semblable ˆ un cercueil o Žtait reprŽsentŽ un saint martyr couchŽ sous une plaque de marbre. Je vis un cinquime sculpteur, nommŽ Simplicius, lequel Žtait encore pa•en, les interroger en ces termes : Ç Je vous adjure par le soleil de me dire comment vos oeuvres rŽussissent si bien. È Alors ils lui parlrent de JŽsus et de la croix dont ils marquaient les pierres. Lˆ-dessus Simplicius se fit instruire et baptiser. L'empereur DioclŽtien faisait grand cas de leur talent et lorsqu'il fut notoire qu'ils Žtaient chrŽtiens, il leur ordonna de faire une idole d'Esculape. Comme ils s'y refusrent, ils furent arrtŽs, mis en jugement et martyrisŽs. En dernier lieu, ils furent mis dans des caisses de plomb qu'on jeta dans l'eau, mais un homme pieux les retrouva, au bout de quelques jours, d'une faon miraculeuse, et on leur donna la sŽpulture avec l'indication de leurs noms. Ces caisses de plomb ne furent pas fondues au bord de l'eau : on mit dans un creux un bloc d'argile ˆ peu prs de la grosseur d'un homme autour duquel on versa un lŽger revtement de plomb, puis le moule fut retirŽ et ˆ sa place on fit entrer les saints martyrs dans l'enveloppe bržlante, aprs quoi on plaa un couvercle par-dessus. Il y avait de petits trous pour que l'eau y pŽnŽtr‰t peu ˆ peu et c'est ainsi qu'ils furent jetŽs dans le fleuve. J'ai vu leur fte aujourd'hui (8 novembre 1821), mais je crois que le vŽritable jour du martyre est le 7 janvier. È

 

sainte ThŽoctisia.

 

           Elle reconnut une relique comme Žtant de sainte ThŽoctista et dit : Ç Etant en route pour la Terre Sainte, j'ai vu la vie de cette sainte vierge qui m'Žtait tout ˆ fait inconnue. Elle Žtait d'une ville de lՔle de Lesbos, devant laquelle s'Žlevait sur une colline une chapelle dŽdiŽe ˆ Marie o se trouvait une image de la Mre de Dieu sans l'enfant JŽsus. Elle avait ŽtŽ faite d'aprs le portrait de saint Luc par un saint sculpteur de JŽrusalem auquel on coupa les bras et les jambes dans une persŽcution. Autour de cette chapelle, de pieuses femmes habitaient dans des cellules. Elles suivaient une rgle inspirŽe primitivement par le dŽsir d'imiter la vie que menaient Marie et les autres saintes femmes prs d'Ephse. Il y avait aussi, au penchant de la montagne, un chemin de la croix semblable ˆ celui de la Mre de Dieu prs d'Ephse. Ces pieuses femmes Žlevaient des petites filles et les instruisaient. Elles devaient, d'aprs leur rgle, examiner les dispositions et les penchants des enfants et aprs cela choisir pour celles-ci un genre de vie dont elles ne s'Žcartassent plus. ThŽoctista avait ŽtŽ chez elles dans son enfance et elle aurait dŽsirŽ y rester toujours. Ses parents Žtant morts et la chapelle et le couvent ayant ŽtŽ dŽtruits par la guerre, elle entra ans un autre couvent qui Žtait aussi dans une ”le. Lˆ, les femmes avaient leurs cellules dans les grottes d'une montagne; elles y vivaient suivant une rgle donnŽe par une sainte femme qui, un jour, avait reconnu la cha”ne de saint Pierre ˆ la suite d'une vision et dont j'ai oubliŽ le nom. ThŽoctista resta dans ce couvent jusqu'ˆ sa vingt-cinquime annŽe, et comme elle allait visiter sa soeur qui vivait dans un autre endroit, le navire qui la portait fut pris par des pirates arabes venant de lՔle de Crte et tous ceux qui s'y trouvaient furent rŽduits en captivitŽ. Les pirates dŽbarqurent dans lՔle de Paros o il y avait plusieurs carrires de marbre, et comme ils se disputaient entre eux sur la ranon des captifs, ThŽoctista trouva moyen de s'Žchapper. Elle se cacha dans les carrires et y vŽcut quinze ans solitaire sans aucun secours humain jusqu'ˆ ce qu'elle fut trouvŽe par un

chasseur. Elle lui raconta son histoire et le pria, lorsqu'il reviendrait, de lui apporter la sainte eucharistie dans une pyxide. Cela Žtait permis aux la•ques ˆ cette Žpoque, parce que les chrŽtiens Žtaient souvent dispersŽs et qu'il n'y avait pas assez de prtres. Je le vis, un an aprs, lui apporter le sacrement : elle le reut comme dernier viatique et mourut le mme jour. Le chasseur l'enterra, mais il dŽtacha une de ses mains qu'il emporta avec un morceau de son vtement. Je vis que, gr‰ce ˆ cette main bŽnie, il opŽra heureusement son retour par mer, malgrŽ les dangers trs-grands qui existaient de la part des pirates. Lorsqu'il annona cela ˆ son Žvque, celui-ci lui fit des reproches pour n'avoir pas rapportŽ le saint corps tout entier. È

 

Sainte Gertrude.

 

           Ç Je vis que la mre de Gertrude, avant sa naissance, eut un songe prophŽtique o elle mettait au monde une petite fille qui tenait ˆ la main une crosse d'abbesse de laquelle sortait un cep de vigne. La mre habitait un vieux ch‰teau. Elle eut une fois, comme tout le pays, beaucoup ˆ souffrir des rats qui dŽtruisaient toutes les semences et les provisions. Elle en avait une grande crainte et je la vis tout en larmes, raconter ˆ sa petite Gertrude les ravages faits par ces animaux. Gertrude s'agenouilla en prŽsence de sa mre et pria Dieu avec ferveur de les dŽlivrer de ce flŽau : je vis alors comment les rats s'enfuirent tous hors du ch‰teau et allrent se noyer dans l'eau du fossŽ qui l'entourait. Gertrude, par sa foi na•ve, obtint un grand pouvoir contre ces animaux et contre d'autres btes nuisibles. Je vis aussi qu'elle avait quelques souris nourries par elle, qui venaient ˆ son appel et s'en allaient quand elle le leur ordonnait : elle faisait de mme avec des oiseaux et des livres. Je vis qu'elle fut demandŽe en mariage, qu'elle repoussa cette demande et exhorta le prŽtendant a prendre l'ƒglise pour Žpouse c'est-ˆ-dire ˆ se faire prtre. C'est ce qu'il fit en effet, aprs savoir vu mourir subitement d'autres jeunes filles qu'il avait aussi recherchŽes. Je vis Gertrude religieuse dans un monastre o sa mre Žtait abbesse et o elle-mme devint abbesse plus tard. Au moment o la crosse lui fut prŽsentŽe, il sortit de la partie recourbŽe un cep de vigne avec une grappe de dix-neuf gains qu'elle partagea entre sa mre et dix-huit religieuses : deux souris coururent aussi autour de sa crosse rendant hommage ˆ son autoritŽ. Ainsi fut accompli le songe prophŽtique de sa mre. È

 

Sainte CŽcile.

 

22 novembre 1819 et 1820. Ç Je vis la sainte assise dans une chambre carrŽe trs-simple. Elle avait sur ses genoux une petite caisse plate de forme triangulaire, haute de quelques pouces, sur laquelle Žtaient tendues des cordes qu'elle pinait avec les deux mains. Elle avait les yeux levŽs au ciel au-dessus d'elle Žtait une gloire resplendissante et un groupe lumineux comme d'anges ou d'enfants bienheureux dont la prŽsence semblait visible pour elle. Je l'ai souvent vue ainsi. Je vis aussi se tenir prs d'elle un jeune homme : il avait quelque chose de singulirement pur et dŽlicat: il Žtait plus grand qu'elle, mais il se montrait humble et soumis vis-ˆ-vis d'elle et il Žtait ˆ ses ordres. Je crois que cՎtait ValŽrien : car ensuite je le vis avec un autre attachŽ ˆ un  poteau, battu de verges, puis dŽcapitŽ. Cela ne se passa sur la grande place ronde o les martyrs Žtaient suppliciŽs dans un lieu plus ŽcartŽ. Je vis aussi le martyre de sainte CŽcile dans une cour ronde situŽe devant la maison. Sa maison Žtait carrŽe et avait un toit presque plat autour duquel on pouvait se promener : aux quatre angles se trouvaient comme des globes en maonnerie et au milieu quelque chose comme une figure. Dans la cour, un grand feu Žtait allumŽ sous une chaudire dans laquelle je vis la vierge assise, les bras Žtendus : elle Žtait vtue de blanc, resplendissante et toute joyeuse. Un ange, entourŽ d'une aurŽole rouge, lui tendait la main : un autre tenait une couronne de fleurs au-dessus de sa tte. Je me rappelle obscurŽment avoir vu un animal cornu, semblable ˆ une vache sauvage, mais non ˆ ce que sont ces animaux chez nous, conduit par la porte de la cour et ˆ travers cette cour dans un enfoncement sombre. CŽcile, aprs cela, fut retirŽe de la chaudire et frappŽe trois fois sur le cou avec une ŽpŽe courte. Je n'ai pourtant pas vu cela moi-mme, mais j'ai vu l'ŽpŽe. Je la vis aussi vivant encore aprs ses blessures et s'entretenant avec un vieux prtre que j'avais vu prŽcŽdemment dans sa maison. Plus tard je vis cette mme maison trs-chargŽe et transformŽe en Žglise. Je vis qu'on y conservait beaucoup de reliques, notamment le corps de CŽcile d'un c™tŽ duquel plusieurs parties avaient ŽtŽ enlevŽes. On cŽlŽbrait le service divin dans l'Žglise : voilˆ ce que je me rappelle encore de plusieurs visions touchant la vie de sainte CŽcile. È

 

           22 novembre 1820. Ç La maison paternelle de CŽcile Žtait ˆ l'une des extrŽmitŽs de Rome. Il y avait, comme dans la maison de sainte Agns, des cours, des galeries ˆ colonnes, une fontaine jaillissante. J'ai rarement vu ses parents. Je vis CŽcile comme une trs-belle personne, douce et active, avec des joues vermeilles et un charmant visage, presque comparable ˆ celui de Marie. Je la vis jouer dans les cours avec d'autres enfants. La plupart du temps un ange Žtait prs d'elle sous la forme d'un aimable petit garon : il lui parlait et elle le voyait, mais il Žtait invisible pour les autres. Il lui avait dŽfendu de parler de lui. Souvent je vis prs d'elle des enfants ˆ l'arrivŽe desquels l'ange se retirait. Elle avait environ sept ans. Je la vis aussi assise seule dans sa chambre : l'ange Žtait auprs d'elle et lui apprenait ˆ jouer l'un instrument : il lui mettait les doigts sur les cordes et souvent aussi tenait une feuille devant elle. Tant™t elle avait sur les genoux comme une caisse o des cordes Žtaient tendues et alors l'ange planait devant elle, tenant un papier sur lequel elle levait les yeux; tant™t elle tenait appuyŽ contre son cou un instrument semblable ˆ un violon : elle en

pinait les cordes de la main droite et soufflait dans l'intŽrieur de l'instrument o il y avait une ouverture qui semblait garnie d'une peau. Il rendait un son trs-agrŽable. Je vis aussi souvent prs d'elle un petit garon (c'Žtait ValŽrien), le frre de celui-ci et un homme avec un long manteau blanc qui ne demeurait pas loin de lˆ et qui semblait le prŽcepteur de ValŽrien. Celui-ci jouait aussi avec elle ; ils semblait qu'ils Žtaient ŽlevŽs ensemble et qu'elle lui Žtait destinŽe. ),

Ç Je vis que CŽcile avait une suivante chrŽtienne par l'entremise de laquelle elle fit connaissance avec le pape Urbain. Je vis souvent CŽcile et les compagnes de ses jeux remplir de fruits et d'aliments de toute espce les plis de leurs robes quÕelles relevaient sur leur c™tŽ comme des poches : elles sÕenveloppaient de leurs manteaux par lˆ-dessus, et chargŽes ainsi comme d'un paquet, elles se glissaient ensemble, de manire ˆ ce quÕon ne pžt pas les remarquer, jusqu'ˆ une porte de la ville. Je vis toujours l'ange de CŽcile aller avec elle ; c'Žtait charmant ˆ voir. Je vis ces enfants aller par la grande route ˆ un Ždifice o il y avait de grosses tours, des murailles et des retranchements de toute espce. De pauvres gens habitaient dans les murs, et il y avait des chrŽtiens dans les trous et des caveaux souterrains qui servaient de prisons. Je ne sais pas bien s'ils Žtaient emprisonnŽs ou seulement cachŽs : mais les pauvres gens semblaient faire le guet aux entrŽes ou prendre des prŽcautions pour n'tre pas dŽcouverts. Je vis les enfants distribuer aux pauvres ce qu'elles avaient apportŽ: cela se faisait mystŽrieusement. Je vis que CŽcile assujettissait sa robe autour de ses pieds avec un cordon et se laissait ensuite rouler en bas d'un retranchement escarpŽ. On l'introduisait ensuite dans le souterrain, et une fois on la fit entrer par une ouverture ronde dans un caveau o un homme la conduisait au pape Urbain. Je vis qu'il l'instruisit en lui faisant lire des manuscrits, qu'elle lui en apporta sous ses vtements et qu'elle en emporta d'autres chez elle. Je me souviens confusŽment qu'elle fut aussi baptisŽe dans ce souterrain. Je vis ensuite que le jeune ValŽrien, Žtant avec son prŽcepteur prs des jeunes filles qui s'amusaient, voulut, en jouant, prendre CŽcile dans ses bras et que celle-ci le repoussa. Il se plaignit ˆ son prŽcepteur qui rapporta la chose aux parents du CŽcile. Je ne sais pas ce qu'elle lui avait dit, mais ils punirent CŽcile qui n'eut plus la libertŽ de sortir de sa chambre. Lˆ je vis l'ange, toujours prs d'elle, lui apprendre ˆ jouer de son instrument et ˆ chanter. Je vis aussi que le jeune homme pouvait la voir et venait souvent prs d'elle, mais alors elle se mettait aussit™t ˆ jouer de son instrument et ˆ chanter. Une fois il voulut la prendre vivement dans ses bras, mais l'ange en ce moment jeta sur elle un vtement de lumire blanc comme la neige. Je vis aprs cela ValŽrien gagnŽ par elle; il Žtait souvent dans sa chambre pendant qu'elle sortait pour aller prs du pape Urbain et les parents croyaient qu'ils Žtaient ensemble.

           Ç A la fin j'eus aussi une vision de leur mariage. Je vis les parents de tous les deux et beaucoup d'autres personnes, hommes, femmes, jeunes garons et jeunes filles, dans une salle ornŽe de belles statues. CŽcile et ValŽrien Žtaient parŽs de guirlandes et avaient des habits de fte de couleurs variŽes. Il y avait aussi une table basse avec des plats. Les parents conduisirent ensemble les jeunes fiancŽs qui devaient boire l'un aprs l'autre un verre de vin rouge Žpais ou de quelque autre liqueur. On pronona quelques paroles ˆ cette occasion et on lut quelques passages dans des manuscrits; on Žcrivit aussi quelque chose. On mangea debout des mets qui avaient ŽtŽ servis. Je vis toujours l'ange se tenir entre le fiancŽ et la fiancŽe. Aprs cela je vis tous les assistants se rendre en cortge solennel dans la partie postŽrieure de maison o se trouvait au milieu d'une cour un Ždifice rond supportŽ par des colonnes. Au centre se tenaient sur un piŽdestal deux figures qui s'embrassaient. Dans ce cortge je vis une longue cha”ne de fleurs que des jeunes filles rangŽes deux ˆ deux portaient suspendue sur des draperies blanches. Lorsqu'ils furent dans le temple devant les figures, je vis une image d'enfant qui Žtait comme gonflŽe d'air venir d'en haut en volant ˆ l'aide d'une machine qui la dirigea d'abord vers la bouche de ValŽrien, puis vers celle de CŽcile pour recevoir d'eux un baiser; mais je vis que l'ange mit sa main devant les lvres de CŽcile lorsque la figure vint ˆ elle. Alors CŽcile et ValŽrien furent enlacŽs par les jeunes filles dans la cha”ne de fleurs de manire ˆ ce que les deux bouts pussent tre ramenŽs autour d'eux. Mais je vis que lÕange se tenait entre eux et que ValŽrien ne put arriver ˆ CŽcile parce qu'elle se retira en arrire et empcha que la cha”ne fžt fermŽe. Elle lui adressa quelques paroles, lui demandant s'il ne voyait rien : elle avait un autre ami, disait-elle, et lui, ValŽrien, ne devait pas la toucher. Alors je vis celui-ci devenir trs-sŽrieux et lui demander si elle aimait un des jeunes gens qui Žtaient prŽsents. Elle lui rŽpondit que s'il la touchait, il serait frappŽ de la lpre par son ami : sur quoi il dit que si elle en aimait un autre, il les tuerait tous deux. Tout cela se dit ˆ voix basse et on crut voir lˆ un mouvement de pudeur de la fiancŽe. Mais elle dit ˆ ValŽrien qu'elle lui expliquerait tout plus tard. Je les vis aprs cela seuls l'un avec l'autre dans une chambre. CŽcile lui dit qu'elle avait un ange prs d'elle, et comme ValŽrien demandait ˆ le voir, elle rŽpondit qu'il ne le pouvait pas tant qu'il n'Žtait pas baptisŽ. Lorsqu'elle l'envoya ˆ saint Urbain, elle l'avait dŽjˆ suivi dans une autre maison comme Žtant son mari. È

 

Sainte Catherine.

 

           Ç Le pre de sainte Catherine s'appelait Costa. Il Žtait de race royale et descendant d'Hazael qu'ElisŽe, par ordre de Dieu, sacra roi de Syrie. Je vis le prophte aller au-delˆ du Jourdain avec la bo”te o Žtait l'onguent et sacrer Hazael auquel ds lors tout rŽussit. Les anctres de Costa, ˆ une Žpoque postŽrieure, allrent dans lՔle de Chypre avec des Perses on des Mdes et ils y acquirent des biens. Ils Žtaient comme lui, adorateurs du feu et des astres, mais ils pratiquaient aussi le culte idol‰trique syro-phŽnicien. Du c™tŽ maternel, Catherine appartenait ˆ la famille de Mercuria, prtresse des idoles, qui avait ŽtŽ convertie par JŽsus ˆ Salamine. Aprs sa conversion, Mercuria avait ŽmigrŽ dans la terre sainte, elle avait pris au baptme le nom de Famula et reu la couronne du martyre dans la persŽcution qui avait ŽclatŽ aprs la lapidation de saint Etienne. Dans la famille de cette Mercuria existait depuis longtemps une prŽdiction, rŽpŽtŽe ˆ plusieurs reprises, suivant laquelle un grand prophte devait venir de la JudŽe changer toutes choses, renverser les idoles et annoncer le vrai Dieu : il devait aussi tre en rapport avec cette famille. Lorsque Mercuria s'enfuit en Palestine avec deux filles, elle avait laissŽ en Chypre un fils illŽgitime ayant pour pre le proconsul romain qui fut baptisŽ ds le temps de JŽsus et qui plus tard quitta lՔle avec saint Paul et saint BarnabŽ. Ce fils de Mercuria Žpousa la plus jeune soeur de sa mre, et c'Žtait de ce mariage que venait la mre de Catherine. Catherine Žtait la fille unique de Costa. Elle avait, comme sa mre, les cheveux d'un blond dorŽ; elle Žtait trs-vive, trs-courageuse et elle avait toujours ˆ souffrir et ˆ lutter. Elle avait une gouvernante et on lui donna de bonne heure des hommes pour prŽcepteurs. Je la vis faire avec de l'Žcorce des jouets qu'elle donnait ˆ des enfants pauvres. Devenue plus grande, elle Žcrivait beaucoup sur des planches et des rouleaux de papiers et donnait cela ˆ d'autres jeunes filles qui le copiaient. Je vis aussi qu'elle connaissait particulirement la nourrice de sainte Barbe qui Žtait chrŽtienne en secret. Elle possŽdait ˆ un haut degrŽ l'esprit prophŽtique de ses anctres maternels, et cette prŽdiction sur le grand prophte lui fut aussi montrŽe dans une vision lorsquÕelle avait ˆ peine six ans. Au repas de midi, elle raconta cela ˆ ses parents auxquels l'histoire de Mercuria nՎtait pas inconnue. Son pre, un homme trs-froid et trs-dur, l'enferma pour la punir, dans un sombre caveau. Je vis dans cette prison o des souris et d'autres btes Žtaient familires avec elle et jouaient en sa prŽsence. Il faisait clair autour d'elle. Toutes les aspirations de son coeur tendait vers ce rŽdempteur des hommes qui avait ŽtŽ prŽdit et quÕelle dŽsirait ardemment qu'il daign‰t se mettre en rapport avec elle : elle eut ˆ ce sujet beaucoup de visions et dÕilluminations. Depuis ce temps elle eut une profonde horreur pour les idoles : elle cachait, enfouissait et brisait toutes les statuettes des faux dieux qu'elle pouvait dŽrober. Cela fut cause, ainsi que ses discours singuliers et pleins de profondeur contre les dieux des pa•ens, qu'elle fut souvent mise en prison par son pre. Elle Žtait d'ailleurs instruite dans toutes les sciences et je la vis, tout en marchant, Žcrire sur le sable et sur les murs du ch‰teau des choses que ses compagnes copiaient. Lorsqu'elle eut environ huit ans son pre partit avec elle pour Alexandrie, o celui qui fut plus tard son fiancŽ fit connaissance avec elle. Son pre revint avec elle en Chypre. Il n'y avait plus de juifs dans l'”le, si ce n'est ˆ et lˆ quelques esclaves : il y avait aussi un petit nombre de chrŽtiens cachŽs. Catherine fut instruite intŽrieurement par Dieu : elle priait beaucoup et aspirait ardemment au saint baptme qu'elle reut dans sa dixime annŽe. L'Žvque de Diospolis envoya secrtement trois prtres dans l'”le de Chypre, pour consoler les chrŽtiens qui s'y trouvaient. Il fut aussi exhortŽ intŽrieurement ˆ faire baptiser Catherine qui alors Žtait de nouveau en prison, o elle avait pour ge™lier un chrŽtien cachŽ. Celui-ci la conduisit la nuit au lieu o les chrŽtiens se rassemblaient en secret : c'Žtait un caveau souterrain situŽ hors de la ville. Elle y alla plusieurs fois et fut, ainsi que d'autres personnes, instruite et baptisŽe par les prtres. Je vis que celui qui baptisait versait sur eux de l'eau avec une Žcuelle. Catherine reut au baptme le don d'une sagesse extraordinaire. Elle disait des choses merveilleuses, toutefois elle tenait encore sa religion secrte comme tous les autres chrŽtiens. Mais son pre, ne pouvant plus supporter son aversion persistante pour le culte des idoles, ses discours et ses prophŽties, la conduisit ˆ Paphos o il la fit enfermer, parce qu'il croyait qu'elle n'aurait lˆ aucun rapport avec des personnes partageant ses croyances. Elle Žtait du reste si belle et si intelligente que son pre l'aimait ardemment. On changeait aussi trs-souvent les serviteurs et les servantes chargŽs de veiller sur elle, parce qu'il se trouvait frŽquemment parmi eux des chrŽtiens cachŽs. È

           Ç Elle avait vu dŽjˆ de bonne heure JŽsus lui appara”tre comme son fiancŽ cŽleste ; il Žtait toujours prŽsent ˆ sa pensŽe et elle ne voulait entendre parler d'aucun autre Žpoux. De Paphos, elle revint chez elle, et son pre voulut la marier ˆ un jeune homme d'Alexandrie nommŽ Maximin. Celui-ci sortait aussi d'une maison qui avait rŽgnŽ et il Žtait neveu du gouverneur d'Alexandrie qui Žtait sans enfants et le destinait ˆ tre son hŽritier. Mais Catherine ne voulut pas entendre parler de ce projet. Je vis qu'on essaya de la sŽduire : mais elle repoussa toutes ces tentatives avec fermetŽ et en souriant. Elle Žtait du reste si sage et et si avisŽe qu'il n'Žtait personne qui ne fžt forcŽ de reconna”tre son infŽrioritŽ devant elle. Avant ces tentatives pour la marier, elle avait vu, ˆ l'‰ge de douze ans, sa mre mourir dans ses bras. Catherine dit ˆ la mourante qu'elle Žtait chrŽtienne, l'instruisit et la dŽcida ˆ recevoir le baptme. Je vis Catherine tremper une branche dans une tasse pleine d'eau et en asperger sa mre sur la tte, le front, la bouche et la poitrine. È

Il y avait toujours des relations frŽquentes entre lՔle de Chypre et Alexandrie : le pre de Catherine la fit conduire dans cette ville, chez un parent, dans l'espoir quÕelle finirait par se rendre aux dŽsirs de son fiancŽ. Celui-ci vint ˆ sa rencontre sur un vaisseau et je la vis tenir de nouveau des discours chrŽtiens admirables par leur sens profond et parler contre les idoles. Le fiancŽ, feignant dՐtre en colre, la frappa plusieurs fois sur la bouche. Elle sourit et continua avec plus d'enthousiasme encore. Ds le lieu de leur dŽbarquement, le fiancŽ la conduisit dans une maison o tout respirait le monde et ses plaisirs, espŽrant par lˆ la faire changer de sentiments : mais elle resta comme auparavant intrŽpide, pleine d'enthousiasme, de dignitŽ et de courtoisie. Elle Žtait alors ‰gŽe de treize ans. A Alexandrie, elle habita chez le pre de son fiancŽ dans une grande maison qui avait plusieurs ailes. Le fiancŽ y demeurait aussi, mais sŽparŽ d'elle : il Žtait comme fou dÕamour et de chagrin. Elle parlait toujours de son autre fiancŽ : cÕest pourquoi on essaya de la faire changer de sentiment par la sŽduction. On lui envoya aussi des savants pour la dŽtourner de la foi chrŽtienne. Elle les confondit.

           Ç En ce temps-lˆ, le patriarche d'Alexandrie, ThŽonas, avait obtenu par son extrme douceur que les pauvres chrŽtiens ne fussent pas persŽcutŽs par les pa•ens. Ils Žtaient pourtant encore trs-vexŽs : ils ne pouvaient, pour ainsi dire, donner signe de vie et ils n'avaient garde de parler contre l'idol‰trie. De lˆ venaient certains accommodements trs-dangereux avec les pa•ens et une grande tiŽdeur parmi les chrŽtiens : c'est pourquoi Dieu envoya Catherine pour qu'elle rŽveill‰t beaucoup d'entre eux par son langage inspirŽ et par ses discours bržlants de zle. Je la vis chez ThŽonas. Il lui donna la sainte Eucharistie pour qu'elle l'emport‰t chez elle : elle la portait sur sa poitrine dans une bo”te d'or. Elle ne reut pas le prŽcieux sang. Je vis alors aussi plusieurs pauvres gens, qui avaient l'air d'ermites, amenŽs ˆ Alexandrie comme prisonniers et forcŽs par d'affreuses vexations ˆ b‰tir, ˆ charrier des pierres et ˆ porter des fardeaux. Je crois que c'Žtaient des juifs convertis qui s'Žtaient Žtablis prs du mont Sina• et qu'on avait tra”nŽs lˆ de force. Ils portaient des robes brunes tressŽes avec des cordes presque grosses comme le doigt et sur la tte un morceau d'Žtoffe brune qui retombait sur les Žpaules. Je vis qu'on leur avait aussi donnŽ le sacrement en secret. Le fiancŽ de Catherine Žtant parti pour un voyage en Perse, elle revint encore en Chypre, espŽrant qu'elle serait dŽlivrŽe. Son pre Žtait trs-mŽcontent de ce qu'elle n'Žtait pas encore mariŽe. Il lui fallut retourner ˆ Alexandrie et elle fut l'objet de nouvelles obsessions. Elle fut plus tard conduite encore une fois prs de son pre ˆ Salamine o elle fut reue trs-solennellement par des jeunes filles pa•ennes, o on l'accabla de divertissements et o l'on employa toute espce de moyens contre elle : mais rien ne rŽussit. Elle fut ramenŽe ˆ Alexandrie, o on redoubla d'importunitŽs. Je vis une grande fte pa•enne. Catherine fut forcŽe par les pa•ens de sa famille d'aller dans le temple des idoles mais rien ne put la dŽcider ˆ sacrifier. Bien plus, comme le sacrifice idol‰trique se faisait en grande pompe, Catherine, saisie d'un enthousiasme merveilleux, s'avana vers les sacrificateurs, renversa les autels avec les vases o fumait l'encens et se mit ˆ parier ˆ haute voix contre les abominations de l'idol‰trie. Il s'Žleva un grand tumulte, on s'empara d'elle, on la dŽclara folle et on l'interrogea dans le vestibule : mais elle tint des discours encore plus vŽhŽments. Alors on l'emmena en prison, mais sur le chemin elle adjura tous ceux qui confessaient JŽsus-Christ de s'unir ˆ elle et de donner leur sang pour celui qui les avait rachetŽs du sien propre. On l'enferma, on la fit fouetter avec des scorpions et on la livra aux btes fŽroces. Je me disais alors qu'il n'est pourtant pas permis de provoquer ainsi le martyre : mais il y a des exceptions ˆ la rgle et Dieu a des instruments qu'il suscite. On avait toujours employŽ la violence pour contraindre Catherine ˆ lÕidol‰trie et ˆ cette union qu'elle abhorrait : aussit™t aprs la mort de sa mre, son pre l'avait souvent conduite aux abominables ftes de VŽnus, o elle avait toujours tenu les yeux fermŽs. A Alexandrie, le zle chrŽtien Žtait assoupi. Les pa•ens trouvaient trs-bon que ThŽonas consol‰t les esclaves chrŽtiens maltraitŽs et les exhort‰t ˆ servir fidlement leurs barbares ma”tres, et ils se montraient si bienveillants envers ThŽonas que beaucoup de faibles chrŽtiens pensaient que le paganisme n'Žtait peut-tre pas quelque chose de si mauvais. C'est pourquoi Dieu suscita cette vierge forte, courageuse, ŽclairŽe d'en haut, pour convertir par sa parole, par son exemple, par son admirable martyre beaucoup de personnes qui ne se seraient pas sauvŽes sans cela. Elle Žtait si peu disposŽe ˆ cacher sa foi qu'elle visitait sur la place publique les esclaves et les ouvriers chrŽtiens, les consolait et les exhortait ˆ demeurer fermes dans la foi car elle reconnaissait que plusieurs devenaient tides et faisaient dŽfection par suite de la tolŽrance qui s'Žtait Žtablie. Elle avait vu plusieurs de ces apostats participer dans le temple aux sacrifices idol‰triques; de lˆ, la vivacitŽ de sa douleur et de sa sainte indignation. Les btes auxquelles elle fut exposŽe aprs sa flagellation lŽchrent ses blessures qui furent tout ˆ coup miraculeusement guŽries lorsqu'elle ežt ŽtŽ ramenŽe en prison. Son fiancŽ voulut lui faire violence dans la prison mais il fut forcŽ de se retirer couvert de confusion et rŽduit ˆ l'impuissance. Son pre vint de Salamine et elle fut encore conduite de la prison dans la maison du fiancŽ. On y employa tous les moyens possibles de sŽduction pour la dŽterminer ˆ l'apostasie. Mais les jeunes filles pa•ennes qui devaient la persuader furent gagnŽes ˆ JŽsus-Christ par elle : de mme les philosophes qui vinrent pour disputer tombrent d'accord avec elle. Son pre Žtait comme fou de colre : il appelait tout cela de la sorcellerie : il fit encore flageller Catherine et la remit dans la prison. La femme du tyran l'y visita et se convertit ainsi qu'un officier. Lorsqu'elle vint prs de Catherine dans la prison, un ange tenait une couronne au-dessus d'elle et un autre lui prŽsentait une palme. Je ne sais si cette femme vit cela.

           Ç Catherine fut alors conduite au cirque et placŽe sur un lieu ŽlevŽ entre deux larges roues armŽes de pointes et de fers tranchants semblables ˆ des socs de charrue. Quand on voulut faire tourner ces roues, elles furent brisŽes par des coups de foudre et lancŽes au milieu des pa•ens dont trente environ furent blessŽs ou tuŽs. Il s'Žleva un terrible orage avec une forte grle : quant ˆ elle, elle resta tranquillement assise, les bras Žtendus, au milieu des dŽbris des roues. Aprs cela elle fut ramenŽe en prison et on la tourmenta pendant plusieurs jours. Plusieurs hommes voulurent se saisir d'elle, mais elle les repoussa de la main et ils restrent sans force et immobiles comme des colonnes. D'autres se prŽcipitrent sur la vierge qui, leur montrant du doigt ceux qui Žtaient paralysŽs, arrta par lˆ leurs attaques. Tout cela fut regardŽ comme de la sorcellerie et Catherine fut de nouveau conduite devant le juge. Elle s'agenouilla devant le billot, posa la tte de c™tŽ et fut dŽcapitŽe avec le fer d'une des roues ˆ demi brisŽes. Une quantitŽ extraordinaire de sang sortit de sa blessure : il jaillit en l'air en un jet continu et finit par devenir sans couleur comme de l'eau : la tte se dŽtacha entirement. On jeta le corps sur un bžcher enflammŽ. Les flammes rejaillirent sur les bourreaux : mais le corps fut couvert d'un nuage de fumŽe qui l'enveloppa. On le jeta hors du bžcher et on fit venir des btes affamŽes pour le dŽchirer. Mais elles n'y touchrent pas et, le jour suivant, les satellites le jetrent dans une fosse pleine d'ordures qu'ils recouvrirent de branches de sureau. Dans la nuit qui suivit, je vis dans cet endroit deux anges en habit sacerdotaux qui envelopprent le corps lumineux dans une couverture d'Žcorce d'arbre et lÕemportrent ˆ travers les airs. Catherine Žtait ‰gŽe de seize ans lorsqu'elle fut martyrisŽe, en l'an 299. Parmi les nombreuses jeunes filles qui l'avaient accompagnŽe en pleurant au tribunal, quelques-unes plus tard firent dŽfection : mais la femme du tyran et l'officier souffrirent le martyre avec constance. Les deux anges portrent le corps de la vierge sur la cime inaccessible du mont Sina•. Je vis sur cette cime une plate-forme assez grande pour qu'une petite maison pžt y tenir. La cime elle-mme Žtait faite dÕune espce de pierre colorŽe sur laquelle des plantes entires Žtaient empreintes. Ils y posrent la tte et le corps, le visage tournŽ vers la pierre qui parut s'amollir comme de la cire; car le corps s'y imprima tout entier comme dans un moule. Je vis que les mains s'imprimrent nettement dans la pierre par leur c™tŽ supŽrieur. Les anges placrent un couvercle lumineux au-dessus de la pierre qui s'Žlevait un peu au-dessus du sol. Le saint corps resta lˆ, entirement cachŽ, pendant plusieurs sicles, jusqu'au moment o Dieu le montra dans une vision ˆ un ermite du mont Horeb. Plusieurs de ces ermites vivaient sous la conduite d'un abbŽ. L'ermite, ayant eu plusieurs fois cette vision, la fit conna”tre ˆ l'abbŽ, et il se trouva qu'un autre de ses frres en avait eu une semblable de son c™tŽ. L'abbŽ leur ordonna, en vertu de l'obŽissance, d'aller prendre le saint corps, ce qui ne pouvait se faire par des moyens naturels : car la cime Žtait absolument inaccessible, surplombante et dŽchirŽe de toutes parts. Je les vis faire en une nuit le voyage qui aurait demandŽ plusieurs jours; ils Žtaient dans un Žtat surnaturel. Tout Žtait sombre et obscur, mais il faisait clair autour d'eux. Je vis qu'un ange porta chacun d'eux par le bras jusqu'au sommet escarpŽ. Je vis les anges ouvrir le tombeau, les deux ermites porter dans leurs bras contre leurs poitrines, l'un la tte, l'autre le corps enveloppŽ, devenu plus petit et trs-lŽger : ils furent ainsi ramenŽs jusqu'en bas par les anges qui les tenaient par le bras. Je vis au pied du mont Sina• la chapelle o repose le saint corps. Elle est supportŽe par douze colonnes. Les moines qui sont lˆ me semblrent grecs. Ils portaient des vtements d'une Žtoffe grossire fabriquŽe lˆ mme. Je vis les ossements de sainte Catherine dans un petit cercueil. Mais il n'en restait plus rien que le cr‰ne trs-blanc et un bras entier : je ne vis rien de plus. Tout est en dŽcadence dans ce lieu. Je vis prs de la sacristie une petite grotte creusŽe dans le roc : il y a dans les parois des excavations contenant de saints ossements. La plupart sont enveloppŽs comme dans de la laine ou de la soie et gardŽs avec soin. Il y a parmi eux des ossements de prophtes qui ont vŽcu ici dans la montagne et qui Žtaient dŽjˆ vŽnŽrŽs par les EssŽniens dans les grottes qu'ils avaient dans ce lieu. Je vis lˆ, entre autres, des ossements de Jacob, de Joseph et de sa famille que les IsraŽlites avaient emportŽs avec eux d'Egypte. Ces objets sacrŽs ne semblent pas tre connus, cependant ils sont vŽnŽrŽs souvent par des moines pieux. Toute l'Žglise est b‰tie sur le penchant de la montagne, du c™tŽ qui regarde l'Arabie, mais elle est disposŽe de manire qu'on peut en faire le tour. È

 

Les stigmatisŽes Madeleine de Hadamar et Colombe Schanolt de Bamberg.

 

           Le 19 janvier 1820, le plerin prŽsenta ˆ la malade un petit morceau de toile qui avait ŽtŽ trempŽ dans le sang sorti de la plaie du c™tŽ de Madeleine de Hadamar. Elle Žtait en extase lorsqu'elle reut le morceau de toile et elle dit : Ç Qu'ai-je ˆ faire avec ce long vtement? Je ne puis aller vers la nonne : elle est trop loin. Puis ils l'ont tellement tourmentŽe qu'elle n'a pu accomplir sa t‰che. Elle est morte avant de l'avoir terminŽe. È Ces paroles furent tout ˆ fait incomprŽhensibles pour le Plerin. Mais la malade eut plus tard une vision plus Žtendue sur Madeleine et elle en raconta ce qui suit : Ç J'ai vu Madeleine ˆ laquelle appartenait l'habit ; mais elle Žtait loin de moi et ne pouvait venir ˆ moi. Je la vis dans le cimetire de son couvent dans un coin duquel se trouvait un petit ossuaire. Prs de lˆ contre le mur du cimetire, il y avait une image marquant une station de la Via crucis et dans la petite maison mme une reprŽsentation du Sauveur portant sa croix. Devant cette maisonnette s'Žlevait un sureau et une haie de noyer. Sur tout l'espace qui l'entourait Žtait comme une montagne de travaux inachevŽs, d'ouvrages de couture, etc. C'Žtait ˆ moi de les mettre en ordre et de les terminer. J'entrepris aussit™t ce travail ; je me mis ˆ coudre et ˆ raccommoder, tout en disant mon brŽviaire. Cela me fit beaucoup suer et je ressentis une violente douleur dans tous les cheveux. Chacun de mes cheveux me la faisait sentir ˆ part. Je sus la signification de ce travail et de chaque pice. La bonne Madeleine s'Žtait trop laissŽe aller ˆ sa dŽvotion prs du sureau et du petit ossuaire, o il y avait un coin tranquille et commode pour prier, et par suite elle avait nŽgligŽ et laissŽ inachevŽs bien des travaux commencŽs pour les pauvres. Lorsque je me fus enfin dŽbarrassŽe de cette masse de travaux, je me trouvai dans la maisonnette devant une armoire et alors Madeleine vint ˆ moi et me remercia :elle Žtait toute joyeuse comme si elle n'avait vu personne depuis longtemps. Elle ouvrit elle-mme l'armoire et j'y vis conservŽs tous les morceaux qu'elle s'Žtait ™tŽs de la bouche pour les pauvres. Elle me remercia d'avoir mis en ordre et terminŽ les travaux ˆ sa place. ÇPendant qu'on vit sur la terre, me dit-elle, on peut faire en une heure ce ˆ quoi on ne peut plus supplŽer dans l'autre monde. È Elle me promit aussi des chiffons pour mes pauvres enfants. Elle disait qu'elle avait entrepris trop de choses par bontŽ d'‰me, en sorte qu'elle avait ŽtŽ forcŽe de les laisser lˆ l'une aprs l'autre. Elle me dit pour mon instruction que l'ordre et la discrŽtion sont trs nŽcessaires aux personnes qui vivent dans les souffrances, sans quoi on laisse aprs soi bien des choses en dŽsordre. Elle Žtait plut™t petite que grande; elle Žtait trs-maigre, mais son visage Žtait plein et colorŽ. È

           ÇElle me montra la maison de ses parents et mme la porte par laquelle elle Žtait sortie pour aller au couvent. Je vis aussi plusieurs scnes de sa vie au couvent. Elle Žtait trs bonne et trs-serviable, travaillant pour les autres toutes les fois que c'Žtait possible. Je la vis aussi dans son lit, assaillie par des maladies soudaines et guŽrie tout aussi soudainement. Je vis saigner ses stigmates et comment elle Žtait surnaturellement assistŽe dans ses souffrances. Quand la prieure ou d'autres nonnes Žtaient prs d'elle, je voyais de l'autre c™tŽ de son lit des figures d'anges ou de religieuses venir d'en haut, la consoler, lui donner d boire o la soutenir. Je la vis du reste bien traitŽe par ses consoeurs, mais son Žtat devint trop connu du public et elle eut beaucoup ˆ souffrir des visites et de la vŽnŽration mal entendue quÕon lui tŽmoignait. Ce qui la concernait fut maladroitement exagŽrŽ, et il en rŽsulta pour elle beaucoup d'ennuis, comme elle me le dit elle-mme. Je vis aussi son confesseur il exprimait plut™t son admiration, qu'il nÕexposait les faits eux-mmes. Je la vis aussi soumise ˆ une enqute aprs la suppression de son couvent : je vis des mŽdecins, des militaires et des ecclŽsiastiques y prendre part. Je ne vis rien d'inconvenant : mais ces gens Žtaient trs grossiers et trs-mal ŽlevŽs, toutefois bien moins astucieux, moins faux que ceux auxquels j'ai eu affaire. Ils la tourmentaient surtout pour qu'elle mange‰t et combien de vomissements cela ne lui a-t-il pas occasionnŽs ! Ds son enfance elle sՎtait habituŽe aux privations; ses parents Žtait de petite condition, mais trs-vertueux. Sa mre spŽcialement lui disait toujours dans sa jeunesse, lorsqu'elle buvait et mangeait : Ç Maintenant une bouchŽe de moins, une gorgŽe de moins pour tels pauvres, pour telle ‰me, cÕest ainsi qu'on s'habitue. È Dans l'enqute, les ecclŽsiastiques ont laissŽ tout faire aux mŽdecins : ils Žtaient indiffŽrent. Il y a eu chez elle beaucoup de choses admirables : mais on a trop parlŽ d'elle. Elle est morte trop t™t : elle a ŽprouvŽ de grands chagrins qu'elle a comprimŽs au-dedans dÕelle-mme : sa vie en a ŽtŽ abrŽgŽe. J'ai vu sa mort, non pas les cŽrŽmonies ou les funŽrailles, mais j'ai vu le cors rester Žtendu pendant que l'‰me partait. È Lorsque tard le Plerin porta encore le morceau de linge dans voisinage, elle s'Žcria : Ç Es-tu lˆ, mon cher coeur ! oh ! comme elle est active, secourable, serviable et bienveillante ! È Aprs cela elle resta assez longtemps en silence, puis demanda d'un ton trs-animŽ : Ç D'o vient que JŽsus a dit ˆ Madeleine: Ç Femme ! pourquoi pleures-tu ? È  Je le sais : mon fiancŽ m'a dit pourquoi il avait parlŽ ainsi. Madeleine l'avait cherchŽ avec une ardeur et une impŽtuositŽ excessives, et quand elle le trouva, elle le prit pour un jardinier, alors il dit : Ç Femme pourquoi pleures-tu? È Mais quand elle dit : Ç Ma”tre, È et le reconnut, il lui dit: Ç Marie. È Comme nous cherchons, nous trouvons. J'ai vu cela chez Madeleine d'Hadamar. Je la vis couchŽe dans une petite chambre sombre et il y vint beaucoup de personnes : c'Žtaient ceux qui voulaient l'examiner. Ils Žtaient grossiers, mais moins mŽchants qu'on ne l'a ŽtŽ avec moi. Ils lui parlrent d'un lavement qu'elle prit avec beaucoup de difficultŽ et un peu trop ˆ contre-coeur et elle tomba ensuite dans de trop grandes lamentations. Quand elle se laissait faire avec plus de soumission, il ne lui arrivait rien de f‰cheux. Ce fut alors que j'eus cette vision devant sa fentre dans le jardin. Elle l'a peut-tre eue elle-mme parce qu'elle dŽsespŽrait de trouver son fiancŽ qui Žtait pourtant prs d'elle. Madeleine me doit encore les chiffons qu'elle m'a promis. È

           Ç Je vis aussi la dominicaine Colombe Schanolt de Bamberg, personne d'une rare humilitŽ, toute simple et tout unie. Je la vis avec ses stigmates travailler et faire toute sorte de choses. Je la vis priant dans sa cellule prosternŽe contre terre et comme morte. Je la vis aussi dans son lit ses mains saignaient et en outre le sang coulait de son front sous le voile. Je l'ai vue recevoir la sainte eucharistie et comment la figure d'un petit enfant lumineux alla ˆ elle par la main du prtre. J'ai aussi vu des visions qu'elle a eues. Je les vois passer dans un tableau devant elle ou prs d'elle pendant qu'elle est couchŽe ou en prire. Je l'ai vue porter un cilice et aussi une cha”ne autour du corps jusquÕau moment o cela lui fut dŽfendu. Ses visions Žtaient des scnes de la vie du Seigneur et des tableaux pour sa consolation et sa direction. Elle se trouvait trs-bien dans son couvent ; on l'importunait beaucoup moins que Madeleine et par lˆ mme elle Žtait plus avancŽe dans la vie intŽrieure, plus simple et plus profondŽment recueillie. Je la vis aussi occuper dans l'autre monde un rang en avant de celle-ci. La manire dont on voit cela ne peut gure s'expliquer. Le mieux qu'on puisse le rendre, c'est de dire quÕelle a laissŽ derrire elle plus de chemin. È

 

Effet d'une relique du prŽcieux sang de Notre-Seigneur JŽsus-Christ et des cheveux de la sainte Vierge.

 

En juin 1822, le Plerin reut de Cologne un sachet portant pour inscription : de cruore Jesu-Christi, lequel provenait d'un couvent de CarmŽlites supprimŽ (note). Il le cacha, ˆ lÕinsu d'Anne-Catherine, dans le placard qui Žtait contre le

chevet de son lit. Le jour suivant, elle lui fit ce rŽcit: Ç J'ai eu une nuit trs-agitŽe et me suis trouvŽe dans un Žtat trs singulier.

 

Note :

Il s'y trouvait joint un document ainsi conu : Ç Moi, Jean Verdunkh, camŽrier et ma”tre de la garde-robe de son Altesse Žlectorale Maximilien, duc de Bavire, etc., reconnais ici que la sŽrŽnissime princesse Elisabeth, palatine du Rhin, duchesse dans la haute et la basse Bavire, etc., nŽe duchesse de Lorraine, Žtant dŽcŽdŽe dans le couvent de Randshoffen, a lŽguŽ ce qu'elle laissait ˆ ses hŽritiers et ˆ des amis qui en ont ŽtŽ mis en possession. C'est ˆ cette occasion que le marŽchal de la cour de son Altesse Žlectorale, comte Maximilien Kurz de Senftenau etc., a donnŽ des marques de souvenir ˆ ceux qui s'Žtaient donnŽ

beaucoup de peine dans cette affaire et que j'ai eu le grand bonheur de recevoir pour ma part un Agnus Dei dans lequel se trouvaient des cheveux de Notre Dame. J'ignore si monsieur le comte a su que cette relique sÕy trouvait, mais je l'ai vŽnŽrŽe, conservŽe et ensuite donnŽe ˆ ma fille Anne de JŽsus, carmŽlite ˆ Cologne, le jour de sa profession. Trois ou quatre ans aprs, son Altesse Žlectorale, mon gracieux ma”tre, aprs avoir engendrŽ des hŽritiers de l'Žlectrice actuelle, a fait ouvrir les grands reliquaires o Žtait, entre autre choses, un grand morceau de terra madefacta  sanguine Christi et y a pris trois parcelles dans un Agnus Dei pour madame son Žpouse et les deux jeunes princes. Comme on avait fait la division sur un papier trs-propre, il y est restŽ deux ou trois miettes trs-petites, qui Žtaient si petites que son Altesse ne put les prendre. Elle m'ordonna alors de les bržler de peur qu'elles ne fussent profanŽes. Mais j'ai conservŽ ces petites miettes dans ce papier fin ; je ne les ai pas bržlŽes, mais tenues en grand honneur, et ma chre fille Anne de JŽsus m'en ayant priŽ, je lui ai fait aussi hommage de cette relique.

J'atteste sur ma conscience, et comme je dŽsire mon salut, que cela est vrai et que tout s'est passŽ comme je l'ai dit dans cet Žcrit. En foi de quoi j'ai marquŽ les reliques avec mon plus petit cachet. J'ai Žcrit et signŽ ceci, j'y ai mis aussi mon sceau. DonnŽ ˆ Munich, le 30 mai 1643.

L.S.

 

Jean VERDUNCKH,

camŽrier Žlectoral et ma”tre de la garde-robe.

 

 

J'Žtais attirŽe dans cette direction (elle montra l'endroit o le sachet Žtait cachŽ) par une douce attraction semblable ˆ la faim : c'Žtait une soif, un dŽsir qui ne pouvait pas tre satisfait. Il me semblait que j'allais voler lˆ et en mme temps j'Žtais forcŽe d'aller vers un autre endroit. J'Žtais dans une grande Žmotion et je vis beaucoup de scnes successivement ou les unes ˆ c™tŽ des autres. Je vis, partant de cette direction, une vision complte o JŽsus-Christ, agenouillŽ sur une pierre, suait le sang dans la grotte du jardin des Oliviers. Je vis les disciples endormis et je vis aussi tout le tableau de l'angoisse de JŽsus et des pŽchŽs des hommes qui l'accablaient de leur poids. Je vis la pierre arrosŽe de gouttes de sang qui tombaient. Elles Žtaient recouvertes de sable ou de terre et entirement cachŽes : mais il me sembla que le sable Žtait enlevŽ devant moi et que je pouvais voir ces gouttes de sang. Cela semblait repasser longtemps aprs. J'eus aussi une vision de la trs-sainte Vierge qui, au mme moment, Žtait ˆ genoux sur une pierre, dans la cour attenante ˆ la maison de Marie, mre de Marc, et ses genoux s'imprimaient dans la pierre. Elle ressentait les angoisses de JŽsus avec lui, elle Žtait comme sans connaissance et on l'assistait. Je vis tout cela en mme temps. J'eus aussi une vision touchant les cheveux de Marie et je vis de nouveau comment ses cheveux Žtaient partagŽs en trois parties et comment les ap™tres, les couprent avant de partir. È

Alors le Plerin lui montra le sachet. Elle le considŽra, mŽditant en silence, et dit enfin : Ç Les cheveux de Marie sont aussi lˆ-dedans. Je le vois de nouveau. Il y a rŽellement lˆ du sang de JŽsus-Christ. Il y a trois petits grains trs menus. Cette relique agit tout autrement que les autres saintes reliques. Elle m'attire ˆ elle d'une faon si merveilleuse, elle fait na”tre dans mon coeur un dŽsir si doux, si semblable ˆ la faim ! La lumire que jettent d'autres reliques est en comparaison de celle-lˆ comme un feu terrestre comparŽ ˆ la splendeur du soleil ˆ son midi. È Elle rŽpŽta ˆ plusieurs reprises : Ç C'est du sang de JŽsus-Christ. J'en ai vu une autre fois qui avait coulŽ d'une hostie. Ceci est certainement du sang de JŽsus-Christ restŽ sur la Terre : ce n'est pas la substance du sang, mais seulement comme sa couleur: je ne puis pas bien exprimer cela. J'ai vu les anges recueillir seulement celui qui, pendant la Passion, a coulŽ sur la terre et sur le chemin suivi par le Seigneur. È

Elle eut alors pendant assez longtemps des visions sur lÕinvention, le culte et toute l'histoire de cette relique : voici ce qu'elle en raconta ˆ diverses reprises : Ç Je vit une pieuse princesse en habit de plerine aller ˆ JŽrusalem avec un grand cortge. Elle Žtait native de lՔle de Crte et n'Žtait pas encore baptisŽe, mais elle dŽsirait ardemment le baptme. Je la vis d'abord ˆ Rome quand cette ville Žtait encore pa•enne. Il semblait qu'il y ežt un temps de calme succŽdant ˆ une persŽcution, car le pape qui l'instruisit dans la foi habitait dans un Ždifice en ruines et les chrŽtiens se rassemblaient sans bruit dans divers endroits. Dans la terre promise on laissait les chrŽtiens assez tranquilles : mais, pour faire le voyage de JŽrusalem, il fallait s'exposer ˆ beaucoup de dangers. JŽrusalem Žtait trs-changŽe : des hauteurs avaient ŽtŽ rasŽes, des vallŽes avaient ŽtŽ comblŽes dans la ville et des rues passaient sur des lieux sanctifiŽs et notables. Je crois aussi que les Juifs Žtaient confinŽs dans un quartier de la ville. Il restait ˆ peine quelques vestiges du temple. La place du saint sŽpulcre Žtait toujours prs du Calvaire et hors de la ville, mais on ne pouvait pas y arriver: tout Žtait couvert de dŽcombres, on avait b‰ti au-dessus et tout autour. Dans les murs qui l'environnaient, il y avait des excavations et des souterrains o habitaient plusieurs saints personnages qui vŽnŽraient ce saint lieu :ils semblaient appartenir ˆ une communautŽ instituŽe par les premiers Žvques ds le temps des ap™tres. Ils ne pouvaient pas visiter corporellement le saint sŽpulcre, mais ils y allaient souvent en vision. On paraissait peu s'inquiŽter des chrŽtiens :pourvu qu'ils prissent quelques prŽcautions, ils pouvaient sans tre inquiŽtŽs, visiter les lieux saints, faire des fouilles dans certains endroits et recueillir des reliques. A cette Žpoque, plusieurs corps saints des premiers temps furent recueillis et conservŽs. È

           Ç La princesse plerine, priant sur la montagne des Oliviers, vit en vision le sang prŽcieux et en parla ˆ un prtre du saint sŽpulcre. Celui-ci alla avec cinq autres ˆ l'endroit indiquŽ et y creusa la terre. Ils trouvrent une pierre de diverses couleurs sur laquelle JŽsus avait eu la sueur de sang dont plusieurs gouttes y Žtaient tombŽes. Comme ils ne pouvaient pas enlever la pierre qui faisait corps, avec le rocher, ils dŽtachrent sur l'un des c™tŽs un fragment de la surface, grand comme la main. La plerine en reut une partie. Elle obtint aussi d'autres reliques, des vtements . de saint Lazare et du vieillard SimŽon dont le tombeau, placŽ assez prs du temple, avait ŽtŽ dŽtruit. Je crois que le nom de cette femme est dans le catalogue des saints, bien qu'il soit inconnu chez nous. Le fragment de la pierre qui lui fut donnŽ Žtait triangulaire avec des veines de couleurs variŽes. Au commencement il fut mis dans un autel : plus tard on le plaa dans le pied d'un ostensoir. È

 

8 juillet. - Ç Le pre de la jeune fille descendait des rois de Crte (la Crte Žtait alors possŽdŽe par les Romains). Cependant il avait encore de grands biens et habitait un ch‰teau voisin d'une ville situŽe dans la partie occidentale de lՔle et dont le nom Žtait comme Cydon ou Canea : il vient lˆ beaucoup de fruits jaunes ˆ c™tes, larges prs de la tige et aplatis par en haut (note).

 

(note) Elle entend par lˆ sans doute une espce de coing qu'on appelle malum cydonium.

 

Entre le ch‰teau et la ville Žtait une grande arcade ˆ travers laquelle on voyait la ville o conduisait une grande avenue. Ce pre avait encore cinq fils : je ne vis plus la mre dans un temps o la fille Žtait encore jeune. Il Žtait dŽjˆ prŽcŽdemment allŽ dans la terre promise et aussi ˆ JŽrusalem. Un de ses anctres avait connu ce Lentulus qui avait eu tant d'amour pour JŽsus, qui Žtait devenu lÕami de Pierre, et auquel celui-ci avait fait conna”tre le christianisme : de lˆ venait que le pre de la jeune fille n'avait pas non plus d'Žloignement pour la religion chrŽtienne. Il se trouva ˆ Rome en mme temps que celui qui devait tre plus tard le fiancŽ de sa fille; ils parlrent ensemble du christianisme, et le fiancŽ; dit qu'il ne pouvait s'empcher d'aspirer ˆ tre chrŽtien. Ce fut, je crois, ˆ cette qu'on convint du mariage, ou du moins qu'on apprit ˆ se conna”tre rŽciproquement. Le pre et le fiancŽ se firent aussi donner par un prtre des instructions plus prŽcises touchant la religion chrŽtienne. Le fiancŽ, qui avait le rang de comte, Žtait ˆ la vŽritŽ d'origine Romaine, mais il Žtait nŽ dans les Gaules. Le prince crŽtois devint de plus en plus Žtranger aux choses du paganisme. Sa fille et ses autres enfants, qu'il avait ŽlevŽs de son mieux, l'entendaient souvent vanter la religion chrŽtienne. Il avait un droit sur le labyrinthe de Crte, mais par suite du changement qui s'Žtait fait dans ses sentiments, il y renona et l'abandonna ˆ son gendre. Le jardin du labyrinthe avec son temple n'Žtait plus ce qu'il avait ŽtŽ ˆ une Žpoque antŽrieure, o souvent on y conduisait des hommes pour tre dŽchirŽs par les btes fŽroces; mais on y cŽlŽbrait toujours un culte idol‰trique : un grand nombre d'Žtrangers le visitaient comme une curiositŽ et on s'y livrait ˆ beaucoup de honteuses pratiques. De loin il avait l'aspect d'une montagne de verdure. È

           ÇLorsque la jeune fille alla ˆ Rome pour se faire instruire, elle pouvait avoir dix-sept ans : l'annŽe suivante, lorsqu'elle fit, avec des personnes qui partageaient ses sentiments, le plerinage de Crte ˆ JŽrusalem, il semblait que son pre Žtait dŽjˆ mort et qu'elle Žtait sa propre ma”tresse. - Elle portait le saint sang sur elle dans une ceinture richement brodŽe et garnie de plusieurs petites poches. Les plerins portaient de ces ceintures en bandoulire. Peu de temps aprs son retour dans l'”le de Crte, le comte l'emmena avec lui sur un navire. Aprs avoir sŽjournŽ quelque temps en Crte, il la conduisit ˆ Rome o ils s'arrtrent plus longtemps et furent baptisŽs en secret. - La chaire papale Žtait alors vacante. Il y avait des discordes et des troubles et on tuait souvent des chrŽtiens. De Rome ils s'embarqurent pour la Gaule avec un certain nombre de soldats. Depuis leur mariage, ils avaient rŽsidŽ environ six mois tant en Crte qu'ˆ Rome. Maintenant c'Žtait le comte qui portait le prŽcieux sang sur lui dans une ceinture. Elle le lui avait donnŽ comme gage de sa fidŽlitŽ. Son habitation Žtait au bord du Rh™ne, ˆ sept heures ˆ peu prs dÕAvignon et de N”mes, sur une ”le. Tarascon et la solitude de sainte Marthe n'Žtaient pas loin de lˆ.. Il y avait alors ˆ mes quelques catŽchistes chrŽtiens qui vivaient ensemble secrtement. Le monastre de sainte Marthe Žtait situŽ sur une hauteur, entre le Rh™ne et un lac. Le ch‰teau du comte Žtait dans une ”le, et ˆ peu de distance de lˆ Žtait un petit

village. Celui qui fut connu sous le nom de Saint-Gabriel doit son origine ˆ un miracle par lequel un homme fut sauvŽ d'une tempte sur le lac. Le comte recevait de temps en temps la visite d'un ermite qui Žtait un saint prtre. È

           Ç Le prŽcieux sang fut d'abord conservŽ dans un caveau souterrain. C'Žtait une pice sombre o l'ou n'arrivait que par plusieurs autres caveaux. Dans un de ceux-ci on conservait des plantes et des provisions : on y transportait dans lÕhiver des arbres couverts de verdure. Le saint sang se trouvait dans un vase ressemblant ˆ un calice, et qui Žtait placŽ sur l'autel devant lequel bržlait une lampe, dans un tabernacle triangulaire, muni d'une petite porte qui se fermait ˆ clef. J'ai souvent vu la jeune femme prier devant ce tabernacle. È

Ç Je vis que plus tard les deux Žpoux vŽcurent sŽparŽs, comme des anachortes, et mme loin du ch‰teau o ils ne venaient que pour faire leurs exercices de piŽtŽ devant le saint sang. Je vis aussi qu'ils entendirent une voix leur enjoignant de le placer dans une chapelle, et qu'ils arrangrent avec soin, ˆ cet effet, une pice attenante ˆ la salle ˆ manger. Je vis le culte du prŽcieux sang prendre de nouveaux accroissements, mais toujours secrtement. La relique fut transmise plus tard ˆ des hŽritiers avec de doubles documents attestant son origine. È

           Ç Je vis alors aussi quelque chose concernant saint Trophime ˆ Arles, mais je ne me souviens que des noms. Avant le mariage du comte, des chrŽtiens Žtaient venus de la Palestine dans ce pays : le comte les avait bien traitŽs et entretenus ˆ ses frais. Il y avait ˆ et lˆ de petites communautŽs cachŽes. -- Le pre de la comtesse n'avait pas manifestŽ ses sentiments devant ses fils a”nŽs qui Žtaient dans d'autres idŽes; mais les plus jeunes Žtaient d'accord avec leur soeur et il y eut, je crois, des martyrs parmi eux. È

 

           14 juillet. - Ç Comme je pensais au saint sang, j'eus une vue de l'autel qui Žtait dans le ch‰teau de la comtesse. Je vis ensuite celle-ci, d'abord jeune fille, prs de son pre dans l'”le de Crte, puis lors de son sŽjour ˆ Rome avec le comte. Je vis lˆ en mme temps saint Mo•se, n'ayant encore que neuf ou dix ans, porter des secours de toute espce aux chrŽtiens malades et prisonniers. Je vis ˆ Rome le comte et la princesse avec d'autres chrŽtiens dans un caveau souterrain o des prtres leur lisaient des Žcrits ˆ la lueur des lampes : il semblait qu'on leur fit des instructions. A cette Žpoque beaucoup de personnes de haut rang furent baptisŽes secrtement ˆ Rome : il n'y avait pas de persŽcution dŽclarŽe, mais, de temps en temps, l'un ou l'autre Žtait atteint. È

           Ç Des chrŽtiens de Palestine Žtaient venus prŽcŽdemment au lieu o habitait le comte. Il avait des rapports secrets avec eux. Au commencement ils n'avaient pas la sainte messe, mais seulement des prires et des lectures en commun. Plus tard un ermite qui venait ˆ peu prs toutes les six semaines et ensuite un prtre de N”mes vinrent leur dire la sainte messe. Cela se passait ˆ l'Žpoque o l'on emportait chez soi la sainte Eucharistie. È

           Ç Lorsque le comte et sa femme se sŽparrent pour vivre dans la solitude, ils avaient des enfants dŽjˆ grands, deux fils et une fille. Leurs ermitages Žtaient ˆ une demi-lieue lÕun de l'autre et ˆ pareille distance du ch‰teau, mais compris encore dans l'ensemble des jardins et des champs qui en dŽpendaient. Il fallait, pour y aller, passer sur un pont qui traversait un cours d'eau de peu de largeur. Il y avait lˆ, creusŽes dans des hauteurs semblables ˆ des retranchements, des grottes qui leur servaient de demeures. D'autres chrŽtiens du pays vivaient de la mme manire : ils s'assistaient mutuellement et, ˆ un certain moment, il y eut comme un monastre. Ils ne sont pas morts lˆ, ils n'ont pas ŽtŽ non plus martyrisŽs, mais lorsque le danger Žclata, ils se rŽfugirent dans un autre endroit. È

 

           Le 13 juillet, Anne-Catherine dŽsigna une relique comme Žtant du pape saint Anaclet. Elle dit qu'il avait ŽtŽ le cinquime pape, qu'il avait succŽdŽ ˆ saint ClŽment et qu'il Žtait mort martyr. En mme temps, elle dit ˆ propos de la relique du saint sang: Ç Le prtre qui dŽterra le saint sang Žtait le saint Žvque Narcisse. Il Žtait de la tribu des trois rois avec lesquels ses anctres Žtaient venus dans la terre sainte. Il faisait clair comme en plein jour lorsqu'il creusa la nuit sur le mont des Oliviers. La jeune fille Žtait prŽsente. Il Žtait habillŽ ˆ la manire des ap™tres. - JŽrusalem Žtait ˆ peine reconnaissable ˆ cette Žpoque : par suite de sa destruction, des vallŽes avaient ŽtŽ comblŽes et des hauteurs aplanies. Les chrŽtiens avaient encore une Žglise, dans un endroit voisin de la piscine de Bethesda entre Sion et le temple, o ils avaient dŽjˆ une Žglise du temps des ap™tres. Mais celle-ci n'existait plus. Ils habitaient autour de lˆ dans des cabanes et quoique leurs demeures formassent un groupe tout ˆ fait sŽparŽ de la ville, ils Žtaient pourtant obligŽs de payer une taxe pour pouvoir entrer dans l'Žglise. Un homme et une femme Žtaient assis ˆ la porte et les fidles des deux sexes devaient leur payer la redevance. Ils donnaient cinq petites pices de monnaie: cela dura un certain temps. La piscine de Bethesda avec ses cinq pŽristyles n'existait plus : tout Žtait comblŽ et dŽtruit. Il en restait pourtant un puits surmontŽ d'un Ždifice. L'eau en Žtait regardŽe comme sainte et on en faisait usage dans les maladies comme on fait chez nous pour l'eau bŽnite. È

           Ç Le nom du comte Žtait le mme que celui d'un des amis de saint Augustin, Pontitianus : celui de la comtesse Žtait Tatule ou Datule : je ne puis le donner comme il faut. Il y a une sainte de ce nom ˆ la fin de mai ou au commencement de juin. È Le 18 juillet, dans l'aprs-midi, elle dit tout ˆ coup : Ç Il y avait tout ˆ l'heure un homme prs de moi ; c'Žtait un cardinal, confesseur d'une sainte reine appelŽe Isabelle. Il Žtait trs-h‰bile directeur des consciences; il m'a dit que je devais m'accuser du bien que j'avais nŽgligŽ de faire et faire pŽnitence pour beaucoup de pŽchŽs d'autrui. Il me montra sainte Datula qui a possŽdŽ la relique du saint sang, en vue de laquelle elle avait abandonnŽ tous ses biens et s'Žtait retirŽe, ainsi que son mari, dans la solitude pour y pleurer ses pŽchŽs. Le cardinal s'appelait XimŽns. Je n'ai jamais entendu prononcer ce nom : il n'a pas ŽtŽ canonisŽ È - Un jour o elle avait vu plusieurs choses de la vie de sainte Marthe, elle indiqua plus prŽcisŽment, ˆ cette occasion, le lieu o habitaient Pontitien et Datula : Ç L'”le o Žtait le ch‰teau, dit-elle, Žtait dans l'embouchure du bras oriental du Rh™ne ; elle avait environ une demi-lieue de tour. Pontitien avait des soldats sous ses ordres et son ch‰teau Žtait comme une forteresse avec des retranchements. A sept lieues de lˆ, en remontant le fleuve, Žtait la ville d'Arles et ˆ huit lieues environ le monastre de sainte Marthe situŽ dans une contrŽe pleine de rochers. È

 

           Le 24 juin elle eut une vision qu'elle raconta, toute joyeuse de la touchante impression qu'elle en avait reue. Elle ne se souvenait plus bien ˆ quelle occasion elle l'avait eue ni ˆ elle se liait. Elle la raconta comme une fille de la campagne raconterait, tout ŽtonnŽe, la marche d'un grand et solennel cortge. Elle interrompait sans cesse son rŽcit par des expressions d'admiration pour la magnificence, l'ordre et la convenance qui avaient rŽgnŽ partout, parce que tous ceux qui avalent pris part ˆ la fte, quoique n'Žtant pas encore chrŽtiens, dŽsiraient pourtant beaucoup le devenir et se conformaient du mieux quÕils le pouvaient aux moeurs et aux usages des chrŽtiens. Ç La Crte, dit-elle, est une ”le longue, Žtroite et trs-dŽcoupŽe : au milieu elle est traversŽe une cha”ne de montagne. Le ch‰teau du pre de sainte Datula Žtait un Ždifice trs-beau et trs-grand, prŽsentant une suite de terrasses et comme taillŽ dans un rocher de marbre. Il y avait sur les terrasses des galeries avec des colonnes, les cours Žtaient aussi entourŽes de pŽristyles au-dessus desquels on avait fait des jardins. Le pre de Datula avait construit ces terrasses et ces jardins suspendus comme un rempart en avant de son ch‰teau, lorsqu'ayant connu la religion chrŽtienne, il voulut se sŽparer tout ˆ fait des lieux o Žtaient le labyrinthe et son abominable temple d'idoles. C'Žtait un homme trs-versŽ dans les arts et qui avait des connaissances pratiques de tout genre.  Je le voyais sans cesse se promener prs des artistes et des architectes habiles qu'il avait fait venir. Il avait la tte chauve et enfoncŽe dans les Žpaules : il Žtait du reste trs-bienveillant et trs-actif. Il possŽdait d'autres grands biens dans lՔle et il avait aussi un commandement ˆ exercer. Le rempart Žtait en forme de degrŽs, consistant en terrasses pleines de berceaux de feuillage bien taillŽs qui conduisaient dans des cabinets et des allŽes. È

C'Žtait aujourd'hui l'anniversaire du jour o Pontitien avait emmenŽ Datula comme sa fiancŽe du ch‰teau de ses frres (le pre ne vivait plus). J'ai vu toute la nuit la merveilleuse fte donnŽe ˆ cette occasion, et cela si clairement que j'ai encore sous les yeux les visages des jeunes filles et des enfants. Deux frres de Datula habitaient le ch‰teau : ils avaient un grand nombre d'enfants, garons et filles, et il demeurait lˆ beaucoup de monde. Chaque enfant avait un prŽcepteur et une quantitŽ de serviteurs et de servantes, ayant chacun leur office particulier : prs de chaque enfant Žtaient en outre la nourrice et la bonne qui l'avaient soignŽ dans sa premire jeunesse. Tous les parents et alliŽs de la famille Žtaient venus lˆ avec tous leurs domestiques. Le chemin qui menait au ch‰teau Žtait pendant une demi-lieue garni des deux c™tŽs d'arcs de triomphe et de siges ŽlŽgants qui Žtaient ornŽs de fleurs, de statues, et de magnifiques tapis : il y avait partout des enfants faisant de la musique. Cela se prolongeait jusqu'ˆ la porte du ch‰teau prs de laquelle avait ŽtŽ disposŽe une tribune o la fiancŽe devait siŽger. Pontitien Žtait arrivŽ le jour prŽcŽdent dans un port voisin avec un vaisseau chargŽ de soldats, de serviteurs, de femmes et de prŽsents, et il s'Žtait rendu dans un autre ch‰teau situŽ ˆ peu de distance o il rŽgla la marche de son cortge. Du c™tŽ de la fiancŽe, rien n'Žtait plus touchant que la joie des serviteurs et des esclaves. Ils Žtaient toujours traitŽs avec une grande bontŽ, on les avait comblŽs de prŽsents et ils Žtaient pleins de joie. Ils Žtaient postŽs sur le chemin, les moindres en avant, puis les plus importants, puis sur des siges exhaussŽs les enfants avec leur suite. Pontitien arriva avec un grand cortge. En avant et autour de lui marchaient avec ses soldats des serviteurs ŽlŽgamment vtus, conduisant des ‰nes et de petits chevaux agiles chargŽs de paniers pleins de vtements; d'autres portaient des corbeilles remplies de p‰tisseries de toute espce. Pontitien Žtait assis sur un large char trs-beau qui ressemblait ˆ un grand tr™ne recouvert d'un dais : il Žtait entourŽ de flambeaux allumŽs placŽs sur un plateau transparent comme du verre, en haut sur le dais il y avait aussi un beau. Tout Žtait dŽcorŽ de belles draperies, d'ornements en or et en ivoire. Ce char Žtait tra”nŽ par un ŽlŽphant. Il y avait aussi dans sa suite une grande quantitŽ de femmes. È

Ç Tout ce cortge marchait joyeusement et dans le plus grand ordre ˆ travers la belle campagne et ses belles allŽes pleines de fruits jaunes, au milieu des fleurs et de la foule pleine d'allŽgresse : c'Žtait une jubilation universelle et il nÕy avait pourtant pas de clameurs inconvenantes. Lorsqu'ils arrivrent prs des premiers serviteurs, des vtements et des g‰teaux plats furent distribuŽs ˆ tout le monde par ceux qui prŽcŽdaient Pontitien : il y avait de ces g‰teaux qui Žtaient tout plantŽs d'arbustes. Le cortge s'avana ainsi sans qu'on cess‰t de distribuer des prŽsents et au milieu des acclamations joyeuses. Lorsque le fiancŽ fut arrivŽ prs des siges enfants de la famille, on tendit dans le chemin, en face de lui, des draperies de soie avec des franges formant de longues banderoles, et des choeurs d'enfants le salurent de leurs chants accompagnŽs par les instruments de musique. Il descendit de son char pour leur offrir des prŽsents et le cortge continua sa marche vers les frres et les belles-sÏurs de la fiancŽe; puis, ayant passŽ un pont, il s'avana sous de grands arcs de triomphe ŽlŽgamment dŽcorŽs. On vit alors entre les magnifiques Ždifices et les jardins une espce de thŽ‰tre en forme de niche ŽlevŽ en terrasse sur plusieurs degrŽs ornŽ de guirlandes de fleurs et de belles statues. Les gradins Žtaient couverts de riches tapis et les rampes perpendiculaires des terrasses supportaient des rangŽes entires de trs-belles sculptures. Elles Žtaient diaphanes et trs brillantes, je me souviens, entre autres, de toute une chasse o les yeux des animaux Žtincelaient comme du feu. Le cortge s'avanait en plein jour, mais le tr™ne Žtait placŽ dans un enfoncement o beaucoup de choses recevaient la lumire comme par derrire ou de c™tŽ. Il y avait aussi des flambeaux comme sur le char du fiancŽ. Autour de ce tr™ne s'Žlevait un demi-cercle d'autres petits Ždifices d'o sortirent tout ˆ coup ˆ l'arrivŽe de Pontitien des chants pleins de douceur avec accompagnement de flžtes : tout cela Žtait merveilleusement beau. È

Ç Mais ce qu'il y avait de plus beau Žtait Datula, la fiancŽe, laquelle Žtait assise au haut du tr™ne et au-dessous d'elle, sur les marches, ses amies et ses servantes formant deux rangs. Toutes Žtaient vtues de blanc : leurs cheveux Žtaient couverts d'ornements et artistement tressŽs autour de la tte; elles portaient de longs voiles. Datula avait un vtement d'un blanc brillant, je crois qu'il Žtait de soie; il formait de trs-longs plis; ses cheveux Žtaient tressŽs avec des perles d'une grande beautŽ et je ne puis dire ˆ quel point j'Žtais touchŽe de voir ˆ travers ses vtements, prs de son coeur, briller la ceinture brodŽe avec la relique du saint sang qui rŽpandait comme les rayons d'une lumire cŽleste sur toute la pompe environnante. Je vis son coeur entirement plongŽ dans la pensŽe du voisinage de cet objet sacrŽ. Elle Žtait comme un ostensoir vivant. Lorsque son fiancŽ parut devant le tr™ne, et que ses serviteurs des deux sexes se rangrent en un demi-cercle. autour de lui, ils apportrent sur un grand coussin de soie les prŽsents qui consistaient en riches vtements et en bijoux cachŽs sous une belle draperie. Le tout Žtait enrichi d'ornements de toute espce et fut prŽsentŽ aux servantes qui le portrent en haut. Alors Datula descendit du tr™ne avec sa suite; elle se voila et s'agenouilla humblement devant Pontitien. Il la releva et, la prenant par la main, il la conduisit ˆ la droite de sa suite, ensuite il la ramena et la conduisit ˆ gauche le long du demi-cercle. Il la prŽsenta ˆ ses serviteurs comme leur future ma”tresse. Il Žtait bien touchant de la voir porter sur elle le saint sang au milieu des pa•ens. Je crois que Pontitien le savait, aussi Žtait-il trs-respectueux et trs-Žmu. lis entrrent alors dans le ch‰teau avec la famille. È

Ç On ne peut dire quel ordre rŽgnait parmi cette multitude de personnes et avec quel air joyeux ces gens se rŽpandaient dans, les chambres, les cours, les terrasses et les bosquets; quelques-uns mangeaient sous des tentes, badinaient et chantaient. Je ne vis pas de danses. Je vis aussi un grand banquet dans une salle ronde trs-spacieuse dont on pouvait voir l'intŽrieur de tous les c™tŽs. La fiancŽe Žtait assise prs de Pontitien. La table Žtait plus haute que chez les Juifs ; les hommes Žtaient couchŽs sur des lits de repos, les femmes Žtaient assises les jambes croisŽes. On mit sur la table des choses tout ˆ fait merveilleuses, de grands animaux et de grandes figures portant les mets dans le c™tŽ, sur leur dos ou dans des corbeilles qu'ils tenaient ˆ la gueule. C'Žtait bizarre, mais agrŽable, et les convives firent d'abord toute sorte de badinages avec ces figures. Les coupes o l'on buvait Žtaient brillantes comme de la nacre de perle. Je vis ce spectacle toute la nuit : je n'ai pas encore vu de cŽrŽmonie nuptiale, mais je vis le dŽpart de Datula et de Pontitien. Beaucoup de bagages avaient ŽtŽ envoyŽs d'avance au navire et un cortge solennel accompagna les fiancŽs jusqu'au port avec beaucoup de larmes et de souhaits pour leur bonheur. Je vis Pontitien, Datula et plusieurs autres personnes s'asseoir sur un long chariot Žtroit ˆ plusieurs roues: et ˆ plusieurs compartiments lequel, dans les dŽtours de la route se tournait quelquefois de manire ˆ ce que ceux qui y Žtaient assis form‰ssent un demi-cercle : il Žtait tra”nŽ par de petits chevaux fringants. Dans toute cette fte, je n'ai rien vu de dŽsordonnŽ, pas la plus petite inconvenance; quoique ces gens ne fussent pas encore chrŽtiens, on ne remarquait pourtant rien qui t”nt ˆ l'idol‰trie; on avait le sentiment de quelque chose qui plaisait ˆ Dieu. Toute la famille semblait dŽjˆ tourner au christianisme. Les personnes Žtaient toutes dÕune beautŽ remarquable et je ne puis oublier ces belles, grandes, fortes femmes et jeunes filles que j'ai vues. Datula en emmena plusieurs ; elle emmena aussi sa nourrice ou sa gouvernante qui avait Žgalement des sentiments trs chrŽtiens. Je ne vis pas le dŽpart du navire. È

 

Le 11 fŽvrier 1821, pendant qu'Anne Catherine Žtait en extase, le Plerin laissa tomber d'un livre de prires sur la couverture de son lit une petite image de JŽsus en croix. Elle la saisit rapidement, la pressa dans ses deux mains, les yeux fermŽs, la palpa ˆ plusieurs reprises et dit : Ç C'est quelque chose de trs-prŽcieux et qui doit tre vŽnŽrŽ : cela a touchŽ ˆ un objet sacrŽ et il en sort une grande clartŽ ! È Elle la mit alors sur sa poitrine et dit : Ç Elle a touchŽ ˆ la robe de JŽsus-Christ et il y a sur cette robe une tache du sang de JŽsus. Elle est dans le haut, ˆ l'endroit du cou. È

 

8 avril 1823. Ç J'ai eu ˆ faire un grand travail fort pŽnible avec des reliques d'une trs-ancienne Žpoque. C'Žtait plus loin que la terre promise. Les prtres de ce pays n'avaient pas tout ˆ fait l'apparence de prtres catholiques; ils portaient des vtements d'une forme trs-antique et avaient de la ressemblance avec ceux du mont Sina•. Il me sembla que c'Žtait la contrŽe o je vois toujours le moins ŽloignŽ des trois rois : la ville o se trouve l'ancien livre prophŽtique gravŽ sur des plaques de cuivre (CtŽsiphon) Žtait situŽe ˆ gauche. J'avais ˆ m'occuper lˆ du sang de JŽsus-Christ et je devais montrer aux prtres un trŽsor de reliques. Je vis sept vieux prtres creuser sous d'anciens murs en ruines dans un caveau souterrain : ils Žtayrent d'abord la vožte de peur qu'elle ne s'Žcroul‰t. Les saintes reliques Žtaient scellŽes dans une grande pierre qui paraissait tout d'une pice, mais qui n'Žtait formŽe que de parcelles triangulaires trs-artistement jointes ensemble. Quand elle fut ouverte, on vit une Žpaisse couverture de crin sous laquelle Žtait un trŽsor des plus importantes reliques de la Passion et de la sainte famille : tout Žtait conservŽ dans des vases triangulaires, placŽs ˆ c™tŽ les uns des autres. Il y avait notamment du sable arrosŽ et teint du sang de JŽsus au pied de la croix et, dans de petites fioles, de l'eau sortie de la blessure du c™tŽ de JŽsus : elle Žtait claire, consistante et ne coulait pas. Il y avait aussi des Žpines de la sainte couronne, un morceau du manteau de pourpre dŽrisoire, divers morceaux des habits de la sainte Vierge, des reliques de sainte Anne et bien d'autres. Sept prtres travaillaient lˆ : il vint en outre des diacres avec des flambeaux et je crois aussi qu'ils placrent le Saint-Sacrement au-dessus. J'ai eu beaucoup ˆ faire, il me fallait notamment dŽlivrer des prisonniers (c'est-ˆ-dire des ‰mes du purgatoire) et le saint sang devait m'y aider. Je crois que des ap™tres ont dit autrefois la messe en cet endroit. È

 

Le 9 octobre 1821, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu beaucoup de choses de la vie de saint Franois Borgia : je l'ai vu homme du monde et religieux : je me souviens qu'il avait des scrupules ˆ propos de la communion quotidienne et qu'il priait devant une image de Marie. Il reut lˆ un rayon du sang de l'enfant JŽsus et du lait de Marie et il lui fut dit qu'il ne devait pas se priver de la nourriture qui Žtait sa vie. J'ai vu souvent la manire dont on reprŽsentait d'autres saints recevant ainsi du lait de la sainte Vierge : on les montrait buvant ˆ son sein comme des enfants ou bien c'Žtait le lait qui jaillissait du sein jusqu'ˆ eux. Mais c'est reprŽsenter la chose d'une faon absurde et indŽcente. Je vis cela tout autrement. Je vis que du sein de Marie, c'est-ˆ-dire de la rŽgion de la poitrine, une espce de petit nuage blanc rayonnait vers eux et Žtait aspirŽ par eux. C'Žtait comme si une manne sortait d'elle sous forme de rayon. Je vis sortir du c™tŽ de JŽsus un rayon rouge qui brilla sur le saint. C'est comme du froment et du vin, comme de la chair et du sang. C'est impossible ˆ exprimer. È

 

Effets de la sainte Lance.

 

En juillet 1820, le confesseur d'Anne Catherine avait reu quelques reliques sans noms tirŽes d'une vieille cassette ayant appartenu ˆ la maison de Dulmen et parmi lesquelles se trouvait, disait on, une petite parcelle de la sainte Lance. Lorsqu'il la prŽsenta ˆ Anne Catherine et qu'elle l'eut prise, elle poussa une exclamation et dit : Ç Cela pique ! c'est un signe ! j'ai reu une piqžre ! È et la plaie de son c™tŽ se trouva rougie. Elle eut ensuite une vision sur Longin et raconta ce qui suit : Ç Je vis le Seigneur mort sur la croix., je vis tout, la situation et la position de chacun, et tous les assistants comme au vendredi saint. C'Žtait l'instant o les jambes du crucifiŽ devaient tre brisŽes. Longin montait un cheval ou un mulet (il ne ressemblait pas ˆ nos chevaux, il avait le cou Žpais), et se tenait en dehors du lieu du supplice : il y entra, ayant sa lance au pied, se dressa sur ses Žtriers, et frappa le c™tŽ droit du Seigneur. Quand il vit couler le sang et l'eau, son ‰me fut comme transpercŽe d'une faon merveilleuse; il descendit en toute h‰te la pente du Calvaire et courut jusque dans la ville. Il alla trouver Pilate et lut dit qu'il regardait JŽsus comme le Fils de Dieu et qu'il ne voulait plus tre soldat. Il dŽposa chez lui sa lance et ses armes, puis il le quitta. Ce fut Nicodme, si je ne me trompe, qu'il rencontra ensuite et auquel il dit la mme chose, aprs quoi il se joignit aux disciples. Pilate jugea honteux de garder la lance qui avait ŽtŽ un instrument de supplice et il me semble que Nicodme la reut de lui. Je crois que nous avons une relique de Nicodme. È Elle plaa alors la relique avec les autres dans l'armoire de la muraille. Plus tard en prŽsence du Plerin, elle se tourna vers l'armoire, Žtant en extase, et dit : Ç Les soldats sont lˆ avec la lance. Il y a dedans quelque chose de la lance du Christ. C'est Victor qui porte la parcelle dans la lance. Trois autres seulement en ont connaissance. È Le soir de ce mme jour elle fut en proie ˆ de telles douleurs qu'elle Žtait sur sa couche comme morte, quoique ŽveillŽe et ayant les yeux ouverts; elle ne pouvait se remuer ni faire aucun signe, enfin elle Žtait dans un tel Žtat d'insensibilitŽ que mme l'ordre du prtre ou la bŽnŽdiction du prtre semblaient sans effet. Plus tard elle raconta ce qui suit : Ç Aprs midi, j'eus le sentiment que la croix de JŽsus Žtait sur moi et que son corps sacrŽ Žtait couchŽ mort ˆ ma droite et sur mon bras. A quelque distance je vis la sainte Lance; d'abord un grand morceau, puis un tout petit fragment. Que devais-je prendre pour ma consolation? Je pris le saint corps : la lance s'Žloigna de moi : alors je pus de nouveau parler. È

Une autre fois elle raconta ceci : Ç J'ai continuŽ ˆ voir sainte Lance : et c'Žtait comme si elle Žtait enfoncŽe dans mon c™tŽ droit et comme si je la sentais ˆ gauche passer le long des c™tes. Je mis la main ˆ la blessure pour la diriger entre les c™tes. È Elle avais ˆ cette occasion vomi du sang et rendu aussi du sang par le c™tŽ.

 

Effet de la parcelle de la vraie croix.

 

           C'est dans le journal de Wesener qu'on trouve, ˆ la date du 16 octobre 1816, le premier fait rapportŽ par un tŽmoin oculaire touchant le don de reconna”tre les reliques : Ç Je trouvai la malade, dit-il, dans une profonde extase. Le pre Limberg Žtant prŽsent, je lui montrai une petite cassette que j'avais prise dans les objets laissŽs par ma belle-mre dŽcŽdŽe rŽcemment. Elle contenait avec d'autres reliques deux parcelles assez notables de la vraie Croix. Le pre Limberg, sans dire un mot, me prit la cassette des mains et, s'approchant du lit de la malade, la lui prŽsenta ˆ quelque distance. Tout ˆ coup elle se releva, tendit les mains vers la cassette, comme poussŽe par un ardent dŽsir, et lorsqu'elle la tint, la pressa fortement contre son coeur. Lˆ-dessus le pre Limberg lui demanda ce qu'elle avait lˆ. Elle rŽpondit : Ç Quelque chose de trs-prŽcieux, quelque chose de la sainte Croix. È Le P. Limberg la retira alors de l'extase par un commandement et je demandai ma cassette. Elle fut trs-ŽtonnŽe d'apprendre qu'elle Žtait ˆ moi, car elle croyait l'avoir trouvŽe parmi de vieux chiffons de soie qu'on lui avait envoyŽs de Coesfeld pour ses travaux destinŽs aux pauvres et aux malades et elle Žtait extrmement ŽtonnŽe que la pieuse pŽrsorne dont elle avait reu ces chiffons n'ežt pas mieux gardŽ la relique. È

           Cinq ans plus tard, le Plerin dit ˆ propos de la mme parcelle : Ç Aujourd'hui, pendant qu'elle Žtait en contemplation, on lui prŽsenta une parcelle de la vraie Croix appartenant au Dr Wesener; elle la saisit et dit : Ç J'ai aussi cela, je l'ai dans le coeur et sur la poitrine, (elle portait une relique de la vraie croix reue d'Overberg). J'ai aussi de la lance. Le corps Žtait sur la croix : la lance Žtait dans le corps. Que dois-je aimer le mieux ? La croix est l'instrument de la rŽdemption, la lance a ouvert une large porte ˆ l'amour. Oh ! hier j'y suis allŽe loin ! È (La veille Žtait un vendredi.)

           Ç La parcelle de la vraie croix me rend les souffrances douces, la relique les chasse. Souvent quand la parcelle de la croix adoucissait mes douleurs, j'ai dit au Seigneur Seigneur, s'il vous avait ŽtŽ si doux de souffrir sur cette croix, cette petite partie que j'en ai nÕadoucirait pas ainsi es douleurs. È

Lors de son changement de demeure, en aožt 1820, la parcelle de la croix donnŽe par Overberg se perdit, ce qui l'affligea beaucoup. Elle pria saint Antoine de Padoue et fit dire une messe en son honneur afin que la relique se retrouv‰t. Le 17 aožt, revenant ˆ elle aprs une vision, elle trouva dans sa main : Ç Saint Joseph et saint Antoine, dit-elle, ont ŽtŽ prs de moi et Antoine m'a mis la croix dans la main. È

 

Un vtement de la trs-sainte Vierge.

 

30 juillet 1820 : Ç J'ai dŽcouvert dans le petit paquet de reliques que m'a apportŽ mon confesseur, un autre petit morceau d'Žtoffe brun‰tre provenant d'un vtement de la Mre de Dieu. J'ai eu par suite une vision concernant Marie ; j'ai vu comment, aprs la mort de JŽsus, elle habitait, avec une servante, une petite maison isolŽe. Un coup d'oeil jetŽ sur les noces de Cana me fit reconna”tre que Marie y avait portŽ cet habit : c'Žtait un habit de fte. Elle vivait dans la

petite maison toute seule avec une servante et elle recevait de temps en temps la visite d'un disciple, d'un ap™tre ou de saint Jean. Il n'y avait pas d'homme dans la maison. La servante allait chercher le pain qu'il leur fallait pour se nourrir. La contrŽe Žtait tranquille et silencieuse : il y avait un bois ˆ peu de distance. Je vis Marie portant ce vtement visiter un chemin qu'elle avait disposŽ elle-mme dans le voisinage de sa demeure en mŽmoire des dernires voies douloureuses de JŽsus. Je vis que, dans le commencement, elle suivait seule ce chemin, mesurant toutes les voies de la douloureuse Passion selon le nombre des pas dont elle avait si souvent fait le compte aprs la mort de JŽsus, et que suivant l'intervalle qui sŽparait les lieux o il Žtait arrivŽ ˆ JŽsus quelque chose de particulier, elle faisait une marque avec des pierres ou sur un arbre, s'il s'en rencontrait un. Le chemin conduisait dans un bosquet et le tombeau de JŽsus Žtait reprŽsentŽ par une petite grotte creusŽe dans une colline. Lorsqu'elle eut ainsi marquŽ divers points de ce chemin, elle le suivit avec sa servante, plongŽe dans une contemplation silencieuse : quand elles arrivaient ˆ une des places marquŽes, elles s'asseyaient et mŽditaient le mystre qui s'y trouvait rappelŽ, puis, ayant priŽ, elles arrangeaient tout le mieux possible. Je vis alors que Marie Žcrivait sur une pierre, avec un poinon, ce qui avait eu lieu en chaque endroit et le nombre des pas ou quelque chose de semblable. Je vis aussi qu'elles nettoyrent la grotte du tombeau et la disposrent de manire ˆ ce qu'on pžt y prier commodŽment. Je n'ai vu lˆ ni images, ni croix. C'Žtaient seulement des places rappelant des souvenirs avec des inscriptions : tout cela Žtait fort simple. Je vis cette premire Žbauche de Marie devenir, ˆ la fin, par suite de frŽquentes visites et des travaux qui y furent faits, un chemin trs-frayŽ avec toute sorte d'embellissements o, aprs sa mort, de pieux chrŽtiens venaient prier, baisant la terre en certains endroits. La maison qu'habitait Marie Žtait divisŽe par des cloisons lŽgres de la mme manire que la maison de Nazareth. È

 

Ç Le vtement dont vient la relique se portait par-dessus; il couvrait seulement le dos o il faisait quelques plis et descendait jusqu'aux talons : ˆ la hauteur du cou, il passait sur une Žpaule, couvrait la poitrine et arrivait ˆ l'autre Žpaule o il Žtait attachŽ par un bouton et formait ainsi une ouverture pour le cou. Il Žtait maintenu par la ceinture au milieu du corps et s'Žtendait depuis le dessous des bras jusqu'aux pieds, des deux c™tŽs du vtement de dessous qui Žtait brun. Aux deux c™tŽs de la robe il y avait un revers comme pour montrer la doublure. Ce revers Žtait de couleur avec des raies rouges et jaunes qui se croisaient. Ce nÕest pas de cette doublure, mais du c™tŽ de dessus que le morceau formant la relique a ŽtŽ coupŽ. Cela semblait tre un habit de fte. On le portait ainsi suivant une ancienne mode juive. Sainte Anne en avait un pareil. Elle portait une robe de dessous dont le corsage (en forme de coeur), les manches et la partie antŽrieure n'Žtaient pas recouverts par ce vtement de dessus. Celui de dessous avait des manches Žtroites un peu froncŽes autour des coudes et des poignets. Les cheveux Žtaient cachŽs par un bonnet tirant sur une qui s'avanait sur le front et se rattachait par des au derrire de la tte. Elle avait par-dessus un voile noir dÕune Žtoffe souple qui tombait jusqu'ˆ la moitiŽ du dos.È

Ç J'ai vu Marie, dans les derniers temps, faire avec cet habit son chemin de la croix : je ne sais pas si elle s'en servait parce que c'Žtait un habit de fte ou peut-tre parce quÕelle le portait, lors du crucifiement du Christ, sous le manteau de prire ou de deuil qui l'enveloppait tout entire. Je la vis dŽjˆ avancŽe en ‰ge, mais on ne voyait en elle d'autre marques de vieillesse que l'expression d'un ardent dŽsir qui tendait ˆ la transfiguration : elle Žtait d'une gravitŽ indicible, je ne l'ai jamais vue rire. Plus elle vieillissait, plus son visage paraissait blanc et transparent : elle Žtait maigre, mais je ne vis sur sa figure ni ride, ni trace de caducitŽ. Elle ressemblait ˆ un pur esprit. È

Ç J'ai ouvert la relique : c'est un morceau d'Žtoffe de la longueur du doigt. È

 

Reliques de Marie.

 

14 novembre 1821. Ç J'ai fait mon voyage accoutumŽ dans la terre promise et cela, en m'arrtant ˆ diverses stations o j'ai vu des reliques de Marie et appris leur histoire. Je me suis trouvŽe ˆ Rome avec sainte Paule : il semblait que ce fžt le jour de son dŽpart pour la terre sainte et qu'elle visit‰t les saints lieux avec moi. Je ne sais plus ˆ propos de quoi je vis tant de reliques de la sainte Vierge. È

Ç Je suis allŽe dans l'endroit (c'est je crois Chiusi), o Žtait autrefois l'anneau de Marie qui est maintenant ˆ PŽrouse. Je vis qu'on y montre encore dans un vase une pierre blanche, mais l'anneau n'y est plus. J'ai vu l'histoire de l'anneau, mais la seule chose dont je me souvienne est qu'un jeune homme, au moment o on allait l'enterrer, se leva de son cercueil et dit qu'il ne pourrait pas avoir de repos tant que sa mre qui s'appelait Judith et qui Žtait une femme mondaine, n'aurait pas donnŽ ˆ l'Žglise l'anneau nuptial de Marie qu'elle possŽdait : aprs quoi il se recoucha. È

Ç J'ai ŽtŽ dans un endroit qui est peut-tre celui o la maison de Lorette s'Žtait posŽe d'abord, ˆ moins que ce ne soit celui d'o les plats que j'ai vus sont allŽs ˆ Lorette. ils n'Žtaient pas dans une Žglise qui fut vraiment une Žglise de chrŽtiens; les gens me faisaient l'effet de Turcs. Il y avait lˆ quelques Žcuelles et vases de terre, tels qu'ils Žtaient dans la maison de Lorette lorsqu'elle vint. Je ne sais plus bien si ce sont les vŽritables ou de ceux que sainte HŽlne avait fait faire sur leur modle. Il y en a encore plusieurs ˆ Lorette, mais sainte HŽlne fit couvrir d'un vernis Žpais, soit les vŽritables, soit les copies qui en avaient ŽtŽ faites, afin qu'ils pussent durer plus longtemps. Je crois que ceux qui sont ˆ Lorette sont les vrais. Ceux que je vis dans l'endroit dont je parle Žtaient conservŽs soigneusement sous un autel. È

Ç Je vis aussi quelque part dans une Žglise grecque d'Asie un morceau d'un voile de Marie; il Žtait d'un bleu passŽ. A une Žpoque antŽrieure on en avait tant donnŽ qu'il ne restait plus qu'un petit morceau de ce voile autrefois assez grand. Il Žtait venu lˆ par l'intermŽdiaire de saint Jean. Je vis dans une vision des gens qui doutaient et se disputaient au sujet de ce voile et comment un tŽmŽraire qui voulait s'en saisir effrontŽment eut la main paralysŽe, sur quoi la femme de cet homme se mit ˆ prier avec ferveur. Saint Luc Žtait aussi lˆ avec quelques autres et il attesta l'authenticitŽ de ce voile : il le posa sur la main de l'homme et la guŽrit. Saint Luc leur donna aussi une attestation Žcrite ˆ ce sujet et je crois qu'elle est encore lˆ. Il leur parla de ce qui le concernait personnellement, leur dit qu'il avait ŽtŽ adonnŽ aux arts libŽraux, qu'il avait voyagŽ de tous c™tŽs et qu'il avait vu souvent Marie lorsqu'il s'Žtait rencontrŽ ˆ Ephse avec Jean. Il parla aussi des portraits qu'il avait faits. È

Ç J'allai encore dans un endroit o Žtait un vtement de dessous de Marie : c'Žtait, je crois, en Syrie, dans le voisinage de la Palestine. Ce vtement Žtait un de ceux que Marie avait donnŽs ˆ deux femmes avant sa mort. Les gens de ce pays n'Žtaient point des catholiques romains : je crois que c'Žtaient des Grecs. Ils tenaient cette relique en grand honneur et en Žtaient trs-fiers. Je crois que saint Franois d'Assise alla dans cet endroit et qu'il y fit un miracle en confirmation de l'authenticitŽ de la relique. È

Ç J'ai aussi vu qu'au lieu o se trouvent le morceau de voile et lՎcrit de saint Luc, on conserve aussi une lettre de la Mre de Dieu. Elle est trs-courte et elle est restŽe d'une blancheur extraordinaire. J'en ai entendu la lecture, peut-tre m'en ressouviendrai-je. Saint Jean l'avait priŽe de l'Žcrire ˆ ces gens qui ne voulaient pas croire beaucoup de choses qu'on leur avait dites de JŽsus. È

           Ç J'ai eu aussi une vision touchant une ceinture de Marie et des langes du Christ qui avaient ŽtŽ autrefois dans une magnifique Žglise ˆ Constantinople. Ils se trouvent dans un endroit o ils ne sont pas connus. J'ai vu, dans une autre vision, comme quoi un plerin rapporta de la terre sainte diverses reliques de Marie, notamment de ses cheveux, mais il fut attaquŽ par des voleurs et couvert de blessures : ceux-ci jetrent les reliques dans un feu qu'ils avaient allumŽ mais le blessŽ se tra”na auprs, y trouva les reliques intactes et fut guŽri. È

           Ç Lˆ o Žtait la maison de Marie prs d'Ephse, il y a encore une pierre enfouie sous terre sur laquelle saint Pierre et saint Jean ont dit la messe. Pierre et Jean, toutes les fois qu'ils allaient en Palestine, visitaient aussi la maison de Nazareth et y offraient le saint sacrifice. Un autel s'Žlevait ˆ la place o Žtait le foyer. Une petite armoire, dont Marie avait fait usage, servait de tabernacle et Žtait placŽe sur l'autel. La maison de sainte Anne Žtait dans la campagne, ˆ une demi-lieue, tout au plus, de Nazareth. On pouvait de lˆ, sans exciter l'attention, se rendre par des chemins de traverse dans la maison de Marie et de Joseph ˆ Nazareth, laquelle Žtait situŽe contre une colline. Elle n'Žtait point b‰tie dans l'intŽrieur de la colline, mais sur le revers, et en Žtait sŽparŽe par un sentier : il y avait aussi de ce c™tŽ une petite fentre ; mais il y faisait sombre. La partie postŽrieure de la maison Žtait triangulaire comme dans la maison d'Ephse, et dans ce triangle Žtait comprise la chambre ˆ coucher de Marie o avait eu lieu l'annonciation de l'ange. Cette partie Žtait sŽparŽe du reste de la maison par le foyer. C'Žtait, comme ˆ Ephse, un mur avec des degrŽs, au milieu duquel passait un conduit pour la fumŽe allant jusque sous le toit et terminŽ par un tuyau saillant au-dessus du toit. A lÕextrŽmitŽ de ce conduit, je vis, ˆ une Žpoque postŽrieure, deux cloches suspendues. A droite et ˆ gauche de la cheminŽe Žtaient des portes donnant dans la chambre de Marie. Dans le mur o passait le conduit il y avait diverses niches o Žtait posŽe de la vaisselle. La couche de Marie Žtait ˆ droite derrire des cloisons; ˆ gauche se trouvait la petite armoire. Derrire la cheminŽe Žtait une poutre de bois de cdre posŽe verticalement, ˆ laquelle s'appuyait le mur de la cheminŽe et de celle-ci partait une poutre transversale aboutissant ˆ l'encoignure. L'oratoire de Marie Žtait ˆ gauche : elle s'agenouillait sur un petit escabeau. La fentre Žtait du c™tŽ opposŽ. Les murs en maonnerie grossire Žtaient recouverts comme de grandes feuilles devant lesquelles Žtaient encore suspendues des nattes. En haut le plafond Žtait comme tressŽ d'Žcorce d'arbre et ˆ chaque angle il y avait une Žtoile; celle du milieu Žtait la plus grande. Lorsque Marie alla ˆ CapharnaŸm, la maison qu'elle quittait resta dŽcorŽe avec soin, comme un lieu sanctifiŽ et Marie y allait souvent de CapharnaŸm pour visiter le lieu de l'incarnation et y prier. Plus tard on attacha un plus grand nombre d'Žtoiles au plafond. È

Ç Je me souviens que la partie postŽrieure de la maison avec la cheminŽe et la petite fentre fut transportŽe en Europe, et il me semble, quand j'y pense, que je vis alors la partie antŽrieure s'Žcrouler. Le toit n'Žtait pas haut ni pointu mais aplati tout autour sur les bords, toutefois de manire u'on pouvait en faire le tour derrire un rebord. La partie supŽrieure Žtait plate. Il n'y avait pas de tourelle,

mais le conduit pour la fumŽe et les tuyaux sortaient par haut et Žtaient recouverts d'un petit toit. A Lorette, je vis encore plusieurs flambeaux allumŽs au-dessous. Lors de lÕ Annonciation, sainte Anne couchait ˆ gauche dans une espce dÕalc™ve, prs du foyer.

PrŽtendus cheveux de Marie.

Anne Catherine avait reu du couvent de Notteln, par l'intermŽdiaire d'une de ses anciennes consoeurs, des cheveux qu'on disait avoir ŽtŽ apportŽs dans le pays par saint Ludger comme cheveux de la sainte Vierge. Lorsqu'elle les prit prs d'elfe, elle eut la vision suivante : Ç Une vierge de l'aspect le plus aimable s'avana vers moi ˆ droite du pied de mon lit. Elle avait un vtement blanc lumineux avec un voile jaune qui lui descendait jusqu'aux yeux et je distinguai, ˆ travers le voile, des cheveux d'un blond rouge‰tre. Tout l'espace autour d'elle Žtait ŽclairŽ, ce n'Žtait pas comme la lumire du jour, mais comme un rayon de soleil. Il y avait dans toute sa personne quelque chose qui rappelait la Mre de Dieu et comme cette pensŽe m'Žtait venue, elle me parla ˆ peu prs ainsi : Ç Ah ! je suis bien loin d'tre Marie, mais je suis de sa race et je vivais trente ou quarante ans aprs elle. Je suis de son pays, je ne l'ai pas connue, je ne suis pas allŽe non plus aux lieux o elle a tant souffert, pour ne pas me trahir comme chrŽtienne, dans un temps o les chrŽtiens Žtaient trs-persŽcutŽes. Mais le souvenir du Seigneur et de sa mre Žtait si vivant dans ma famille que je m'efforai de tout mon pouvoir d'imiter leurs vertus et je suivais en esprit la trace des pieds du Sauveur que je croyais trouver dans mon lieu natal comme d'autres chrŽtiens les cherchent sur le chemin de la croix. J'ai eu la gr‰ce de ressentir les douleurs cachŽes de Marie et 'a ŽtŽ mon martyre. Un successeur des ap™tres, un prtre, fut mon ami et mon guide (ici elle me dit le nom que j'ai oubliŽ plus tard : ce n'Žtait pas un nom d'ap™tre et il ne se trouve pas non plus dans les litanies : c'est un ancien ,nom Žtranger, mais il me semble pourtant l'avoir dŽjˆ entendu). Cet homme fut cause qu'on sut quelque chose de moi, autrement je serais restŽe tout ˆ fait inconnue. Il envoya de mes cheveux ˆ Rome. Un Žvque de ton pays les reut lˆ et les porta ici avec beaucoup d'autres choses, mais tout cela est aussi tombŽ dans l'oubli. Il est venu ˆ Rome beaucoup de reliques de mon temps qui n'Žtaient pas des reliques des martyrs. È Voilˆ ˆ peu prs ce que j'appris de cette apparition. La manire dont on reoit de semblables communications ne peut s'exprimer. Tout ce qui est dit est singulirement bref, un seul mot m'en apprend plus que trente ne font ailleurs. On a l'intuition de la pensŽe de ceux qui parlent, on ne la voit pas avec les yeux et pourtant tout est plus clair et plus distinct qu'aucune impression de la vie ordinaire. Un reoit cela avec le mme plaisir qu'un souffle de vent frais dans les chaleurs de l'ŽtŽ. C'est quelque chose qu'on ne peut rendre avec des paroles. Aprs cela, la vision disparut. È

 

Objets bŽnits.

 

Ç Je n'ai jamais vu une image miraculeuse briller. Mais j'ai vu en face de ces images un soleil de lumire duquel elles recevaient des rayons qu'elles renvoyaient sur ceux qui priaient. Je n'ai jamais vu briller la croix de Coesfeld, mais bien la parcelle de la vraie Croix qui est enfermŽe dans la partie supŽrieure. J'ai vu aussi des rayons renvoyŽs par la croix sur les personnes qui priaient : je crois que toute image qui rappelle Dieu ou un instrument de Dieu peut recevoir la vertu d'opŽrer des miracles en suscitant des prires faites en commun avec une vive et ferme confiance et o la foi triomphe compltement de la faiblesse de la nature. È

           Un jour que le Plerin lui prŽsentait un Agnus Dei pendant qu'elle Žtait occupŽe avec des reliques, elle le prit en main et dit : Ç Ceci est bon et touchŽ de la force d'en haut : c'est bŽnit : mais ici dans les reliques j'ai la force elle-mme. È Elle dit d'une croix bŽnite : Ç La bŽnŽdiction y brille comme une Žtoile ! il faut l'honorer grandement : mais les doigts du prtre (elle se tourna alors vers son confesseur) sont encore au-dessus. Cette croix peut pŽrir. La consŽcration des doigts est ineffaable; elle est Žternelle, ni la mort, ni l'enfer ne peuvent l'anŽantir. Dans le ciel mme elle se distingue encore. Elle provient de JŽsus qui nous a rachetŽs. È Quelqu'un lui ayant apportŽ une petite image bŽnite de la Mre de Dieu, elle dit : Ç Cette image est bŽnite, conservez-la bien et ne la laissez pas parmi les choses profanes. Qui honore la Mre de Dieu est ˆ son tour honorŽ par elle prs de son fils. Ces choses sont trs-utiles dans les tentations quand on les presse sur son coeur. Il faut bien les garder. È Une autre petite image lui ayant ŽtŽ portŽe, elle la posa sur sa poitrine et dit : Ç Ah ! la forte femme ! Cette image a touchŽ l'image miraculeuse. È

 

Un denier de saint Beno”t.

 

           Le Plerin lui donna un reliquaire en verre o un denier Žtait fixŽ sur un petit morceau de velours. Elle dit alors

Ç L'Žtoffe est aussi bŽnite. C'est un denier bŽnit de saint Beno”t : il a reu une bŽnŽdiction que saint Beno”t a laissŽe ˆ son ordre et qui se fonde sur le miracle qui eut lieu lorsque ses moines lui prŽsentrent un breuvage empoisonnŽ et que le verre se brisa quand il fit dessus le signe de la croix. Ce denier est un prŽservatif contre le poison, la peste, la sorcellerie et les assauts du diable. Le velours rouge sur lequel on l'a cousu a reposŽ sur le tombeau de saint Willibald et de sainte Walburge : il vient de l'endroit o l'huile coule des os de sainte Walburge. Je vis que les prtres l'y portrent pieds nus et qu'ensuite ils le couprent pour y placer de semblables objets. Le denier a ŽtŽ bŽnit dans ce monastre. È

Un jour le Plerin posa prs de sa main une petite image de sainte Rita de Cassia qui, l'annŽe prŽcŽdente, avait ŽtŽ humectŽe avec une goutte de sang sortie de ses stigmates. Elle la prit et dit : Ç Je vois une nonne malade qui n'a ni chair ni os. Je ne peux pas la toucher. È

 

11 Juillet 1821. Pendant qu'elle racontait quelque chose, le Plerin lui mit dans la main un livre ouvert au feuillet qui avait ŽtŽ prŽcŽdemment mouillŽ de son sang. Tout ˆ coup elle sourit et dit : Ç Qu'est-ce que cette jolie fleur rayŽe de rouge et de blanc qui saute du livre art milieu de ma main ?È Dans un autre moment, le Plerin lui mit ce mme feuillet entre les mains en lui demandant si ce feuillet avait touchŽ quelque chose elle y promena sa main et rŽpondit : Oui, il a touchŽ les plaies de JŽsus. È

 

En octobre 1821, une dame de Paris envoya une petite image qui avait touchŽ aux ossements de saint Bobadilla. Elle la porta ˆ son front ˆ cause des violents maux de tte dont elle souffrait. Le saint lui apparut, lui apporta un grand soulagement et elle vit tout son martyre. = Le Plerin lui avait donnŽ un anneau d'argent brisŽ qui avait ŽtŽ bŽnit prs du tombeau du bienheureux Nicolas de Flue ˆ Sachseln ; il  Žtait enveloppŽ dans un papier. Elle Žtait extase lorsqu'elle le reut. Elle dit plus tard : ÇJe vis comment frre Klaus (abrŽviation de Nicolas) se sŽpara de sa famille et comment dans son union avec sa femme, il supprima ce qui Žtait corporel, ce qui rendit d'autant plus fort le lien spirituel. Je vis le brisement de la chair sous une forme particulire qui Žtait comme le brisement d'un anneau et je reus une instruction touchant le mariage selon la chair et selon l'esprit. L'anneau qui m'a procurŽ cette vision a ŽtŽ bŽnit en l'honneur du frre Klaus. È

 

Un coup d'oeil sur le paradis.

 

13 fŽvrier 1821. Le Plerin apporta et mit sur son lit, en prŽsence de son frre et du confesseur, un fragment d'ossement pŽtrifiŽ, de la grosseur d'un Ïuf, qui avait ŽtŽ trouvŽ dans la Lippe. Elle Žtait en contemplation, mais elle prit l'ossement de la main gauche et le tint un certain temps sans remuer. Alors elle ouvrit les veux, regarda le Plerin qui s'attendait ˆ des reproches pour lui avoir prŽsentŽ au lieu d'une relique l'os d'un animal, et dit, toujours absorbŽe dans la contemplation : Ç Comment le Plerin entre-t-il dans ce beau et merveilleux jardin o mes regards seuls pŽntrent? J'y vois le Plerin avec le grand animal : comment cela se peut-il? Ce que je vois est d'une beautŽ inexprimable: je ne puis le dire, je ne puis le rendre. 0 mon Dieu, combien vous tes admirable, puissant, magnifique et aimable dans vos Ïuvres ! Oh ! il y a lˆ plus que tout ce qui est dans la nature ! Lˆ, rien n'a subi le contact du pŽchŽ! il n'y a rien de mauvais, tout est comme nouvellement sorti des mains de Dieu ! Je vois lˆ tout un troupeau d'animaux blancs. Leurs crinires descendent sur leur dos comme des masses de cheveux bouclŽs. Ils dŽpassent de beaucoup la taille de l'homme et pourtant ils courent aussi lŽgrement et aussi vite que des chevaux. Leurs jambes sont comme des colonnes et pourtant ils posent les pieds si doucement ! Ils ont une longue trompe qu'ils peuvent lever, baisser et tourner de tous les c™tŽs comme un bras : de longues dents, blanches comme la neige sortent de leur bouche : comme ils sont ŽlŽgants et propres ! Cet Žnorme animal est tout plein de gr‰ce : ses yeux sont petits, mais si intelligents, si clairs, si doux! cela ne peut s'exprimer. Ils ont de larges oreilles pendantes: leur queue n'est pas grande, mais elle est comme de la soie: on ne peut pas y atteindre quand on lve le bras. Ah ! ils doivent tre bien vieux comme leurs poils sont longs! Ils ont aussi des petits pour lesquels ils ont une tendresse incroyable : ils jouent avec eux d'une manire toute enfantine. Ils sont si intelligents, si bons, si doux! ils courent en si bon ordre, en files ou en rangs! on dirait qu'ils ont des affaires qui les occupent. Il y a lˆ d'autres animaux. Ce ne sont pas des chiens: ils sont d'un jaune dorŽ : ils ont de longues crinires et presque des visages humains. Ce sont des lions, mais si doux! Ils se prennent les uns les autres par la crinire et jouent ensemble. Je vois aussi des moutons et des chameaux, des bÏufs et des chevaux; tous blancs et brillants comme de la soie; il y a aussi des ‰nes blancs d'une beautŽ merveilleuse. On ne peut dire combien tout cela est beau, quel ordre, quelle paix, quel amour rgnent partout. Les animaux ne se font pas de mal, ils s'aident rŽciproquement. La plupart sont blancs ou d'un jaune d'or : je ne vois presque pas d'animaux ˆ couleurs foncŽes. Et combien cela est merveilleux ! ils ont toutes leurs demeures si bien rangŽes et si bien distribuŽes ! ils ont comme des chambres et des passages et tout est si propre ! On ne peut pas se l'imaginer. Je ne vois pas d'hommes, il n'y en a pas lˆ: mais des esprits y viennent sans doute pour mettre certaines choses en ordre, on ne peut pas croire que des animaux fassent ce que font ceux-ci. È

           Aprs une pause, elle dit : Ç Voilˆ sainte Franoise Romaine et sainte Catherine de Ricci. Bien au-dessus du beau jardin, il y a comme un soleil et c'est lˆ qu'elles sont. Elles volent sur ses rayons et regardent au-dessous d'elles. Je vois encore beaucoup d'autres saints dans ce soleil qui est d'une blancheur Žblouissante. Il y a au-dessus de moi comme une draperie de soie blanche Žtendue, qui brille dans ce soleil, et lˆ-dessus les saints planent et regardent en bas. Je sais tout maintenant. Toute eau descend de lˆ-haut. C'est le paradis ! Les animaux y sont conservŽs. Lˆ, tout est encore comme Dieu l'a crŽŽ, mais ce lieu me semble maintenant beaucoup plus grand que le paradis ne l'Žtait alors. Aucun homme ne peut y entrer. L'eau sainte, magnifique, admirablement claire qui jaillit de lˆ et parcourt si agrŽablement le jardin des animaux, forme autour du paradis une grande muraille liquide. Ce n'est pas un lac, c'est un mur; et comme ce mur est merveilleux et brillant ! Dans le haut il n'est fait que de gouttes d'eau, comme de pierres prŽcieuses. On dirait des gouttes de la rosŽe du matin qui pendent aux haies. Telle est la partie supŽrieure, tout y est limpide comme du cristal : ce mur s'Žcoule par en bas en petits ruisseaux qui se rŽunissent et forment beaucoup plus bas encore une immense chute d'eau. Quel bruit elle fait! Personne ne pourrait l'entendre sans devenir sourd. Toute eau vient de lˆ ˆ nous, mais altŽrŽe et mŽlangŽe. La montagne des prophtes reoit de lˆ son eau et son humiditŽ. La montagne des prophtes est situŽe trs-au-dessous de la cataracte, dans un lieu o toute l'eau est redevenue vapeur. La montagne des prophtes est dŽjˆ haute comme le ciel : aucun homme ne peut y arriverez on ne voit sur elle que des nuages; or, ce jardin est encore au-dessus d'elle de toute la hauteur du ciel et l'endroit o j'ai vu les saints est ŽlevŽ ˆ une semblable hauteur au-dessus du paradis. Il n'y a pas lˆ d'Ždifices en pierre, mais des berceaux, des salles, des allŽes pour les animaux que la vŽgŽtation forme comme elle-mme. Les arbres sont excessivement hauts ; leurs troncs sont parfaitement droits et d'une rare ŽlŽgance. J'en vois de blancs, de jaunes, de rouges, de bruns et de noirs. Non, ils ne sont pas noirs, mais d'un bleu argentŽ brillant. Et quelles merveilleuses fleurs ! Je vois beaucoup de roses, notamment beaucoup de roses blanches : elles sont trs grandes, viennent sur des tiges ŽlevŽes et montent le long des arbres. Je vois aussi des roses rouges et de grands lis blancs. Je vois le gazon moelleux comme de la soie : mais je ne puis que voir, je ne puis pas sentir ; c'est trop loin de moi. Comme ces pommes sont belles! elles sont allongŽes et jaunes. Et comme les feuilles des arbres sont longues! Les fruits du jardin de la maison des noces semblent difformes en comparaison de ceux-ci et pourtant ils sont d'une beautŽ indicible, comparŽs aux fruits; de la terre. Je vois aussi un grand nombre d'oiseaux : je ne puis dire combien ils sont beaux et lumineux, combien leur plumage est variŽ. Ils font leurs nids dans les fleurs, au milieu des plus belles fleurs. Je vois aussi des colombes s'envoler par-dessus le mur, portant dans leur bec des feuilles et de petites branches. Je crois que les feuilles et les fleurs qui  me sont donnŽes quelquefois pour ma guŽrison viennent toutes de ce jardin. Je ne vois pas de serpents comme ceux qui rampent sur la terre : mais il y a un joli petit animal, de couleur jaune, qui a une tte de serpent : il est plus gros par en haut et extrmement mince par en bas. Il a quatre pattes et se dressa souvent sur ses pieds de derrire, alors il est de la hauteur d'un enfant. Ses pieds de devant sont courts : ses yeux clairs et intelligents: il est trs-gracieux et trs-agile, mais j'en vois fort peu. Tel Žtait l'animal qui sŽduisit éve. È

Ç Chose Žtonnant !  Il y a une porte dans la muraille d'eau et il y a deux hommes auprs. Ils reposent st dorment, le dos appuyŽ ˆ la brillante muraille d'eau, les mains jointes sur la poitrine, les pieds tournŽs l'un vers l'autre. Ils ont de longs cheveux bouclŽs. Ce sont des hommes appartenant ˆ la classe des esprits; ils sont vtus de longs manteaux blancs et ils ont sous le bras de minces rouleaux couverts d'une Žcriture brillante. Des houlettes pastorales sont par terre auprs d'eux. Ce sont des prophtes, oui, je le sens, ils sont en relation avec celui qui est sur la montagne des prophtes. Et combien sont admirables les couches ou les tombeaux sans lesquels ils reposent! Les fleurs croissent autour d'eux, brillantes de lumire et formant des figures rŽgulires. Elles entourent leurs ttes, d'abord blanches, puis rouges, puis vertes, puis bleues, toutes brillantes comme l'arc-en-ciel. È Alors le confesseur lui tendit la main et elle dit : Ç Voici aussi un prtre. Comment vient-il ici? Cela est bien : il faut qu'il voie les merveilles de Dieu. È

Le jour suivant, le Plerin trouva la malade un peu troublŽe ˆ cause de la vision qu'elle avait eue. Elle dit que son confesseur en avait ri comme de choses impossibles. Le Plerin lui rŽpliqua qu'elle ne devait pas se plaindre de ce que ses ennemis ne voyaient en elle que mensonge, si elle-mme traitait d'extravagances ce que Dieu lui montrait. Alors elle rŽpŽta tout son rŽcit de la vision, et y ajouta ce qui suit comme Žclaircissement. Ç J'Žtais en dehors du mur du paradis, comme ŽlevŽe en l'air. Je pouvais voir par-dessus et ˆ travers le mur : je m'y mirais aussi en plusieurs endroits et je paraissais alors incroyablement grande. Ce mur autour du paradis Žtait formŽ de gouttes d'eau (note) qui Žtaient toutes comme triangulaires, rondes ou de formes diverses, et se touchaient sans laisser d'intervalles entre elles: mais elles formaient toutes sortes de figures et de fleurs; c'Žtait comme une Žtoffe ˆ ramages.

 

(note) CaldŽron dans son drame intitulŽ : La vie est un songe, fait dire ˆ l'ŽlŽment de l'eau par la sagesse divine : Ç Eaux, partagez-vous ! Žlevez-vous en partie vers le ciel et formez le firmament de cristal, afin que le feu qui occupe lˆ un sige lumineux tempre ses ardeurs dans la fra”cheur de l'eau, etc.

 

On pouvait voir au travers : mais on ne voyait pas aussi distinctement que quand on regardait par-dessus. Le rebord supŽrieur du mur avait la couleur de l'arc-en-ciel et il n'y avait pas de figures : il s'Žlevait vers le ciel, comme fait l'arc-en-ciel quand nous le voyons sur la terre. Lorsqu'on suivait ce mur en descendant, on voyait dans le bas des cristaux se fondant, pour ainsi dire, en petits ruisseaux semblables ˆ des fils d'argent et ceux-ci formaient ensuite une Žnorme cataracte. C'Žtait un tel bruit que je crois qu'on ne pourrait l'entendre sans mourir. J'en ai encore les oreilles Žtourdies. Au-dessous, ˆ une plus grande profondeur, il semblait que cette chute d'eau s'Žvaporas en nuages et la montagne des prophtes paraissait recevoir de lˆ toute son eau. La porte Žtait ouverte par en haut, et cependant elle avait la forme d'une arcade. Le rebord colorŽ du mur s'Žtendait ˆ l'intŽrieur des deux c™tŽs et, vers le milieu, la lumire Žtait plus subtile comme lorsqu'on voit une chose ˆ travers une autre. Les bords du mur contre lesquels les prophtes s'appuyaient n'Žtaient plus en gouttes, ni en cristaux, ils formaient une surface unie ayant la blancheur de la neige; c'Žtait comme du lait, ou comme une fine Žtoffe de soie. Les prophtes avaient de longs cheveux d'un blanc jaun‰tre : leurs yeux Žtaient fermŽs, ils Žtaient couchŽs comme sur des lits de fleurs, les mains croisŽes sur la poitrine, enveloppŽs dans de longs vtements lumineux et le visage tournŽ vers le monde. Leurs rouleaux Žtaient minces et brillants : j'y vis des lettres bleues et couleur d'or. Leurs crosses Žtaient blanches et sans ornements. Autour d'eux je distinguais les fleurs, ayant la couleur de l'arc-en-ciel, rangŽes rŽgulirement, et comme vivantes. Leur tte Žtait environnŽe d'une aurŽole de la couleur de l'arc-en-ciel, comme la gloire des saints, et dont l'extrŽmitŽ se perdait dans une lumire Žblouissante. Cette porte Žtait situŽe ˆ l'orient. Quelques-uns des ŽlŽphants n'avaient pas le poil Žpais et frisŽ comme les autres: leur peau Žtait unie. Les petits couraient entre leurs jambes comme des agneaux. Ils avaient de grands berceaux de feuillage o je les vis par couples avec leurs petits. Je vis aussi des chameaux ˆ poil blanc, de trs-beaux ‰nes rayŽs de bleu; des animaux tachetŽs de blanc, de jaune et de bleu. Le serpent quadrupde semblait tre au service des autres animaux. Sa couleur tirait sur le jaune. È

Ç Dans l'eau limpide des ruisseaux, je vis des poissons brillants et d'autres animaux. Je ne vis pas de vermine, ni de btes dŽgožtantes telles que les crapauds. Tous les animaux avaient des places sŽparŽes et des sentiers rŽgulirement tracŽs. Je vis le paradis grand comme une autre terre. Il y a des hauteurs arrondies, sans dŽchirures, plantŽes de beaux arbres. Je vis la plus ŽlevŽe de ces Žminences et je crus que c'Žtait le lieu o Adam avait reposŽ. Je vis une issue vers le nord, mais pas de porte, c'Žtait comme des tŽnbres qui commenaient, comme un trou, comme un prŽcipice.. Il me sembla aussi que c'Žtait de la que les eaux s'Žtaient rŽpandues pour le dŽluge. Auprs de la grande masse d'eaux d'o la cataracte se prŽcipitait, je vis une grande plaine verdoyante semŽe d'ossements Žnormes, presque blancs, qui semblaient, avoir ŽtŽ rejetŽs par l'eau. Tout en haut est le mur de cristal, un peu plus bas coulent les filets argentŽs, puis la vaste Žtendue d'eau d'o sort la cataracte avec son bruit assourdissant. La cataracte se perd en nuages d'o la montagne des prophtes reoit son eau. Celle-ci est beaucoup plus bas ˆ l'orient. Tout y est dŽjˆ plus terrestre. È

 

1 novembre 1823. Ç Les mammouths, ces animaux gigantesques, Žtaient connus avant le dŽluge : il en entra dans l'arche un couple trs-jeune. Ils Žtaient les derniers et se tenaient tout prs de l'entrŽe. Aux Žpoques de Nemrod, de Djemchid et de SŽmiramis, j'en vis encore plusieurs : mais on leur faisait constamment la guerre et ils ont disparu. Les licornes subsistent encore et habitent ensemble. Je connais une rondelle de la corne d'un de ces animaux qui est pour les btes malades ce que sont les objets consacrŽs et bŽnits pour les hommes. J'ai souvent vu qu'il y a encore des licornes : mais elles vivent trs-ŽloignŽes des hommes dans les hautes vallŽes o je vois ˆ l'horizon la montagne des prophtes. Elles sont ˆ peu prs de la taille d'un poulain, elles ont les jambes fines, peuvent gravir trs-haut et se tenir sur un petit espace en rassemblant leurs pieds. Elles rejettent leurs sabots comme des Žcorces ou des soulier, car j'ai vu de ces sabots semŽs par terre ˆ et lˆ. Elles ont de longs poils tirant sur le jaune. Ces animaux deviennent trs vieux: ils ont sur le front leur unique corne : je vis qu'elle Žtait longue d'une aune et recourbŽe en arrire par en haut. Ils dŽposent leur corne ˆ certaines Žpoques : elle est recherchŽe et gardŽe comme quelque chose de trs-prŽcieux. Les licornes sont trs-craintives et on ne peut pas en approcher. Toutefois elles vivent en paix entre elles et avec les autres btes sauvages. Les m‰les et les femelles vont ˆ part et ne se rŽunissent qu'ˆ certains temps. Elles sont chastes et n'ont pas beaucoup de petits. Elles sont trs-difficiles ˆ voir et ˆ prendre, car d'autres animaux vivent en avant des lieux qu'elles habitent. J'ai vu qu'elles ont un certain empire sur les btes les plus venimeuses et les plus horribles auxquelles elles inspirent un respect particulier. Les serpents et d'autres affreux animaux se roulent sur eux-mmes et se mettent humblement sur le dos quand une licorne s'approche d'eux et souffle sur eux. J'ai vu qu'elles ont une espce d'alliance avec les animaux les plus dangereux et qu'ils se protŽgent mutuellement. Quand un danger menace la licorne, ces derniers rŽpandent partout la frayeur et la licorne se retire derrire eux : mais elle les protge ˆ son tour centre leurs ennemis, car tous se retirent effrayŽs devant la force secrte et merveilleuse de la licorne quand elle s'approche et souffle sur eux. Ce doit tre un des plus purs parmi les animaux, car tous les autres lui tŽmoignent un grand respect. Lˆ o elle pa”t, lˆ o elle va boire, tout ce qui est venimeux se retire. Il me semble qu'on voit en elle un symbole de saintetŽ quand on dit que la licorne ne pose sa tte que sur le sein d'une vierge pure. Cela signifie que la chair n'est sortie sainte et pure que du sein de la sainte Vierge Marie; que la chair ab‰tardie est sortie d'elle rŽgŽnŽrŽe, ou qu'en elle, pour la premire fois, la chair est devenue pure, qu'en elle l'indomptable a ŽtŽ vaincu, qu'elle a domptŽ tout ce qui Žtait sauvage; qu'en elle l'humanitŽ indomptŽes a ŽtŽ purifiŽ et vaincue ou que dans son sein le poison s'est retirŽ de la terre. J'ai vu ces animaux dans le paradis, mais beaucoup plus beaux. J'ai vu une fois de ces licornes attelŽes au char d'Elie lors de son apparition ˆ un homme dont il est question dans l'Ancien Testament. J'ai vu les licornes au bord de torrents sauvages et impŽtueux, dans des vallŽes profondes, Žtroites, dŽchirŽes, o elles courent rapidement. J'ai vu aussi des endroits ŽloignŽs o beaucoup d'ossements de ces animaux gisaient entassŽs au bord de l'eau et sous la terre. È

 

 

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