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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH
CHAPITRE XIII
COMMENT ELLE RECONNAISSAIT LES OSSEMENTS
ET LES AUTRES RELIQUES DES SAINTS.
Avec la lumire prophtique, Anne Catherine avait reu la facult de reconnatre tout objet saint l'aide des sens corporels extrieurs. Le son des cloches bnites tait pour son oreille essentiellement diffrent de tout autre son, mme aussi harmonieux. Elle sentait au got la bndiction de l'eau et distinguait l'eau bnite de celle qui ne lÕtait pas aussi srement et aussi facilement qu'une autre personne distingue l'eau du vin. Elle reconnaissait les ossements des saints par l'odorat aussi bien que par les yeux ou par le toucher. Elle avait un sentiment aussi vif de la bndiction sacerdotale, quand elle lui tait envoye de la distance la plus loigne, que quand elle lui tait donne du point le plus rapproch d'elle : soit en extase, soit l'tat de veille, elle suivait involontairement les doigts consacrs du prtre comme un pouvoir saint d'o dcoulaient en elle la force et la bndiction. Or, l'impression des vertus et des proprits spirituelles et invisibles n'arrivait pas ses sens par suite d'une connaissance prcdente reue en esprit ou dÕune vision; cette impression tait aussi involontaire et aussi indpendante de l'activit propre de l'esprit qu'elle l'est dans la vie ordinaire pour chaque notion transmise par la sensation. Cette facult de percevoir d'une manire corporelle par les organes des sens les choses inaccessibles aux sens avait, comme la lumire prophtique, pour base et pour condition pralable la grce baptismale et la foi divine infuse. L'ange lui dit un jour : Ç Tu perois la lumire des ossements des saints par la facult qui t'a t donne de sentir la communion des membres du corps de l'glise : or la foi est la condition de toute aptitude recevoir les saintes influences. È
Elle voyait ce qui tait saint sous forme de lumire, de rayons de lumire : Ç Quand je suis dans mon lit veille, disait-elle, je vois parfois un corps resplendissant et des milliers de rayons s'levant de la terre qui deviennent un avec lui : souvent je vois un des fils se briser et retomber et alors l'ombre se fait sur ce point. È (Image de la communion spirituelle des fidles par la prire et les bonnes oeuvres.)
Elle sentait et percevait l'action de cette lumire comme quelque chose qui la soulageait, la fortifiait, lui apportait la joie et l'attirait fortement vers soi ; de mme qu'au contraire elle tait subitement et involontairement repousse, elle se sentait remplie de dgot et d'horreur, quand un objet profane, sur lequel pesaient le pch et la maldiction, tait port dans son voisinage, ou quand elle arrivait dans un lieu o quelque acte coupable avait t commis ou sur lequel pesaient les consquences de crimes non expis.
Ç Il m'est difficile d'exprimer cela clairement, rpondit-elle un jour au Plerin. Je perois la bndiction et l'objet bnit comme un remde et comme un secours; je le vois lumineux et multipliant la lumire, et je vois le mal, la faute et la maldiction comme tnbreux, rpandant les tnbres et produisant la corruption. Je vois la lumire et les tnbres comme choses vivantes agissant pour clairer ou pour obscurcir. J'ai depuis longtemps dj le sentiment de la vrit et de l'authenticit des reliques, et comme je crains extrmement qu'on n'en vnre de fausses, j'ai dj enterr beaucoup de ces dernires. Mon guide m'a dit que c'est un grand abus de prsenter comme vraies reliques des objets qui ont seulement touch des choses saintes. Un jour qu'au couvent jÕtais occupe prparer les hosties, je ressentis un grand dsir qui me poussait vers une armoire et je fus violemment tire vers elle. J'y trouvai une boite ronde avec des reliques et je ne pus plus avoir de repos qu'elles ne fussent remises en honneur. È Le 19 juillet 1820 elle communiqua ce qui suit au Plerin. Ç J'ai t informe que jamais personne nÕavait eu le don de reconnatre les reliques au degr o Dieu me l'a accord, ce qu'il a fait cause de la triste dcadence o leur culte est tomb et parce qu'il faut le ressusciter È
Ces dernires paroles sont expliques plus clairement par les communications que fit Anne Catherine sur ce qui tait arriv la fte des Saintes-Reliques dans les annes 1819 et 1820. Le premier dimanche de juillet 1819, e raconta ce qui suit : Ç J'ai eu un grand voyage faire (note). JÕai t conduite par mon guide dans toutes les parties de notre pays o se trouvaient cachs des ossements de saints. Je vis des corps saints entiers au-dessus desquels on avait bti des maisons et je vis aussi des endroits ou il y avait eu couvents et des glises. L se trouvaient des ranges de corps et parmi eux des corps saints. Ici aussi, Dulmen, je vis reposer des ossements sacrs entre l'glise et la maison dÕcole. Les saints auxquels ces ossements appartenaient sortirent alors des choeurs bienheureux et vinrent me dire : Ç Ceci fait partie de mes ossements. È Je vis aussi comment trsors si mpriss portent toujours bonheur aux endroits o ils se trouvent et garantissent des influences de Satan. J'ai vu des endroits qui ont t prservs par l de grandes calamits et d'autres endroits de date plus rcente qui ont beaucoup souffert parce qu'ils ne possdent rien de semblable.
Note : Ç Cette vision me parut surprenante, dit le Plerin, lorsque je dcouvris que la fte des Saintes-Reliques se clbre aujourd'hui dans le pays de Munster, ce qu'elle ignorait compltement. C'est en elle un phnomne tout--fait mystrieux qu'elle ait satisfaire pour toutes les ngligences et les omissions commises dans l'glise. È
Je ne puis dire dans combien de lieux singuliers et dserts je suis alle regarder sous des murs, sous des maisons, dans des coins o les plus riches trsors de reliques gisaient sans honneur, cachs sous des dcombres. Je les rvrais tous et je priais les bons saints de ne pas retirer leur affection mes compatriotes. J'allai aussi visiter Rome les endroits o ont eu lieu des martyres et je vis les nombreuses troupes de saints qui avaient t martyriss dans cette ville. Mon fianc cleste tait l prsent sous une forme o je le vois souvent, tel qu'il tait dans la douzime anne de son ge. La cohorte des saints me parut innombrable: elle tait divise en choeurs la tte desquels se trouvait toujours celui qui avait instruit et fortifi les autres. Ils portaient des espces de mitres desquelles de longues bandelettes descendaient de chaque ct sur les paules. Ils avaient en outre de longs manteaux blancs avec des croix. J'allai avec eux dans les caveaux souterrains. Il y avait l des passages, des chambres, des pices rondes ayant l'air de chapelles et o plusieurs se runissaient : au milieu tait un pilier qui soutenait le plafond. Ces piliers taient souvent orns de belles figures. Dans les parois taient pratiques de profondes excavations de forme quadrangulaire dans lesquelles souvent reposaient des ossements. Pendant que les saints me faisaient parcourir ces lieux, tantt l'un des coryphes, tantt l'autre, me disait : Ç Vois, c'est ici que nous vivions dans la perscution : c'est ici que nous avons enseign et clbr les mystres de la Rdemption ! È Ils me montrrent aussi des autels de pierre en forme de carr long qui faisaient saillie sur la paroi, d'autres de forme ronde orns de belles images de pierre sculptes et sur lesquels ils avaient clbr le service divin et ils me disaient : Ç Vois ! nous avons vcu l dans l'ombre et dans la pauvret, mais la lumire et la vertu de la foi taient avec nous. È Aprs m'avoir ainsi parl, ce qu'ils faisaient toujours en peu de mots, les diffrents coryphes disparaissaient avec leurs choeurs l'endroit o ils avaient fait leur devoir. Nous vnmes aussi plusieurs fois la lumire du jour, puis nous entrions dans d'autres souterrains; je voyais avec tonnement au-dessus de nous des jardins, des murs des palais; je ne pouvais comprendre comment les gens
qui taient l-haut ne savaient rien de ce qui tait au-dessous dÕeux, comment toutes ces choses taient descendues l et comment tout cela s'tait fait. Tout la fin un vieillard vint prs de moi, seul avec le jeune garon. Nous entrmes dans une grande salle spacieuse dont je ne puis bien dterminer la forme parce que je ne la vis pas dans son ensemble. Elle reposait sur plusieurs piliers dont le haut tait orn de sculptures. De trs-belles statues, plus grandes que nature, taient couches tout autour sur le sol. Cette salle aboutissait d'un ct comme un angle : l se trouvait, dgag de la paroi, un autel isol, derrire lequel il y avait encore statues adosses au mur. Je vis aussi des tombeaux creuss dans les murs : il y restai des ossements, mais qui nÕtaient pas lumineux. Je vis encore dans des coins beaucoup de rouleaux entasss par terre, longs peu prs comme le bras, d'autres plus courts et pais, ressemblant des paquets de toile. Je pensai que c'taient des livres. Lorsque je vis tout cela si bien conserv, cette salle si propre dont l'aspect n'avait rien de lugubre, je me dis que jÕaimerais vivre l, tout examiner, tout ranger, et je mÕtonnais que les gens qui vivaient au-dessus n'en eussent pas la moindre ide. Il y avait au-dessus des jardins, des murs et un grand palais. J'eus aussi la pense soudaine que tout cela reparatrait au jour par suite d'une grande destruction. Si j'tais l, je voudrais trouver quelque moyen dÕy faire arriver sans rien dmolir. Rien ne me fut dit dans cet endroit, je n'eus qu' regarder. Pourquoi cela ? Je n'en sais rien. Le vieillard disparut bientt. Il avait, comme les autres, une coiffure avec des bandelettes pendantes sur les paules et une longue barbe : aprs cela l'adolescent me ramena chez moi. È
Fte des Saintes-Reliques en 1820.
Ç Je suis encore alle dans une quantit innombrable de lieux o gisent des reliques caches sous des dcombres, enfouies et oublies. Je visitai de tous les cts, travers la boue et la poussire, des caveaux, de vieilles cryptes d'glise, des sacristies, des tombeaux, et j'y vnrai les objets sacrs tombs dans l'oubli et disperss au hasard. Je les ai vus brillants et pleins de vertus bienfaisantes; ils taient d'autant plus ddaigns que la dcadence de la vie religieuse allait croissant. Je vis les glises bties au-dessus noires et dsoles, depuis que les saints dont les restes y reposaient n'y taient plus honors. Je vis que le culte des saints et de leurs reliques tombait en dcadence dans la mesure o s'amoindrissait l'adoration du Trs-Saint-Sacrement et je vis combien c'est une mauvaise chose de recevoir la trs-sainte Eucharistie par pure habitude et pour conserver les apparences. De cruelles souffrances me furent imposes pour ce mpris, et il me fut montr dans l'Eglise spirituelle quelle est la valeur et l'efficacit des saintes reliques si ddaignes aujourd'hui sur la terre.
Ç Je vis une glise octogone. Elle sortait comme un lis d'une tige et elle tait entoure d'un cep de vigne. Il n'y avait pas d'autel l'intrieur, mais, au milieu, les plus riches trsors de l'glise s'levaient sur un chandelier plusieurs branches comme des buissons de fleurs qui s'panouissent. Je vis les objets sacrs, selon l'ordre dans lequel ils avaient t recueillis et mis en honneur, placs et rangs par les saints mmes qui les avaient recueillis sur ce candlabre, sur cet chafaudage qui allait toujours grandissant. Ceux qui apportaient quelque chose venaient se mettre leur place dans l'enceinte de l'glise et souvent leurs propres reliques revenaient portes dans le saint difice par quelqu'un qui avait vcu plus tard. Je vis des disciples qui apportaient la tte de saint Jean-Baptiste et d'autres reliques de lui, et je vis la sainte Vierge portant de petites fioles contenant du sang de Jsus. Ces fioles taient en cristal et je vis dans l'une d'elles le sang brillant de clart. Tout cela tait dans les prcieux reliquaires o l'Eglise le conserve. Je vis de saints hommes et de saintes femmes ayant vcu du temps de la trs-sainte Vierge, dposer des objets venant d'elle dans des vases prcieux. Ceux- ci occupaient le premier rang et taient placs droite, au centre de cet ensemble. Je vis un vase de cristal en forme de mamelle o il y avait de son lait; je vis des morceaux de ses vtements et un vase contenant de ses cheveux. Je vis ensuite un arbre devant l'glise et j'appris par une vision comment il tait tomb et avait t faonn par des ouvriers pour en faire la croix du Sauveur : je vis la croix, sous la forme o je la vois toujours, apporte dans l'glise par une femme portant une couronne : elle planait en l'air au-dessus des reliques de Marie. Les trois clous y taient attachs; le petit appui pour les pieds s'y trouvait ainsi que l'inscription, et je vis artistement rangs l'entour, tous les instruments de la Passion, l'chelle, la lance, l'ponge, les verges, les fouets, les massues, la colonne, les coins, les marteaux et beaucoup d'autres choses. La couronne d'pines tait suspendue au milieu de la croix. Pendant qu'on apportait et qu'on plaait ces divers objets sacrs, j'eus constamment des visions au dehors de l'glise, qui me montraient, des distances plus ou moins, grandes, les lieux o se trouve quelqu'une de ces reliques de la Passion. JÕacquis ainsi la certitude que quelque chose de tout ce que je voyais tait encore conserv et rvr quelque part. Il doit y avoir beaucoup de reliques de la couronne d'pines disperses en divers lieux. Je vis que ma parcelle de la sainte lance vient de la hampe. Je vis dans toutes les directions sur des autels, dans des chambres, dans des glises, dans des caveaux, dans des dcombres, dans des murs, sous la terre et sur la terre quelque partie des diverses reliques que je vis placer l. Je vis aussi dans l'glise plusieurs hosties consacres apportes par des vques dans des calices et des ciboires, et des corporaux teints du sang prcieux : tout cela se tenait en l'air au-dessus de la croix. Puis vinrent les ossements des premiers martyrs et aptres, ils furent placs au pied de la croix : ensuite ceux de troupes entires de martyrs, de prtres, de confesseurs, de papes, de vierges, d'ermites, de religieux, etc. Tous furent placs dans des vases prcieux, des chsses richement ornes, des tourelles et des montures admirables. Toute une montagne de trsors s'leva croissant toujours, au-dessous de la croix; la croix s'leva de son ct en proportion et finit par s'arrter comme sur un Calvaire transfigur. Tous ceux qui apportaient ces ossements sacrs taient ceux qui les avaient exalts et prsents la vnration des fidles, et la plupart du temps, c'taient de saints personnages dont les reliques devaient tre vnres leur tour. Tous ceux dont il y avait l des ossements et des reliques se formrent en choeurs suivant leur rang et leur profession : l'glise se remplit ainsi de plus en plus, le ciel s'ouvrit au-dessus et la splendeur de la gloire se rpandit partout : tout prit les traits de la Jrusalem cleste. Les reliques taient entoures de la couleur des auroles des saints auxquels elles appartenaient, comme les saints eux-mmes jetaient des rayons teints de ces mmes couleurs, se montrant ainsi dans un rapport visible et merveilleux entre eux et leurs ossements, rapport qui existait galement entre ceux-ci et leurs possesseurs. È
Ç Je vis aprs cela beaucoup de gens en habits de fte presser en foule vers l'glise et l'entourer l'extrieur avec des marques de vnration. Je les vis avec des manires et des costumes diffrents, suivant les temps o ils avaient vcu, jusqu' l'poque la plus rapproche de nous, o ils taient trs clairsems. Tous ceux-l taient des gens qui honoraient les saints et leurs reliques de la manire dont ils doivent tre honors, comme membres du corps de Jsus-Christ, comme vases de la grce divine sanctifis par Jsus et en Jsus. Et je vis comment les saints exeraient sur eux une action bienfaisante et rpandaient sur eux comme une rose cleste qui les faisait prosprer. Je me rjouis de voir, et l, dans ces derniers temps, des gens dont je connaissais un certain nombre honorer les reliques avec simplicit. Ils appartenaient pour la plupart la classe des paysans et saluaient navement tous les saints ossements qui taient dans l'glise. Je fus trs joyeuse de voir parmi eux mon frre qui, dans l'glise, s'adressait en toute simplicit aux saintes reliques et je vis qu'elles rpandaient la prosprit sur ses champs. Je vis aussi l'tat actuel du culte des saints et des reliques sous l'image symbolique d'une glise en ruines. Je vis les reliques abandonnes, couvertes de poussire, disperses au hasard, bien plus, jetes dans la boue et l'ordure, et je les vis pourtant rpandre de l la lumire autour d'elles et faire descendre la bndiction. Je vis cette glise elle-mme dans un aussi triste tat que les saintes reliques. Il y entrait encore des fidles, mais ils taient comme des ombres gristres : ce n'tait que par endroits qu'on voyait encore une me simple et touche qui tait claire et lumineuse. Rien n'tait pire que certains prtres, malheureusement en grand nombre. Ils taient tout fait dans le brouillard et ne pouvaient pas faire un pas en avant. Il semblait qu'ils n'auraient pas pu trouver la porte d'entre de l'glise si, malgr le peu de cas qu'ils en faisaient, quelques rayons dlis partant de ses ossements qu'ils ddaignaient n'taient arrivs eux travers le brouillard. J'eus alors des visions touchant l'histoire du culte des reliques. Je vis des autels btis au-dessus des ossements des saints, lesquels, par la bndiction du ciel, taient devenus des chapelles et des glises, mais qui tombaient maintenant en ruines par suite du mpris qu'on faisait de ces reliques. Je vis l'poque o tout tait devenu brouillard et obscurit, jeter en tas les reliques et les mettre au rebut en mme temps qu'on brisait les beaux reliquaires pour eu faire de l'argent. Je vis que la dispersion des ossements sacrs tait cause de plus grands maux que la vente des reliquaires. J'ai vu tomber en ruines les glises dans lesquelles les reliques taient disperses et l et indignement traites, et plusieurs d'entre elles disparatre. J'ai t Rome, Cologne, Aix-la-Chapelle et j'y ai vu de grands trsors de reliques auxquelles on rendait encore certaine honneurs.
3. Par suite de la destruction des couvents et de la dvastation d'une si grande quantit d'glises, d'innombrables reliques avaient t disperses et profanes et elles taient tombes dans toute sorte de mains comme des objets qu'on jugeait sans valeur et sans importance. C'tait une grande douleur pour Anne-Catherine et elle saisissait toutes les occasions pour raviver le respect de ces objets sacrs et mettre un terme de nouveaux abus. On sut ainsi bientt dans bien des endroits qu'on ne pouvait lui procurer une plus grande joie qu'en lui apportant des reliques ou en lui demandant conseil pour savoir o on devait remettre celles qu'on possderait, afin de leur faire rendre de nouveau les honneurs qui leur taient dus (note) ; elle put ainsi recueillir successivement une grande
(note) Clara Soeatgen lui ayant un jour apport un petit paquet de reliques, Anne Catherine le prit dans sa main et dit : Ç C'est un grand trsor, Il y a l des reliques de saint Pierre, de sa belle fille Ptronille, de saint Lazare, de sainte Marthe et de sainte Madeleine. Ce prcieux reliquaire est venu de Rome, il y a longtemps. Mais il en va ainsi avec les ossements des saints, quand ils ne sont plus dans la possession de l'Eglise et tombent entre les mains des particuliers. Ce reliquaire a t transmis en hritage, donn, mis au rebut avec de vieilles choses sans valeur, jusqu'au moment o il est tomb par hasard entre les mains de la soeur Soentgen. Il faudra que je prenne des mesures pour qu'il soit honor. È Une juive avait trouv parmi de vieux habits qu'elle avait achets un reliquaire qu'elle avilit ouvert en le forant ; mais cela lui avait cens de telles angoisses qu'elle le fit remettre la malade, laquelle avait vu en vision ce qui s'tait pass et ne put s'empcher de sourire des terreurs de la juive.
quantit d'ossements sacrs. Il y en avait, lorsqu'elle mourut, plus de trois cents avec d'autres choses saintes dont elle avait vu et racont en partie l'histoire depuis les temps les plus anciens jusqu'au moment o ils taient venus en sa possession. Outre ses anciennes compagnes de couvent et le Plerin, c'taient particulirement d'Overberg, du P. Limberg et d'autres prtres qu'elle recevait de temps en temps beaucoup de reliques, depuis qu'on avait connaissance de son don de reconnatre les choses saintes. Si elle ne les reconnaissait pas comme vritables, elle les faisait enfouir en terre bnite : les autres formaient son trsor spirituel, propos duquel il se manifestait plus clairement chaque jour que les occasions, fortuites en apparence, qui le grossissaient taient mnages par Dieu lui-mme, afin que la confirmation des dons gratuits octroys la servante conduisit l'expiation des irrvrences commises envers les saints et la restauration du culte qui leur est d. La reconnaissance de chaque relique tait, pour Anne-Catherine, une grce qui, selon un ordre tabli par Dieu, se trouvait dans un rapport intime avec l'accomplissement de toute la tche de sa vie et avec tous ses autres dons gratuits : et c'est pourquoi son guide anglique veillait si svrement ce que le caprice, la vaine curiosit, l'amour drgl du merveilleux ou le dsir d'prouver la voyante ne vinssent pas soumettre leurs expriences le don dont il avait la garde. Voil pourquoi ce fut seulement aprs la clture de l'enqute ecclsiastique o toute la vie intrieure et extrieure d'Anne Catherine avait t soumise au jugement de l'autorit ecclsiastique, que Dieu amena les occasions par lesquelles la multiplicit et la grandeur de ses dons devaient tre manifestes dans la personne de sa fidle servante laquelle, conformment sa volont, s'tait soumise toute espce d'preuves, afin qu'on vit dans la perfection de sa vertu la preuve de la ralit des dons gratuits qui lui taient dpartis, au lieu de chercher dans ce qu'il y avait d'extraordinaire en elle la pierre de touche de sa saintet. Le premier exemple d'une tentative faite avec de fausses reliques et repousse par son ange gardien est ainsi racont par le Plerin la date du 30 aot 1820.
Ç Le cur de N. avait envoy trois petits paquets contenant des ossements, par l'intermdiaire du frre du Plerin, la suite d'une communication faite par celui-ci sur le don qu'avait Anne Catherine de reconnatre les reliques. Elle prit prs d'elle un de ces paquets la demande du Plerin auquel, le jour suivant, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu dans le lointain des tombeaux sombres et dsols et des ossements noircis: je n'eus pas le sentiment qu'il y et l rien de saint. Je vis le cur prendre un peu de ces ossements et je me trouvai ensuite dans une chapelle tnbreuse situe sur une hauteur: tout l'entour tait froid, brumeux et sinistre. Alors mon guide me quitta et je vis s'approcher de moi une figure de trs belle apparence et ayant l'air trs bienveillant : je crus d'abord que c'tait un ange ; mais bientt je tremblai et je fus saisie d'effroi. Je lui demandai qui il tait. Il me dit deux paroles en langue trangre. Je m'en suis souvenue toute la matine, ce qui m'a beaucoup surprise, puis elles sont sorties de ma mmoire. Elles signifiaient: Ç corrupteur de Babylone, sducteur de Judas. È Il me dit en mme temps : Ç Je suis cet esprit qui a rendu grande la Smiramis de Babylone et qui a form son empire : je suis aussi celui qui a t cause de ta rdemption, car j'ai fait en sorte que Judas fit prendre celui que tu sais. È Il ne nomma pas le Christ. Il me parla de cela comme voulant me faire accroire qu'il avait fait l quelque chose de trs bon. Je fis le signe de la croix sur mon front : alors son aspect devint horrible et il me reprocha avec rage de lui avoir enlev une jeune fille qui s'tait convertie, aprs quoi il disparut en faisant des menaces. Lorsqu'il avait prononc le premier de ces mots trangers, j'avais vu sous de beaux arbres Smiramis, encore trs jeune, et j'avais vu ce mme esprit se tenir devant elle et lui offrir des fruits de toute espce. L'enfant le regardait d'un air effront; elle avait quelque chose de repoussant. Elle tait trs belle, mais il n'y avait rien en elle qui ne ft comme une griffe, elle semblait pleine de pointes. Je vis que cet esprit nourrissait l'enfant et lui fournissait toute sorte de colifichets. A l'entour tait une belle contre : je vis des tentes, de belles prairies, des troupeaux d'lphants et d'autres animaux avec des bergers. Il me fut aussi montr comment Smiramis exera ses fureurs contre la race des hommes pieux, comment elle loigna Melchisdech de son pays, et quelles abominations elle fit, ce qui ne l'empcha pas d'tre presque adore. De mme, lorsqu'il pronona le deuxime mot, j'eus une vision du Christ au Mont des Oliviers; de la trahison de Judas et de toute la douloureuse Passion. Je n'ai pas compris pourquoi cet esprit m'tait apparu. Peut-tre que les ossements sont paens et que l'ennemi a eu par l le pouvoir de s'approcher de moi. Il m'a t svrement interdit par mon guide d'accepter l'avenir des ossements de cette espce : Ç Je te le dfends, m'a-t-il dit, au nom de Jsus! C'est en pareille matire une trahison et qui expose de grandes tentations : tu peux par l beaucoup perdre et prouver de grands dommages. Il ne faut pas jeter les perles devant les pourceaux, c'est--dire devant ceux qui ne croient pas. Les perles doivent tre enchsses dans de l'or. Continue reconnatre les ossements qui sont prs de toi par la volont de Dieu. È
Lorsqu'au mois de septembre suivant, des reliques tut furent envoyes par un prtre de Suisse qui lui avait rendu visite Dulmen, elle raconta ce qui suit : Ç Je n'ai eu aucune vision prcise quant aux reliques, mais le prtre qui les a envoyes m'a t montr comme bon : il y a toutefois dans sa paroisse des gens inclinant un pitisme qui loigne de l'glise. Il ne sait pas les discerner et les croit trs bons. J'ai vu ces gens rpandre les tnbres; ils ne font pas grand cas des pratiques de l'glise; ils n'ont pas encore manifest leur sentiment ce sujet, il est en eux l'tat latent. J'ai entendu aussi prs de moi ces paroles : Ç Tu m'oublies ! È C'tait un avertissement des autres reliques qui se trouvent chez moi. Et il me fut dit encore que je ne devais plus accepter de reliques trangres, qu'il fallait d'abord en avoir fini avec mes anciennes reliques. Je dois bien me garder d'accepter de personne des reliques reconnatre, quand mme elles me seraient apportes par le plus saint prtre du monde, il pourrait en rsulter pour moi de graves inconvnients. È
Le Plerin fut bientt la cause d'une violation de cette rigoureuse dfense. Un ami lui avait apport quelques reliques provenant de deux couvents des bords du Rhin et, sans dire d'o elles lui venaient, il les prsenta la malade, alors absorbe dans une vision. Elle les prit sans difficult croyant que c'taient des reliques de son propre trsor et les garda prs d'elle ; mais le lendemain elle eut l'explication suivante avec le Plerin : Ç Mon guide, dit-elle, m'a rprimande et punie svrement, pour avoir contrevenu sa dfense en prenant les reliques. J'ai oubli tout ce que j'ai vu leur occasion. Il m'a dit de nouveau que ce n'tait pas le moment de reconnatre des reliques trangres; cette trop grande facible accepter des reliques (note) pourrait tout fait m'garer.
(note) C'est--dire, pour parler plus clairement, cet acte du plerin qui les lui avait prsentes sans tenir compte d'aucun avertissement.
Le don de les reconnatre n'est pas une chose qu'on puisse voquer arbitrairement chaque minute : c'est une grce de Dieu et le temps viendra o j'aurai en faire usage pour reconnatre d'autres reliques que celles qui se trouvent prs de moi. Je dois me souvenir d'une vision que j'ai eue l'occasion du petit paquet du cur R. Je vis alors comme quoi celui-ci disait avec une certaine lgret que ce qu'on rapportait de moi, au sujet des reliques, ne signifiait rien, et je vis ce qui pouvait rsulter de ces propos. Je dois maintenant refuser ces reliques et n'avoir prs de moi que celles qui m'appartiennent. È
Le mme avertissement lui fut rpt plus tard et il lui fut dit que l'ami du Plerin ne voulait par l que faire des expriences, ce qui pouvait lui attirer de grandes tribulations, car ses dons n'taient pas ce que celui-ci pensait : ils n'taient pas soumis au bon plaisir de celle qui les possdait, ni une facult naturelle qui pt tre livre l'indiscrtion des curieux. Le Plerin finit par accepter l'avertissement, mais il n'en fut pas de mme de son ami qui nÕy trouvait que plus de raisons pour mettre la malade l'preuve. Toutefois, le 12 dcembre, elle eut dclarer encore : Ç Le jugement de votre ami sur moi et sur ce qui se voit en moi est tout fait erron : c'est pourquoi il m'a t expressment dfendu, par mon guide de recevoir de lui aucune relique de saint parce qu'il ne cherche jamais qu' faire des expriences. Il m'a t dit que ses expriences pourraient m'tre trs nuisibles parce qu'il en parle devant d'autres personnes et qu'il veut prouver par l des choses d'une tout autre nature (note).
(note) Cet ami tait un partisan enthousiaste de la thorie du magntisme animal.
Mais mes dons et mes moyens de connatre ne sont pas ce qu'il s'imagine. Je vois le fond de sa pense quand il me parle; il draisonne compltement mon sujet et j'en ai t depuis longtemps instruite et avertie en vision. È
Le 16 dcembre, elle dit : Ç J'ai eu une vue des reliques merveilleusement claire. Je les vis toutes autour de moi. Je vis aussi plusieurs glises des bords du Rhin et il me fut montr en vision comment une voiture tait attaque par des voleurs, la suite de quoi une petite cassette tait jete dans un champ et trouve plus tard par une autre personne. Le propritaire revint inutilement pour la chercher et la cassette resta l'endroit o elle avait t trouve. J'y vis la relique que votre ami a apporte ici avec beaucoup d'autres, mais je ne dois pas la nommer, il faut que l'ami attende et qu'il y ait en lui un changement. Il est encore tonnamment grand et large : la foi la vrit est aussi grande et large, mais il faut souvent qu'elle passe par un trou de serrure. Votre ami s'obstine dans son erreur quant moi et ma destination ; il a sur toutes ces choses des opinions bizarres et draisonnables. J'ai reu l'avertissement positif de ne m'occuper en rien de reliques avec lui, parce que ses vues ce sujet sont fausses, qu'il les propage sans ncessit et qu'il peut m'attirer des souffrances, car mon temps n'est pas encore venu. È Ensuite elle annona que le jour de la fte du saint aptre Thomas, elle dcouvrirait plusieurs reliques anciennes. Et en effet, le Plerin rapporte, la date du 21 dcembre, qu'il la trouva ayant la botte de reliques sur son lit. On ne pouvait voir sans surprise dans quel bel ordre elle avait rang les ossements pendant la nuit, quoiqu'tant dans l'tat contemplatif : elle avait arrang une vieille toffe de soie dans l'intrieur de la cassette bien mieux qu'elle n'aurait pu le faire l'tat de veille. Elle avait envelopp part les cinq reliques de saint Jacques le Mineur, de saint Simon le Chananen, de Joseph d'Arimathie, de Denys l'Aropagite et d'un disciple de saint Jean qu'elle nommait Eliud. Ç J'ai eu, disait-elle, une nuit pleine de clarts. J'ai su les noms de tous ceux dont les ossements se trouvent prs de moi : j'ai vu aussi les voyages des aptres et des disciples dont je possde des reliques ainsi que les lieux par o ils ont pass : j'ai eu la vision d'une grande fte propos de saint Thomas. J'ai vu aussi comment des reliques des premiers sicles sont venues Munster, comment un vque tranger les a recueillies une poque trs-ancienne et comment elles sont venues ensuite en la possession d'un vque de Munster. J'ai vu tout cela avec l'indication des vques et des noms. Dieu, je l'espre, fera en sorte que cela ne soit pas perdu... J'ai aussi reu la permission de rvler mon confesseur, afin qu'il en prenne note, le nom de la relique que l'ami a apporte : je ne dois point le dire l'ami lui-mme. Ce dernier ne voulut pas comprendre cet avertissement dans lequel pourtant se trouvait indique si clairement l'origine surnaturelle du don dparti Anne Catherine, ainsi que le lien qui la rattachait l'glise. Voyant qu'il ne changeait pas d'ides ce sujet, elle prouva un vif dsir de pouvoir lui faire connatre le nom lui-mme. Ç Ah ! s'tait-elle dit, si pourtant je pouvais lui dire qui appartient cet ossement ! J'avais dj le nom sur la langue: mais tout coup une main blanche et lumineuse sortit de l'armoire qui est prs de moi droite, se posa sur ma bouche et m'empcha de parler. Cela se fit d'une manire si prompte et si surprenante que je fus au moment d'en rire. È
Un semblable avertissement se rpta quelques jours plus tard lorsqu'elle allait de nouveau cder au dsir de dire le nom pour la satisfaction de l'ami. Ç J'ai eu encore, dit-elle, un grand dsir de nommer le saint dont la relique m'a donn tant d'ennui : mais comme j'allais parler, un bruit se fit entendre dans l'armoire et cela me fut impossible; je ne me souvins plus de rien; je ne puis ni ne dois ouvrir la bouche. J'ai eu plusieurs fois le nom sur la langue, je n'ai pas pu parler et ma volont n'y est pour rien. È Le confesseur et l'ami avaient aussi entendu le coup donn dans l'armoire sans pouvoir se l'expliquer et lorsque le confesseur dit : Ç Le malin ne nous fera pourtant pas de ses tours cette foi,È Anne Catherine prit la relique dans l'armoire et dit : Ç C'est le saint qu'a apport l'ami du Plerin. È
Mais voici des faits qui font voir clairement quelle tait, l aussi, la puissance du commandement sacerdotal. Le 18 janvier 1821, le confesseur plaa prs d'Anne Catherine un petit paquet cachet et dit au Plerin qui tait prsent: Ç Je ne sais pas ce qu'il y a dedans, mais quand elle aura parl, je vous dirai o je l'ai trouv. È L-dessus il dit la malade : Ç Qu'est-ce que c'est ? Est-ce bon ? Dites ce que c'est. È Quoique par l, il et interrompu Anne Catherine au milieu d'une autre vision, elle rpondit pourtant au bout de peu de minutes. Ç Ce petit paquet vient d'un homme pieux du sminaire de Paris qui l'a rapport de Jrusalem et de Rome : il y a des cheveux du Pape, une petite parcelle des ossements d'un nouveau saint qui est mort dans un couvent de la terre promise, une petite pierre du saint spulcre, de la terre o a repos le corps du Seigneur et encore des cheveux d'une autre personne.È Le Plerin dit alors au confesseur : Ç Vous l'avez sans doute trouv chez l'abb Lambert qui, avait reu de Paris des objets de ce genre. È
- Ç Oui, rpondu-il, en rangeant les papiers de Lambert, j'ai trouv ce petit paquet cachet. Lorsque le confesseur se fut retir, elle dit encore : Ç Qu'est-ce qu'une pauvre nonne qui est couche l, dans un si triste tat ? Le Pre ne me dit pourtant rien. Il devrait aller la voir; elle est bien plus plaindre que moi, elle est tout enveloppe d'pines ! È Elle se vit elle-mme sous cette image, parce que le petit paquet contenait de ses cheveux que le vieux Lambert avait voulu envoyer son ami de Paris.
Un jour elle avait reconnu une relique comme tant d'un Pape : mais elle avait oubli le nom. Alors le Plerin pria le confesseur de la lui prsenter de nouveau en lui demandant ce nom. Celui-ci y consentit; et peine eut-elle tenu quelques instants la relique dans sa main qu'elle dit : Ç C'est du Pape Boniface 1er. È
Le 9 aot, elle dit : Ç J'ai t trs occupe cette nuit des ossements sacrs qui se trouvent prs de moi. J'ai vu tous les saints et j'ai t invite dire autant de Pater qu'il y avait de reliques chez moi. Je dois offrir cette prire pour les mes des dfunts qui reposent dans le cimetire d'ici. È
4. Combien taient involontaires et puissantes les impressions que faisaient sur Anne Catherine les objets saints ou profanes, c'est ce que fait voir d'une manire singulirement frappante le fait suivant rapport par le Plerin la date du 9 mai 1820.
Ç Le docteur Wesener, en fouillant un tombeau paen, avait trouv un vase de cendres auxquelles taient mls quelques fragments d'un crne humain et le Plerin apporta un de ces fragments sur le lit de la malade pendant qu'elle tait absorbe dans une prire extatique. Elle n'approcha pas la main de cet os, elle qui ordinairement pourtant est si puissamment attire par la lumire des ossements sacrs, qui la suit, tant en extase; avec la tte et le haut du corps,
mme avec les pieds, les orteils et le tressaillement des muscles, l'endroit o l'ossement la touche. Elle laissa celui-ci reposer sur la couverture devant les doigts de sa main gauche dont il tait trs-rapproch et ne fit aucun mouvement, en sorte que le Plerin crut que c'tait un objet trs indiffrent et qui ne produisait aucune impression. A la fin elle dit : Ç Que me veut cette vieille Rbecca ? È Comme il cherchait rapprocher d'elle l'ossement, elle cacha ses mains sous sa couverture et dit qu'une vieille femme basane, d'un aspect sauvage, courait autour d'elle avec des enfants nus comme des grenouilles, qu'elle ne pouvait pas les regarder, que c'tait pour elle un objet d'horreur. Elle avait bien vu en gypte des gens aussi basans et d'un aspect aussi sauvage, mais elle ne savait pas ce que ceux-ci lui voulaient, etc. L'ossement ayant t laiss encore un certain temps dans son voisinage, elle tendit la main, sans se rveiller, sur la bote de reliques qui tait auprs d'elle, la pressa des deux mains contre sa poitrine et dit: Ç Maintenant elle ne peut me nuire en rien. ÈAlors, les membres raidis par l'extase, elle se glissa sous sa couverture, et comme le Plerin qui tait debout prs d'elle mit alors dans sa poche l'ossement paen, elle tourna la tte du cot oppos, puis, quand il porta cet os de cet autre ct, elle en dtourna encore la tte; lorsqu'enfin il loigna l'os, elle dit qu'elle s'tait cache devant les saints. Pendant ce temps son confesseur lui ayant prsent le doigt consacr, elle le suivit de la tte si bien qu'elle le prit dans sa bouche et le sua fortement. Ç Qu'est-ce que cela ? lui demanda-t-il, È et elle lui fit cette rponse tourdissante : Ç C'est plus que tu ne peux comprendre. È Il retira ses doigts et posa sa main au pied du lit : mais la malade la suivit aussi l. Dans son tat de raideur, sans quitter la bote de reliques, elle redressa le haut du corps pour se mettre sur son sant et chercha rapprocher sa tte et sa bouche des doigts consacrs. È
Ç Plus tard le Plerin mit prs de sa main qu'elle tenait ferme autour de la bote de reliques et qui tait toute raidie, le fragment d'un os d'animal fossile que le docteur Wesener avait trouv dans la rivire de la Lippe. Elle le prit et dit: Ç Ceci est mieux sa place ici, ceci n'a rien de nuisible, c'est une bonne bte et qui n'a pas commis de pchs. È Elle avertit encore plusieurs fois le Plerin de ne plus s'occuper d'ossements de cette espce et de ne pas les apporter avec les ossements des saints. Ç Va-t'en, dbarrasse-toi de la vieille femme, prends garde elle; elle peut te nuire, È dit-elle avec insistance diverses reprises, sans sortir de l'tat d'extase. Lorsque le Plerin, un des jours suivants, amena la conversation sur l'incident racont plus haut, la malade lut reprsenta en termes svres combien il tait dplac et mme dangereux de faire sur elle de ces expriences indiscrtes et propres jeter la confusion, de mler ainsi le sacr avec le profane et de lui prparer par l des impressions trs-inconvenantes. È Elle se plaignit aussi beaucoup que le Plerin ne se ft pas laiss dtourner par le confesseur de lui prsenter ces os. Elle dit encore : Ç Les ossements des paens m'ont repousse et ont excit en moi l'horreur et la rpugnance. Je ne puis pas dire que j'aie eu le sentiment que cette femme tait damne ; mais j'ai senti l quelque chose de sinistre, qui se dtournait de Dieu, qui rpandait la nuit ou plutt qui exprimait en soi les tnbres, tout fait le contraire et l'oppos de ce que je vois de lumineux, d'attrayant, de bienfaisant dans les ossements des saints. Je vis cette vieille femme regardant d'un air craintif autour d'elle: c'tait comme si elle tait en rapport intime avec des puissances mauvaises; comme si elle pouvait faire du mal. Je ne vis qu'obscurit autour d'elle; il y avait un bois et une prairie, mais tout tait sombre, non pas comme quand il fait nuit, mais de cette obscurit spirituelle que je vois dans les mauvaises doctrines, dans l'loignement volontaire de la lumire du monde, dans l'alliance avec les tnbres. Ce n'est pas la nuit dans le sens ordinaire du mot : ce sont des tnbres spirituelles. Je vis cette femme seule avec les enfants ; mais il y avait l de misrables cabanes disperses de formes diverses, toutes creuses sous la terre et surmontes d'un toit quelques-unes taient rondes et avaient des toits de gazon, d'autres taient carres avec des toits de roseaux. J'en vis aussi, mais en petit nombre, qui avaient des toits plus levs :elles se terminaient en pointe et taient ranges plus rgulirement. Je vis aussi entre quelques-unes de ces huttes des passages souterrains qui taient recouverts. L'action dplaisante de ces ossements paens peut produire beaucoup de mal, si l'on a recours des pratiques superstitieuses, contraires aux prceptes de l'glise, car par l, on se rend, son insu, participant leurs influences et il s'tablit une sorte de communion avec eux, comme, en sens inverse, la vnration des reliques des saints fait participer la bndiction et l'action sanctifiante de tout ce qui est rachet et transfigur. È
5. Mais, mme dans l'tat de veille naturel, elle ressentait l'attraction des saintes reliques, les voyait briller et reconnaissait leurs noms : c'est ce dont le Plerin fut tmoin ds son premier sjour Dulmen. On lit dans son journal, la date du 30 dcembre 1818 : Ç La soeur Neuhaus, ancienne matresse des novices de la malade, lui apporta un petit paquet. Lorsqu'elle entra dans la chambre, Anne-Catherine ressentit un frisson de joie (ce fut son expression), et eut la certitude intrieure que c'taient des relique. È Ah ! se disait-elle, tu portes le trsor hors de ta chambre et tu y gardes la poussire ! È Et quand la soeur Neuhaus posa le petit paquet sur la table, elle fut si pleine d'motion qu'elle craignait chaque instant d'tre ravie hors d'elle-mme. C'tait comme si une voix intrieure l'et appele : Ç Ludger est l ! Il est l ! È - Et tout en s'entretenant avec la soeur Neuhaus, elle ne cessait d'tre tellement attire vers les reliques qu'elle avait beaucoup de peine ne pas tomber en extase, en sorte que l'autre lui demanda si elle ne se trouvait pas bien. Ç Pas tout fait, È rpondit-elle, et elle parla exprs d'autres choses parce qu'elle ne voulait pas passer l'tat contemplatif. Aprs cela elle raconte ce qui suit au Plerin : Ç Je voyais toujours prs de ces reliques quelques lueurs brillantes, une lumire d'un blanc de lait, mais pourtant plus clatante et plus vive que le jour, et comme une petite parcelle tomba terre, je vis une tincelle lumineuse voler nous la bote (note).
(note) Ç Je la cherchai alors, moi, pauvre aveugle, et je la trouvai. È Le Plerin
Plus tard comme le Plerin considrait les reliques, je fus tout de suite ravie hors de moi, et une voix me dit : Ç Voici Ludger, c'est son ossement. È Et en mme temps je vis le saint vque avec la mitre et la crosse dans l'assemble des saints. Plusieurs autres me furent montrs, les uns derrire les autres ; d'abord sainte Scholastique au-dessus de beaucoup de religieuses et son ossement sur la table. Je vis ensuite sainte Afre parmi des religieuses et sa relique; puis saint Benot au-dessus d'un grand nombre de moines et sa relique sur la table; puis Walburge prs d'une troupe de religieuses et au-dessous, prs du Plerin, sa relique; puis une jeune religieuse me fut montre parmi d'autres nonnes et il me fut dit : Ç C'est Emrentienne et voil sa relique ! È Je fus tonne, car je n'avais jamais entendu ce nom. Je vis ensuite une jeune fille ayant une couronne de grosses roses pur la tte et tenant dans ses deux mains, devant elle, un beau bouquet de fleurs et une guirlande de roses. Il me fut dit : Ç C'est Rosalie qui a tant fait pour les pauvres. Elle tient la guirlande de fleurs de la mme manire qu'elle distribuait ses dons charitables, et sa relique est l. È Aprs cela je vis briller une religieuse parmi beaucoup d'autres et il me fut dit : Ç C'est Louise et sa relique est l. Vois ! comme elle rpand les aumnes ! Et je vis qu'elle avait son tablier rempli de pains et qu'elle les distribuait plusieurs malheureux. Puis je vis un vque et il me fut dit : Ç Il vivait du temps de Ludger : ils avaient travaill ensemble et s'taient connus. È Je les vis pourtant se tenir loin l'un de l'autre. Puis je vis une jeune fille sculire trs-jeune encore, avec un vtement immatriel, de la forme de ceux du moyen ge, parmi d'autres bienheureuses vierges. Et voyez ! on avait trouv son corps entier et parfaitement conserv; on avait reconnu sa saintet et plac un ossement d'elle parmi d'autres saintes reliques. En mme temps je vis son tombeau ouvert : il tait revtu de maonnerie. Puis je vis un jeune homme l'air dlicat, un adolescent des premiers sicles et, prs de lui, six autres et une femme. J'entendis prononcer le nom de Flicit : une place ronde entoure de murs avec des arcades me fut montre et il me fut dit qu'il y avait l, sur l'un des cts, des trous renfermant les btes froces et de l'autre ct les prisons o les martyrs taient tenus captifs et attachs des chanes suspendues en l'air en attendant qu'on les livrt aux btes. Je vis encore des gens qui creusaient l pendant la nuit et emportaient des ossements. Il me fut dit : Ç Ils font cela en secret ; ce sont des amis des martyrs et c'est ainsi que les ossements ont t ports Rome et distribus. È Puis je vis Flicit prs des sept jeunes gens. È
Une semaine aprs, le Plerin apporta devant Anne Catherine le reste des reliques du paquet de la soeur Neuhaus : Ç Je lui donnai sept parcelles, È dit-il dans son journal. Elle les reconnut toutes comme tant de sainte lisabeth de Thuringe et dit: Ç Je vois lisabeth tenant d'une main une couronne et de l'autre une corbeille. De la corbeille tombent de grandes et de petites roses d'or. Au-dessous je vois un pauvre vers lequel elles tombent. È Ici elle montra elle-mme une relique et dit: Ç C'est sainte Barbe; je la vois avec une couronne sur la tte et tenant en main le calice avec le Saint-Sacrement. È Puis elle se retourna vers un petit amas d'autres reliques et dit : Ç Celles-ci viennent d'un lieu de martyre qui est Rome. È Et alors elle y fut ravie en vision et dcrivit au Plerin les lieux qu'elle voyait et les supplices des saints martyrs en mme temps qu'elle lui nommait les diverses reliques et les lui prsentait pour les envelopper et en prendre note. Il fut tellement surpris de la rapidit avec laquelle tout cela se fit qu'il exprima son tonnement en ces termes ; Ç Je dois dire, ma honte, que je n'ai pas la moindre ide de toutes ces choses. Qu'on se figure cette pieuse villageoise, ayant sous les yeux le vieux monde romain avec tous ses usages et ses moeurs, et qui ne comprend de tout ce qu'elle voit que l'tat moral des martyrs livrs aux supplices, qui, du reste, par suite de son inexprience, ne sait comment dcrire les objets, les lieux, les instruments ! Comme jusqu' prsent elle n'a eu s'exprimer que sur ce qui touche la vie spirituelle, il est facile de comprendre pourquoi le Plerin ne peut noter que fort peu de choses. È Lorsqu' la fin de la vision elle demanda son guide comment ces saintes reliques taient venues ici et ne recevaient pas ailleurs les honneurs qui leur taient dus, il rpondit qu'elles avaient t dterres trs anciennement dans les endroits o les martyrs avaient souffert; qu'elles avaient pass de lieu en lieu et qu'enfin, tant venues Munster, elles avaient sans cesse cd la place de nouveaux objets, et qu'on les avait mises tout, fait de ct. Ç Je me trouvais une fois, dit-elle, dans une ville trangre d'un merveilleux aspect, et j'tais debout sur une plate-forme au sommet d'un difice qui entourait une place circulaire. Je me trouvais au-dessus d'une entre, d'o partaient droite et gauche des escaliers intrieurs conduisant en haut jusqu' l'endroit o j'tais. L'un des cts contenait des prisons communiquant par des portes l'enceinte circulaire ; de l'autre ct taient des loges renfermant les btes froces. Derrire celles-ci taient des recoins o se glissaient les bourreaux quand ils lchaient les btes. Vis--vis l'entre, prs du mur, on voyait sur la place un sige de pierre lev auquel des degrs conduisaient des deux cts. L sigeait la femme du mchant empereur et, prs d'elle, deux personnes d'une grande cruaut. Derrire cette tribune, en haut de la plate-forme, tait assis un homme charg de donner des ordres. Il faisait des gestes, tantt dans une direction, tantt dans une autre, comme s'il indiquait une marche suivre. Tout n'abord une porte fut ouverte devant les btes et il en sortit un animal tachet ressemblant un grand chat. Les bourreaux se trouvaient derrire les portes et ils s'enfuirent dans les trous pour se mettre en sret, puis ils montrent les escaliers en courant, jusqu'au bord suprieur. Pendant ce temps deux autres excuteurs avaient tran une jeune fille hors des portes de la prison situe en face et lui avaient arrach son vtement blanc. Elle tait lumineuse comme tous les martyrs et se tenait tranquille au milieu de la place, les yeux levs au ciel et les mains croises sur la poitrine; elle ne manifestait pas la moindre frayeur. La bte froce ne lui fit pas de mal, mais s'humilia devant elle et se jeta sur les valets qui cherchaient l'exciter en lui jetant des pierres et en poussant des cris. Mais comme l'animal ne voulait pas attaquer la victime, on le rappela et il revint, je ne sais comment. La jeune fille fut conduite un autre lieu de supplices qui tait dans le voisinage et autour duquel il n'y avait que des barrires. Elle fut attache, les mains lies derrire le dos, sur une pierre surmonte d'un poteau et on lui trancha la tte. Elle mit elle-mme ses mains derrire son dos. Ses cheveux taient tresss : elle tait charmante et il n'y avait pas trace de frayeur chez elle. Alors on conduisit un homme dans le lieu o taient les btes : on lui arracha aussi son manteau : il n'avait plus qu'un vtement de dessous descendant aux genoux. Les btes ne lui firent aucun mal : on lui trancha la tte. È
Ç Il fut, comme la jeune fille avant lui, pouss de ct et d'autre et piqu avec des btons de fer pointus. Ces martyres causent tant de tristesse et pourtant aussi tant de joie ! ils sont si terribles et pourtant ils enthousiasment tellement qu'on ne peut que s'affliger de n'tre pas l. Les bourreaux souvent sont si merveilleusement frapps de la sublimit des martyrs qu'ils courent eux, confessent Jsus haute voix et sont souvent martyriss avec eux sur-le-champ. Je vois un martyr dans l'endroit o sont les btes ; Ç une lionne se prcipite sur lui, le trane et l et le met en pices. Je vois aussi beaucoup de gens brls sur un thtre et un martyr duquel les flammes se dtournent pour se jeter sur les bourreaux dont elles font prir un grand nombre. Je vois un prtre, qui a consol en secret bien des personnes, auquel les bourreaux coupent les membres l'un aprs l'autre, aprs quoi ils les lui prsentent, l'engageant abjurer. Mais le corps mutil demeure plein de joie et louant Dieu jusqu'au moment o on lui tranche la tte. J'allai aussi dans les catacombes et je vis, devant une table garnie de flambeaux, beaucoup de personnes, hommes et femmes, s'agenouiller et prier. Un prtre rcitait les prires et un autre faisait brler de l'encens dans un vase. Tous semblaient offrir quelque chose dans un plat plac sur la table. Les prires taient comme une prparation un prochain martyre. Je vis ensuite une femme noble avec trois filles de seize vingt ans, exposes dans l'enceinte des btes. Le juge qui sige en haut n'est plus le mme. Beaucoup d'animaux froces sont lchs sur elles, mais ils ne leur font pas de mal; bien plus, ils lchent amicalement la plus jeune. Alors elles sont conduites devant le juge et de l la petite place destine aux supplices. La fille ane est d'abord brle avec des torches de couleur noire aux joues, aux mamelles et sous les bras, puis tenaille partout le corps et enfin ramene au juge. Elle ne le regarde pourtant pas, mais se retourne sans cess pour voir sa soeur qu'on martyrise pendant ce temps. La mme chose se fit pour toutes les quatre, aprs quoi, on les fit asseoir et on leur trancha la tte. La mre qui avait incroyablement souffert la vue de ses pauvres filles, fut dcapite la dernire. Je vois aussi un saint pape victime d'une trahison : on le tire des catacombes et on le martyrise. Un des plus furieux parmi les Romains, touch de repentir, se jette dans les rangs des chrtiens et meurt son tour martyris. Je ressentis un tel dsir du martyre que je le demandai haute voix, mais il me fut dit : Ç Chacun a sa voie. Nous le souffrons en une fois, mais toi tu dois tre martyrise tous les instants; nous n'avions qu'un ennemi, tu en as beaucoup. È
6. A une poque postrieure, le Plerin lui offrit une certaine quantit de reliques qu'elle prit successivement et porta l'pigastre. Puis elle les mit en ordre, les pressa toutes sur son coeur et les considra attentivement. Elle les rendit ensuite l'une aprs l'autre, en signala une comme fausse, les autres comme vritables, en ajoutant ces paroles : Ç Elles sont magnifiques; on ne peut dire quel point elles sont belles. È Interroge de nouveau sur ce qu'elle ressentait la vue des saints ossements, elle dit : Ç Je vois et sens la lumire: c'est comme un rayon qui entre en moi et me ravit et je sens alors la connexion du rayon avec le corps lumineux d'o il mane et avec tout un monde de lumire. J'ai ensuite des visions touchant la vie terrestre du saint et la place qu'il occupe dans les rangs de l'glise triomphante. Il y a entre le corps et l'me un merveilleux rapport qui ne cesse pas aprs la mort, en sorte que les mes bienheureuses continuent toujours agir sur les fidles par les parties dtaches de leur corps. Au dernier jour il sera trs facile aux anges de sparer les bons des mauvais, car il n'y a rien qui ne soit ou lumire ou tnbres. È
Le 31 juillet, tant en contemplation, elle avait choisi parmi plus de cent reliques, une petite parcelle qu'elle disait provenir de saint Ignace de Loyola. Etant veille, elle prit de nouveau la bote o taient les reliques pour chercher les petits fragments qui se rapportaient les uns aux Vautres. A peine les avait-elle considrs quelques instants qu'elle en fit six petits tas spars. Elle dit de l'un : Ç Je dois avoir l dix parcelles, È et ne put pourtant en compter que neuf. Cependant elle rpta : Ç Il doit y en avoir dix, È jusqu' ce qu'enfin elle et trouv aussi la dixime. Elle fit cela en moins de cinq minutes et dit ensuite : Ç Je ne puis plus, je ne vois plus, È Puis, puise de fatigue, elle s'arrta. Elle dit plus tard : Ç Je sentais une irrsistible envie de contempler les reliques, j'y aspirais ardemment, elles m'attiraient. Il est facile alors de les reconnatre, elles ont une lumire diffrente. Je vois de petites images qui semblent tre les visages des divers personnages auxquels elles appartiennent ; des fils de lumire vont des parcelles d'ossements ces images. Je ne puis exprimer cela, c'est un tat merveilleux : c'est comme si l'on sentait renferm en soi quelque chose qui veut sortir ; cela fatigue beaucoup et on finit par tomber puis. È Pendant qu'elle faisait cette recherche, de mme qu'auparavant et aprs, elle tait tout fait l'tat de veille et on ne voyait en elle aucun changement extrieur, si ce n'est une espce d'attention profonde et intime. Lors de l'ouverture du papier, elle dit tout d'abord : Ç Il y a l-dedans une petite pierre, È et elle la retira en effet du milieu de plusieurs autres petits fragments semblables. Elle n'a pas besoin de la lumire du jour pour un pareil travail, car elle le fait souvent pendant la nuit. - Le vicaire Hilgenberg, ayant garni deux bandes d'toffe de reliques lgamment disposes, les apporta pour les lui montrer : elle fut trs-mue et dit : Ç J'en vois beaucoup avec une aurole lumineuse de plusieurs couleurs : la lumire les pntre de part en part. Quand je m'attache davantage les considrer, il y surgit une petite figure, puis cette figure grandit :j'entre en elle et je vois l'extrieur, le vtement, la manire d'tre, le nom, la vie et l'histoire du saint. Les noms sont toujours placs sous les pieds pour les hommes, au ct droit pour les femmes. Ils ne sont pas crits en entier, mais seulement les premires syllabes; le reste se peroit intrieurement (note).
(note) Chaque fois qu'Anne Catherine, pour condescendre aux demandes du Plerin, essayait de tracer au crayon les noms des saintes reliques, tels qu'ils lui avaient t indiqus en vision, elle n'crivait jamais non plus que la premire syllabe du nom et cela en caractres romains.
Les lettres ont une aurole de la mme couleur que les reliques et les saints auxquels celles-ci appartiennent. Il semble que ces noms soient quelque chose d'essentiel, qu'ils aient par eux-mmes une substance : il y a en eux un mystre. Quand je vois les saints, sans qu'il s'agisse de les reconnatre individuellement, mais seulement d'une vue gnrale, ils m'apparaissent rangs en hirarchies et en choeurs, vtus suivant leur importance et leur rang, mais seulement dans leur forme essentielle, portant les costumes de l'glise du ciel, et non ceux qui leur taient chus dans le temps. Je vois alors tous les vques, les papes, les martyrs, les oints du Seigneur, les rois, les vierges revtus d'un vtement cleste, mais toujours dans une gloire. Les sexes ne sont pas spars. Les vierges ont un rang mystique tout fait distinct. Je vois les vierges comme vierges par la volont: il y a parmi elles des femmes maries et de saintes martyres auxquelles les bourreaux ont fait violence. Je ne vois pas Madeleine parmi les vierges, mais elle est un rang trs-lev. Elle tait grande, belle et si nergique que, si elle ne s'tait pas convertie Jsus, elle aurait pu devenir un monstre parmi les femmes. Elle a remport une grande victoire. È
Quelquefois je ne vois des saints que la tte, quelquefois aussi la poitrine entoure de splendeur. Je vois cette splendeur diversement colore. Chez les vierges et chez les personnes qui ont men une vie trs-paisible et pour lesquelles le combat n'a t que la patience dans les preuves journalires et dans les peines domestiques, elle est d'un blanc de neige ; il en est de mme pour les adolescents : je vois souvent ceux-ci tenir un lis la main. Je vois briller d'un rouge ple ceux qui ont t martyriss par des souffrances secrtes en l'honneur de Jsus. Les martyrs portent des palmes, leur aurole est d'un rouge clatant; celle des confesseurs et des docteurs est jaune et verte : ils tiennent la main des branches vertes. Je vois les saints martyrs dans des gloires d'une espce diffrente selon le degr des tourments qu'ils ont endurs: Parmi les saints dont les ossements se trouvent chez moi, j'en vois aussi quelques-uns qui par le martyre intrieur de l'me sont devenus martyrs sans verser leur sang.
Ç Je vois les anges sans aurole. Je les vois la vrit sous forme humaine, ayant des visages et des chevelures, mais avec quelque chose de plus svelte, de plus noble, de plus beau, de plus immatriel que les hommes. Je les vois entirement diaphanes, tout en eux est lumire, mais il y a des degrs diffrents. Je vois les humains arrivs la batitude avec une lumire corporelle qui est plutt blanche que resplendissante et je vois autour d'eux une sphre de splendeur, une gloire, une aurole diversement colore dont la couleur se rapporte au mode de leur purification. Je ne vois pas les anges remuer les pieds, les saints non plus, si ce n'est dans les tableaux historiques de la vie qu'ils ont mene sur la terre, comme hommes ou parmi les hommes. Je ne vois jamais ces apparitions dans leur tat parfait se parler entre elles par l'organe de la bouche, quoique je voie qu'ils se tournent les uns vers les autres, passent les uns dans les autres, s'informent mutuellement. È
Elle avait deux ossements de sainte Hildegarde, un petit et un plus grand, provenant de l'os de la hanche. Un jour elle parut surprise comme si quelqu'un s'approchait l'improviste et elle s'cria : Ç Qui est-ce que je vois en long vtement blanc. È Elle regarda alors l'armoire qui tait prs d'elle : Ç C'est Hildegarde. J'ai deux reliques d'elle : une grande qui ne vient pas moi, une autre plus petite qui vient assez souvent. La grande est moins lumineuse, elle provient d'une partie moins noble. Les ossements diffrent en dignit. Ainsi, les vtements que sainte Madeleine portait avant sa conversion brillent moins que les autres. De mme les membres qu'un saint a perdus avant sa renaissance sont des reliques, de mme que toute l'humanit, mme avant Jsus-Christ, a t rachete par lui. Les saints ossements des mes pures, chastes, fortes, sont toujours plus solides et plus durs que ceux des personnes qui ont t agites par les passions : c'est pourquoi les ossements des vieux temps o rgnait la simplicit sont plus forts et plus attrayants que ceux des temps postrieurs.
Le Plerin lui apporta une petite bote contenant une cinquantaine de fragments de reliques mls ensemble. Elle tait parfaitement veille. Il lui dit qu'il serait bon d'en faire le triage. A peine les eut-elle considrs une minute qu'elle put se mettre l'oeuvre. Eveille comme elle l'tait, et sans interrompre la conversation, elle mit ensemble les petites parcelles qui appartenaient un mme corps; bien plus, elle dsignait en mme temps les divers membres desquels elles provenaient. Elle dit encore: Ç En voici qui ont t dans le feu, je vois qu'on les retire de la cendre. Celles-ci ont t dans l'glise de la ville, je vois qu'on les nettoie et qu'on les pare. Celles qui sont l-bas brillent davantage, celles-ci moins et il y en a une qui rpand une lumire rouge dor d'une beaut particulire. È A ces mots elle tomba en contemplation, mais bientt elle revint l'tat de veille et dit : Ç Je vois un vieillard paralytique couch en plein air sur un petit lit; un vque dont la crosse repose sur son bras, se penche sur lui et met la tte sur son paule. Il y a l des gens qui portent des flambeaux. È Elle dsigna l'ossement dont la lumire tait d'un rouge dor comme ayant une relation avec cette scne et lui donna le nom de Servulus ; elle nomma aussi saint Quirinus comme ayant un ossement parmi ces reliques.
Le Plerin lui ayant prsent un petit paquet de reliques, appartenant la maison de Dulmen, lequel contenait environ huit morceaux d'une toffe ancienne, elle les spara du reste et dit : Ç Ceci a t port par un saint : ceci est la rognure d'une tole, ou d'un ornement sacerdotal, ceci a touch une chose sainte. È Et comme on lui demandait quoi elle reconnaissait cela, elle dit que, depuis que le petit paquet tait dans sa chambre, elle avait vu prs d'elle quatre saints vtus de ces toffes qu'elle avait vu aussi couper et taire toucher, et qu'elle les voyait encore au moment o elle faisait le triage. Il lui demanda ensuite si elle ne voyait pas sainte Thcle dont elle avait une relique prs d'elle. Elle rpondit : Ç Oui, je la vois, tantt ici, tantt l, dans une vision o elle m'apparat faisant le guet prs d'une prison o saint Paul est renferm. Je la vois se glisser tantt la long d'un mur, tantt sous une arcade comme une personne qui cherche quelque chose d'un air inquiet. È
Le Plerin lui ayant donn, outre ces petits morceaux d'toffe, un petit clat de bois envelopp dans une toffe bleue, elle dit aussitt : Ç Ceci est du bois dont la croix tait faite et que Marie avait dans sa maison prs d'Ephse : c'est du bois de cdre. Le petit morceau de soie vient d'un manteau qui recouvrait autrefois une image de Marie, il est trs-ancien. È
Le 6 novembre 1821, elle trouva parmi ses reliques un petit morceau de bois qu'elle remit au Plerin en lui disant: Ç Il a t rapport, il y a longtemps, de la Terre-Sainte par un ermite. J'ai vu qu'il vient d'un arbre qui avait t dans le jardin d'un Essnien. Jsus a t port au-dessus de cet arbre par le tentateur la fin de son jeune de quarante jours. È Puis elle tendit un petit paquet au Plerin et lui dit : Ç Voici de la terre du mont Sina. Je vois en outre la montagne. È Elle prit ensuite un ossement et dit : Ç Il vient d'un saint du mois de juillet. Son nom commence par un E. Je l'ai vu en prison avec deux autres que la faim rduisait sucer des os de morts. Comme on le conduisait au martyre, il parla de Dieu en termes admirables qui le firent prendre pour un fou et on voulait le mettre en libert. Mais un soldat dit : Ç Voyons s'il pourra faire venir son Dieu du ciel, car il est aussi bon supplicier que les autres. È Le soldat fut frapp de la foudre. Je vis ce saint clbrer encore l'office divin dans une glise, puis souffrir le martyre. È
Histoire dune croix contenant des reliques.
Le 8 novembre 1819, le Plerin apporta dans sa poche une ancienne croix contenant des reliques qu'Anne Catherine n'avait jamais vue. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle s'cria : Ç Voil toute une procession qui vient ! È et elle tendit la main vert la Croix qui se trouvait encore dans la poche du Plerin. Elle la prit et l'ayant ouverte, elle dit : Ç Ils sont tous l ! et parmi eux un vieillard sincre et droit comme l'ermite suisse. È Le Plerin lui laissa la croix et voici ce qu'elle lui raconta le jour suivant. Ç Lorsque cette croix fut prs de moi, je vis dans l'ordre o sont places leurs reliques, les saints apparatre en l'air, rangs en forme de croix et, au-dessous d'eux, une contre sauvage couverte de bois, un massif de broussailles trs-pais et des personnes prs desquelles tait un homme semblable au vieil ermite suisse. J'eus ensuite une vision touchant la croix. Je vis au fond d'une valle boise, dans une contre montagneuse peu loigne de la mer, un ermitage o six recluses vivaient, en commun. Je vis toute leur manire de vivre. Elles taient toutes d'ge pouvoir encore s'aider. Elles vivaient dans la retraite et le silence et dans une extrme pauvret; elles n'avaient jamais de provisions et recevaient quelques aumnes. Elles avaient une suprieure et rcitaient les heures canoniales. Elles portaient une robe brune d'toffe grossire avec un capuchon-: Je les vis aller et venir dans les jardinets qui taient en avant des cellules dont chacune avait une porte particulire pour y entrer. Ces jardins taient trs-bien arrangs, mais petits. Il s'y trouvait des arbres chargs d'oranges. Elles cultivaient tout cela elles-mmes. Je les vis aussi occupes un travail qui m'tait inconnu. Elles avaient une machine ressemblant un mtier de tisserand o taient tendus des cordons dont elles tissaient des tapis de diverses couleurs, grossiers, mais pourtant trs-soigns. Je les vis aussi faire de jolis ouvrages en belle paille blanche qu'elles tressaient. Elles couchaient par terre; leurs lits se composaient d'une planche, d'un mchant traversin et d'une paire de couvertures. Leur cuisine se rduisait peu de chose. Elles mangeaient ensemble sur une table paisse dans laquelle taient creuss des trous qui leur servaient d'assiettes. A droite et gauche de cette table retombaient des planches mobiles qu'on relevait et on recouvrait ainsi les cavits servant d'assiettes. Je vis ces femmes manger ensemble un hachis d'herbes de couleur brune. Leur chapelle se distinguait galement par la plus grande simplicit. Ce qui s'y trouvait d'lgant tait en paille tresse. Je me disais alors : Ç Il y a l des prires d'or et des ornements de paille, mais aujourd'hui la prire est de paille et les ornements sont dors. È L'autel de pierre tait recouvert d'une belle natte de paille qui tait dentele droite et gauche et qui retombait. Il y avait au milieu un petit tabernacle et sur celui-ci la croix que possde le Plerin. A droite et gauche, taient deux chandeliers de bois et deux vases de bois avec des bouquets de fleurs en forme d'ostensoir trs-symtriquement arrangs. La maison conventuelle tait un btiment de pierre carr avec un toit en charpente. Les chambres taient spares par un clayonnage de copeaux de bois trs-minces, larges comme la main. Ces cloisons taient de diffrentes hauteurs : dans la chapelle elles s'levaient plus qu' hauteur d'homme, sans pourtant atteindre le toit de la maison; entre les cellules elles taient plus basses. Les recluses pouvaient voir par-dessus. Elles taient soutenues par des btons fixs dans les murs. L'entre du ct de la mer conduisait dans la cuisine, ensuite venait le rfectoire avec la singulire table o l'on mangeait ; derrire le rfectoire tait la chapelle. A droite et gauche, de chaque ct, taient trois cellules et devant celles-ci les petits jardins. Les portes qui conduisaient des cellules ces jardins taient en forme d'arcades, basses et troite, et les fentres taient au-dessus de ces portes, de sorte qu'on ne pouvait pas regarder dehors. Au-devant se trouvaient des nattes de paille qu'on pouvait relever sur des perches pour s'abriter. Les siges en paille tresse taient sans dossier, il y avait seulement une poigne en bois. Le sol de la chapelle tait couvert d'un tapis grossier et bariol comme elles savaient les faire. Elles n'avaient pas la messe tous les dimanches : un ermite venait de temps en temps la leur dire et leur donner la sainte communion : elles avaient du reste le Saint-Sacrement dans leur petite glise. È
Ç Je les vis le soir, pendant qu'elles faisaient la prire dans leur chapelle, assaillies par des pirates. Ils portaient une pe courte, large par le bas, taient coiffs d'un bourrelet et parlaient une langue trangre. Ils enlevaient toute sorte de personnes pour en faire des esclaves. Ils taient brutaux et farouches, presque comme des btes fauves. Leur vaisseau tait grand et resta quelque distance du bord; ils vinrent terre dans un canot. Ils dvastrent l'ermitage et emmenrent les recluses avec eux, cependant je ne les vis rien faire de contraire la dcence. Une des vierges, encore jeune et robuste, prit sur l'autel la croix garnie de reliques pour s'en faire une protection et implora avec ferveur le secours de Dieu. Avant d'arriver la mer, les pirates se querellrent propos de leur butin; pendant ce temps la jeune fille se trana dans le fourr sur les pieds et sur les mains et promit Dieu de se consacrer son service dans la solitude, s'il daignait la dlivrer. Les pirates la cherchrent longtemps sans succs et, au point du jour, elle les vit se rembarquer. Alors elle remercia Dieu, agenouille devant la croix. La solitude o elle se retira tait couverte d'une paisse vgtation, loin de tout chemin fray, et situe au fond d'une gorge entre des montagnes couvertes de neige. Personne n'y venait, pas mme les chasseurs. Elle chercha longtemps un lieu convenable qu'elle trouva enfin trs-avant dans la fort. C'tait une petite clairire entoure d'arbres et de buissons d'pines et assez spacieuse pour qu'une maisonnette y trouvt place: Au-dessus s'levaient des arbres qui la cachaient presque entirement et dont les racines traversaient la partie unie du sol. Elle rsolut de servir Dieu en cet endroit, spare des hommes, dnue de toute assistance humaine et de tous secours spirituels. Elle avait seulement la croix qu'elle plaa sur un autel construit par elle avec des pierres et derrire lequel elle disposa une place o elle pt prendre son repos. Elle n'avait pas de feu : le feu brillait dans son coeur. Elle passa environ trente ans sans voir un morceau de pain. È
Ç Je vis dans ce pays, tout au haut des montagnes, des animaux semblables des chvres sauter au milieu des rochers: je vis aussi autour de la demeure de la recluse des livres blancs et des oiseaux blancs de la grosseur d'un poulet. Je vis, arriver dans le voisinage un chasseur avec des chiens. Il tait au service d'un seigneur qui avait un chteau situ sur le penchant d'une montagne, quelques lieues de l. Je vis plus tard ce chteau dtruit; il n'en reste plus qu'un fragment de tour couvert de vgtation. Le chasseur avait une tunique grise ferme, et autour du corps une ceinture brode large comme la main, un petit chapeau rond, un pieu et sous le bras une arbalte. Les chiens se prcipitrent dans le fourr en aboyant, le chasseur s'approcha et vit briller quelque chose : c'tait cette croix. Ayant pntr jusqu' elle, il se mit appeler. La solitaire s'tait cache et ne voulait d'abord donner aucun signe de sa prsence. Cependant elle finit par lui dire de ne pas s'effrayer de ce qu'elle n'avait plus l'apparence d'un tre humain; alors il la regarda et moi aussi. Je la vis entoure d'une lumire clatante. Elle tait grande, avait une ceinture autour du corps; de longs cheveux gris pendaient sur sa poitrine et sur ses paules. Ses pieds taient durcis, ses bras tout brunis, elle marchait courbe par les annes. Avec cet extrieur trange, elle avait en elle quelque chose de trs-noble et de trs-imposant. Au commencement, elle ne voulait pas dire qui elle tait, mais ayant reconnu dans le chasseur un homme pieux, elle lui dit : Ç Je vois que tu es un serviteur de Dieu, È et lui raconta comment elle tait venue l. Elle refusa de s'en aller avec lui, elle voulut rester et le pria de revenir dans un an avec un prtre qui lui porterait le saint Sacrement. Au bout de l'anne, je vis le chasseur revenir avec un ermite qui tait prtre et je la vis recevoir la sainte communion. Elle demanda alors rester seule quelque temps et quand ils revinrent vers elle, elle tait morte. Ils voulurent emporter le corps, mais ne purent pas en venir bout. Il n'y eut pas moyen de le remuer. Ils l'enterrrent l, et le chasseur prit la croix comme souvenir. Plus tard, on leva sur son tombeau une chapelle en lÕhonneur d'une sainte qu'elle honorait particulirement et qu'elle avait nomme. Des portes conduisaient dans la chapelle de tous les cts. È
Ç Cette vierge avait vcu tout en Dieu, dans une extrme pauvret. Avant l'invasion des pirates, elle avait eu en songe une vision d'aprs laquelle elle devait tre trane de force dans l'eau. Dans cette vision, elle avait fait voeu Notre- Dame-des-Ermites de jener dans la solitude, si elle tait sauve de ce danger. Elle se trouva alors dans un canal ou une rigole et s'y trana longtemps jusqu' ce qu'elle arrivt dans la solitude o elle vcut rellement plus tard. Il lui fut dit qu'elle devait rester l. Lorsqu'elle demanda de quoi elle vivrait, elle reut pour rponse qu'il tomberait des arbres beaucoup de figues et de chtaignes qui, recueillies par elle, deviendraient des pierres prcieuses signifiant les fruits de sa pnitence et de sa mortification. Je vis aussi ce songe prophtique lorsqu'elle le raconta au chasseur. Elle tait originaire de la Suisse. Lorsque le chasseur la trouva dans le dsert, elle y tait depuis trente ans. Elle lui dit qu'elle tait ne en Suisse, qu'il n'avait qu' prendre des informations pour s'en assurer. Elle lui nomma l'endroit et lui dit qu'elle avait toujours eu une grande confiance en Notre-Dame-des-Ermites. Ds sa jeunesse, elle n'avait cess d'entendre une voix lui disant qu'elle devait quitter sa patrie et servir Dieu dans la solitude Elle n'en avait jamais tenu compte : mais, un jour, il arriva qu'un jeune homme vint elle et lui dit : Ç Quoi ! tu es encore ici ? Tu n'es pas encore partie? È Puis il l'avait emmene. Elle avait cru faire un rve, mais, son rveil, elle s'tait trouve loin de chez elle dans un autre pays, et tait entre dans le couvent des recluses, o elle avait t bien accueillie.È
Ç Le chasseur eut longtemps de la dvotion envers la croix : il finit pourtant par la donner, sans motifs srieux, un bourgeois de la petite ville situe contre la montagne : celui-ci y attachait beaucoup de prix et priait toujours devant elle; aussi fut-il prserv ainsi que sa maison lors d'une grande tempte qui dvasta toute la ville. Aprs sa mort, elle alla a ses hritiers et passa de main en main. En dernier lieu, elle tait chue un paysan qui la vendit avec d'autres objets mobiliers et qui, aprs cela, perdit sa maison et son bien. Je vis alors la prcieuse croix mise au rebut et gare au milieu d'objets de toute espce chez des gens qui n'avaient pas la crainte de Dieu. C'est ceux-ci que l'acheta un tranger qui n'avait plus aucun principe fixe. Il ne l'acheta pas par pit, mais par pure curiosit : il ne connaissait pas le trsor qu'il possdait et pourtant cette croix lui fut trs-utile. È
A ce propos le Plerin fait la remarque suivante : Ç Ce dernier incident se rapporte au Plerin lui-mme qui a achet la croix Landshut, chez un fripier, alors qu'il vivait dans un dplorable aveuglement. La malade n'en pouvait rien savoir et par consquent toute l'histoire de la croix peut tre considre comme aussi vritable que cette dernire circonstance. È Puis, frapp de cette connaissance si exacte des choses, il dit Anne Catherine : Ç Comme toutes choses, mme les moindres, sont merveilleusement conserves dans les trsors de Dieu ! Donc rien n'est perdu, rien n'est ananti, rien n'arrive en vain ! Tout est ternel dans la science de Dieu ! -Maintenant je sens pourquoi Dieu doit punir toute parole oiseuse. Je suis contrist en pensant tout le mal que j'ai fait et je voudrais savoir si ce mal aussi subsiste ternellement. Les pchs d'un homme sont-ils encore visibles quand il s'en est repenti et en a fait pnitence? È Elle rpondit: Ç Non, Jsus-Christ a satisfait pour eux, ils n'existent plus. Je ne puis pas les voir moins qu'ils ne soient destins servir d'exemple comme le pch de David. Quant aux pchs qui n'ont pas t expis, ceux que l'homme porte partout avec lui et tient renferms en lui, je les vois toujours. Ceux dont on a fait pnitence sont comme la trace d'un pied dans le sable qu'efface le pas suivant, celui du repentir. La confession du pch, accompagne de repentir fait disparatre le pch. È
Un enfant martyr de Sachsenhausen.
Le Plerin lui prsenta une relique que dj auparavant elle avait dit tre celle d'un ermite. Elle la garda prs d'elle et raconta quelques jours plus tard une vision que cette relique lui avait occasionne touchant un enfant apparent au vieil ermite et qui avait t martyris par les Juifs. Ç Un enfant d'environ quatre ans m'est apparu avec lÕaurole rouge des martyrs. Il y avait dans toute sa personne quelque chose d'extraordinairement aimable. Ses paroles taient trs-concises, mais pleines d'un sens profond. Je fis avec lui une longue route et j'prouvais une singulire impression en voyant ce petit garon si brillant de lumire, si grave et si sage. Nous traversmes une ville et j'eus promptement le sentiment intrieur de l'tat o elle se trouvait. Je sentis que les mes pieuses y taient en petit nombre. L'enfant me fit passer un pont et me montra la maison o il tait n. C'tait une vieille maison bourgeoise de moyenne grandeur, reste telle qu'elle tait autrefois. Tout y tait tranquille, mais notre approche les possesseurs actuels pensrent au petit garon et un faible souvenir de son histoire se rveilla en eux. Je fus alors instruite que le souvenir soudain des morts est souvent l'effet de leur approche. Le petit garon me fit voir que, de mme qu'il existe toujours un rapport entre l'me et le corps, jusqu' leur runion la rsurrection gnrale, de mme l'action d'une me sainte ne cesse jamais de s'exercer sur tout ce qui lui tient par les liens du sang : un saint continue donc agir sur sa famille qui ne cesse pas d'tre assiste par lui dans la mesure o la foi et la crainte de Dieu l'en rendent capable. Il me dit aussi comment il avait exerc une influence salutaire sur ses proches et comment il avait atteint par le martyre mme la perfection laquelle il serait arriv si sa vie n'avait pas t abrge par la mchancet des hommes. Il pouvait, du reste, par des voies toutes spirituelles, faire profiter les siens des fruits de l'action qu'il aurait exerce, s'il tait rest en vie et n'et pas t enlev dans sa quatrime anne.. Quoique tout ce qui arrive de mal, ajoutait-il, n'arrive pas par la volont de Dieu, mais seulement par sa permission, cependant l'accomplissement du bien interrompu dans l'un par le pch de l'autre n'est pas supprim, mais se produit autrement. Le crime dans ses suites essentielles atteint seulement son auteur; quant l'innocent qui en est victime, le martyre l'amne plus promptement sa perfection. Bien que le pch contre autrui soit un acte contraire la volont de Dieu, cependant cette volont de Dieu n'est jamais empche par l d'atteindre son but final, parce que, tout ce que la victime aurait fait pendant sa vie, son me l'accomplit d'une manire spirituelle et pourtant librement.È Je vis alors lÕhistoire de l'enfant martyris. Ses parents vivaient, il y a environ trois cents ans, Sachsenhausen, prs de Francfort; c'taient des gens trs-pieux. Ils avaient un proche parent qui menait en Egypte la vie d'anachorte et auquel ils pensaient trs souvent avec beaucoup d'affection et de respect. Souvent ils disaient, en regardant leur enfant, qu'ils se trouveraient heureux si lui aussi en venait un jour mener une vie sainte, consacre servir Dieu dans la solitude. Des parents qui forment un pareil voeu pour leur unique enfant, encore dans sa premire anne, ne peuvent tre que des gens d'une grande pit. È
Ç Ce dsir se renouvelait trs-frquemment chez eux. Lorsque l'enfant eut un an, l'un de ses parents mourut, l'autre se remaria et continua, dans sa nouvelle famille, parler de l'ermite et de la possibilit que l'enfant marcht sur ses traces. L'enfant en tait souvent entretenu, mesure qu'il grandissait. Cependant celui de ses parents qui survivait vint mourir en sorte qu'il n'eut plus de vrais pre et mre. Mais on continuait parler de l'ermite dans la famille et l'enfant, g alors de quatre ans, dsirait ardemment le voir. Il me dit aussi qu'il serait devenu trs bon, s'il tait rest en vie, que peut-tre il et t ermite, qu'il avait t un trs-bel enfant, mais pas beaucoup prs aussi beau que je le voyais maintenant. Les beaux parents qui voyaient en lui l'hritier de la maison se seraient volontiers dbarrasss de lui et ce dsir secret se rattacha dans leur esprit ce qui tait dit touchant l'ermite. L'enfant n'avait pas encore tout fait quatre ans lorsqu'ils le confirent des Juifs trangers pour que ceux-ci le conduisissent en Egypte prs de son parent. Au fond ils voulaient se dfaire de lui et tout ce qui avait t dit n'tait qu'un moyen de colorer leur trahison envers l'enfant. Quoique tout cela et abouti conduire l'enfant au martyre, il ne cessait pourtant jamais de donner des marques de son affection sa famille et sa patrie. Il me montra une grande maison qui n'tait pas tout fait la nouvelle mode et dans laquelle on tait en fte : je crus que c'taient des noces, mais l'enfant me dit que c'tait chose frquente en cet endroit. Je vis une quantit de chambres claires avec des lustres et beaucoup de gens en grande toilette occups danser et faire bonne chre... Ç Ils font cela, dit l'enfant, sur les ossements d'un anctre qui, par sa pit, a pos le fondement de leur aisance. È Il me conduisit alors dans un caveau mur o se trouvait un squelette blanc, bien conserv et couch dans un double cercueil. Le cercueil intrieur tait de plomb : celui de dessus me parut tre d'un bois de couleur fonce. Le jeune garon me dit que c'tait l'anctre de cette maison et qu'il tait de sa parent : 'avait t un homme pieux ; il avait acquis de grandes richesses et pourtant il tait rest pieux. Lorsque l'glise dans laquelle il avait t enterr fut dmolie, ses enfants avaient fait placer son corps dans le caveau que je voyais. Mais maintenant il tait compltement oubli. Je parcourus toutes les pices de la maison. - Dans la ville, je vis encore une trs-grande quantit d'ossements de saints et de bienheureux reposer sous des glises et des couvents dmolis, sur les ruines desquels des maisons avaient t bties. Le petit garon me dit, entre autres choses, que cette ville devait un jour beaucoup dchoir, qu'elle tait maintenant arrive au comble de l'orgueil. Je fis ensuite un grand voyage au del de la mer dans un pays chaud et sablonneux. Le petit garon m'avait quitt. Je me trouvai de nouveau avec lui dans une ville en ruines o les maisons semblaient tomber les unes sur les autres et je vis dans un caveau, sous une colline, le lieu de son martyre et le martyr lui-mme.
Cet endroit tait comme une boucherie ou un abattoir. Aux parois taient attachs des crochets de fer auxquels l'enfant avait t suspendu comme en croix et o on avait fait couler son sang peu peu. Sur le sol gisaient encore beaucoup d'ossements lumineux d'enfants martyriss antrieurement : ces ossements brillaient comme des tincelles. Personne ne semblait connatre cet endroit. Le martyre de cet enfant ne fut pas non plus connu, ni puni selon les lois humaines. Il semblait qu'il n'y avait pas l de chrtiens, si ce n'est quelques ermites qui venaient du dsert la ville. Aprs cela j'allai dans le dsert lui-mme et je vis le jeune martyr prs du tombeau de l'ermite, lequel tait enterr l'endroit o il avait vcu. Il tait mort avant que le petit garon et t emmen de Francfort. Ses ossements brillaient. Plusieurs autres taient enterrs dans le dsert. Il y avait dans le sable blanc des fragments de couleur noire ressemblant des morceaux de poteries. On voyait l des palmiers. L'enfant me quitta de nouveau et je fus conduite au del de la mer dans un autre endroit. C'tait une colline voisine de la ville o sont les lieux consacrs par tant de martyres (Rome). Sur un ct de la colline, il y avait des maisons, et des vignes croissaient et l. Au-dessous tait un grand caveau support par des colonnes ; l'entre tait obstrue, personne n'en avait plus connaissance. Lorsque j'y entrai, l'enfant martyr se trouva de nouveau prs de moi. Je vis l un riche trsor de saints ossements, tout le caveau brillait. Il y avait des corps entiers dans des cercueils placs contre les parois et des ossements spars dans de petits cercueils trs-nombreux. Je dblayai, je travaillai de ct et d'autre et j'ouvris les cercueils. Je vis l un corps dont le linceul tait bien conserv aux endroits o il touchait le corps, tandis que le reste tait tomb en poussire. J'en vis qui taient compltement desschs et blancs comme de la neige. Je vis aussi plusieurs scnes de la vie de ces saints qui taient pour la plupart des premiers temps. Je vis l des personnes qui avaient t martyrises pour avoir port des offrandes des prtres chrtiens. Je les vis marcher avec de petits oiseaux sous le bras et elles semblaient avoir t dnonces par des parents paens. J'en vis aussi beaucoup qui avaient embrass la vie religieuse en faisant voeu de chastet, et des poux qui, par amour pour Jsus, avaient vcu dans la continence. Je me dirigeai travers toutes ces reliques vers un coffre carr, peu profond et parois minces. Je me sentais attire vers lui : je croyais qu'il m'appartenait, car l taient tous mes saints, ceux dont je possde ici des ossements. Je voulais l'emporter, mais le petit garon me dit que cela ne se pouvait pas, qu'il devait rester o il tait. Les reliques qui s'y trouvaient taient toutes trs-lgamment disposes sur de petits coussins. Ne pouvant le prendre avec moi, je le couvris d'un voile bleu. Le petit garon me dit que ces ossements avaient t cachs l dans les premiers sicles, qu'ils devaient y rester, mais qu'ils reparatraient au jour. È
Reconnaissance des reliques des glises de Munster envoyes par Overberg.
Overberg, diverses reprises, avait envoy Dulmen des petits paquets de reliques, tantt enchsses et dsignes par leurs noms, tantt sans dsignation et dpouilles de leur enveloppe. Anne Catherine eut d'abord ce sujet une vision gnrale; ce ne fut que plus tard qu'elle distingua les ossements en dtail suivant les indications de son guide anglique : et l'occasion des ftes de l'Eglise qui s'y rapportaient.
Ç Lorsque je reus les reliques d'Overberg, dit-elle, j'eus une vision qui me montra comment ces saints objets avaient t ports trs-solennellement de Rome Munster, la plupart du temps par les premiers vques, et avec quel respect ils avaient t accueillis et distribus. Je vis de pieuses femmes se rassembler pour les envelopper et les parer : il fallait, pour tre admises remplir cet office, qu'elles vcussent trs-purement et trs-saintement. Il y avait prs d'elles des prtres qui divisaient les reliques. Elles furent colles, entoures de broderies et de fleurs et disposes en pyramides. La premire fois qu'elles furent exposes la vnration publique, il y eut une grande fte cette occasion et toute la ville fut dans la joie. Je vis que beaucoup d'ossements sacrs furent placs dans les autels de l'glise d'Uberwasser. Je vis plus tard, dans le chapitre de la cathdrale, quelques pieux chanoines, lorsqu'ils entendaient parler d'un saint ou d'un bienheureux, faire tous leurs efforts pour avoir une relique de lui, et l'honorer ensuite comme quelque chose de trs-prcieux. Mais je vis que, lors des travaux ultrieurs qu'on fit l'glise et aux autels, des reliques de diverses poques furent entasses les unes sur les autres. On trouva aussi plusieurs corps saints dont des membres furent mis parmi d'autres reliques. C'est ainsi qu'on dcouvrit le corps d'une vierge dont j'ai un petit ossement. Je vis les grandes bndictions qui taient venues par les reliques se retirer proportion du mpris qu'on en fit. Je vis que ce ne fut pas sans un dessein d'en haut que les reliques arrivrent entre les mains d'Overberg qui, sans les connatre, les plaa pourtant convenablement. È- Ç Combien sont merveilleuses les voies de Dieu, ajoute ici le Plerin. Il fallait que ces reliques fussent disperses pour tre mises plus tard sous des yeux si clairvoyants, si miraculeusement prpars les vnrer. È
Avant pris un jour dans ses bras la cassette o elle conservait ces reliques et qu'elle appelait son glise, l'aptre saint Thomas lui apparut et elle eut une vision tendue touchant ses voyages et ses travaux apostoliques dans l'Inde. Ç Il allait, dit-elle, d'un roi l'autre et il opra beaucoup de miracles : il fit plusieurs prophties avant sa mort. Je vis notamment comment il rigea une pierre loin de la mer, la marqua et dit que, quand la mer arriverait jusque-l, un autre viendrait propager dans le pays la doctrine de Jsus. Je vis qu'il dsignait par l saint Franois-Xavier. Je le vis perc de coups de lance, puis mis au tombeau et je vis aussi son corps exhum et honor. Je crois que, parmi ces reliques, il y a aussi des ossements de saint Matthias et de saint Barsabas, car j'ai eu une courte vision de l'lection qui appela l'un d'eux l'apostolat. Matthias, quoique plus dlicat et plus faible, avait plus de force dÕme et c'est pour cela qu'il fut prfr par Dieu Barsabas qui tait jeune et robuste: Je vis beaucoup de choses concernant celui-ci. Je vis aussi une vision touchant Simon, un parent de Jsus qui fut vque de Jrusalem aprs saint Jacques et qui y souffrit le martyre, tant g de plus de cent ans.
Il doit aussi y avoir de ses ossements parmi ces reliques. È Le jour suivant la relique de saint Thomas lui fut montre en vision. Elle la dsigna et l'enveloppa dans du papier. Ç J'eus cette occasion, dit-elle, une nouvelle vision sur les voyages de cet aptre, je les voyais comme sur une carte de gographie. Les ossements des saints Simon et Jude Thadde me furent aussi montrs. Je vis en outre toute la famille de sainte Anne, et comme quoi sainte Anne eut trois maris. Joachim mourut avant la naissance du Christ ; aprs lui Anne eut deux autres maris dont elle eut deux filles. Ces mariages m'tonnrent beaucoup, mais il me fut dit pourquoi elle devait agir ainsi. Je pensai alors Anne la prophtesse et je vis celle-ci, ainsi que tous les logements des veuves et des vierges dans le temple. Simon et Jude Thadde sont frres. La premire fille de sainte Anne fut Marie, femme d'Alphe. Celle-ci, lors de la naissance de la trs-sainte Vierge, avait dj une fille assez grande, Marie, femme de Clophas dont elle eut quatre enfants, Jacques le Mineur, Simon, Jude Thadde et Jos Barsabas. J'ai des ossements des trois derniers. Auprs de la relique de Jude Thadde comme auprs de celles de ses frres, j'ai senti qu'il est uni Jsus par les liens du sang. J'ai eu aussi une vision sur le voyage qu'il fit Edesse pour voir Abgare. Il tenait la main un crit que Thomas lui avait donn. Lorsqu'il entra, je vis ct de lui apparatre le Sauveur brillant de lumire. Le roi malade s'inclina devant l'apparition et ne regarda pas l'aptre. Celui-ci lui imposa la main et le gurit. Ensuite il prcha dans cette ville et convertit tout le peuple. È
Ç J'ai eu de nouveau des visions concernant divers saints. Je vis le martyre d'un saint Evodius qui souffrit en Sicile avec son frre Hermogne et une soeur. Je vis aussi beaucoup de choses concernant une sainte religieuse habille de blanc, Catherine de Parcum, Cistercienne. Je la vis, ne dans le judasme, lire sur des cornets de papier toute sorte de choses concernant Jsus et en tre fort touche. Je vis que des enfants chrtiens lui parlaient de l'enfant Jsus, de Marie et de la crche, qu'elle fut conduite par eux la crche et que cela tourna encore davantage son coeur vers Jsus. Je vis qu'on l'instruisit en secret et qu' la suite d'une apparition de Marie, elle se rfugia dans un couvent. Je vis encore beaucoup de choses touchantes sur elle, notamment. son dsir d'tre- mprise. È L'ossement de cette sainte tait solidement cousu dans du velours noir : lorsqu'Anne Catherine, tant l'tat contemplatif, voulut le dsigner par son nom et l'envelopper dans du papier, il lui fut dit intrieurement qu'il se trouvait l encore un petit morceau d'toffe ayant touch la crche du Sauveur, quelques clats de bois de cette mme crche et une tiquette o cela tait marqu. -C'tait la relique que cette sainte religieuse avait particulirement honore. Jeune fille juive, elle avait t pousse se faire chrtienne par une image de la crche ; elle avait vu en vision le Sauveur couch dans la crche et souvent elle avait eu le bonheur de tenir l'enfant Jsus dans ses bras. Anne Catherine raconta cela au Plerin qui ouvrit l'enveloppe fortement cousue de la relique, et trouva dans un morceau d'toffe provenant d'un voile brun les petits clats de bois avec l'inscription : de proesepio Christi. Il en fut agrablement surpris, et, trouvant la malade retombe en extase, il lui prsenta dans un petit papier les parcelles de la crche. Elle les prit en souriant et dit : Ç Ceci vient de la crche du Seigneur, la religieuse l'a vnr. È Saisi d'motion, il voulut lui baiser la main, mais elle la retira et dit: Ç Baise l'ossement de sainte Claire, o il n'y a plus rien de terrestre, ceci est encore mlang de terre. È Le Plerin se sentit encore plus mu par ces paroles imprvues, car il portait dans sa poche une relique qu'il ne voulait montrer que plus tard la malade. Il l'en retira alors et la lui donna. Elle la baisa et dit : Ç Sainte Claire est prs de moi. È Elle dit plus tard, revenue elle : Ç J'ai eu une petite vision touchant sainte Claire; la guerre tait partout autour de son couvent. Quoiqu'elle ft trs-malade, elle se fit porter la porte du couvent; elle y fit porter aussi le saint Sacrement qui tait dans un ciboire d'argent recouvert d'ivoire. Elle s'agenouilla l avec toutes les religieuses, invoqua le secours de Dieu et entendit une voix intrieure qui lui dit de se rassurer. Je vis alors les ennemis s'loigner de la ville. È
Un jour le Plerin porta prs d'elle, sans qu'elle en sut rien, une relique tire de la cassette et, comme il approchait de son lit, elle s'cria pleine de joie: Ç Sainte Afre, nous avons donc sainte Afre ! Je la vois attache un poteau par les mains et les pieds. Oh ! comme les flammes l'enveloppent ! Elle tourne la tte droite pour regarder. È
Et en disant ces mots, elle saisit la relique, la vnra, et la baisa comme tant un ossement de sainte Afre.
Le mme jour, au commencement de la soire, le Plerin ayant ouvert un petit paquet o taient inscrits ces mots : Ç Du vtement d'un saint, È il s'y trouva aussi un ossement et une petite inscription. Il ne pouvait pas s'imaginer, vu l'obscurit et la petitesse des objets, qu'Anne Catherine et remarqu l'ouverture du paquet; mais elle lui cria tout coup : Ç Ne perdez pas l'inscription ! elle dit vrai ! elle luit ! È Le Plerin lui prsenta alors le fragment d'ossement et elle tomba subitement en contemplation. Revenue elle, elle dit : Ç J'ai voyag bien loin, j'ai t Bethanie, Jrusalem et en France. C'est un ossement de sainte Marthe, l'habit est de sainte Madeleine, il est bleu avec des fleurs jaunes et ml de vert. C'est un reste du temps de ses vanits mondaines. Elle le portait encore sous un manteau de deuil lors de la rsurrection de Lazare Bthanie. Tous ces habits restrent dans la maison de Lazare, lorsque ses soeurs et lui partirent pour la France. De pieux amis en ont pris quelque chose comme souvenir. Des gens qui taient alls en plerinage leur tombeau en France ont envelopp dedans la relique, et ils croyaient que l'un et l'autre taient de Madeleine, mais le morceau de vtement seul vient d'elle, l'ossement est de Marthe. È Lorsque le Plerin examina l'inscription, il y lut en effet : sancta Maria Magdalena.
Elle reconnut parmi les reliques envoyes par Overberg lÕossement du pape Sixte, huitime successeur de saint Pierre et un autre de son troisime successeur. Elle se rjouissait d'avoir pu dsigner les chiffres; mais, ds le jour avant, elle raconta : Ç Lorsque j'ai revu les saints auxquels appartiennent les ossements, il mÕa t dit: Ç Ce n'est pas le troisime, mais le treizime pape aprs saint Pierre; son nom signifie Sauveur.È - Ç On ne saurait trop admirer, ajoute le Plerin dans ses notes, combien la direction laquelle elle obit est conforme la vrit. Le treizime pape aprs saint Pierre s'appelait Soter, mot grec qui veut dire Sauveur. È
Le confesseur lui prsenta un petit paquet sur lequel on lisait : Ç Saint Clment, È et lui demanda si elle reconnaissait la relique comme tant de ce pape. Elle la prit prs d'elle et, le jour suivant, elle dclara qu'elle n'tait pas de saint Clment, mais de sainte Marcelle, veuve. Le confesseur ne se tenant pas pour satisfait et demandant des explications plus prcises, elle garda la relique et dit au bout de quelques jours : Ç J'ai vu de nouveau la vie de sainte Marcelle. Je la vis, tant veuve, vivre trs-retire dans une grande maison la mode romaine comme tait celle de sainte Ccile. Il y avait des cours et des jardins avec une fontaine jaillissante. Je vis souvent saint Jrme chez elle, ils ouvraient ensemble des rouleaux d'critures. Je la vis donner tout ce qu'elle avait aux pauvres et aux prisonniers; je la vis sortir la nuit et visiter les prisons dont les portes s'ouvraient devant elle. Je vis aussi qu'aprs une lecture de la vie de saint Antoine, elle prit le voile avec un vtement tout fait monastique et amena plusieurs vierges faire comme elle. Je vis que des trangers vinrent Rome qu'ils pillrent, entrrent dans la maison de Marcelle et voulurent lui extorquer de l'argent force de coups, quoiqu'elle et donn aux pauvres tout ce qu'elle possdait. C'est tout ce que je me rappelle. Lorsque je vis cette sainte pour la premire fois, elle me consola propos de mes visions tires de l'Ecriture Sainte, et me dit pour mon confesseur quelque chose que j'ai tout fait oubli. È
Elle reconnut une relique comme tant du pape saint Marcel et raconta ce qui suit : Ç J'ai eu une vision touchant ce saint : j'ai vu comment, en compagnie de plusieurs autres, il recherchait les corps des saints disperss et l, leur donnait une spulture plus dcente et y inscrivait leurs noms. Je l'ai vu souvent la nuit aller de ct et d'autre avec beaucoup d'ossements sous son manteau. Il porta aussi beaucoup de corps saints dans les catacombes et plaa auprs des rouleaux d'critures avec des indications ; il y l notamment des rcits de martyres. Je crois que dans le grand souterrain o j'ai vu tant de rouleaux d'critures conservs, il se trouve beaucoup de choses qu'il y a portes. J'ai vu de nouveau, cette occasion, que nous avons des reliques trs prcieuses, car il y en a beaucoup qui proviennent de corps qu'il avait accompagns d'indications semblables. J'ai vu la sainte veuve Lucine qui le priait d'enterrer deux martyrs morts de faim en prison, il y avait dj longtemps. Ils firent cela pendant la nuit et portrent le corps d'un homme et d'une femme l'endroit o tait le tombeau de saint Laurent. Lorsqu'ils voulurent mettre les deux corps prs de lui, les os de saint Laurent se reculrent comme s'ils ne voulaient pas avoir les autres dans leur voisinage, ce qui fit qu'on enterra ceux-ci ailleurs. Je vis aussi Marcel conduit devant l'empereur et, comme il refusait de sacrifier aux idoles, fouett jusqu'au sang et conduit dans une grande table pour y servir de valet. L'table tait ronde et btie autour d'une cour : il n'y avait pas seulement des btes de somme, mais aussi des loges pour les btes froces auxquelles on livrait les martyrs. Il devait aussi donner leur nourriture celles-ci et elles taient trs-douces envers lui. L aussi il assistait ses frres en secret et, grce Lucine qui donnait de l'argent ses geliers, il sortait souvent la nuit sa prison pour enterrer les morts et encourager les fidles. Je vis que d'autres prtres lui portaient le saint Sacrement qu'ensuite il l'administrait pendant la nuit: Je vis qu'il fut tir de l'table par d'autres personnes, puis pris de nouveau, et qu'il fut rendu la libert aprs avoir guri la femme d'un grand personnage. Alors il se tint dans la maison de Lucine, en fit secrtement une glise et continua pratiquer toutes ses oeuvres de misricorde: Les perscutions vinrent encore l'y chercher, la maison fut dvaste et on en fit une table o il lui fallut de nouveau servir. Comme il ne cessait pas d'y remplir en secret son office de pasteur des mes, on lui dchira tout le corps de la manire la plus horrible avec les fouets dont on se servait pour les btes de somme et il mourut couch dans un coin. Les chrtiens lui donnrent la spulture. Aprs cela, j'eus encore des visions concernant saint Ambroise, saint Liboire et le gouvernement de l'glise par saint Grgoire; je me souviens seulement qu'elles se rapportaient aux rapports de ces saints avec de pieuses femmes et que ces rapports avaient donn lieu bien des calomnies. Saint Grgoire avait rig plusieurs couvents de femmes et, les jours des anciennes ftes paennes, il faisait faire des prires et des pnitences publiques des centaines d'entre elles vtues en pnitentes, afin de donner par l l'glise une compensation pour les pchs qui se commettaient ces jours-l. Je vis qu'il fit par l un grand bien et que le nombre des ftes consacres au dmon et au pch en fut fort diminu. Je vis aussi qu'il eut beaucoup souffrir cette occasion... J'eus encore une vision sur un certain diacre Cyriaque qui eut souffrir au del de toute expression. Une fois il resta cach pendant longtemps dans les catacombes, assez prs du lieu o s'lve aujourd'hui l'glise de Saint-Pierre; il y mourut presque de faim. Plus tard il souffrit le martyre. Je me souviens que le diacre Cyriaque fut ordonn par saint Marcel, qu'il assistait, avec deux autres chrtiens, Largus et Smaragde, les fidles qu'on faisait travailler des fortifications, que lui-mme y fut forc et qu'il dlivra du dmon la fille d'un perscuteur. È
Ç Je reconnus les ossements de saint Placide et de saint Donat. Je vis Placide plein de charme dans sa personne comme saint Franois de Sales. Il fut massacr en Sicile avec ses frres. Je vis beaucoup de traits de sa vie, notamment de son enfance. Il avait deux frres et une soeur plus figs que lui et, tout enfant, il tait dj regard comme un saint. Je le vis, tant encore dans les bras de sa mre, saisir des rouleaux d'critures, poser ses petites mains sur les noms de Jsus et de Marie et tmoigner une grande joie. Je vis qu'il tait aim de tout le monde et que souvent des familles entires se rassemblaient autour de lui pendant que sa mre le tenait sur ses genoux. Je le vis, un peu plus avanc en ge, en compagnie de son pieux prcepteur, se promenant dans le jardin o il s'amusait tracer des croix et o il en tressait aussi avec des fleurs et des feuilles. Je vis aussi les oiseaux trs-familiers avec lui. Il fut conduit dans un autre endroit pour y faire ses tudes, puis au couvent de saint Benot qui avait encore peu de disciples. Je le vis plein de grce et de distinction, se dveloppant rapidement comme un enfant de haut rang. J'eus en mme temps une vision touchant un autre saint n dans une basse condition et gardant les troupeaux, lequel pourtant devint pape. Je vis quelle devait tre la destine de tous les deux. Je m'entretins avec Placide et il me promit de nouveau son assistance. Il me dit que je n'avais qu' l'invoquer pour qu'il vint mon secours.
Etant lÕtat de veille, le Plerin lui fit remarquer que la fte de sainte Thrse tait proche, et elle lui dit : Ç Nous avons une relique d'elle et une autre de sainte Catherine de Sienne. Elles sont l jointes plusieurs autres. È Alors elle nomma successivement et toujours dans le mme ordre les saints dont les ossements taient dans une croix suspendue au pied de son lit. Elle dit encore : Ç Je vois leurs noms, tantt sous leurs pieds, tantt leur cot et je vois aussi leurs attributs. Je vois Ediltrude avec une couronne qu'elle a dpose, Thrse, Radegonde, Genevive, Catherine, Phocas, Marie de Clophas. Celle-ci est plus grande que la sainte Vierge et habille de la mme manire. Elle est fille de la soeur ane de Marie. Je vois aussi Ambroise, Urbain et Silvain. È Le Plerin lui demanda alors : Ç O est Plagie? È, Elle rpondit : Ç Elle n'est plus ct de moi : elle est l È (montrant du doigt la poche du Plerin). Il avait pris cette relique sans qu'elle en st rien pour la marquer et l'envelopper, comme ayant t antrieurement reconnue. Le Plerin s'approcha d'elle, ayant une autre relique dans sa poche; mais, avant qu'il et pu la lui montrer, elle s'cria : Ç Je vois Engelbert; avons-nous des ossements de lui ? È Il lui donna alors la relique et le jour suivant elle raconta ceci: Ç J'ai reconnu la relique comme tant de saint Engelbert de Cologne et j'ai vu cette nuit beaucoup de traits de sa vie. Engelbert tait trs-puissant la cour et ml de grandes affaires de l'empire. Il menait la vrit une vie austre et irrprochable, mais non l'gal d'autres saints, cause des affaires dont il tait charg. Il avait une grande dvotion Marie. Je vis qu'il fit des travaux la cathdrale, qu'il runit dans des cercueils de prcieuses reliques qu'on ne connaissait plus et les enterra sous des autels. Cela n'tait pas convenable. Je vis aussi sa mort. Un parent qu'il avait d punir lui tendit des embches. Cet homme l'attaqua pendant un voyage et le maltraita horriblement. Je comptai sur son corps plus de soixante-dix blessures. Engelbert fut sanctifi par sa srieuse prparation la mort, car il avait fait peu auparavant sa confession gnrale avec une vive contrition; il le fut aussi par la patience indicible avec laquelle il souffrit son long gorgement, ne cessant de prier pour ses meurtriers. Je vis que la Mre de Dieu lui apparut pendant qu'on le martyrisait; le consola, l'encouragea souffrir et mourir patiemment et qu'il fut redevable de sa sainte mort l'assistance qu'elle lui donna. È
Ç J'ai reconnu aussi la relique de saint Cunibert de Cologne.. Je le vis encore enfant, prs du roi Dagobert et dormant dans la chambre de ce prince. È
Sainte Agns et sainte Emrentienne.
Ç Je vis une dlicate et charmante jeune fille au milieu de soldats qui la tranaient. Elle tait enveloppe dans une longue robe bruntre et sa tte, dont les cheveux taient relevs en tresses, tait couverte d'un voile. Les soldats la tiraient violemment en avant par les deux cts de son manteau, en sorte qu'il se dchira en deux. La foule se pressait sa suite : il s'y trouvait quelques femmes. On la conduisit travers une cour carre entoure d'une haute muraille dans une pice o il n'y avait d'autre mobilier que quelques longs coffres avec des coussins. Ils poussrent la jeune fille dedans et la tranrent de ct et d'autre, lui arrachant son manteau et aussi son voile. Elle tait entre leurs mains comme un innocent agneau plein de patience, et elle tait si lgre qu'elle ressemblait un oiseau qui plane fleur de terre. Il semblait qu'elle volt quand elle tait ainsi trane de ct et d'autre. Ils emportrent le manteau et la laissrent. - Agns se tint alors dans un coin retir de la pice, n'ayant d'autre vtement qu'une tunique blanche sans manches, ouverte sur les cts : elle priait tranquillement, le visage tourn vers le ciel et les mains leves. Les femmes qui l'avaient suivie ne furent pas admises dans la cour. Des hommes de toute espce se tenaient la porte comme si la sainte et t une proie qui leur tait livre. Je vis son vtement blanc ensanglant sur le cou par suite d'une blessure que peut-tre elle avait reue sur le chemin. È
Ç Il entra d'abord deux ou trois jeunes hommes qui se prcipitrent sur elle comme des furieux, la tranrent et l et lui arrachrent de dessus le corps son vtement ouvert. Je vis du sang son cou et sa poitrine, mais elle n'essaya pas de se dfendre, car au mme moment ses cheveux tombrent autour d'elle de manire la couvrir et je vis paratre au-dessus d'elle un jeune homme resplendissant planant en l'air qui tendit sur elle, comme un vtement, des torrents de lumire. Les sclrats furent pouvants et s'enfuirent. Alors son tmraire adorateur, se moquant de leur lchet, se prcipita son tour vers elle. Il voulut la saisir, mais elle lui prit fortement les mains et le repoussa. Il tomba par terre, mais il se releva et se prcipita furieux sur elle. La vierge le repoussa encore jusqu' la porte et alors il tomba par terre sans mouvement. Elle resta calme comme auparavant, toujours en prire, clatante de lumire et de beaut: son visage ressemblait une rose resplendissante. Au cri pouss par les autres, quelques personnages d'importance arrivrent : l'un d'eux semblait le pre du jeune homme tendu par terre. Il tait plein de colre et de rage et parlait de sorcellerie. Mais quand il lui entendit dire qu'elle prierait pour la vie de son fils, s'il le lui demandait au nom de Jsus, il se calma et la conjura de le faire. Alors elle parla au mort qui se releva et fut emmen par les autres, tout chancelant encore. Quelques autres hommes vinrent Agns, mais tous se retirrent pouvants. Au bout de quelque temps, je vis des soldats entrer de nouveau prs d'elle: ils apportaient un vtement brun ouvert sur le ct et retenu par une agrafe et un mchant voile tel qu'on le donnait ordinairement ceux qui taient destins au dernier supplice. Elle le mit, noua ses cheveux autour de sa tte et fut ainsi conduite un tribunal. C'tait un espace carr, entour d'une muraille paisse dans laquelle taient des prisons ou des chambres: on pouvait monter en haut et voir de la ce qui se passait au-dessous sur la place; il s'y trouvait en effet des spectateurs. Plusieurs personnes furent conduites devant le tribunal, venant d'une prison qui ne semblait pas trs-loigne de ce mauvais lieu o Agns avait t renferme seule. Je crois que c'taient un grand-pre, ses deux gendres et leurs enfants : ils taient attachs les uns aux autres avec des cordes. Lorsqu'ils arrivrent devant le juge qui tait assis dans la cour carre sur un sige de pierre lev, Agns, son tour, fut conduite devant lui et il lui adressa des exhortations trs-bienveillantes, aprs quoi les autres aussi furent interrogs et exhorts. Or, ils n'avaient t conduits l que pour tre interrogs et assister au supplice. Les femmes de ces hommes taient encore paennes. Plusieurs autres ayant paru successivement devant le juge, Agns fut de nouveau prsente devant lui et de cette manire son tour vint trois fois. On lui fit, aprs cela, monter trois degrs jusqu' un poteau et on voulut la lier : mais elle s'y refusa. Autour d'elle tait entass du bois o on mit le feu. Mais je vis de nouveau en l'air au-dessus d'Agns une figure qui fit descendre sur elle une effusion de rayons comme un abri protecteur d'o toutes les flammes se rejetrent sur les bourreaux et en blessrent plusieurs. Quant elle, elle n'en reut pas la moindre atteinte. Alors d'autres satellites l'emmenrent encore et la conduisirent de nouveau devant le juge. L elle fut place sur un bloc de bois ou sur une pierre : on voulait lui lier les mains, mais elle s'y refusa; elles restrent poses sur sa poitrine. Je vis qu'une figure humaine tait auprs d'elle et lui soutenait les bras. Alors un homme la prit par les cheveux et lui trancha la tte, qui resta pendante sur une paule, comme celle de sainte Ccile. Son corps fut ensuite jet tout vtu sur le bcher et les autres prvenus furent ramens leur prison. Pendant le jugement, je vis dans le lointain des amis d'Agns qui pleuraient. Il m'a souvent paru tonnant, lors de ces martyres, qu'il n'arrivt rien aux amis qui tmoignaient leur sympathie aux victimes, les assistaient ou les consolaient. Le corps ne fut pas consum; le vtement non plus, ce que je crois. J'ai vu son me sortir de son corps, blanche comme la lune, et s'envoler au ciel. Cette excution, ce qu'il me semble, eut lieu avant midi, et il faisait encore jour quand ses amis retirrent le corps du bcher et lui donnrent la spulture avec de grandes marques de respect. Beaucoup de personnes taient l, mais elles taient enveloppes dans des manteaux, peut-tre pour n'tre pas reconnues. Il me semble avoir vu, entre autres, sur la place o tait le tribunal, le jeune homme qu'Agns avait rendu la vie : il n'tait pas encore converti. Je la vis aussi en dehors de cette vision apparatre prs de moi toute resplendissante de lumire et une palme la main. L'aurole qui rayonnait tout autour d'elle tait rougetre intrieurement et les rayons passaient au bleu leur extrmit. Elle me regarda d'un air trs joyeux, me consola de mes souffrances et dit : Ç Il est doux de souffrir avec Jsus, de souffrir en Jsus. È Je ne puis dire combien il y a de diffrence entre ces Romains et nos gens d' prsent. Chez eux il n'y avait pas de mlange : ils taient tout un ou tout autre. Chez nous tout est si indcis et si embrouill ! c'est comme s'il y avait en nous mille compartiments dans lesquels il y en aurait encore mille autres. È
Ç Je vis une jeune fille qui allait souvent la nuit au tombeau de sainte Agns, s'y prosternait et y priait. Elle tait enveloppe dans de longs vtements et se glissait furtivement comme Madeleine au tombeau du Seigneur. Je vis aussi des ennemis des chrtiens, qui taient l aux aguets, tomber sur elle et l'emmener prisonnire. Je vis ensuite une toute petite glise octogone, avec un autel. En l'air, au-dessus de l'autel, il y avait fte parmi les saints, et c'tait comme une fte patronale pleine de navet, d'innocence et de grce. Une charmante vierge martyre fut place sur un trne et pare de guirlandes de fleurs par d'autres martyres et martyrs romains des premiers temps. Je vis sainte Agns ayant aussi auprs d'elle un petit agneau. È Le Plerin lui donna une relique sous laquelle tait crit en lettres trs-lisibles le nom de l'aptre saint Matthieu, mais que dj antrieurement elle avait dsigne comme tant de sainte Emrentienne. A peine l'eut-elle touche qu'elle s'cria : Ç Oh ! l'aimable enfant ! D'o vient ce bel Enfant ! Et voici une femme avec un autre enfant. È Le lendemain elle raconta ce qui suit: Ç Cette nuit j'ai eu affaire avec deux charmants enfants et aussi avec une suivante. Je vis d'abord l'un des enfants qui pouvait avoir quatre ans passer par la porte d'un mur auquel s'appuyait l'intrieur une galerie colonnes; puis une femme ge avec un nez recourb sortir de la maison. Elle avait quelque chose de juif dans la physionomie, portait un vtement ample, avec un collet dentel autour du cou, et aux bras des espces de manipules. Une petite fille qu'elle conduisait dehors semblait ge d'un peu plus de cinq ans. Elle s'avana avec elle sous le pristyle et les enfants se mirent jouer. Dans ce pristyle les colonnes du milieu taient rondes supportaient des ttes crpues coiffes en quelque sorte de feuilles frises : en outre, autour de ces colonnes s'enroulaient comme des serpents sculpts surmonts d'une belle face humaine qui regardait au dehors. Les colonnes des angles taient carres et supportaient au sommet, sur les deux cts intrieurs, de grands masques taills dans la pierre; semblables des ttes de bÏuf, au-dessous desquels taient creuss trois ouvertures rondes places les unes sous les autres. La paroi postrieure du pristyle tait divise par des piliers engags ; dans un endroit de cette paroi se trouvait une surface en saillie sur laquelle on pouvait monter et o l'on arrivait des deux cts par des marches. Au milieu tait comme un tabernacle par lequel on pouvait faire sortir quelque chose du mur. Tout autour, contre le mur, taient quelques siges travaills comme la partie infrieure des colonnes. Mais, au-dessous, il y avait tout autour des cases o les enfants mettaient leurs jouets. La servante se plaa sur un des siges. Les deux aimables enfants avaient de petites robes tricotes ou faites au mtier, semblables des chemises avec une ceinture. Il vint encore plusieurs enfants du voisinage qui se runirent eux et ils jourent trs-gentiment ensemble, notamment prs du tabernacle qu'ils ouvraient comme un tour et o ils avaient leurs jouets. C'taient des poupes membres mobiles trs-artistement faites, avec des fils qu'ils faisaient aller et qui servaient faire remuer les membres. Les enfants sautaient aussi sur les marches qui menaient au tabernacle et montaient au-dessus de celui-ci jusqu' la plate-forme. Ils avaient aussi de petits vases et jouaient prs des siges sous lesquels ils plaaient leur petit attirail dans les ouvertures demi-circulaires. Je pris une fois l'une des petites filles que je mis en travers sur mes genoux, mais elle ne voulut pas rester tranquille et se dbattit: je m'en attristai et je crus que cela venait de mon indignit. Aprs cela, les autres enfants retournrent chez eux et la servante ou nourrice sortit avec les deux enfants par la porte, traversa une cour antrieure, puis monta un tage plus haut dans une salle o la mre d'un des enfants tait assise et semblait lire des feuilles crites. C'tait une femme robuste vtue d'une robe plisse; elle avait une marche tranante, l'air grave et ne se livrait pas beaucoup avec les enfants; elle ne les caressait pas, cependant elle leur parlait et leur donnait des gteaux qui taient comme de petites figures de diverses couleurs. Il y avait dans la salle des siges semblables des coussins, avec une poigne pour les prendre. Il semblait qu'on pt les hausser ou les baisser volont. Les coussins taient de cuir brun, il y en avait aussi en laine. Le plafond et les murs de la salle taient entirement peints; les fentres n'taient point de verre, elles taient couvertes comme d'un filet sur lequel taient traces l'aiguille des figures de toute espce. La femme s'occupait encore moins de l'enfant tranger que du sien propre. Je vis encore la nourrice avec les enfants dans un petit jardin qui tait comme une cour entoure par les btiments. Il y avait des chambres tout autour et, au milieu, une fontaine jaillissante. Dans ce jardin les enfants jourent et mangrent des fruits. Je ne vis pas le pre. J'eus alors une autre vision. Je vis les deux enfants plus vieux de quelques annes. Ils taient seuls et priaient. J'eus le sentiment que la gouvernante tait chrtienne en secret et dirigeait les pas de ces enfants. Je la vis se runir en cachette avec plusieurs autres vierges dans une des petites maisons latrales attenantes la grande maison ; je vis aussi que, la nuit, des gens s'approchaient avec prcaution du mur de la maison dans l'intrieur de laquelle elles dormaient, que l ils mettaient la main dans un trou pratiqu dans le mur et donnaient aux habitants de la maison un signal sur lequel ceux-ci se levaient et sortaient. La gouvernante les conduisait toujours dehors par un passage de derrire et n'allait pas plus loin. Je la vis, enveloppe dans un manteau, longer avec d'autres une vieille muraille et entrer dans un lieu souterrain o beaucoup de personnes taient rassembles. Je vis deux de ces salles; dans lÕune, il n'y avait pas d'autel, on y faisait seulement des prires et des instructions; dans l'autre, tait un autel o les arrivants dposaient une offrande. Je vis les deux enfants aller furtivement la nuit ces runions secrtes des chrtiens È
Ç Je me trouvai de nouveau devant la maison o j'avais vu jouer les petits enfants et je ressentis un vif dsir de les voir revenir. Alors je vis un enfant qui avait pris part aux jeux et je l'envoyai dans la maison pour qu'il prit la gouvernante de sortir avec les petites filles. Elle vint, portant sur les bras Agns qui tait un nourrisson d'environ dix-huit mois et elle me dit que l'autre enfant n'tait pas l. Je rpondis que certainement elle viendrait bientt. Alors nous allmes ensemble sous un grand arbre touffu, semblable un tilleul, et l'autre enfant ne tarda pas al tre amene par une jeune servante sortant d'une maison voisine plus petite. Mais les deux surveillantes ne voulurent pas rester longtemps; elles avaient faire au logis et je les priai instamment de vouloir bien me laisser un peu les enfants; elles me les laissrent en effet, aprs quoi elles se rendirent chez elles. J'avais les deux enfants sur mes genoux et je les caressais, mais ils furent bientt inquiets et se mirent crier. Je n'avais absolument rien leur donner pour les calmer et dans le trouble extrme o j'tais, je les mis contre mon sein o elles restrent tranquilles. Je mis autour d'elles un grand manteau dont j'tais revtue et je sentis avec une surprise mle d'effroi qu'elles taient rellement allaites, par moi. Alors les bonnes revinrent, je leur donnai les enfants et les deux mres arrivrent aussi bientt. Celle d'Emrentienne tait plus petite, plus vive et plus remuante que l'autre, elle avait aussi des manires plus avenantes. Elle porta elle-mme son enfant chez elle ; l'autre fit porter le sien. Je sentis alors, avec un grand effroi, que mon sein, o les enfants avaient bu, s'tait gonfl et rempli de lait. J'y eus une sensation d'oppression et de chaleur cuisante et mon anxit ft grandi. Mais j'tais peine moiti chemin de chez moi que deux enfants de ma connaissance vinrent moi et me vidrent le sein en me faisant beaucoup souffrir : il en vint encore plusieurs autres qui firent la mme chose et sur lesquels je remarquai une quantit de vermine que je tuai, en sorte qu'ils furent nourris et nettoys. Je fus moi-mme dbarrasse de mon oppression et, comme je craignais que cela ne me ft venu des reliques, je les plaai dans l'armoire. È
Le jour suivant, pendant qu'elle tait en extase, le Plerin ayant apport pris d'elle les reliques de sainte Agns et de sainte Emrentienne, elle cria en se dtournant: Ç Non ! non ! je ne puis pas. J'aime bien ces enfants, mais je ne puis pas recommencer! È
Sainte Paule.
Le Pre Limberg prit dans un paquet de reliques et prsenta la malade un petit morceau d'toffe brune, en lui demandant si elle reconnaissait cela. Elle le considra attentivement et dit d'un ton trs-dcid : Ç Cela vient du voile de la femme qui a migr de Rome Jrusalem et Bethlem. C'est du voile de sainte Paule. La sainte est l : son voile est long et descend sur son visage. Elle tient la main un bton avec de gros nÏuds. È Elle reconnut un autre morceau d'toffe de soie comme provenant d'un rideau que sainte Paule avait suspendu devant la reprsentation de la crche dans sa petite chapelle. Ç La sainte a souvent pri avec sa fille devant ce rideau et l'enfant Jsus lui est souvent apparu dans ce lieu. È A ces mots le Plerin lui demanda si ce rideau tait devant la vritable crche dans la grotte mme de la crche. Elle rpondit : Ç Non ! il tait devant la petite crche que les religieuses de sainte Paule avaient dans leur chapelle. Le monastre tait si rapproch de la sainte grotte de la crche Bethlem que la chapelle semblait btie en quelque sorte contre celle-ci et s'appuyait l'endroit o Jsus est n. La chapelle tait faite seulement de bois et de clayonnage et tendue de tapisseries l'intrieur. A partir de l couraient quatre ranges de cellules, de construction lgre comme les maisons o l'on recevait les voyageurs dans la terre promise. Chaque cellule avait devant elle un petit jardin. Ce fut l que Paule et sa fille rassemblrent leurs premires compagnes. Dans la chapelle tait un autel isol de tous cts, avec un tabernacle, et derrire cet autel, cach par un rideau de soie rouge et blanche, l'endroit o se trouvait la crche dresse par sainte Paule, et qui n'tait spar que par un mur du lieu rel de la naissance de Jsus. Cette crche tait une reproduction de la vraie sainte crche, seulement moins grande et en pierre blanche; mais tellement exacte que le foin mme tait imit. Le petit enfant tait reprsent avec des langes de couleur bleue, collant au corps. Paule le prenait souvent dans ses bras lorsqu'elle priait. L o la crche s'appuyait au mur, tait suspendue une couverture sur laquelle tait dessin l'aiguille l'ne, tournant la tte vers la crche : c'tait un travail de diverses couleurs, les poils taient imits avec des fils. Plus haut, au-dessus de la crche, tait fixe une toile. Des lampes taient suspendues droite et gauche, devant le rideau. È
Sainte Agathe.
Ç Je me suis trouve cette nuit dans la ville o j'ai vu le grand soulvement (Palerme). Je vis encore beaucoup de dgts dans les glises et les maisons, et je vis une grande et singulire fte religieuse. Des tapisseries taient suspendues dans l'glise, et au milieu pendait un drap comme chez nous ce qu'on nomme le linge de la faim pendant le carme. J'ai aussi vu vers une place un grand feu ressemblant nos feux de la Saint-Jean et o les prtres allaient en procession avec un tapis. C'tait une merveilleuse fte, avec beaucoup d'appareil et de pompe. Le peuple s'y porte avec beaucoup d'ardeur, et il y a toujours des rixes. L'glise tait magnifiquement orne, et pendant le service divin, je vis sainte Agathe avec d'autres saints. È
Ç Je vis qu'Agathe avait t martyrise dans, une autre ville, Catane. Ses parents habitaient Palerme, sa mre tait chrtienne en secret. Son pre tait paen. Je vis que sa mre l'avait, ds son enfance, instruite secrtement dans la religion chrtienne. Elle avait deux suivantes. Ds ses premires annes, elle avait des rapports familiers avec Jsus. Je la vis souvent assise dans le jardin, ayant auprs d'elle un bel enfant resplendissant de lumire qui lui parlait souvent et jouait avec elle. Je vis comment elle lui faisait un sige dans le gazon et comment elle l'coutait toute pensive, les mains poses sur ses genoux. Je les vis jouer avec des fleurs et des petits btons. L'enfant semblait grandir auprs d'elle. Il vint aussi plus grand elle lorsqu'elle-mme fut devenue plus grande, mais il ne venait que lorsqu'elle tait seule. Je crois qu'elle le voyait aussi, car je la vis faire divers arrangements qui supposaient sa prsence. Je l'ai vue grandir merveilleusement en puret et en force intrieure. Il est impossible d'expliquer comment on voit cela : c'est comme si l'on voyait un objet quelconque devenir de plus eu plus magnifique, un feu qui devient soleil, une lueur qui devient toile ou de l'or qui deviendrait plus parfaitement or. Je vis aussi avec quelle fidlit extraordinaire elle cooprait la grce, comment elle ne cessait de repousser ou de punir sur elle-mme la moindre tache, la moindre imperfection. Quand elle voulait se coucher le soir, son ange gardien se tenait souvent sous une forme visible prs d'elle et lui rappelait quelque chose qu'elle avait oubli : alors elle se htait de le faire : c'tait une prire, ou une aumne, ou quelque chose qui se rapportait la charit, la puret, l'humilit, l'obissance, la misricorde, aux efforts opposer au mal. Je l'ai vue souvent, dans son enfance, se glisser furtivement loin de sa mre avec des aumnes et des aliments. Combien elle tait magnanime et chrie de Jsus ! dans quel tat de lutte continuelle elle vivait ! Je la vis souvent se pincer et se frapper pour des dsirs et pour les moindres fautes. Et avec tout cela, comme elle tait franche, courageuse et ouverte ! Je vis que, vers sa huitime anne, elle fut conduite Catane dans une voiture avec plusieurs autres jeunes filles. Cela se faisait par l'ordre de son pre qui voulait qu'elle ft leve dans toute la libert d'une ducation paenne. On la mena l chez une femme l'air hardi qui avait cinq filles. Je ne puis pas dire que sa maison ft une maison publique de dbauche, comme j'en ai vu plus d'une fois cette poque : elle me parut plutt une femme galante et de manires libres. J'y ai longtemps vu Agathe. La maison tait dans une trs-belle situation et tout y tait somptueux; mais elle ne pouvait pas en sortir. Je la voyais ordinairement avec d'autres jeunes filles d'assez mauvaise compagnie dans un salon devant lequel tait une pice d'eau o toute la maison se rflchissait : de l'autre ct, la maison avait des gardiens. La femme et ses cinq filles se donnaient toute la peine imaginable pour former Agathe la vertu entendue leur manire. Je les vis se promener avec elle dans de superbes jardins, lui montrer toute espce d'habits magnifiques et de belles choses, mais elle restait indiffrente tout cela; elle s'en dtournait toujours. L aussi, je vis que l'enfant cleste tait souvent auprs d'elle et qu'elle devenait de plus en plus srieuse et courageuse. C'tait une trs-belle enfant, pas grande, mais parfaitement faite. Elle avait des cheveux foncs, de grands yeux noirs, un beau nez, une figure ronde, quelque chose de trs-doux et de trs ferme en mme temps et une physionomie o se manifestait une force d'me extraordinaire. Je vis sa mre mourir de chagrin loin d'elle.
Ç Je vis dans la maison de cette femme, Agathe combattre ses penchants naturels avec une constance et un courage remarquables et lutter contre toutes les sductions. Quintianus qui plus tard la fit martyriser y venait souvent. Il tait mari, mais il ne pouvait pas souffrir sa femme. C'tait un homme dsagrable, d'un caractre bas et orgueilleux : il rdait dans la ville, espionnant tout ce qui se faisait et il vexait et tourmentait tout le monde. Je le vis chez cette femme : il regardait souvent Agathe comme on regarde un bel enfant : il ne se permettait rien d'inconvenant avec elle. Je vis l son fianc cleste se tenir prs d'elle, visible pour elle seule; et il lui disait : Ç Notre fiance est petite, elle n'a pas de mamelles (cant. VIII,8) : quand elle en aura, elles lui seront retranches, car il n'y a l personne qui puisse s'y abreuver. È Le jeune homme parlait ainsi Agathe en vision, et cela voulait dire qu'il y avait l peu de chrtiens et de prtres (note). J'ai aussi vu que son fianc lui montrait les instruments de son martyre : je crois mme qu'ils jouaient avec. Plus tard, je la vis de nouveau dans sa ville natale : son pre ne vivait plus. Elle avait environ treize ans. Elle confessait publiquement la foi chrtienne et avait prs d'elle des gens de bien. Je la vis enleve de sa maison par des personnes que Quintianus avait envoyes de Catane; je vis comment, en sortant de la ville, elle se baissa pour attacher plus solidement sa chaussure, et comment; regardant en arrire, elle s'aperut que tous ses amis l'abandonnaient et retournaient la ville. Elle pria Dieu de faire paratre un signe de cette ingratitude, et un olivier strile, sortit de terre cet endroit. È
(note) Agathe est Ç la fiance È, l'glise de Sicile encore jeune... Elle reoit l'anneau de son futur martyre par lequel elle doit devenir la mre d'mes innombrables en ce sens que le lait de ses mamelles, c'est--dire la plnitude de bndictions de son martyre, leur procure la grce du salut.
Ç Je l'ai vue de nouveau chez la mauvaise femme et j'ai vu aussi apparatre prs d'elle son fianc cleste qui lui dit un jour : Ç Lorsque le serpent qui tait muet auparavant, se mit parler, Eve aurait d s'apercevoir que c'tait le dmon. È Je vis aussi que la femme chercha de toute manire sduire Agathe, en la flattant et en lui donnant des divertissements, et j'entendis Agathe lui faire l'application de ce que lui avait enseign son fianc, car la femme ayant voulu la pousser au relchement par ses discours, elle lui dit : Ç Ta chair et ton sang sont la crature de Dieu, comme le serpent, mais ce qui parle par eux est le dmon. È Je vis les alles et venues de Quintianus chez cette femme et je connais aussi trs-bien deux amis qu'il avait.. Je vis ensuite Agathe jete en prison, interroge et frappe. On lui coupa les mamelles : un homme la tenait pendant qu'un autre lui enlevait le sein avec un instrument qui ressemblait une tte de pavot. Il s'tendait sur trois tiges, formant comme une bouche et dtachait comme d'une morsure la mamelle qui le remplissait tout entier. Les bourreaux eurent encore la cruaut rvoltante de lui mettre sous les yeux avec des moqueries ses mamelles coupes ; puis ils les jetrent ses pieds comme sur une planche. Pendant son supplice, Agathe dit Quintianus : Ç Peux-tu, sans frmir d'horreur, arracher une femme cette partie du corps qui, chez ta mre, t'a nourri autrefois ! È Elle tait pleine de fermet et de calme et dit : Ç Mon me a de plus nobles mamelles que tu ne peux pas m'enlever. È Son sein tait peu dvelopp et elle-mme tait peine dans l'ge de pubert. La blessure tait parfaitement ronde : il n'y avait pas de dchirure : le sang jaillissait en plusieurs petits jets. J'ai vu souvent ce mme instrument employ pour les supplices des martyrs : on enlevait ainsi du corps des saints des morceaux de chair tout entiers. L'assistance et la force qu'ils reoivent de Jsus-Christ est quelque chose d'admirable. Je le vois souvent lui-mme prs d'eux qui les soulage : ils ne tombent pas en dfaillance l o un autre tomberait l'instant comme mort.. Je vis ensuite Agathe dans la prison, o un saint vieillard lui apparut et lui dit qu'il gurirait ses blessures. Elle rpondit qu'elle le remerciait, qu'elle n'avait jamais eu recours la mdecine humaine, qu'elle avait son Seigneur Jsus-Christ qui pouvait la gurir s'il le voulait. ÇJe suis un chrtien et un vieillard, lui dit-il : ne crains pas de me montrer tes plaies ! È Elle lui rpondit : Ç Mes plaies n'ont rien qui blesse la pudeur: Jsus me gurira s'il le veut: il a cr le monde, il peut aussi me crer un sein. È Alors je vis le vieillard sourire et dire : Ç Je suis son serviteur Pierre : vois ! ton sein est dj guri, È puis il disparut. Je vis plus tard qu'un ange attacha au haut de sa prison comme un criteau o tait crit quelque chose : je ne me rappelle plus ce que c'tait. Or, elle avait ses deux seins parfaitement remis dans l'tat o ils taient auparavant. Ce n'tait pas seulement un rapprochement de la peau, c'tait un nouveau sein complet. Autour de chacun des seins je vis une aurole de lumire et tout le cercle intrieur de cette aurole rempli de rayons ayant les couleurs de l'arc-en-ciel. Je vis Agathe conduite de nouveau au martyre. Dans un caveau taient des tres sous lesquels on avait allum du feu: ils taient profonds comme des coffres et garnis l'intrieur de toutes sortes d'objets pointus et anguleux. Il y avait un certain nombre de ces coffres les uns prs des autres. Souvent plusieurs personnes taient livres ce supplice en mme temps : on pouvait passer dans les intervalles qui sparaient les coffres. Le feu brlait dessous, en sorte que ceux qui y taient tendus sur des tessons de pot taient rtis. Lorsque, Agathe eut t jete dans une de ces caisses, la terre trembla, un mur s'croula et crasa les deux amis de Quintianus. Il y eut un soulvement dans le peuple, si bien que Quintianus s'enfuit. La vierge fut ramene en prison, o elle mourut. Je vis Quintianus se noyer misrablement dans une rivire, comme il tait en route pour aller confisquer les biens de sainte Agathe. J'ai aussi vu comment, plus tard, une montagne ayant vomi des flammes, le peuple s'enfuit devant le fleuve de feu qui en dcoulait auprs du tombeau d'Agathe dont il opposa le couvercle au feu qui s'teignit. È
Sainte Dorothe.
Ç Je reconnus de nouveau la relique de la sainte et je vis une ville considrable dans un pays de collines. Je vis l, dans le jardin d'une maison btie la mode romaine, jouer trois jeunes filles de cinq huit ans. Elles se tenaient par les mains, dansaient en rond, puis s'arrtaient et chantaient : en mme temps elles cueillaient des fleurs. Lorsqu'elles eurent jou un certain temps, je vis les deux plus ges se sparer de la plus jeune, s'loigner avec les fleurs et les mettre en morceaux. La plus petite parut prouver beaucoup de peine lorsque ses deux compagnes s'en allrent d'un autre ct du jardin. Je vis l'enfant reste seule ayant dans le coeur une douleur poignante que je ressentis moi-mme. Son visage plit, en mme temps son vtement devint blanc comme la neige et elle tomba terre comme morte. J'entendis alors intrieurement une voix qui disait : Ç C'est Dorothe ! È - Et en mme temps je vis apparatre un petit garon brillant de lumire qui s'avana vers elle, tenant un bouquet de fleurs la main; il la releva, la conduisit dans un autre partie du jardin, et lui donna le bouquet, aprs quoi il disparut. L'enfant redevint joyeuse, courut aux deux autres, leur montra ses fleurs et leur dit qui les lui avait donnes. Elles furent fort tonnes, la pressrent sur leur coeur et parurent regretter la peine qu'elles lui avaient faite, en sorte que l'union fut rtablie entre elles. A cette vue, le dsir s'veilla en moi d'avoir aussi de semblables fleurs pour me fortifier : mais tout d'un coup Dorothe, devenue jeune fille, m'apparut, me fit une belle exhortation comme prparation la communion et me dit : Ç Comment peux-tu dsirer des fleurs, toi qui reois si souvent la fleur de toutes les fleurs ? È Elle m'expliqua aussi le sens de la scne des enfants qui se rapportait la dfection et au retour des deux jeunes filles plus ges. J'eus ensuite la vision de son martyre. Je la vis en prison avec deux soeurs aimes et je vis une contestation entre elles: Les deux aimes ne voulurent pas mourir pour Jsus-Christ et on les remit en libert. Je vis alors Dorothe devant le juge : il la fit conduire prs de celles qui avaient apostasi, dans l'espoir qu'elle suivrait leur exemple et leurs conseils, mais Dorothe les ramena la foi. Elle fut ensuite attache un poteau, dchire avec des crochets, brle avec des torches et enfin dcapite. Lorsque cela fut fait, je vis se convertir un jeune homme qui pendant qu'elle allait au martyre, lui avait adress des paroles de drision et auquel elle avait rpondu quelques mots. Un jeune garon resplendissant apparut devant lui portant des roses et des fruits : il rentra en lui-mme, confessa la foi et subit le martyre; il eut la tte tranche. plusieurs autres furent encore martyriss avec Dorothe ; ils furent brls ou cartels l'aide d'animaux auxquels on les attachait. È
Sainte Apollonie.
Ç J'ai eu une relique d'elle prs de moi et j'ai vu aussi la ville o elle souffrit le martyre. Elle est situe sur une langue de terre et les divers bras par lesquels le Nil se rend dans la mer ne sont pas loin de l. C'est une grande et belle ville o tait la maison des parents d'Apollonie, entoure de cours et de jardins et situe sur un lieu lev. A l'poque de son martyre, c'tait une veuve ge (note), de grande taille. Ses parents taient paens : mais elle avait t convertie ds son enfance par sa nourrice qui tait chrtienne en secret. Arrive l'ge adulte, ses parents l'avaient donne en mariage un paen avec lequel elle vcut dans la maison paternelle. Elle eut beaucoup souffrir et la vie conjugale fut pour elle une rude pnitence. Je l'ai vue couche par terre, pleurant, priant, jetant de la cendre sur sa tte. Son mari tait trs-maigre et trs-ple; il mourut longtemps avant elle, la laissant veuve sans enfants. Elle vcut bien encore trente ans. Elle se montrait extrmement compatissante envers les pauvres chrtiens cachs ; elle tait la consolation et l'espoir de tous ceux qui souffraient. Sa nourrice souffrit aussi le martyre peu de temps avant elle. Ce fut l'occasion d'un tumulte o les maisons des chrtiens furent pilles et brles et o plusieurs furent mis mort. Je vis plus tard Apollonie arrte dans sa maison sur l'ordre du juge, conduite devant le tribunal, puis jete en prison. Je la vis mene plusieurs fois devant le juge et horriblement maltraite cause de ses rponses svres, et fermement chrtiennes. C'tait une vue qui me dchirait le coeur et je ne pouvais m'empcher de pleurer, quoique je pusse voir avec moins d'motion d'autres supplices plus cruels. Peut-tre tait-ce son ge et la dignit de son extrieur qui me touchaient ainsi. Ils la poussrent avec des massues, la frapprent au visage et sur la tte avec des cailloux. Son nez fut cras, le sang coulait de sa tte, ses joues et son menton furent dchirs et ses dents brises dans sa bouche. Elle portait la robe blanche fendue dont je vois si souvent les martyrs revtus; l-dessous elle avait une tunique de laine teinte. (note) Le brviaire et le martyrologe romain la qualifient de vierge et martyr.(Note du traducteur).
On la fit s'asseoir sur un sige de pierre sans appui ; ses mains taient lies derrire le dos et attaches la pierre par une chane ; ses pieds aussi taient entravs. On lui arracha son voile : ses longs cheveux pars tombrent autour d'elle, son visage tait tout dfigur et couvert de sang. Un bourreau la saisit par derrire et lui renversa violemment la tte, un autre ouvrit sa bouche en y introduisant de force un petit billot de plomb. Alors l'excuteur arracha l'une aprs l'autre, avec une pince grossire, les dents dj brises de la sainte martyre, et il enleva en mme temps des morceaux de la mchoire. Pendant ce supplice o Apollonie souffrit jusqu' perdre connaissance, je vis que des anges, des mes d'autres martyrs et une apparition de Jsus lui-mme la fortifiaient et la consolaient, et que, sur sa prire, elle reut la grce de pouvoir secourir efficacement tous ceux qui souffrent des dents ou qui ont des douleurs quelconques la tte et au visage. Comme elle ne cessait pas de glorifier Jsus et de tmoigner son mpris pour les idoles, le juge ordonna de la conduire au bcher et de l'y jeter, si elle persistait dans ses sentiments. Je vis qu'elle ne pouvait plus marcher seule; elle tait demi morte. Deux bourreaux la tranrent sous les bras jusqu' un lieu lev, pav de dalles, o un grand feu tait allum dans une fosse. Lorsqu'elle fut devant, elle sembla faire une prire. Elle ne pouvait plus redresser la tte. Les paens crurent qu'elle voulait renier Jsus ou qu'elle tait branl dans sa rsolution, et ils la laissrent libre. Elle s'affaissa alors sur elle-mme et resta terre comme expirante; mais bientt, ayant pri, elle se releva tout coup et s'lana dans les flammes. Je vis pendant toute la dure du supplice beaucoup de pauvres gens qu'elle avait longtemps secourus tendre les mains vers elle, se lamenter et crier. Elle n'aurait pas pu sauter dans le feu d'elle-mme. Dieu lui donna pour cela lÕinspiration et la force. Je vis qu'elle ne fut pas consume, mais seulement rtie. Lorsqu'elle fut morte, les paens se retirrent. Des chrtiens s'approchrent secrtement, enlevrent le corps et l'enterrrent dans un caveau. È
Sainte Scolastique et saint Benot.
Ç La relique de sainte Scolastique m'a fait voir plusieurs scnes de sa vie et de celle de saint Benot. Je vis leur maison paternelle dans une assez grande ville, peu loigne de Rome. Elle n'tait pas tout fait construite la manire romaine. Devant le ct attenant la rue se trouvait un espace pav, enceint d'un mur peu lev qui supportait une grille de couleur rouge. Derrire la maison tait une cour et un jardin avec un jet d'eau. Dans ce jardin se trouvait une jolie maison de plaisance dans laquelle je vis Benot et Scolastique, qui taient frre et soeur, jouer comme des enfants trs-innocents et trs-unis entre eux. Cette maison tait l'extrieur toute couverte de verdure. Le toit tait plat et entirement dcor de figures de diverses couleurs et de statues. Il me semblait que les figures taient dcoupes et colles, tant tous les contours taient nettement dessins. Le frre et la soeur s'aimaient beaucoup et me semblaient tellement du mme ge que je les crus jumeaux. Des oiseaux venaient sur la fentre et se montraient trs-familiers avec eux. Ces oiseaux portaient dans leur bec des fleurs et de petites branches et cherchaient les enfants du regard. Ceux-ci jouaient aussi avec des fleurs et des plantes : ils plantaient en terre des branches de toute espce et faisaient de petits jardins. Je les vis crire et dcouper diverses figures dans une toffe de couleurs varies. Parfois venait une gardienne qui les surveillait. Les parents semblaient tre riches et avoir beaucoup d'affaires
car il y avait dans la maison une vingtaine de personnes que je voyais aller de ct et d'autre. Ils ne s'occupaient pas beaucoup des enfants. Je vis le pre, qui tait un homme gros et fort, habill presque entirement la mode romaine : il prenait ses repas avec sa femme et quelques autres personnes dans la partie postrieure de la maison : les enfants logeaient en haut et pas tous ensemble. Benot avait pour prcepteur un vieil ecclsiastique avec lequel il tait seul. Scolastique tait avec une surveillante prs de laquelle elle couchait. J'ai remarqu que ceux qui taient chargs d'eux ne les laissaient pas volontiers ni souvent seuls ensemble : mais quand ils pouvaient se runir la drobe, ils taient trs-joyeux et trs-contents. Je vis que Scolastique apprenait prs de sa surveillante faire un travail d'un genre tout particulier. Il y avait dans une pice voisins de la chambre o elle dormait une table sur laquelle elles travaillaient : sur cette table taient plusieurs corbeilles pleines d'toffes de toutes couleurs o elle dcoupait des figures, des oiseaux, des fleurs, des ornements varis qui taient ensuite cousus sur une plus grande pice d'toffe, de manire qu'ils ressemblaient des ciselures. Les plafonds des chambres taient orns de figures de diverses couleurs comme la maison de plaisance. Les fentres n'taient pas de verre, c'taient des toffes sur lesquelles taient dessines des figures d'arbres, des espces d'arabesques et des ornements de tout genre. Scolastique couchait derrire un rideau : sa couche tait trs-basse. Je la voyais, le matin, quand sa gouvernante se dirigeait vers la porte pour sortir, sauter bas de son lit, se prosterner et prier devant une croix attache au mur : quand elle entendait le pas de la gouvernante, elle se glissait promptement derrire le rideau et elle tait dans son lit avant que l'autre ft de retour. Je vis Benot et Scolastique tudier avec le prcepteur du premier, mais chacun de son ct. Je les vis lire dans de grands rouleaux d'critures : je les vis aussi tracer des lettres avec de l'or, du rouge et une couleur bleue extraordinairement belle. Quand le travail tait fait, on roulait le parchemin. Ils se servaient pour cela d'un instrument de la longueur du doigt. Plus les enfants grandissaient, moins on les laissait ensemble. È
Ç Je vis Benot Rome, lorsqu'il avait environ quatorze ans, dans un grand difice o il y avait un corridor avec beaucoup de chambres. Cela avait l'air d'une cole ou d'un monastre. Je vis plusieurs jeunes gens et quelques vieux ecclsiastiques assister une espce de banquet dans une grande salle. Cette salle tait dcore dans le haut de peintures comme celles de la maison paternelle de Benot. Je vis que les convives ne mangeaient pas couchs: ils taient assis sur des siges ronds, tellement bas que ceux qui y taient assis taient obligs d'allonger les jambes, aussi s'asseyaient-ils de ct et les uns derrire les autres, devant une table fort basse aussi. Dans cette table, qui tait trs massive, taient pratiques des ouvertures pour la vaisselle qui tait de couleur jaune. Je ne vis pas beaucoup de mets; au milieu se trouvaient trois grands plats avec des gteaux plats et jaunes. Lorsqu'on eut fini de manger, je vis entrer six femmes de diffrents ges. Elles avaient des ptisseries de diverses formes et de petits flacons dans des corbeilles qu'elles portaient au bras : c'taient des parentes des jeunes gens. Ceux-ci s'taient levs de table : ils s'entretinrent avec elles un bout de la salle et elles leur donnrent des friandises et des liqueurs. Il y avait parmi elles une femme d'environ trente ans que j'avais dj vue une fois chez les parents de Benot : elle s'approcha de Benot avec des manires singulirement affectueuses : celui-ci, pur et innocent, ne souponnait rien de mauvais chez elle. Mais je vis que cette puret lui tait odieuse et qu'elle avait pour lui un amour criminel. Je vis qu'elle lui donna boire de la liqueur contenue dans un petit flacon et qu'il y avait dans ce breuvage quelque chose qui empoisonnait, qui ensorcelait. Il ne souponnait rien de cela : mais je le vis le soir dans sa cellule, trs-agit et trs-tourment, aller trouver un homme auquel il demanda la permission d'aller dans la cour : il ne sortait jamais sans permission. Alors je le vis la nuit, dans un coin de la cour, se frapper le dos avec de longues branches pineuses et des orties. Je vis que plus tard, tant anachorte, il secourut cette femme qui avait voulu le corrompre et qui tait dans une grande dtresse, prcisment parce qu'elle tait son ennemie. Il avait t instruit de sa tentative criminelle par une rvlation intrieure.
Ç Je vis aprs cela Benot sur une haute montagne pleine de rochers. Il pouvait avoir vingt et quelques annes. Je vis comment il se tailla une cellule dans le rocher, et comment il y avait ajout un passage et une autre cellule, puis plusieurs cellules toutes creuses dans le roc. Cependant la premire seule avait une sortie l'extrieur. Je vis aussi qu'il les vota par en haut et en orna la vote de plusieurs tableaux qui semblaient faits d'un assemblage de petites pierres. Je vis dans une cellule trois tableaux de ce genre; le ciel tait figur en haut : sur l'un des cts tait reprsente la Nativit du Christ, sur l'autre le jugement dernier. Je me souviens que, dans ce dernier tableau, Notre-Seigneur tait assis sur une arcade et qu'un glaive sortait de sa bouche : au-dessus, entre les lus et les rprouvs, se tenait un ange avec une balance. Il avait en outre reprsent un monastre, un homme qui semblait un abb et, derrire lui, beaucoup de moines : il semblait qu'il et vu d'avance son propre monastre. È
Ç Je vis sa soeur, qui tait toujours chez ses parents, lui rendre plusieurs fois des visites qu'elle faisait pied. Mais il ne souffrait jamais qu'elle passt la nuit : elle lui portait parfois un rouleau crit de sa main et il lui montrait aussi ce qu'il avait crit ou fait. Ils s'entretenaient des choses de Dieu. Je vis aussi qu'il avait plant en avant de sa cellule une alle de verdure, comme un chemin de procession. Il tait toujours trs-grave quand sa soeur tait prs de lui, et celle-ci, toute pleine de navet et d'innocence, se montrait extraordinairement amicale et enjoue. S'il n'tait pas aussi communicatif qu'elle l'et voulu, elle s'adressait Dieu, le priait, et son frre devenait aussitt doux et affectueux. Je la vis, plus tard, sous la direction de Benot, diriger un couvent sur une autre montagne, une petite journe de marche : une trs-grande quantit de religieuses vinrent elle. Je vis qu'elle leur apprenait le chant. Il n'y avait pas l d'orgues : les orgues ont t trs-nuisibles et ont fait du chant une chose tout fait subordonne. Je vis aussi qu'elles prparaient elles-mmes tous les ornements de leur glise et cela, par un travail l'aiguille comme celui que Scolastique avait appris faire dans son enfance. Je vis aussi qu'elles avaient dispos sur la table o elles mangeaient une grande couverture o taient reprsentas les objets les plus varis : il y avait toute sorte d'images, d'ornements et aussi des sentences, le tout arrang de manire que chaque religieuse avait toujours sous les yeux, la place qu'elle occupait, des choses qui reprsentaient ce qu'elle tait particulirement charge de faire. Elle m'a aussi dit beaucoup de choses aimables et consolantes sur le travail spirituel et le travail des personnes ecclsiastiques. È
Ç Je vis toujours que saint Benot et elle taient fort entours d'oiseaux familiers. Quand elle tait encore chez ses parents, je vis des colombes voler d'elle Benot qui tait dans le dsert. Dans le monastre, je vis prs d'elle des pigeons et des alouettes qui lui apportaient des fleurs blanches, jaunes, rouges et violettes. Je vis un jour une colombe lui apporter une rose avec une feuille. J'eus encore sur elle beaucoup de visions que je ne puis pas rapporter, je suis trop faible et trop misrable. Elle tait parfaitement pure : je la vois dans le ciel blanche comme la neige. Je ne connais rien d'aussi aimant except, Marie et Madeleine. >
Sainte Eulalie.
(note) Elle avait souvent senti et manifest le voisinage de la sainte relique et elle avait dit : Ç Il doit y avoir dans mon glise une sainte Culalie. Elle est de Barcelone. È Comme le nom lui avait t montr en vision, crit en petits caractres romains, elle avait lu C au lieu dÕE.
Ç Parmi les reliques se trouvaient deux dents sous le nom de sainte Eulalie. Mais Anne Catherine les ayant eues quelque temps prs d'elle, fit cette dclaration : Ç Une seule des dents est de la sainte vierge martyre Eulalie de Barcelone : l'autre dent est d'un prtre qui n'a reu les saints ordres qu' un ge avanc. Je l'ai vu faire beaucoup de voyages peur secourir des veuves et des orphelins. La dent de sainte Eulalie lui fut arrache environ six mois avant son martyre. Je vis comment cela se passa. Eulalie se fit arracher cette dent qui lui causait de vives douleurs dans la maison d'une vierge son amie, parce que sa mre, par suite de sa tendresse un peu molle, ne voulait pas que la chose se ft dans la maison paternelle. Le vieillard qui arracha la dent tait un chrtien. Il tait assis sur un sige peu lev et Eulalie assise par terre devant lui, le dos tourn de son ct. Elle renversa la tte vers lui et il arracha la dent trs-promptement avec un instrument termin par une cavit s'adaptant la dent et muni d'un manche avec une poigne transversale. Aussitt aprs avoir retir la dent, il la prsenta aux deux jeunes filles dans l'instrument et elles se mirent rire. L'amie d'Eulalie la pria de lui faire prsent de sa dent et elle y consentit. Toutes les amies d'Eulalie la tenaient en grande estime. Aprs son martyre, cette dent devint un objet beaucoup plus prcieux : c'tait une relique sacre pour celle qui la possdait. Aprs sa mort, je la vis successivement en la possession de deux autres femmes : puis, une poque postrieure, je la vis dans une glise o on la conservait dans un vase d'argent qui avait la forme d'un petit encensoir et o on l'avait suspendue devant une image de sainte Apollonie. Apollonie n'y tait pas reprsente vieille, mais jeune encore, avec une tenaille la main et un bonnet pointu sur la tte. Plus tard, lorsque toute l'argenterie de cette glise fut enleve, je vis la dent au pouvoir d'une personne consacres Dieu, loin du pays d'Eulalie. On avait bris un petit morceau d'une des racines de la dent, lequel est aussi conserv comme relique. Je vois la dent briller, mais non avec l'clat des ossements qui ont souffert le martyre. Je la vois briller par suite de l'innocence d'Eulalie, de l'ardent dsir de mourir pour Jsus-Christ dont elle tait ds lors anime et de la grande souffrance qu'elle supporta patiemment l'occasion de cette dent. Je ne vois pas les ossements que les saints ont perdus avant leur martyre briller avec les couleurs de l'aurole qui distingue ceux qui existaient au moment du supplice. A la lumire de cette dent, il manque encore le martyre du reste du corps. Les parents d'Eulalie, taient des gens de distinction qui habitaient une grande maison autour de laquelle il y avait des oliviers et beaucoup d'arbres avec des fruits jaunes. Ils taient chrtiens, mais un peu tides : ils ne laissaient rien voir de leur christianisme. Eulalie tait intimement lie avec une personne plus ge, qui tait une chrtienne trs-zle et qui habitait une dpendance de la maison des parents d'Eulalie o elle s'occupait de grands travaux de broderie. Je vis Eulalie et cette personne travailler l'aiguille et confectionner des ornements d'glise. Je les vis coudre sur les toffes des figures dcoupes. Elles faisaient cela en secret, pendant la nuit. Elles avaient prs d'elles une lampe et, devant la flamme, quelque chose de transparent comme du verre qui donnait beaucoup de clart. Je vis souvent Eulalie prier seule dans sa chambre devant une simple croix qu'elle avait faite avec du buis. Elle tait consume d'un ardent dsir de confesser publiquement Jsus-Christ qui lui montrait souvent en vision la couronne du martyre. Je la vis aussi se promener avec d'autres jeunes filles et manifester devant elles ce dsir qu'elle n'osait pas exprimer dans la maison paternelle.È
Sainte Walburge.
Anne Catherine prit dans Ç son glise È un ossement provenant d'un doigt, garda le silence pendant quelques minutes et dit ensuite : Ç Quelle aimable petite religieuse ! Si pleine de clart: si belle! si transparente! C'est Walburge. Je vois son couvent. È Elle vit alors des scnes de sa vie et la leve de son corps et elle raconta ce qui suit. Ç J'ai t conduite par deux bienheureuses nonne dans une glise o l'on faisait une grande fte comme si c'tait la translation du corps de la sainte ou sa canonisation. Il y avait l un vque qui veillait tout et assignait chacun sa place. Ce n'tait pas l'glise du couvent o elle avait vcu, cela se passait dans un autre endroit plus considrable. Il s'tait rassembl plus de personnes que je n'en ai jamais vues prs de la croix de Coesfeld. La plupart furent obliges de rester en plein air devant l'glise. J'tais prs de l'autel, peu de distance de la sacristie, et les deux religieuses auprs de moi. Sur les marches de l'autel tait un coffre blanc, trs-simple dans lequel tait couch le corps de la sainte. Le linceul blanc qui la recouvrait tait relev et pendait des deux cts du coffre. Le corps tait blanc comme la neige, on l'aurait dit vivant; les joues taient vermeilles. Walburge avait toujours eu le teint dlicat d'un jeune enfant. Alors la fte commena : c'tait une messe solennelle. Mais je ne pus pas rester : il me sembla tomber eu dfaillance et je me vis couch par terre, appuye sur mon bras : mes deux compagnes taient assises prs de ma tte et de mes pieds. Je vis aussi comment une abbesse du monastre deWalburge, ptrissait dans la sacristie trois espces de ptes pour faire des petits pains: deux de ces ptes taient de bonne qualit, la troisime trs-grossire, de farine blanche, mais pleine de petites pailles. Je me demandais qui on devait en donner. Alors je perdis de vue la fte de l'glise qui disparut au-dessous de moi et j'allai dans un jardin cleste o je vis la rcompense de sainte Walburge dans le ciel. Je la vis dans un jardin cleste avec Benot, Scolastique, Maur, Placide et plusieurs autres saints religieux de l'ordre de S. Benot. Il y avait l une table avec des fleurs et des plats merveilleux. Walburge tait au haut bout de la table et toute entoure de guirlandes et d'arcades de fleurs. Lorsque je redescendis dans l'glise, la fte tait termine : mais je reus de l'abbesse et de l'vque un pain fait de la pte grossire. Il tait marqu du chiffre IV : les pains de bonne qualit furent donns mes compagnes. L'vque me dit que mon pain tait pour moi seule et que je ne devais pas en donner d'autres. Alors il me conduisit au dehors devant la porte de l'glise o les religieuses de Sainte-Walburge avaient leur place marque et chacune un petit prie-Dieu. J'eus encoreune vision relative Walburde;, je vis comment, peu de temps avant sa bienheureuse fin, elle fut trouve comme morte son prie-Dieu. Son frre Willibald fut appel et il lui trouva le visage et les mains couverts de blanches gouttes de rose semblables la manne. Willibald recueillit cette rose dans une cuelle brune et la donna aux religieuses qui la conservrent comme une sainte relique et, aprs la mort de Walburge, oprrent par son moyen beaucoup de gurisons. Lorsqu'elle revint elle, Willibald lui donna la communion. Cette rose tait l'image qui figurait d'avance l'huile de sainte Walburge. Je vis que l'huile de sainte Walburge commena couler un jeudi cause de la grande dvotion qu'avait la sainte au Saint-Sacrement et la sueur de sang du Sauveur au jardin des Oliviers. Toutes les fois que je prends de cette huile, je me sens comme rafrachie par une rose cleste. Elle m'a t bien utile dans de cruelles maladies. Walburge tait pleine de la charit la plus affectueuse envers les pauvres. Elle les voyait en vision et savait avant qu'ils vinssent elle, dans quelle mesure elle devait leur distribuer le pain. Elle donnait des pains entiers; des moitis de pain et de plus petits morceaux qu'elle-mme coupait. Elle distribuait aussi de l'huile : il me sembla que cÕtait de l'huile de pavot trs-paisse, qu'elle y mlait du beurre, l'tendait sur le pain destin aux pauvres et leur en donnait aussi pour la cuisine. C'est cause de cette bont de l'influence calmante et consolante de sa douceur et de affectueuses paroles que ses reliques ont reu la proprit de distiller de l'huile. Elle protge aussi contre les chiens furieux et les btes sauvages. J'ai vu en vision comment visitant l nuit la fille malade d'un gentilhomme du voisinage, elle fut assaillie par les chiens furieux de celui-ci et comment elle les chassa loin d'elle. Elle portait une robe brune assez juste, une large ceinture et un voile blanc couvert d'un voile noir. C'tait l'habillement des personnes pieuses cette poque plutt qu'un vtement proprement monastique. Je vis aussi un miracle qui arriva lors des grands plerinages qui furent faits son tombeau. Deux voleurs se joignirent un plerin qui s'y rendait. Il partageait son pain avec eux : mais ils l'assassinrent pendant qu'il dormait. L'un d'eux, voulant emporter le cadavre sur son dos pour l'enfouir, ne put pas s'en dcharger: il resta attach lui comme une partie de lui-mme. Je le vis ainsi errer de ct et d'autre avec le cadavre : je le vis se jeter dans l'eau avec lui, mais la rivire ne voulut pas le garder. Il ne put pas aller au fond et il fut jet sur l'autre bord avec le cadavre. Un autre voulut un jour couper les mains du mort avec son pe, mais il ne put pas y russir ; il resta lui-mme fortement li au cadavre jusqu' ce qu'il s'en dlivrt par la prire. È Lorsque le Plerin objecta ce rcit qu'il tait singulier qu'elle vt comme vritables tant de choses tranges et de prodiges qui taient nis mme par des prtres pieux, elle rpondit : Ç On ne peut dire combien toutes les choses de ce genre paraissent simples, naturelles et bien lies quand on les voit dans l'tat contemplatif, et combien au contraire est irrflchi, draisonnable et mme empreint de folie, tout ce que font et disent raconte les gens soi-disant clairs. Souvent des personnes qui se croient trs-intelligentes et qui passent pour telles me paraissent dans un tat de draison qui pourrait les faire mettre dans une maison de fous. È
Les saints martyrs Pascal et Cyprien.
Ç Lorsque je pris mon glise pour ranger et vnrer les saintes reliques, je reconnus un fragment de l'os d'un bras comme appartenant au saint martyr Pascal.
(note) Elle eut cette vision le 26 fvrier 1821 et regarda en consquence ce jour comme tant celui de la commmoration annuelle du martyre ou de la dcouverte merveilleuse du corps de ces saints lesquels, d'aprs ce que rapportent les Acta sanctorum, furent donns le 26 fvrier 1646 par le cardinal Altieri au collge des jsuites d'Anvers. Le corps de saint Cyprien fut plus tard donn au collge de Malines.
Je le vis ds son enfance paralytique, quoique du reste bien constitu. Son pre perdit la vie dans une perscution contre les chrtiens, et je le vis aprs cela avec sa soeur chez un frre beaucoup plus g qui avait pour fils un prtre du nom de Cyprien. Je vis celui-ci dire la messe dans un souterrain. Ils habitaient contre des murs en ruine et mme dans des tombeaux souterrains. Cyprien fit preuve d'une charit incroyable envers le paralytique Pascal qui ne pouvait faire usage
d'aucun de ses membres. Je vis qu' l'ge de seize ans, Pascal demanda tre port au tombeau d'un martyr. Il y AVait une vingtaine de personnes, dont tait Cyprien, qui le portrent sur une civire un lieu o il y avait eu des martyres. Il tait tellement contrefait que ses genoux touchaient son menton. Ils allrent en silence dans le voisinage des prisons un endroit o un saint avait t soit martyris, soit enterr, je ne me souviens plus bien de ce dtail. Ils se mirent alors en prire : Pascal tait dans une espce de litire qu'on pouvait hausser et baisser, selon la posture qu'il voulait prendre. Je vis qu'il pria avec
ferveur ainsi que tous les autres et que, tout d'un coup, il se trouva guri et jeta loin de lui ses bquilles. Il avait la ferme confiance que Dieu l'assisterait en ce lieu. Je les vis tous remercier Dieu pleins de joie et embrasser Pascal qui revint avec eux en pleine sant. Je vis alors, dans une srie de tableaux, combien il tait pieux et charitable et avec quel zle il assistait Cyprien, le fils de son frre, dans les soins qu'il donnait aux pauvres. Je le vis porter sur ses paules des gens qui ne pouvaient pas marcher. Son frre an mourut : je vis qu'on l'enterra secrtement. Aprs cela il y eut une grande perscution : c'tait, je crois, sous lÕempereur Nron. Une grande quantit de chrtiens, hommes, femmes et jeunes filles, furent mens ensemble sur une place de la ville. On leur fit subir un court interrogatoire et on les livra des supplices de toute espce. On courbait des arbres rangs en ligne et l'on attachait les chrtiens par un membre l'un de ces arbres et par l'autre membre celui qui tait vis--vis : alors on les laissait se redresser et les chrtiens taient dchirs. Je vis les jeunes filles pendues par les pieds de faon que leur tte touchait presque la terre : leurs mains taient lies derrire le dos et des animaux tachets, semblables des chats, leur dvoraient le sein quand elles taient encore pleines de vie. Je vis que, lors de cette perscution, la soeur de Pascal s'enfuit avec d'autres dans un asile loign. Mais je vis Pascal et Cyprien visiter les lieux o on suppliciait les martyrs et consoler leurs amis. Au commencement on les repoussait, mais, s'tant fait connatre comme chrtiens, ils furent interrogs et martyriss avec les autres. Je vis en outre de grandes pierres plates entre lesquelles les chrtiens taient placs et crass, les bras et les jambes pendant au dehors. Quelquefois on en mettait deux face face, l'un sur l'autre et on les crasait ensemble. Pascal et Cyprien furent presss entre deux de ces pierres plates, l'un ct de l'autre. J'eus alors une vision d'un temps postrieur. Je vis les chrtiens plus libres : ils pouvaient visiter et honorer les tombeaux des saints. Je vis un pre et une mre porter entre eux un enfant paralytique dj grand travers un champ o beaucoup de martyrs taient enterrs. Il y avait dj par endroits des monuments et de petites chapelles au-dessus des tombeaux. A la limite du cimetire qui reut le nom du pape saint Calliste, les parents s'arrtrent avec l'enfant paralytique un endroit o il n'y avait que du gazon : car l'enfant avait dit que l taient enterrs deux saints qui l'assisteraient, et je le vis se lever droit et bien portant. Je crois qu'il les nomma par leurs noms. Je vis alors le pre, pendant que la mre et l'enfant remerciaient Dieu genoux, courir la ville et annoncer la grce reue. Je vis des hommes venir avec lui : il y avait parmi eux des prtres. Ils creusrent la terre avec prcaution et je vis les corps des deux saints couchs l'un ct de l'autre. Les bras qui se touchaient taient entrelacs. Ils taient trs bien conservs, tout blancs et comme desschs. Le tombeau tait quadrangulaire et l o reposaient les bras entrelacs, le petit mur de sparation tabli entre les deus corps tait interrompu. On ne les dterra pas entirement. Mais je vis qu'on fit l une fte, que le tombeau fut arrang avec soin et qu'on y dposa un crit. Il fut referm et on leva au dessus un toit support par quatre ou six colonnes et que l'on couvrit de gazon. Je vis crotre au-dessus diverses plantes dont une avec des feuilles paisses et grasses, formant une grosse touffe comme la joubarbe. Sous ce toit on cessa une pierre laquelle s'appuyait un autel. A la surface de cet autel, je vis une cavit qu'on pouvait fermer. Une inscription fut mise sur la pierre rige verticalement. Je vis clbrer la sainte messe et distribuer le Saint-Sacrement. Les communiants tenaient sous leur menton un plat avec un linge blanc. Les saints corps restrent enterrs l : mais la construction qui tait au-dessus fut plus tard dtruite. È
Ç Je vis dans une autre vision comment, longtemps aprs, on ouvrit l plusieurs tombeaux et l'on enleva les saints ossements. Je vis qu'on enleva, entre autres, les corps de Pascal et de Cyprien qui taient lÕtat de squelettes et rangs en bon ordre. Je les ai vus aussi renferms dans deux petites caisses carres : des jsuites d'Anvers les obtinrent, et je vis cette occasion une fte trs-solennelle avec une procession ; je vis aussi qu'on les enchssa richement et ils furent mis dans de belles armoires. È
Perptue et Flicit.
Le 27 fvrier 1820, elle raconta ce qui suit : Ç Cette nuit, comme je commenais me plaindre Dieu de mon triste tat, je reus de justes reproches sur ce que je me lamentais ainsi, entoure, comme je l'tais, d'un grand trsor de reliques que d'autres n'avaient acquises qu'au prix de longs voyages, et ayant mme le bonheur de vivre avec ces saints personnages et de voir ce qu'ils avaient fait et ce qu'ils avaient t. Je sentis alors combien j'avais tort, et je vis une grande troupe de saints dont les reliques sont prs de moi. Je vis l beaucoup de choses de la vie de sainte Perptue et comment ds son enfance, elle avait des visions qui reprsentaient d'avance son martyre; cela me remit en mmoire un songe de mon enfance d'aprs lequel je ne devais avoir pour toute nourriture que du pain noir et de l'eau. Je croyais que je serais rduite la mendicit. Je pensai alors que le pain noir que j'avais reu de sainte Walburge se rapportait ce songe. Je vis aussi tout le supplice des saintes Perptue et Flicit et de plusieurs autres qui furent martyriss au mme endroit, avec elles et aprs elles. Je les vis attaqus et dchirs par des btes. Ayant ainsi parl, elle prit dans sa main une des reliques, la mit sur son coeur, la baisa et dit: Ç Perptue est prs de moi. È Alors elle prit une autre petite relique et dit : Ç Ceci est quelque chose de trs-prcieux. C'est un ossement d'un jeune garon qui souffrit fort courageusement le martyre avec deux soeurs, son pre et sa mre : il tait en prison avec sainte Perptue : il fut brl vif. L'ossement rpand une vive clart. C'est un clat tout fait merveilleux, une gloire du plus beau bleu traverse par des rayons dors et c'est dans une gloire semblable qu'a lieu l'apparition de l'enfant martyr. Cette lumire rconforte un point que je ne puis exprimer. Au commencement, j'ai cru que Perptue et Flicit avaient t martyrises Rome parce que je les ai vues livres au supplice dans un difice comme il y en a Rome, mais je sais maintenant que d est dans un lieu trs-loign de cette ville. Le petit garon est mort par le supplice du feu : il y avait dans une enceinte ferme par des murs de petites minences surmontes de poteaux ou de siges sur lesquels on plaait les martyrs pour tre brls. On allumait le feu tout autour du monticule. È
2 mars. Ç Ayant prs de moi la relique de sainte Perptue, j'ai vu beaucoup de choses touchant sa captivit et aussi son martyre: mais le dois voir tout cela plus clairement le jour de sa fte. J'ai vu les saints dans une prison souterraine de forme ronde, dans laquelle ils taient spars les uns des autres par des grilles, en sorte qu'ils pouvaient s'entretenir ensemble et mme se donner la main. II faisait trs-sombre dans cette prison, cependant je vis de la lumire briller autour d'eux. Au-dessus de la prison tait une vieille btisse. Chacun tait assis seul dans sa cage. La porte de cette prison tait comme une porte de cave qu'on levait. Il y avait en outre dans le plafond environ quatre ouvertures grilles. Outre Perptue et Flicit, je vis quatre hommes. Perptue avait avec elle son enfant qu'elle allaitait; Flicit, qui tait enceinte, se trouvait dans le cachot voisin. Perptue tait grande et imposante dans tous ses mouvements, elle tait forte et bien faite. Toutes ces personnes avaient des cheveux noirs. Flicit tait beaucoup plus petite, plus dlicate et plus gracieuse. Perptue parlait tous nettement et nergiquement, et elle relevait le courage de tous les captifs. Il y avait dans une partie loigne de la prison d'autres personnes en plus grand nombre. Le courageux petit martyr tait assis prs de son pre dans un compartiment part; sa mre avec les deux jeunes filles tait dans un autre, spar du premier par un mur travers lequel je voyais. J'ai vu dans cette prison les amis des captifs s'entretenir avec eux. Devant la grille de Perptue je vis un vieillard accabl de tristesse, il s'arrachait les cheveux et pleurait beaucoup. Il n'tait pas chrtien : je crois que c'tait son pre. Je vis avec les soldats un officier compatissant ; il portait souvent Perptue du pain ou quelque autre chose qu'elle distribuait ses compagnons. Perptue avait prs d'elle un crit qu'elle cachait soigneusement. Ils portaient des habits de prisonniers, longs et assez troits : ceux des femmes taient de laine blanche grossire; ceux des hommes de couleur plus fonce. Je vis que les prisons des hommes taient plus prs de l'entre et celles des femmes plus au centre. Je vis un jeune homme mourir parmi eux dans la prison. Son corps fut enlev par les siens qui l'enterrrent. Je vis un soir Perptue s'entretenir avec un homme; ensuite, pendant la nuit, je vis prs d'elle, comme elle dormait couche par terre sur le ct, une nouvelle vision. Tout l'espace s'claira et je vis pour la premire fois cette lumire l'ensemble de la prison et comment tous taient couchs et dormaient ou bien priaient. Je vis dans cette clart une merveilleuse chelle qui atteignait jusqu'au ciel, et en bas, droite et gauche, deux dragons dont la tte tait tourne vers l'extrieur. L'chelle s'levait jusqu'au ciel et semblait aboutir par en haut un jardin. Elle consistait en une perche singulirement mince pour sa hauteur, en sorte que je m'tonnais qu'elle ne se brist pas, et de laquelle partaient droite et gauche des chelons qui pourtant ne se correspondaient pas : l'endroit o le court chelon faisait saillie gauche, le cot droit de la perche tait hriss d'une quantit de crochets, de pieux et d'instruments de supplice, et cela se rptait alternativement. Il tait presque incomprhensible que quelqu'un pt monter l. Je vis pourtant une figure monter la premire, puis, quand elle fut tout fait en haut, se tourner et descendre de l'autre ct comme si elle voulait aider un autre monter. Alors je vis l'image de Perptue, qui tait couche l et dormait, marcher sur la tte d'un dragon qui courba le cou trs-docilement ; je la vis monter et d'autres aprs elle, puis je les vis en haut dans un jardin au milieu duquel se trouvaient plusieurs figures qui les rconfortrent. Je vis une autre fois, prs de Perptue qui dormait, l'image d'un petit frre dfunt. Je vis alors un grand espace obscur et je vis l'enfant, qui semblait tre dans un triste tat, se tenir, dvor par la soif, prs d'un bassin plein d'eau, mais dont le bord tait si lev qu'il ne pouvait pas y puiser. Lorsque Perptue eut la vision de l'chelle, je vis la clart qui s'tait faite dans la prison que Flicit, sa voisine, n'tait pas encore accouche. Je vis ensuite que tous taient prosterns, le visage contre terre, et priaient, et je vis aprs cela un petit enfant couch sur les genoux de Flicit. Je vis qu'une femme qui pleurait et semblait trs-triste prit cet enfant et que Flicit le lui remit avec joie. È
Ç Je vis les martyrs conduits au supplice. On les fit sortir de la prison entre deux rangs de soldats qui les poussaient de ct et d'autre d'une manire qui faisait piti. La place on le martyre avait lieu tait divise en plusieurs parties qui dpendaient les unes des autres : ce n'tait pas tout fait dispos comme Rome. Sur le chemin je vis deux personnes montrer Perptue son enfant. Ils arrivrent d'abord pris d'une porte o tout le cortge s'arrta et o il y eut une contestation avec les prisonniers propos de quelque chose qu'ils refusaient de faire sur les exhortations de Perptue. Plus tard les personnes qui avaient l'enfant avec elles vinrent encore la rencontre de celle-ci par un chemin de traverse. Tous ceux qui taient dans la prison en avaient t tirs pour assister au martyre. Cette fois, on ne livra au supplice que Perptue, Flicit et trois hommes. Je ne puis dire quel point ces martyrs taient beaux voir. Les deux femmes taient comme transfigures et les hommes adressaient des exhortations pleines de hardiesse la foule des spectateurs. Je vis ensuite qu'on les fit marcher lentement entre deux rangs de bourreaux qui leur dchiraient les paules coups de fouet. Puis je vis deux des martyrs mis en prsence d'un animal ressemblant un norme chat tachet : il bondit sur eux plein de fureur, mais il leur fit peu de mal. Je les vis aussi trans par un ours. Ensuite on lcha sur un troisime un sanglier, mais il se retourna contre le bourreau qui fut emport tout sanglant.. È
3 mars. Ç Perptue et Flicit vinrent prs de moi et me donnrent boire. J'eus alors des visions du temps de leur jeunesse. Je les vis avec dix autres jeunes filles jouer dans un jardin de forme ronde. Il tait entour d'un mur, et on y voyait beaucoup d'arbres d'un part lgant dont la hauteur trpassait la taille humaine et qui taient entrelacs ensemble par le haut. Au milieu du jardin tait un pavillon rond sur le toit duquel on pouvait se promener. Il y avait au-dessus une statue blanche de la hauteur d'un enfant qui avait une main leve, l'autre baisse, et tenait quelque chose entre les deux. Je vis que le toit tait bord d'une grille pour qu'on ne pt pas tomber. Prs de ce pavillon tait une fontaine jaillissante, entoure d'une grille leve, tellement remplie de pointes et de piquants que les enfants ne pouvaient pas y grimper : mais ils pouvaient, au moyen d'une ouverture pratique en avant, faire couler l'eau hors de la grille dans des bassins de pierre peu profonds et en forme de conque prs desquels ils jouaient. Ils jouaient aussi avec des poupes ressorts et avec de petits animaux de bois. Je vis souvent les deux saintes s'loigner des autres et s'embrasser tendrement: j'appris par l qu'elles s'taient toujours beaucoup aimes ds leurs jeunes annes; qu'elles s'taient promis de ne jamais se sparer et que souvent, dans leurs jeux, elles faisaient comme si elles taient des chrtiennes, qu'on martyrisait et qui ne voulaient pas se quitter mme dans la mort. Sainte Monique dont j'ai une relique m'a dit que la ville s'appelle Carthage. È
6 mars. Ç J'ai t jusqu' deux heures avec Perptue et Flicit et j'ai vu constamment des scnes de leur jeunesse jusqu' leur emprisonnement. Elles n'habitaient pas l'endroit o elles furent mises en prison et martyrises, mais une demi-lieue environ, dans un faubourg moins bien bti et o les maisons ne se touchaient pas d'aussi prs. Cet endroit tait reli la grande ville par un chemin bord de deux murs peu levs, qui passait sous plusieurs hautes portes cintres. La maison des parents de Perptue tait sur une place ouverte : elle tait assez grande et les parents paraissaient des gens de distinction. Il y avait une cour ferme avec un pristyle intrieur, mais ce n'tait pas tout fait comme dans la maison d'Agns Rome. On voyait aussi des statues dans le passage. Devant la maison tait la place: derrire, mais non pas tout contre le jardin rond que j'ai vu rcemment. Je vis que la mre de Perptue tait chrtienne en secret et savait quelle tait la croyance de ses enfants. Il y avait des jeunes gens dans la maison : le pre seul tait paen et resta tel. Je vis que les parents de Flicit, qui tait plus jeune que Perptue, taient de trs pauvres gens, habitant de l'autre ct de la villa une misrable petite maison qui tait btie dans le mur d'enceinte. La mre tait une femme brune, vive, assez grasse, et le pre tait dj avanc en ge l'poque du martyre. Je vis ces gens porter au march dans des paniers des fruits ou des lgumes. Je vis souvent Perptue aller les voir. Etant jeune fille, elle tait dj trs-lie avec Flicit, et ses frres et d'autres jeunes gens avaient avec elles des relations trs-innocentes. Je les vis souvent ensemble dans ce jardin dont j'ai parl. Perptue et Flicit, dans leurs jeux d'enfants, taient toujours chrtiennes et martyres. Et je vis Perptue ds sa jeunesse faire le bien et propager la foi chrtienne avec une hardiesse vraiment hroque. Je la vis aussi, cause de cela, courir des dangers auxquels elle chappait toujours. Les parents de Flicit taient chrtiens en secret. Celle-ci tait gracieuse et dlicate et, proprement parler, plus belle que Perptue qui avait des traits un peu plus forts et plus marqus et quelque chose de hardi et de viril dans ses allures. Toutes deux avaient le teint assez brun, comme tous les gens de ce pays, et leurs cheveux taient noirs. Je vis Perptue jeune fille aller souvent chez Flicit et je vis aussi leurs futurs maris : ils taient trs-pieux, doux de caractre et chrtiens en secret. Perptue avait appris par une vision que, si elle se mariait, elle arriverait plus tt au martyre. Elle avait vu dans cette vision une grande partie de ses supplices et aussi le mcontentement de son pre. Perptue arrangea le mariage de Flicit : elle-mme tait dj marie. Elle soutint aussi son amie dans sa pauvret. Le mari de Perptue, ce qu'il me parut, tait d'une condition fort au-dessous de la sienne. Elle paraissait l'avoir pris uniquement cause de sa vertu. Quand elle quitta pour lui la maison paternelle, elle fut vue de mauvais oeil par certains amis et je la vis aller seule avec lui : son pre aussi paraissait peu satisfait de cette union. Le mari de Flicit tait un bon chrtien trs-pauvre. Ils allaient la nuit dans un lieu loign et cach : c'tait comme un grand caveau souterrain assez bas et reposant sur des piliers carrs : il tait hors des murs de la ville sous des difices en ruine. Ils taient l trs-tranquilles, ils voilaient toutes les ouvertures et allumaient des flambeaux. Il y avait bien l une trentaine de personnes, ranges en diverses sections. Je n'y ai pas vu clbrer le service divin, on donnait seulement des instructions. È
7 mars. Ç Je vis venir deux saints d'un ct de mon lit, trois saintes de l'autre ct. C'taient Perptue, Flicit et la mre du mari de Perptue, une vieille femme au teint basan: les hommes taient leurs maris. Perptue et Flicit me mirent dans un autre lit dgag de tous cts et, qui avait des rideaux bleus attachs avec du crpe rouge. La belle-mre apporta devant ce lit une table ronde qui ne touchait pas la terre et y plaa toute sorte de plats merveilleux. Il semblait qu'elle ft cela au nom de Perptue. Les deux saintes passrent devant mon lit et entrrent dans une autre pice plus grande. Je crus que cette marche silencieuse signifiait quelque chose de fcheux pour moi et cela m'affligea. La belle-mre les suivit : les deux martyrs aussi disparurent. Alors je m'aperus que mes mains et mes pieds saignaient et je vis tout coup venir moi, comme pour m'assaillir, plusieurs hommes dont l'un disait: Ç Ah! ah! elle mange! È Cela ne dura pas longtemps. Alors les saints revinrent prs de moi et la belle-mre me dit que j'aurais eu une rude perscution supporter l'occasion du saignement de mes plaies, si l'intercession des saints ne l'avait pas dtourne ou mitige. Elle ajouta que les trois enfants que j'avais habills pour la communion avaient par leurs prires dtourner de moi bien des tribulations, et qu'au lieu de souffrir une nouvelle perscution, il me fallait endurer une maladie douloureuse : c'tait pour cela que, je recevais tous ces beaux aliments. C'taient des fruits, de jolis pains sur des assiettes d'or avec des inscriptions en lettres bleues, enfin des fleurs. La sainte femme tait prs de moi et elle me dit beaucoup de choses. Elle tait entoure d'une aurole toute blanche qui se perdait dans un fond gris. Elle me dit qu'elle tait la mre du mari de Perptue et qu'elle avait vcu prs d'eux. Elle n'ait pas t mise en prison ni martyrise avec eux : elle tait pourtant maintenant prs d'eux, parce que, comme beaucoup d'autres pendant la perscution, elle tait morte de chagrin et de dnuement dans un endroit o elle tait cache et que Dieu lui avait compt cela comme martyre.
Perptue et Flicit auraient bien pu se drober au supplice, mais perptue le dsirait plus qu'elle ne le craignait: quand la perscution avait commenc, elle avait confess trs-ouvertement sa qualit de chrtienne. Elle me dit aussi que Perptue s'tait marie par suite d'une vision et pour sortir de la maison de son pre. Je vis celui-ci : c'tait un vieillard robuste, mais de petite taille : il tait rarement chez lui. Il se tenait au second tage o tait aussi sa femme. Il pouvait voir tout ce qu'elle faisait, car leurs appartements n'taient spars que par une lgre cloison en clayonnage au haut de laquelle tait pratique une ouverture avec une coulisse. Il s'occupait peu d'elle et pourtant il semblait la voir avec dfiance, parce qu'elle tait chrtienne. Je vis souvent la femme dans cette chambre : elle semblait lente dans ses mouvements : elle tait assez forte, et se tenait le plus souvent assise ou tendue sur une espce de prie-Dieu. Je la vis faire avec des btonnets une sorte de tricot grossier. Les murs de la chambre taient peints de diverses couleurs comme Rome, mais avec moins d'lgance. Quand le pre tait au logis, tout tait silencieux et sentait la gne : quand il tait dehors, la mre tait affectueuse avec les enfants. Je vis dans la maison, outre Perptue, une couple de jeunes gens. Lorsque Perptue avait environ dix-sept ans, je la vis dans une chambre soigner un enfant malade g de sept ans, et lui mettre des bandages. Cet enfant avait au visage un horrible ulcre qui le dfigurait entirement : il manquait de patience dans sa maladie. Les parents n'allaient pas le visiter. Je le vis mourir dans les bras de Perptue qui l'enveloppa tout entier dans des linges et le cacha. Le pre et la mre ne le virent plus.
Ç Flicit tait servante dans une maison et l'un des compagnons de son martyre servait avec elle. Elle venait, frquemment dans la maison de ses parents et y couchait. Perptue y apportait souvent, la nuit ou au crpuscule, des aliments qu'elle tenait cachs dans une petite corbeille ou mme sous ses vtements, et ces gens en faisaient leur profit ou le portaient des chrtiens cachs dont beaucoup mouraient de faim. Je vis de mes yeux toutes ces alles et venues. Perptue n'tait pas belle de visage, elle avait le nez court et un peu cras, les pommettes des joues larges et les lvres retrousses comme beaucoup de personnes dans ce pays. Elle avait de longs cheveux noirs tresss autour de la tte. Elle tait habille la mode romaine, mais non pas tout fait aussi simplement qu'on l'tait Rome : sa robe avait des dentelures autour du cou et aussi sur les bords; et le vtement de dessus semblait aussi un peu chamarr de passements. Du reste elle avait des dehors imposants, une grande taille et quelque chose de trs-dcid dans les manires. Je vis dans la maison de Perptue les maris des deux saintes faire leurs adieux leurs femmes et s'enfuir. Ils chapprent la perscution. Quand ils furent partis, je vis Perptue et Flicit se jeter tendrement dans les bras l'une de l'autre comme si elles se fussent senties plus joyeuses. La maison de Perptue tait plus petite que celle de ses parents. Elle n'avait qu'un tage et la cour n'tait entoure que d'un clayonnage en bois. Le matin, au point du jour, je vis une troupe de soldats assaillir la maison o se trouvaient Perptue, Flicit et la belle-mre de celle-ci. Ils s'taient dj saisis de deux des jeunes hommes devant la porte. Perptue et Flicit allrent leur rencontre et partirent avec eux pleines de joie. La belle-mre garda l'enfant et personne ne s'enquit d'elle. Ces quatre personnes furent alors conduites, accables de coups et de mauvais traitements, non par le chemin ordinaire le long des murs et sous les arcades, mais par un autre chemin allant travers champs, dans une mchante maison qui ressemblait un blockhaus isol, en attendant qu'on les mentit dans la prison de la ville. Je vis, quelque temps aprs, un jeune homme frapper la porte de la prison jusqu' ce que les soldats l'y eussent introduit et runi aux autres prisonniers. J'y ai vu aussi venir le pre de Perptue : il priait, il suppliait, il la conjurait de renoncer sa foi : il finit par la frapper au visage. Elle parla avec beaucoup de gravit et souffrit tout avec patience. Je vis ensuite comment ils furent conduits, travers une partie de la ville et le long de plusieurs murs, dans la prison souterraine o taient dj beaucoup d'autres personnes. Je vis encore l de nouveau la vision de l'chelle qui fut montre Perptue, et comment Perptue, dans cette vision, monta jusqu'au haut de l'chelle et redescendit aprs avoir reu quelque chose qui la rconforta. Je vis comment, en descendant, dans un moment o elle regardait de ct, elle dchira aux pieux une partie de son vtement au-dessus de la hanche. C'tait l'endroit o plus tard, lors de son martyre, je vis sa robe dchire, pendant qu'elle tait lance en l'air par la vache furieuse. Je vis Perptue, qui tait couche par terre, se remuer tout coup comme pour ranger son vtement : ce fut l'instant o, dans la vision, elle vit sa robe dchire la descente de l'chelle. Je la vis souvent dans la prison parler hardiment aux prposs, porter la parole au nom de ses compagnons de captivit et inspirer tous le respect. Pendant le martyre, sous les coups de la vache, je vis Perptue comme absorbe dans une vision et n'ayant pas conscience de son supplice. Elle fut misrablement trane de ct et d'autre et enfin lance en l'air d'une manire effrayante. En retombant, elle mit son vtement en ordre et sembla pendant un instant avoir la connaissance de ce qui se passait. Lorsqu'ensuite elle fut emmene par des chemins de traverse dans une autre cour, je la vis demander si elle subirait bientt son supplice. Elle tait toujours en contemplation, elle ne savait rien de ce qui se passait. Il y avait de petits siges au milieu de la place, on y trana quelques-uns des martyrs et on leur pera la gorge. Il tait affreux de voir combien Perptue avait de difficult mourir. Le bourreau la frappa dans les ctes, puis au cou au-dessus de l'paule droite il fallut qu'elle conduist sa main. Couche par terre, elle tendit encore la main; elle mourut la dernire et avec une difficult incroyable. Ils furent tous jets en tas. On avait amen les deux femmes dpouilles de leurs habits et enveloppes dans un filet : mais par suite des coups et de la flagellation qui leur avaient t infligs, elles avaient le corps tout couvert de sang. Les corps furent emports secrtement et enterrs par des personnes de Carthage. Je vis beaucoup de gens convertis par l'hrosme de Perptue: la prison fut bientt remplie de nouveau. È
8 mars. Ç J'ai eu toute la nuit prs de moi les reliques de Perptue et de Flicit; mais, ma grande surprise, je n'ai rien vu qui les concernt. J'avais pourtant espr de voir encore quelque chose d'elles, mais je n'ai pas aperu la moindre chose. Je reconnais par l que ces visions sont quelque chose de trs-srieux et qu'on ne les a pas quand on veut. È
Saint Thomas d'Aquin.
Ç Ma soeur avait reu en cadeau d'une pauvre femme une relique enchsse qu'elle avait mise dans son coffre. J'en sentis la prsence et je donnai ma soeur en change une image de saint. Je vis que cette relique rpandait une belle lumire et je la mis dans ma petite armoire. Or, la nuit dernire, aprs avoir souffert toutes-les douleurs et les supplices qui peuvent torturer un corps humain, j'eus une vision touchant saint Thomas d'Aquin. Je vis dans un grand difice une nourrice avec un enfant auquel elle donna un petit papier o tait crit Ave Maria. L'enfant le saisit vivement, le porta sa bouche et ne voulut plus le lcher : sa mre tant venue d'un autre ct de la maison voulut le lui prendre, mais l'enfant se dbattit et pleura beaucoup. La mre ouvrit de force sa petite main et prit le papier : mais le voyant pleurer si fort, elle le lui rendit et l'enfant l'avala. J'entendis une voix intrieure me dire : Ç C'est Thomas d'Aquin ! È et je vis ce saint venir plusieurs fois moi de ma petite armoire, mais ayant chaque fois un ge diffrent. Il me dit qu'il me gurirait de mon point de ct. Alors la pense me vint que mon confesseur tait de son ordre et que, si je pouvais lui dire que saint Thomas m'avait gurie, il croirait sans peine que sa relique tait l, prs de moi. Mais le saint me dit : Ç Dis-lui seulement que je te gurirai. È Aprs cela il s'approcha de moi et me posa une ceinture sur la tte. È Le confesseur raconta alors au Plerin ce qui suit : Ç Elle parla de saint Thomas, dit qu'il voulait la gurir, qu'il tait prs d'elle, qu'il la gurirait certainement si lui, son confesseur, le voulait. Je lui ordonnai alors de chercher la relique. Elle me la donna, mais son point de ct la rendait si malade et l'avait mise dans un tel tat qu'elle ne pouvait, pour ainsi dire, ni vivre ni mourir. Je lui mis la relique sur le ct et lui dis de prier et d'avoir toute confiance en Jsus-Christ. Je priai de mon ct et je me dis, que si c'tait rellement saint Thomas, elle pourrait se remettre et gurir. Tout coup, elle se releva dans son lit sur ses pieds avec une agilit extraordinaire et voulut sortir du lit et me porter la relique. Ç Je ne sens plus rien, dit-elle, et je n'ai plus de point de ct. Le saint m'a gurie et m'a dit qu'il fallait supporter mes autres douleurs. È - ÇJ'ai vu en outre divers traits de sa vie et spcialement qu'tant tout petit enfant, il feuilletait continuellement des livres et ne voulait pas les laisser mme quand on le baignait. J'ai vu aussi que cette relique a t donne notre couvent par un Augustin qui en fut le premier suprieur. Je vis beaucoup de choses de la vie de ce saint homme et comme quoi il fit dcorer de nouveaux ornements toutes les reliques du couvent. Une demoiselle trs pieuse vivait alors dans notre couvent ; je l'ai revue cette occasion plusieurs autres fois. È Dans la journe Anne Catherine, tant en extase, voulut encore se lever et porter la relique au Plerin. Elle tait trs-occupe du saint.
Le bienheureux Hermann Joseph.
Ç j'ai eu des visions touchant les annes de son enfance. Il avait, tant enfant, une petite image de Marie sur parchemin, c'tait un petit rouleau qu'il portait sur lui : il y attachait un mchant cordon et la pendait son cou. Il faisait cela avec beaucoup de simplicit et de foi et lui rendait sans cesse des honneurs. Quand il jouait seul dans sa cour, deux jeunes garons venaient toujours lui; ce n'taient pas des enfants des hommes, mais il ne le savait pas. Il jouait avec eux en toute simplicit et les cherchait souvent parmi les enfants de la ville, mais il ne pouvait pas les y trouver. Quand il quittait les autres enfants pour les chercher, ils ne venaient pas : ils venaient seulement quand il tait seul. Je le vis une fois jouer, prs de Cologne, dans une prairie, au bord d'un ruisseau qui coule travers le champ du martyre de sainte Ursule. Je le vis tomber dans le ruisseau : mais plein d'une confiance nave, il leva au-dessus de l'eau sa petite image de la Mre de Dieu afin qu'elle ne se mouillt pas. Et je vis comment la sainte Vierge, le prenant par l'paule, l'leva au-dessus de l'eau et l'en retira. Je vis en outre beaucoup d'autres scnes touchant la grande familiarit de ce jeune garon avec la sainte Vierge et l'enfant Jsus ; je vis comment tant dans l'glise, il offrit Marie une pomme qu'elle accepta ; comment il trouva dans l'glise, sous une pierre, de l'argent qu'elle lui avait indiqu dans un moment o il n'avait pas de chaussure ; comment elle l'assistait dans ses tudes. È
Saint Isidore.
Ç Je vis plusieurs scnes de la vie de ce saint laboureur et comment il tenait sa maison. Il y avait quelque chose d'lgant et de dgag dans son costume. Son pourpoint tait court avec beaucoup de boutons par devant et par derrire; il avait sur les paules une garniture dentele, les manches taient aussi denteles, la jaquette tait brune. Il portait des chausses larges et courtes avec des rubans. Ses pieds taient lacs. Il avait une coiffure formant des angles : c'tait comme un chapeau forme basse dont les rebords auraient t relevs et assujettis par un bouton : c'tait une espce de barrette. Isidore tait un grand et bel homme; il n'avait pas la figure d'un paysan, mais quelque chose de distingu dans les traits. Je vis sa femme qui tait aussi une grande, belle et sainte personne. Ils avaient un fils que je vis auprs d'eux, une fois trs jeune, une autre fois g d'environ douze ans. Leur maison tait situe prs d'un champ d'o l'on pouvait voir la ville voisine qui tait peu prs une demi-lieue. Je vis beaucoup d'ordre et de propret dans la maison. J'y vis encore d'autres personnes qui n'taient pas ses valets. Je vis que sa femme et lui ne faisaient rien sans commencer par la prire et que notamment ils bnissaient chaque plat. Il ne priait pas longtemps; il tait tout de suite en contemplation. Quand il passait devant son champ, je le voyais bnir la terre avant de commencer son travail. Je vis qu'il recevait une assistance surnaturelle pour son agriculture. Je vis souvent plusieurs charrues tranes par des bÏufs blancs et conduites par des apparitions lumineuses ouvrir la terre devant lui : son travail tait achev avant qu'il y et pens. Il paraissait du reste ne pas voir cela, car son esprit tait toujours absorb en Dieu. Je vis que quand il entendait sonner les cloches de la ville; il laissait tout en suspens dans les champs, courait entendre la sainte messe et suivre d'autres exercices de dvotion auxquels il assistait comme ravi en esprit. Je le voyais ensuite revenir joyeux et son travail se trouvait fait. Je vis une fois son petit garon tenant les traits derrire les bÏufs et conduisant la charrue avec lui : les bÏufs taient pleins de bonne volont. Alors les cloches sonnrent la messe; il courut l'glise et je vis pendant ce temps les bÏufs aller au champ et, sous la conduite d'un faible enfant, labourer facilement la terre. Je vis qu'un jour, comme il priait l'glise, on vint lui dire qu'un loup dchirait son cheval : mais il resta agenouill, recommandant l'affaire Dieu, et quand il revint au champ, il trouva le loup tendu mort devant le cheval. Je vis souvent sa femme dans les champs, prs de lui, le matin et midi. Je les vis tous deux piocher dans le champ et je vis plusieurs ouvriers invisibles travailler prs d'eux, en sorte qu'ils eurent bientt fini. Son champ tait plus beau et plus fertile que tous les autres et les produits semblaient d'une qualit suprieure. Je vis qu'ils donnaient tout aux pauvres, que souvent ils n'avaient presque plus rien au logis, qu'alors, pleins de confiance en Dieu, ils cherchaient encore et trouvaient d'abondantes provisions. Je vis souvent que des ennemis voulaient faire du mal au btail d'Isidore quand il l'abandonnait pour aller la messe, mais ils ne pouvaient y russir et ils taient repousss. Je vis aussi beaucoup de scnes de sa sainte vie. Je le vis ensuite parmi les saints ; une fois, dans son costume de paysan, ce qui tait quelque chose d'tonnant, puis, plus tard, sous la forme d'me bienheureuse.
Saint Etienne, saint Laurent, saint Hippolyte.
Le 8 aot 1820 Anne Catherine dit au Plerin : Ç Parmi les reliques qui se trouvent prs de moi, je sens celle de saint Laurent. C'est un petit fragment d'os, dans une enveloppe brune. È Le Plerin chercha dans la cassette et trouva dans une enveloppe brune deux ossements entours de fil d'or. II lui prsenta l'un et l'autre : peine les eut-elle dans les mains qu'elle dit: Ç L'un d'eux est de saint Etienne: oh! quel prcieux trsor! l'autre est de saint Laurent. È (Alors elle parut plus profondment absorbe.) Ç Voyez, ils sont l tous deux. Laurent laisse la premire place Etienne. Etienne a un vtement blanc de prtre juif et une large ceinture : il a aussi un morceau d'toffe sur les paules. C'est un beau jeune homme : il est plus grand que Laurent. Laurent a un ample vtement de diacre. È Elle tmoigna ensuite une grande joie d'avoir trouv ce trsor : mais bientt, pntre de la vrit de l'apparition, elle dit : Ç Nous n'avons pas d'ossements d'eux, car ils vivent encore : ils sont l, c'est vraiment risible; comment pouvais-je croire que nous avons des ossements d'eux, puisqu'ils sont vivants?
Plus tard elle dit : Ç Etienne, outre le vtement sacerdotal blanc avec sa large ceinture, avait, sur les paules un collet taillad, tiss de rouge et de blanc : il tenait une palme la main. Laurent m'est apparu dans une longue robe plis d'un blanc bleutre avec une large ceinture et une tole autour du cou. Il n'tait pas aussi grand qu'Etienne, mais il tait, comme lui, jeune, beau et plein de courage. Son ossement doit avoir t bruni par le feu : il est envelopp dans un morceau d'toffe noire. È (Le Plerin trouva la relique, dont il ouvrit l'enveloppe, telle, qu'elle l'avait dcrite.) Ç Le gril avait un rebord comme une pole: il y avait aux quatre cts une poigne qui se relevait : il tait comme un cercueil, plus large d'en haut que d'en bas : il avait six pieds et quatre barres transversales plates. Lorsque le saint y tait tendu, une barre de fer tait place sur lui en travers. Il avait ce gril prs de lui lors de l'apparition. È
Le jour de la fte de saint Laurent, elle raconta ce qui suit : Ç Je vis que Laurent tait Espagnol, natif de la ville de Huesca. Sa mre s'appelait Patience, j'ai oubli le nom de son pre; c'taient de pieux chrtiens. Il n'y avait pas que des chrtiens dans cet endroit : les maisons de ceux-ci, taient marques de croix tailles dans la pierre; quelques-unes de ces croix avaient une traverse simple, d'autres une double. Je vis que Laurent avait une singulire dvotion envers le Saint-Sacrement et que, vers sa onzime anne, Dieu lui fit le don merveilleux d'en reconnatre la prsence, en sorte qu'il le sentait approcher mme quand on le portait cach: Il l'accompagnait partout o on le portait et avait pour lui la plus profonde vnration. Ses parents, quoique pieux, n'avaient pas un sentiment aussi vif l'gard du Saint-Sacrement et ils blmaient son zle comme excessif. Je vis une preuve touchante de son amour pour l'auguste sacrement. Laurent vit porter en secret la sainte eucharistie une malade atteinte de la lpre et fort dgotante, qui demeurait dans une misrable cabane adosse au mur de la ville. Il accompagna le prtre, par dvotion, jusque dans cette cabane et suivit des yeux, tout en priant, la sainte crmonie. Le prtre prsenta la malade le corps du Seigneur, mais elle vomit et le saint viatique fut rejet de sa bouche avec son vomissement. Le prtre, dont j'ai su le nom, devint aussi un saint :mais en ce moment il fut tout boulevers, ne sachant comment retirer le sacrement de ces djections immondes. Le jeune Laurent vit tout cela de l'endroit o il se tenait cach: ne pouvant plus matriser son amour pour le trs-Saint-Sacrement, il se prcipita dans la chambre : surmontant son dgot, il se jeta sur les matires rejetes par la malade et, adorant profondment le corps du Seigneur, il le prit entre ses lvres. Je vis que par suite de cette victoire hroque sur lui-mme, il reut de Dieu le don d'un grand courage, et d'une force insurmontable. J'ai vu aussi d'une manire que je ne puis dcrire comment il n'tait pas n du sang, ni de la volont de l'homme, mais de Dieu (Jean I,13). Je le vis au moment de sa naissance et il me fut dit que ses parents l'avaient engendr en esprit de renoncement, avec des sentiments de confusion et de pnitence, tant en tat de grce, et aprs avoir reu le sacrement; qu'il avait t ainsi consacr Dieu ds sa conception et qu' cause de cela il avait eu en partage une vnration prcoce envers le Saint-Sacrement et le sentiment de sa prsence. J'eus une grande joie de voir en cette circonstance un enfant recevoir la naissance comme j'ai toujours cru que cela devait arriver dans le mariage chrtien, o lÕunion devrait avoir lieu comme un acte de pnitence humiliant. Bientt aprs son acte hroque, Laurent alla Rome, du consentement de ses parents. Je l'y vis aussitt en compagnie des prtres les plus saints, chri particulirement du Pape saint Sixte et ordonn diacre. Je le vis servir la messe au Pape et comment le Pape, aprs avoir communi lui-mme, lui donna la communion sous les deux espces. Je le vis aussi distribuer le sacrement aux chrtiens. Il n'y avait pas de table de communion comme aujourd'hui, mais, la droite de l'autel, se trouvait une grille avec un appui qui se relevait et derrire lequel les communiants s'agenouillaient. Les diacres devaient ordinairement se relayer pour l'administration du sacrement, mais je vis qu'auprs de saint Sixte, Laurent remplissait toujours cette fonction la place des autres. Lorsque le Pape fut conduit en prison, je vis Laurent courir aprs lui, le conjurant de ne pas le laisser en arrire, et je vis que Sixte, par une inspiration divine, lui prdit son prochain martyre et lui ordonna de distribuer aux pauvres les trsors de l'glise. Je le vis alors, portant sur sa poitrine une grande quantit d'argent, aller chez une veuve nomme Cyriaque, chez laquelle taient cachs beaucoup de chrtiens et de malades : je le vis laver humblement les pieds tous, soulager par l'imposition des mains cette veuve qui depuis longtemps souffrait de violents maux de tte, gurir aussi des paralytiques; des infirmes et des aveugles et distribuer de l'argent. La veuve lÕaidait en toutes choses, notamment convertir en argent les vases sacrs. Je le vis, cette mme nuit; entrer dans un caveau, pntrer dans les catacombes une grande profondeur, faire des aumnes, porter secours, distribuer aussi le sacrement, donner tous de grandes consolations, et leur inspirer un courage extraordinaire : car il y avait en lui une force d'me surnaturelle et une srnit grave et sainte. Je le vis courir avec Cyriaque la prison du Pape :lorsque celui-ci fut conduit au supplice, Laurent lui dit qu'il avait distribu les trsors de l'glise et qu'il voulait le suivre la mort comme son ministre l'autel. Le Pape lui prdit de nouveau son martyre, et il fut arrt par les soldats, parce qu'il avait parl de trsors. È (Elle vit aussi tout le martyre de saint Laurent avec toutes les circonstances accessoires, comme la conversion de Romain et dÕHippolyte et les gurisons opres dans la prison; telles qu'elles sont racontes dans la lgende, ainsi que les apparitions des anges et l'assistance qu'ils lui donnrent pendant son supplice, en un mot, tout ce que contiennent les actes de son martyre.) Ç Le supplice ne finissait pas, il se prolongea toute la nuit avec une incroyable cruaut. Entre deus cours destines aux supplices tait un pristyle couvert o se faisaient tous les prparatifs et o se trouvaient tous les instruments du martyre. Les salles taient ouvertes : on y admit beaucoup de spectateurs et le supplice eut son cours jusqu' ce qu'on mit Laurent sur le gril. Aprs avoir reu les consolations de l'ange, il se retourna sur le gril et dit quelques paroles avec calme et srnit. Il se plaa lui-mme sur le gril et ne s'y laissa pas attacher. J'eus l'impression que, grce l'assistance divine, il resta insensible pendant la plus grande partie du supplice et que ce fut comme s'il tait couch sur des roses : d'autres martyrs ont eu de plus terribles souffrances. Ses vtements de diacre taient blancs. Il portait une ceinture, une tole, un collet fond taillad sur les paules et une espce de mantelet comme tienne. Je vis Hippolyte et le prtre Justin lui donner la spulture : beaucoup de personnes pleuraient sur son tombeau et on y dit la messe. Laurent m'est aussi apparu un jour o j'avais des scrupules quant la rception du Saint-Sacrement. Il m'interrogea sur l'tat de mon me, et quand je le lui eus dcrit, il me dit que je pouvais communier encore le jour suivant. È
En reconnaissant une relique de saint Hippolyte, elle dit : Ç J'ai eu des visions sur sa vie: je le vis enfant, n de parents indigents. Son pre mourut de bonne heure. Sa mre tait une femme insupportable et, quoique pauvre et de basse condition, elle tait dure et orgueilleuse vis--vis d'autres pauvres. Plusieurs traits de la jeunesse d'Hippolyte me furent montrs et il me fut dit alors que c'taient les premires racines de la grce qui lui tait rserve de devenir chrtien et martyr de Jsus-Christ. Il me fut montr quelles grces se rattachent aux actions gnreuses, mme des paens. Je vis sa mre en querelle avec une autre pauvre femme : elle la traita fort mal et la chassa de sa maison avec des injures hautaines. Je vis que cela fit beaucoup de peine au petit Hippolyte, qu'il prit en cachette un de ses vtements de dessous et le porta cette femme comme si sa mre le lui et envoy en signe de rconciliation. Il ne dit pas cela en termes exprs l'offense, mais elle dut naturellement le croire. Je la vis retourner chez la mre d'Hippolyte et celle-ci la recevoir avec bienveillance parce qu'elle tait surprise de voir cette femme revenir elle si amicalement, aprs la manire dont elle l'avait traite. Je vis encore d'autres actes de charit de ce jeune garon. Il devint soldat, et je vis alors qu'un de ses amis devant un jour recevoir un chtiment svre cause d'une infraction la discipline. Hippolyte, pour le lui viter, se prsenta au chef comme tant le coupable. Cette accusation spontane fut cause que la punition qu'il reut la place de l'autre fut adoucie. Son ami s'attacha tellement lui par suite de cet acte de charit qu'il devint avec lui chrtien et martyr. Il me fut suggr, cette occasion, que les actions charitables et les bonnes oeuvres provenant d'une charit cordiale ne sont jamais perdues aux yeux du Seigneur, mais prparent celui qui les accomplit recevoir plus tard de grandes grces. Je vis ensuite comment Hippolyte fut commis la garde de saint Laurent, et combien il fut touch de voir celui-ci prsenter les pauvres l'empereur comme tant les trsors de l'glise. Hippolyte tait plein de droiture et il tait paen de la mme faon que Paul tait juif. Je vis qu'il se convertit dans la prison et qu'aprs le martyre de Laurent, il pleura et pria trois jours et trois nuits sur son tombeau avec beaucoup d'autres chrtiens. Justin clbra la sainte messe sur le tombeau et distribua aussi la communion que tous ne purent pas recevoir, mais sur ceux mme qui ne la reurent pas, je vis rayonner la flamme du dsir. Le prtre les aspergea tous avec de l'eau. Le tombeau tait isol, au del d'une colline, dans un lieu o il ne pouvait pas attirer l'attention. Je vis bientt Hippolyte arrt avec plusieurs de ceux qui habitaient la mme maison. Il fut tran par des chevaux dans un lieu dsert peu loign du tombeau de saint Laurent. Les chevaux ne voulaient pas avancer. Les valets du bourreau les frapprent, les piqurent, les brlrent avec des torches et il fut plutt cartel que tran. On avait dispos l dans beaucoup d'endroits des tas de pierres, des trous et des pines pour dchirer le corps. Une vingtaine d'autres furent martyriss avec lui et notamment son ami. Il portait une robe baptismale blanche. È
Saint Nicodme.
Elle avait plusieurs fois assur qu'il devait se trouver dans Çson gliseÈ une relique da Nicodme, car elle l'avait vu en vision visiter secrtement Jsus pendant la nuit. Elle trouva la relique, et quand elle l'eut prise, elle eut, une vision dont elle communiqua ce qui suit : Ç Je vis que Nicodme, lorsqu'aprs avoir mis Jsus au tombeau, il revint avec Joseph et les autres, n'alla pas au Cnacle o quelques aptres taient cachs. Il voulut retourner seul chez lui portant avec lui les linges qui avaient servi descendre Jsus de la croix, mais les Juifs lui avaient tendu des embches. Ils le saisirent et le mirent dans une chambre qu'ils fermrent soigneusement. Ils voulaient le laisser l jusqu'aprs le sabbat et ensuite le mettre en jugement. Mais je vis pendant la nuit un ange venir lui. Il n'y avait pas de fentre dans 1a chambre : ce fut comme si l'ange soulevait le toit et faisait passer Nicodme par-dessus le mur. Alors je le vis aller dans la nuit rejoindre les autres au Cnacle. Ils le cachrent, et, deux jours aprs, lorsqu'il sut que le Christ tait ressuscit, Joseph d'Arimathie l'emmena avec lui et le tint un certain temps cach dans sa maison jusqu'au moment o ils furent chargs l'un et l'autre de rpartir les aumnes parmi les chrtiens. Ce fut alors que les linges qui avaient servi pour la descente de croix tombrent entre les mains des Juifs. Je vis encore comment, dans la troisime anne d'aprs lÕascension du Christ, l'empereur romain fit venir Rome Vronique, Nicodme et un disciple nomm Epaphras, parent de Jeanne Chusa. Il voulait voir des tmoins de la mort et de la rsurrection de Jsus. Epaphras tait un disciple d'une grande simplicit et trs-serviable. Il avait t serviteur du temple et messager des prtres Jrusalem. Il avait vu Jsus ressuscit, ds les premiers jours, en mme temps que les aptres : il l'avait vu encore plusieurs autres fois. Je vis Vronique chez l'empereur: il tait malade, sa couche tait leve sur des degrs; un grand rideau tait suspendu au devant. La chambre tait de forme carre et n'tait pas grande. Je ne vis pas de fentre, la lumire venait d'en haut : des cordons taient attachs des clapets qu'on pouvait ouvrir. Lorsque je vis Vronique le visiter, il n'y avait personne prs de lui ; ses gens taient dans l'antichambre. Je vis qu'elle avait avec elle le saint suaire et un des linges du tombeau: elle tendit le suaire devant lui: la face tait sur l'un des cts. C'tait une longue bande d'toffe, une espce de voile que Vronique portait autour de la tte et du cou. La face du Christ ne ressemblait pas une peinture : elle tait imprime sur le linge avec du sang et elle tait plus large que dans un portrait, parce que le linge avait t appliqu tout autour du visage ; sur lÕautre linge je vis l'empreinte sanglante du corps de Jsus flagell. Je crois que c'tait un linge sur lequel il avait t lav avant la mise au tombeau. Je ne vis pas que l'empereur ft en contact avec ces linges ni qu'il les toucht, mais il fut guri par leur vue. Il voulait retenir Vronique, lui faire de riches prsents, lui donner une maison et des gens pour la servir : mais elle demanda seulement retourner Jrusalem et mourir o Jsus tait mort. Je vis dans une autre vision, Pilate mand devant l'empereur qui tait trs en colre. Je vis que Pilate, avant d'y aller, mit sur sa poitrine, sous son vtement, un morceau du manteau de Jsus que lui avaient donn les soldats. Je le vis parmi des soldats, attendant l'empereur. Il semblait que l'on st dj combien l'empereur tait irrit. Il arriva plein de colre, mais, ds qu'il fut prs de Pilate, il s'adoucit beaucoup et l'couta avec bont. Lorsque Pilate se fut retir, je vis l'empereur se remettre en colre et le faire encore mander devant lui, puis s'adoucir de nouveau, et je vis que c'tait l'effet du voisinage du manteau de Jsus que Pilate avait sur la poitrine. Je crois pourtant qu'aprs cela, je vis Pilate, lorsqu'il se fut retir, condamn l'exil o il finit misrablement ses jours. Nicodme fut plus tard maltrait par les Juifs et laiss pour mort. Gamaliel le fit porter dans sa proprit, o Etienne tait enterr. Nicodme y mourut et y reut aussi la spulture.
La sainte martyre Suzanne.
Ç J'ai eu plusieurs visions touchant la vie de sainte Suzanne dont une relique tait prs de moi et qui m'a tenu compagnie toute la nuit. Je ne me souviens plus que de quelques-unes. Je la vis Rome dans une grande maison. Son pre s'appelait Gabinus : il tait chrtien, son frre tait pape et habitait une maison voisine. Je vis la maison de Gabinus avec une avant-cour et un pristyle. La mre de Suzanne devait tre morte, car je ne la vis jamais. Il y avait plusieurs autres chrtiens dans la maison. Je vis, que Suzanne distribuait tout ce qu'elle avait aux pauvres chrtiens et qu'il en tait de mme de son pre. Tout cela se faisait avec un certain mystre. Je vis un messager envoy par l'empereur Diocltien Gabinus qui tait son parent. Il voulait que Suzanne ft donne en mariage son beau-fils dont la femme tait morte. Je vis que Gabinus parut d'abord satisfait de cette union et en parla Suzanne, mais celle-ci lui tmoigna son extrme rpugnance pouser un paen et lui dit qu'elle avait pris Jsus-Christ pour poux. Je vis que, l-dessus, Diocltien la fit emmener de chez son pre et conduire la cour prs de l'impratrice (Serena) pour qu'elle changet de sentiment. Je vis que l'impratrice tait chrtienne en secret, que Suzanne se plaignit devant elle de son malheur et qu'elles prirent ensemble. Je la vis ensuite ramene dans la maison de son pre. Je vis que l'empereur lui envoya un de ses parents (Claudius), lequel en entrant voulut l'embrasser, non pour prendre une libert inconvenante, mais parce que c'tait l'usage ou parce qu'ils taient parents. Je la vis faire un geste pour l'en empcher, et comme celui-ci lui reprsenta qu'il n'avait aucune mauvaise intention, elle lui dit qu'une bouche souille par la louange des faux dieux ne devait pas la toucher. Je vis comment cet homme se fit expliquer par elle en quoi consistaient ses erreurs, comment ensuite il fut instruit par le Pape, oncle de Suzanne, et baptis avec sa femme et ses enfants. Je vis que l'empereur, voyant que Claudius tardait revenir lui rendre rponse, envoya le frre de celui-ci pour savoir quoi s'en tenir; que ce frre trouva Claudius agenouill et priant avec sa femme et ses enfants et qu'il fut fort tonn de le voir devenu chrtien. Et comme il demandait quelle tait la rponse de Suzanne touchant le mariage propos, Claudius l'engagea se rendre avec lui auprs dÕelle et se convaincre par lui-mme qu'une personne menant un tel genre de vie ne pouvait pouser un idoltre. Je vis qu'ils se rendirent prs d'elle et que cet autre frre fut, lui aussi, converti par Suzanne et par le Pape son oncle. LÕimpratrice Serena avait prs d'elle deux hommes et une femme attachs son service, lesquels taient aussi chrtiens. Je les vis la nuit aller en secret avec Suzanne dans une petite chambre souterraine qui tait sous le palais. Il s'y trouvait un autel et une lampe toujours allume. On y faisait des prires et parfois aussi un prtre y venait en secret consacrer et administrer aux fidles le Saint-Sacrement. Je vis que l'empereur entra en fureur lorsqu'il apprit la conversion des deux frres et les fit mettre en prison l'un et l'autre avec leurs famille. Plus tard ils furent martyriss. Le pre de Suzanne fut aussi mis en prison. J'eus alors une vision o je vis Suzanne seule dans une grande salle, assise prs d'une petite table ronde dcore de figures dores. Elle avait les mains jointes, les yeux levs au ciel et priait. Il y avait dans le haut de la salle des ouvertures rondes. Dans les angles taient des figures blanches de la taille d'un enfant : on voyait aussi et l des ttes d'animaux spcialement aux pieds des meubles. Je vis des figures assises sur les pieds de derrire, ayant de longues queues et des ailes et quelques-unes qui tenaient comme des rouleaux entre leurs pattes de devant (vraisemblablement des ornements d'architecture, lions ails, griffons, elle.). Comme Suzanne tait assise et priait, je vis que l'empereur envoya son fils lui-mme pour lui faire violence. Je vis celui-ci, laissant plusieurs personnes dans l'antichambre, entrer et s'approcher de Suzanne par derrire. Aussitt apparut devant elle une figure qui marcha la rencontre de cet homme, sur quoi il tomba comme mort; alors seulement je vis Suzanne se retourner et appeler au secours lorsqu'elle le vit tendu par terre. Je vis ensuite ceux qui l'avaient accompagn entrer tout surpris, le relever et l'emporter. L'apparition tait en face de Suzanne et l'agresseur derrire elle; lorsqu'elle se plaa entre les deux, celui-ci fut renvers par terre. J'eus ensuite une autre vision. Un homme vint elle accompagn de vingt autres : deux prtres paens portaient entre eux une idole dore. Elle devait tre creuse, car elle tait trs-lgre. Ils la portaient sur un plateau deux anses. Ils la placrent dans une niche sous les colonnes qui entouraient la cour antrieure et prirent dans la maison une petite table ronde trois pieds qu'ils placrent devant. Plusieurs personnes entrrent dans la maison et allrent prendre Suzanne dans la salle qui tait situe plus haut. Ils tranrent Suzanne dehors pour la forcer sacrifier devant l'idole. Elle adressa Dieu une ardente prire et, avant quelle arrivt jusque-l, je vis un miracle. L'idole fut comme lance par-dessus la cour et la colonnade environnante, jusqu' une grande distance dans la rue o elle tomba brise en morceaux. Je vis qu'un homme qui tait l'extrieur courut annoncer cette nouvelle. Je vis ensuite qu'on arracha Suzanne son vtement de dessus. Elle l'avait plus qu'un petit linge sur la poitrine, ses paules et son dos taient nus et il lui fallut dans cet tat traverser le vestibule au milieu des soldats qui la poussrent avec des btons pointus jusqu' ce qu'elle tombt comme morte. Ils la tranrent ensuite dans une chambre de la maison et l'y laissrent tendue par terre. Je vis ensuite qu'on voulut la forcer sacrifier dans un temple et que lÕidole tomba la renverse. Je vis que, dans sa maison, elle fut trane par les cheveux dans l'avant-cour o on lui trancha la tte. Je vis que l'impratrice et une nourrice de Suzanne y vinrent la nuit, lavrent son corps et l'envelopprent d'un linceul, aprs quoi il fut enterr. L'impratrice lui coupa les cheveux et aussi une partie des doigts. Je vis aussi que, bientt aprs, le Pape dit la messe l'endroit o on l'avait mise mort. Suzanne avait un visage rond avec de grands traits : ses cheveux taient noirs. Elle tait vtue de blanc. Sa chevelure tait releve en tresses autour de la tte : un voile qui lui couvrait les cheveux tait attach sous son menton et retombait par derrire, formant deux pointes.È
Sainte Claire.
Ç Ayant prs de moi la relique de sainte Claire, j'eus une vision sur sa vie. Sa pieuse mre priait avec une grande dvotion devant le Saint-Sacrement afin que son enfantement ft bni de Dieu et il lui fut rvl intrieurement qu'elle mettrait au monde une fille plus claire que le soleil. C'est pourquoi l'enfant reut le nom de Claire. Je vis que prcdemment la mre tait alle en plerinage Jrusalem, Rome et d'autres lieux saints. Les parents taient de la haute classe, mais c'taient aussi des gens trs-pieux. Je vis Claire, ds sa premire jeunesse, merveilleusement attire par tout ce qui tait saint. Si on la portait dans une glise, elle tendait les mains vers le Saint-Sacrement : mais tous les autres objets qu'on lui prsentait, de quelque jolie couleur qu'ils fussent, ne faisaient aucune impression sur elle, non plus que les images qui taient dans l'glise. Je vis la mre apprendre prier l'enfant et comment l'attention de celle-ci tait particulirement attire vers tout ce qui tendait au renoncement. La dvotion du rosaire devait tre dj en usage dans ce temps, car je vis que les parents de Claire rcitaient le soir avec tous les gens de leur maison un certain nombre de Pater et d'Ave. Je vis ensuite que l'enfant cherchait de petites pierres polies de diffrentes grosseurs, qu'elle les portait avec elle dans une double poche de cuir et les plaait sa droite ou sa gauche quand elle priait. Je vis aussi qu'elle les mettait en ligne ou en rond pendant sa prire et se guidait toujours d'aprs certains chiffres dans sa mditation ou sa contemplation. Quand elle craignait d'avoir pri sans attention, elle s'imposait une pnitence. Elle tressait trs-artistement de petites croix de paille. Elle avait tout au plus six ans lorsque je la vis dans une cour o l'on tuait des cochons, prendre de leurs soies, les couper en petits brins qu'elle portait sous ses vtements, autour du cou et sur la nuque, ce qui faisait beaucoup souffrir. Plus tard le bruit de sa pit se rpandit et saint Franois, par suite d'une inspiration intrieure, rendit visite ses parents. Je vis, lors de cette visite, comment ils firent venir Claire avec laquelle Franois s'entretint et sur laquelle il fit une trs-vive impression. Je vis aussi qu'un jeune homme vint la demander ses parents et qu'ils n'taient pas loigns de la marier sans lui en parler d'avance. Mais elle en fut avertie intrieurement : alors elle courut sa chambre et, devant son petit autel, s'engagea envers Dieu par le voeu de virginit. Je la vis plus tard, lorsque ses parents la mirent en rapport avec le jeune homme, dclarer solennellement son voeu. Les parents furent surpris et ne la contraignirent pas au mariage. Je vis Claire pratiquer toutes les vertus et exercer une grande charit envers les pauvres auxquels elle portait son repas, s'abstenant de le prendre toutes les fois qu'elle pouvait le faire en secret. Je la vis visiter saint Franois la Portioncule et s'affermir de plus en plus dans sa rsolution. Le dimanche des Rameaux, elle se rendit l'glise, vtue de ses plus beaux habits. L'vque distribua des palmes ceux qui s'approchaient de l'autel pendant que Claire se tenait distance dans le bas de l'glise. Mais l'vque vit un rayon de lumire sur elle et il descendit pour lui donner aussi un rameau. Je vis aprs cela cette lumire se rpandre sur plusieurs autres personnes qui taient dans lÕglise autour d'elle. Je la vis sortir la nuit de la maison de ses parents et aller la Portioncule o Franois et ses frres la reurent avec des cierges allums, en chantant le Veni Creator. Je vis qu'on lui donna dans l'glise un habit De pnitente et qu'on lui coupa les cheveux. Franois la conduisit ensuite un couvent situ dans la ville. Dj auparavant, elle portait une ceinture de crins de cheval avec treize nÏuds : mais alors elle en prit une en peau de cochon avec les soies tournes en dedans. Je vis dans son couvent une religieuse qui l'avait prise en haine et qui ne voulait pas se rconcilier avec elle. Cette religieuse tait malade depuis longtemps au moment o Claire tait sur son lit de mort. Claire mourante l'ayant fait prier de se rconcilier avec elle, essuya un refus. Alors Claire pria ardemment et dit quelques religieuses de lui amener la malade. Celles-ci se rendirent auprs-d'elle, la levrent et elle se trouva gurie. Elle en fut si mue qu'elle alla Claire et lui demanda pardon : mais la sainte elle-mme lui demanda pardon de son ct. Je vis la Mre de Dieu prsente au, moment de sa mort avec une troupe de vierges bienheureuses.
Vision touchant la vie de saint Augustin, de saint Franois
de Sales et de sainte Jeanne Franoise de Chantal.
Parmi les reliques envoyes par Overberg, il s'en trouvait de saint Augustin, de saint Franois de Sales et de sainte Franoise de Chantal. Anne Catherine les avait bien reconnues toutes; mais le Plerin changea les noms par inadvertance, attribuant !a relique de saint Augustin saint Franois de Sales et rciproquement. Il en prit une avec lui, laissant parmi les autres celle qu'il croyait tre de saint Augustin. Anne Catherine alors affirma dans plusieurs occasions qu'elle avait le sentiment du voisinage de saint Franois de Sales et elle dit un jour : Ç J'ai vu un saint vque et une sainte femme. Il doit y avoir dans mon voisinage des ossements de tous les deux, car ils ont apparu prs de moi et ont aussi disparu prs de moi. Quand je vois l'apparition d'un saint dont une relique est prs de moi, la lumire part de l'ossement qui est ct de moi et il vient d'en haut une autre lumire qui se joint la premire et dans laquelle se produit l'apparition. Mais quand je n'ai pas de relique du saint, la lumire et l'apparition viennent seulement d'en haut. È
L-dessus le Plerin crut devoir porter de nouveau prs d'elle le petit paquet o tait la prtendue relique de saint Franois de Sales. Elle tait alors en extase, mais le saisit l'instant le petit paquet, le porta son coeur, sourit joyeusement et dit ; Ç J'ai prs de moi mon cher pre Augustin; È puis, tant revenue elle, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu le saint dans ses ornements piscopaux au-dessous de lui son nom crit en caractres trs-anguleux. Cela me parut singulier : je crus d'abord voir ses saints ossements dans une maison de forme bizarre, contourne comme la coquille d'un limaon. Je ne pouvais pas m'imaginer ce que c'tait. Tout coup je vis cette maison ayant pris une plus belle forme : elle tait maintenant polie comme de la pierre et dans la chambre intrieure se trouvait la relique; cette relique tait dans une boite en nacre de perle. È Elle eut aussi des visions touchant la vie de saint Augustin et elle en raconta ce qui suit :
Ç Je vis le saint encore enfant dans la maison de ses parents. Cette maison n'tait pas loigne d'une ville de moyenne grandeur. Elle tait la mode romaine avec une cour antrieure et un pristyle : l'entour se trouvaient autres btiments avec des jardins et des champs. Cela fit l'effet d'une maison de campagne. Le pre tait un homme grand et fort : il avait quelque chose de sombre et de svre et il devait avoir beaucoup d'ordres donner, car je le vis parler d'un air trs-srieux avec des gens qui paraissaient ses infrieurs. Je vis aussi des gens s'agenouiller devant lui comme s'ils lui adressaient une prire. Ce pouvaient tre des valets ou des paysans. Je vis que le pre, en prsence du petit Augustin, tait de meilleure humeur et parlait plus volontiers avec Monique sa femme; il semblait avoir une prdilection pour l'enfant. Je vis toutefois qu'il s'occupait peu de lui : Augustin le plus souvent tait avec deux hommes et avec sa mre. Monique tait une petite femme, dj sur le retour, qui marchait un peu courbe et dont le teint tait trs-brun, mais elle avait la crainte de Dieu un haut degr :elle tait douce et toujours dans les soucis et les inquitudes cause d'Augustin. Elle le suivait partout, car il tait trs-remuant et trs-espigle. Je le vis grimper, non sans danger, et courir et l sur l'extrme bord du toit en terrasse de la maison. Des deux hommes qui taient dans la maison, l'un semblait tre un prcepteur, l'autre un serviteur. Le premier allait avec lui l'cole de la ville voisine o se runissaient beaucoup d'enfants et le ramenait ensuite la maison. Hors de l'cole, je le vis faire toute sorte de tours et d'espigleries. Il frappait les animaux et leur jetait des pierres, se battait avec d'autres enfants, entrait dans des maisons, ouvrait des armoires et drobait des friandises : il y avait pourtant toujours du bon chez lui, car il distribuait d'autres ce qu'il avait pris, quelquefois aussi il le jetait. Je vis dans la maison, outre sa mre, une autre femme qui tait servante ou bonne. Plus tard je vis qu'on le conduisit l'cole dans une ville plus grande et plus loigne. Il y alla sur un chariot trs-bas port sur de petites roues massives et tran par deux btes : deux personnes taient avec lui. Je le vis l dans une cole avec beaucoup d'autres jeunes garons. Il couchait avec plusieurs d'entre eux dans une grande salle : cependant il y avait entre chaque couche une sparation forme par une espce de paravent fait de roseaux ou d'corce d'arbre. Les leons se donnaient dans une grande salle, les coliers taient assis tout autour sur un banc de pierre adoss au mur et ils avaient sur les genoux !es planchettes brunes pour crire : ils avaient des rouleaux de papier et des crayons. Le matre se tenait deux degrs plus haut et il avait une petite chaire ; derrire lui tait un grand tableau o il traait souvent des figures. Ensuite il faisait venir tantt l'un, tantt l'autre au milieu le la salle. Ils se tenaient aussi vis--vis les uns des autres et avaient des manuscrits dans lesquels ils lisaient. Ils faisaient aussi des gestes comme s'ils eussent prch. Ils semblaient quelquefois discuter ensemble, quelquefois on et dit qu'ils prchaient. Je vis, que dans cette cole, Augustin tait facilement et presque toujours le premier. mais quand les enfants en taient sortis avec lui, il tait D'une ptulance incroyable et des plus ardents dtruire et rire du dgt. Je le vis, dans son emportement, tuer, en les happant et en leur jetant des pierres, des oiseaux long cou qui sont des animaux domestiques dans ce pays; aprs cela il les portait quelque part et pleurait de compassion. Je vis les jeunes garons courir et lutter dans un jardin rond o il y avait des alles de verdure, et briser, soustraire et jeter et l beaucoup de choses. È
Ç De l, je le vis revenir chez lui et s'y livrer toute espce d'excs et d'extravagances. Une fois je le vis, la nuit, drober des fruits avec ses compagnons. Je vis qu'en ayant rempli son manteau, il les jeta quelque part. Je vis Monique l'avertir sans cesse, prier et pleurer beaucoup sur lui. Je le vis ensuite en voyage, se dirigeant vers la grande ville o Perptue avait souffert le martyre. Il devait, pour y arriver, traverser une large rivire sur laquelle passait un pont. Je reconnus tout de suite la ville. Sur l'un des cts sÕavanaient jusque dans la mer des rochers surmonts de murailles et de tours : il y avait aussi l beaucoup de navires : une petite ville attenait la grande. Il s'y trouvait
beaucoup de grands difices comme ceux de l'ancienne Rome et aussi une grande glise chrtienne. J'eus plusieurs visions touchant les folies qu'il faisait l avec d'autres jeunes gens, Il habitait seul dans une maison et discutait beaucoup avec d'autres. Je le vis visiter seul une femme dans une maison : cependant il n'y allait pas trs-souvent : il tait dans un mouvement perptuel. Je le vis aussi assister frquemment des spectacles publics qui me parurent tout fait diaboliques. Je vis un grand difice rond : il y avait en haut, sur l'un des cts, des siges s'levant les uns au-dessus des autres comme les marches d'un escalier : au-dessous taient plusieurs entres d'o l'on montait en haut par des degrs pour prendre place dans les siges arrondis de l'intrieur. L'difice n'avait pas de toit, mais on tendait au-dessus un voile comme un pavillon. Les places rondes taient pleines de spectateurs : en face tait une plate-forme leve o se passaient toute sorte de choses qui taient pour moi une abomination. Dans le fond on voyait des pays de toute espce qui tout coup semblaient s'enfoncer dans la terre. On poussait ensuite une cloison par devant, ou bien l'on faisait tourner quelque chose et c'tait un spectacle tout diffrent. Je vis une fois s'ouvrir en quelque sorte une grande et belle place dans une grande ville et pourtant cela se faisait dans un petit espace. Alors des hommes et des femmes vinrent, deux par deux, sur cette place et c'tait comme s'ils parlaient et foltraient ensemble. Tout cela me faisait horreur. Je vis aussi que les gens qui figuraient l comme acteurs avaient devant eux d'affreux visages coloris avec de larges bouches. Ils avaient aux pieds des espces de socques pointus par le bout et larges par en bas, qui taient rouges, jaunes et d'autres couleurs. Je vis aussi se tenir plus bas des troupes entires qui parlaient et chantaient avec ceux d'en haut. Je vis encore de jeunes garons, gs de huit douze ans qui jouaient d'une flte droite, ou recourbe et pinaient des instruments sur lesquels des cordes taient tendues. Je vis une fois plusieurs de ces jeunes garons se prcipiter d'en haut, les jambes en l'air et la tte en bas : ils taient sans doute attachs avec des cordes solides, mais cela faisait un effet horrible. Je vis aussi des hommes qui combattaient les uns contre les autres ; l'un d'eux reut deux coups qui lui mirent le visage en sang et un mdecin vint bander ces blessures. Je ne puis dcrire tout ce qu'il y avait l d'abominable et de dsordonn. Les femmes reprsentes dans ces jeux taient des hommes dguiss. È
Ç Je vis aussi qu'Augustin parut un jour en public, mais ce n'tait pas dans une reprsentation de ce genre. Je le vis livr toute espce de divertissements et de pchs : partout il tait le premier et il semblait que ce ft par pure vanit, car avec cela je le voyais toujours triste et inquiet quand il tait seul. Je vis aussi que la femme avec laquelle il vivait lui donna un enfant, ce qui ne parut pas lui faire de peine. La plupart du temps je le voyais dans des salles et des lieux publics disputer avec d'autres, parler ou couter, produire aussi des manuscrits et faire des lectures. Je vis que sa mre vint le rejoindre Carthage, lui parla avec beaucoup de tendresse et pleura beaucoup. Elle ne demeurait pas avec lui quand elle tait l. Je ne vis jamais, chez elle, une croix ni une image de saint. Il y avait dans sa maison des statues de toute espce la mode paenne, mais ni elle ni son mari ne sÕen occupaient en rien. Je vis sans cesse la mre d'Augustin se cacher pour prier dans quelque coin de la maison ou jardin : elle s'asseyait l, courbe en deux, priait et pleurait. Avec tout cela je ne vis pas qu'elle ft exempte de mauvaises habitudes ; pendant qu'elle se lamentait et pleurait propos des vols de friandises de son fils, elle-mme en drobait aussi et je vis qu'il avait hrit d'elle ce penchant. Je vis que quand elle allait la cave prendre du vin pour son mari, elle buvait un peu de ce qui tait dans les tonneaux, qu'elle drobait aussi quelques friandises et qu'Augustin en cela ne faisait que l'imiter. Mais je vis combien elle se repentait et combien elle luttait contre ce penchant. Je vis encore diverses particularits qui la concernaient et quelques-unes de ses pratiques. Ainsi, certains temps de l'anne, elle postait au cimetire dans des corbeilles du pain et divers aliments : d'autres du reste faisaient de mme. Le cimetire tait entour d'une forte muraille : les tombeaux taient surmonts de coffres de pierre et de constructions. Je vis Monique placer l ces aliments dans une pieuse intention et je vis aussi plus tard de pauvres gens prendre ces offrandes. Je la vis un jour, son fils tant dj arriv l'ge d'homme, faire un voyage pied, accompagne d'un serviteur qui portait un petit paquet, pour visiter un vque qui l'entretint longtemps et la consola au sujet de son fils. Elle versa des larmes trs-abondantes et il lui dit quelque chose qui la calma. Je vis Augustin revenu de Carthage au logis : son pre tait mort : je le vis alors enseigner dans la petite ville et continuer vivre encore dans le dsordre et dans l'agitation. Je le vis auprs d'un ami qui se fit baptiser peu de temps avant de mourir : je le vis faire des railleries sur ce baptme, mais aprs la mort de son ami, je le vis trs-afflig ; puis je le vis de nouveau Carthage menant le mme genre de vie qu'auparavant. È
Le Plerin eut alors la certitude de l'erreur commise par lui dans la dsignation des reliques : il s'en expliqua avec le confesseur et la malade, et celle-ci lui promit de chercher dans Ç son glise È, comme elle appelait la cassette aux reliques, les ossements de saint Franois de Sales et de sainte Jeanne Franoise. Le 29 mai 1820, le Plerin eut rapporter ce qui suit: Ç AujourdÕhui, dans l'aprs-midi je la trouvait en contemplation. Je lui prsentai la cassette aux reliques. Elle la prit et la serra contre sa poitrine. Ses traits altrs par la douleur se rassrnrent bientt. Je lui demandai si saint Franois de Sales tait dans Ç l'glise. È Elle me rpondit avec effort, comme si elle et parl d'une hauteur loigne : Ç Le voil! È et en mme temps elle indiqua avec le doigt, droite, la petite planche qui tait devant son armoire. Je fus surpris et j'y cherchai inutilement la relique indique. Alors, arrachant, pour ainsi dire, sa main droite la rigidit extatique, elle la dirigea de ce ct, quoique son visage demeurt immobile, que ses yeux restassent ferms et que sa main gauche tint toujours la cassette de reliques sur sa poitrine. Alors sa main droite mit rapidement de ct, et dans le plus grand ordre, les livres placs sur la planche, et pendant qu'avec un sentiment de curiosit trs-excite, je regardais la planche parfaitement vide, sa main alla chercher entre la planche et le placard un petit fragment d'os envelopp de soie verte qui s'tait gar l. Elle le porta ses lvres, lui rendit un pieux hommage et me le prsenta comme tant une relique de saint Franois de Sales. Pendant que je le notais et que je l'enveloppais, sa main droite remit en place tout ce qu'elle avait mis de ct. Aprs cela elle chercha dans la cassette aux reliques qui tait ouverte la relique de Franoise de Chantal, laissa sa main reposer quelques minutes sur un petit paquet et me le prsenta comme relique de sainte Franoise. Je lui demandai comment il se faisait que ces reliques de saint Franois de Sales et de sainte Chantal fussent venues se placer parmi les antiques ossements des martyrs romains, et elle me rpondit : Ç Il y a longtemps, on a fait des travaux dans l'glise d'Uberwasser Munster, alors les reliques retires des autels et des armoires ont t entasses ple-mle. È
Elle eut en divers temps les visions suivantes touchant saint Franois de Sales. Elle vit d'abord sous une forme symbolique les fruits de son ministre apostolique. Ç Je vis, dit-elle, un jeune ecclsiastique de haute condition qui travailla immensment dans un pays de montagnes situ entre la France et l'Italie et que j'accompagnai aussi dans de nombreux voyages. Je le vis dans sa jeunesse tudier avec beaucoup d'ardeur et je le vis un jour frapper une mauvaise femme avec un tison enflamm. Je le vis aussi aller d'un village l'autre avec une torche allume et mettre le feu partout : les flammes couraient de village en village. Je vis aussi que le feu gagna une grande ville au bord d'un lac. Et, quand je ne vis plus le feu, il tomba une pluie douce dont les gouttes couvraient le sol partout comme des perles et des pierres tincelantes que l'on recueillait et que l'on portait et l dans les, maisons ; l o elles arrivaient, tout croissait et tout s'clairait. Je vis avec admiration sa douceur inexprimable et ensuite le zle ardent avec lequel il se mit de nouveau agir et courir en avant. Il allait partout lui-mme et grimpait travers les neiges et les glaces. Je l'ai vu aussi chez le roi de France et chez le Pape et une cour situe entre les deux autres. Je le voyais jour et nuit courir pied d'un endroit l'autre, porter secours et enseigner. Souvent il couchait la nuit dans les bois. Je me trouvai par lui en rapport avec une dame de condition, Franoise de Chantal, qui suivit avec moi tous les chemins o il avait pass et me montra tout ce qu'il avait fait. Je fis divers voyages avec elle et nous avons eu ensemble beaucoup d'entretiens. C'tait une veuve qui avait des enfants et je l'ai vue une fois avec eux. J'entendis raconter une histoire qui la concernait et tous les chagrins qui en taient rsults pour elle et je vis les principaux traits de cette histoire. Une petite dame du monde, d'une conduite lgre, qui se montrait repentante de ses fautes, fut mise par elle en rapport avec l'vque ; mais elle retomba dans ses mauvais errements. Franoise disait que cette femme lui avait occasionn beaucoup de chagrins : elle avait cru tre ensorcele par elle. Plus tard l'vque rigea un couvent de concert avec Franoise. La mauvaise personne parut aussi s'tre corrige et fit pnitence dans une petite maison voisine du couvent. J'ai le souvenir que Franoise m'a montr dans un lieu sombre l'tat actuel de cette personne. È
Ç Je vis l'vque dire la messe dans un endroit o beaucoup de gens doutaient de la vrit du changement qui s'opre dans le sacrement. Il sut alors par une vision, pendant la messe, qu'il y avait dans l'glise une femme venue seulement pour faire plaisir son mari, que cette femme ne croyait pas la transsubstantiation et qu'elle avait un morceau de pain dans sa poche. Je le vis aprs cela dire du haut de sa chaire que le Seigneur pouvait aussi bien changer le pain en son corps qu'il pouvait changer le pain en pierre dans la poche des incrdules. Je vis ensuite la femme sortir et trouver son pain chang en pierre. Je vis le saint vque toujours vtu avec beaucoup de propret et de convenance. Je le vis dans un endroit plein d'ennemis, cach la nuit dans une cabane, o il vint lui une vingtaine de personnes qu'il enseigna. Je vis aussi qu'on chercha le faire prir et qu'on lui tendit des embches dans un bois o il s'tait rfugi. J'allai aussi avec la dame (sainte Franoise) dans une grande ville o elle me montra comment il disputa contre un hrtique qui avait sans cesse recours des subterfuges; comment, sans perdre de vue la vraie voie, il suivit cet hrtique sur les voies dtournes pour l'en faire sortir : mais cet homme ne voulut pas se laisser sauver. Dans cette ville, la dame et moi nous emes traverser une grande place remplie de bourgeois et de paysans qu'on exerait faire des charges la manire des troupes rgles. J'tais dans une grande anxit: ils pouvaient tomber sur nous et, en outre, la bonne dame disait qu'elle ne pouvait pas se soutenir plus longtemps sans nourriture, qu'elle tait prte tomber en dfaillance, tant elle avait faim. Je vis alors un des gens qui taient l tirer d'un papier du pain et de la viande pour les manger. Je le priai de me donner seulement une bouche. Il me donna du pain et un peu de viande de poulet. Lorsque j'eus fait prendre cela la dame, elle fut en tat d'aller jusqu' son couvent. A propos de ces scnes o je pratique en vision un acte de charit l'gard de quelque saint qui m'apparat, j'ai t informe intrieurement, ds mon enfance, que ce sont des oeuvres que les saints demandent de nous pour les faire tourner au profit de quelque autre personne. Ce sont de bonnes oeuvres dont ils semblent l'objet, mais qu'ils font faire par les uns, pour les autres. (C'est au rebours de ce qui est dit que ce que nous faisons au prochain nous le faisons au Seigneur : ici nous faisons pour le prochain ce que nous faisons pour les saints.) J'allai aussi dans le couvent que la dame avait fond avec l'vque et j'en visitai toutes les chambres. C'est un vieil difice singulier : j'en ai vu tous les recoins. Il y avait dans plusieurs pices une grande provision de bl, des fruits de toute espce, et une grande quantit de vtements et de bonnets de forme trange. Ces religieuses doivent avoir fait beaucoup de bien aux pauvres. Je mis en ordre ce qui tait dpos l: mais une mchante jeune religieuse se glissait toujours derrire moi : elle me faisait toute espce de reproches et cherchait me dcrier comme si j'eusse t une voleuse. Elle me dit toutes mes fautes; selon elle, j'tais avaricieuse, car je disais toujours que l'argent tait de la boue et pourtant je tournais et retournais chaque petite pice de monnaie ; je me mlais sans ncessit des affaires de ce monde; je voulais faire une infinit de choses et je ne venais bout de rien, etc. Elle se tenait toujours derrire moi et n'avait jamais le courage de passer devant: je lui dis qu'elle devait pourtant se montrer en face de moi, si elle en avait le courage. Mais cette nonne n'tait autre que le tentateur qui me tourmenta beaucoup pendant ces jours-l. Dans le haut du couvent, l'extrmit et dans le coin le plus recul, je trouvai une religieuse qui avait t place l avec une balance par la fondatrice. Elle avait prs d'elle sur un plat, un mlange de lentilles, de petites graines jaunes que je ne connaissais pas, de perles et de poussire : elle devait enlever cette poussire et rapporter dans la partie antrieure du couvent la moiti de la bonne semence pour faire des semailles, mais elle ne le faisait pas et refusait d'obir. Il en vint bientt une autre charge de la remplacer, mais qui ne valait pas mieux. Alors je me mis l'oeuvre et je commenai trier le mlange et mettre chaque chose de ct. Cela signifiait que, sur la moisson spirituelle de ce monastre, il fallait prendre et transmettre la partie antrieure du nouveau bl de semence bien purifi, c'est--dire que le but de sa fondation et la bndiction qui y tait attache devaient tre renouvels l'aide des mrites provenant de la bonne discipline et du bon ordre d'autrefois, et qu'il fallait rparer ce qui s'tait gt par la faute des dernires suprieures. È
Plus tard il lui fut donn de contempler toute la vie de saint Franois de Sales depuis sa premire enfance jusqu' sa mort. Mais elle n'eut ni le temps, ni la force de faire sur ce sujet au Plerin des communications tant soit peu dtailles. Sainte Franoise lui apparut encore plusieurs reprises et rclama ses souffrances et ses travaux de prire pour la rnovation de son ordre. Le 2 juillet 1821 elle raconta ce qui suit: Ç J'ai t cette nuit Annecy, dans le couvent des filles de sainte Chantal. J'tais dans une salle, trs-malade et couche dans un lit, et je vis les prparatifs qu'on faisait pour la fte de la Visitation : j'tais comme dans le choeur et je voyais au-dessous de moi l'autel o l'on arrangeait tout pour la fte. Je me trouvai dans un si triste tat que je tombai en dfaillance: alors saint Franois de Sales vint tout coup moi et m'apporta quelque chose qui me soulagea : il portait un long vtement de fte, de couleur jaune et ctes. Sainte Chantal vint aussi prs de moi. È
Sainte Justine et saint Cyprien.
Ç Je vis Justine, enfant, dans la cour de son pre, prtre des idoles, laquelle n'tait spare du temple que par une rue. Elle descendit, en prsence de sa nourrice, dans une citerne o elle se tint debout sur une pierre, ayant de l'eau tout autour d'elle ; cette eau aboutissaient plusieurs cachettes souterraines o se tenaient des serpents et d'autres vilaines btes qu'on conservait et qu'on nourrissait l. Je vis Justine prendre dans ses mains, sans la moindre apprhension, un grand serpent et d'autres plus petits. Elle les prenait par la queue et aimait les voir se dresser droits comme des cierges et remuer la tte de ct et d'autre. Ils ne lui faisaient aucun mal et taient tout fait familiers avec elle. Il y avait aussi l-dedans de ces btes qu'on nomme chez nous grosses ttes (des salamandres) : elles avaient bien un pied de long et on s'en servait pour le culte des idoles. Je vis ensuite que Justine entendit prcher dans une glise chrtienne sur la chute originelle et sur la rdemption. Elle fut touche, se fit baptiser et convertit aussi sa mre. Celle-ci le dit son mari qui, ayant t trs-tourment par une apparition, se fit aussi baptiser avec sa femme. Ils vivaient trs-pieusement et trs-paisiblement. Une scne me frappa particulirement. Justine avait un visage arrondi trs-agrable et des cheveux d'une rare beaut, brillants comme de l'or et qui taient rouls en belles tresses soyeuses autour de sa tte ou tombaient en boucles nombreuses sur ses paules. Je la vis table avec son pre et sa mre, mangeant des petits pains : le pre, regardant sa chevelure avec complaisance, lui dit: Ç Je crains, mon enfant, que tu ne puisses pas passer travers le monde, mais que, comme Absalon, tu n'y restes suspendue par les cheveux. È Ces paroles rendirent Justine trs pensive; elle n'avait jamais song ses cheveux. Je la vis aprs cela se retirer, et je ne sais pas ce qu'elle fit ses cheveux, mais elle les dnatura entirement ainsi que ses sourcils, c'tait comme si elle les et flambs. Elle alla ainsi change par la ville et, quand son pre la revit, il eut de la peine la reconnatre. Je vis un jeune homme devenir amoureux d'elle : ne pouvant arriver la possder, il voulut l'enlever de force. Il l'attendit pour cela, avec des compagnons arms, dans un chemin solitaire qui passait entre des murs, mais quand il voulut se saisir d'elle, elle le poussa avec ses deux mains, et lui commanda de rester l immobile: il fut miraculeusement empch de la suivre jusqu'a ce qu'il n'y et plus de danger pour elle. Je vis ce jeune homme recourir au magicien Cyprien qui lui promit avec une grande prsomption de le faire arriver ses fins. È
Ç Je vis ce Cyprien tout fait plong dans sa magie, quoique ce ft d'ailleurs un homme d'un naturel noble et gnreux. Il avait t ds sa jeunesse instruit dans les arts magiques : il avait fait de longs voyages pour accrotre ses connaissances et il tait trs-renomm dans la ville dÕAntioche o il habitait et o Justine s'tait convertie avec ses parents. Il tait si avanc dans le mal qu'il allait insulter publiquement Jsus-Christ dans l'glise chrtienne et quÕil en chassait des gens par ses sortilges. Je le vis voquer le dmon. Il avait dans sa maison un caveau demi souterrain qui recevait le jour par en haut. Tout autour, le long des parois, on voyait de hideuses idoles d'animaux et de serpents, spcialement dans les coins. Une statue creuse grandeur d'un homme se tenait, dans un angle, la gueule ouverte, sur le rebord d'un autel dans lequel tait un bassin plein de feu. Quand Cyprien voquait le diable, il portait un costume particulier: il alluma du feu sur l'autel, lut des noms sur un rouleau de papier, monta l'autel et pronona ces noms dans la gueule de l'idole. Bientt l'esprit se montra auprs de lui, sous une forme humaine : il avait l'apparence d'un serviteur : il y a du reste dans les traits de ces apparitions quelque chose de sinistre et d'inquiet, comme l'expression d'une mauvaise conscience. Je vis alors que, deux fois de suite, l'esprit tenta de sduire Justine sous la forme d'un jeune homme. Il alla au-devant d'elle dans la cour antrieure de la maison de son pre, mais Justine chassa toujours l'ennemi avec le signe de la croix et elle se gurit elle-mme de ses influences avec des croix qu'elle rigeait dans les coins de sa chambre. Je la vis dans un caveau secret prier genoux : il y avait dans une niche contre la muraille une croix et un petit enfant tout blanc: il tait comme dans une gaine : le haut de son corps tait dcouvert et ses petites mains taient jointes. Pendant qu'elle tait ainsi agenouille, un jeune homme entra derrire elle, pouss par un mauvais dessein, mais je vis apparatre une femme sortant du mur qui renversa le jeune homme par terre avant que Justine l'et aperu alors elle s'enfuit. Je vis qu'elle se dfigura compltement avec un onguent. Je vis aussi Cyprien se glisser autour de la maison de Justine et y faire une aspersion. Ce fut dans un moment o elle ne pensait rien et n'tait pas occupe prier : elle se sentit violemment agite, en sorte qu'elle erra de tous cts dans la maison, finit par se rfugier dans sa chambre, fixa les croix poses dans les angles et s'agenouilla pour prier : alors les effets du charme furent surmonts. Lorsque Cyprien fit sa troisime tentative, l'ennemi parut sous la forme d'une pieuse jeune fille qui tint Justine des discours sur la chastet. Au commencement celle-ci en fut trs-satisfaite, mais lorsque l'autre ;
se mit parler d'Adam et d'Eve et du mariage, Justine reconnut le tentateur et se rfugia auprs de la croix. Lorsque Cyprien eut appris tout cela de l'esprit, je le vis se faire chrtien. Je le vis prostern sur sa face dans une glise : il se laissa mme fouler aux pieds comme un fou. Il tait pntr d'un repentir inexprimable et il brla tous ses livres de magie. Il devint vque et plaa Justine parmi les diaconesses. Elle habitait contre l'glise, cousant et brodant de grands ornements ecclsiastiques. Je les vis ensuite tous deux souffrir le martyre. Cyprien et Justine taient suspendus par une main un arbre qu'on avait courb lorsqu'on les dchira avec des crocs. È
Saint Denys l'Aropagite.
Note : C'tait de ce saint qu'tait la relique dont elle n'osa pas dire le nom quand l'ami du Plerin voulut la mettre l'preuve.
Ç Je vis le saint pendant les annes de son enfance : il tait n de parents paens, mais il cherchait constamment la vrit et se recommandait sans cesse un Dieu suprme.
Dieu l'encouragea et le fortifia par des visions qu'il lui envoya en songe. Je vis ses parents lui demander compte de sa ngligence l'gard des dieux et le mettre entre les mains d'un gouverneur svre. Je vis qu'une apparition vint lui la nuit et l'engagea fuir pendant que son prcepteur dormait. Je vis Denys parcourir la Palestine o il entendit raconter sur Jsus beaucoup de choses qu'il recueillit avidement. En Egypte, je le vis tudier l'astronomie l'endroit o avait demeur la sainte famille. Avant cela, je le vis observer avec plusieurs autres l'clipse de soleil qui eut lieu la mort de Jsus. Il disait : Ç Cela n'est pas naturel. Ou cÕest un Dieu qui meurt, ou c'est le monde qui va prir. È Je vis aussi son gouverneur, qui tait anim de bonnes intentions, exhort par une apparition le chercher. Il parvint le trouver et Denys alla avec lui Hliopolis. pendant longtemps, il ne put se faire l'ide d'un Dieu crucifi. Aprs sa conversion, il accompagna souvent saint Paul dans ses voyages. Il alla avec lui Ephse pour voir Marie. Le pape saint Clment l'envoya Paris. Je vis son martyre. Il prit sa tte dans ses mains croises devant sa poitrine et marcha autour de la montagne. Tous les bourreaux s'enfuirent : une grande lumire sortait de lui. Une femme lui donna la spulture. Il tait extrmement vieux. Il eut beaucoup de visions clestes et, en outre, saint Paul lui a rvl ce qu'il vit dans ses contemplations. Il a crit plusieurs trs beaux livres dont il reste encore une grande partie. Il n'a pas mis lui-mme la dernire main son livre sur les sacrements : c'est un autre qui l'a fait. È
Une relique de saint Luc.
Le 11 mars 1821 Anne Catherine dit : < Depuis quelque temps, je vois souvent dans mon voisinage un beau petit fragment trs-blanc du crne de saint Luc. Je le vois trs distinctement; ensuite je ne veux pas y croire mme dans la vision, et je l'oublie pour ma punition quand je suis veille. Cette nuit j'en ai vu toute l'histoire. Grgoire le Grand porta de Constantinople Rome le crne de saint Luc avec un bras de saint Andr et cela lui porta tellement bonheur qu'il put faire beaucoup de bien aux pauvres. Ces reliques furent places dans son monastre de saint Andr : il vint aussi Cologne quelque chose du crne et du bras. Je vis que l'vque en eut une grande joie. Une partie de ces reliques alla ensuite Mayence, puis Paderborn, puis Munster et maintenant l'une et l'autre parcelles sont chez moi. La relique de saint Andr est enchsse. L'ossement de saint Luc doit tre dans un coin sous des chiffons; pour le moment je ne sais pas bien o. È
Le lendemain, le Plerin la pria de chercher dans ses reliques. Elle trouva peu aprs celle de saint Luc, tant l'tat vision. C'tait un petit fragment triangulaire du crne, cach sous toute espce de chiffons, dans un coin de l'armoire du mur, et elle raconta ce qui suit: Ç J'ai vu de nouveau, lorsque ces corps furent trouvs dans une glise dmolie de Constantinople, qu'on en fit l'preuve sur des malades. On lava les ossements et on donna de cette eau boire un lpreux qui gurit. J'ai vu beaucoup de choses touchant saint Grgoire; combien toutes les reliques avaient de prix pour lui et combien il gurit de personnes avec celles-ci. La premire fut une femme folle, la seconde une jeune fille possde d'un esprit immonde. Il leur posa les reliques sur la tte. J'ai vu ensuite comment il en est venu quelque chose Cologne sous un saint vque, puis Trves, Mayence, Paderborn et enfin Munster, sous un vque du nom de Furstenberg, ce que je crois. È
Sainte Ursule.
Ç Ursule et ses compagnes furent, vers lÕan 450, massacres par les Huns une lieue environ de la Cologne d'alors et en divers autres lieux. Ursule fut suscite par Dieu pour garantir les jeunes filles et les veuves de son temps de la sduction et du dshonneur et pour les faire entrer dans lÕarme cleste des martyrs couronns. Elle a accompli sa mission avec une nergie et une constance extraordinaires. LÕarchange Raphal lui avait t donn pour guide : il lui annona sa mission, lui dit que la misricorde de Dieu ne voulait pas qu' cette affreuse poque de destruction, tant de vierges et de veuves que des guerres sanglantes laissaient sans protection et sans dfense, fussent livres en proie aux sauvages hordes des Huns envahisseurs :c'est pourquoi elles devaient mourir comme des enfants encore innocents, avant d'avoir pu tomber dans le pch. Ursule tait grande et forte, trs-rsolue et trs-active :elle n'tait pas prcisment belle, sa physionomie tait trs-srieuse et ses allures viriles. Lorsqu'elle souffrit le martyre, elle tait ge de trente-trois ans. Je la vis trs-jeune en Angleterre dans la maison de son pre Deonotus et de sa mre Geruma. È
Il y avait des degrs devant l'entre : la maison donnait sur une large rue et elle en tait spare par une grille dont les barreaux taient en mtal et surmonts de boutons jaunes; cela ressemblait la maison paternelle de saint Benot en Italie, o il y avait aussi des grilles de cuivre avec un support en maonnerie. Ursule avait dix compagnes qui venaient la trouver tous les jours, le matin et dans l'aprs-midi : aprs quoi, divises en deux groupes, elles couraient ensemble dans une place entoure de murs, y luttaient avec les mains et mme s'exeraient au maniement de la lance. Ces jeunes filles n'taient pas toutes chrtiennes, mais Ursule et ses parents l'taient. Ursule tait directrice de ses compagnes et les exerait ainsi par ordre de son ange. Ses parents la regardaient souvent avec joie. L'Angleterre tait alors sous la domination d'un certain Maximien : c'tait un paen et je ne sais plus bien s'il n'tait pas le mari d'une soeur ane d'Ursule, nomme Ottilie. Celle-ci tait marie, tandis qu'Ursule s'tait voue Dieu. Je vis qu'un homme de guerre puissant et considr vint trouver le pre d'Ursule: il avait entendu parler des exercices auxquels se livraient les jeunes filles et voulait les voir. Le pre fut trs-embarrass et chercha par tous les moyens possibles l'en dissuader. Mais je vis cet homme, auquel le pre d'Ursule n'osait rien refuser, insister fortement et assister aux exercices guerriers des jeunes filles : je vis que, charm de la beaut et de l'adresse d'Ursule, il la demanda en mariage. Les compagnes de celle-ci devaient pouser ses officiers et la chose devait se faire dans un endroit au del de la mer qui tait dpeupl. Cela me lit penser Bonaparte qui mariait aussi des jeunes filles aux officiers de sa garde. Je vis la grande affliction du pre et l'effroi de la fille quand il lui notifia cet ordre qui ne pouvait tre dclin. Ursule alla la nuit l'endroit de ses jeux guerriers et leva vers Dieu une ardente prire : je vis alors que l'archange Raphal lui apparut, la consola et lui ordonna de demander adjoindre dix autres vierges chacune de ses compagnes : elle devait en outre rclamer un dlai de trois ans et s'exercer avec elles sur des navires toute sorte de combats et de manÏuvres : il lÕexhorta avoir confiance en Dieu qui ne permettrait pas que son voeu de virginit ft viol. Pendant ces trois annes, elle devait convertir ses compagnes la religion chrtienne et compter pour cela sur la protection de Dieu. Je vis alors Ursule dire tout cela son pre et celui-ci faire part de ces conditions au prtendant qui les accepta. Ursule et ses dix compagnes obtinrent chacune dix autres vierges pour lesquelles elles furent comme des directrices. Le pre leur fit quiper cinq petits navires, sur chacun desquels tait une vingtaine de jeunes filles et aussi quelques matelots pour leur enseigner se servir des voiles et combattre sur lÕeau. Je les vis alors s'exercer tous les jours manÏuvrer leurs navires, d'abord sur un fleuve, puis sur la mer peu de distance du bord. Elles mettaient la voile, se poursuivaient, se sparaient, sautaient d'un navire sur l'autre et ainsi de suite. Je vis que souvent beaucoup de personnes, dont taient le pre et le prtendu d'Ursule, les regardaient du rivage et que celui-ci se rjouissait la pense d'avoir une femme si belliqueuse et si adroite : il croyait qu'aprs cela, rien ne pourrait lui rsister. Je vis que les jeunes filles la fin firent leurs exercices tout fait seules et que Bertrand, le confesseur d'Ursule, et deux autres ecclsiastiques taient sur les navires. Pendant ce temps, Ursule avait converti toutes ses jeunes filles et elles furent baptises par les prtres : en outre son courage et sa confiance dans les Promesses de Dieu avaient toujours t croissant pendant leurs exercices. Il y eut mme des jeunes filles de douze ans qui vinrent sur les navires et se firent baptiser. Je les vis aborder dans de petites les et se livrer entre ces les leurs exercices maritimes. Tout cela se faisait avec accompagnement de prires et de chants et pourtant avec beaucoup de libert et de hardiesse. On ne saurait dire quel point Ursule tait grave et courageuse. Les jeunes filles portaient des robes courtes descendant sur les genoux, leurs pieds taient lacs : leur vtement tait fortement serr autour de la poitrine, dgag et s'adaptant bien la taille. Elles avaient les cheveux, soit dcouverts et rouls en tresses autour de la, tte, doit recouverts d'une espce de mouchoir dont les extrmits pendaient par derrire. Elles se servaient dans leurs exercices d'pieux lgers dont la pointe tait mousse. Quand les trois annes dont on tait tait convenu approchrent de leur terme, je vis que les jeunes filles en taient venues n'avoir quÕun coeur et qu'une me. Quand, aprs avoir pris cong de leurs parents, elles furent au moment de se mettre en voyage pour aller se marier, je vis Ursule en prire. Une figure lumineuse lui apparut et lui dit d'avoir confiance en Dieu, que le Seigneur voyant en elles ses fiances voulait les faire toutes mourir martyres avec leur puret virginale ; quant elle, elle devait propager la foi en Jsus-Christ partout o le Seigneur la conduirait : beaucoup d'autres vierges, encore devaient tre sauves par elle du dshonneur dont elles taient menaces par de sauvages paens et arriver au ciel pares la couronne du martyre. L'ange ordonna aussi Ursule dÕaller Rome avec une partie de ses vierges. Je vis qu'elle confia tout cela ses dix surintendantes qui en furent trs consoles. Mais comme plusieurs des autres jeunes filles murmuraient contre Ursule et avaient de la rpugnance devenir les fiances du Christ, puisque le voyage qu'elles allaient faire avait le mariage pour but, Ursule passa tour tour sur chaque navire, leur parla d'Abraham, du sacrifice qu'il avait fait de son fils et de l'assistance merveilleuse qu'il avait reue de Dieu : elles aussi, leur dit-elle recevraient tous les secours de Dieu et pourraient ainsi lui offrir un sacrifice pur et parfait. Elle enjoignit celles qui se dcourageaient de quitter les navires : mais toutes se sentirent fortifies et lui restrent fidles. Lorsqu'elles partirent d'Angleterre, croyant toujours qu'elles allaient tre conduites aux maris qui leur taient destins, il s'leva une grande tempte qui spara les navires des vierges de ceux qui les accompagnaient et les poussa vers les Pays-Bas. Je vis qu'elles ne purent faire usage ni de la rame, ni la voile, et que l'eau s'enfla miraculeusement quand elles trouvrent prs de terre. Ds leur premier dbarquement, le danger commena pour elles. Des gens grossiers voulant les retenir, Ursule s'avana et fit une allocution : elles purent alors remonter sur leurs navires sans trouver dÕopposition. A l'endroit o elles quittrent la mer pour remonter le Rhin, il y avait une ville o elles eurent beaucoup souffrir. Ursule parla et rpondit pour toutes les autres. Quand on voulait mettre la main sur les vierges, elles se mettaient courageusement en dfense et recevaient un secours surnaturel. Je vis qu'alors leurs agresseurs taient comme paralyss et ne pouvaient rien contre elles. Dans le cours de leur voyage, beaucoup de jeunes filles et de veuves avec des enfants s'adjoignirent elles. Avant d'arriver Cologne, elles furent encore plusieurs fois appeles, interroges et menaces par des dtachements de soldats appartenant des populations barbares. C'tait toujours Ursule qui rpondait et qui poussait ses compagnes faire force de rames. Elles arrivrent ainsi saines et sauves Cologne. Il y avait l une communaut chrtienne avec une petite glise ; elles y sjournrent quelque temps et les veuves qui s'taient jointes elles pendant le voyage y restrent ainsi que plusieurs jeunes filles. Ursule les exhorta toutes souffrir le martyre en vierges et en matrones chrtiennes plutt que de supporter les outrages des barbares paens. Celles qui restrent se rpandirent dans le pays propageant les exhortations et les sentiments d'Ursule. Quant celle-ci, elle remonta sur cinq bateaux de Cologne Ble o plusieurs restrent avec les bateaux ; de Ble, elle partit pour Rome avec environ quarante personnes parmi lesquelles des prtres et des guides. Elles allaient en procession, comme on fait pour un plerinage, travers les solitudes et les montagnes. Elles priaient, chantaient des psaumes et, l o elles faisaient halte, Ursule parlait de la dignit de fiance de Jsus-Christ et de la mort pure et immacule des vierges. Partout o elles passaient, quelques personnes se joignaient elles tandis que d'autres s'en sparaient. È
A Rome, elles visitrent les lieux sanctifis par des martyres et les tombeaux des saints, et comme leurs vtements courts et leurs allures dgages attiraient l'attention, on les en avertit et elles prirent des manteaux. Le pape Lon le Grand fit venir Ursule pour l'interroger : elle s'ouvrit franchement lui sur le secret de sa mission et sur ses visions, et elle reut tous ses avis avec beaucoup d'humilit et de soumission. Il lui donna sa bndiction et y joignit des reliques. Lorsqu'elles repartirent, l'vque Cyriaque se joignit elles ainsi qu'un prtre de l'gypte et un autre de la ville natale de saint Augustin, neveu de l'homme qui avait donn des terres au saint prlat pour y btir un monastre. Ces prtres se dcidrent surtout la suivre pour accompagner les prcieuses reliques qu'elle avait reues. Ursule emporta avec elle Cologne une relique de saint Pierre qui est encore connue comme telle sans qu'on sache d'o elle provient, une autre de saint Paul, des cheveux de saint Jean l'vangliste et un morceau du vtement qu'il portait lorsqu'il fut jet dans l'huile bouillante. Lorsqu'elles furent de retour Ble, tant de personnes se joignirent elles qu'il leur fallut onze bateaux pour revenir Cologne. Pendant ce temps les Huns y avaient fait irruption et tout tait dans la misre et la confusion. Assez longtemps avant Cologne, l'ange Raphal apparut encore une fois Ursule dans une vision et lui annona le martyre qu'elle allait recevoir : il lui dit tout ce qu'elle aurait faire, et entre autres choses, qu'elle devait opposer de la rsistance jusqu' ce que toutes celles qui taient avec elle eussent t baptises et convenablement prpares. Elle communiqua cette vision aux plus considrables d'entre ses compagnes et toutes tournrent leurs penses vers Dieu. Dj aux approches de Cologne, les Huns poussrent de grands cris en les voyant et leur lancrent des traits; elles firent force de rames et de voiles et passrent rapidement devant la ville: elles n'auraient pas dbarqu si elles n'avaient pas laiss en arrire un si grand nombre des leurs. Elles prirent terre une lieue peu prs au-dessous de Cologne et s'arrtrent dans une plaine parseme de bois o elles tablirent une espce de camp. Je vis l beaucoup de celles qui taient restes en arrire se joindre elles avec d'autres nouvellement arrives. Ursule et les prtres parlrent aux divers groupes et les prparrent au combat. Je vis les Huns sÕapprocher et leurs chefs entrer en pourparler avec Ursule.
Ils voulaient enlever de force plusieurs des vierges et les partager entre eux. Les vierges marchrent ensemble et se dfendirent; il y avait aussi avec elles des habitants de la ville et des environs qui, opprims par les Huns, s'taient joints elles :d'autres qui avaient eu des rapports d'amiti avec les vierges restes Cologne, et qui voulaient dfendre la pieuse compagnie :ces gens se dfendirent avec des perches, des btons et avec ce qu'ils purent trouver.. Cette rsistance avait t ordonne par l'ange Ursule afin qu'on pt gagner du temps pour prparer tout le monde au martyre. Je vis pendant le combat Ursule courir et l travers les groupes qui taient en arrire, parler et prier avec beaucoup d'ardeur. Je vis aussi les prtres baptiser de ct et d'autre celles qui n'avaient pas reu le baptme, car i1 tait venu beaucoup de femmes et de jeunes filles paennes. Lorsque toutes furent baptises et prpares et qu'elles furent cernes de tous cts par l'ennemi, elles cessrent de se dfendre et s'offrirent au martyre, chantant les louanges de Dieu. Les ennemis, les ayant entoures de toutes parts, les gorgrent coups de lances et de haches. Je vis tout un rang de vierges tomber sous une grle de traits lancs par les Huns qui s'avanaient sur elles :parmi celles-ci, il y en avait du du nom d'Edith dont nous possdons une relique. Ursule fut perce d'une lance. Parmi les corps qui couvraient le champ des martyres, il y avait, outre les vierges bretonnes, celles, en beaucoup plus grand nombre, qui taient venues de divers endroits s'adjoindre elles : il y avait encore des prtres venus de Rome, d'autres hommes et aussi des ennemis. È
Ç Plusieurs furent aussi massacres sur les navires. Cordula n'tait pas alle Rome : elle tait reste Cologne et beaucoup s'taient attaches elle. Elle eut peur d'abord et se cacha pendant la perscution : mais ensuite elle se livra elle-mme avec toutes ses compagnes et demanda la mort. Les Huns auraient voulu les pargner et les conserver, mais elle et ses compagnes opposrent une si vive rsistance qu'aprs tre longtemps rests en suspens, ils les attachrent par les bras les unes aux autres sur un seul rang et les turent coups de flches. Elles allrent au martyre avec joie, en chantant et presque en dansant, comme si elles taient alles la noce. Plus tard beaucoup d'autres, s'tant dnonces, furent mises mort dans divers endroits du pays. Les Huns se retirrent de l au bout de quelque temps. Les corps des vierges et des autres martyrs furent bientt aprs emports et enterrs plus prs de Cologne dans un lieu protg par des barrires. Il y avait de grandes fosses revtues de maonnerie o ils furent dposs pieusement, et rangs en ordre. È
Ç Les navires des vierges taient trs-beaux et trs-lgers; ils taient dcouverts, bords de galeries o flottaient de petits tendards; ils avaient un mt et un rebord saillant. Pour ramer elles s'asseyaient sur des bancs sur lesquels elles dormaient aussi. Je n'ai jamais vu de navires si bien arrangs. Vers le temps o Ursule quitta l'Angleterre, vivaient en France les saints vques Germain et Loup. Le premier visita Paris sainte Genevive qui avait peine douze ans. Lorsque saint Germain passa en Angleterre avec avec saint Loup pour combattre les hrtiques, il isola les parents d'Ursule et ceux des autres jeunes filles s'affligeaient de leur absence. Les Huns pour la plupart avaient les jambes nues et des lanires qui pendaient autour du corps; ils portaient de larges pourpoints et de longs manteaux qu'ils droulaient et mettaient sur leurs paules. È
Saint Hubert.
Ç Quand je pris sa relique prs de moi, je vis le saint vque qui dit : Ç C'est un de mes ossements, je suis Hubert ! È J'eus des visions touchant sa vie et je le vis, encore trs-jeune, dans un vieux chteau isol de toutes parts, autour duquel tait un foss. Il portait un habit trs-juste et errait avec son arbalte, soit dans la fort, soit dans les champs derrire les laboureurs, pour tirer des oiseaux; ce qu'il tuait tait donn par lui des pauvres et des malades qui habitaient les environs du chteau. Je le vis souvent traverser secrtement le foss du chteau sur une planche flottante afin de distribuer ses aumnes : Je le vis nouvellement mari dans un autre pays et prenant part avec beaucoup d'autres une grande chasse. Il portait un casque de cuir : sur sa poitrine pendait un instrument creux recourb. Il avait une arbalte sur l'paule et tenait la main une lance lgre. Tous les chasseurs avaient de petits chiens fauves : j'en vis un plus grand prs d'Hubert. Il avait avec lui une civire place entre deux nes pour rapporter le gibier la maison. Ils parcoururent une vaste contre sauvage et chassrent ensuite dans une plaine prs d'un cours d'eau. Je vis Hubert avec ses chiens poursuivre longtemps un petit cerf jaune : quand les chiens taient arrivs prs de lui, ils revenaient en courant vers Hubert et gmissaient comme s'ils eussent voulu lui dire quelque chose. Alors le cerf s'arrtait et regardait Hubert. Cela s'tant rpt plusieurs fois, Hubert lana sur lui les chiens de ses compagnons de chasse, mais ceux-ci aussi revinrent en courant prs de leurs matres et se mirent gmir. Le dsir d'Hubert alla toujours croissant, d'autant que le cerf semblait devenir toujours plus grand: Il se spara ainsi de ses compagnons pour le suivre. Le cerf courut vers un fourr assez lev et parut encore grandir. Hubert se dit que certainement il s'embarrasserait les cornes dans les branches et ne pourrait pas aller plus loin. Mais l'animal continua sa course trs-facilement et Hubert qui ordinairement passait trs-vite travers toutes les haies le suivit beaucoup plus pniblement. Je vis alors le cerf s'arrter : il tait devenu trs-beau et trs-grand, il ressemblait par la couleur un cheval alezan et il avait sur le cou une belle et longue crinire soyeuse. Hubert tait sa droite et il leva sa lance pour le frapper. Alors le cerf regarda Hubert d'un Ïil amical et un crucifix lumineux apparut entre ses cornes. Hubert tomba genoux et sonna du cor : ses compagnons arrivrent et le trouvrent vanoui: Ils virent encore l'apparition, mais bientt la croix disparut: le cerf devint plus petit et disparut aussi. Je vis alors Hubert malade et port la maison sur la civire qui tait entre les deux nes. Il tait chrtien, son pre semblait tre un duc tomb dans la pauvret, car son chteau tait fort dlabr. Hubert, tant tout jeune, avait dj vu dans la solitude apparatre un jeune homme qui l'avait engag se mettre la suite de Jsus-Christ et il avait t fort touch, mais cette impression sÕtait efface par suite de sa passion pour la chasse. Une autre fois, il avait poursuivi dans la plaine un agneau qui sÕtait rfugi dans un hallier d'pines. Il avait fait du feu tout autour : mais la fume et la flamme se retournrent vers lui, si bien qu'il faillit tre brl, tandis que l'agneau ne fut pas atteint. Hubert fut rapport malade et il se crut au moment de mourir. Il tait plein de repentir et il demanda Dieu la grce de le servir fidlement jusqu' son dernier jour sÕil revenait la vie. Il gurit, sa femme mourut et je le vis aprs cela avec un vtement d'ermite. Il reut dans une vision un don particulier consistant en ce que la victoire remporte sur ses passions devait transformer toute la fougue, toute l'nergie destructive qui tait en lui en une vertu oprant des gurisons. Je le vis par l'imposition des mains gurir dans le corps et dans l'me les maladies rsultant de la colre, de la fureur, de la soif du sang : il gurissait jusqu'aux animaux. Il mettait sa ceinture dans la gueule des chiens enrags et les gurissait. Je le vis faire cuire et bnir des petits pains, de forme ronde pour les hommes, de forme oblongue pour les animaux, l'aide desquels il gurissait de la rage. Je vis comme chose certaine que quiconque invoque ce saint avec une foi ferme, trouve dans ses mrites et dans le pouvoir de gurir qu'il possde des armes puissantes contre la colre et la rage. Je le vis aussi Rome et comment le pape, la suite d'une vision, lui donna la conscration piscopale. È
Saint Nicostrate.
Ç La relique que j'ai marque d'un N est de saint Nicostrate. C'tait un grec et il fut dans son enfance conduit Rome avec sa mre et d'autres chrtiens captifs. La mre fut martyrise avec plusieurs autres et on donna l'enfant une ducation paenne. Il tait sculpteur. Je le vis travailler avec trois autres. Les sculpteurs habitaient un certain quartier de la ville o il y avait beaucoup de blocs de pierre. Ils travaillaient dans des salles leves o la lumire tombait par en haut; ils avaient souvent sur la tte des capuchons qui semblaient tre de cuir brun afin que les clats de pierre qui sautaient ne les frappassent pas au visage. Je vis que Nicostrate et ses compagnons tiraient souvent des pierres de certaines carrires souterraines o les chrtiens se tenaient secrtement et qu'ils firent l connaissance avec un vieux prtre nomm Cyrille qui tait trs-affable et trs-enjou. Cyrille avait dans sa manire d'tre quelque chose dÕOverberg : il tait affable et affectueux avec tout le monde; plaisantait mme volontiers, sans pourtant rien perdre de sa dignit et quand l'occasion s'en prsentait, il convertissait beaucoup de personnes. Les sculpteurs badinaient souvent avec lui et ils se proposrent, par manire de plaisanterie aimable, d'excuter pour lui une statue de la mre de Dieu. Ils avaient appris par lui et par d'autres chrtiens quelque chose de l'histoire de Marie et de Jsus et ils firent une trs-belle statue, reprsentant une femme voile en longs vtements qui paraissait chercher quelque chose avec des gestes de douleur. Cette statue tait admirablement belle. Ils la chargrent sur un chariot attel d'un ne et Nicostrate et Symphorien la conduisirent chez Cyrille. Ç Voil que nous t'apportons la mre de ton Dieu cherchant son fils, È lui dirent-ils en riant, et ils placrent la statue devant lui. Cyrille se rjouit beaucoup de voir cette image bien russie : il les remercia et leur dit qu'il voulait la prier afin qu'elle les chercht, eux aussi, qu'elle les trouvt et changet leurs rires en penses srieuses. Il dit ces graves paroles en souriant et d'un air aimable et ils le prirent en plaisanterie comme d'ordinaire. Comme ils revenaient, ils furent saisis tout coup d'une terreur et dÕune motion extraordinaires, mais ils n'en dirent rien lÕun l'autre. Je vis que plus tard ils voulurent faire une statue de Vnus : mais je ne sais plus par quel miracle ils firent au lieu de cela l'image chaste et touchante d'une martyre. Ils taient quatre qui tous se firent instruire et baptiser par Cyrille. Aprs cela ils ne firent plus d'idoles, mais dÕautres statues de toute espce et comme ils taient devenus trs-pieux et trs-croyants, ils marquaient les pierres d'une croix avant de les travailler et leurs travaux russissaient admirablement. Je vis chez eux les images un saint jeune homme perc de flches sur une colonne, une vierge agenouille devant une colonne tronque et dont le cou tait traverse par une pe, enfin un bloc semblable un cercueil o tait reprsent un saint martyr couch sous une plaque de marbre. Je vis un cinquime sculpteur, nomm Simplicius, lequel tait encore paen, les interroger en ces termes : Ç Je vous adjure par le soleil de me dire comment vos oeuvres russissent si bien. È Alors ils lui parlrent de Jsus et de la croix dont ils marquaient les pierres. L-dessus Simplicius se fit instruire et baptiser. L'empereur Diocltien faisait grand cas de leur talent et lorsqu'il fut notoire qu'ils taient chrtiens, il leur ordonna de faire une idole d'Esculape. Comme ils s'y refusrent, ils furent arrts, mis en jugement et martyriss. En dernier lieu, ils furent mis dans des caisses de plomb qu'on jeta dans l'eau, mais un homme pieux les retrouva, au bout de quelques jours, d'une faon miraculeuse, et on leur donna la spulture avec l'indication de leurs noms. Ces caisses de plomb ne furent pas fondues au bord de l'eau : on mit dans un creux un bloc d'argile peu prs de la grosseur d'un homme autour duquel on versa un lger revtement de plomb, puis le moule fut retir et sa place on fit entrer les saints martyrs dans l'enveloppe brlante, aprs quoi on plaa un couvercle par-dessus. Il y avait de petits trous pour que l'eau y pntrt peu peu et c'est ainsi qu'ils furent jets dans le fleuve. J'ai vu leur fte aujourd'hui (8 novembre 1821), mais je crois que le vritable jour du martyre est le 7 janvier. È
sainte Thoctisia.
Elle reconnut une relique comme tant de sainte Thoctista et dit : Ç Etant en route pour la Terre Sainte, j'ai vu la vie de cette sainte vierge qui m'tait tout fait inconnue. Elle tait d'une ville de lÕle de Lesbos, devant laquelle s'levait sur une colline une chapelle ddie Marie o se trouvait une image de la Mre de Dieu sans l'enfant Jsus. Elle avait t faite d'aprs le portrait de saint Luc par un saint sculpteur de Jrusalem auquel on coupa les bras et les jambes dans une perscution. Autour de cette chapelle, de pieuses femmes habitaient dans des cellules. Elles suivaient une rgle inspire primitivement par le dsir d'imiter la vie que menaient Marie et les autres saintes femmes prs d'Ephse. Il y avait aussi, au penchant de la montagne, un chemin de la croix semblable celui de la Mre de Dieu prs d'Ephse. Ces pieuses femmes levaient des petites filles et les instruisaient. Elles devaient, d'aprs leur rgle, examiner les dispositions et les penchants des enfants et aprs cela choisir pour celles-ci un genre de vie dont elles ne s'cartassent plus. Thoctista avait t chez elles dans son enfance et elle aurait dsir y rester toujours. Ses parents tant morts et la chapelle et le couvent ayant t dtruits par la guerre, elle entra ans un autre couvent qui tait aussi dans une le. L, les femmes avaient leurs cellules dans les grottes d'une montagne; elles y vivaient suivant une rgle donne par une sainte femme qui, un jour, avait reconnu la chane de saint Pierre la suite d'une vision et dont j'ai oubli le nom. Thoctista resta dans ce couvent jusqu' sa vingt-cinquime anne, et comme elle allait visiter sa soeur qui vivait dans un autre endroit, le navire qui la portait fut pris par des pirates arabes venant de lÕle de Crte et tous ceux qui s'y trouvaient furent rduits en captivit. Les pirates dbarqurent dans lÕle de Paros o il y avait plusieurs carrires de marbre, et comme ils se disputaient entre eux sur la ranon des captifs, Thoctista trouva moyen de s'chapper. Elle se cacha dans les carrires et y vcut quinze ans solitaire sans aucun secours humain jusqu' ce qu'elle fut trouve par un
chasseur. Elle lui raconta son histoire et le pria, lorsqu'il reviendrait, de lui apporter la sainte eucharistie dans une pyxide. Cela tait permis aux laques cette poque, parce que les chrtiens taient souvent disperss et qu'il n'y avait pas assez de prtres. Je le vis, un an aprs, lui apporter le sacrement : elle le reut comme dernier viatique et mourut le mme jour. Le chasseur l'enterra, mais il dtacha une de ses mains qu'il emporta avec un morceau de son vtement. Je vis que, grce cette main bnie, il opra heureusement son retour par mer, malgr les dangers trs-grands qui existaient de la part des pirates. Lorsqu'il annona cela son vque, celui-ci lui fit des reproches pour n'avoir pas rapport le saint corps tout entier. È
Sainte Gertrude.
Ç Je vis que la mre de Gertrude, avant sa naissance, eut un songe prophtique o elle mettait au monde une petite fille qui tenait la main une crosse d'abbesse de laquelle sortait un cep de vigne. La mre habitait un vieux chteau. Elle eut une fois, comme tout le pays, beaucoup souffrir des rats qui dtruisaient toutes les semences et les provisions. Elle en avait une grande crainte et je la vis tout en larmes, raconter sa petite Gertrude les ravages faits par ces animaux. Gertrude s'agenouilla en prsence de sa mre et pria Dieu avec ferveur de les dlivrer de ce flau : je vis alors comment les rats s'enfuirent tous hors du chteau et allrent se noyer dans l'eau du foss qui l'entourait. Gertrude, par sa foi nave, obtint un grand pouvoir contre ces animaux et contre d'autres btes nuisibles. Je vis aussi qu'elle avait quelques souris nourries par elle, qui venaient son appel et s'en allaient quand elle le leur ordonnait : elle faisait de mme avec des oiseaux et des livres. Je vis qu'elle fut demande en mariage, qu'elle repoussa cette demande et exhorta le prtendant a prendre l'glise pour pouse c'est--dire se faire prtre. C'est ce qu'il fit en effet, aprs savoir vu mourir subitement d'autres jeunes filles qu'il avait aussi recherches. Je vis Gertrude religieuse dans un monastre o sa mre tait abbesse et o elle-mme devint abbesse plus tard. Au moment o la crosse lui fut prsente, il sortit de la partie recourbe un cep de vigne avec une grappe de dix-neuf gains qu'elle partagea entre sa mre et dix-huit religieuses : deux souris coururent aussi autour de sa crosse rendant hommage son autorit. Ainsi fut accompli le songe prophtique de sa mre. È
Sainte Ccile.
22 novembre 1819 et 1820. Ç Je vis la sainte assise dans une chambre carre trs-simple. Elle avait sur ses genoux une petite caisse plate de forme triangulaire, haute de quelques pouces, sur laquelle taient tendues des cordes qu'elle pinait avec les deux mains. Elle avait les yeux levs au ciel au-dessus d'elle tait une gloire resplendissante et un groupe lumineux comme d'anges ou d'enfants bienheureux dont la prsence semblait visible pour elle. Je l'ai souvent vue ainsi. Je vis aussi se tenir prs d'elle un jeune homme : il avait quelque chose de singulirement pur et dlicat: il tait plus grand qu'elle, mais il se montrait humble et soumis vis--vis d'elle et il tait ses ordres. Je crois que cÕtait Valrien : car ensuite je le vis avec un autre attach un poteau, battu de verges, puis dcapit. Cela ne se passa sur la grande place ronde o les martyrs taient supplicis dans un lieu plus cart. Je vis aussi le martyre de sainte Ccile dans une cour ronde situe devant la maison. Sa maison tait carre et avait un toit presque plat autour duquel on pouvait se promener : aux quatre angles se trouvaient comme des globes en maonnerie et au milieu quelque chose comme une figure. Dans la cour, un grand feu tait allum sous une chaudire dans laquelle je vis la vierge assise, les bras tendus : elle tait vtue de blanc, resplendissante et toute joyeuse. Un ange, entour d'une aurole rouge, lui tendait la main : un autre tenait une couronne de fleurs au-dessus de sa tte. Je me rappelle obscurment avoir vu un animal cornu, semblable une vache sauvage, mais non ce que sont ces animaux chez nous, conduit par la porte de la cour et travers cette cour dans un enfoncement sombre. Ccile, aprs cela, fut retire de la chaudire et frappe trois fois sur le cou avec une pe courte. Je n'ai pourtant pas vu cela moi-mme, mais j'ai vu l'pe. Je la vis aussi vivant encore aprs ses blessures et s'entretenant avec un vieux prtre que j'avais vu prcdemment dans sa maison. Plus tard je vis cette mme maison trs-charge et transforme en glise. Je vis qu'on y conservait beaucoup de reliques, notamment le corps de Ccile d'un ct duquel plusieurs parties avaient t enleves. On clbrait le service divin dans l'glise : voil ce que je me rappelle encore de plusieurs visions touchant la vie de sainte Ccile. È
22 novembre 1820. Ç La maison paternelle de Ccile tait l'une des extrmits de Rome. Il y avait, comme dans la maison de sainte Agns, des cours, des galeries colonnes, une fontaine jaillissante. J'ai rarement vu ses parents. Je vis Ccile comme une trs-belle personne, douce et active, avec des joues vermeilles et un charmant visage, presque comparable celui de Marie. Je la vis jouer dans les cours avec d'autres enfants. La plupart du temps un ange tait prs d'elle sous la forme d'un aimable petit garon : il lui parlait et elle le voyait, mais il tait invisible pour les autres. Il lui avait dfendu de parler de lui. Souvent je vis prs d'elle des enfants l'arrive desquels l'ange se retirait. Elle avait environ sept ans. Je la vis aussi assise seule dans sa chambre : l'ange tait auprs d'elle et lui apprenait jouer l'un instrument : il lui mettait les doigts sur les cordes et souvent aussi tenait une feuille devant elle. Tantt elle avait sur les genoux comme une caisse o des cordes taient tendues et alors l'ange planait devant elle, tenant un papier sur lequel elle levait les yeux; tantt elle tenait appuy contre son cou un instrument semblable un violon : elle en
pinait les cordes de la main droite et soufflait dans l'intrieur de l'instrument o il y avait une ouverture qui semblait garnie d'une peau. Il rendait un son trs-agrable. Je vis aussi souvent prs d'elle un petit garon (c'tait Valrien), le frre de celui-ci et un homme avec un long manteau blanc qui ne demeurait pas loin de l et qui semblait le prcepteur de Valrien. Celui-ci jouait aussi avec elle ; ils semblait qu'ils taient levs ensemble et qu'elle lui tait destine. ),
Ç Je vis que Ccile avait une suivante chrtienne par l'entremise de laquelle elle fit connaissance avec le pape Urbain. Je vis souvent Ccile et les compagnes de ses jeux remplir de fruits et d'aliments de toute espce les plis de leurs robes quÕelles relevaient sur leur ct comme des poches : elles sÕenveloppaient de leurs manteaux par l-dessus, et charges ainsi comme d'un paquet, elles se glissaient ensemble, de manire ce quÕon ne pt pas les remarquer, jusqu' une porte de la ville. Je vis toujours l'ange de Ccile aller avec elle ; c'tait charmant voir. Je vis ces enfants aller par la grande route un difice o il y avait de grosses tours, des murailles et des retranchements de toute espce. De pauvres gens habitaient dans les murs, et il y avait des chrtiens dans les trous et des caveaux souterrains qui servaient de prisons. Je ne sais pas bien s'ils taient emprisonns ou seulement cachs : mais les pauvres gens semblaient faire le guet aux entres ou prendre des prcautions pour n'tre pas dcouverts. Je vis les enfants distribuer aux pauvres ce qu'elles avaient apport: cela se faisait mystrieusement. Je vis que Ccile assujettissait sa robe autour de ses pieds avec un cordon et se laissait ensuite rouler en bas d'un retranchement escarp. On l'introduisait ensuite dans le souterrain, et une fois on la fit entrer par une ouverture ronde dans un caveau o un homme la conduisait au pape Urbain. Je vis qu'il l'instruisit en lui faisant lire des manuscrits, qu'elle lui en apporta sous ses vtements et qu'elle en emporta d'autres chez elle. Je me souviens confusment qu'elle fut aussi baptise dans ce souterrain. Je vis ensuite que le jeune Valrien, tant avec son prcepteur prs des jeunes filles qui s'amusaient, voulut, en jouant, prendre Ccile dans ses bras et que celle-ci le repoussa. Il se plaignit son prcepteur qui rapporta la chose aux parents du Ccile. Je ne sais pas ce qu'elle lui avait dit, mais ils punirent Ccile qui n'eut plus la libert de sortir de sa chambre. L je vis l'ange, toujours prs d'elle, lui apprendre jouer de son instrument et chanter. Je vis aussi que le jeune homme pouvait la voir et venait souvent prs d'elle, mais alors elle se mettait aussitt jouer de son instrument et chanter. Une fois il voulut la prendre vivement dans ses bras, mais l'ange en ce moment jeta sur elle un vtement de lumire blanc comme la neige. Je vis aprs cela Valrien gagn par elle; il tait souvent dans sa chambre pendant qu'elle sortait pour aller prs du pape Urbain et les parents croyaient qu'ils taient ensemble.
Ç A la fin j'eus aussi une vision de leur mariage. Je vis les parents de tous les deux et beaucoup d'autres personnes, hommes, femmes, jeunes garons et jeunes filles, dans une salle orne de belles statues. Ccile et Valrien taient pars de guirlandes et avaient des habits de fte de couleurs varies. Il y avait aussi une table basse avec des plats. Les parents conduisirent ensemble les jeunes fiancs qui devaient boire l'un aprs l'autre un verre de vin rouge pais ou de quelque autre liqueur. On pronona quelques paroles cette occasion et on lut quelques passages dans des manuscrits; on crivit aussi quelque chose. On mangea debout des mets qui avaient t servis. Je vis toujours l'ange se tenir entre le fianc et la fiance. Aprs cela je vis tous les assistants se rendre en cortge solennel dans la partie postrieure de maison o se trouvait au milieu d'une cour un difice rond support par des colonnes. Au centre se tenaient sur un pidestal deux figures qui s'embrassaient. Dans ce cortge je vis une longue chane de fleurs que des jeunes filles ranges deux deux portaient suspendue sur des draperies blanches. Lorsqu'ils furent dans le temple devant les figures, je vis une image d'enfant qui tait comme gonfle d'air venir d'en haut en volant l'aide d'une machine qui la dirigea d'abord vers la bouche de Valrien, puis vers celle de Ccile pour recevoir d'eux un baiser; mais je vis que l'ange mit sa main devant les lvres de Ccile lorsque la figure vint elle. Alors Ccile et Valrien furent enlacs par les jeunes filles dans la chane de fleurs de manire ce que les deux bouts pussent tre ramens autour d'eux. Mais je vis que lÕange se tenait entre eux et que Valrien ne put arriver Ccile parce qu'elle se retira en arrire et empcha que la chane ft ferme. Elle lui adressa quelques paroles, lui demandant s'il ne voyait rien : elle avait un autre ami, disait-elle, et lui, Valrien, ne devait pas la toucher. Alors je vis celui-ci devenir trs-srieux et lui demander si elle aimait un des jeunes gens qui taient prsents. Elle lui rpondit que s'il la touchait, il serait frapp de la lpre par son ami : sur quoi il dit que si elle en aimait un autre, il les tuerait tous deux. Tout cela se dit voix basse et on crut voir l un mouvement de pudeur de la fiance. Mais elle dit Valrien qu'elle lui expliquerait tout plus tard. Je les vis aprs cela seuls l'un avec l'autre dans une chambre. Ccile lui dit qu'elle avait un ange prs d'elle, et comme Valrien demandait le voir, elle rpondit qu'il ne le pouvait pas tant qu'il n'tait pas baptis. Lorsqu'elle l'envoya saint Urbain, elle l'avait dj suivi dans une autre maison comme tant son mari. È
Sainte Catherine.
Ç Le pre de sainte Catherine s'appelait Costa. Il tait de race royale et descendant d'Hazael qu'Elise, par ordre de Dieu, sacra roi de Syrie. Je vis le prophte aller au-del du Jourdain avec la bote o tait l'onguent et sacrer Hazael auquel ds lors tout russit. Les anctres de Costa, une poque postrieure, allrent dans lÕle de Chypre avec des Perses on des Mdes et ils y acquirent des biens. Ils taient comme lui, adorateurs du feu et des astres, mais ils pratiquaient aussi le culte idoltrique syro-phnicien. Du ct maternel, Catherine appartenait la famille de Mercuria, prtresse des idoles, qui avait t convertie par Jsus Salamine. Aprs sa conversion, Mercuria avait migr dans la terre sainte, elle avait pris au baptme le nom de Famula et reu la couronne du martyre dans la perscution qui avait clat aprs la lapidation de saint Etienne. Dans la famille de cette Mercuria existait depuis longtemps une prdiction, rpte plusieurs reprises, suivant laquelle un grand prophte devait venir de la Jude changer toutes choses, renverser les idoles et annoncer le vrai Dieu : il devait aussi tre en rapport avec cette famille. Lorsque Mercuria s'enfuit en Palestine avec deux filles, elle avait laiss en Chypre un fils illgitime ayant pour pre le proconsul romain qui fut baptis ds le temps de Jsus et qui plus tard quitta lÕle avec saint Paul et saint Barnab. Ce fils de Mercuria pousa la plus jeune soeur de sa mre, et c'tait de ce mariage que venait la mre de Catherine. Catherine tait la fille unique de Costa. Elle avait, comme sa mre, les cheveux d'un blond dor; elle tait trs-vive, trs-courageuse et elle avait toujours souffrir et lutter. Elle avait une gouvernante et on lui donna de bonne heure des hommes pour prcepteurs. Je la vis faire avec de l'corce des jouets qu'elle donnait des enfants pauvres. Devenue plus grande, elle crivait beaucoup sur des planches et des rouleaux de papiers et donnait cela d'autres jeunes filles qui le copiaient. Je vis aussi qu'elle connaissait particulirement la nourrice de sainte Barbe qui tait chrtienne en secret. Elle possdait un haut degr l'esprit prophtique de ses anctres maternels, et cette prdiction sur le grand prophte lui fut aussi montre dans une vision lorsquÕelle avait peine six ans. Au repas de midi, elle raconta cela ses parents auxquels l'histoire de Mercuria nÕtait pas inconnue. Son pre, un homme trs-froid et trs-dur, l'enferma pour la punir, dans un sombre caveau. Je vis dans cette prison o des souris et d'autres btes taient familires avec elle et jouaient en sa prsence. Il faisait clair autour d'elle. Toutes les aspirations de son coeur tendait vers ce rdempteur des hommes qui avait t prdit et quÕelle dsirait ardemment qu'il daignt se mettre en rapport avec elle : elle eut ce sujet beaucoup de visions et dÕilluminations. Depuis ce temps elle eut une profonde horreur pour les idoles : elle cachait, enfouissait et brisait toutes les statuettes des faux dieux qu'elle pouvait drober. Cela fut cause, ainsi que ses discours singuliers et pleins de profondeur contre les dieux des paens, qu'elle fut souvent mise en prison par son pre. Elle tait d'ailleurs instruite dans toutes les sciences et je la vis, tout en marchant, crire sur le sable et sur les murs du chteau des choses que ses compagnes copiaient. Lorsqu'elle eut environ huit ans son pre partit avec elle pour Alexandrie, o celui qui fut plus tard son fianc fit connaissance avec elle. Son pre revint avec elle en Chypre. Il n'y avait plus de juifs dans l'le, si ce n'est et l quelques esclaves : il y avait aussi un petit nombre de chrtiens cachs. Catherine fut instruite intrieurement par Dieu : elle priait beaucoup et aspirait ardemment au saint baptme qu'elle reut dans sa dixime anne. L'vque de Diospolis envoya secrtement trois prtres dans l'le de Chypre, pour consoler les chrtiens qui s'y trouvaient. Il fut aussi exhort intrieurement faire baptiser Catherine qui alors tait de nouveau en prison, o elle avait pour gelier un chrtien cach. Celui-ci la conduisit la nuit au lieu o les chrtiens se rassemblaient en secret : c'tait un caveau souterrain situ hors de la ville. Elle y alla plusieurs fois et fut, ainsi que d'autres personnes, instruite et baptise par les prtres. Je vis que celui qui baptisait versait sur eux de l'eau avec une cuelle. Catherine reut au baptme le don d'une sagesse extraordinaire. Elle disait des choses merveilleuses, toutefois elle tenait encore sa religion secrte comme tous les autres chrtiens. Mais son pre, ne pouvant plus supporter son aversion persistante pour le culte des idoles, ses discours et ses prophties, la conduisit Paphos o il la fit enfermer, parce qu'il croyait qu'elle n'aurait l aucun rapport avec des personnes partageant ses croyances. Elle tait du reste si belle et si intelligente que son pre l'aimait ardemment. On changeait aussi trs-souvent les serviteurs et les servantes chargs de veiller sur elle, parce qu'il se trouvait frquemment parmi eux des chrtiens cachs. È
Ç Elle avait vu dj de bonne heure Jsus lui apparatre comme son fianc cleste ; il tait toujours prsent sa pense et elle ne voulait entendre parler d'aucun autre poux. De Paphos, elle revint chez elle, et son pre voulut la marier un jeune homme d'Alexandrie nomm Maximin. Celui-ci sortait aussi d'une maison qui avait rgn et il tait neveu du gouverneur d'Alexandrie qui tait sans enfants et le destinait tre son hritier. Mais Catherine ne voulut pas entendre parler de ce projet. Je vis qu'on essaya de la sduire : mais elle repoussa toutes ces tentatives avec fermet et en souriant. Elle tait du reste si sage et et si avise qu'il n'tait personne qui ne ft forc de reconnatre son infriorit devant elle. Avant ces tentatives pour la marier, elle avait vu, l'ge de douze ans, sa mre mourir dans ses bras. Catherine dit la mourante qu'elle tait chrtienne, l'instruisit et la dcida recevoir le baptme. Je vis Catherine tremper une branche dans une tasse pleine d'eau et en asperger sa mre sur la tte, le front, la bouche et la poitrine. È
Il y avait toujours des relations frquentes entre lÕle de Chypre et Alexandrie : le pre de Catherine la fit conduire dans cette ville, chez un parent, dans l'espoir quÕelle finirait par se rendre aux dsirs de son fianc. Celui-ci vint sa rencontre sur un vaisseau et je la vis tenir de nouveau des discours chrtiens admirables par leur sens profond et parler contre les idoles. Le fianc, feignant dÕtre en colre, la frappa plusieurs fois sur la bouche. Elle sourit et continua avec plus d'enthousiasme encore. Ds le lieu de leur dbarquement, le fianc la conduisit dans une maison o tout respirait le monde et ses plaisirs, esprant par l la faire changer de sentiments : mais elle resta comme auparavant intrpide, pleine d'enthousiasme, de dignit et de courtoisie. Elle tait alors ge de treize ans. A Alexandrie, elle habita chez le pre de son fianc dans une grande maison qui avait plusieurs ailes. Le fianc y demeurait aussi, mais spar d'elle : il tait comme fou dÕamour et de chagrin. Elle parlait toujours de son autre fianc : cÕest pourquoi on essaya de la faire changer de sentiment par la sduction. On lui envoya aussi des savants pour la dtourner de la foi chrtienne. Elle les confondit.
Ç En ce temps-l, le patriarche d'Alexandrie, Thonas, avait obtenu par son extrme douceur que les pauvres chrtiens ne fussent pas perscuts par les paens. Ils taient pourtant encore trs-vexs : ils ne pouvaient, pour ainsi dire, donner signe de vie et ils n'avaient garde de parler contre l'idoltrie. De l venaient certains accommodements trs-dangereux avec les paens et une grande tideur parmi les chrtiens : c'est pourquoi Dieu envoya Catherine pour qu'elle rveillt beaucoup d'entre eux par son langage inspir et par ses discours brlants de zle. Je la vis chez Thonas. Il lui donna la sainte Eucharistie pour qu'elle l'emportt chez elle : elle la portait sur sa poitrine dans une bote d'or. Elle ne reut pas le prcieux sang. Je vis alors aussi plusieurs pauvres gens, qui avaient l'air d'ermites, amens Alexandrie comme prisonniers et forcs par d'affreuses vexations btir, charrier des pierres et porter des fardeaux. Je crois que c'taient des juifs convertis qui s'taient tablis prs du mont Sina et qu'on avait trans l de force. Ils portaient des robes brunes tresses avec des cordes presque grosses comme le doigt et sur la tte un morceau d'toffe brune qui retombait sur les paules. Je vis qu'on leur avait aussi donn le sacrement en secret. Le fianc de Catherine tant parti pour un voyage en Perse, elle revint encore en Chypre, esprant qu'elle serait dlivre. Son pre tait trs-mcontent de ce qu'elle n'tait pas encore marie. Il lui fallut retourner Alexandrie et elle fut l'objet de nouvelles obsessions. Elle fut plus tard conduite encore une fois prs de son pre Salamine o elle fut reue trs-solennellement par des jeunes filles paennes, o on l'accabla de divertissements et o l'on employa toute espce de moyens contre elle : mais rien ne russit. Elle fut ramene Alexandrie, o on redoubla d'importunits. Je vis une grande fte paenne. Catherine fut force par les paens de sa famille d'aller dans le temple des idoles mais rien ne put la dcider sacrifier. Bien plus, comme le sacrifice idoltrique se faisait en grande pompe, Catherine, saisie d'un enthousiasme merveilleux, s'avana vers les sacrificateurs, renversa les autels avec les vases o fumait l'encens et se mit parier haute voix contre les abominations de l'idoltrie. Il s'leva un grand tumulte, on s'empara d'elle, on la dclara folle et on l'interrogea dans le vestibule : mais elle tint des discours encore plus vhments. Alors on l'emmena en prison, mais sur le chemin elle adjura tous ceux qui confessaient Jsus-Christ de s'unir elle et de donner leur sang pour celui qui les avait rachets du sien propre. On l'enferma, on la fit fouetter avec des scorpions et on la livra aux btes froces. Je me disais alors qu'il n'est pourtant pas permis de provoquer ainsi le martyre : mais il y a des exceptions la rgle et Dieu a des instruments qu'il suscite. On avait toujours employ la violence pour contraindre Catherine lÕidoltrie et cette union qu'elle abhorrait : aussitt aprs la mort de sa mre, son pre l'avait souvent conduite aux abominables ftes de Vnus, o elle avait toujours tenu les yeux ferms. A Alexandrie, le zle chrtien tait assoupi. Les paens trouvaient trs-bon que Thonas consolt les esclaves chrtiens maltraits et les exhortt servir fidlement leurs barbares matres, et ils se montraient si bienveillants envers Thonas que beaucoup de faibles chrtiens pensaient que le paganisme n'tait peut-tre pas quelque chose de si mauvais. C'est pourquoi Dieu suscita cette vierge forte, courageuse, claire d'en haut, pour convertir par sa parole, par son exemple, par son admirable martyre beaucoup de personnes qui ne se seraient pas sauves sans cela. Elle tait si peu dispose cacher sa foi qu'elle visitait sur la place publique les esclaves et les ouvriers chrtiens, les consolait et les exhortait demeurer fermes dans la foi car elle reconnaissait que plusieurs devenaient tides et faisaient dfection par suite de la tolrance qui s'tait tablie. Elle avait vu plusieurs de ces apostats participer dans le temple aux sacrifices idoltriques; de l, la vivacit de sa douleur et de sa sainte indignation. Les btes auxquelles elle fut expose aprs sa flagellation lchrent ses blessures qui furent tout coup miraculeusement guries lorsqu'elle et t ramene en prison. Son fianc voulut lui faire violence dans la prison mais il fut forc de se retirer couvert de confusion et rduit l'impuissance. Son pre vint de Salamine et elle fut encore conduite de la prison dans la maison du fianc. On y employa tous les moyens possibles de sduction pour la dterminer l'apostasie. Mais les jeunes filles paennes qui devaient la persuader furent gagnes Jsus-Christ par elle : de mme les philosophes qui vinrent pour disputer tombrent d'accord avec elle. Son pre tait comme fou de colre : il appelait tout cela de la sorcellerie : il fit encore flageller Catherine et la remit dans la prison. La femme du tyran l'y visita et se convertit ainsi qu'un officier. Lorsqu'elle vint prs de Catherine dans la prison, un ange tenait une couronne au-dessus d'elle et un autre lui prsentait une palme. Je ne sais si cette femme vit cela.
Ç Catherine fut alors conduite au cirque et place sur un lieu lev entre deux larges roues armes de pointes et de fers tranchants semblables des socs de charrue. Quand on voulut faire tourner ces roues, elles furent brises par des coups de foudre et lances au milieu des paens dont trente environ furent blesss ou tus. Il s'leva un terrible orage avec une forte grle : quant elle, elle resta tranquillement assise, les bras tendus, au milieu des dbris des roues. Aprs cela elle fut ramene en prison et on la tourmenta pendant plusieurs jours. Plusieurs hommes voulurent se saisir d'elle, mais elle les repoussa de la main et ils restrent sans force et immobiles comme des colonnes. D'autres se prcipitrent sur la vierge qui, leur montrant du doigt ceux qui taient paralyss, arrta par l leurs attaques. Tout cela fut regard comme de la sorcellerie et Catherine fut de nouveau conduite devant le juge. Elle s'agenouilla devant le billot, posa la tte de ct et fut dcapite avec le fer d'une des roues demi brises. Une quantit extraordinaire de sang sortit de sa blessure : il jaillit en l'air en un jet continu et finit par devenir sans couleur comme de l'eau : la tte se dtacha entirement. On jeta le corps sur un bcher enflamm. Les flammes rejaillirent sur les bourreaux : mais le corps fut couvert d'un nuage de fume qui l'enveloppa. On le jeta hors du bcher et on fit venir des btes affames pour le dchirer. Mais elles n'y touchrent pas et, le jour suivant, les satellites le jetrent dans une fosse pleine d'ordures qu'ils recouvrirent de branches de sureau. Dans la nuit qui suivit, je vis dans cet endroit deux anges en habit sacerdotaux qui envelopprent le corps lumineux dans une couverture d'corce d'arbre et lÕemportrent travers les airs. Catherine tait ge de seize ans lorsqu'elle fut martyrise, en l'an 299. Parmi les nombreuses jeunes filles qui l'avaient accompagne en pleurant au tribunal, quelques-unes plus tard firent dfection : mais la femme du tyran et l'officier souffrirent le martyre avec constance. Les deux anges portrent le corps de la vierge sur la cime inaccessible du mont Sina. Je vis sur cette cime une plate-forme assez grande pour qu'une petite maison pt y tenir. La cime elle-mme tait faite dÕune espce de pierre colore sur laquelle des plantes entires taient empreintes. Ils y posrent la tte et le corps, le visage tourn vers la pierre qui parut s'amollir comme de la cire; car le corps s'y imprima tout entier comme dans un moule. Je vis que les mains s'imprimrent nettement dans la pierre par leur ct suprieur. Les anges placrent un couvercle lumineux au-dessus de la pierre qui s'levait un peu au-dessus du sol. Le saint corps resta l, entirement cach, pendant plusieurs sicles, jusqu'au moment o Dieu le montra dans une vision un ermite du mont Horeb. Plusieurs de ces ermites vivaient sous la conduite d'un abb. L'ermite, ayant eu plusieurs fois cette vision, la fit connatre l'abb, et il se trouva qu'un autre de ses frres en avait eu une semblable de son ct. L'abb leur ordonna, en vertu de l'obissance, d'aller prendre le saint corps, ce qui ne pouvait se faire par des moyens naturels : car la cime tait absolument inaccessible, surplombante et dchire de toutes parts. Je les vis faire en une nuit le voyage qui aurait demand plusieurs jours; ils taient dans un tat surnaturel. Tout tait sombre et obscur, mais il faisait clair autour d'eux. Je vis qu'un ange porta chacun d'eux par le bras jusqu'au sommet escarp. Je vis les anges ouvrir le tombeau, les deux ermites porter dans leurs bras contre leurs poitrines, l'un la tte, l'autre le corps envelopp, devenu plus petit et trs-lger : ils furent ainsi ramens jusqu'en bas par les anges qui les tenaient par le bras. Je vis au pied du mont Sina la chapelle o repose le saint corps. Elle est supporte par douze colonnes. Les moines qui sont l me semblrent grecs. Ils portaient des vtements d'une toffe grossire fabrique l mme. Je vis les ossements de sainte Catherine dans un petit cercueil. Mais il n'en restait plus rien que le crne trs-blanc et un bras entier : je ne vis rien de plus. Tout est en dcadence dans ce lieu. Je vis prs de la sacristie une petite grotte creuse dans le roc : il y a dans les parois des excavations contenant de saints ossements. La plupart sont envelopps comme dans de la laine ou de la soie et gards avec soin. Il y a parmi eux des ossements de prophtes qui ont vcu ici dans la montagne et qui taient dj vnrs par les Essniens dans les grottes qu'ils avaient dans ce lieu. Je vis l, entre autres, des ossements de Jacob, de Joseph et de sa famille que les Isralites avaient emports avec eux d'Egypte. Ces objets sacrs ne semblent pas tre connus, cependant ils sont vnrs souvent par des moines pieux. Toute l'glise est btie sur le penchant de la montagne, du ct qui regarde l'Arabie, mais elle est dispose de manire qu'on peut en faire le tour. È
Les stigmatises Madeleine de Hadamar et Colombe Schanolt de Bamberg.
Le 19 janvier 1820, le plerin prsenta la malade un petit morceau de toile qui avait t tremp dans le sang sorti de la plaie du ct de Madeleine de Hadamar. Elle tait en extase lorsqu'elle reut le morceau de toile et elle dit : Ç Qu'ai-je faire avec ce long vtement? Je ne puis aller vers la nonne : elle est trop loin. Puis ils l'ont tellement tourmente qu'elle n'a pu accomplir sa tche. Elle est morte avant de l'avoir termine. È Ces paroles furent tout fait incomprhensibles pour le Plerin. Mais la malade eut plus tard une vision plus tendue sur Madeleine et elle en raconta ce qui suit : Ç J'ai vu Madeleine laquelle appartenait l'habit ; mais elle tait loin de moi et ne pouvait venir moi. Je la vis dans le cimetire de son couvent dans un coin duquel se trouvait un petit ossuaire. Prs de l contre le mur du cimetire, il y avait une image marquant une station de la Via crucis et dans la petite maison mme une reprsentation du Sauveur portant sa croix. Devant cette maisonnette s'levait un sureau et une haie de noyer. Sur tout l'espace qui l'entourait tait comme une montagne de travaux inachevs, d'ouvrages de couture, etc. C'tait moi de les mettre en ordre et de les terminer. J'entrepris aussitt ce travail ; je me mis coudre et raccommoder, tout en disant mon brviaire. Cela me fit beaucoup suer et je ressentis une violente douleur dans tous les cheveux. Chacun de mes cheveux me la faisait sentir part. Je sus la signification de ce travail et de chaque pice. La bonne Madeleine s'tait trop laisse aller sa dvotion prs du sureau et du petit ossuaire, o il y avait un coin tranquille et commode pour prier, et par suite elle avait nglig et laiss inachevs bien des travaux commencs pour les pauvres. Lorsque je me fus enfin dbarrasse de cette masse de travaux, je me trouvai dans la maisonnette devant une armoire et alors Madeleine vint moi et me remercia :elle tait toute joyeuse comme si elle n'avait vu personne depuis longtemps. Elle ouvrit elle-mme l'armoire et j'y vis conservs tous les morceaux qu'elle s'tait ts de la bouche pour les pauvres. Elle me remercia d'avoir mis en ordre et termin les travaux sa place. ÇPendant qu'on vit sur la terre, me dit-elle, on peut faire en une heure ce quoi on ne peut plus suppler dans l'autre monde. È Elle me promit aussi des chiffons pour mes pauvres enfants. Elle disait qu'elle avait entrepris trop de choses par bont d'me, en sorte qu'elle avait t force de les laisser l l'une aprs l'autre. Elle me dit pour mon instruction que l'ordre et la discrtion sont trs ncessaires aux personnes qui vivent dans les souffrances, sans quoi on laisse aprs soi bien des choses en dsordre. Elle tait plutt petite que grande; elle tait trs-maigre, mais son visage tait plein et color. È
ÇElle me montra la maison de ses parents et mme la porte par laquelle elle tait sortie pour aller au couvent. Je vis aussi plusieurs scnes de sa vie au couvent. Elle tait trs bonne et trs-serviable, travaillant pour les autres toutes les fois que c'tait possible. Je la vis aussi dans son lit, assaillie par des maladies soudaines et gurie tout aussi soudainement. Je vis saigner ses stigmates et comment elle tait surnaturellement assiste dans ses souffrances. Quand la prieure ou d'autres nonnes taient prs d'elle, je voyais de l'autre ct de son lit des figures d'anges ou de religieuses venir d'en haut, la consoler, lui donner d boire o la soutenir. Je la vis du reste bien traite par ses consoeurs, mais son tat devint trop connu du public et elle eut beaucoup souffrir des visites et de la vnration mal entendue quÕon lui tmoignait. Ce qui la concernait fut maladroitement exagr, et il en rsulta pour elle beaucoup d'ennuis, comme elle me le dit elle-mme. Je vis aussi son confesseur il exprimait plutt son admiration, qu'il nÕexposait les faits eux-mmes. Je la vis aussi soumise une enqute aprs la suppression de son couvent : je vis des mdecins, des militaires et des ecclsiastiques y prendre part. Je ne vis rien d'inconvenant : mais ces gens taient trs grossiers et trs-mal levs, toutefois bien moins astucieux, moins faux que ceux auxquels j'ai eu affaire. Ils la tourmentaient surtout pour qu'elle manget et combien de vomissements cela ne lui a-t-il pas occasionns ! Ds son enfance elle sÕtait habitue aux privations; ses parents tait de petite condition, mais trs-vertueux. Sa mre spcialement lui disait toujours dans sa jeunesse, lorsqu'elle buvait et mangeait : Ç Maintenant une bouche de moins, une gorge de moins pour tels pauvres, pour telle me, cÕest ainsi qu'on s'habitue. È Dans l'enqute, les ecclsiastiques ont laiss tout faire aux mdecins : ils taient indiffrent. Il y a eu chez elle beaucoup de choses admirables : mais on a trop parl d'elle. Elle est morte trop tt : elle a prouv de grands chagrins qu'elle a comprims au-dedans dÕelle-mme : sa vie en a t abrge. J'ai vu sa mort, non pas les crmonies ou les funrailles, mais j'ai vu le cors rester tendu pendant que l'me partait. È Lorsque tard le Plerin porta encore le morceau de linge dans voisinage, elle s'cria : Ç Es-tu l, mon cher coeur ! oh ! comme elle est active, secourable, serviable et bienveillante ! È Aprs cela elle resta assez longtemps en silence, puis demanda d'un ton trs-anim : Ç D'o vient que Jsus a dit Madeleine: Ç Femme ! pourquoi pleures-tu ? È Je le sais : mon fianc m'a dit pourquoi il avait parl ainsi. Madeleine l'avait cherch avec une ardeur et une imptuosit excessives, et quand elle le trouva, elle le prit pour un jardinier, alors il dit : Ç Femme pourquoi pleures-tu? È Mais quand elle dit : Ç Matre, È et le reconnut, il lui dit: Ç Marie. È Comme nous cherchons, nous trouvons. J'ai vu cela chez Madeleine d'Hadamar. Je la vis couche dans une petite chambre sombre et il y vint beaucoup de personnes : c'taient ceux qui voulaient l'examiner. Ils taient grossiers, mais moins mchants qu'on ne l'a t avec moi. Ils lui parlrent d'un lavement qu'elle prit avec beaucoup de difficult et un peu trop contre-coeur et elle tomba ensuite dans de trop grandes lamentations. Quand elle se laissait faire avec plus de soumission, il ne lui arrivait rien de fcheux. Ce fut alors que j'eus cette vision devant sa fentre dans le jardin. Elle l'a peut-tre eue elle-mme parce qu'elle dsesprait de trouver son fianc qui tait pourtant prs d'elle. Madeleine me doit encore les chiffons qu'elle m'a promis. È
Ç Je vis aussi la dominicaine Colombe Schanolt de Bamberg, personne d'une rare humilit, toute simple et tout unie. Je la vis avec ses stigmates travailler et faire toute sorte de choses. Je la vis priant dans sa cellule prosterne contre terre et comme morte. Je la vis aussi dans son lit ses mains saignaient et en outre le sang coulait de son front sous le voile. Je l'ai vue recevoir la sainte eucharistie et comment la figure d'un petit enfant lumineux alla elle par la main du prtre. J'ai aussi vu des visions qu'elle a eues. Je les vois passer dans un tableau devant elle ou prs d'elle pendant qu'elle est couche ou en prire. Je l'ai vue porter un cilice et aussi une chane autour du corps jusquÕau moment o cela lui fut dfendu. Ses visions taient des scnes de la vie du Seigneur et des tableaux pour sa consolation et sa direction. Elle se trouvait trs-bien dans son couvent ; on l'importunait beaucoup moins que Madeleine et par l mme elle tait plus avance dans la vie intrieure, plus simple et plus profondment recueillie. Je la vis aussi occuper dans l'autre monde un rang en avant de celle-ci. La manire dont on voit cela ne peut gure s'expliquer. Le mieux qu'on puisse le rendre, c'est de dire quÕelle a laiss derrire elle plus de chemin. È
Effet d'une relique du prcieux sang de Notre-Seigneur Jsus-Christ et des cheveux de la sainte Vierge.
En juin 1822, le Plerin reut de Cologne un sachet portant pour inscription : de cruore Jesu-Christi, lequel provenait d'un couvent de Carmlites supprim (note). Il le cacha, lÕinsu d'Anne-Catherine, dans le placard qui tait contre le
chevet de son lit. Le jour suivant, elle lui fit ce rcit: Ç J'ai eu une nuit trs-agite et me suis trouve dans un tat trs singulier.
Note :
Il s'y trouvait joint un document ainsi conu : Ç Moi, Jean Verdunkh, camrier et matre de la garde-robe de son Altesse lectorale Maximilien, duc de Bavire, etc., reconnais ici que la srnissime princesse Elisabeth, palatine du Rhin, duchesse dans la haute et la basse Bavire, etc., ne duchesse de Lorraine, tant dcde dans le couvent de Randshoffen, a lgu ce qu'elle laissait ses hritiers et des amis qui en ont t mis en possession. C'est cette occasion que le marchal de la cour de son Altesse lectorale, comte Maximilien Kurz de Senftenau etc., a donn des marques de souvenir ceux qui s'taient donn
beaucoup de peine dans cette affaire et que j'ai eu le grand bonheur de recevoir pour ma part un Agnus Dei dans lequel se trouvaient des cheveux de Notre Dame. J'ignore si monsieur le comte a su que cette relique sÕy trouvait, mais je l'ai vnre, conserve et ensuite donne ma fille Anne de Jsus, carmlite Cologne, le jour de sa profession. Trois ou quatre ans aprs, son Altesse lectorale, mon gracieux matre, aprs avoir engendr des hritiers de l'lectrice actuelle, a fait ouvrir les grands reliquaires o tait, entre autre choses, un grand morceau de terra madefacta sanguine Christi et y a pris trois parcelles dans un Agnus Dei pour madame son pouse et les deux jeunes princes. Comme on avait fait la division sur un papier trs-propre, il y est rest deux ou trois miettes trs-petites, qui taient si petites que son Altesse ne put les prendre. Elle m'ordonna alors de les brler de peur qu'elles ne fussent profanes. Mais j'ai conserv ces petites miettes dans ce papier fin ; je ne les ai pas brles, mais tenues en grand honneur, et ma chre fille Anne de Jsus m'en ayant pri, je lui ai fait aussi hommage de cette relique.
J'atteste sur ma conscience, et comme je dsire mon salut, que cela est vrai et que tout s'est pass comme je l'ai dit dans cet crit. En foi de quoi j'ai marqu les reliques avec mon plus petit cachet. J'ai crit et sign ceci, j'y ai mis aussi mon sceau. Donn Munich, le 30 mai 1643.
L.S.
Jean VERDUNCKH,
camrier lectoral et matre de la garde-robe.
J'tais attire dans cette direction (elle montra l'endroit o le sachet tait cach) par une douce attraction semblable la faim : c'tait une soif, un dsir qui ne pouvait pas tre satisfait. Il me semblait que j'allais voler l et en mme temps j'tais force d'aller vers un autre endroit. J'tais dans une grande motion et je vis beaucoup de scnes successivement ou les unes ct des autres. Je vis, partant de cette direction, une vision complte o Jsus-Christ, agenouill sur une pierre, suait le sang dans la grotte du jardin des Oliviers. Je vis les disciples endormis et je vis aussi tout le tableau de l'angoisse de Jsus et des pchs des hommes qui l'accablaient de leur poids. Je vis la pierre arrose de gouttes de sang qui tombaient. Elles taient recouvertes de sable ou de terre et entirement caches : mais il me sembla que le sable tait enlev devant moi et que je pouvais voir ces gouttes de sang. Cela semblait repasser longtemps aprs. J'eus aussi une vision de la trs-sainte Vierge qui, au mme moment, tait genoux sur une pierre, dans la cour attenante la maison de Marie, mre de Marc, et ses genoux s'imprimaient dans la pierre. Elle ressentait les angoisses de Jsus avec lui, elle tait comme sans connaissance et on l'assistait. Je vis tout cela en mme temps. J'eus aussi une vision touchant les cheveux de Marie et je vis de nouveau comment ses cheveux taient partags en trois parties et comment les aptres, les couprent avant de partir. È
Alors le Plerin lui montra le sachet. Elle le considra, mditant en silence, et dit enfin : Ç Les cheveux de Marie sont aussi l-dedans. Je le vois de nouveau. Il y a rellement l du sang de Jsus-Christ. Il y a trois petits grains trs menus. Cette relique agit tout autrement que les autres saintes reliques. Elle m'attire elle d'une faon si merveilleuse, elle fait natre dans mon coeur un dsir si doux, si semblable la faim ! La lumire que jettent d'autres reliques est en comparaison de celle-l comme un feu terrestre compar la splendeur du soleil son midi. È Elle rpta plusieurs reprises : Ç C'est du sang de Jsus-Christ. J'en ai vu une autre fois qui avait coul d'une hostie. Ceci est certainement du sang de Jsus-Christ rest sur la Terre : ce n'est pas la substance du sang, mais seulement comme sa couleur: je ne puis pas bien exprimer cela. J'ai vu les anges recueillir seulement celui qui, pendant la Passion, a coul sur la terre et sur le chemin suivi par le Seigneur. È
Elle eut alors pendant assez longtemps des visions sur lÕinvention, le culte et toute l'histoire de cette relique : voici ce qu'elle en raconta diverses reprises : Ç Je vit une pieuse princesse en habit de plerine aller Jrusalem avec un grand cortge. Elle tait native de lÕle de Crte et n'tait pas encore baptise, mais elle dsirait ardemment le baptme. Je la vis d'abord Rome quand cette ville tait encore paenne. Il semblait qu'il y et un temps de calme succdant une perscution, car le pape qui l'instruisit dans la foi habitait dans un difice en ruines et les chrtiens se rassemblaient sans bruit dans divers endroits. Dans la terre promise on laissait les chrtiens assez tranquilles : mais, pour faire le voyage de Jrusalem, il fallait s'exposer beaucoup de dangers. Jrusalem tait trs-change : des hauteurs avaient t rases, des valles avaient t combles dans la ville et des rues passaient sur des lieux sanctifis et notables. Je crois aussi que les Juifs taient confins dans un quartier de la ville. Il restait peine quelques vestiges du temple. La place du saint spulcre tait toujours prs du Calvaire et hors de la ville, mais on ne pouvait pas y arriver: tout tait couvert de dcombres, on avait bti au-dessus et tout autour. Dans les murs qui l'environnaient, il y avait des excavations et des souterrains o habitaient plusieurs saints personnages qui vnraient ce saint lieu :ils semblaient appartenir une communaut institue par les premiers vques ds le temps des aptres. Ils ne pouvaient pas visiter corporellement le saint spulcre, mais ils y allaient souvent en vision. On paraissait peu s'inquiter des chrtiens :pourvu qu'ils prissent quelques prcautions, ils pouvaient sans tre inquits, visiter les lieux saints, faire des fouilles dans certains endroits et recueillir des reliques. A cette poque, plusieurs corps saints des premiers temps furent recueillis et conservs. È
Ç La princesse plerine, priant sur la montagne des Oliviers, vit en vision le sang prcieux et en parla un prtre du saint spulcre. Celui-ci alla avec cinq autres l'endroit indiqu et y creusa la terre. Ils trouvrent une pierre de diverses couleurs sur laquelle Jsus avait eu la sueur de sang dont plusieurs gouttes y taient tombes. Comme ils ne pouvaient pas enlever la pierre qui faisait corps, avec le rocher, ils dtachrent sur l'un des cts un fragment de la surface, grand comme la main. La plerine en reut une partie. Elle obtint aussi d'autres reliques, des vtements . de saint Lazare et du vieillard Simon dont le tombeau, plac assez prs du temple, avait t dtruit. Je crois que le nom de cette femme est dans le catalogue des saints, bien qu'il soit inconnu chez nous. Le fragment de la pierre qui lui fut donn tait triangulaire avec des veines de couleurs varies. Au commencement il fut mis dans un autel : plus tard on le plaa dans le pied d'un ostensoir. È
8 juillet. - Ç Le pre de la jeune fille descendait des rois de Crte (la Crte tait alors possde par les Romains). Cependant il avait encore de grands biens et habitait un chteau voisin d'une ville situe dans la partie occidentale de lÕle et dont le nom tait comme Cydon ou Canea : il vient l beaucoup de fruits jaunes ctes, larges prs de la tige et aplatis par en haut (note).
(note) Elle entend par l sans doute une espce de coing qu'on appelle malum cydonium.
Entre le chteau et la ville tait une grande arcade travers laquelle on voyait la ville o conduisait une grande avenue. Ce pre avait encore cinq fils : je ne vis plus la mre dans un temps o la fille tait encore jeune. Il tait dj prcdemment all dans la terre promise et aussi Jrusalem. Un de ses anctres avait connu ce Lentulus qui avait eu tant d'amour pour Jsus, qui tait devenu lÕami de Pierre, et auquel celui-ci avait fait connatre le christianisme : de l venait que le pre de la jeune fille n'avait pas non plus d'loignement pour la religion chrtienne. Il se trouva Rome en mme temps que celui qui devait tre plus tard le fianc de sa fille; ils parlrent ensemble du christianisme, et le fianc; dit qu'il ne pouvait s'empcher d'aspirer tre chrtien. Ce fut, je crois, cette qu'on convint du mariage, ou du moins qu'on apprit se connatre rciproquement. Le pre et le fianc se firent aussi donner par un prtre des instructions plus prcises touchant la religion chrtienne. Le fianc, qui avait le rang de comte, tait la vrit d'origine Romaine, mais il tait n dans les Gaules. Le prince crtois devint de plus en plus tranger aux choses du paganisme. Sa fille et ses autres enfants, qu'il avait levs de son mieux, l'entendaient souvent vanter la religion chrtienne. Il avait un droit sur le labyrinthe de Crte, mais par suite du changement qui s'tait fait dans ses sentiments, il y renona et l'abandonna son gendre. Le jardin du labyrinthe avec son temple n'tait plus ce qu'il avait t une poque antrieure, o souvent on y conduisait des hommes pour tre dchirs par les btes froces; mais on y clbrait toujours un culte idoltrique : un grand nombre d'trangers le visitaient comme une curiosit et on s'y livrait beaucoup de honteuses pratiques. De loin il avait l'aspect d'une montagne de verdure. È
ÇLorsque la jeune fille alla Rome pour se faire instruire, elle pouvait avoir dix-sept ans : l'anne suivante, lorsqu'elle fit, avec des personnes qui partageaient ses sentiments, le plerinage de Crte Jrusalem, il semblait que son pre tait dj mort et qu'elle tait sa propre matresse. - Elle portait le saint sang sur elle dans une ceinture richement brode et garnie de plusieurs petites poches. Les plerins portaient de ces ceintures en bandoulire. Peu de temps aprs son retour dans l'le de Crte, le comte l'emmena avec lui sur un navire. Aprs avoir sjourn quelque temps en Crte, il la conduisit Rome o ils s'arrtrent plus longtemps et furent baptiss en secret. - La chaire papale tait alors vacante. Il y avait des discordes et des troubles et on tuait souvent des chrtiens. De Rome ils s'embarqurent pour la Gaule avec un certain nombre de soldats. Depuis leur mariage, ils avaient rsid environ six mois tant en Crte qu' Rome. Maintenant c'tait le comte qui portait le prcieux sang sur lui dans une ceinture. Elle le lui avait donn comme gage de sa fidlit. Son habitation tait au bord du Rhne, sept heures peu prs dÕAvignon et de Nmes, sur une le. Tarascon et la solitude de sainte Marthe n'taient pas loin de l.. Il y avait alors mes quelques catchistes chrtiens qui vivaient ensemble secrtement. Le monastre de sainte Marthe tait situ sur une hauteur, entre le Rhne et un lac. Le chteau du comte tait dans une le, et peu de distance de l tait un petit
village. Celui qui fut connu sous le nom de Saint-Gabriel doit son origine un miracle par lequel un homme fut sauv d'une tempte sur le lac. Le comte recevait de temps en temps la visite d'un ermite qui tait un saint prtre. È
Ç Le prcieux sang fut d'abord conserv dans un caveau souterrain. C'tait une pice sombre o l'ou n'arrivait que par plusieurs autres caveaux. Dans un de ceux-ci on conservait des plantes et des provisions : on y transportait dans lÕhiver des arbres couverts de verdure. Le saint sang se trouvait dans un vase ressemblant un calice, et qui tait plac sur l'autel devant lequel brlait une lampe, dans un tabernacle triangulaire, muni d'une petite porte qui se fermait clef. J'ai souvent vu la jeune femme prier devant ce tabernacle. È
Ç Je vis que plus tard les deux poux vcurent spars, comme des anachortes, et mme loin du chteau o ils ne venaient que pour faire leurs exercices de pit devant le saint sang. Je vis aussi qu'ils entendirent une voix leur enjoignant de le placer dans une chapelle, et qu'ils arrangrent avec soin, cet effet, une pice attenante la salle manger. Je vis le culte du prcieux sang prendre de nouveaux accroissements, mais toujours secrtement. La relique fut transmise plus tard des hritiers avec de doubles documents attestant son origine. È
Ç Je vis alors aussi quelque chose concernant saint Trophime Arles, mais je ne me souviens que des noms. Avant le mariage du comte, des chrtiens taient venus de la Palestine dans ce pays : le comte les avait bien traits et entretenus ses frais. Il y avait et l de petites communauts caches. -- Le pre de la comtesse n'avait pas manifest ses sentiments devant ses fils ans qui taient dans d'autres ides; mais les plus jeunes taient d'accord avec leur soeur et il y eut, je crois, des martyrs parmi eux. È
14 juillet. - Ç Comme je pensais au saint sang, j'eus une vue de l'autel qui tait dans le chteau de la comtesse. Je vis ensuite celle-ci, d'abord jeune fille, prs de son pre dans l'le de Crte, puis lors de son sjour Rome avec le comte. Je vis l en mme temps saint Mose, n'ayant encore que neuf ou dix ans, porter des secours de toute espce aux chrtiens malades et prisonniers. Je vis Rome le comte et la princesse avec d'autres chrtiens dans un caveau souterrain o des prtres leur lisaient des crits la lueur des lampes : il semblait qu'on leur fit des instructions. A cette poque beaucoup de personnes de haut rang furent baptises secrtement Rome : il n'y avait pas de perscution dclare, mais, de temps en temps, l'un ou l'autre tait atteint. È
Ç Des chrtiens de Palestine taient venus prcdemment au lieu o habitait le comte. Il avait des rapports secrets avec eux. Au commencement ils n'avaient pas la sainte messe, mais seulement des prires et des lectures en commun. Plus tard un ermite qui venait peu prs toutes les six semaines et ensuite un prtre de Nmes vinrent leur dire la sainte messe. Cela se passait l'poque o l'on emportait chez soi la sainte Eucharistie. È
Ç Lorsque le comte et sa femme se sparrent pour vivre dans la solitude, ils avaient des enfants dj grands, deux fils et une fille. Leurs ermitages taient une demi-lieue lÕun de l'autre et pareille distance du chteau, mais compris encore dans l'ensemble des jardins et des champs qui en dpendaient. Il fallait, pour y aller, passer sur un pont qui traversait un cours d'eau de peu de largeur. Il y avait l, creuses dans des hauteurs semblables des retranchements, des grottes qui leur servaient de demeures. D'autres chrtiens du pays vivaient de la mme manire : ils s'assistaient mutuellement et, un certain moment, il y eut comme un monastre. Ils ne sont pas morts l, ils n'ont pas t non plus martyriss, mais lorsque le danger clata, ils se rfugirent dans un autre endroit. È
Le 13 juillet, Anne-Catherine dsigna une relique comme tant du pape saint Anaclet. Elle dit qu'il avait t le cinquime pape, qu'il avait succd saint Clment et qu'il tait mort martyr. En mme temps, elle dit propos de la relique du saint sang: Ç Le prtre qui dterra le saint sang tait le saint vque Narcisse. Il tait de la tribu des trois rois avec lesquels ses anctres taient venus dans la terre sainte. Il faisait clair comme en plein jour lorsqu'il creusa la nuit sur le mont des Oliviers. La jeune fille tait prsente. Il tait habill la manire des aptres. - Jrusalem tait peine reconnaissable cette poque : par suite de sa destruction, des valles avaient t combles et des hauteurs aplanies. Les chrtiens avaient encore une glise, dans un endroit voisin de la piscine de Bethesda entre Sion et le temple, o ils avaient dj une glise du temps des aptres. Mais celle-ci n'existait plus. Ils habitaient autour de l dans des cabanes et quoique leurs demeures formassent un groupe tout fait spar de la ville, ils taient pourtant obligs de payer une taxe pour pouvoir entrer dans l'glise. Un homme et une femme taient assis la porte et les fidles des deux sexes devaient leur payer la redevance. Ils donnaient cinq petites pices de monnaie: cela dura un certain temps. La piscine de Bethesda avec ses cinq pristyles n'existait plus : tout tait combl et dtruit. Il en restait pourtant un puits surmont d'un difice. L'eau en tait regarde comme sainte et on en faisait usage dans les maladies comme on fait chez nous pour l'eau bnite. È
Ç Le nom du comte tait le mme que celui d'un des amis de saint Augustin, Pontitianus : celui de la comtesse tait Tatule ou Datule : je ne puis le donner comme il faut. Il y a une sainte de ce nom la fin de mai ou au commencement de juin. È Le 18 juillet, dans l'aprs-midi, elle dit tout coup : Ç Il y avait tout l'heure un homme prs de moi ; c'tait un cardinal, confesseur d'une sainte reine appele Isabelle. Il tait trs-hbile directeur des consciences; il m'a dit que je devais m'accuser du bien que j'avais nglig de faire et faire pnitence pour beaucoup de pchs d'autrui. Il me montra sainte Datula qui a possd la relique du saint sang, en vue de laquelle elle avait abandonn tous ses biens et s'tait retire, ainsi que son mari, dans la solitude pour y pleurer ses pchs. Le cardinal s'appelait Ximns. Je n'ai jamais entendu prononcer ce nom : il n'a pas t canonis È - Un jour o elle avait vu plusieurs choses de la vie de sainte Marthe, elle indiqua plus prcisment, cette occasion, le lieu o habitaient Pontitien et Datula : Ç L'le o tait le chteau, dit-elle, tait dans l'embouchure du bras oriental du Rhne ; elle avait environ une demi-lieue de tour. Pontitien avait des soldats sous ses ordres et son chteau tait comme une forteresse avec des retranchements. A sept lieues de l, en remontant le fleuve, tait la ville d'Arles et huit lieues environ le monastre de sainte Marthe situ dans une contre pleine de rochers. È
Le 24 juin elle eut une vision qu'elle raconta, toute joyeuse de la touchante impression qu'elle en avait reue. Elle ne se souvenait plus bien quelle occasion elle l'avait eue ni elle se liait. Elle la raconta comme une fille de la campagne raconterait, tout tonne, la marche d'un grand et solennel cortge. Elle interrompait sans cesse son rcit par des expressions d'admiration pour la magnificence, l'ordre et la convenance qui avaient rgn partout, parce que tous ceux qui avalent pris part la fte, quoique n'tant pas encore chrtiens, dsiraient pourtant beaucoup le devenir et se conformaient du mieux quÕils le pouvaient aux moeurs et aux usages des chrtiens. Ç La Crte, dit-elle, est une le longue, troite et trs-dcoupe : au milieu elle est traverse une chane de montagne. Le chteau du pre de sainte Datula tait un difice trs-beau et trs-grand, prsentant une suite de terrasses et comme taill dans un rocher de marbre. Il y avait sur les terrasses des galeries avec des colonnes, les cours taient aussi entoures de pristyles au-dessus desquels on avait fait des jardins. Le pre de Datula avait construit ces terrasses et ces jardins suspendus comme un rempart en avant de son chteau, lorsqu'ayant connu la religion chrtienne, il voulut se sparer tout fait des lieux o taient le labyrinthe et son abominable temple d'idoles. C'tait un homme trs-vers dans les arts et qui avait des connaissances pratiques de tout genre. Je le voyais sans cesse se promener prs des artistes et des architectes habiles qu'il avait fait venir. Il avait la tte chauve et enfonce dans les paules : il tait du reste trs-bienveillant et trs-actif. Il possdait d'autres grands biens dans lÕle et il avait aussi un commandement exercer. Le rempart tait en forme de degrs, consistant en terrasses pleines de berceaux de feuillage bien taills qui conduisaient dans des cabinets et des alles. È
C'tait aujourd'hui l'anniversaire du jour o Pontitien avait emmen Datula comme sa fiance du chteau de ses frres (le pre ne vivait plus). J'ai vu toute la nuit la merveilleuse fte donne cette occasion, et cela si clairement que j'ai encore sous les yeux les visages des jeunes filles et des enfants. Deux frres de Datula habitaient le chteau : ils avaient un grand nombre d'enfants, garons et filles, et il demeurait l beaucoup de monde. Chaque enfant avait un prcepteur et une quantit de serviteurs et de servantes, ayant chacun leur office particulier : prs de chaque enfant taient en outre la nourrice et la bonne qui l'avaient soign dans sa premire jeunesse. Tous les parents et allis de la famille taient venus l avec tous leurs domestiques. Le chemin qui menait au chteau tait pendant une demi-lieue garni des deux cts d'arcs de triomphe et de siges lgants qui taient orns de fleurs, de statues, et de magnifiques tapis : il y avait partout des enfants faisant de la musique. Cela se prolongeait jusqu' la porte du chteau prs de laquelle avait t dispose une tribune o la fiance devait siger. Pontitien tait arriv le jour prcdent dans un port voisin avec un vaisseau charg de soldats, de serviteurs, de femmes et de prsents, et il s'tait rendu dans un autre chteau situ peu de distance o il rgla la marche de son cortge. Du ct de la fiance, rien n'tait plus touchant que la joie des serviteurs et des esclaves. Ils taient toujours traits avec une grande bont, on les avait combls de prsents et ils taient pleins de joie. Ils taient posts sur le chemin, les moindres en avant, puis les plus importants, puis sur des siges exhausss les enfants avec leur suite. Pontitien arriva avec un grand cortge. En avant et autour de lui marchaient avec ses soldats des serviteurs lgamment vtus, conduisant des nes et de petits chevaux agiles chargs de paniers pleins de vtements; d'autres portaient des corbeilles remplies de ptisseries de toute espce. Pontitien tait assis sur un large char trs-beau qui ressemblait un grand trne recouvert d'un dais : il tait entour de flambeaux allums placs sur un plateau transparent comme du verre, en haut sur le dais il y avait aussi un beau. Tout tait dcor de belles draperies, d'ornements en or et en ivoire. Ce char tait tran par un lphant. Il y avait aussi dans sa suite une grande quantit de femmes. È
Ç Tout ce cortge marchait joyeusement et dans le plus grand ordre travers la belle campagne et ses belles alles pleines de fruits jaunes, au milieu des fleurs et de la foule pleine d'allgresse : c'tait une jubilation universelle et il nÕy avait pourtant pas de clameurs inconvenantes. Lorsqu'ils arrivrent prs des premiers serviteurs, des vtements et des gteaux plats furent distribus tout le monde par ceux qui prcdaient Pontitien : il y avait de ces gteaux qui taient tout plants d'arbustes. Le cortge s'avana ainsi sans qu'on cesst de distribuer des prsents et au milieu des acclamations joyeuses. Lorsque le fianc fut arriv prs des siges enfants de la famille, on tendit dans le chemin, en face de lui, des draperies de soie avec des franges formant de longues banderoles, et des choeurs d'enfants le salurent de leurs chants accompagns par les instruments de musique. Il descendit de son char pour leur offrir des prsents et le cortge continua sa marche vers les frres et les belles-sÏurs de la fiance; puis, ayant pass un pont, il s'avana sous de grands arcs de triomphe lgamment dcors. On vit alors entre les magnifiques difices et les jardins une espce de thtre en forme de niche lev en terrasse sur plusieurs degrs orn de guirlandes de fleurs et de belles statues. Les gradins taient couverts de riches tapis et les rampes perpendiculaires des terrasses supportaient des ranges entires de trs-belles sculptures. Elles taient diaphanes et trs brillantes, je me souviens, entre autres, de toute une chasse o les yeux des animaux tincelaient comme du feu. Le cortge s'avanait en plein jour, mais le trne tait plac dans un enfoncement o beaucoup de choses recevaient la lumire comme par derrire ou de ct. Il y avait aussi des flambeaux comme sur le char du fianc. Autour de ce trne s'levait un demi-cercle d'autres petits difices d'o sortirent tout coup l'arrive de Pontitien des chants pleins de douceur avec accompagnement de fltes : tout cela tait merveilleusement beau. È
Ç Mais ce qu'il y avait de plus beau tait Datula, la fiance, laquelle tait assise au haut du trne et au-dessous d'elle, sur les marches, ses amies et ses servantes formant deux rangs. Toutes taient vtues de blanc : leurs cheveux taient couverts d'ornements et artistement tresss autour de la tte; elles portaient de longs voiles. Datula avait un vtement d'un blanc brillant, je crois qu'il tait de soie; il formait de trs-longs plis; ses cheveux taient tresss avec des perles d'une grande beaut et je ne puis dire quel point j'tais touche de voir travers ses vtements, prs de son coeur, briller la ceinture brode avec la relique du saint sang qui rpandait comme les rayons d'une lumire cleste sur toute la pompe environnante. Je vis son coeur entirement plong dans la pense du voisinage de cet objet sacr. Elle tait comme un ostensoir vivant. Lorsque son fianc parut devant le trne, et que ses serviteurs des deux sexes se rangrent en un demi-cercle. autour de lui, ils apportrent sur un grand coussin de soie les prsents qui consistaient en riches vtements et en bijoux cachs sous une belle draperie. Le tout tait enrichi d'ornements de toute espce et fut prsent aux servantes qui le portrent en haut. Alors Datula descendit du trne avec sa suite; elle se voila et s'agenouilla humblement devant Pontitien. Il la releva et, la prenant par la main, il la conduisit la droite de sa suite, ensuite il la ramena et la conduisit gauche le long du demi-cercle. Il la prsenta ses serviteurs comme leur future matresse. Il tait bien touchant de la voir porter sur elle le saint sang au milieu des paens. Je crois que Pontitien le savait, aussi tait-il trs-respectueux et trs-mu. lis entrrent alors dans le chteau avec la famille. È
Ç On ne peut dire quel ordre rgnait parmi cette multitude de personnes et avec quel air joyeux ces gens se rpandaient dans, les chambres, les cours, les terrasses et les bosquets; quelques-uns mangeaient sous des tentes, badinaient et chantaient. Je ne vis pas de danses. Je vis aussi un grand banquet dans une salle ronde trs-spacieuse dont on pouvait voir l'intrieur de tous les cts. La fiance tait assise prs de Pontitien. La table tait plus haute que chez les Juifs ; les hommes taient couchs sur des lits de repos, les femmes taient assises les jambes croises. On mit sur la table des choses tout fait merveilleuses, de grands animaux et de grandes figures portant les mets dans le ct, sur leur dos ou dans des corbeilles qu'ils tenaient la gueule. C'tait bizarre, mais agrable, et les convives firent d'abord toute sorte de badinages avec ces figures. Les coupes o l'on buvait taient brillantes comme de la nacre de perle. Je vis ce spectacle toute la nuit : je n'ai pas encore vu de crmonie nuptiale, mais je vis le dpart de Datula et de Pontitien. Beaucoup de bagages avaient t envoys d'avance au navire et un cortge solennel accompagna les fiancs jusqu'au port avec beaucoup de larmes et de souhaits pour leur bonheur. Je vis Pontitien, Datula et plusieurs autres personnes s'asseoir sur un long chariot troit plusieurs roues: et plusieurs compartiments lequel, dans les dtours de la route se tournait quelquefois de manire ce que ceux qui y taient assis formssent un demi-cercle : il tait tran par de petits chevaux fringants. Dans toute cette fte, je n'ai rien vu de dsordonn, pas la plus petite inconvenance; quoique ces gens ne fussent pas encore chrtiens, on ne remarquait pourtant rien qui tnt l'idoltrie; on avait le sentiment de quelque chose qui plaisait Dieu. Toute la famille semblait dj tourner au christianisme. Les personnes taient toutes dÕune beaut remarquable et je ne puis oublier ces belles, grandes, fortes femmes et jeunes filles que j'ai vues. Datula en emmena plusieurs ; elle emmena aussi sa nourrice ou sa gouvernante qui avait galement des sentiments trs chrtiens. Je ne vis pas le dpart du navire. È
Le 11 fvrier 1821, pendant qu'Anne Catherine tait en extase, le Plerin laissa tomber d'un livre de prires sur la couverture de son lit une petite image de Jsus en croix. Elle la saisit rapidement, la pressa dans ses deux mains, les yeux ferms, la palpa plusieurs reprises et dit : Ç C'est quelque chose de trs-prcieux et qui doit tre vnr : cela a touch un objet sacr et il en sort une grande clart ! È Elle la mit alors sur sa poitrine et dit : Ç Elle a touch la robe de Jsus-Christ et il y a sur cette robe une tache du sang de Jsus. Elle est dans le haut, l'endroit du cou. È
8 avril 1823. Ç J'ai eu faire un grand travail fort pnible avec des reliques d'une trs-ancienne poque. C'tait plus loin que la terre promise. Les prtres de ce pays n'avaient pas tout fait l'apparence de prtres catholiques; ils portaient des vtements d'une forme trs-antique et avaient de la ressemblance avec ceux du mont Sina. Il me sembla que c'tait la contre o je vois toujours le moins loign des trois rois : la ville o se trouve l'ancien livre prophtique grav sur des plaques de cuivre (Ctsiphon) tait situe gauche. J'avais m'occuper l du sang de Jsus-Christ et je devais montrer aux prtres un trsor de reliques. Je vis sept vieux prtres creuser sous d'anciens murs en ruines dans un caveau souterrain : ils tayrent d'abord la vote de peur qu'elle ne s'croult. Les saintes reliques taient scelles dans une grande pierre qui paraissait tout d'une pice, mais qui n'tait forme que de parcelles triangulaires trs-artistement jointes ensemble. Quand elle fut ouverte, on vit une paisse couverture de crin sous laquelle tait un trsor des plus importantes reliques de la Passion et de la sainte famille : tout tait conserv dans des vases triangulaires, placs ct les uns des autres. Il y avait notamment du sable arros et teint du sang de Jsus au pied de la croix et, dans de petites fioles, de l'eau sortie de la blessure du ct de Jsus : elle tait claire, consistante et ne coulait pas. Il y avait aussi des pines de la sainte couronne, un morceau du manteau de pourpre drisoire, divers morceaux des habits de la sainte Vierge, des reliques de sainte Anne et bien d'autres. Sept prtres travaillaient l : il vint en outre des diacres avec des flambeaux et je crois aussi qu'ils placrent le Saint-Sacrement au-dessus. J'ai eu beaucoup faire, il me fallait notamment dlivrer des prisonniers (c'est--dire des mes du purgatoire) et le saint sang devait m'y aider. Je crois que des aptres ont dit autrefois la messe en cet endroit. È
Le 9 octobre 1821, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai vu beaucoup de choses de la vie de saint Franois Borgia : je l'ai vu homme du monde et religieux : je me souviens qu'il avait des scrupules propos de la communion quotidienne et qu'il priait devant une image de Marie. Il reut l un rayon du sang de l'enfant Jsus et du lait de Marie et il lui fut dit qu'il ne devait pas se priver de la nourriture qui tait sa vie. J'ai vu souvent la manire dont on reprsentait d'autres saints recevant ainsi du lait de la sainte Vierge : on les montrait buvant son sein comme des enfants ou bien c'tait le lait qui jaillissait du sein jusqu' eux. Mais c'est reprsenter la chose d'une faon absurde et indcente. Je vis cela tout autrement. Je vis que du sein de Marie, c'est--dire de la rgion de la poitrine, une espce de petit nuage blanc rayonnait vers eux et tait aspir par eux. C'tait comme si une manne sortait d'elle sous forme de rayon. Je vis sortir du ct de Jsus un rayon rouge qui brilla sur le saint. C'est comme du froment et du vin, comme de la chair et du sang. C'est impossible exprimer. È
Effets de la sainte Lance.
En juillet 1820, le confesseur d'Anne Catherine avait reu quelques reliques sans noms tires d'une vieille cassette ayant appartenu la maison de Dulmen et parmi lesquelles se trouvait, disait on, une petite parcelle de la sainte Lance. Lorsqu'il la prsenta Anne Catherine et qu'elle l'eut prise, elle poussa une exclamation et dit : Ç Cela pique ! c'est un signe ! j'ai reu une piqre ! È et la plaie de son ct se trouva rougie. Elle eut ensuite une vision sur Longin et raconta ce qui suit : Ç Je vis le Seigneur mort sur la croix., je vis tout, la situation et la position de chacun, et tous les assistants comme au vendredi saint. C'tait l'instant o les jambes du crucifi devaient tre brises. Longin montait un cheval ou un mulet (il ne ressemblait pas nos chevaux, il avait le cou pais), et se tenait en dehors du lieu du supplice : il y entra, ayant sa lance au pied, se dressa sur ses triers, et frappa le ct droit du Seigneur. Quand il vit couler le sang et l'eau, son me fut comme transperce d'une faon merveilleuse; il descendit en toute hte la pente du Calvaire et courut jusque dans la ville. Il alla trouver Pilate et lut dit qu'il regardait Jsus comme le Fils de Dieu et qu'il ne voulait plus tre soldat. Il dposa chez lui sa lance et ses armes, puis il le quitta. Ce fut Nicodme, si je ne me trompe, qu'il rencontra ensuite et auquel il dit la mme chose, aprs quoi il se joignit aux disciples. Pilate jugea honteux de garder la lance qui avait t un instrument de supplice et il me semble que Nicodme la reut de lui. Je crois que nous avons une relique de Nicodme. È Elle plaa alors la relique avec les autres dans l'armoire de la muraille. Plus tard en prsence du Plerin, elle se tourna vers l'armoire, tant en extase, et dit : Ç Les soldats sont l avec la lance. Il y a dedans quelque chose de la lance du Christ. C'est Victor qui porte la parcelle dans la lance. Trois autres seulement en ont connaissance. È Le soir de ce mme jour elle fut en proie de telles douleurs qu'elle tait sur sa couche comme morte, quoique veille et ayant les yeux ouverts; elle ne pouvait se remuer ni faire aucun signe, enfin elle tait dans un tel tat d'insensibilit que mme l'ordre du prtre ou la bndiction du prtre semblaient sans effet. Plus tard elle raconta ce qui suit : Ç Aprs midi, j'eus le sentiment que la croix de Jsus tait sur moi et que son corps sacr tait couch mort ma droite et sur mon bras. A quelque distance je vis la sainte Lance; d'abord un grand morceau, puis un tout petit fragment. Que devais-je prendre pour ma consolation? Je pris le saint corps : la lance s'loigna de moi : alors je pus de nouveau parler. È
Une autre fois elle raconta ceci : Ç J'ai continu voir sainte Lance : et c'tait comme si elle tait enfonce dans mon ct droit et comme si je la sentais gauche passer le long des ctes. Je mis la main la blessure pour la diriger entre les ctes. È Elle avais cette occasion vomi du sang et rendu aussi du sang par le ct.
Effet de la parcelle de la vraie croix.
C'est dans le journal de Wesener qu'on trouve, la date du 16 octobre 1816, le premier fait rapport par un tmoin oculaire touchant le don de reconnatre les reliques : Ç Je trouvai la malade, dit-il, dans une profonde extase. Le pre Limberg tant prsent, je lui montrai une petite cassette que j'avais prise dans les objets laisss par ma belle-mre dcde rcemment. Elle contenait avec d'autres reliques deux parcelles assez notables de la vraie Croix. Le pre Limberg, sans dire un mot, me prit la cassette des mains et, s'approchant du lit de la malade, la lui prsenta quelque distance. Tout coup elle se releva, tendit les mains vers la cassette, comme pousse par un ardent dsir, et lorsqu'elle la tint, la pressa fortement contre son coeur. L-dessus le pre Limberg lui demanda ce qu'elle avait l. Elle rpondit : Ç Quelque chose de trs-prcieux, quelque chose de la sainte Croix. È Le P. Limberg la retira alors de l'extase par un commandement et je demandai ma cassette. Elle fut trs-tonne d'apprendre qu'elle tait moi, car elle croyait l'avoir trouve parmi de vieux chiffons de soie qu'on lui avait envoys de Coesfeld pour ses travaux destins aux pauvres et aux malades et elle tait extrmement tonne que la pieuse prsorne dont elle avait reu ces chiffons n'et pas mieux gard la relique. È
Cinq ans plus tard, le Plerin dit propos de la mme parcelle : Ç Aujourd'hui, pendant qu'elle tait en contemplation, on lui prsenta une parcelle de la vraie Croix appartenant au Dr Wesener; elle la saisit et dit : Ç J'ai aussi cela, je l'ai dans le coeur et sur la poitrine, (elle portait une relique de la vraie croix reue d'Overberg). J'ai aussi de la lance. Le corps tait sur la croix : la lance tait dans le corps. Que dois-je aimer le mieux ? La croix est l'instrument de la rdemption, la lance a ouvert une large porte l'amour. Oh ! hier j'y suis alle loin ! È (La veille tait un vendredi.)
Ç La parcelle de la vraie croix me rend les souffrances douces, la relique les chasse. Souvent quand la parcelle de la croix adoucissait mes douleurs, j'ai dit au Seigneur Seigneur, s'il vous avait t si doux de souffrir sur cette croix, cette petite partie que j'en ai nÕadoucirait pas ainsi es douleurs. È
Lors de son changement de demeure, en aot 1820, la parcelle de la croix donne par Overberg se perdit, ce qui l'affligea beaucoup. Elle pria saint Antoine de Padoue et fit dire une messe en son honneur afin que la relique se retrouvt. Le 17 aot, revenant elle aprs une vision, elle trouva dans sa main : Ç Saint Joseph et saint Antoine, dit-elle, ont t prs de moi et Antoine m'a mis la croix dans la main. È
Un vtement de la trs-sainte Vierge.
30 juillet 1820 : Ç J'ai dcouvert dans le petit paquet de reliques que m'a apport mon confesseur, un autre petit morceau d'toffe bruntre provenant d'un vtement de la Mre de Dieu. J'ai eu par suite une vision concernant Marie ; j'ai vu comment, aprs la mort de Jsus, elle habitait, avec une servante, une petite maison isole. Un coup d'oeil jet sur les noces de Cana me fit reconnatre que Marie y avait port cet habit : c'tait un habit de fte. Elle vivait dans la
petite maison toute seule avec une servante et elle recevait de temps en temps la visite d'un disciple, d'un aptre ou de saint Jean. Il n'y avait pas d'homme dans la maison. La servante allait chercher le pain qu'il leur fallait pour se nourrir. La contre tait tranquille et silencieuse : il y avait un bois peu de distance. Je vis Marie portant ce vtement visiter un chemin qu'elle avait dispos elle-mme dans le voisinage de sa demeure en mmoire des dernires voies douloureuses de Jsus. Je vis que, dans le commencement, elle suivait seule ce chemin, mesurant toutes les voies de la douloureuse Passion selon le nombre des pas dont elle avait si souvent fait le compte aprs la mort de Jsus, et que suivant l'intervalle qui sparait les lieux o il tait arriv Jsus quelque chose de particulier, elle faisait une marque avec des pierres ou sur un arbre, s'il s'en rencontrait un. Le chemin conduisait dans un bosquet et le tombeau de Jsus tait reprsent par une petite grotte creuse dans une colline. Lorsqu'elle eut ainsi marqu divers points de ce chemin, elle le suivit avec sa servante, plonge dans une contemplation silencieuse : quand elles arrivaient une des places marques, elles s'asseyaient et mditaient le mystre qui s'y trouvait rappel, puis, ayant pri, elles arrangeaient tout le mieux possible. Je vis alors que Marie crivait sur une pierre, avec un poinon, ce qui avait eu lieu en chaque endroit et le nombre des pas ou quelque chose de semblable. Je vis aussi qu'elles nettoyrent la grotte du tombeau et la disposrent de manire ce qu'on pt y prier commodment. Je n'ai vu l ni images, ni croix. C'taient seulement des places rappelant des souvenirs avec des inscriptions : tout cela tait fort simple. Je vis cette premire bauche de Marie devenir, la fin, par suite de frquentes visites et des travaux qui y furent faits, un chemin trs-fray avec toute sorte d'embellissements o, aprs sa mort, de pieux chrtiens venaient prier, baisant la terre en certains endroits. La maison qu'habitait Marie tait divise par des cloisons lgres de la mme manire que la maison de Nazareth. È
Ç Le vtement dont vient la relique se portait par-dessus; il couvrait seulement le dos o il faisait quelques plis et descendait jusqu'aux talons : la hauteur du cou, il passait sur une paule, couvrait la poitrine et arrivait l'autre paule o il tait attach par un bouton et formait ainsi une ouverture pour le cou. Il tait maintenu par la ceinture au milieu du corps et s'tendait depuis le dessous des bras jusqu'aux pieds, des deux cts du vtement de dessous qui tait brun. Aux deux cts de la robe il y avait un revers comme pour montrer la doublure. Ce revers tait de couleur avec des raies rouges et jaunes qui se croisaient. Ce nÕest pas de cette doublure, mais du ct de dessus que le morceau formant la relique a t coup. Cela semblait tre un habit de fte. On le portait ainsi suivant une ancienne mode juive. Sainte Anne en avait un pareil. Elle portait une robe de dessous dont le corsage (en forme de coeur), les manches et la partie antrieure n'taient pas recouverts par ce vtement de dessus. Celui de dessous avait des manches troites un peu fronces autour des coudes et des poignets. Les cheveux taient cachs par un bonnet tirant sur une qui s'avanait sur le front et se rattachait par des au derrire de la tte. Elle avait par-dessus un voile noir dÕune toffe souple qui tombait jusqu' la moiti du dos.È
Ç J'ai vu Marie, dans les derniers temps, faire avec cet habit son chemin de la croix : je ne sais pas si elle s'en servait parce que c'tait un habit de fte ou peut-tre parce quÕelle le portait, lors du crucifiement du Christ, sous le manteau de prire ou de deuil qui l'enveloppait tout entire. Je la vis dj avance en ge, mais on ne voyait en elle d'autre marques de vieillesse que l'expression d'un ardent dsir qui tendait la transfiguration : elle tait d'une gravit indicible, je ne l'ai jamais vue rire. Plus elle vieillissait, plus son visage paraissait blanc et transparent : elle tait maigre, mais je ne vis sur sa figure ni ride, ni trace de caducit. Elle ressemblait un pur esprit. È
Ç J'ai ouvert la relique : c'est un morceau d'toffe de la longueur du doigt. È
Reliques de Marie.
14 novembre 1821. Ç J'ai fait mon voyage accoutum dans la terre promise et cela, en m'arrtant diverses stations o j'ai vu des reliques de Marie et appris leur histoire. Je me suis trouve Rome avec sainte Paule : il semblait que ce ft le jour de son dpart pour la terre sainte et qu'elle visitt les saints lieux avec moi. Je ne sais plus propos de quoi je vis tant de reliques de la sainte Vierge. È
Ç Je suis alle dans l'endroit (c'est je crois Chiusi), o tait autrefois l'anneau de Marie qui est maintenant Prouse. Je vis qu'on y montre encore dans un vase une pierre blanche, mais l'anneau n'y est plus. J'ai vu l'histoire de l'anneau, mais la seule chose dont je me souvienne est qu'un jeune homme, au moment o on allait l'enterrer, se leva de son cercueil et dit qu'il ne pourrait pas avoir de repos tant que sa mre qui s'appelait Judith et qui tait une femme mondaine, n'aurait pas donn l'glise l'anneau nuptial de Marie qu'elle possdait : aprs quoi il se recoucha. È
Ç J'ai t dans un endroit qui est peut-tre celui o la maison de Lorette s'tait pose d'abord, moins que ce ne soit celui d'o les plats que j'ai vus sont alls Lorette. ils n'taient pas dans une glise qui fut vraiment une glise de chrtiens; les gens me faisaient l'effet de Turcs. Il y avait l quelques cuelles et vases de terre, tels qu'ils taient dans la maison de Lorette lorsqu'elle vint. Je ne sais plus bien si ce sont les vritables ou de ceux que sainte Hlne avait fait faire sur leur modle. Il y en a encore plusieurs Lorette, mais sainte Hlne fit couvrir d'un vernis pais, soit les vritables, soit les copies qui en avaient t faites, afin qu'ils pussent durer plus longtemps. Je crois que ceux qui sont Lorette sont les vrais. Ceux que je vis dans l'endroit dont je parle taient conservs soigneusement sous un autel. È
Ç Je vis aussi quelque part dans une glise grecque d'Asie un morceau d'un voile de Marie; il tait d'un bleu pass. A une poque antrieure on en avait tant donn qu'il ne restait plus qu'un petit morceau de ce voile autrefois assez grand. Il tait venu l par l'intermdiaire de saint Jean. Je vis dans une vision des gens qui doutaient et se disputaient au sujet de ce voile et comment un tmraire qui voulait s'en saisir effrontment eut la main paralyse, sur quoi la femme de cet homme se mit prier avec ferveur. Saint Luc tait aussi l avec quelques autres et il attesta l'authenticit de ce voile : il le posa sur la main de l'homme et la gurit. Saint Luc leur donna aussi une attestation crite ce sujet et je crois qu'elle est encore l. Il leur parla de ce qui le concernait personnellement, leur dit qu'il avait t adonn aux arts libraux, qu'il avait voyag de tous cts et qu'il avait vu souvent Marie lorsqu'il s'tait rencontr Ephse avec Jean. Il parla aussi des portraits qu'il avait faits. È
Ç J'allai encore dans un endroit o tait un vtement de dessous de Marie : c'tait, je crois, en Syrie, dans le voisinage de la Palestine. Ce vtement tait un de ceux que Marie avait donns deux femmes avant sa mort. Les gens de ce pays n'taient point des catholiques romains : je crois que c'taient des Grecs. Ils tenaient cette relique en grand honneur et en taient trs-fiers. Je crois que saint Franois d'Assise alla dans cet endroit et qu'il y fit un miracle en confirmation de l'authenticit de la relique. È
Ç J'ai aussi vu qu'au lieu o se trouvent le morceau de voile et lÕcrit de saint Luc, on conserve aussi une lettre de la Mre de Dieu. Elle est trs-courte et elle est reste d'une blancheur extraordinaire. J'en ai entendu la lecture, peut-tre m'en ressouviendrai-je. Saint Jean l'avait prie de l'crire ces gens qui ne voulaient pas croire beaucoup de choses qu'on leur avait dites de Jsus. È
Ç J'ai eu aussi une vision touchant une ceinture de Marie et des langes du Christ qui avaient t autrefois dans une magnifique glise Constantinople. Ils se trouvent dans un endroit o ils ne sont pas connus. J'ai vu, dans une autre vision, comme quoi un plerin rapporta de la terre sainte diverses reliques de Marie, notamment de ses cheveux, mais il fut attaqu par des voleurs et couvert de blessures : ceux-ci jetrent les reliques dans un feu qu'ils avaient allum mais le bless se trana auprs, y trouva les reliques intactes et fut guri. È
Ç L o tait la maison de Marie prs d'Ephse, il y a encore une pierre enfouie sous terre sur laquelle saint Pierre et saint Jean ont dit la messe. Pierre et Jean, toutes les fois qu'ils allaient en Palestine, visitaient aussi la maison de Nazareth et y offraient le saint sacrifice. Un autel s'levait la place o tait le foyer. Une petite armoire, dont Marie avait fait usage, servait de tabernacle et tait place sur l'autel. La maison de sainte Anne tait dans la campagne, une demi-lieue, tout au plus, de Nazareth. On pouvait de l, sans exciter l'attention, se rendre par des chemins de traverse dans la maison de Marie et de Joseph Nazareth, laquelle tait situe contre une colline. Elle n'tait point btie dans l'intrieur de la colline, mais sur le revers, et en tait spare par un sentier : il y avait aussi de ce ct une petite fentre ; mais il y faisait sombre. La partie postrieure de la maison tait triangulaire comme dans la maison d'Ephse, et dans ce triangle tait comprise la chambre coucher de Marie o avait eu lieu l'annonciation de l'ange. Cette partie tait spare du reste de la maison par le foyer. C'tait, comme Ephse, un mur avec des degrs, au milieu duquel passait un conduit pour la fume allant jusque sous le toit et termin par un tuyau saillant au-dessus du toit. A lÕextrmit de ce conduit, je vis, une poque postrieure, deux cloches suspendues. A droite et gauche de la chemine taient des portes donnant dans la chambre de Marie. Dans le mur o passait le conduit il y avait diverses niches o tait pose de la vaisselle. La couche de Marie tait droite derrire des cloisons; gauche se trouvait la petite armoire. Derrire la chemine tait une poutre de bois de cdre pose verticalement, laquelle s'appuyait le mur de la chemine et de celle-ci partait une poutre transversale aboutissant l'encoignure. L'oratoire de Marie tait gauche : elle s'agenouillait sur un petit escabeau. La fentre tait du ct oppos. Les murs en maonnerie grossire taient recouverts comme de grandes feuilles devant lesquelles taient encore suspendues des nattes. En haut le plafond tait comme tress d'corce d'arbre et chaque angle il y avait une toile; celle du milieu tait la plus grande. Lorsque Marie alla Capharnam, la maison qu'elle quittait resta dcore avec soin, comme un lieu sanctifi et Marie y allait souvent de Capharnam pour visiter le lieu de l'incarnation et y prier. Plus tard on attacha un plus grand nombre d'toiles au plafond. È
Ç Je me souviens que la partie postrieure de la maison avec la chemine et la petite fentre fut transporte en Europe, et il me semble, quand j'y pense, que je vis alors la partie antrieure s'crouler. Le toit n'tait pas haut ni pointu mais aplati tout autour sur les bords, toutefois de manire u'on pouvait en faire le tour derrire un rebord. La partie suprieure tait plate. Il n'y avait pas de tourelle,
mais le conduit pour la fume et les tuyaux sortaient par haut et taient recouverts d'un petit toit. A Lorette, je vis encore plusieurs flambeaux allums au-dessous. Lors de lÕ Annonciation, sainte Anne couchait gauche dans une espce dÕalcve, prs du foyer.
Prtendus cheveux de Marie.
Anne Catherine avait reu du couvent de Notteln, par l'intermdiaire d'une de ses anciennes consoeurs, des cheveux qu'on disait avoir t apports dans le pays par saint Ludger comme cheveux de la sainte Vierge. Lorsqu'elle les prit prs d'elfe, elle eut la vision suivante : Ç Une vierge de l'aspect le plus aimable s'avana vers moi droite du pied de mon lit. Elle avait un vtement blanc lumineux avec un voile jaune qui lui descendait jusqu'aux yeux et je distinguai, travers le voile, des cheveux d'un blond rougetre. Tout l'espace autour d'elle tait clair, ce n'tait pas comme la lumire du jour, mais comme un rayon de soleil. Il y avait dans toute sa personne quelque chose qui rappelait la Mre de Dieu et comme cette pense m'tait venue, elle me parla peu prs ainsi : Ç Ah ! je suis bien loin d'tre Marie, mais je suis de sa race et je vivais trente ou quarante ans aprs elle. Je suis de son pays, je ne l'ai pas connue, je ne suis pas alle non plus aux lieux o elle a tant souffert, pour ne pas me trahir comme chrtienne, dans un temps o les chrtiens taient trs-perscutes. Mais le souvenir du Seigneur et de sa mre tait si vivant dans ma famille que je m'efforai de tout mon pouvoir d'imiter leurs vertus et je suivais en esprit la trace des pieds du Sauveur que je croyais trouver dans mon lieu natal comme d'autres chrtiens les cherchent sur le chemin de la croix. J'ai eu la grce de ressentir les douleurs caches de Marie et 'a t mon martyre. Un successeur des aptres, un prtre, fut mon ami et mon guide (ici elle me dit le nom que j'ai oubli plus tard : ce n'tait pas un nom d'aptre et il ne se trouve pas non plus dans les litanies : c'est un ancien ,nom tranger, mais il me semble pourtant l'avoir dj entendu). Cet homme fut cause qu'on sut quelque chose de moi, autrement je serais reste tout fait inconnue. Il envoya de mes cheveux Rome. Un vque de ton pays les reut l et les porta ici avec beaucoup d'autres choses, mais tout cela est aussi tomb dans l'oubli. Il est venu Rome beaucoup de reliques de mon temps qui n'taient pas des reliques des martyrs. È Voil peu prs ce que j'appris de cette apparition. La manire dont on reoit de semblables communications ne peut s'exprimer. Tout ce qui est dit est singulirement bref, un seul mot m'en apprend plus que trente ne font ailleurs. On a l'intuition de la pense de ceux qui parlent, on ne la voit pas avec les yeux et pourtant tout est plus clair et plus distinct qu'aucune impression de la vie ordinaire. Un reoit cela avec le mme plaisir qu'un souffle de vent frais dans les chaleurs de l't. C'est quelque chose qu'on ne peut rendre avec des paroles. Aprs cela, la vision disparut. È
Objets bnits.
Ç Je n'ai jamais vu une image miraculeuse briller. Mais j'ai vu en face de ces images un soleil de lumire duquel elles recevaient des rayons qu'elles renvoyaient sur ceux qui priaient. Je n'ai jamais vu briller la croix de Coesfeld, mais bien la parcelle de la vraie Croix qui est enferme dans la partie suprieure. J'ai vu aussi des rayons renvoys par la croix sur les personnes qui priaient : je crois que toute image qui rappelle Dieu ou un instrument de Dieu peut recevoir la vertu d'oprer des miracles en suscitant des prires faites en commun avec une vive et ferme confiance et o la foi triomphe compltement de la faiblesse de la nature. È
Un jour que le Plerin lui prsentait un Agnus Dei pendant qu'elle tait occupe avec des reliques, elle le prit en main et dit : Ç Ceci est bon et touch de la force d'en haut : c'est bnit : mais ici dans les reliques j'ai la force elle-mme. È Elle dit d'une croix bnite : Ç La bndiction y brille comme une toile ! il faut l'honorer grandement : mais les doigts du prtre (elle se tourna alors vers son confesseur) sont encore au-dessus. Cette croix peut prir. La conscration des doigts est ineffaable; elle est ternelle, ni la mort, ni l'enfer ne peuvent l'anantir. Dans le ciel mme elle se distingue encore. Elle provient de Jsus qui nous a rachets. È Quelqu'un lui ayant apport une petite image bnite de la Mre de Dieu, elle dit : Ç Cette image est bnite, conservez-la bien et ne la laissez pas parmi les choses profanes. Qui honore la Mre de Dieu est son tour honor par elle prs de son fils. Ces choses sont trs-utiles dans les tentations quand on les presse sur son coeur. Il faut bien les garder. È Une autre petite image lui ayant t porte, elle la posa sur sa poitrine et dit : Ç Ah ! la forte femme ! Cette image a touch l'image miraculeuse. È
Un denier de saint Benot.
Le Plerin lui donna un reliquaire en verre o un denier tait fix sur un petit morceau de velours. Elle dit alors
Ç L'toffe est aussi bnite. C'est un denier bnit de saint Benot : il a reu une bndiction que saint Benot a laisse son ordre et qui se fonde sur le miracle qui eut lieu lorsque ses moines lui prsentrent un breuvage empoisonn et que le verre se brisa quand il fit dessus le signe de la croix. Ce denier est un prservatif contre le poison, la peste, la sorcellerie et les assauts du diable. Le velours rouge sur lequel on l'a cousu a repos sur le tombeau de saint Willibald et de sainte Walburge : il vient de l'endroit o l'huile coule des os de sainte Walburge. Je vis que les prtres l'y portrent pieds nus et qu'ensuite ils le couprent pour y placer de semblables objets. Le denier a t bnit dans ce monastre. È
Un jour le Plerin posa prs de sa main une petite image de sainte Rita de Cassia qui, l'anne prcdente, avait t humecte avec une goutte de sang sortie de ses stigmates. Elle la prit et dit : Ç Je vois une nonne malade qui n'a ni chair ni os. Je ne peux pas la toucher. È
11 Juillet 1821. Pendant qu'elle racontait quelque chose, le Plerin lui mit dans la main un livre ouvert au feuillet qui avait t prcdemment mouill de son sang. Tout coup elle sourit et dit : Ç Qu'est-ce que cette jolie fleur raye de rouge et de blanc qui saute du livre art milieu de ma main ?È Dans un autre moment, le Plerin lui mit ce mme feuillet entre les mains en lui demandant si ce feuillet avait touch quelque chose elle y promena sa main et rpondit : Oui, il a touch les plaies de Jsus. È
En octobre 1821, une dame de Paris envoya une petite image qui avait touch aux ossements de saint Bobadilla. Elle la porta son front cause des violents maux de tte dont elle souffrait. Le saint lui apparut, lui apporta un grand soulagement et elle vit tout son martyre. = Le Plerin lui avait donn un anneau d'argent bris qui avait t bnit prs du tombeau du bienheureux Nicolas de Flue Sachseln ; il tait envelopp dans un papier. Elle tait extase lorsqu'elle le reut. Elle dit plus tard : ÇJe vis comment frre Klaus (abrviation de Nicolas) se spara de sa famille et comment dans son union avec sa femme, il supprima ce qui tait corporel, ce qui rendit d'autant plus fort le lien spirituel. Je vis le brisement de la chair sous une forme particulire qui tait comme le brisement d'un anneau et je reus une instruction touchant le mariage selon la chair et selon l'esprit. L'anneau qui m'a procur cette vision a t bnit en l'honneur du frre Klaus. È
Un coup d'oeil sur le paradis.
13 fvrier 1821. Le Plerin apporta et mit sur son lit, en prsence de son frre et du confesseur, un fragment d'ossement ptrifi, de la grosseur d'un Ïuf, qui avait t trouv dans la Lippe. Elle tait en contemplation, mais elle prit l'ossement de la main gauche et le tint un certain temps sans remuer. Alors elle ouvrit les veux, regarda le Plerin qui s'attendait des reproches pour lui avoir prsent au lieu d'une relique l'os d'un animal, et dit, toujours absorbe dans la contemplation : Ç Comment le Plerin entre-t-il dans ce beau et merveilleux jardin o mes regards seuls pntrent? J'y vois le Plerin avec le grand animal : comment cela se peut-il? Ce que je vois est d'une beaut inexprimable: je ne puis le dire, je ne puis le rendre. 0 mon Dieu, combien vous tes admirable, puissant, magnifique et aimable dans vos Ïuvres ! Oh ! il y a l plus que tout ce qui est dans la nature ! L, rien n'a subi le contact du pch! il n'y a rien de mauvais, tout est comme nouvellement sorti des mains de Dieu ! Je vois l tout un troupeau d'animaux blancs. Leurs crinires descendent sur leur dos comme des masses de cheveux boucls. Ils dpassent de beaucoup la taille de l'homme et pourtant ils courent aussi lgrement et aussi vite que des chevaux. Leurs jambes sont comme des colonnes et pourtant ils posent les pieds si doucement ! Ils ont une longue trompe qu'ils peuvent lever, baisser et tourner de tous les cts comme un bras : de longues dents, blanches comme la neige sortent de leur bouche : comme ils sont lgants et propres ! Cet norme animal est tout plein de grce : ses yeux sont petits, mais si intelligents, si clairs, si doux! cela ne peut s'exprimer. Ils ont de larges oreilles pendantes: leur queue n'est pas grande, mais elle est comme de la soie: on ne peut pas y atteindre quand on lve le bras. Ah ! ils doivent tre bien vieux comme leurs poils sont longs! Ils ont aussi des petits pour lesquels ils ont une tendresse incroyable : ils jouent avec eux d'une manire toute enfantine. Ils sont si intelligents, si bons, si doux! ils courent en si bon ordre, en files ou en rangs! on dirait qu'ils ont des affaires qui les occupent. Il y a l d'autres animaux. Ce ne sont pas des chiens: ils sont d'un jaune dor : ils ont de longues crinires et presque des visages humains. Ce sont des lions, mais si doux! Ils se prennent les uns les autres par la crinire et jouent ensemble. Je vois aussi des moutons et des chameaux, des bÏufs et des chevaux; tous blancs et brillants comme de la soie; il y a aussi des nes blancs d'une beaut merveilleuse. On ne peut dire combien tout cela est beau, quel ordre, quelle paix, quel amour rgnent partout. Les animaux ne se font pas de mal, ils s'aident rciproquement. La plupart sont blancs ou d'un jaune d'or : je ne vois presque pas d'animaux couleurs fonces. Et combien cela est merveilleux ! ils ont toutes leurs demeures si bien ranges et si bien distribues ! ils ont comme des chambres et des passages et tout est si propre ! On ne peut pas se l'imaginer. Je ne vois pas d'hommes, il n'y en a pas l: mais des esprits y viennent sans doute pour mettre certaines choses en ordre, on ne peut pas croire que des animaux fassent ce que font ceux-ci. È
Aprs une pause, elle dit : Ç Voil sainte Franoise Romaine et sainte Catherine de Ricci. Bien au-dessus du beau jardin, il y a comme un soleil et c'est l qu'elles sont. Elles volent sur ses rayons et regardent au-dessous d'elles. Je vois encore beaucoup d'autres saints dans ce soleil qui est d'une blancheur blouissante. Il y a au-dessus de moi comme une draperie de soie blanche tendue, qui brille dans ce soleil, et l-dessus les saints planent et regardent en bas. Je sais tout maintenant. Toute eau descend de l-haut. C'est le paradis ! Les animaux y sont conservs. L, tout est encore comme Dieu l'a cr, mais ce lieu me semble maintenant beaucoup plus grand que le paradis ne l'tait alors. Aucun homme ne peut y entrer. L'eau sainte, magnifique, admirablement claire qui jaillit de l et parcourt si agrablement le jardin des animaux, forme autour du paradis une grande muraille liquide. Ce n'est pas un lac, c'est un mur; et comme ce mur est merveilleux et brillant ! Dans le haut il n'est fait que de gouttes d'eau, comme de pierres prcieuses. On dirait des gouttes de la rose du matin qui pendent aux haies. Telle est la partie suprieure, tout y est limpide comme du cristal : ce mur s'coule par en bas en petits ruisseaux qui se runissent et forment beaucoup plus bas encore une immense chute d'eau. Quel bruit elle fait! Personne ne pourrait l'entendre sans devenir sourd. Toute eau vient de l nous, mais altre et mlange. La montagne des prophtes reoit de l son eau et son humidit. La montagne des prophtes est situe trs-au-dessous de la cataracte, dans un lieu o toute l'eau est redevenue vapeur. La montagne des prophtes est dj haute comme le ciel : aucun homme ne peut y arriverez on ne voit sur elle que des nuages; or, ce jardin est encore au-dessus d'elle de toute la hauteur du ciel et l'endroit o j'ai vu les saints est lev une semblable hauteur au-dessus du paradis. Il n'y a pas l d'difices en pierre, mais des berceaux, des salles, des alles pour les animaux que la vgtation forme comme elle-mme. Les arbres sont excessivement hauts ; leurs troncs sont parfaitement droits et d'une rare lgance. J'en vois de blancs, de jaunes, de rouges, de bruns et de noirs. Non, ils ne sont pas noirs, mais d'un bleu argent brillant. Et quelles merveilleuses fleurs ! Je vois beaucoup de roses, notamment beaucoup de roses blanches : elles sont trs grandes, viennent sur des tiges leves et montent le long des arbres. Je vois aussi des roses rouges et de grands lis blancs. Je vois le gazon moelleux comme de la soie : mais je ne puis que voir, je ne puis pas sentir ; c'est trop loin de moi. Comme ces pommes sont belles! elles sont allonges et jaunes. Et comme les feuilles des arbres sont longues! Les fruits du jardin de la maison des noces semblent difformes en comparaison de ceux-ci et pourtant ils sont d'une beaut indicible, compars aux fruits; de la terre. Je vois aussi un grand nombre d'oiseaux : je ne puis dire combien ils sont beaux et lumineux, combien leur plumage est vari. Ils font leurs nids dans les fleurs, au milieu des plus belles fleurs. Je vois aussi des colombes s'envoler par-dessus le mur, portant dans leur bec des feuilles et de petites branches. Je crois que les feuilles et les fleurs qui me sont donnes quelquefois pour ma gurison viennent toutes de ce jardin. Je ne vois pas de serpents comme ceux qui rampent sur la terre : mais il y a un joli petit animal, de couleur jaune, qui a une tte de serpent : il est plus gros par en haut et extrmement mince par en bas. Il a quatre pattes et se dressa souvent sur ses pieds de derrire, alors il est de la hauteur d'un enfant. Ses pieds de devant sont courts : ses yeux clairs et intelligents: il est trs-gracieux et trs-agile, mais j'en vois fort peu. Tel tait l'animal qui sduisit éve. È
Ç Chose tonnant ! Il y a une porte dans la muraille d'eau et il y a deux hommes auprs. Ils reposent st dorment, le dos appuy la brillante muraille d'eau, les mains jointes sur la poitrine, les pieds tourns l'un vers l'autre. Ils ont de longs cheveux boucls. Ce sont des hommes appartenant la classe des esprits; ils sont vtus de longs manteaux blancs et ils ont sous le bras de minces rouleaux couverts d'une criture brillante. Des houlettes pastorales sont par terre auprs d'eux. Ce sont des prophtes, oui, je le sens, ils sont en relation avec celui qui est sur la montagne des prophtes. Et combien sont admirables les couches ou les tombeaux sans lesquels ils reposent! Les fleurs croissent autour d'eux, brillantes de lumire et formant des figures rgulires. Elles entourent leurs ttes, d'abord blanches, puis rouges, puis vertes, puis bleues, toutes brillantes comme l'arc-en-ciel. È Alors le confesseur lui tendit la main et elle dit : Ç Voici aussi un prtre. Comment vient-il ici? Cela est bien : il faut qu'il voie les merveilles de Dieu. È
Le jour suivant, le Plerin trouva la malade un peu trouble cause de la vision qu'elle avait eue. Elle dit que son confesseur en avait ri comme de choses impossibles. Le Plerin lui rpliqua qu'elle ne devait pas se plaindre de ce que ses ennemis ne voyaient en elle que mensonge, si elle-mme traitait d'extravagances ce que Dieu lui montrait. Alors elle rpta tout son rcit de la vision, et y ajouta ce qui suit comme claircissement. Ç J'tais en dehors du mur du paradis, comme leve en l'air. Je pouvais voir par-dessus et travers le mur : je m'y mirais aussi en plusieurs endroits et je paraissais alors incroyablement grande. Ce mur autour du paradis tait form de gouttes d'eau (note) qui taient toutes comme triangulaires, rondes ou de formes diverses, et se touchaient sans laisser d'intervalles entre elles: mais elles formaient toutes sortes de figures et de fleurs; c'tait comme une toffe ramages.
(note) Caldron dans son drame intitul : La vie est un songe, fait dire l'lment de l'eau par la sagesse divine : Ç Eaux, partagez-vous ! levez-vous en partie vers le ciel et formez le firmament de cristal, afin que le feu qui occupe l un sige lumineux tempre ses ardeurs dans la fracheur de l'eau, etc.
On pouvait voir au travers : mais on ne voyait pas aussi distinctement que quand on regardait par-dessus. Le rebord suprieur du mur avait la couleur de l'arc-en-ciel et il n'y avait pas de figures : il s'levait vers le ciel, comme fait l'arc-en-ciel quand nous le voyons sur la terre. Lorsqu'on suivait ce mur en descendant, on voyait dans le bas des cristaux se fondant, pour ainsi dire, en petits ruisseaux semblables des fils d'argent et ceux-ci formaient ensuite une norme cataracte. C'tait un tel bruit que je crois qu'on ne pourrait l'entendre sans mourir. J'en ai encore les oreilles tourdies. Au-dessous, une plus grande profondeur, il semblait que cette chute d'eau s'vaporas en nuages et la montagne des prophtes paraissait recevoir de l toute son eau. La porte tait ouverte par en haut, et cependant elle avait la forme d'une arcade. Le rebord color du mur s'tendait l'intrieur des deux cts et, vers le milieu, la lumire tait plus subtile comme lorsqu'on voit une chose travers une autre. Les bords du mur contre lesquels les prophtes s'appuyaient n'taient plus en gouttes, ni en cristaux, ils formaient une surface unie ayant la blancheur de la neige; c'tait comme du lait, ou comme une fine toffe de soie. Les prophtes avaient de longs cheveux d'un blanc jauntre : leurs yeux taient ferms, ils taient couchs comme sur des lits de fleurs, les mains croises sur la poitrine, envelopps dans de longs vtements lumineux et le visage tourn vers le monde. Leurs rouleaux taient minces et brillants : j'y vis des lettres bleues et couleur d'or. Leurs crosses taient blanches et sans ornements. Autour d'eux je distinguais les fleurs, ayant la couleur de l'arc-en-ciel, ranges rgulirement, et comme vivantes. Leur tte tait environne d'une aurole de la couleur de l'arc-en-ciel, comme la gloire des saints, et dont l'extrmit se perdait dans une lumire blouissante. Cette porte tait situe l'orient. Quelques-uns des lphants n'avaient pas le poil pais et fris comme les autres: leur peau tait unie. Les petits couraient entre leurs jambes comme des agneaux. Ils avaient de grands berceaux de feuillage o je les vis par couples avec leurs petits. Je vis aussi des chameaux poil blanc, de trs-beaux nes rays de bleu; des animaux tachets de blanc, de jaune et de bleu. Le serpent quadrupde semblait tre au service des autres animaux. Sa couleur tirait sur le jaune. È
Ç Dans l'eau limpide des ruisseaux, je vis des poissons brillants et d'autres animaux. Je ne vis pas de vermine, ni de btes dgotantes telles que les crapauds. Tous les animaux avaient des places spares et des sentiers rgulirement tracs. Je vis le paradis grand comme une autre terre. Il y a des hauteurs arrondies, sans dchirures, plantes de beaux arbres. Je vis la plus leve de ces minences et je crus que c'tait le lieu o Adam avait repos. Je vis une issue vers le nord, mais pas de porte, c'tait comme des tnbres qui commenaient, comme un trou, comme un prcipice.. Il me sembla aussi que c'tait de la que les eaux s'taient rpandues pour le dluge. Auprs de la grande masse d'eaux d'o la cataracte se prcipitait, je vis une grande plaine verdoyante seme d'ossements normes, presque blancs, qui semblaient, avoir t rejets par l'eau. Tout en haut est le mur de cristal, un peu plus bas coulent les filets argents, puis la vaste tendue d'eau d'o sort la cataracte avec son bruit assourdissant. La cataracte se perd en nuages d'o la montagne des prophtes reoit son eau. Celle-ci est beaucoup plus bas l'orient. Tout y est dj plus terrestre. È
1 novembre 1823. Ç Les mammouths, ces animaux gigantesques, taient connus avant le dluge : il en entra dans l'arche un couple trs-jeune. Ils taient les derniers et se tenaient tout prs de l'entre. Aux poques de Nemrod, de Djemchid et de Smiramis, j'en vis encore plusieurs : mais on leur faisait constamment la guerre et ils ont disparu. Les licornes subsistent encore et habitent ensemble. Je connais une rondelle de la corne d'un de ces animaux qui est pour les btes malades ce que sont les objets consacrs et bnits pour les hommes. J'ai souvent vu qu'il y a encore des licornes : mais elles vivent trs-loignes des hommes dans les hautes valles o je vois l'horizon la montagne des prophtes. Elles sont peu prs de la taille d'un poulain, elles ont les jambes fines, peuvent gravir trs-haut et se tenir sur un petit espace en rassemblant leurs pieds. Elles rejettent leurs sabots comme des corces ou des soulier, car j'ai vu de ces sabots sems par terre et l. Elles ont de longs poils tirant sur le jaune. Ces animaux deviennent trs vieux: ils ont sur le front leur unique corne : je vis qu'elle tait longue d'une aune et recourbe en arrire par en haut. Ils dposent leur corne certaines poques : elle est recherche et garde comme quelque chose de trs-prcieux. Les licornes sont trs-craintives et on ne peut pas en approcher. Toutefois elles vivent en paix entre elles et avec les autres btes sauvages. Les mles et les femelles vont part et ne se runissent qu' certains temps. Elles sont chastes et n'ont pas beaucoup de petits. Elles sont trs-difficiles voir et prendre, car d'autres animaux vivent en avant des lieux qu'elles habitent. J'ai vu qu'elles ont un certain empire sur les btes les plus venimeuses et les plus horribles auxquelles elles inspirent un respect particulier. Les serpents et d'autres affreux animaux se roulent sur eux-mmes et se mettent humblement sur le dos quand une licorne s'approche d'eux et souffle sur eux. J'ai vu qu'elles ont une espce d'alliance avec les animaux les plus dangereux et qu'ils se protgent mutuellement. Quand un danger menace la licorne, ces derniers rpandent partout la frayeur et la licorne se retire derrire eux : mais elle les protge son tour centre leurs ennemis, car tous se retirent effrays devant la force secrte et merveilleuse de la licorne quand elle s'approche et souffle sur eux. Ce doit tre un des plus purs parmi les animaux, car tous les autres lui tmoignent un grand respect. L o elle pat, l o elle va boire, tout ce qui est venimeux se retire. Il me semble qu'on voit en elle un symbole de saintet quand on dit que la licorne ne pose sa tte que sur le sein d'une vierge pure. Cela signifie que la chair n'est sortie sainte et pure que du sein de la sainte Vierge Marie; que la chair abtardie est sortie d'elle rgnre, ou qu'en elle, pour la premire fois, la chair est devenue pure, qu'en elle l'indomptable a t vaincu, qu'elle a dompt tout ce qui tait sauvage; qu'en elle l'humanit indomptes a t purifi et vaincue ou que dans son sein le poison s'est retir de la terre. J'ai vu ces animaux dans le paradis, mais beaucoup plus beaux. J'ai vu une fois de ces licornes atteles au char d'Elie lors de son apparition un homme dont il est question dans l'Ancien Testament. J'ai vu les licornes au bord de torrents sauvages et imptueux, dans des valles profondes, troites, dchires, o elles courent rapidement. J'ai vu aussi des endroits loigns o beaucoup d'ossements de ces animaux gisaient entasss au bord de l'eau et sous la terre. È