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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH
CHAPITRE XIV
LA SITUATION EXTERIEURE D'ANNE CATHERINE DEPUIS 182O.
- ELLE RACONTE LA VIE DE JSUS.
- LES RAPPORTS DU PéLERIN AVEC ELLE.
- LE PERE LIMBERG. - LES DERNIERS JOURS DE L'ABB LAMBERT.
Les Visions pralables - Vision du rossignol mourant.
1. Dans le printemps de 1820 Anne Catherine vit de nouveaux tourments qui ne devaient pas tarder l'assaillir. Ils lui furent montrs d'avance dans des visions, comme venant du Plerin et comme devant durer jusqu' sa mort: elle lut aussi dans l'me du Plerin lui-mme et reconnut, d'aprs des expriences de tous les jours, ce qui lui tait rserv, si elle prenait sur elle de raconter les visions touchant la vie de Jsus. Ç Mon temps est accompli, avait-elle dclar son confesseur le 11 mars 1820, je vis uniquement parce que jÕai faire une chose pour laquelle peu de temps m'est accord. È Et le confesseur rendit aussi ce tmoignage : Ç LorsquÕelle n'tait encore connue de personne, sa destination tait dj remplie. Je sais cela. È C'est--dire elle avait fini sa tche et pouvait mourir si elle n'avait prfr s'avancer encore plus loin sur la voie douloureuse pour la gloire de Dieu et le salut des mes. Plus elle communiquait abondamment ses visions au Plerin et plus celui-ci en avait rapporter, plus aussi ses exigences taient grandes et plus il se sentait vivement bless par toutes choses sans exceptions, par les personnes et les relations dans lesquelles il voulait voir la cause de drangements qui lui taient insupportables. Il se croyait appel sauver pour les contemporains et pour la postrit les merveilleux trsors que Dieu avait dpartis avec une plnitude surabondante une me qui, suivant lui, Ç n'en avait pas besoin pour elle-mme et qui n'tait mme pas capable de les apprcier leur valeur. È Et comme il pouvait se rendre lui-mme le tmoignage qu'il ne reculait devant aucune fatigue pour correspondre cette vocation, qu'il y dvouait mme tout son temps et toutes ses forces, il se montrait chaque jour plus exigeant et plus intraitable vis--vis Anne Catherine et son entourage, parce qu'il voulait que toute autre considration passt aprs son travail et qu'Anne Catherine elle-mme y vit le but de la tche qui lui tait impose.
Ç Elle devient chaque jour plus faible, plus malade, s'crie-t-il, et sacrifie tout ce qui lui est montr par Dieu. Il semble que ses visions soient pour elle et non pour d'autres. Elle ne sait presque plus que se plaindre; tre malade, se chagriner ou vomir. Elle oublie une vision parce qu'elle ne s'intresse gure ces sortes de choses et laisse effacer toutes ses impressions par des affaires superflues et par des soucis encore plus superflus. Si elle en tirait seulement des consolations ou des lumires pour elle-mme, on pourrait encore l'excuser, mais les visions lui sont donnes pour tre communiques et elle n'en tient pas compte. È
Jamais Anne Catherine ne pouvait le satisfaire, jamais l'abb Lambert, le P. Limberg ou Wesener ne pouvaient faire pour lui quelque chose dont il leur st gr. Si Wesener a piti de la malade quand, livre des souffrances intolrables, elle soupire aprs un soulagement, et s'il lui offre un moyen d'y arriver, on ne peut pas compter sur lui ; il n'a pas un caractre franc. Ç Quoiqu'il ait combattu un bon combat contre beaucoup de souffrances, il n'est pourtant pas assez humble pour supporter volontiers que la malade soit quelque chose de tout diffrent de ce qu'il a cru voir en elle et pour s'avouer que son traitement et ses crivasseries sont insuffisants. È
Le confesseur ne peut jamais s'entendre avec le Plerin. Ç Comme celui-ci (le confesseur) ne veut jamais reconnatre qu'il puisse se tromper, rien ne peut le porter intrieurement une charit affectueuse, tant qu'il a une semblable prtention. Or le Plerin est convaincu que si le confesseur voulait seulement comprendre ce qu'est la malade et mettre quelque rgularit dans sa vie, on ne perdrait rien de ses visions : c'est quoi l'on pourrait arriver, non-seulement sans l'incommoder le moins du monde, mais mme en lui procurant plus de calme et de srnit. Mais il est persuad jusqu' en perdre courage que cela est impossible avec la faon dont elle est dirige. Si elle commence communiquer quelque chose, on est expos chaque instant l'humiliation et la souffrance d'tre oblig de cder la place la visite parfaitement insignifiante de quelque servante ou de quelque commre. Les choses srieuses, ncessaires, sont comptes pour rien et on les met de ct avec le pauvre crivain qui leur a sacrifi le temps prcieux de sa vie dj dfaillante, etc. Il est inutile et fastidieux de parler de cela. Il est certain qu'on ne pourra jamais se faire une ide de l'ensemble de sa vie intrieure. Elle-mme n'en a pas l'intelligence. Le Plerin ne peut rien sur elle: le confesseur qui a dans ses mains la clef du grand mystre de cette vie ne s'y intresse pas autrement et ne pourrait pas non plus le dmler. Bien plus, le Plerin regarde, certains gards, comme heureux qu'il en soit ainsi : car si cet abme de sparation n'existait pas entre le pouvoir tout fait volontaire que le confesseur exerce sur elle et la sphre surnaturelle de ses visions, on ne pourrait reconnatre comment toutes ces choses se produisent en elle. Maintenant le peu qu'elle communique est pris de son propre miroir intrieur : quoiqu'il soit bris en morceaux, cependant on peut lui reprocher que les couleurs y soient altres. È
2. Des plaintes de ce genre s'accumulent de mois en mois dans le journal du Plerin avec une irritabilit toujours croissante et suffisent expliquer assez clairement combien la prsence continuelle du Plerin tait difficile supporter pour Anne Catherine et son entourage, parce qu'il ne voulait jamais comprendre qu'il pt y avoir une autre apprciation plus juste que celle laquelle lui-mme s'tait habitu soumettre la personne d'Anne Catherine et la tche qu'avait remplir cette crature privilgie. L'auteur de la prsente biographie, aprs s'tre impos la fatigue de lire plusieurs reprises et de comparer entre eux avec une attention scrupuleuse les mille et mille feuillets sur lesquels le Plerin a not les visions, ses observations et ses expriences, ainsi que les plaintes et les reproches dont il accable la malade et ceux qui l'entourent, est oblig de reconnatre, pour rendre hommage la vrit, que l'abb Lambert, le pre Limberg et le docteur Wesener ont beaucoup mieux jug la malade, l'ont traite avec incomparablement plus de charit et l'ont aide dans sa tche avec beaucoup plus de succs que le Plerin. Si ce dernier pouvait recevoir les communications d'Anne Catherine, il en tait uniquement redevable aux deux prtres qui, institus par Dieu gardiens de sa fidle servante, ont rempli leur devoir aussi fidlement et aussi consciencieusement que l'a fait de nos jours, Kaltern, le pre Capistran pour la pieuse Marie de Moerl. Et prcisment les reproches que le Plerin ne cesse d'adresser au pre Limberg sont la preuve la plus concluante qu'il n'et pas t facile de trouver pour Anne Catherine un directeur plus convenable que ce prtre humble, simple, plein de foi, irrprochable dans ses moeurs, aux yeux duquel ce n'taient pas les visions, les dons et les phnomnes extraordinaires, mais une perfection maintenue par les souffrances et par la pratique de toutes les vertus qui tait le but auquel il devait conduire sa fille spirituelle. Ce n'tait donc pas par inintelligence, par indiffrence et par manque de sympathie, comme le Plerin s'en plaint continuellement, mais par un profond sentiment du devoir et par une claire apprciation du grand pouvoir que lui donnait le caractre sacerdotal sur la malade et sur ses dons, qu'il se montrait si laconique, si bref, si svre dans ses paroles, si prudent et si rserv, parce qu'il pensait aux moyens de l'affermir dans cette simplicit qui s'ignore compltement elle-mme et dans une humilit de plus en plus profonde. C'tait cela que tendait sa manire d'agir avec elle et c'est d'aprs cela, que doit tre jug ce digne religieux. Jamais il ne la dbarrassait d'un souci domestique, jamais il ne traitait son insupportable soeur avec la rudesse que le Plerin aurait voulu voir employe son gard, jamais il ne fermait sa porte aux pauvres, aux malades, aux affligs, afin qu' toute heure Anne Catherine et quelque occasion de pratiquer l'humilit, la charit et la patience; encore moins pouvait-on le dcider s'extasier sur les visions, ou renvoyer la malade aux tables clestes et aux soulagements surnaturels, nier l'action des causes naturelles dans ses maladies et ses souffrances et lui interdire, en consquence, le recours l'assistance du mdecin et aux remdes ordinaires. Un jour, que devant le Plerin, il laissa chapper ces paroles : Ç Je dsire toujours revenir dans mon couvent et, si je n'y tais pas oblig, je ne viendrais pas voir la soeur Emmerich, È celui-ci voulut voir l une nouvelle confirmation de son peu de sympathie pour la malade et de son incapacit la comprendre. Et pourtant ces paroles dites sans calcul sont un tmoignage des plus honorables en faveur de Limberg, et montrent bien quÕil tait appel par Dieu s'occuper d'elle. Lors de la premire enqute, au printemps de 1818, il s'en tait remis la dcision du vicaire gnral, quant son remplacement par un autre prtre auprs d'Anne Catherine: mais, aprs la clture de cette enqute, quoiqu'ayant t longtemps l'objet d'une dfaveur qu'il n'avait pas mrite, il fut confirm formellement dans la charge de confesseur de la malade. C'est pourquoi il avait raison de demander au Plerin, qui mettait si volontiers en avant ce qu'il appelait son devoir de se faire raconter les visions en cartant tout ce qui pouvait y mettre obstacle, quelle autorit ecclsiastique lui avait impos ce devoir, ou lui avait ordonn pareille chose en vertu de l'obissance; tandis que le Plerin ne voyait l, comme en tmoignent ses notes, Ç qu'un langage en l'air, dpourvu de raisons solides et dnotant une grande confusion d'ides. È C'tait pourtant en ralit le sentiment du devoir et la conscience qui retenaient le pre Limberg dans une position qu'il n'avait jamais recherche; ce n'tait pas le caprice, ni l'amour du merveilleux, ni l'inclination naturelle; car, de mme que l'abb Lambert, depuis le premier jour de ses relations spirituelles avec Anne Catherine, il tait entr avec elle dans la voie des souffrances et il avait eu supporter avec elle l'injure et la calomnie pousses l'excs. Aprs s'tre vu, pendant huit, ans, trait avec mfiance et presque avec mpris par ses suprieurs ecclsiastiques, ce ne fut que le 20 aot 1820 qu'il en reut la premire marque de confiance par lettres du vicaire gnral et de l'vque suffragant, et que sa position fut rgle vis--vis de Rensing. Comme dans les dernires annes de la vie de la malade, les souffrances de celle-ci augmentrent et avec elles son besoin de secours spirituels, le Plerin lui-mme ne put s'empcher de rendre ce tmoignage au pre Limberg : Ç Vritablement, il exerce jour et nuit auprs d'elle un ministre spirituel trs-pnible et il faut joindre cela l'assistance qu'il va donner au loin, sans jamais se lasser, quelque temps qu'il fasse, et s'acquittant de ses fonctions avec un zle que rien n'arrte, une patience et une douceur qu'on ne saurait assez louer. È Lorsque le Plerin crivait cela, il avait montr peu de temps auparavant une telle irritation contre Limberg qu'Anne Catherine avait fait venir le chapelain Niesing pour lui reprsenter son injustice. Il eut aprs cela avec le confesseur un entretien dont il rapporte ce qui suit :
Ç Je suis, dit Limberg, toujours prt me dmettre de mes fonctions : car, sans l'aide de Dieu, je ne pourrais pas les supporter. Je ne fais aucune question la malade sur ses visions, mais je suis instruit de tout ce qui regarde sa conscience : car elle communique involontairement en quelque sorte les moindres choses qui s'y rapportent. Je ne dis jamais rien d'elle; je ne le dois pas, tant son confesseur. Je n'cris rien non plus. Je sais pourtant tout ce qu'il faut que je sache. Si c'est la volont de Dieu, tout me reviendra en mmoire dans le cas o j'aurais dire quelque chose d'elle. Je ne l'interroge pas sur ses affaires : mais je ne les ddaigne pas pour cela. Je crois souvent que le Plerin s'imagine que je fais quelque chose, que j'ordonne quelque chose en secret, il n'en est rien. Je l'ai toujours trouve trs-vridique et trs-sense dans ses paroles, soit lÕtat de veille, soit l'tat d'extase. Et elle m'a souvent dit des reproches quand dans la direction j'ai rudoy quelqu'un et ne l'ai pas cout patiemment. Un jour aussi elle mÕa dit tout ce que je pensais, mais elle a pri Dieu d'elle-mme pour qu'il ne lui en fit plus rien connatre. È Le Plerin termine ses notes par ces paroles : Ç Puisse le Seigneur nous maintenir tous dans la voie de la vrit et de la charit et ne pas nous induire en tentation ! È
3. Un tmoignage encore plus important en faveur de Limberg est le reproche que lui fait le Plerin dans ses notes du 14 dcembre 1821 : Ç Les trois derniers jours et les trois dernires nuits ont t une srie de convulsions, de vomissements de sang, de nauses et de dfaillances : au milieu de tout cela, continuation des visions et cette affirmation tranquille et assure : Ç Je dois souffrir, je l'ai pris sur moi, je le supporterai. È Il est remarquable et touchant de voir comment, dans cet tat de maladie mortelle, elle s'lve souvent l'tat contemplatif et demande son confesseur pensant qu'elle a lui dire des choses extrmement importantes, tandis que lui ne se proccupe jamais de ces sortes de choses et n'entre jamais vritablement dans ces visions. Mais, dans l'extase, elle ne parait rien savoir de cette indiffrence et elle est attire vers lui comme par un devoir spirituel qui est tout fait inconnu celui-ci, pendant que, dans l'tat de veille, elle passe sous silence devant lui beaucoup de petits incidents domestiques, de peur de s'exposer des ennuis trop pnibles pour elle. Si elle tombe dans l'tat de vision en sa prsence, elle se laisse aller compltement vis--vis de lui pendant un certain temps, sans qu'il le dsire ou le veuille. Il ne se prte pas, ces rapports et la traite d'une faon sommaire, suivant sa manire ordinaire, sans beaucoup distinguer et sans en tenir grand compte. Quand elle est dans un tat d'extrme souffrance, elle dsire plus vivement qu'il soit prs d'elle : et lorsqu'il est l, il est rare qu'elle s'en trouve mieux, moins que dans un cas de grande dtresse il ne pose sur elle sa main sacerdotale.
Ces paroles fournissent vraiment la plus forte preuve de la ralit des dons de la grce accords Anne Catherine et de la conduite au-dessus de tout loge du pre Limberg. Certainement le Plerin ne pouvait pas comprendre comment lui-mme se trouvait si impuissant en face de la vie intrieure de la malade et de ses manifestations, et comment, malgr le vif intrt qu'il prenait ses dons et ses visions, malgr toute la peine qu'il prenait pour en rendre compte, il ne pouvait pas exercer sur elle la mme attraction que le confesseur avec sa manire brave et un peu rude, avec sa simplicit, ses monosyllabes et son manque
apparent de sympathie. Il voyait, par des expriences de tous les jours, quelle immense distance existait aux yeux d'Anne Catherine entre lui et Limberg, distance qu'il s'efforait en vain de faire disparatre. Il cherchait avec une ardeur jalouse dans chaque mot, dans chaque signe, s'il ne pourrait pas en induire qu'elle le prfrait ou seulement qu'elle le mettait au mme rang que Limberg, mais toute illusion se dissipait bientt pour lui quand il lui fallait voir de ses yeux Ç la puissance immense È de l'obissance l'ordre du prtre, lorsqu'il l'entendait par exemple s'crier, dans l'extase : Ç Il me faut mon confesseur, le Plerin ne peut pas m'aider. Je dois interroger mon confesseur, le Plerin ne peut pas me dire cela. È A la vrit, Anne Catherine se consultait avec le Plerin sur ses relations domestiques et sur celles du dehors, sur des aumnes, sur l'assistance donner des pauvres et des malades, mme en l'absence de son confesseur : mais la gestion intrieure de son me n'tait ouverte qu' l'oeil de Limberg : car lui seul, en sa qualit de prtre, tait pour elle le reprsentant de Dieu, qu'elle ft l'tat de veille ou en contemplation, et dans l'un et l'autre tat, il n'y avait pour elle qu'une rgle, une base fondamentale, une loi pour l'action et le mrite qui en pouvait rsulter, savoir : la foi et l'obissance. Et, dans le fait, si elle avait agir comme membre du corps de l'glise pour un autre membre, en se mettant sa place et en expiant pour lui dans la vision, cela ne pouvait se faire que sur la voie de l'glise, suivant l'ordre tabli dans l'Eglise et par les moyens que fournit l'glise; c'est--dire que pour elle, comme pour un fidle ordinaire, l'autorit de l'Eglise ou du confesseur reprsentait celle de Dieu et qu'elle lui devait une obissance sans condition et sans exception. Quand donc, pendant ses visions, elle rclame le confesseur, son autorisation et sa permission, son assistance et sa bndiction sacerdotale, quand elle ne veut rien souffrir ni accomplir sans lui, il faut voir l la confirmation la plus vidente de la ralit de sa vocation extraordinaire. Comment pouvait-elle manifester plus clairement que la sanction de l'Eglise et l'obissance envers elle tait l'unique atmosphre dans laquelle elle pt accomplir sa tche ? Car si une personne ainsi privilgie voulait se soustraire cette rgle par le moindre caprice ou la plus lgre dviation, elle rendrait par la mme indubitable la fausset ou la perte de sa vocation. Voil pourquoi les plaintes et les reproches du Plerin fournissent des preuves si frappantes en faveur de la direction vraiment sage et claire du pre Limberg si injustement trait par lui et dmontrent en mme temps la ralit des dons de sa fille spirituelle.
4. Comme le P. Limberg, en religieux plein de conscience, voyait dans l'obissance la premire et la plus essentielle condition de toutes les autres vertus pour Anne Catherine, comme en consquence il avait soin de ne lui retirer aucune occasion de l'exercer, d'un autre ct il ne se croyait pas oblig et ne laissait pas voir en lui de penchant s'occuper plus particulirement des visions : car il se disait avec beaucoup de raison et de justesse que la conduite personnelle de la malade dans la vie ordinaire, la fidlit dans l'accomplissement consciencieux des devoirs de chaque jour, la pratique des vertus galement ncessaires tous les chrtiens et des obligations rsultant des voeux de religion lui donnaient des garanties plus sres pour l'apprciation des dons extraordinaires que le contenu des visions. Et tant qu'il la trouvait parfaitement en rgle sur tous ces points, il croyait pouvoir abandonner sans crainte les visions la conduite de Dieu mme : car la foi catholique lui donnait l'assurance que le dmon ne peut sduire par ses artifices une me qui, libre de toute volont propre et de tout attachement aux cratures, vit uniquement de foi et d'obissance. Cette manire de voir tait fortifie en lui par toutes les impressions qu'il avait reues d'elle depuis le premier jour; aussi, quand mme ses propres principes et le tact trs-sr dont il tait dou ne lui auraient pas prescrit cette conduite, toute la manire d'tre de la malade elle-mme l'y aurait forcment conduit. Quelque extraordinaire que ft son tat, il trouvait pourtant toujours en elle la religieuse serviable pour tous, se plaant toujours au dernier rang, simple, sans prtention, pour laquelle sa svrit mme, son langage bref et la gravit de ses procds envers elle taient le principal motif de la confiance absolue qu'elle mettait dans sa direction. Et comme rien ne lui tait plus tranger que le dsir d'tre traite par son confesseur autrement qu'une chrtienne ordinaire, de mme elle tait trs-loigne, ou plutt il lui tait impossible de prfrer la contemplation un acte charitable, une pratique de vertu. Mais cette puret, cette humilit de son me dont le Plerin avait t si frapp dans les commencements, devint peu peu pour celui-ci une pierre d'achoppement, parce qu'il ne pouvait pas tolrer que l'intrt marqu au prochain, la consolation et l'assistance donne aux ncessiteux... la pratique de petits actes de charit sans nombre et la distribution des bienfaits spirituels tous ceux qui l'approchaient lui tirassent infiniment plus au coeur que la contemplation et le rcit de ses visions: C'est pourquoi il pouvait de moins en moins se faire la position extrieure de la malade et se soumettre de bon cÏur l'ordre tabli par Dieu d'aprs lequel Anne Catherine ne devait pas plus que toute autre personne doue des mmes privilges tre leve au-dessus des misres et des infirmits humaines, ni accomplir son oeuvre journalire sans tre en contact avec les ncessits et les tracas innombrables de la vie de chaque jour. Jamais il n'en vint se dire qu'il n'tait pas au pouvoir d'Anne Catherine et qu'il ne dpendait pas de sa volont de changer la position extrieure et de tenir distance tout ce qui pouvait mettre obstacle la communication de ses visions, mais que plutt il tait dans les desseins de Dieu qu'il ne ret pas plus qu'elle n'tait en tat de lui donner. Au lieu de cela, il avait toujours devant les yeux un but impossible atteindre, savoir d'arranger de telle sorte la vie d'Anne Catherine qu'elle ne pt plus ouvrir la bouche qu' lui et que ses derniers jours fussent consacrs uniquement au rcit de ses visions et la description de ses souffrances. A mesure que ce but reculait devant lui, il le poursuivait avec plus d'obstination et redoublait avec plus de violence ses plaintes contre tous ceux, y compris la malade elle-mme, qui taient ses yeux coupables de cet insuccs. Comme il avait coutume de noter dans son journal toutes ses motions fugitives, tout ce qui tait pour lui un sujet de mcontentement et d'irritation, il nourrissait de plus en plus chez lui une disposition morale pnible pour lui-mme et peine supportable pour les autres : car, en crivant, il donnait d'abord la parole au sentiment de dplaisir et de colre qu'il prouvait et rendait ainsi profondes et durables ces impressions rapides qui alors finissaient par devenir une disposition permanente. Ds lors il suffisait de l'occasion la plus lgre pour rveiller tout coup dans son me ce qui s'y tait accumul depuis longtemps d'irritation, de soupons et d'amertume. Et alors les plus touchants incidents n'taient plus capables de bannir la sombre humeur qui s'emparait du Plerin, pour peu qu'un de ses dsirs ne ft pas satisfait, qu'il ft tromp dans son attente ou bien qu'il se trouvt contrari par quelqu'un ou par quelque choie. Ainsi il crit la date du 9 mai 1820 :
Ç Elle a eu une vision dans la nuit, et le matin elle s'en souvenait encore bien. Mais huit heures la matresse de la maison vint avec l'enfant et bavarda tellement qu'elle oublia presque tout par suite de la grande faiblesse de sa tte qui, depuis sa dernire maladie mortelle, a tant souffert du tapage que font les maons. Tous les fragments conservs dans les prsentes feuilles rendront un douloureux tmoignage en montrant quelles grce, quels trsors, des plus extraordinaires, des plus riches en fruits de salut qui se soient rencontrs depuis des sicles, sont sacrifis ici chaque jour, chaque nuit, chaque heure, sans la moindre ncessit, des empchements qu'un carterait d'un enfant occup d'apprendre sa leon. Ceux qui pourraient changer cela, bien qu'ils connaissent toute la valeur de ces grces, sont accoutums depuis des annes les laisser se perdre comme en jouant, les obscurcir, les touffer. Cela brise le coeur de l'crivain, mais il en est ainsi : la postrit en gmira et dplorera qu'une telle mission ait t si mal seconde.- Le dimanche de Pques 1821 : Ç Ces ftes de Pques sont les premires sans consolation relle. Jamais ce jour n'a t aussi triste pour elle qu'aujourd'hui. È Je n'ai obtenu cette nuit, a-t-elle dit, l'espoir d'aucun secours. Aprs la vision de la rsurrection, Jsus, sur un chemin de la croix, a plac de nouveau sur mes paules une grande croix blanche, et il m'a dit: Ç Il faut encore t'en charger et la porter plus loin. È Elle tait lourde me faire tomber sous le poids. Je plis encore avec beaucoup de chaleur. Ç Dois-je donc tre prive de toute assistance ? È Et il me rpondit brivement : Ç Porte-la, mon aide te suffit. È Je me dis alors : Ç Il est bon qu'il n'y en ait qu'une, È et il me sembla que je saurais la prendre et la porter. Mais je suis bien triste. È Et le Plerin aussi a t pris d'une tristesse et d'une fatigue singulires au milieu de cette vie fastidieuse, pleine de choses irritantes et absurdes, et il en est presque perdre toute esprance. È Ou bien encore. Ç Le matin le Plerin trouva ses joues tout enflammes par les larmes verses torrents. Une tribulation spirituelle lui avait t annonce pour le temps compris entre la fte de saint Antoine de Padoue et la Visitation de la sainte Vierge, mais ce qu'elle voit, elle le nglige entirement. Le Plerin n'est personne, il doit cder la place chaque vieille femme, chaque niaiserie qui se prsente : rien ne parait coter la malade comme de lui communiquer quelque chose. Elle fait des plaintes propos des visites qu'on n'carte pas; puis elle montre une affabilit extraordinaire des personnes qui lui sont importunes. È
5. Il est facile devoir quelle mer d'amertume tait prpare la malade et son confesseur dans de pareilles circonstances. L'auteur du prsent livre ne doit donc pas omettre de mentionner ces procds du Plerin, parce qu'il y a l un fidle et vridique tmoignage touchant les voies par lesquelles la servante de Dieu s'est leve au haut degr de perfection quÕelle devait atteindre. La prsence habituelle du Plerin et, par intervalles, le sjour de son frre, Christian Brentano, apparaissent comme une cole prpare par la Providence divine pour Anne Catherine et o il lui fallait, au milieu de souffrances si grandes et si continuelles, acqurir des vertus minentes qu'elle n'aurait jamais pu, sans cela; pratiquer avec ce degr de puret. Pendant que le frre du Plerin la considrait comme un phnomne extraordinaire o il esprait dcouvrir, au moyen d'expriences et d'essais de tout genre, la confirmation de son opinion favorable au magntisme, elle devait tre pour le Plerin comme un miroir dont nul autre ne devait s'approcher et dont ni peines ni souffrances ne devaient ternir l'clat, afin qu'il pt y regarder lui seul, sans tre drang par rien. Quelque diffrente que ft la manire de voir des deux frres, ils taient pourtant d'accord pour dsirer qu'Anne Catherine ft retire de tout contact avec le monde, extrieur et devint inaccessible pour tous except pour eux. Ainsi se reprsentait ce que, depuis la premire enqute, la patiente avait eu subir de bien des manires, l'obligation de servir aux desseins d'autrui, comme un instrument n'ayant ni droits, ni volont. Le vicaire gnral avait voulu gurir ses plaies et l'ensevelir elle-mme dans une retraite cache. La science, qui semblait dconcerte en prsence des signes dont elle tait marque, l'avait dclare coupable d'imposture, et la police, allie si intime de la libre science, avait confirm ce jugement et maltrait la pauvre dlaisse comme un bien sans matre jet sur une plage. Les croyants et les gens pieux ne cessaient de demander qu'en tant que crature privilgie, elle n'existt point pour elle-mme et n'et rien en propre, mais vct uniquement pour autrui. Il ne lui manquait qu'une seule chose, c'tait que la proprit de ses dons spirituels lui ft dispute ou au moins ft rclame par des trangers pour tre mise profit par eux et que sa vertu et ses souffrances si mritoires fussent un scandale pour les autres afin que, comme son poux cleste, elle devnt pour tous un signe de contradiction. C'est ce dernier achvement que le Plerin lui avait prpar avec les meilleures intentions du monde, comme le montreront ses propres paroles et les faits que lui-mme rapporte.
6. Les visions pralables.
Le 28 fvrier 1820, Anne Catherine dit : Ç Quatre souffrances m'ont t annonce. L'une d'elles, qui m'est trs pnible, vient du Plerin et de son frre. C'est une msintelligence. J'ai eu aussi une vision qui m'a beaucoup tourmente, de me trouvai dans une gronde dtresse, au moment de dfaillir compltement. Je voulais boire, mais l'eau tait bourbeuse : je ne pus pas la boire. Il y avait l deux hommes : l'un d'eux voulait me venir en aide et me donner des cerises prises un arbre plant dans un terrain mouvant et marcageux. L'arbre tait branlant, les cerises taient l'extrmit des branches infrieures: il n'y en avait pas dans le haut. Cet homme tait mont dans l'arbre avec peine afin de me donner les cerises, parce que l'eau tait mauvaise. L'autre se mit le blmer et le quereller cause de la peine qu'il se donnait : il se fatiguait trop, lui disait-il : les choses devaient tre ainsi. Ils se disputrent si vivement ce sujet que le premier descendit de l'arbre et que l'autre aussi s'en alla. Ils se sparrent. Je restai abandonne et sans aucun secours et pourtant il me fallait du secours, sans quoi je prissais. Je pensai toute la journe cette vision inquitante et je craignis qu'il ne s'agit du Plerin et de son frre. Ç Les cerises de l'arbre plant sur un terrain mouvant et marcageux sont les bonnes intentions, les services offerts et les dmarches secourables qui n'ont pas leur origine dans les principes de la foi, mais dans un jugement humain trs peu sr et dans des opinions prconues. (note) De mme l'eau marcageuse n'est pas puise la source pure de l'amour divin, mais trouble par l'amour propre et l'attachement opinitre des vues habituelles qui ne fournissent aucune apprciation suffisante de l'tat de la malade et par consquent ne peuvent donner un vritable rafrachissement.
(note) Le 10 janvier 1820, elle avait dit au Plerin: Ç J'ai eu une vision relative votre frre, il fera natre des embarras. Il a des ides fausses sur moi. J'ai vu aussi l'abb Lambert trs-troubl par lui. . Je remercie Dieu de m'avoir montr cela et de m'y avoir prpare. Je supporterai tout pour mon humiliation. È
Le 4 mars, le Plerin crit : Ç Au commencement elle ne voulait pas dire ce qu'elle avait vu : la fin elle l'avoua : c'taient des ennuis venant du Plerin. Cela vient de lui tre montr pour la troisime fois. Ç Je me vis, dit-elle, place par le Plerin et par mon confesseur dans un champ de bl o les pis me couvraient tout entire: je dsirais pouvoir y rester: mais je fus conduite de l dans une chambre sombre et obscure et je vis le Plerin trs en colre contre moi, quoique je fusse innocente. Nous nous trouvmes trs-loigns l'un de l'autre. Lorsque le Plerin me parla avec tant de colre, je vis derrire lui le diable instigateur la taille lance qui lui mettait la main sur l'paule. Alors il me sembla que les stations du chemin de la croix passaient devant moi : chacune je me trouvai de plus en plus loigne du Plerin. Je vis derrire la station du crucifiement le diable instigateur qui semblait vouloir m'assaillir : mais je le chassai. Je regardais toujours du ct du Plerin qui finit par revenir. Je me proposai de le recevoir plus affectueusement que jamais. È
Son humilit faisait qu'elle s'en prenait elle-mme de tout et, lors mme que cela devait mal russir, elle voulait toujours redoubler de charit et de patience pour accomplir la tche entreprise par l'intermdiaire du Plerin. Son loignement mesure qu'elle suit les stations du chemin de la croix signifient le mcontentement et le refroidissement toujours croissants de celui-ci avec les consquences fcheuses qui en rsultent pour elle et qui, semes sur le chemin de sa vie, formeront de nouvelles stations douloureuses. Le Plerin ne voulut pas comprendre cet avertissement et il ajouta son rcit ces paroles pleines de duret : Ç Elle est devenue pusillanime et pleine de mpris pour elle-mme un degr visible ; il semble qu'elle ne va chercher des reproches se faire que pour vexer son auditeur. Elle continue toujours pleurer, s'inquite des fautes venir qu'elle n'a pas encore commises : elle ne peut se tirer de cet tat pitoyable et rebutant. È Quelques jours aprs elle eut lui raconter ceci : Ç Mon poux cleste m'a dit que je ne devais pas me tourmenter et m'attrister, qu'il ne me rendrait pas responsable de ce qui arriverait, que je devais toujours suivre le chemin du milieu. È L-dessus le Plerin dclare qu'il ne comprend pas cela, que ce doit tre quelque chose qu'elle ne peut exprimer. Et pourtant ces paroles sont bien claires. Elle est place entre son confesseur et le Plerin et elle est charge d'adoucir sans cesse les froissements qui se produisent entre eux, de contenir les ressentiments amers du Plerin et ses plaintes passionnes et souvent si injustes contre le confesseur, enfin de ranimer la patience souvent bout du dernier. C'tait donc avec raison qu'elle pouvait rpondre au Plerin : Ç Depuis Nol, le Plerin ne me comprend plus : il est contre moi. È
Le dimanche de Pques suivant, celui de 1820, lui apporta la dernire joyeuse fte de Pques qu'elle devait avoir sur la terre et que le Plerin dcrit ainsi : Ç Le matin de Pques, je trouvai la malade qui, hier encore, tait une triste image
de douleur, vritablement ressuscite. Elle tait tout claire, tout illumine de srnit et de joie. Tous ses discours, toute sa personne respiraient la ferveur avec un sentiment de la rsurrection du Rdempteur qui donnait une noblesse extraordinaire son visage et chacun de ses gestes. Elle avait entendu les chants de toute la paroisse, laquelle, ici, vers une heure du matin, passe par toutes les rues de Dulmen pendant que le bourgmestre porte devant eux la croix qui tait couche dans l'glise le vendredi saint et que le cur remet entre ses mains pour cette procession nocturne en vertu d'un ancien privilge, puis, les vieux cantiques de jubilation rpts par un millier de paysans et d'enfants, dont plusieurs depuis le vendredi saint n'ont ni mang ni bu, qui font de plus la nuit le chemin de la croix et se livrent le jour un rude travail : tout cela tait arriv jusqu' son lit de douleur, et elle avait suivi en vision la foule qui priait et qui chantait. Elle parla avec une grande motion de cette coutume du vieux temps. Il parat qu'autrefois, une pidmie ayant emport tous les ecclsiastiques, le bourgmestre alla au saint tombeau et y prit la croix qu'il porta par la ville pendant cette nuit, accompagn des bourgeois, sur quoi la maladie cessa. Depuis ce temps ce vieux privilge est rest au bourgmestre. C'est aussi la coutume, le samedi saint, quand le feu nouveau est allum et bnit, que le bedeau allume ce feu de petits fagots qu'il distribue ceux des bourgeois qui en dsirent. Le Plerin avait avec lui un de ces fagots peine brl par le feu et il le posa sur le lit de la malade dans un moment o elle tait en vision. Au bout de quelques instants, elle dit: Ç Comment ce bois enflamm est-il venu sur mon lit? È Alors elle en approcha ses mains quelque distance comme quelqu'un qui se rchauffe la flamme et dit : Ç C'est un feu sacr, il a t nouvellement allum dans l'glise : toute l'Eglise possde aujourd'hui une nouvelle lumire, elle a reu un nouveau feu, mais beaucoup n'en sont pas rchauffs. È
Peu de jours aprs, elle eut raconter au Plerin, comme avertissement et comme prire de ne pas intervenir dans ses affaires domestiques pour y crer des embarras et des troubles, un entretien qu'elle avait eu avec son ange gardien. Ç Je me suis sentie trs-malade, dit-elle, je me plaignais Dieu dans ma dtresse et j'prouvais un ardent dsir d'tre dbarrasse des soucis que me donnent les soins du mnage et les nombreuses personnes dont j'ai me proccuper. Hier, par exemple, Lambert avait six personnes dner, les enfants de mon frre et des prtres qui taient venus le visiter. Je fus trs-svrement rprimande par mon guide; il me dit que je devais rester sur ma croix, que Jsus n'tait pas descendu de la sienne. Moins je me donnerai de peine pour en tre dlivre, plus je serai assure de recevoir du secours. J'ai eu une longue instruction ce sujet. È Toutefois cette prire ne fit aucun effet sur le Plerin , comme, on le voit par le rcit suivant crit quelques jours plus tard : Ç L'abb Lambert devient tous les jours plus malade. Il a besoin de soins multiplis. Elle regarde la maladie comme trs-dangereuse, s'attend au pire et a eu une vision de son enterrement. Elle vit une me s'avancer avec le cierge allum et courut aprs pour voir o on le dposerait : c'tait le cimetire d'ici. A l'entre, deux mes vtues de blanc vinrent sa rencontre pour l'arrter : elles tendirent devant elles un voile blanc au del duquel elle ne put pas pntrer. Elle a demand les douleurs qu'elle prouve. Elle connat parfaitement son tat : elle est menace d'une inflammation dans le bas ventre. Elle parle de la reconnaissance qu'elle doit l'abb Lambert. Le Plerin et son frre la trouvent dans un trs triste tat. Le bruit du jeu de quilles sous sa fentre l'incommode beaucoup. Le frre pense qu'elle devrait quitter cette maison. Il croit pouvoir arranger tout par des reprsentations srieuses.
21 avril. Ç L'abb Lambert va mieux. Il est de bonne humeur : son pied se dsenfle. Ç Je dois, a-t-elle dit, abandonner le reste Dieu : je ne puis pas le sauver entirement. Lorsqu'il vint moi en pleurant, trs-afflig de la proposition de changer de demeure, je vis qu'il ne pouvait plus vivre quatre jours, si la gangrne dont-il tait menac se dclarait. Je criai vers Dieu pour qu'il m'envoyt autant de souffrances qu'il en faudrait pour empcher Lambert de mourir contre-coeur. J'espre qu'il pourra dire bientt la sainte messe. È Mais elle n'a presque pas la force de parler. Quand le Plerin lui raconta qu'il tait arriv de Berlin un dcret dfendant aux professeurs de Munster de faire leurs leons, parce que le vicaire gnral avait interdit aux jeunes thologiens le sjour de Bonn, cela lui alla fort au coeur ; elle dit : Ç Ce n'est pas ce que j'entends dire qui m'afflige, mais des choses bien pires que je vois obscurment venir dans mes visions et que je ne puis pas expliquer. J'ai pri de tout mon coeur propos de cette affaire, je me suis toujours attendue cela : mais il y aura encore pis. È tant en contemplation, elle s'cria : Ç Saint Liboire me dfend Paderborn o l'on dit mille choses contre moi. È
25 avril. Ç Le Plerin lui demanda si elle ne voulait pas enfin changer sa position et congdier sa soeur. Elle rpond qu'elle ne le doit pas (d'aprs des avertissements qu'elle a reus). Le Plerin ne peut pas admettre cela et pense que si elle le voulait, la chose se ferait facilement. È Elle fut trs contriste ce sujet et raconta le jour suivant une vision o elle avait reu de nouveaux avertissements propos des vues draisonnables du Plerin et de son frre qui voulaient s'ingrer dans ses affaires de mnage. Ç J'ai eu arranger en guirlande une quantit de fleurs jetes ple-mle et j'en avais dj mis ensemble un grand nombre : alors il s'leva autour de nous une haie verdoyante hrisse d'pines : mais les pines, au lieu d'tre tournes contre nous, l'taient l'extrieur et semblaient tre une protection. Il croissait l aussi d'innombrables petites fleurs sur des tiges menues comme des fils. Elles taient couleur bleu de ciel avec du rouge au centre et cinq fils ayant la forme de marteaux d'argent o reposait une rose d'une douceur merveilleuse. Les petites fleurs taient plantes parmi beaucoup d'herbes et je voulus aussi les recueillir. Mais le Plerin et son frre s'y opposrent, disant que cela n'en valait pas la peine. Cependant je pris une pine sur la haie et je m'en servis pour les retirer du milieu des autres plantes. È Le Plerin ne voulut pas comprendre cette gracieuse vision. Les fleurs bleues signifient les exercices de patience et de douceur dans les rapports de chaque jour avec son entourage et parmi les soucis de sa situation extrieure. Mais elle serait prive de ces mrites en suivant le conseil du Plerin et de son frre, c'est--dire en changeant volontairement sa position : c'est pourquoi elle voit crotre autour d'elle la barrire vivante, la haie d'pines, c'est--dire la dfense faite par son guide anglique et les grandes souffrances que lui impose la tache de sa vie tout entire. Le Plerin lui objecta Ç qu'il croyait que les petites fleurs signifiaient ses plaintes propos de petites souffrances auxquelles elle ne devait pas tre si sensible. È Dans son humilit elle prit cette explication tellement coeur que le Plerin fait cette remarque. Ç Elle pleurait amrement et prenait Dieu et sa sainte Mre tmoin de son affliction, parce qu'elle ne savait comment faire et comment sortir de sa dtresse. On pouvait, disait-elle, lui reprsenter ses fautes sans mnagement. È Cette prire resta incomprise du Plerin : on le voit assez par ces paroles de son journal : Ç Elle tait presque hors d'elle, tant sa tristesse et sa dsolation taient grandes, quoiqu'il n'y et cela aucune cause extrieure. Ce n'tait qu'une tentation et elle fut malheureusement si impatientante que le Plerin fut dur avec elle. È
Le 1er mai, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai eu encore une vision sur les petites fleurs que je vis foules aux pieds et arraches par le Plerin et son frre. Je pleurai amrement et je plantai au milieu d'elles la croix de ma robe grise.
Mais pendant que je pleurais, elles se relevrent toutes comme un gazon pais, ma trs-grande joie. J'ai eu aussi la vision d'un feu brlant dans la chambre de Lambert et mme au-dessus de lui dans son lit. Il se composait de petites flammes spares qui allaient toujours se runissant et qui, ne formant plus qu'une seule flamme, descendirent par la cuisine vers l'escalier. Je vis aussi en grande partie ce qui lui arriva cette occasion; je vis des personnes et divers dtails, mais je ne m'en souviens plus bien, car mon effroi fut tel que je me rveillai. De ce feu volrent sur moi d'innombrables petites croix dont ma robe grise fut toute parseme. Cela m'effraya beaucoup : mais deux esprits bienheureux vinrent moi : c'taient deux aptres, ce qu'il me sembla, et ils me dirent qu'il ne fallait pas m'effrayer, que j'avais dj consum la plupart de ces petites croix : en effet, elles taient tout fait noires et il n'en restait qu'un petit nombre. Je me rveillai tout effraye de cette vision.
2 mai. Ç Elle a t transporte aujourd'hui dans une autre chambre, pour tre moins incommode par le travail des charpentiers. Dans cette chambre tait le serin qu'elle avait lev, il y a trois ans, dans un nid pos sur son lit. L'oiseau s'tait si bien apprivois et tait devenu si attach qu'il ne la quittait jamais: quand elle tait malade, tout son corps se gonflait et il tombait prs d'elle comme mort. On le lui retira et, quand elle fut place dans la nouvelle chambr o il se trouvait, ce petit oiseau, en la voyant apparatre, fut dans un tat d'excitation singulier. Lorsqu'il la vit trs-malade, il devint malade lui-mme. Lorsqu'on le mit sur le lit, il sautilla d'abord, tout joyeux, de ct et d'autre; puis il tomba prs d'elle, triste et comme mourant. Quand elle lui montra du doigt sa cage assez loigne, il devint gai, il becqueta son plumage en signe de joie et se balana dans son anneau. Une alouette qui prit plus tard dans le feu de la cuisine s'tait apprivoise de mme. Elle chantait sa chanson sur le lit de la malade, sautillant de ct et d'autre, et elle ne voulait pas voler vers la fentre, mme quand on la chassait et qu'on la poursuivait. Si quelqu'un se montrait peu aimable pour la malade, elle le poursuivait en criant jusqu' la porte, La malade a souvent parl avec motion au Plerin de l'attachement merveilleux de cette alouette. È
6 mai. Ç J'ai eu une vision sur le martyre de saint Jean-Baptiste et j'ai vu aussi plusieurs scnes touchant ses rapports avec le Seigneur. Il m'a parl et m'a dit : Ç Si le Seigneur venait te visiter et voulait manger chez toi que pourrais-tu lui offrir, toi qui n'as rien? È - Alors je lui dis : Ç Je me donnerais moi-mme lui, car je n'ai pas autre chose donner. È Alors le Seigneur vint moi et mon me se fondit tout entire dans une douce motion. Le matin, quand je reus la sainte communion, je m'offris lui en sacrifice avec un ardent dsir. È
17 mai. Ç J'ai eu une courte vision touchant saint Pascal: j'ai vu qu'il avait un amour passionn pour le Saint-Sacrement et qu'il allait le vnrer toutes les fois que cela lui tait possible. Je vis aussi qu'on l'en priva pendant un certain temps pour l'prouver, et combien il en souffrait dans sa cellule quoiqu'il le ret spirituellement. J'eus cette vision pour ma consolation, parce qu'Overberg ne pouvait me donner que peu d'espoir quant la permission de communier tous les jours. Je suis souvent rduite par l une extrme langueur quoique je reoive la communion spirituelle. Un jour qu' cause de mon indignit, je n'osais pas approcher de la sainte table, je vis saint Gron aller l'glise le jour de Nol avec son costume militaire. Il voulait communier, mais il vit apparatre sur l'autel Jsus en croix qui remplissait un calice du sang de la blessure de son ct : alors, effray de son indignit il ne voulut pas aller la sainte table. Je vis que, pendant longtemps, il n'osa plus communier; mais Marie lui apparut et lui dit que, s'il se laissait dtourner de la communion par cette vision et s'il attendait qu'il en ft digne, il lui serait difficile d'y revenir. Qui donc est digne de recevoir cette grce? Et je vis qu'il communia le lendemain. È - Ç La faim qu'elle a de l'Eucharistie, ajoute le Plerin, est souvent intolrable pour elle : elle est alors comme en dfaillance. Elle pleure souvent sur la privation de la communion quotidienne. Lors de la premire enqute, dit-elle, on lui a promis qu'elle aurait la messe dans sa chambre. Auparavant elle s'en tait tenue la rception de la sainte communion; elle se prparait, la recevait, faisait son action de grces et ainsi de suite : elle avait par l laiss passer beaucoup d'ennuis et de tourments sans les ressentir; maintenant il en tait autrement, elle en tait rduite s'appuyer sur ses propres forces. Elle avait dj eu antrieurement le pressentiment qu'elle aurait un jour souffrir de la faim :elle l'avait dit au doyen et son confesseur qui alors n'avaient pas voulu le croire. È
Le jour d'aprs, le Plerin la trouva tout en larmes cause d'une visite d'trangers qu'on lui avait annonce, et en proie de trs-cruelles souffrances : n'ayant pu recevoir les communications sur lesquelles il comptait, il se plaint en ces termes: Ç Tout ce qui se fait dans cette maison relativement aux choses du dehors, se fait absolument sans vue d'ensemble, sans plan et sans ordre : c'est tout fait inepte, draisonnable, choquant, mais on n'y peut remdier en rien, vu l'indiffrence, l'absence de direction et l'ide fausse qu'on se fait des choses. Sa maladie a pris aujourd'hui des accroissements qui la rendent intolrable : elle ressentait les plus violentes douleurs et elle avait des lancements dans la plaie du ct : elle tait endolorie par tout le corps, de plus accable de fatigue et affame de Jsus. È Cette disposition chagrine du Plerin n'chappa pas la malade qui en fut contriste et s'effora de la faire cesser. Lorsqu'il revint, elle tait occupe coudre un bandage pour le pied de l'abb Lambert : elle le reut avec ces paroles : Ç J'ai bien remarqu combien vous avez t mcontent de ce que je ne pouvais rien raconter cause de mon tat de souffrance. Vous avez chant, ce qui est pour moi un signe certain. J'ai eu aussi une longue explication votre sujet avec mon confesseur. È Et alors elle le supplia avec tous les mnagements possibles de surmonter sa susceptibilit, de traiter avec plus d'gards un homme aussi humble que le P. Limberg; enfin de vouloir bien s'accommoder la position de la malade qu'elle ne pouvait pas changer sa volont. D'aprs ce que rapporte son journal, il lui assura qu'elle se trompait, qu'il s'tait afflig de la confusion et du dsordre qui rgnait autour d'elle : qu'il avait bien fredonn entre ses dents un ou deux airs, mais seulement pour comprimer son chagrin : Ç Toutefois, continue-t-il dans son rcit, elle ne se voulut pas se ddire et elle se mit pleurer. Elle pense toujours que le Plerin a t draisonnable pendant le Carme, tandis qu'il s'affligeait seulement de ce que les visions les plus magnifiques n'taient pas racontes. Et, si le confesseur se fche contre le Plerin, c'est qu'il en cherche l'occasion : il rpte sans cesse que le Plerin et son frre sont trop savants pour lui et qu'ils jugent trop svrement. Mais tout cela n'est que de la mfiance, parce qu'il n'est point affectueux, ne se donne aucune peine et n'accepte aucun conseil.
Quelque temps aprs, dans une autre occasion, elle reprsenta au Plerin Ç qu'elle voyait une quantit de choses. mais qu'elle n'tait pas pour cela en tat de communiquer tout, comme il le dsirait; qu'elle avait eu, par exemple, une vision trs-tendue touchant les anctres de Marie et sur le Magnificat et qu'elle l'aurait raconte volontiers, si ses inquitudes pour l'abb Lambert et divers tracas domestiques ne l'en avaient pas empche. È Ces paroles toutes bienveillantes tombrent comme une tincelle de flamme dans l'me du Plerin. Il s'cria plein d'amertume : Ç Oui, ces gens la tourmentent, l'obsdent, la troublent, l'touffent comme des sacs de laine ! Ainsi se perdent les choses les plus admirables qui lui sont rvles comme elles ne l'ont jamais t personne. Ces misrables motifs qui font que tout se perd sans ncessit poussent le Plerin presque au dsespoir. È Il reconnat plus loin Ç qu'elle prit la lettre ces paroles un peu trop irrflchies et qu'elle en fut trs contriste. È
7 Le 19juin 1820, elle reut l'avis suivant de son guide anglique : Ç Ne te chagrine pas, si tu ne vois plus prs des reliques des saints autant de dtails qu'auparavant : tu as maintenant un autre travail faire. C'est assez que tu les reconnaisses et que tu aies une courte vision; tu ne peux plus prsent dpenser cela autant de temps. Tu as faire autre chose qui t'est prpar. Raconte tes visions comme auparavant, tiens pour vrai ce que tu vois et raconte tout ton confesseur, qu'il l'accepte ou non. È Ç C'est peu prs ainsi, dit-elle, qu'il me parla. Cela m'a console et je crois que je ne mourrai pas encore. È
Il se manifesta bientt aprs que ces paroles avaient trait la communication des visions journalires sur 1a trs sainte vie de Jsus et lui annonaient sa dernire et sa plus pnible tche pour le temps qui lui restait vivre. Sans doute elle avait toujours eu la plus claire intuition des mystres et des faits de la carrire terrestre du fils de Dieu, puisqu'il tait constamment prs d'elle en qualit d'poux cleste et qu'il l'clairait par des paroles et des images sur la manire dont elle pouvait, dans toutes les situations et toutes les circonstances, l'imiter avec la plus grande fidlit et arriver la conformit avec lui : mais maintenant elle avait l'accompagner comme Rdempteur du monde sur tous les chemins qu'il avait parcourus, contempler toutes ses actions, ses souffrances et ses mrites, afin d'en faire ses contemporains un rcit qui, par sa fidlit pleine de vie, sa simplicit sans ornements et sa parfaite concordance avec le tmoignage des saints aptres et de tous les saints docteurs, devait ramener un grand nombre de coeurs la vrit et la pit, et cela dans un temps o l'image de l'homme-Dieu tait dfigure par de fausses doctrines jusqu' en devenir mconnaissable. Le Sauveur se prsentait devant les yeux de son me et avec lui toutes les circonstances de sa vie, toutes les personnes qui y avaient jou un rle, tout le thtre de sa carrire terrestre, tout ce qui s'tait fait autour de lui et la manire dont cela s'tait pass; son pays et son peuple, la nature et l'histoire, toutes ses actions leur jour et leur heure, aussi pleines de vie qu'elles l'taient lorsqu'elles s'taient produites pour la premire fois en ralit. Et en mme temps que les lieux et scnes changent, que les jours et les saisons se succdent, que les foules vont et viennent pour clbrer les saintes ftes dans les crmonies pompeuses de l'ancien temple, ou pour couter la prdication du Messie dans les campagnes de Gnsareth o la terre sainte se prsente encore avec tout le charme et toute la beaut qui en fait une image du paradis, de mme aussi le dveloppement intrieur, la croissance invisible et les fruits de la vie nouvelle dans les convertis, depuis le moment o la foi au fils du Dieu vivant a jet ses premires racines jusqu' la confession par le martyre de saint Etienne se dploient devant ses yeux. Elle voit le dveloppement continu du mystre de Jsus-Christ dans les coeurs des premiers fidles, comme dans le rayonnement successif, partant de lui qui est le soleil mme de justice : et ce qu'elle en peut raconter ressemble au reflet de la vrit et de l'histoire dans le miroir non terni de son me. Il y a dj dix ans que l'auteur du prsent livre a publi en trois volumes la reproduction de ses communications par le Plerin (note); c'est pourquoi dans les feuilles suivantes il ne sera fait mention que des circonstances particulires au milieu desquelles Anne Catherine eut faire le rcit de ses visions, ce qui fut pour elle un travail infiniment pnible.
(note) La vie de N.-S. Jsus-Christ d'aprs les vissons d'Anne Catherine Emmerich. (L'original allemand a trois forts volumes in-8e : la traduction franaise en a six, grand in-18.) Paris, Ambroise Bray.
Elle commena dans les derniers jours de juillet 1820, et ds la fin d'aot, elle en avait assez dit pour que le Plerin se trouvt trs-satisfait de la riche moisson qu'il avait faite. Une fois, la vrit, elle eut le bonheur de prvenir une explosion de colre qui menaait sa soeur, si bien que le Plerin lui-mme lui rendit ce tmoignage : Ç Elle a t trs-affecte de la tristesse du Plerin (c'est--dire de son irritation mal contenue) : son inpuisable bont fait qu'elle serait trs-dispose communiquer quelque chose de ce qu'elle a vu; elle prononce plusieurs noms, mais elle est trop puise. È Lorsqu'en septembre un surcrot de souffrances et de soucis domestiques s'imposa la malade, il se laissa de nouveau aller son humeur sombre.
Ç Elle croit, dit-il, que son ancien mal au bas-ventre qui reparat lui a fait tout oublier; elle n'est pas dispose rie raconter. A cela s'ajoutent ses soucis pour son neveu qui est appel au service militaire et tout retombe sur elle. Son neveu a t ici hier soir et ce matin : et comme elle s'occupe de ses affaires, il en rsulte ncessairement un drangement dsolant. C'est pourquoi elle n'a pu rien raconter et quand le Plerin en tmoigne tout simplement ( !) son regret, elle est prise de tristesse. Et si le Plerin s'efforce de rsister la mauvaise humeur que lui donnent ses conversations touchant ces affaires du dehors, elle est prompte le taxer d'injustice : et pourtant il n'a d'autres mobiles que le sentiment du devoir de l'affection (!). È
Quelques jours aprs, il trouva chez elle, son trs-grand dplaisir, trois de ses anciennes compagnes de couvent Ç qui, par toute sorte d'entretiens frivoles, effacent de sa mmoire des visions si importantes. È Toutefois, elle ne s'tait pas laiss troubler par cette visite, mais elle raconta avec une patience surhumaine la grande vision sur le cep de vigne et les plantes (voir T.2 Chap IX). Le Plerin ne se laissa pourtant pas adoucir et il exhala des plaintes amres : Ç Le Plerin, dit-il, est trs-contrist de ne pouvoir sauver que si peu de chose de ce jardin cleste ouvert par Dieu dans une me et qui, sans aucune ncessit, est indignement foul aux pieds par la maladresse et l'ignorance. Oh ! comme j'ai le coeur gros en crivant ceci ! Il y a ncessairement une responsabilit. Sur qui tombe-t-elle, le Plerin l'ignore : pourtant il est sr que le confesseur pourrait beaucoup conserver, si ce n'est tout : mais il n'y fait nulle attention. È
En d'autres termes, le confesseur n'interdit pas la malade, en vertu de la stricte obissance, de recevoir une courte visite de ses anciennes compagnes de couvent : c'est donc lui qui est cause de la prtendue perte, et c'est contre lui qu'clatera l'irritation si peu fonde du Plerin. C'est ce qui arriva en effet. Ç Le Plerin s'adressa lui et se plaignit du dsordre qui rgnait dans la maison, mais il fut forc de reconnatre que le confesseur regardait ses paroles comme une offense. È L'humble et simple prtre put bien trouver en effet dans Ç les paroles È du Plerin un motif suffisant pour se trouver offens ; car lui, qui, pendant prs de deux ans, avait pris en patience tant de procds blessants et support sans y rpondre les plaintes et les blmes les plus injustes, retira, le 16 septembre 1820, la permission donne Anne Catherine de raconter ses visions. Cette interdiction eut pour rsultat une touchante vision qui remua profondment le Plerin.
Vision du rossignol mourant.
Ç J'tais avec mon guide, dit Anne Catherine, en face d'une table lumineuse. Derrire cette table taient ranges les fleurs les plus magnifiques. La table tait couverte de pices d'un gros (Pice de monnaie valant -15 centimes.); au milieu tait un espace vide o il n'y en avait pas : je me tenais l devant. Les fleurs taient moi, la table tait moi ; le trsor, les pices de monnaie taient moi, mais, l o je me tenais, elles manquaient. Je ne pouvais pas atteindre la table, aux fleurs, l'argent. Mon guide passa devant moi : il avait dans la main un rossignol mourant et me dit : Ç Tu ne dois plus possder ces fleurs, ces images, ce trsor, parce qu'on ne te laisse pas le moyen de les faire connatre quoiqu'elles t'aient t donnes pour cela. Et pour preuve de cela, rends la vie cet oiseau avec le souffle de ta bouche. È Il tint l'oiseau prs de mes lvres et je soufflai dans son bec. Il redevint alors vivant et bien portant et il se mit chanter : aprs quoi le guide se retira avec lui. Mais tout disparut mes yeux, tout devint mort et muet : je n'ai plus rien vu. È
Alors le Plerin eut en effet des raisons de se plaindre : Ç Elle a tout fait perdu la mmoire, dit-il. Elle ne peut rien rapporter. Depuis cette perte, tout est si loin d'elle ! Elle a dit encore : Ç Mon tat tant devenu de plus en plus misrable, comme on ne me laisse pas le calme ncessaire pour raconter les saintes choses que je vois comme je le dois et le puis, È (par consquent, non pas comme le Plerin l'exigeait d'elle, mais selon que Dieu lui en donnait la force et le temps), Ç elles m'ont t retires par Dieu : quand j'aurai du repos, elles reviendront. È Elle pria le Plerin avec larmes de ne pas rendre ses souffrances intolrables par sa violence. Ç Vous ne comprenez pas les douleurs que vous me prparez. Dieu seul les connat : c'est lui seul que je puis m'en plaindre. J'ai continuellement le pressentiment de quelque souffrance qui me menace. È Mais son rapport le Plerin ajoute ces paroles : Ç Elle parle sans cesse de ses souffrances intolrables et dit qu'on ne les connat pas. Elle montre de la mauvaise humeur, elle est pointilleuse et s'offense aisment. Le Plerin attribue cela la perte des sublimes visions et des consolations. È Donc il ne l'attribue pas lui-mme et ses procds qui sont la principale cause de dsordre et d'agitation autour du lit de douleurs de la malade.
Comme toujours en pareil cas, elle eut encore cette fois recours Overberg (note).
(note) Lorsque le noble vieillard apprit la maladie de Lambert, il offrit aussitt son assistance. Il crivit la malade : Ç Ayez bien soin que l'abb Lambert ne manque ni des remdes ncessaires, ni de tout ce qui peut servir soit le fortifier, soi le soulager et le rcrer pendant sa maladie. Quant aux frais qu'il ne peut pas faire lui-mme, je sais comment on pourra y pourvoir. È
Elle lui crivit et envoya aussi Munster le chapelain Niesing pour lui dcrire sa situation et lui demander une dcision. Elle avoua au Plerin qu'elle ne trouvait la force de communiquer la vie de Jsus que dans l'obissance envers ses suprieurs ecclsiastiques : c'est pourquoi, du consentement de son confesseur, elle en rfrait Overberg, comme au directeur de sa conscience, pour savoir si l'interdiction devait tre maintenue ou retire. Ç Overberg, disait-elle, a t le premier qui m'ait dit ds le commencement et souvent rpt que je devais tout raconter au Plerin, mais cette permission a fait son temps maintenant et elle doit tre renouvele pour tre efficace. È
Le Plerin ne pouvait dsormais se dissimuler combien la chose tait srieuse, puisqu'au lieu de rapporter des visions communiques par elle, il lui fallait faire cet aveu: Ç Elle est toujours prive de ses hautes contemplations et la mmoire lui fait dfaut : elle est trs-souffrante et dans une grande anxit cause de quelque chose de trs-grave dont elle est menace. .De quoi qu'il s'agisse, on ne peut arriver le connatre et il est inutile de s'en tourmenter. È Il se rendit lui-mme Munster pour demander Overberg le renouvellement des pouvoirs. Celui-ci les accorda, mais aussi il exhorta le Plerin tre patient. Le bon pre Limberg, sur l'avis d'Overberg, retira l'interdiction et Anne-Catherine eut de nouveau la force de communiquer ce qu'elle voyait. Quelques jours auparavant, elle avait dit, tant en contemplation : Ç Je vois un jardin cleste plein de fruits magnifiques, mais il est ferm pour moi : mon guide m'a dit qu'en ce moment je ne pourrais pas supporter ces fruits. È
8. On ne tarda pas voir combien tait fonde sa crainte de quelque chose de trs-pnible qui la menaait, car voici ce qu'elle eut raconter : Ç J'ai eu une vision de ma mort, je me suis vue mourir. Je n'tais pas ici, j'tais par terre on pouvait circuler tout autour de mon lit. Je tombais d'une dfaillance dans une autre. Sainte Thrse tait auprs de moi ainsi que les saintes religieuses qui sont sans cesse mes cts. Il me semblait que j'tais dans la campagne. La facult de marcher m'avait t rendue. Tout le monde avait cru que j'allais tre mieux : mais il me fallait mourir. C'tait chose certaine, je ne pouvais donner aucun signe de ce qui se passait en moi. Le Plerin tait dans le voisinage : il me semblait qu'il ne pouvait pas avancer parce que je n'tais pas l o je devais tre. Il jetait souvent des regards sur moi. C'tait la troisime fois que tout semblait fini, c'tait aussi la dernire fois; j'tais pourtant dans une disposition d'esprit merveilleuse. Mon guide me demanda si je voulais vivre encore, ayant tant souffert. Je pensai que oui, si je pouvais encore tre utile. Je vis que j'aurai encore immensment travailler jusque-l. È Et aussitt aprs, un premier grand travail lui fut annonc. Ç Je vis, dit-elle, saint Ignace et saint Augustin qui me dirent : Ç Lve-toi, console ton ami et prpare-lui un vtement blanc pour passer devant le purgatoire sans y entrer. Je me levai, je mis mon jupon autour duquel j'attachai un tablier bleu et je restai pieds nus, parce que je craignais de faire du bruit en marchant. J'allai prs de Lambert, il tait joyeux et ne demandait pas mieux que de mourir. È Il lui fut aussi montr quelles souffrances taient exiges d'elle pour obtenir ce digne prtre une fin heureuse.
Ç J'avais comme un incendie intrieur et je ressentais de vives douleurs. J'eus une vision o je me vis moi-mme et o je vis un homme blanc qui jetait dans un petit bcher toute espce de fruits, de petites branches, de sarments, de morceaux de bois, tout cela purs symboles (note); aprs quoi, il l'alluma de quatre cts et me jeta par-dessus, moi qui regardais. Et je vis ainsi, toujours brlant dans les flammes et mourant dans de grandes douleurs, tout cela transform en un petit tas de cendres blanches comme la neige que l'homme sema et l sur les champs, ce qui fit tout prosprer souhait. È
(note) Cette vision d'un sens trs-profond se rapporte ce qui peut tenir lieu des peines du purgatoire et trouve son explication dans saint Paul (I, Cor. III, 13).
19 novembre. Elle travailla et pria toute la nuit pour l'abb Lambert qui avait une plaie ouverte dans le flanc. Elle eut de nouveau une vision o elle le vit mourir et reut de son poux cleste l'assurance consolante que les souffrances de sa maladie et la compassion qui la portait les partager lui seraient comptes sa mort. - Elle eut aussi une vision sur la vie de sainte Elisabeth de Thuringe et raconta ce qui suit : Ç Pendant que je travaillais des bonnets d'enfants, je la vis tout coup prs de moi, tenant l'enfant Jsus par la main. Je voulus cesser et me tourner vers elle, mais elle me retint la main et me dit qu'il fallait continuer, que ce travail tait plus que la vnration que je lui tmoignerais, que c'tait faire quelque chose pour l'enfant Jsus. Elle me montra en mme temps une scne de sa vie o je vis que l'enfant Jsus s'assit sur sa robe un jour qu'elle travaillait pour les pauvres et ne lui parla pas jusqu' ce qu'elle et fini. Elle me vint en aide. È
5 dcembre 1820. Ç J'ai eu une triste vision. Je vis qu'aprs la mort de Lambert, mes ennemis formaient le projet de m'emmener en secret et de me renfermer, mais ils en furent empchs. Il survint un obstacle leur entreprise. J'tais dans une grande tristesse de voir de nouveau les ennemis prs de moi. Mais je vis, dans une autre vision, que je devais aprs cela tre emmene par mes amis et que le Plerin voulait me transporter autre part que son frre. Je souffris beaucoup de cette discorde. È (Cette vision eut son accomplissement littral le jour des obsques de l'abb Lambert.)
9 dcembre. Ç Cette nuit je n'ai pas laiss un moment de repos la Mre de Dieu. Je me suis assise prs d'elle, j'ai cousu avec beaucoup d'empressement un bonnet que je lui ai montr : je lui ai dit que ce serait pour son enfant, mais qu'elle devait de son ct procurer quelque soulagement Lambert dans sa maladie. Je ne cessais pas de la prier. Cela a fini par m'tre trs-pnible, mais j'ai persist dans mes supplications; je lui ai dit : Ç il le faut, il le faut ! È Je demande uniquement qu'il souffre avec patience, que rien ne porte prjudice son me : seulement un peu de soulagement. Il me fallut alors prendre beaucoup sur moi : car il me fut dit : Ç Il faudra souffrir ! È Et comme je suppliais ainsi, je vis aussitt, les uns aprs les autres, une grande quantit de malades, rpandus dans le monde entier. Et il me fut dit encore : Ç Tu dois secourir aussi celui-ci, et encore celui-l. È Ensuite ils sont tous comme placs devant moi quand j'ai une minute de relche. J'ai ainsi pass une grande partie de la nuit prier, travailler
et visiter un grand nombre de malades. J'ai ressenti une grande joie quand midi Lambert m'a fait faire ses salutations et j'ai appris avec joie qu'il se sentait mieux et qu'il avait mang de bon apptit. È
10 dcembre. Je me suis encore entretenue trs-familirement avec Marie. Elle m'a dit que dans son tat de grossesse elle ne souffre d'aucune incommodit, que parfois, dans son intrieur, elle a le sentiment de la prsence d'une grandeur toute puissante et qu'elle plane pour ainsi dire en elle-mme. Elle sent qu'elle entoure Dieu fait homme et que celui qu'elle entoure la porte. Je dois lui faire une petite crche : elle m'a dit de rciter chaque jour neuf Ave Maria en l'honneur des neuf mois pendant lesquels elle a port le Sauveur sous son coeur. È
14 dcembre. Ç Le Plerin la trouva occupe de prparer des bandages pour Lambert. Elle tait reste toute la nuit sans assistance, ayant d'affreuses convulsions, et elle avait vu dans une vision que Lambert avait une hmorragie mortelle. Le matin quand Lambert voulut se lever, le sang jaillit en effet de sa bouche et il fut oblig de rester au lit. Elle veut prendre un homme pour le veiller, mais le malade s'y refuse. È Elle se donna tant de peine ce jour-l pour raconter les visions courantes de la vie de Jsus que le Plerin fut oblig de faire cet aveu : Ç Il est tonnant que, dans un aussi triste tat, elle se souvienne encore de quelque chose. Toute la journe, pendant ses cruelles souffrances qu'elle partageait avec le malade, elle a t assige de visites et, dans l'aprs-midi, elle s'est donn tant de peine pour laver du linge que les convulsions reviennent de nouveau. È Mais le jour prcdent, il s'tait plaint en ces termes : Ç Elle est tellement occupe de la maladie de Lambert qu'elle oublie presque tout : aujourd'hui elle a trs mal racont. On a le coeur serr quand on pense que Dieu donne voir une me tous les mystres de la Rdemption et que ce qu'elle voit est si mal conserv et considr comme si peu de chose. Mais ici aussi doit se confirmer que Jsus a t vendu pour trente pices d'argent ( !!!). È
16 dcembre. Ç Elle a fait des travaux de couture pour le malade. Son visage portait l'empreinte de grandes souffrances et d'un vif chagrin. Les larmes taient encore sur ses joues. Elle a une telle rage de tte qu'il semble qu'on lui broye le cerveau. Elle avait aussi vomi dit sang et saign au cte: elle souffre de nouveau d'une rtention d'urine. Quand on lui demande si elle n'a pas pri Dieu de lui envoyer une partie de ces souffrances pour Lambert, elle ne peut pas le nier. Ce saint temps de l'Avent est ordinairement pour elle le plus joyeux de l'anne. L'anne dernire, pareille poque, elle chantait des cantiques la louange de Marie. Elle se trouvait alors dans un tat de contemplation continuel : mais maintenant la souffrance l'accable et il y a des drangements perptuels autour d'elle. Elle ne peut rapporter que des visions dcousues. È
17 dcembre. Ç Le soir, le Plerin la trouva trs-mue. Elle lui raconta que, dans l'aprs-midi, Lambert s'tait tran pour la dernire fois sur des bquilles et tait venu lui dire adieu, pleurant beaucoup et disant qu'il ne la reverrait plus. Son confesseur tait saisi de compassion et exprimait la peine que lui causait l'tat de Lambert. Ç Car la malade, disait-il, ne retrouvera plus un ami si fidle. È Il priait Dieu d'accorder la malade la grce de ne pas lui survivre longtemps. È
19 dcembre. Ç Elle tait aujourd'hui trs-puise et avait beaucoup de linge apprter pour le malade. La nuit lui apporte de cruelles souffrances qu'elle prend sa place. Elle a avec cela une fivre en rgle et endure la soif pour ne pas vomir; tout cela, depuis la maladie de Lambert, se manifeste la plupart du temps le soir et dans la nuit. Elle explique au Plerin que la plus grande partie de ses souffrances vient de maladies qu'elle prend ainsi sur elle. Elle sait cela parce qu'elle-mme les demande : elle en a agi ainsi depuis son enfance et elle ignore qui le lui a appris : cela est impliqu dans la compassion. tant enfant, elle a guri plusieurs ulcres en les suant et guri aussi sa mre d'un rsyple par des prires et par un remde qui lui est venu l'esprit. È - Ç Son confesseur, ajoute le Plerin, cherche souvent la dtourner de cette ide (note) en lui dclarant qu'elle ne doit pas s'imaginer de pareilles choses, que tout cela est purement naturel et qu'il n'y faut employer que les remdes de la mdecine. È
(note) Cet homme consciencieux faisait cela dans la bonne intention de n'pargner aucune humiliation sa fille spirituelle
20 dcembre. Ç Maladie, travail, drangements sans fin, mais aussi beaucoup de grces et de patience. -Elle est trs-fatigue des efforts que lui ont occasionns les visions de la nuit. È J'tais, dit-elle, dans le jardin de la maison des noces. Tout ce qui peut tre salutaire et agrable pour l'homme s'y trouvait. Cinq chemins y conduisaient de toutes les parties du monde. Au milieu tait un difice avec plusieurs portes dans lequel on distribuait toutes sortes de choses bonnes et salutaires. Beaucoup de personnes taient l et je reconnus les trois jeunes filles et les quatre hommes qui doivent travailler avec moi. Il y avait aussi une crche, avec des images des saints Innocents et le tableau de la punition inflige Hrode pour avoir voulu supprimer l'avnement du Sauveur. J'appris comment ces images s'appliquaient au temps prsent, notamment comment elles se rapportaient ceux qui veulent enlever au monde et dtruire la grce renouvele de cet avnement. J'eus prier pour tous ceux qui se prparent clbrer la sainte fte de Nol afin qu'ils rejettent tout le vieux levain du mal et deviennent avec Jsus des hommes nouveaux dans l'glise. Je vis alors de tous cts, dans l'loignement, d'innombrables figures d'tres humains : j'en fis le tour et il me fallut les prendre et les porter tous. Je trouvai ces gens occups et retenus par les empchements les plus divers. J'eus traner et porter beaucoup d'ecclsiastiques et de personnages bien pesants. J'aurais bien volontiers port aussi le vieux Lambert : mais il me fut dit qu'il devait se traner lui-mme. Il me fallut aussi porter le Plerin. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi il n'avanait pas, il tait sur un chemin trs-uni. A la fin de la vision tout cela ne fut plus qu'une glise o l'on clbrait magnifiquement le service divin. Je ne puis plus bien dbrouiller cette vision, je me suis trane avec une fatigue excessive. Cela se fait avec une vitesse incroyable et successivement. È
Avec cette vision commena un tel accroissement de ses diverses souffrances qu'on pouvait reconnatre aisment qu'elle tait charge d'obtenir pour beaucoup de personnes impnitentes la grce de la conversion. Elle fut prise de vomissements trs-douloureux qui continurent pendant plusieurs jours et quoiqu'elle ne pt prendre qu'un peu d'eau, elle vomissait (le Plerin en fut tmoin), peu prs toutes les demi-heures et avec d'affreuses souffrances, deux cuilleres d'eau et un gramme de sang. Cela la mit dans un si triste tat qu'elle ne pouvait, plus parler.
23 dcembre. Ç Le matin, on la trouva dans un tat d'insensibilit complte. Elle ne pouvait ni remuer, ni parler. Le pre Limberg, oblig d'aller dans la campagne, lui envoya le chapelain Niesing qui rcita prs d'elle les prires pour les malades tires du recueil de bndictions de Martin de Cochem. Cela lui rendit la connaissance et elle put penser de nouveau, suivant son expression. Son pouls tait peine sensible : elle tait raidie par le froid intrieur et ne pouvait pas parler. Au bout d'une heure, Niesing rpta les prires sur elle. Elle put regarder, remuer, se releva dans son lit et dit: Ç Voyez ce que peuvent la main du prtre et sa prire ! Cette nuit j'ai incroyablement souffert; des douleurs dans tous les membres, une soif horrible, sans pouvoir boire et je ne le puis pas encore. J'ai perdu enfin la connaissance et je croyais ce matin que cette fois j'allais vraiment mourir : car toute la nuit, j'ai t comme l'agonie. Je ne voulais penser qu' Jsus, Marie et Joseph, mais je ne pouvais plus penser ces noms. Alors j'ai senti que l'homme ne peut rien, qu'il ne peut pas penser Dieu, si Dieu ne lui donne la grce pour cela, et que, si je pouvais en avoir encore la volont, c'tait uniquement par la grce de Dieu. Lorsque Niesing est venu, je savais qu'il viendrait : cependant je ne pouvais pas remuer un membre, ni parler. Je connus aussi qu'il avait avec lui le petit livre et j'eus le sentiment et l'esprance qu'il prierait. Lorsqu'il commena prier, sa compassion pntra travers moi comme de la chaleur, je repris la conscience de moi-mme: je pus avec une profonde motion penser Jsus, Marie et Joseph et la vie fut pour moi un don venant de la bndiction sacerdotale. È
Ç Le soir elle demanda de nouveau la bndiction et la relique de saint Cme. Le jour d'aprs, elle fut encore dans le plus triste tat, elle put pourtant dire quelques mots. È J'ai press la relique sur mon coeur, dit-elle ; j'ai vu le saint prs de moi et un courant de chaleur est venu sur moi. J'ai maintenant un peu plus de vie : mais je suis toute pleine de douleurs qui me dchirent cruellement. La soif me tourmente excessivement : mais je ne puis pas boire. È Elle resta tout ce jour, qui tait la veille de Nol, dans un tat d'immobilit semblable la mort. Depuis qu'elle a eu ces grandes souffrances, Lambert se trouve beaucoup mieux. È
Quoiqu'elle et peine assez de force pour prier le Plerin de ne pas venir la voir avant midi, le jour de Nol, parce qu'elle sentait un grand besoin de repos, cependant cette humble prire si bien motive le mit de trs-mauvaise humeur : Ç Il y a dans sa prire (c'est ainsi qu'il se plaignait) une espce de menace comme si le Plerin avait jamais pu lui tre a charge. Il ne peut pas s'expliquer cela mais il a t trs-triste pendant la sainte nuit et il n'a pas
su pour quelles bonnes raisons il souffrait ainsi. Il ne la vit qu' midi. Elle tait gurie et avait l'air trs-bienveillant : mais elle ressentait une grande lassitude. Ç J'ai reu la crche, dit-elle, l'ordre de distribuer aujourd'hui sept pains aux pauvres pour Lambert (il mourut la septime semaine qui suivit), puisqu'il est encore de ce monde. Cela m'a t ordonn trois fois. J'ai pri Dieu de me montrer aussi les pauvres. Quelques uns sont venus d'eux-mmes et ont pleur de joie lorsque je leur ai donn le pain. J'ai vu les autres en vision. È Le Plerin ayant dit alors qu'aprs la mort de Lambert, elle ferait bien de congdier sa soeur et de changer de logement, elle dclara qu'elle ne pouvait pas faire cela; qu'Overberg non plus ne lui permettait pas de quitter sa maison et de renvoyer sa soeur. Le Plerin ne voit pas comment tout cela se lie ensemble : il doit y avoir une grande inintelligence de la part des hommes ou une inexplicable disposition de Dieu. È
27 dcembre. " Elle a travaill faire des bandages et de la charpie pour Lambert : elle est trs-occupe de la mauvaise toux asthmatique de sa petite-nice, mais elle est infatigable pour offrir au Plerin de raconter ce qu'elle peut : et ce peu qu'elle donne mrite de la reconnaissance, car elle le donne d'une main toujours bienfaisante, quoique mourante. Elle est de nouveau plus malade. È Elle raconta une grande vision concernant saint Jean l'Evangliste : ce qui arracha au Plerin les aveux qui viennent d'tre rapports. Mais, ds le lendemain, il recommence se plaindre : Ç Elle a eu des chagrins, dit-il, et n'a pas reu d'assistance, de l vient que tout ce qu'elle a vu sort de sa mmoire et qu'elle raconte au milieu des souffrances et des distractions. C'est comme une fosse dgotante o elle subit le martyre et cette personne malade la mort est tourmente de manire rendre insuffisante toute bonne volont. È Or quelle tait la cause de cette vive irritation. Voici ce qu'il rpond lui-mme : Ç Elle tait pleine de chagrin et tout en larmes. Elle cousait et faisait des raccommodages pour Lambert, prs duquel elle s'tait fait porter. Il avait pleur d'attendrissement et elle vit qu'il lui manquait diffrentes choses qu'elle voulut alors lui prparer elle-mme. Tout cela drangea beaucoup le plerin. Elle fit aussi venir une sage femme pour lui donner des bonnets et des langes destins des enfants nouveau-ns et qu'elle avait prpars dans les derniers temps. Cela fut cause qu'elle remit son rcit l'aprs-midi. Quand le Plerin la revit dans la soire, elle tait trs-fatigue et luttait visiblement contre la tentation de se plaindre de ses chagrins. Le confesseur vint et alors le Plerin lui lut une prire Jsus tire d'un vieux livre. Au bout de quelques instants, elle fut dans l'extase la plus profonde. Elle tait lgre comme une plume et son visage si attrist auparavant par la douleur et l'inquitude tait serein et rayonnant de joie. Le Plerin ne peut rendre cette clart et ce charme que par le mot de lumineux. Le confesseur lui prsenta le livre de prires : elle le prit, l'ouvrit les yeux ferms et continua lire la prire jusqu'au bout."
29 dcembre. < Depuis Nol, elle prend le soir un peu de bouillon d'orge, mais elle est oblige de le vomir. Elle taille des vtements pour de pauvres enfants et distribue ses dons chaque jour. Mais elle est trs-inquite de Lambert. È
31 dcembre. " C'tait dimanche. Elle s'tait confesse hier pour communier aujourd'hui. Soit confesseur tait parti pour aller assister des gens la campagne et il avait oubli de charger un prtre de lui apporter le Saint-Sacrement. Son visage avait la douloureuse expression d'une personne qui languit de dfaillance. Elle pleurait chaudes larmes. Elle n'tait pas dispose raconter (cela se comprend) : du reste elle y est trs-rarement dispose (se dit le Plerin lui-mme dans un nouvel accs de mauvaise humeur). En gnral, malgr les avertissements trs-srieux qu'elle reoit ce sujet dans les visions, elle y attache trs-peu d'importance. Bien plus, les visions sont au fond quelque chose qui la gne et elle prie toujours pour en tre dlivre. Le chagrin et la faim de la sainte eucharistie l'empchrent de se rappeler ce qu'elle avait vu. Elle assura encore avoir rapport son confesseur que son guide spirituel lui avait ordonn de faire venir le frre du Plerin pour lui dire diffrentes choses : mais le confesseur voulait attendre qu'il vint de lui-mme. Ce frre, ajouta-t-elle, continuait ne voir dans son tat que du magntisme, il jugeait et traitait tout ce qui se passait en elle d'aprs cette opinion errone. Ç Mais, dit-elle, ce n'est pas mon affaire, c'est l'affaire de Dieu : et je vois combien d'ennuis il me prparera encore. Il m'a t dit aussi par mon guide que le Landrath, qui est trs-ignorant, avait sur moi des ides plus justes. È
1er janvier 1821. Ç Je me suis trouve cette nuit prs de la crche et j'ai implor un peu de soulagement. Je demandais qu'au moins Dieu me dcharget d'un de mes fardeaux et qu'il dlivrt la pauvre enfant de sa mauvaise toux convulsive; mais je ne fus pas coute et aucune esprance ne me fut donne. J'ai lutt formellement avec Dieu et je lui ai reprsent ce qu'il promettait et qui il exauait: je pouvais citer beaucoup d'exemples, mais je n'ai pas t coute et j'ai appris que je serais prouve plus fortement encore cette anne. J'ai aussi ardemment pri pour que Dieu veuille bien me retirer les visions, afin que je n'aie plus la responsabilit du rcit qui peut en tre fait. Je n'ai pas t exauce et j'ai reu l'injonction accoutume de raconter ce que je vois dans la mesure o je le pourrai (note), quand mme on rirait de moi, parce que, me fut-il dit, il y avait cela une utilit que je ne pouvais pas comprendre.
(note) Donc non pas tout ce qui lui tait montr, sans exception, ni tout ce que le Plerin rclamait, mais seulement ce pour quoi Dieu lui donnerait le temps et la force ncessaires.
J'appris de nouveau que personne n'avait encore vu de la mme manire et dans la mme mesure et que ce n'tait pas pour moi, mais pour l'Eglise. È
Ç Je vis saint Joseph aussi clairement et aussi distinctement que possible et je lui exposai aussi ma dtresse. Il tait vieux, maigre, chauve, mais il avait les joues colores. J'eus un entretien suivi avec lui. Il me dit qu'il fallait m'abandonner uniquement Dieu : il avait eu aussi de grands chagrins supporter avant que l'ange lui et dit que l'enfant tait de l'Esprit-Saint et qu'il devait tre le protecteur de la mre : ensuite, quand il lui avait fallu tout d'un coup aller Bethlem et qu'il n'y avait pas trouv de logement : puis, lorsque de Nazareth, o il avait peine commenc s'installer, il fut oblig de partir pour l'gypte quand l'enfant avait peine neuf mois. Il n'avait pas pri Dieu de lui pargner cette preuve. mais il avait fait ses dispositions en toute hte, avait pris avec lui sur l'ne quelques effets, un peu de pain et une couple de petits flacons, puis il tait parti pendant la nuit. Il s'tait dit que Dieu, ayant donn l'ordre, prendrait aussi soin de tout. Un jour dans le dsert, des serpents en grand nombre taient venus sa rencontre; cette fois il avait pens que Dieu devait l'assister et il avait implor son secours. Alors un ange tait venu et les serpents s'taient retirs. J'ai vu plus tard cette scne, c'taient de grands et gros serpents, ils sortaient des buissons. J'interrompis son discours et lui fis une objection : il lui avait t facile, disais-je, de tout endurer ayant Jsus prs de lui. Mais il m'imposa silence de la bonne faon et me dit que, cette anne, j'aurais des preuves qui pourraient compter, qu'il fallait seulement me tenir prte. Hier j'avais dj vu que j'aurais beaucoup souffrir dans trois semaines ou pendant trois semaines. È
A propos de cette communication qui prouve si clairement la simplicit candide et la puret de la narratrice, le Plerin fait les remarques qui suivent : Ç En priant pour la cessation des visions, elle a fait une demande trs-draisonnable et prouv une fois de plus qu'elle n'apprcie aucunement ce qu'elle voit. L'unique chose qui la soutienne et la relve dans cet tat misrable et au milieu de cette confusion, la facult qui est sa meilleure prrogative, ce dont la perte ferait peser une grave responsabilit sur tant de personnes, elle prie pour en tre dlivre ! Il semble qu'elle ne sait pas bien ce qu'elle a demand et le refus d'exaucer sa prire est la plus grande des faveurs. Elle a dsir de n'avoir s'occuper que des pauvres, et cependant il est impossible qu'elle en soit plus occupe qu'elle ne l'est ; car elle consacre peine deux heures par jour aux communications qu'elle fait au Plerin, tandis qu'elle a l'ordre de raconter tout ce qu'elle sait (note) et elle se prte avec la plus grande condescendance aux empchements les plus futiles.
(note) Non pas tout ce qu'elle sait, mais ce qu'elle est en tat de dire !
Par exemple, une meunire qui apporte de la farine pour Lambert veut causer avec elle et attend dans l'antichambre deux ou trois minutes pendant que le Plerin est prs du lit de la malade. Aussitt la voil prise de scrupule ; il ne
faut pas donner de scandale, dit-elle; cette femme pourrait faire des rflexions sur ce qu'elle a dire au Plerin, elle pourrait entendre quelque chose, etc., et elle est dans la plus grande anxit. Le Plerin est renvoy l'aprs-midi
et alors une autre visite, ou une contrarit, ou une maladie peut apporter un nouvel obstacle, et de cette manire presque tout se trouve perdu !
Ce jugement rigoureux et injuste du Plerin montre clairement combien chez lui l'impression, mme des plus touchantes expriences, tait toujours efface par ce qui lui paraissait un drangement, et combien il en cotait d'efforts la malade oppresse de tant de soucis pour lui raconter chaque jour ses visions pendant deux heures entires. Voici pourtant ce qu'il rapporta plus tard : Ç Elle souffre avec Lambert. Chaque soir elle a la fivre et de forts vomissements de sang : quatre cinq fois par jour, il lui faut tenir et soigner l'enfant malade afin qu'elle ne soit pas touffe par des accs de toux convulsive qui durent presque une demi-heure. Mais on ne voit jamais percer dans ses notes un sentiment de profonde sympathie ou mme de reconnaissance pour toute la peine que, malgr tout, elle se donne cause de lui. Il met par crit ses paroles, ses prires, les visions o il est question de ses procds lui, Plerin, et cela sans qu'il s'veille chez lui le moindre dsir d'apporter quelque soulagement la malade en se montrant plus patient et plus discret. Ç Je ne cesse pas, dit-elle, d'avoir des visions touchant les chagrins qui me menacent. On m'a revtue d'une robe blanche, par-dessus celle-ci d'une robe noire, puis d'un voile noir par-dessus un blanc. Il y avait sur la robe beaucoup de petites croix, mais je pus les mettre toutes ensemble; alors apparurent trois croix noires garnies de petites plaques d'or aux extrmits et qui ne faisaient qu'une seule croix. Elles taient sur la robe et quand je les touchais, elles taient dedans. J'ai eu aussi des visions continuelles qui me montraient de grandes tribulations: personne autour de moi ne me comprenait plus, j'tais entirement dlaisse et tourne en ridicule. J'ai appris aussi que je pourrais de nouveau prendre de la nourriture et marcher. Il y avait prs de moi une autre personne, ma soeur ne devait plus tre avec moi, j'tais aussi dans un, autre endroit. Le Plerin m'apporta manger. Je ne pus prendre qu'un peu de bouillie mucilagineuse, une bouche de gros pain, deux ou trois fves et de l'eau : il me fut dit que toute espce de fruits, de sucreries et de vin taient du poison pour moi. J'eus aussi connaissance d'expriences faites sur moi (note). È
(note) Tout cela s'accomplit la lettre, comme nous le verrons
Bien que le Plerin soit oblig de reconnatre dans bien des cas que les drangements dont il est si irrit, loin d'tre des incidents fortuits, sont dans les desseins de Dieu lui-mme, ce que lui montre tous les jours la merveilleuse bndiction attache aux souffrances d'Anne Catherine, il ne devient pourtant ni plus indulgent, ni plus rserv dans ses jugement : Ç Aujourd'hui, crit-il, sa physionomie est singulirement sereine, aimable et calme. Elle s'tait fait porter chez Lambert la veille au soir et l'avait trouv trs-faible. Il pleura beaucoup quand il la vit, mais il fut trs-difiant et lui fit de nouveau ses adieux. Elle fut si affecte de cette scne qu'elle tomba de dfaillance en dfaillance. È
Ç Encore aujourd'hui elle a le visage trs-serein et elle est d'humeur calme et gaie: et cependant elle est profondment attriste de la fin prochaine de Lambert. Dieu semble lui donner des consolations et un courage indicibles. Comme il n'y a aucune amlioration dans son tat, l'amnit avec laquelle elle le supporte prsent est une pure grce de Dieu, de mme que sa tristesse souvent si dplaisante peut tre une tentation laquelle il laisse son cours. Elle a eu une vision de la mort de Lambert et elle a dit : Ç Je croyais tre prs de lui : je vis un grand feu qui tait au-dessus de lui s'amoindrir de plus en plus et enfin se perdre dans une petite flamme. È Elle raconta aussi une vision concernant un enfant sacrifi par les trois rois avant qu'ils eussent reu la lumire et elle dit : Ç Lorsque je vis ma droite l'horrible tableau de l'enfant offert en sacrifice, j'en dtournai la tte et je le vis de nouveau ma gauche alors je priai Dieu de me dlivrer de cet abominable spectacle et mon poux cleste me dit : Ç Voici des choses encore pires : vois comme on me traite dans le monde entier. È Je vis alors des prtres qui disaient la messe en tat de pch mortel ; l'hostie tait devant eux comme un petit enfant vivant tendu sur l'autel et je vis comment ils le divisaient avec la patne et lui faisaient les plus horribles blessures; leur sacrifice tait un meurtre. Je vis aussi, en beaucoup d'endroits, une innombrable quantit de pauvres gens de bien opprims, tourments et perscuts au moment actuel et je vis toujours que c'tait Jsus-Christ auquel on faisait tout cela. Nous vivons dans des temps mauvais.- je ne vois de refuge nulle part : un pais brouillard de pch s'tend sur le monde entier et je ne vois partout que tideur et indiffrence; mme Rome, je vois de ces mauvais prtres qui martyrisent l'enfant Jsus en disant la messe. Ils voulaient se rendre auprs du Pape et exiger de lui quelque chose de trs-dangereux, mais je vis que le Pape vit aussi ce que je voyais moi-mme et que toutes les fois qu'ils voulaient aller lui, un ange les menaait de son pe et les repoussait. È
7 janvier. Ç Elle a continu tre d'humeur sereine et paisible malgr tous les ennuis et les embarras qui l'obsdent; mais vers midi elle eut des inquitudes pour Lambert. Quand le Plerin vint vers quatre heures, il trouva prs de la petite-nice six enfants qui priaient pendant que celle-ci avait sur le lit de la malade un des plus violents accs de toux convulsive qu'on pt voir. Le visage de la malade perdit sa douce expression, elle demanda son confesseur : le Plerin ne put pas la consoler : elle se plaignait d'avoir t assige toute la journe. Elle tait comme pendant la Carme. Le Plerin la quitta (parce qu'il se sentait contrari par la tristesse si naturelle et si lgitime de la malade). È- Le jour d'aprs, elle raconta ce qui suit : Ç Pendant le jour, lors mme que je cause avec d'autres ou que j'ai des occupations, je vois continuellement le pauvre malade Lambert. Je le vois dans son lit : je vois ses souffrances et ses dispositions intrieures. Je vois en vision les tentatives par lesquelles l'esprit malin cherche lui ter le courage et l'esprance. C'est comme s'il lui lisait un long registre de fautes et d'omissions o il lui montre qu'il a nglig telle ou telle chose et qu'il n'a pas rempli ses devoirs. Je vois que ces manquements lui sont mis sous les yeux en visions, et que cela le rend pusillanime, plus malade et, moins patient. Je crie vers Dieu pour empcher cela, je prie, je travaille, je fais Dieu toute sorte de reprsentations et je prends pour moi des souffrances et des douleurs : alors je vois son ange gardien s'approcher, je vois saint Martin, son patron, lut venir en aide et je vois grandir en lui la foi, l'esprance, la charit. Quand je vois la tentation s'loigner de lui, il survient alors quelque affaire extrieure, quelque incident, quelque circonstance (note) propre faire perdre tout coup la possession de moi-mme afin que je ne prie plus pour le malade.
(note) Comme par exemple la mauvaise humeur du Plerin et ses plaintes.
Si j'ai le bonheur d'en triompher, il vient une autre souffrance que je dois supporter patiemment. Hier j'ai vu Lambert la mort : je vis qu'il perdait sa connaissance, que les tentations allaient croissant, que ses mains erraient sur la couverture sans qu'il en et conscience. Je m'adressai Dieu et je l'implorai pour qu'il le laisst souffrir et faire pnitence en ce monde. J'appris qu'il devait mourir; que je devais bien y rflchir et voir si je ne voulais pas de bon coeur l'abandonner la volont de Dieu. Aprs cette dclaration, un tableau singulier se prsenta devant moi. Il me sembla qu'une personne venait moi, laquelle me reprsentait quelle perte douloureuse ce serait pour moi que celle de Lambert, afin de me pousser clater en plaintes et en lamentations et de me faire perdre la rsignation et la patience. J'eus beaucoup combattre l contre. En outre je ne fus pas un instant seule, on m'adressait sans cesse la parole et il fallait m'occuper de l'enfant qui toussait. Je luttai constamment contre les suggestions de l'ennemi : la fin je russis surmonter ses attaques et je dis du fond du coeur : Ç Seigneur, que votre volont soit faite. È A peine avais-je fait cela qu'il me fut donn de jeter un coup d'oeil sur Lambert, je le vis en meilleur tat et devenu plus serein. Comme dernirement Lambert souffrait excessivement de sa plaie et que j'implorais Dieu pour lui, il me fut demand si je voudrais sucer cette plaie pour lui procurer du soulagement : ayant rpondu que oui, je fus alors transporte en esprit prs de lui et je suai la plaie. Ses douleurs cessrent et il dit au mdecin : " je crois que ma sÏur m'est venue en aide. È
9 janvier. Ç Dans un accs de toux mortelle, elle vomit au moins deux verres de sang, mais elle continua toujours travailler et prier pour le malade. È (Malgr cela elle eut raconter au Plerin les grandes visions de l'arrive Bethlem et de l'adoration des trois rois.)
11 janvier. Ç La maladie de Lambert s'aggrave. Elle-mme est dans un tat de prostration complte par suite d'une tension d'esprit continuelle. Elle a dit que Lambert avait encore un petit bout de chemin faire dans le brouillard. Il serait dj mort, mais elle a obtenu un rpit afin qu'il n'ait pas rester aussi longtemps dans le purgatoire. Les cruels accs de toux de l'enfant doivent aussi contribuer lui procurer une mort paisible. È
12 janvier. Ç Elle est trs-calme, grce Dieu, quoique dans un tat pitoyable et dans l'attente de la mort certaine de Lambert dont les forces diminuent beaucoup et pour lequel elle prie continuellement. Elle s'occupe faire une chemise pour un enfant trs-pauvre, parce qu'il lui a t montr que cet enfant n'en avait pas. È
13 janvier. Ç Les efforts qu'elle fait et les soucis dont elle est accable rendent sa faiblesse de plus en plus grande. Elle a, dit-elle, un lourd fardeau porter. Elle a aussi l'aspect de quelqu'un qui tombe de faiblesse. Des gouttes de sueur coulent sur son front et la pleur de son visage indique une lassitude extrme. En outre elle supporte et tient l'enfant pendant ses accs de toux. È
14 janvier. Elle raconta ce qui suit : Ç Ma mre m'est apparu pour me consoler pendant que l'enfant toussait et, pendant qu'elle a t l, l'enfant a moins touss. Elle tait beaucoup plus belle et plus lumineuse qu' l'ordinaire et j'avais une certaine crainte respectueuse en lui parlant. Tantt je la voyais, tantt elle disparaissait. Elle ne me promit pas de secours : il faut souffrir, disait-elle, l'enfant souffre aussi et mrite par l : je dois persvrer jusqu' la fin, etc. Elle me montra toutes mes souffrances et mes combats sous forme de fleurs, de fruits et de guirlandes, puis enfin sous celle de jardins et de palais, et elle me dit que ce qu'on percevait, ce dont on jouissait l tait infiniment plus doux que ce que mes yeux mortels ressentaient maintenant en le voyant. Je fais en vision un voyage pnible avec Lambert. Quelquefois je le vois tout prs de la Jrusalem cleste : puis il s'arrte, il a perdu un paquet : il faut que je porte ce paquet derrire lui. Je passe aussi assez souvent par un cimetire : l gt un homme qui a oubli quelque chose, je suis oblige de le lui porter et ensuite il faut me frayer des chemins sans fin, ayant de la terre jusqu' mi-corps. J'ai mille travaux faire. Alors je sens prs de moi quelqu'un qui se met la traverse et me traite trs brutalement, en sorte que je ne puis rien achever. È Ce sont les drangements causs par le Plerin qui la questionne si impitoyablement sur ses visions, mais qui se laisse aller la plus vive irritation contre elle quand elle parle quelque autre personne ou mme quand elle exprime son chagrin. Ainsi il se plaint en ces termes la date du 15 janvier : Ç Le Plerin l'a trouve en conversation avec la fille Woltermann, une ancienne compagne de couvent. Il ne peut pas comprendre comment elle se fatigue ainsi entretenir une semblable personne, ce qui peut lui faire oublier une grande partie de ses visions. Le Plerin avait dj le coeur gros de tout ce qu'il perdait par l, mais alors vint le frre non mari de la malade et le Plerin fut oblig de se retirer. Il s'assit dans la premire pice et l'entendit se livrer une conversation trs-anime avec son frre. Elle parlait presque toujours et le frre trs peu. Lorsqu'enfin celui-ci sortit, le plerin s'approcha d'elle et se plaignit de ce qu'elle avait pu parler si longtemps et d'une manire si anime son frre : Ç Oui, dit-elle, j'ai trop parl, car j'ai dit : que serait-il arriv au pauvre Lambert s'il n'tait pas tomb dans des mains trangres? Un ecclsiastique dans les mains de sa famille est comme un oiseau entre les mains d'enfants. Je n'avais pas besoin de dire cela mon frre. È Le Plerin ne voulut pas comprendre ces paroles si frappantes, ni cette tentative si bonne et si aimable pour dtourner son courroux et il persista dans la mme disposition. Ç Elle n'a pas, dit-il, le srieux profond que rclamerait la gravit de ces saintes choses, lesquelles malheureusement sont toujours traites comme choses secondaires, parce que tout est mis en oeuvre pour enfouir et pour faire avorter ces fruits, les plus grands qu'elle soit appele produire, parce qu'elle n'en tire rien qui la fortifie extrieurement et qu'elle ne suit que superficiellement les avertissements intrieurs, force qu'elle est de prendre trop de part la vie du dehors. È
15 janvier. Ç Le Plerin la trouva dans l'tat extatique. Elle s'tait fait porter dans la journe chez l'abb Lambert, la vue duquel elle tomba en extase et n'en sortit pas lorsqu'on l'eut rapporte dans sa chambre. Lorsque le Plerin la vit, elle semblait livre un travail spirituel trs-fatigant. Revenue elle, elle ne put pas tout de suite bien reconnatre o elle tait et demanda : Ç Comment suis je venue ici? È Enfin elle se remit et put raconter ce qui suit : Ç Lorsque je fus prs de Lambert, je vis qu'il manquait encore quelque chose son me et je m'en allai la chapelle afin, de faire pour lui, pieds pus et dans la neige, le chemin de la croix, parce qu'alors il aurait son compte. Le chemin me fut bien pnible et j'eus bien froid aux pieds. È
Ici le Plerin revient ses anciennes plaintes : Ç Le Plerin, dit-il, vit alors que malheureusement toute la journe tait perdue: car on perd sans ncessit ce qui pourrait difier des gnrations entires et ce qu'elle retient est bien peu de chose en comparaison de ce qu'elle pourrait dire, si elle se trouvait dans des conditions tolrables. Il a t bien afflig, comme il le sera toujours la vue de ces notes qu'il crit : car il peut affirmer qu'il serait trs-ais de tout recueillir s'il y avait tant soit peu d'ordre dans la maison. - Elle continua respirer trs-pniblement et dit : Ç Je sens bien que le Plerin est encore mcontent : mais ce n'est pas ma faute. È Il rpondit alors : Ç Il faudrait que je fusse bien frivole si je n'tais pas attrist de tout ce qui se perd sans ncessit. È Les grandes peines qu'elle se donnait pour obtenir que la mort de Lambert ft douce et heureuse taient donc aux yeux du Plerin quelque chose de tout fait inutile !
Au milieu de ces tribulations, elle tait console par des visions de son enfance. Voici ce qu'elle raconta: Ç Des compagnons de mon enfance, aujourd'hui morts, m'emmenrent avec eux: Nous allmes aux lieux o nous jouions autrefois et de l la crche. L'ne se tenait devant la grotte. A l'aide d'un escabeau, je montai et m'assis dessus, puis je dis aux enfants : Ç Voila comment la mre de Dieu y tait assise. È L'ne se laissa caresser et prendre par le cou. Nous allmes la crche et nous primes. Les enfants me prsentrent ensuite une quantit de pommes, des fleurs et un bouquet de roses entour d'pine. Je ne cessai de refuser tout ce qu'ils m'offraient. Ils me demandrent pourquoi je ne les invoquais jamais dans ma dtresse : ils taient trs-disposs me secourir activement : Ç presque personne, me dirent-ils, n'invoque les enfants et pourtant ils peuvent beaucoup auprs de Dieu, spcialement ceux qui sont morts aussitt aprs le baptme. È Un de ces enfants se trouvait l : il me dit que j'avais obtenu pour lui la mort qui avait fait de lui un bienheureux et que, si ses parents le savaient, ils m'en voudraient beaucoup. Je me souvins qu'il m'avait t apport aprs son baptme : je l'levai en l'air et priai Dieu de tout mon coeur de le prendre lui dans son tat d'innocence plutt que de permettre qu'il la perdit. Il me remerciait d'avoir demand le ciel pour lui : il voulait son tour prier pour moi. Les enfants m'avaient dit qu'il fallait prier particulirement pour que les nouveau-ns ne meurent pas sans baptme, que quand on priait pour cela, Dieu se plaisait envoyer secours. J'ai souvent vu en vision l'assistance obtenue par ce moyen. È
Plus tard, tant en extase, elle appela son confesseur, lui demanda de prier pour elle et dit : Ç Il meurt en ce moment environ cinq mille personnes. Il y a parmi elles plusieurs prtres. Il faut prier pour que tous viennent nous dans la valle de Josaphat, et qu'ils se souviennent de nous. La valle de Josaphat n'est plus trs-loin : il n'y a plus qu'un court intervalle franchir, une paisse muraille, sombre et noire. Que Dieu leur donne le repos ternel et que le Seigneur les illumine! Il y a une multitude tonnante de gens dans les positions les plus diffrentes. Je suis sur une arcade au-dessus de la terre. D'une foule de point, il vient moi comme des rayons au bout desquels je vois comme travers des tubes la position des mourants et les circonstances dans lesquelles ils meurent. Quelques-uns meurent dans un dlaissement complet.
17 janvier. Ç Lambert a eu une perte de sang dans la nuit. La malade et toute la maison ont t saisis d'effroi et se sont donn beaucoup de peine pour le secourir. Elle a t trs-fatigue toute la journe. Le confesseur veille ce qu'on ne la trouble pas. En ce moment elle a une toux continuelle trs-forte et de frquents vomissements de sang; elle est du reste, jour et nuit, dans l'tat extatique divers degrs, presque sans interruption, et vit dans un courant de merveilleuses visions. Aucun jour encore, mme parmi les souffrances les plus varies et les plus compliques, ses visions courantes et journalires n'ont fait dfaut. Outre les visions accoutumes touchant la vie de Jsus, elle en a d'autres les jours de fte des saints, sans compter les visions de voyages et d'autres encore. Bien plus, son courage semble avoir grandi au milieu de toutes ces souffrances, elle parat plus sereine et plus calme. Aprs un fort accs de toux, elle a dit : Ç Il me faut voyager si rapidement et dans des pays si diffrents, et l'air alors me fait tant de mal ! È Une autre fois elle tressaillit tout coup et chercha autour d'elle, puis ayant trouv son crucifix, elle le prit et dit : Ç Il y a l un ours dans un fourr travers lequel je dois passer: il me guette, mais si j'ai ma croix, je le chasserai. È Elle tait en chemin pour la terre. promise : car elle parlait en mme temps du Jourdain et de la vie de Jsus. È
18 janvier. Ç Lambert a cru mourir hier soir et il a dit au Plerin d'une manire trs-touchante : " Je suis dans l'attente de l'appel de Dieu. Je prie Dieu, mon cher monsieur, de vous rendre tout ce que vous avez fait pour nous, car moi, je ne le puis pas. È Il bnit le Plerin sur sa demande : sa figure avait une expression trs-calme et pleine de dignit. Ce soir il tait un peu mieux. Le lendemain la vieille belle-soeur est venue en visite. Le Plerin a propos de faire faire cette femme le Chemin de la croix. La malade continue tre en trs-mauvais tat et toujours en contemplation. Elle s'est exprime ainsi sur l'tat de Lambert : " Je ne puis assez dire combien je vois cela merveilleusement clair. Je vois son me comme une petite humaine lumineuse au-dessus de son coeur : je vois toujours qu'elle semble vouloir sortir; c'est comme si elle se dgageait de quelque chose qui l'entoure de tous les cts, comme si des voies s'ouvraient devant elle, comme si le corps se sparait d'elle semblable un brouillard qui se dchire. Je la vois comme ne voulant plus rester; puis je vois une lutte en sens contraire, son enveloppe l'embrasse de plus prs, se resserre autour d'elle; l'me est de nouveau prise de tous les cts ou d'un seul ct. Tantt je vois d'paisses tnbres, tantt un rayon de lumire qui se fait jour jusqu' elle, tantt un pais brouillard qui l'entoure et pendant tout ce temps, au-dessus du malade et autour de lui, un feu qui va toujours se consumant lui-mme. Je vois, au milieu de tout cela, l'ennemi qui vient sans cesse prsenter des tableaux de supplices, l'ange gardien qui protge le malade et des Payons que lui envoient son patron et d'autres saint. È
Ce mme jour le Plerin crivit Overberg : " Peut-tre l'abb Lambert ne vivra-t-il plus quand cette lettre partira. Il a reu en pleine connaissance tous les sacrements des mourants et l'absolution gnrale. Il n'a pas cess de rciter son brviaire jusqu' l'avant-dernire semaine, et jusqu' avant hier, sans y avoir manqu un seul jour depuis le temps o il faisait ses tudes, il a dit le rosaire qu'il tient encore entre ses mains de mme qu'il porte le scapulaire sur la poitrine. " En ce qui touche Anne Catherine prs de laquelle il tait chaque jour tmoin de nouveaux faits qui prouvaient si videmment non-seulement l'minence de ses vertus, mais aussi les effets surprenants de ses prires et de ses sacrifices, il ajoute sa lettre le jugement qui suit : " Tout ce que je puis dire avec une pleine et tranquille conviction, c'est qu'en lisant les histoires des mes favorises de Dieu (et j'en connais un trs-grand nombre), aucune ne m'est apparue aussi privilgie, de mme que je n'en ai vu aucune si nglige, si dlaisse, si gne et si tente. Mais je continue cueillir les roses sur les pines, recueillir les feuilles disperses volontairement, et pleurer sur celles qu'emporte un vent lger ou subit.
19 janvier. " Le Plerin la trouve sortant d'une vision ; son visage a l'expression de celui d'un enfant, moiti pleurant, moiti joyeux, et elle dit d'un ton plaintif : " Maintenant commence ma misre. Le petit enfant s'en est all; maintenant cela va commencer. Le petit enfant me raconte tout : il parle avec tout son corps. È Et l-dessus elle raconta ce qui suit : " J'tais prs de la crche et j'avais un grand dsir d'avoir l'enfant Jsus et de parler avec lui. Lorsque je quittai la grotte de la crche, je fus emporte sur une petite colline entoure d'eau limpide et couverte d'un gazon extrmement fin et moelleux comme de la soie. Je me dis alors : Ç Comme ce gazon est moelleux, il l'est comme celui qui pousse sous les arbres, et cependant il n'y a pas d'arbre ici: J'tais une pauvre petite fillette et je portais mes habits d'enfant que je reconnus trs-bien et un petit manteau bleu. J'avais un petit bton la main. Quand je fus reste assise l quelque temps, l'enfant Jsus vint moi, j'tendis mon manteau prs de moi, et il s'assit sur le bord. Je ne puis dire quel point cette vision tait gracieuse et aimable. Je ne puis l'oublier et souvent, au milieu de mes souffrances, elle me fait rire joyeusement. L'enfant me parla de la manire la plus amicale. Il me raconta toutes sortes de choses sur son incarnation et sur ses parents : mais il me reprocha aussi trs svrement mes plaintes continuelles et ma pusillanimit; je devais pourtant voir, disait-il, comment les choses s'taient passe pour lui, quelle gloire il avait quitte, comment on lui avait tendu des embches ds ses plus jeunes annes et quel point il s'tait humili : puis il raconta toute l'histoire de son enfance. Oh ! que de choses il m'a dites ! Combien de temps s'est coul jusqu' ce qu'il pt venir sur la terre, parce que les hommes y avaient toujours fait obstacle et avaient abm le chemin ! il me parla aussi du grand mrite de sainte Anne, me dit quelle place leve elle occupait devant Dieu, comment elle tait devenue l'arche d'alliance. Il dit encore comment Marie et Joseph avaient vcu cachs, inconnus, obscurs et mpriss, et je vis plusieurs tableaux qui se rapportaient tout cela. Il me raconta aussi quelque chose des trois rois et combien ils auraient dsir le prendre avec eux, lui et ses parents, lorsqu'ils eurent connu en songe la rage d'Hrode. Il me montra en outre les choses prcieuses qu'ils lui avaient donnes, les belles pices d'or, l'or vierge, toute sorte d'autres objets et notamment les belles couvertures. Il me parla aussi de la fureur d'Hrode, comment il avait t aveugl et avait mis ses espions la recherche de l'enfant : mais ces gens cherchaient toujours un fils de roi et ils n'attachrent aucune importance au pauvre petit enfant juif qui tait dans la grotte de la crche : jusqu' ce qu'enfin, lorsque Jsus eut neuf mois, Hrode, de plus en plus inquiet et tourment, en vint faire gorger tous les enfants.
" Lambert se remet tonnamment contre toute attente les plaies qui ont perdu leur mauvaise odeur font place de la chair parfaitement saine. Il est plus calme et plus serein. La maladie d'Anne Catherine s'aggrave :la toux et les vomissements de sang deviennent plus frquents. È
24 janvier. " Le mieux de Lambert se maintient. Quant elle, elle semble plus malade. Elle s'est fait porter prs de lui, et, en dpit de sa toux, elle a eu un long entretien avec lui. Elle a eu aussi une apparition de sainte Agns qui l'a exhorte et l'a console. Il faut qu'elle persvre, aucune de ses souffrances n'est perdue. "
24 janvier. " La toux et l'oppression de la poitrine ont tellement augment qu'elle ne peut plus parler, c'est comme si on l'tranglait. Le confesseur a pri sur elle et lui a mis son tole plie sur le cou et sur la poitrine. Cela la fit tomber l'instant en extase et son visage prit l'expression d'une pit joyeuse et lumineuse : elle ressemblait tout fait un enfant. Sa respiration devint libre et profonde. Chaque fois que le confesseur la bnissait, elle se mettait aussitt dans la posture d'une personne pieuse qui fait le signe de la croix dans l'glise quand on donne la bndiction. Avec cela elle tait toujours comme paralyse et pourtant, chaque moment, elle manifestait de la manire la plus touchante ce qu'elle faisait. Dans un semblable tat, quand un acte cesse, la main reste souvent immobile au point o l'acte a son terme; par exemple, lors du signe de la croix, la main reste arrte l'paule droite. Que si l'acte pieux suit son cours, alors les mains se joignent de nouveau, ce qui ne se fait jamais avec les doigts entrelacs, mais avec les mains rapproches ou places l'une contre l'autre. Lorsque la bndiction lui eut t donne, elle retomba lentement sur sa couche. Dans le mouvement qu'elle fit alors, obissant plutt une loi de l'ordre spirituel qu' une loi physique, elle commena, attire par l'action de l'tole et de la main sacerdotale, se diriger vers le prtre, jusqu' ce qu'on la remit eu place. Elle tait plus sereine et se trouva mieux. "
2 fvrier. Quoique la malade, au milieu de ces souffrances et de ces tribulations, n'interrompt pas un seul jour le rcit de ses visions, elle ne pouvait pourtant jamais contenter le Plerin. Il rptait souvent le reproche accoutum Ç de laisser se perdre la plus grande partie de ces immenses grces qu'elle recevait si abondamment È et il ne sentait pas quelle profonde et solide rfutation de ce blme se trouvait dans les paroles sorties de la bouche de la malade qu'il avait rapporter. " Elle a rpondu au Plerin avec beaucoup de navet et par consquent sans attacher plus d'importance ses visions qu'auparavant : Ç Oui, c'est ce que m'a dit aussi cette nuit mon poux quand je me suis plainte lui de ce j'tais si souffrante et si misrable, de ce que je voyais tant de choses que je ne comprenais pas, etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu'elles m'taient montres pour les faire mettre par crit et que je devais les communiquer. Il a ajout que ce n'tait pas le moment d'oprer des miracles extrieurs, qu'il donnait ces visions et qu'il en avait toujours agi ainsi pour prouver qu'il voulait tre avec son glise jusqu' la consommation des sicles. Mais que les visions n'assuraient le salut de personne; qu'il me fallait pratiquer la charit, la patience et toutes les vertus. Il m'a montr ensuite une srie de saints qui avaient eu des visions de toute espce et qui n'taient arrivs la batitude que parce qu'ils avaient profit de ce qu'ils avaient appris. È
6 fvrier. Ç Elle est dans un tat pitoyable. Ses souffrances et ses inquitudes augmentent avec la faiblesse toujours croissante de Lambert. Dans la soire, elle dsirait encore beaucoup qu'on la portt prs de lui, Cela ne put pas se faire. Le Plerin la trouva hors d'tat de se faire comprendre, tant sa faiblesse tait grande. È
7 fvrier. Ç Lambert est mort ce matin dix heures un quart. È Telles sont les seules paroles par lesquelles le Plerin rapporte le dcs de cet ami si fidle d'Anne Catherine. Dans ce journal o des centaines de pages sont rempiles des plaintes les plus amres propos des drangements et d'autres choses semblables, il n'y a pas un mot, pas une marque de sympathie plus profonde l'occasion d'un vnement si douloureux pour Anne Catherine.
Les obsques de Lambert eurent lieu dans la matine du 9 fvrier. L'ancienne suprieure des Augustines, madame Hackebram, voulut assister Anne Catherine pendant ce temps. C'tait elle qui, en admettant Lambert comme chapelain du couvent, avait donn la premire occasion aux relations spirituelles tablies entre ces deux personnes, et jusqu'alors la malade l'avait considre comme sa mre spirituelle, lui tmoignant le mme respect et le mme attachement qu'autrefois Agnetenberg. Ici encore le Plerin, qui n'assista ni l'enterrement, ni au service funbre, intervint avec aigreur.
" Pendant qu'on enterrait Lambert, dit son journal, le Plerin trouva prs d'elle son ancienne suprieure. Il crut que la prsence de cette personne pourrait lÕincommoder. Il persuada la suprieure d'aller dans la premire pice o il entretint cette bonne et sainte personne. Regardant par la porte reste ouverte dans la chambre de la malade, il la vit tout coup devenir toute roide : elle avait les mains jointes et son visage exprimait la plus fervente pit. Le sang jaillit sous son serre-tte : mais elle dit : Ç Cela est uniquement caus par des chants auxquels je prends part. Nous sommes assises comme autrefois dans le choeur, en face les unes des autres. È Elle dit plus tard : Ç J'avais fait le Chemin de la croix et j'tais aile dans l'glise au-devant du cortge funbre : je vis alors plusieurs mes, dont une tenant un cierge allum, accompagner le cortge. Aprs cela j'ai assist au service divin et je me suis jointe aux chants de l'office, ce qui a exig de moi de grands efforts. Je vois maintenant Lambert dans un jardin cleste o sont encore d'autres prtres et d'autres mes de sa sorte. Dans ce lieu sont des choses qui correspondent la pure racine, l'essence spirituelle de ses inclinations d'ici-bas, sans les mlanges et les altrations qui s'y joignent sur la terre. A sa dernire heure, j'ai vu prs de lui saint Martin et sainte Barbe dont j'avais implor l'assistance. È
C'est ainsi qu'elle avait accompli parfaitement la tche que lui avaient annonce saint Augustin et saint Ignace et qu'elle avait prpar pour le digne prtre le plus grand bonheur auquel puisse aspirer un mortel. Que les voies de Dieu sont admirables ! Lambert avait t appel du coeur de la France pour tre le gardien d'une me qui, plus qu'aucune autre peut-tre son poque, luttait et souffrait pour la foi chrtienne qui est le plus prcieux trsor de l'humanit et formait pour l'glise un rempart cach au monde contre lequel venaient se briser les puissantes attaques de l'adversaire. Qui pouvait dans ce combat tre plus dignement ses cts qu'un confesseur qui avait mieux aim vivre dans l'exil, dans la pauvret et les privations que de trahir l'glise, et qui avait conserv le rare courage de supporter patiemment pendant la dure d'une gnration humaine, les consquences, si pnibles selon le monde, de son sacrifice ! Il devinait le mystre de la vie d'Anne Catherine si riche en grces et en souffrances: c'est pourquoi il n'avait pas d'autre dsir que de conserver ce trsor inconnu d'elle-mme et cach au monde. Et quand elle fut tire par Dieu de cette obscurit et livre sans dfense et sans protection aux outrages de l'incrdulit, il resta le ferme et fidle appui de l'innocence perscute. Que ne dut pas souffrir le noble vieillard toutes les fois qu'il vit la patiente mise en suspicion, maltraite et signale comme coupable d'imposture cause de ses stigmates, lui qui avait eu si souvent besoin d'tre consol par elle pour n'tre pas dcourag lorsque ces signes se manifestrent si douloureusement ! Cependant, comme pour prouver qu'il tait appel par Dieu pour la protger, il fallut que la sincrit de sa foi servt de prtexte aux prtendus clairs et aux incrdules pour le dclarer coupable du crime " d'avoir fait artificiellement ces blessures et d'avoir enchan la victime de son imposture par le terrible serment de continuer son jeu jusqu' la mort. " Les ennemis eux-mmes croyaient-ils leur calomnie? C'est ce qui sera connu au jour du jugement, o sera manifeste aussi la plnitude de consolation rserve ceux qui ont faim et soif de la justice. Mais dj sur la terre, les noms de Lambert et de Limberg seront prononcs avec respect tant que la mmoire d'Anne Catherine sera chre aux croyants et honore par eux.
Le 8 fvrier, vendredi d'avant la Sexagsime, Anne Catherine eut une vision dans laquelle sa tche de souffrances pour le Carme lui fut annonce : " Mon poux cleste, dit-elle, m'a revtue d'un nouvel habillement noir avec un trs-grand nombre de croix. Il me les a prsentes l'une aprs l'autre et m'a demand avec une affabilit touchante si je voulais les accepter, disant qu'il y avait si peu de personnes qui voulussent souffrir, tandis qu'il y avait tant expier et secourir. Alors j'acceptai tranquillement les croix, et il me fut dit que je porterais cet habit pendant dix semaines, qu'il deviendrait pour moi un secours. Il ajouta que l'inintelligence de ceux qui m'entourent tait capable de me faire mourir, mais que je devais tout souffrir avec patience . È
L'accomplissement de cette vision ne se fit pas longtemps attendre. Lambert tait peine enterr que le frre du Plerin demanda Anne Catherine stupfaite de venir habiter un logement qu'il avait lou pour elle et de congdier enfin sa sueur. Il avait cru voir dans les rpugnances de Lambert le principal obstacle la ralisation du projet form par lui, depuis un an dj, de la transporter dans une demeure plus agrable pour le Plerin et pour lui-mme : il se croyait en consquence si sr de russir que, suivant le rapport du journal, Ç il avait pris toutes ses mesures pour le dmnagement, arrt le logement chez le matre d'cole et s'tait entendu avec le doyen Rensing et le bourgmestre. Tout est prt : mais le confesseur ne peut pas se dcider, quoique n'ayant pas de bonnes raisons donner. Enfin il prend la parti d'en appeler Overberg et veut aller Munster prendre conseil l ou jamais conseil n'a t donn. Elle-mme dclare qu'elle ne peut rien faire sans son confesseur. C'est une horrible confusion. Tout cela est rebutant, embrouill, incomprhensible. " (!!!)
Anne Catherine s'aperut avec chagrin de l'humeur sombre du Plerin et elle reconnut la ncessit d'en venir une dcision. Le dimanche de la Sexagsime, ayant reu la sainte communion, elle se sentit assez de force pour s'ouvrir au Plerin et au frre de celui-ci. Voici ce que rapporte le premier : Ç Elle a communi. Elle est forte et pleine de srnit. Toutes les souffrances lut paraissent comme un nant. Quelque misrable que soit son tat, elle est toute la journe dans un tat de clairvoyance. C'est un effet magique que produit la prsence du Christ en elle. Dans l'aprs-midi, Christian a t prs d'elle : il sembla s'entendre parfaitement avec elle. Le Plerin vint ensuite. Elle tait encore pleine de srnit : avec beaucoup de douceur et de mnagements, elle lui prsenta des observations sur des choses dont elle avait beaucoup souffrir et dont plusieurs personnes s'taient dj plaintes elle. Puis la bonne et faible malade, obissant des excitations, exposa des griefs sans valeur auxquels malheureusement il ne peut tre donn satisfaction, parce qu'ils ne sont fonds sur rien. Ç Le Plerin, disait-elle, quand il est dans sa chambre, renvoie les personnes qui veulent la visiter, sous prtexte qu'elle dort. Beaucoup de gens s'en sont fchs. Ses propres parents, aussi, se sont plaints de ce que le Plerin les empche de lui parler ; mme son bon frre se plaint d'tre renvoy par le Plerin. L'abb Lambert a dit au confesseur, avant sa mort, combien la prsence du Plerin est difficile supporter; il est comme un espion qui observe tout. È Cela peut avoir t une des dernires tentations de Lambert : mais c'est pour le Plerin une grande humiliation que d'entendre de pareilles choses. Malheureusement il ne peut sans mentir promettre de sa corriger. Pour elle, alla croyait que tout cela serait facile changer. Le confesseur vint son tour et il fut trs-amical et trs-doux. Il parla au Plerin avec une mansutude touchante. >
Le seul effet que produisit cette douceur de l'un et de l'autre fut que le Plerin ne tint aucun compte de ces prires si bien motives et prsentes avec tant de mnagements. Pour avoir la paix, elle voulait, dans son extrme bont, consentir ce qu'on exigeait d'elle et se laisser transporter dans le nouveau logement : mais, ds le jour suivant, le Plerin eut a rapporter ce qui suit : " Elle a t trs-malade; elle a eu des convulsions pendant toute la nuit. Le Plerin la trouva dans un tat pitoyable, mais l'me trs-calme. Elle lui dit : Ç Mon confesseur m'a permis de vous dire que je suis dispose aller dans le nouveau logement. Mais cette nuit j'ai reu un avertissement trs-clair et donn deux reprises:
Lambert m'a apparu : il m'a parl d'un ton trs-grave et trs-dcid et m'a dit que, si je vais l, je mourrai avant le temps. Des misres indicibles viendraient m'assaillir, car je serais expose tout par l'impuissance des personnes
me protger. J'ai aussi t svrement rprimande d'avoir donn mon consentement. Comme je voulais m'excuser et parler Lambert comme autrefois, il m'a dit en termes brefs : " Tais-toi et obis ! Ici on juge les choses tout autrement que tu ne peux le faire. " Plus tard, tant en extase, elle dit d'un ton calme et net qui semblait tre celui d'une autre personne trs-rsolue : " Il faut que Dieu vienne mon secours, sans quoi je mourrai. Depuis que j'ai mis le vtement noir, tout me perce de part en part. J'ai vu et entendu tout ce qui a t dit jusqu' prsent sur ma sortie d'ici, ainsi que tous les sentiments des diverses
personnes, et c'est pour moi une terrible vision. Toutes les colres qui se sont souleves propos de moi et dont je ne suis vraiment pas responsable, sont pour moi un supplice d'enfer. Il est trs-possible que cette souffrance me fasse
mourir.
" Le lendemain le Plerin la trouva la mort et toute dfigure. Elle avait eu pendant la nuit de frquents vomissements de sang et, pendant le jour, elle eut alternativement le frisson et une fivre ardente. Une fois elle montra au confesseur ses mains brlantes en lui disant : Ç Otez ces mains : ce ne sont pas les miennes, ce sont celles de saint Franois. È Le soir les douleurs et la faiblesse augmentrent tel point qu'elle dclara que sa dernire heure lui semblait venue. Elle fit encore appeler le frre du Plerin une heure tardive. "
14 fvrier. Le matin, le Plerin la trouva d'une faiblesse mortelle, mais pleine de calme et de paix. Elle ne pouvait parler qu' voix basse et dit : " Je vis encore, grce la misricorde de Dieu. J'ai vu cette nuit au-dessus de moi deux choeurs d'anges et de saints. Ils se prsentaient les uns aux autres des fleurs, des fruits, des lettres de l'alphabet. Il semblait qu'une partie dÕentre eux voulait que je
mourusse, l'autre que je restasse en vie. Je crus moi-mme que j'allais mourir. Je n'tais plus dans mon corps. Je le vis tendu sur le lit pendant que j'tais doucement leve en l'air. J'ai eu encore la force de me. confesser et de faire
venir votre frre parce qu'il s'tait fch trs-fort contre moi. Je lui parlai et aprs cela je n'eus plus rien qui m'inquitt. Je ne me rappelle plus ce que je lui ai dit : je ne le disais pas de moi-mme : mon guide tait prs de moi et me suggrait les paroles (note).
(note) Ç Le frre du Plerin raconta celui-ci qu'aprs s'tre confesse, elle lui avait parl d'une manire admirable, et que, si les choses taient comme elle le disait, tout cela tait de grande consquence pour lui, il avait pris la rsolution de ne rien prjuger cet gard. È
17 fvrier. " Le frre, la suite de sa rconciliation avec elle dans la dernire nuit d'agonie, n'a point chang de manire de voir en ce qui la concerne."
Je fus leve en l'air et je me vis entoure de saints. Les uns priaient pour que je mourusse, les autres pour je continuasse vivre et ils me donnaient en prsent des prires et des mrites. Un saint me montra Munster un homme mourant dont la conscience tait en trs mauvais tat et me dit qu'il fallait m'agenouiller et prier. Je fis prsent au mourant de la prire que les saints avaient faite," mon intention, et comme je ne savais pas si mon confesseur me permettrait de prier genoux, parce que dans la journe, il me l'avait souvent dfendu, je lui envoyai le saint pour lui demander cette permission. Il revint me dire qu'elle tait donne; alors je m'agenouillai et priai. Je vis qu'un prtre vint prs du mourant. "
Le confesseur raconta au Plerin ce qui suit : " La malade prsentait tous les symptmes d'une mort prochaine. Aprs s'tre confesse, elle fit appeler le frre du Plerin avec lequel elle s'entretint voix basse. Celui-ci alors s'agenouilla prs du lit et pria : j'tais dans la premire pice et je me disais : " Dieu veuille qu'elle me donne un signe pour me faire savoir si elle reviendra de l, afin qu'en cas de mort, je puisse lui porter les derniers sacrements. È Alors elle se releva tout coup sur ses genoux, dit un Pater , haute voit et parla d'un homme qui mourait Munster. Elle resta ensuite tendue les bras en croix, au-dessus du lit qu'elle ne semblait pas toucher. Elle m'a dit aussi que Lambert aurait du souffrir encore dix semaines sur son lit de douleur, qu'elle avait dtourn cela par sa prire et que maintenant elle devait tre malade pour y suppler. Elle dclara qu'un court espace de vie lui tait encore accord. È
17 fvrier, dimanche de la Quinquagsime. " J'ai eu une nuit affreuse. Trois fois Satan m'a assaillie et horriblement maltraite. il vint du ct gauche de mon lit avec une figure sinistre et enflamme de colre. Il m'assaillit avec d'horribles menaces. Je le repoussai loin de moi et je priai ; mais il me frappa et me jeta de ct et d'autre. Ses coups taient brlants, c'tait comme du feu. Enfin il se retira. Je priai et j'appelai Dieu mon secours. Satan vint encore, me frappa et me tira violemment de tous les cts. Je le surmontai de nouveau, j'appelai Jsus mon aide et je restai toute tremblante et en proie de cruelles souffrances. Vers le matin, il revint pour la troisime fois. Il me maltraita comme s'il et voulu me briser tous les membres. Ils craquaient l'endroit o il les touchait. J'avais prs de moi les reliques et aussi la parcelle de la vraie croix. Satan se retira. Mon poux cleste m'apparut et me dit. Ç Tu es mon pouse. È Alors je redevins calme. Lorsqu'il fut jour, je vis que l'ennemi avait tout boulevers dans ma chambre.
Ces attaques se renouvelrent dans la nuit suivante : Ç L'ennemi, dit-elle, vint moi sous diffrentes formes, me saisit par les paules et, plein de rage, m'accabla de reproches. Souvent il est grand et d'un aspect imposant, comme s'il tait quelque chose et qu'il et des ordres donner : il veut prendre l'air saint et me reprsente alors avec beaucoup de gravit que je lui ai fait grand tort, que j'ai secouru telle me du purgatoire ou que j'ai empch telle personne de faire une mauvaise action, comme si c'tait l un grand crime. Souvent il vient sous une forme affreuse, avec une large figure trs-effrayante et des membres contourns; il m'injurie, me pince et me tiraille. Parfois aussi il emploie la flatterie. Je le vois encore courir partout, sous la forme d'un petit homme avec des poils de renard, une corne sur la tte, des bras trs-courts dpourvus de coudes et des jambes dont les genoux sont tourns en arrire.
Ces souffrances du corps et de l'me qui s'emparrent d'elle si vite aprs la mort de Lambert et qui se succdaient constamment mirent la malade dans un tat o il lui devint excessivement difficile de contenter le Plerin, qui voulait toujours l'entendre raconter ses visions, et de supporter ses caprices. Hasardait-elle la moindre allusion sa dtresse et la grandeur de ses souffrances, le Plerin clatait en plaintes : " On ne l'entend parler que de sa misre, ses tourments, de ses chagrins, de tout ce qu'elle a fait, et on est accus soi-mme de lui avoir prpar des ennuis. Aprs cela c'est une couple de vieilles femmes, ou le matre de la maison ou quelque vieille fille, toutes personnes trs-insignifiantes, par qui elle se laisse troubler. Elle ne se dbarrasse pas de ces gens et ainsi les vieilles niaiseries, lui revenant de nouveau l'esprit, deviennent pour elle un tourment qu'elle ressent comme le plus grand des malheurs; alors elle laisse chapper tout ce qui lui a t montr en vision. Ces visions auxquelles le Plerin sacrifie une portion srieuse de sa vie sont touffes sous les ordures de quelques mouches qui hantent sa chambre : car ce n'est rien de plus que cela. "
On voit que l'habitude rend le Plerin de plus en plus indiffrent aux souffrances de la malade, ce point qu'elles sont susceptibles de le mettre d'aussi mauvaise humeur que les drangements extrieurs de chaque jour. C'est pourquoi on ne voit plus dsormais dans son journal la moindre trace d'une apprciation plus indulgente de la situation extrieure et de l'entourage d'Anne Catherine : celle-ci mme n'a plus ses yeux de destination plus leve que de raconter ses visions. Mais si, par suite des avis de son guide, il arrive qu'elle ne puisse ou ne doive pas satisfaire ces exigences, elle est impitoyablement juge et condamne."