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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH

 

TOME TROISIéME

 

CHAPITRE XIV

 

LA SITUATION EXTERIEURE D'ANNE CATHERINE DEPUIS 182O.
- ELLE RACONTE LA VIE DE JƒSUS.
- LES RAPPORTS DU PéLERIN AVEC ELLE.
- LE PERE LIMBERG. - LES DERNIERS JOURS DE L'ABBƒ LAMBERT.
Les Visions prŽalables - Vision du rossignol mourant.

 

           1. Dans le printemps de 1820 Anne Catherine vit de nouveaux tourments qui ne devaient pas tarder ˆ l'assaillir. Ils lui furent montrŽs d'avance dans des visions, comme venant du Plerin et comme devant durer jusqu'ˆ sa mort: elle lut aussi dans l'‰me du Plerin lui-mme et reconnut, d'aprs des expŽriences de tous les jours, ce qui lui Žtait rŽservŽ, si elle prenait sur elle de raconter les visions touchant la vie de JŽsus. Ç Mon temps est accompli, avait-elle dŽclarŽ ˆ son confesseur le 11 mars 1820, je vis uniquement parce que jÕai ˆ faire une chose pour laquelle peu de temps m'est accordŽ. È Et le confesseur rendit aussi ce tŽmoignage : Ç LorsquÕelle n'Žtait encore connue de personne, sa destination Žtait dŽjˆ remplie. Je sais cela. È C'est-ˆ-dire elle avait fini sa t‰che et pouvait mourir si elle n'avait prŽfŽrŽ s'avancer encore plus loin sur la voie douloureuse pour la gloire de Dieu et le salut des ‰mes. Plus elle communiquait abondamment ses visions au Plerin et plus celui-ci en avait ˆ rapporter, plus aussi ses exigences Žtaient grandes et plus il se sentait vivement blessŽ par toutes choses sans exceptions, par les personnes et les relations dans lesquelles il voulait voir la cause de dŽrangements qui lui Žtaient insupportables. Il se croyait appelŽ ˆ sauver pour les contemporains et pour la postŽritŽ les merveilleux trŽsors que Dieu avait dŽpartis avec une plŽnitude surabondante ˆ une ‰me qui, suivant lui, Ç n'en avait pas besoin pour elle-mme et qui n'Žtait mme pas capable de les apprŽcier ˆ leur valeur. È Et comme il pouvait se rendre ˆ lui-mme le tŽmoignage qu'il ne reculait devant aucune fatigue pour correspondre ˆ cette vocation, qu'il y dŽvouait mme tout son temps et toutes ses forces, il se montrait chaque jour plus exigeant et plus intraitable vis-ˆ-vis Anne Catherine et son entourage, parce qu'il voulait que toute autre considŽration pass‰t aprs son travail et qu'Anne Catherine elle-mme y vit le but de la t‰che qui lui Žtait imposŽe.

           Ç Elle devient chaque jour plus faible, plus malade, s'Žcrie-t-il, et sacrifie tout ce qui lui est montrŽ par Dieu. Il semble que ses visions soient pour elle et non pour d'autres. Elle ne sait presque plus que se plaindre; tre malade, se chagriner ou vomir. Elle oublie une vision parce qu'elle ne s'intŽresse gure ˆ ces sortes de choses et laisse effacer toutes ses impressions par des affaires superflues et par des soucis encore plus superflus. Si elle en tirait seulement des consolations ou des lumires pour elle-mme, on pourrait encore l'excuser, mais les visions lui sont donnŽes pour tre communiquŽes et elle n'en tient pas compte. È

           Jamais Anne Catherine ne pouvait le satisfaire, jamais l'abbŽ Lambert, le P. Limberg ou Wesener ne pouvaient faire pour lui quelque chose dont il leur sžt grŽ. Si Wesener a pitiŽ de la malade quand, livrŽe ˆ des souffrances intolŽrables, elle soupire aprs un soulagement, et s'il lui offre un moyen d'y arriver, on ne peut pas compter sur lui ; il n'a pas un caractre franc. Ç Quoiqu'il ait combattu un bon combat contre beaucoup de souffrances, il n'est pourtant pas assez humble pour supporter volontiers que la malade soit quelque chose de tout diffŽrent de ce qu'il a cru voir en elle et pour s'avouer que son traitement et ses Žcrivasseries sont insuffisants. È

           Le confesseur ne peut jamais s'entendre avec le Plerin. Ç Comme celui-ci (le confesseur) ne veut jamais reconna”tre qu'il puisse se tromper, rien ne peut le porter intŽrieurement ˆ une charitŽ affectueuse, tant qu'il a une semblable prŽtention. Or le Plerin est convaincu que si le confesseur voulait seulement comprendre ce qu'est la malade et mettre quelque rŽgularitŽ dans sa vie, on ne perdrait rien de ses visions : c'est ˆ quoi l'on pourrait arriver, non-seulement sans l'incommoder le moins du monde, mais mme en lui procurant plus de calme et de sŽrŽnitŽ. Mais il est persuadŽ jusqu'ˆ en perdre courage que cela est impossible avec la faon dont elle est dirigŽe. Si elle commence ˆ communiquer quelque chose, on est exposŽ ˆ chaque instant ˆ l'humiliation et ˆ la souffrance d'tre obligŽ de cŽder la place ˆ la visite parfaitement insignifiante de quelque servante ou de quelque commre. Les choses sŽrieuses, nŽcessaires, sont comptŽes pour rien et on les met de c™tŽ avec le pauvre Žcrivain qui leur a sacrifiŽ le temps prŽcieux de sa vie dŽjˆ dŽfaillante, etc. Il est inutile et fastidieux de parler de cela. Il est certain qu'on ne pourra jamais se faire une idŽe de l'ensemble de sa vie intŽrieure. Elle-mme n'en a pas l'intelligence. Le Plerin ne peut rien sur elle: le confesseur qui a dans ses mains la clef du grand mystre de cette vie ne s'y intŽresse pas autrement et ne pourrait pas non plus le dŽmler. Bien plus, le Plerin regarde, ˆ certains Žgards, comme heureux qu'il en soit ainsi : car si cet ab”me de sŽparation n'existait pas entre le pouvoir tout ˆ fait volontaire que le confesseur exerce sur elle et la sphre surnaturelle de ses visions, on ne pourrait reconna”tre comment toutes ces choses se produisent en elle. Maintenant le peu qu'elle communique est pris de son propre miroir intŽrieur : quoiqu'il soit brisŽ en morceaux, cependant on peut lui reprocher que les couleurs y soient altŽrŽes. È

 

2. Des plaintes de ce genre s'accumulent de mois en mois dans le journal du Plerin avec une irritabilitŽ toujours croissante et suffisent ˆ expliquer assez clairement combien la prŽsence continuelle du Plerin Žtait difficile ˆ supporter pour Anne Catherine et son entourage, parce qu'il ne voulait jamais comprendre qu'il pžt y avoir une autre apprŽciation plus juste que celle ˆ laquelle lui-mme s'Žtait habituŽ ˆ soumettre la personne d'Anne Catherine et la t‰che qu'avait ˆ remplir cette crŽature privilŽgiŽe. L'auteur de la prŽsente biographie, aprs s'tre imposŽ la fatigue de lire ˆ plusieurs reprises et de comparer entre eux avec une attention scrupuleuse les mille et mille feuillets sur lesquels le Plerin a notŽ les visions, ses observations et ses expŽriences, ainsi que les plaintes et les reproches dont il accable la malade et ceux qui l'entourent, est obligŽ de reconna”tre, pour rendre hommage ˆ la vŽritŽ, que l'abbŽ Lambert, le pre Limberg et le docteur Wesener ont beaucoup mieux jugŽ la malade, l'ont traitŽe avec incomparablement plus de charitŽ et l'ont aidŽe dans sa t‰che avec beaucoup plus de succs que le Plerin. Si ce dernier pouvait recevoir les communications d'Anne Catherine, il en Žtait uniquement redevable aux deux prtres qui, instituŽs par Dieu gardiens de sa fidle servante, ont rempli leur devoir aussi fidlement et aussi consciencieusement que l'a fait de nos jours, ˆ Kaltern, le pre Capistran pour la pieuse Marie de Moerl. Et prŽcisŽment les reproches que le Plerin ne cesse d'adresser au pre Limberg sont la preuve la plus concluante qu'il n'ežt pas ŽtŽ facile de trouver pour Anne Catherine un directeur plus convenable que ce prtre humble, simple, plein de foi, irrŽprochable dans ses moeurs, aux yeux duquel ce n'Žtaient pas les visions, les dons et les phŽnomnes extraordinaires, mais une perfection maintenue par les souffrances et par la pratique de toutes les vertus qui Žtait le but auquel il devait conduire sa fille spirituelle. Ce n'Žtait donc pas par inintelligence, par indiffŽrence et par manque de sympathie, comme le Plerin s'en plaint continuellement, mais par un profond sentiment du devoir et par une claire apprŽciation du grand pouvoir que lui donnait le caractre sacerdotal sur la malade et sur ses dons, qu'il se montrait si laconique, si bref, si sŽvre dans ses paroles, si prudent et si rŽservŽ, parce qu'il pensait aux moyens de l'affermir dans cette simplicitŽ qui s'ignore compltement elle-mme et dans une humilitŽ de plus en plus profonde. C'Žtait ˆ cela que tendait sa manire d'agir avec elle et c'est d'aprs cela, que doit ‰tre jugŽ ce digne religieux. Jamais il ne la dŽbarrassait d'un souci domestique, jamais il ne traitait son insupportable soeur avec la rudesse que le Plerin aurait voulu voir employŽe ˆ son Žgard, jamais il ne fermait sa porte aux pauvres, aux malades, aux affligŽs, afin qu'ˆ toute heure Anne Catherine ežt quelque occasion de pratiquer l'humilitŽ, la charitŽ et la patience; encore moins pouvait-on le dŽcider ˆ s'extasier sur les visions, ou ˆ renvoyer la malade aux tables cŽlestes et aux soulagements surnaturels, ˆ nier l'action des causes naturelles dans ses maladies et ses souffrances et ˆ lui interdire, en consŽquence, le recours ˆ l'assistance du mŽdecin et aux remdes ordinaires. Un jour, que devant le Plerin, il laissa Žchapper ces paroles : Ç Je dŽsire toujours revenir dans mon couvent et, si je n'y Žtais pas obligŽ, je ne viendrais pas voir la soeur Emmerich, È celui-ci voulut voir lˆ une nouvelle confirmation de son peu de sympathie pour la malade et de son incapacitŽ ˆ la comprendre. Et pourtant ces paroles dites sans calcul sont un tŽmoignage des plus honorables en faveur de Limberg, et montrent bien quÕil Žtait appelŽ par Dieu ˆ s'occuper d'elle. Lors de la premire enqute, au printemps de 1818, il s'en Žtait remis ˆ la dŽcision du vicaire gŽnŽral, quant ˆ son remplacement par un autre prtre auprs d'Anne Catherine: mais, aprs la cl™ture de cette enqute, quoiqu'ayant ŽtŽ longtemps l'objet d'une dŽfaveur qu'il n'avait pas mŽritŽe, il fut confirmŽ formellement dans la charge de confesseur de la malade. C'est pourquoi il avait raison de demander au Plerin, qui mettait si volontiers en avant ce qu'il appelait son devoir de se faire raconter les visions en Žcartant tout ce qui pouvait y mettre obstacle, quelle autoritŽ ecclŽsiastique lui avait imposŽ ce devoir, ou lui avait ordonnŽ pareille chose en vertu de l'obŽissance; tandis que le Plerin ne voyait lˆ, comme en tŽmoignent ses notes, Ç qu'un langage en l'air, dŽpourvu de raisons solides et dŽnotant une grande confusion d'idŽes. È C'Žtait pourtant en rŽalitŽ le sentiment du devoir et la conscience qui retenaient le pre Limberg dans une position qu'il n'avait jamais recherchŽe; ce n'Žtait pas le caprice, ni l'amour du merveilleux, ni l'inclination naturelle; car, de mme que l'abbŽ Lambert, depuis le premier jour de ses relations spirituelles avec Anne Catherine, il Žtait entrŽ avec elle dans la voie des souffrances et il avait eu ˆ supporter avec elle l'injure et la calomnie poussŽes ˆ l'excs. Aprs s'tre vu, pendant huit, ans, traitŽ avec mŽfiance et presque avec mŽpris par ses supŽrieurs ecclŽsiastiques, ce ne fut que le 20 aožt 1820 qu'il en reut la premire marque de confiance par lettres du vicaire gŽnŽral et de l'Žvque suffragant, et que sa position fut rŽglŽe vis-ˆ-vis de Rensing. Comme dans les dernires annŽes de la vie de la malade, les souffrances de celle-ci augmentrent et avec elles son besoin de secours spirituels, le Plerin lui-mme ne put s'empcher de rendre ce tŽmoignage au pre Limberg : Ç VŽritablement, il exerce jour et nuit auprs d'elle un ministre spirituel trs-pŽnible et il faut joindre ˆ cela l'assistance qu'il va donner au loin, sans jamais se lasser, quelque temps qu'il fasse, et s'acquittant de ses fonctions avec un zle que rien n'arrte, une patience et une douceur qu'on ne saurait assez louer. È Lorsque le Plerin Žcrivait cela, il avait montrŽ peu de temps auparavant une telle irritation contre Limberg qu'Anne Catherine avait fait venir le chapelain Niesing pour lui reprŽsenter son injustice. Il eut aprs cela avec le confesseur un entretien dont il rapporte ce qui suit :

 

Ç Je suis, dit Limberg, toujours prt ˆ me dŽmettre de mes fonctions : car, sans l'aide de Dieu, je ne pourrais pas les supporter. Je ne fais aucune question ˆ la malade sur ses visions, mais je suis instruit de tout ce qui regarde sa conscience : car elle communique involontairement en quelque sorte les moindres choses qui s'y rapportent. Je ne dis jamais rien d'elle; je ne le dois pas, Žtant son confesseur. Je n'Žcris rien non plus. Je sais pourtant tout ce qu'il faut que je sache. Si c'est la volontŽ de Dieu, tout me reviendra en mŽmoire dans le cas o j'aurais ˆ dire quelque chose d'elle. Je ne l'interroge pas sur ses affaires : mais je ne les dŽdaigne pas pour cela. Je crois souvent que le Plerin s'imagine que je fais quelque chose, que j'ordonne quelque chose en secret, il n'en est rien. Je l'ai toujours trouvŽe trs-vŽridique et trs-sensŽe dans ses paroles, soit ˆ lՎtat de veille, soit ˆ l'Žtat d'extase. Et elle m'a souvent dit des reproches quand dans la direction j'ai rudoyŽ quelqu'un et ne l'ai pas ŽcoutŽ patiemment. Un jour aussi elle mÕa dit tout ce que je pensais, mais elle a priŽ Dieu d'elle-mme pour qu'il ne lui en fit plus rien conna”tre. È Le Plerin termine ses notes par ces paroles : Ç Puisse le Seigneur nous maintenir tous dans la voie de la vŽritŽ et de la charitŽ et ne pas nous induire en tentation ! È

 

3. Un tŽmoignage encore plus important en faveur de Limberg est le reproche que lui fait le Plerin dans ses notes du 14 dŽcembre 1821 : Ç Les trois derniers jours et les trois dernires nuits ont ŽtŽ une sŽrie de convulsions, de vomissements de sang, de nausŽes et de dŽfaillances : au milieu de tout cela, continuation des visions et cette affirmation tranquille et assurŽe : Ç Je dois souffrir, je l'ai pris sur moi, je le supporterai. È Il est remarquable et touchant de voir comment, dans cet Žtat de maladie mortelle, elle s'Žlve souvent ˆ l'Žtat contemplatif et demande son confesseur pensant qu'elle a ˆ lui dire des choses extrmement importantes, tandis que lui ne se prŽoccupe jamais de ces sortes de choses et n'entre jamais vŽritablement dans ces visions. Mais, dans l'extase, elle ne parait rien savoir de cette indiffŽrence et elle est attirŽe vers lui comme par un devoir spirituel qui est tout ˆ fait inconnu ˆ celui-ci, pendant que, dans l'Žtat de veille, elle passe sous silence devant lui beaucoup de petits incidents domestiques, de peur de s'exposer ˆ des ennuis trop pŽnibles pour elle. Si elle tombe dans l'Žtat de vision en sa prŽsence, elle se laisse aller compltement vis-ˆ-vis de lui pendant un certain temps, sans qu'il le dŽsire ou le veuille. Il ne se prte pas, ˆ ces rapports et la traite d'une faon sommaire, suivant sa manire ordinaire, sans beaucoup distinguer et sans en tenir grand compte. Quand elle est dans un Žtat d'extrme souffrance, elle dŽsire plus vivement qu'il soit prs d'elle : et lorsqu'il est lˆ, il est rare qu'elle s'en trouve mieux, ˆ moins que dans un cas de grande dŽtresse il ne pose sur elle sa main sacerdotale.

           Ces paroles fournissent vraiment la plus forte preuve de la rŽalitŽ des dons de la gr‰ce accordŽs ˆ Anne Catherine et de la conduite au-dessus de tout Žloge du pre Limberg. Certainement le Plerin ne pouvait pas comprendre comment lui-mme se trouvait si impuissant en face de la vie intŽrieure de la malade et de ses manifestations, et comment, malgrŽ le vif intŽrt qu'il prenait ˆ ses dons et ˆ ses visions, malgrŽ toute la peine qu'il prenait pour en rendre compte, il ne pouvait pas exercer sur elle la mme attraction que le confesseur avec sa manire brave et un peu rude, avec sa simplicitŽ, ses monosyllabes et son manque

apparent de sympathie. Il voyait, par des expŽriences de tous les jours, quelle immense distance existait aux yeux d'Anne Catherine entre lui et Limberg, distance qu'il s'efforait en vain de faire dispara”tre. Il cherchait avec une ardeur jalouse dans chaque mot, dans chaque signe, s'il ne pourrait pas en induire qu'elle le prŽfŽrait ou seulement qu'elle le mettait au mme rang que Limberg, mais toute illusion se dissipait bient™t pour lui quand il lui fallait voir de ses yeux Ç la puissance immense È de l'obŽissance ˆ l'ordre du prtre, lorsqu'il l'entendait par exemple s'Žcrier, dans l'extase : Ç Il me faut mon confesseur, le Plerin ne peut pas m'aider. Je dois interroger mon confesseur, le Plerin ne peut pas me dire cela. È A la vŽritŽ, Anne Catherine se consultait avec le Plerin sur ses relations domestiques et sur celles du dehors, sur des aum™nes, sur l'assistance ˆ donner ˆ des pauvres et ˆ des malades, mme en l'absence de son confesseur : mais la gestion intŽrieure de son ‰me n'Žtait ouverte qu'ˆ l'oeil de Limberg : car lui seul, en sa qualitŽ de prtre, Žtait pour elle le reprŽsentant de Dieu, qu'elle fžt ˆ l'Žtat de veille ou en contemplation, et dans l'un et l'autre Žtat, il n'y avait pour elle qu'une rgle, une base fondamentale, une loi pour l'action et le mŽrite qui en pouvait rŽsulter, savoir : la foi et l'obŽissance. Et, dans le fait, si elle avait ˆ agir comme membre du corps de l'ƒglise pour un autre membre, en se mettant ˆ sa place et en expiant pour lui dans la vision, cela ne pouvait se faire que sur la voie de l'ƒglise, suivant l'ordre Žtabli dans l'Eglise et par les moyens que fournit l'ƒglise; c'est-ˆ-dire que pour elle, comme pour un fidle ordinaire, l'autoritŽ de l'Eglise ou du confesseur reprŽsentait celle de Dieu et qu'elle lui devait une obŽissance sans condition et sans exception. Quand donc, pendant ses visions, elle rŽclame le confesseur, son autorisation et sa permission, son assistance et sa bŽnŽdiction sacerdotale, quand elle ne veut rien souffrir ni accomplir sans lui, il faut voir lˆ la confirmation la plus Žvidente de la rŽalitŽ de sa vocation extraordinaire. Comment pouvait-elle manifester plus clairement que la sanction de l'Eglise et l'obŽissance envers elle Žtait l'unique atmosphre dans laquelle elle pžt accomplir sa t‰che ? Car si une personne ainsi privilŽgiŽe voulait se soustraire ˆ cette rgle par le moindre caprice ou la plus lŽgre dŽviation, elle rendrait par la mme indubitable la faussetŽ ou la perte de sa vocation. Voilˆ pourquoi les plaintes et les reproches du Plerin fournissent des preuves si frappantes en faveur de la direction vraiment sage et ŽclairŽe du pre Limberg si injustement traitŽ par lui et dŽmontrent en mme temps la rŽalitŽ des dons de sa fille spirituelle.

4. Comme le P. Limberg, en religieux plein de conscience, voyait dans l'obŽissance la premire et la plus essentielle condition de toutes les autres vertus pour Anne Catherine, comme en consŽquence il avait soin de ne lui retirer aucune occasion de l'exercer, d'un autre c™tŽ il ne se croyait pas obligŽ et ne laissait pas voir en lui de penchant ˆ s'occuper plus particulirement des visions : car il se disait avec beaucoup de raison et de justesse que la conduite personnelle de la malade dans la vie ordinaire, la fidŽlitŽ dans l'accomplissement consciencieux des devoirs de chaque jour, la pratique des vertus Žgalement nŽcessaires ˆ tous les chrŽtiens et des obligations rŽsultant des voeux de religion lui donnaient des garanties plus sžres pour l'apprŽciation des dons extraordinaires que le contenu des visions. Et tant qu'il la trouvait parfaitement en rgle sur tous ces points, il croyait pouvoir abandonner sans crainte les visions ˆ la conduite de Dieu mme : car la foi catholique lui donnait l'assurance que le dŽmon ne peut sŽduire par ses artifices une ‰me qui, libre de toute volontŽ propre et de tout attachement aux crŽatures, vit uniquement de foi et d'obŽissance. Cette manire de voir Žtait fortifiŽe en lui par toutes les impressions qu'il avait reues d'elle depuis le premier jour; aussi, quand mme ses propres principes et le tact trs-sžr dont il Žtait douŽ ne lui auraient pas prescrit cette conduite, toute la manire d'tre de la malade elle-mme l'y aurait forcŽment conduit. Quelque extraordinaire que fžt son Žtat, il trouvait pourtant toujours en elle la religieuse serviable pour tous, se plaant toujours au dernier rang, simple, sans prŽtention, pour laquelle sa sŽvŽritŽ mme, son langage bref et la gravitŽ de ses procŽdŽs envers elle Žtaient le principal motif de la confiance absolue qu'elle mettait dans sa direction. Et comme rien ne lui Žtait plus Žtranger que le dŽsir d'tre traitŽe par son confesseur autrement qu'une chrŽtienne ordinaire, de mme elle Žtait trs-ŽloignŽe, ou plut™t il lui Žtait impossible de prŽfŽrer la contemplation ˆ un acte charitable, ˆ une pratique de vertu. Mais cette puretŽ, cette humilitŽ de son ‰me dont le Plerin avait ŽtŽ si frappŽ dans les commencements, devint peu ˆ peu pour celui-ci une pierre d'achoppement, parce qu'il ne pouvait pas tolŽrer que l'intŽrt marquŽ au prochain, la consolation et l'assistance donnŽe aux nŽcessiteux... la pratique de petits actes de charitŽ sans nombre et la distribution des bienfaits spirituels ˆ tous ceux qui l'approchaient lui tirassent infiniment plus au coeur que la contemplation et le rŽcit de ses visions: C'est pourquoi il pouvait de moins en moins se faire ˆ la position extŽrieure de la malade et se soumettre de bon cÏur ˆ l'ordre Žtabli par Dieu d'aprs lequel Anne Catherine ne devait pas plus que toute autre personne douŽe des mmes privilges tre ŽlevŽe au-dessus des misres et des infirmitŽs humaines, ni accomplir son oeuvre journalire sans tre en contact avec les nŽcessitŽs et les tracas innombrables de la vie de chaque jour. Jamais il n'en vint ˆ se dire qu'il n'Žtait pas au pouvoir d'Anne Catherine et qu'il ne dŽpendait pas de sa volontŽ de changer la position extŽrieure et de tenir ˆ distance tout ce qui pouvait mettre obstacle ˆ la communication de ses visions, mais que plut™t il Žtait dans les desseins de Dieu qu'il ne režt pas plus qu'elle n'Žtait en Žtat de lui donner. Au lieu de cela, il avait toujours devant les yeux un but impossible ˆ atteindre, savoir d'arranger de telle sorte la vie d'Anne Catherine qu'elle ne pžt plus ouvrir la bouche qu'ˆ lui et que ses derniers jours fussent consacrŽs uniquement au rŽcit de ses visions et ˆ la description de ses souffrances. A mesure que ce but reculait devant lui, il le poursuivait avec plus d'obstination et redoublait avec plus de violence ses plaintes contre tous ceux, y compris la malade elle-mme, qui Žtaient ˆ ses yeux coupables de cet insuccs. Comme il avait coutume de noter dans son journal toutes ses Žmotions fugitives, tout ce qui Žtait pour lui un sujet de mŽcontentement et d'irritation, il nourrissait de plus en plus chez lui une disposition morale pŽnible pour lui-mme et ˆ peine supportable pour les autres : car, en Žcrivant, il donnait d'abord la parole au sentiment de dŽplaisir et de colre qu'il Žprouvait et rendait ainsi profondes et durables ces impressions rapides qui alors finissaient par devenir une disposition permanente. Ds lors il suffisait de l'occasion la plus lŽgre pour rŽveiller tout ˆ coup dans son ‰me ce qui s'y Žtait accumulŽ depuis longtemps d'irritation, de soupons et d'amertume. Et alors les plus touchants incidents n'Žtaient plus capables de bannir la sombre humeur qui s'emparait du Plerin, pour peu qu'un de ses dŽsirs ne fžt pas satisfait, qu'il fžt trompŽ dans son attente ou bien qu'il se trouv‰t contrariŽ par quelqu'un ou par quelque choie. Ainsi il Žcrit ˆ la date du 9 mai 1820 :

Ç Elle a eu une vision dans la nuit, et le matin elle s'en souvenait encore bien. Mais ˆ huit heures la ma”tresse de la maison vint avec l'enfant et bavarda tellement qu'elle oublia presque tout par suite de la grande faiblesse de sa tte qui, depuis sa dernire maladie mortelle, a tant souffert du tapage que font les maons. Tous les fragments conservŽs dans les prŽsentes feuilles rendront un douloureux tŽmoignage en montrant quelles gr‰ce, quels trŽsors, des plus extraordinaires, des plus riches en fruits de salut qui se soient rencontrŽs depuis des sicles, sont sacrifiŽs ici chaque jour, chaque nuit, ˆ chaque heure, sans la moindre nŽcessitŽ, ˆ des empchements qu'un Žcarterait d'un enfant occupŽ d'apprendre sa leon. Ceux qui pourraient changer cela, bien qu'ils connaissent toute la valeur de ces gr‰ces, sont accoutumŽs depuis des annŽes ˆ les laisser se perdre comme en jouant, ˆ les obscurcir, ˆ les Žtouffer. Cela brise le coeur de l'Žcrivain, mais il en est ainsi : la postŽritŽ en gŽmira et dŽplorera qu'une telle mission ait ŽtŽ si mal secondŽe.- Le dimanche de P‰ques 1821 : Ç Ces ftes de P‰ques sont les premires sans consolation rŽelle. Jamais ce jour n'a ŽtŽ aussi triste pour elle qu'aujourd'hui. È Je n'ai obtenu cette nuit, a-t-elle dit, l'espoir d'aucun secours. Aprs la vision de la rŽsurrection, JŽsus, sur un chemin de la croix, a placŽ de nouveau sur mes Žpaules une grande croix blanche, et il m'a dit: Ç Il faut encore t'en charger et la porter plus loin. È Elle Žtait lourde ˆ me faire tomber sous le poids. Je plis encore avec beaucoup de chaleur. Ç Dois-je donc tre privŽe de toute assistance ? È Et il me rŽpondit brivement : Ç Porte-la, mon aide te suffit. È Je me dis alors : Ç Il est bon qu'il n'y en ait qu'une, È et il me sembla que je saurais la prendre et la porter. Mais je suis bien triste. È Et le Plerin aussi a ŽtŽ pris d'une tristesse et d'une fatigue singulires au milieu de cette vie fastidieuse, pleine de choses irritantes et absurdes, et il en est presque ˆ perdre toute espŽrance. È Ou bien encore. Ç Le matin le Plerin trouva ses joues tout enflammŽes par les larmes versŽes ˆ torrents. Une tribulation spirituelle lui avait ŽtŽ annoncŽe pour le temps compris entre la fte de saint Antoine de Padoue et la Visitation de la sainte Vierge, mais ce qu'elle voit, elle le nŽglige entirement. Le Plerin n'est personne, il doit cŽder la place ˆ chaque vieille femme, ˆ chaque niaiserie qui se prŽsente : rien ne parait cožter ˆ la malade comme de lui communiquer quelque chose. Elle fait des plaintes ˆ propos des visites qu'on n'Žcarte pas; puis elle montre une affabilitŽ extraordinaire ˆ des personnes qui lui sont importunes. È

 

5. Il est facile devoir quelle mer d'amertume Žtait prŽparŽe ˆ la malade et ˆ son confesseur dans de pareilles circonstances. L'auteur du prŽsent livre ne doit donc pas omettre de mentionner ces procŽdŽs du Plerin, parce qu'il y a lˆ un fidle et vŽridique tŽmoignage touchant les voies par lesquelles la servante de Dieu s'est ŽlevŽe au haut degrŽ de perfection quÕelle devait atteindre. La prŽsence habituelle du Plerin et, par intervalles, le sŽjour de son frre, Christian Brentano, apparaissent comme une Žcole prŽparŽe par la Providence divine pour Anne Catherine et o il lui fallait, au milieu de souffrances si grandes et si continuelles, acquŽrir des vertus Žminentes qu'elle n'aurait jamais pu, sans cela; pratiquer avec ce degrŽ de puretŽ. Pendant que le frre du Plerin la considŽrait comme un phŽnomne extraordinaire o il espŽrait dŽcouvrir, au moyen d'expŽriences et d'essais de tout genre, la confirmation de son opinion favorable au magnŽtisme, elle devait tre pour le Plerin comme un miroir dont nul autre ne devait s'approcher et dont ni peines ni souffrances ne devaient ternir l'Žclat, afin qu'il pžt y regarder lui seul, sans tre dŽrangŽ par rien. Quelque diffŽrente que fžt la manire de voir des deux frres, ils Žtaient pourtant d'accord pour dŽsirer qu'Anne Catherine fžt retirŽe de tout contact avec le monde, extŽrieur et devint inaccessible pour tous exceptŽ pour eux. Ainsi se reprŽsentait ce que, depuis la premire enqute, la patiente avait eu ˆ subir de bien des manires, l'obligation de servir aux desseins d'autrui, comme un instrument n'ayant ni droits, ni volontŽ. Le vicaire gŽnŽral avait voulu guŽrir ses plaies et l'ensevelir elle-mme dans une retraite cachŽe. La science, qui semblait dŽconcertŽe en prŽsence des signes dont elle Žtait marquŽe, l'avait dŽclarŽe coupable d'imposture, et la police, alliŽe si intime de la libre science, avait confirmŽ ce jugement et maltraitŽ la pauvre dŽlaissŽe comme un bien sans ma”tre jetŽ sur une plage. Les croyants et les gens pieux ne cessaient de demander qu'en tant que crŽature privilŽgiŽe, elle n'exist‰t point pour elle-mme et n'ežt rien en propre, mais vŽcžt uniquement pour autrui. Il ne lui manquait qu'une seule chose, c'Žtait que la propriŽtŽ de ses dons spirituels lui fžt disputŽe ou au moins fžt rŽclamŽe par des Žtrangers pour tre mise ˆ profit par eux et que sa vertu et ses souffrances si mŽritoires fussent un scandale pour les autres afin que, comme son Žpoux cŽleste, elle dev”nt pour tous un signe de contradiction. C'est ce dernier achvement que le Plerin lui avait prŽparŽ avec les meilleures intentions du monde, comme le montreront ses propres paroles et les faits que lui-mme rapporte.

 

6. Les visions prŽalables.

 

           Le 28 fŽvrier 1820, Anne Catherine dit : Ç Quatre souffrances m'ont ŽtŽ annoncŽe. L'une d'elles, qui m'est trs pŽnible, vient du Plerin et de son frre. C'est une mŽsintelligence. J'ai eu aussi une vision qui m'a beaucoup tourmentŽe, de me trouvai dans une gronde dŽtresse, au moment de dŽfaillir compltement. Je voulais boire, mais l'eau Žtait bourbeuse : je ne pus pas la boire. Il y avait lˆ deux hommes : l'un d'eux voulait me venir en aide et me donner des cerises prises ˆ un arbre plantŽ dans un terrain mouvant et marŽcageux. L'arbre Žtait branlant, les cerises Žtaient ˆ l'extrŽmitŽ des branches infŽrieures: il n'y en avait pas dans le haut. Cet homme Žtait montŽ dans l'arbre avec peine afin de me donner les cerises, parce que l'eau Žtait mauvaise. L'autre se mit ˆ le bl‰mer et ˆ le quereller ˆ cause de la peine qu'il se donnait : il se fatiguait trop, lui disait-il : les choses devaient tre ainsi. Ils se disputrent si vivement ˆ ce sujet que le premier descendit de l'arbre et que l'autre aussi s'en alla. Ils se sŽparrent. Je restai abandonnŽe et sans aucun secours et pourtant il me fallait du secours, sans quoi je pŽrissais. Je pensai toute la journŽe ˆ cette vision inquiŽtante et je craignis qu'il ne s'agit du Plerin et de son frre. Ç Les cerises de l'arbre plantŽ sur un terrain mouvant et marŽcageux sont les bonnes intentions, les services offerts et les dŽmarches secourables qui n'ont pas leur origine dans les principes de la foi, mais dans un jugement humain trs peu sžr et dans des opinions prŽconues. (note) De mme l'eau marŽcageuse n'est pas puisŽe ˆ la source pure de l'amour divin, mais troublŽe par l'amour propre et l'attachement opini‰tre ˆ des vues habituelles qui ne fournissent aucune apprŽciation suffisante de l'Žtat de la malade et par consŽquent ne peuvent donner un vŽritable rafra”chissement.

 

(note) Le 10 janvier 1820, elle avait dit au Plerin: Ç J'ai eu une vision relative ˆ votre frre, il fera na”tre des embarras. Il a des idŽes fausses sur moi. J'ai vu aussi l'abbŽ Lambert trs-troublŽ par lui. . Je remercie Dieu de m'avoir montrŽ cela et de m'y avoir prŽparŽe. Je supporterai tout pour mon humiliation. È

 

Le 4 mars, le Plerin Žcrit : Ç Au commencement elle ne voulait pas dire ce qu'elle avait vu : ˆ la fin elle l'avoua : c'Žtaient des ennuis venant du Plerin. Cela vient de lui tre montrŽ pour la troisime fois. Ç Je me vis, dit-elle, placŽe par le Plerin et par mon confesseur dans un champ de blŽ o les Žpis me couvraient tout entire: je dŽsirais pouvoir y rester: mais je fus conduite de lˆ dans une chambre sombre et obscure et je vis le Plerin trs en colre contre moi, quoique je fusse innocente. Nous nous trouv‰mes trs-ŽloignŽs l'un de l'autre. Lorsque le Plerin me parla avec tant de colre, je vis derrire lui le diable instigateur ˆ la taille ŽlancŽe qui lui mettait la main sur l'Žpaule. Alors il me sembla que les stations du chemin de la croix passaient devant moi : ˆ chacune je me trouvai de plus en plus ŽloignŽe du Plerin. Je vis derrire la station du crucifiement le diable instigateur qui semblait vouloir m'assaillir : mais je le chassai. Je regardais toujours du c™tŽ du Plerin qui finit par revenir. Je me proposai de le recevoir plus affectueusement que jamais. È

Son humilitŽ faisait qu'elle s'en prenait ˆ elle-mme de tout et, lors mme que cela devait mal rŽussir, elle voulait toujours redoubler de charitŽ et de patience pour accomplir la t‰che entreprise par l'intermŽdiaire du Plerin. Son Žloignement ˆ mesure qu'elle suit les stations du chemin de la croix signifient le mŽcontentement et le refroidissement toujours croissants de celui-ci avec les consŽquences f‰cheuses qui en rŽsultent pour elle et qui, semŽes sur le chemin de sa vie, formeront de nouvelles stations douloureuses. Le Plerin ne voulut pas comprendre cet avertissement et il ajouta ˆ son rŽcit ces paroles pleines de duretŽ : Ç Elle est devenue pusillanime et pleine de mŽpris pour elle-mme ˆ un degrŽ visible ; il semble qu'elle ne va chercher des reproches ˆ se faire que pour vexer son auditeur. Elle continue toujours ˆ pleurer, s'inquite des fautes ˆ venir qu'elle n'a pas encore commises : elle ne peut se tirer de cet Žtat pitoyable et rebutant. È Quelques jours aprs elle eut ˆ lui raconter ceci : Ç Mon Žpoux cŽleste m'a dit que je ne devais pas me tourmenter et m'attrister, qu'il ne me rendrait pas responsable de ce qui arriverait, que je devais toujours suivre le chemin du milieu. È Lˆ-dessus le Plerin dŽclare qu'il ne comprend pas cela, que ce doit tre quelque chose qu'elle ne peut exprimer. Et pourtant ces paroles sont bien claires. Elle est placŽe entre son confesseur et le Plerin et elle est chargŽe d'adoucir sans cesse les froissements qui se produisent entre eux, de contenir les ressentiments amers du Plerin et ses plaintes passionnŽes et souvent si injustes contre le confesseur, enfin de ranimer la patience souvent ˆ bout du dernier. C'Žtait donc avec raison qu'elle pouvait rŽpondre au Plerin : Ç Depuis No‘l, le Plerin ne me comprend plus : il est contre moi. È

 

Le dimanche de P‰ques suivant, celui de 1820, lui apporta la dernire joyeuse fte de P‰ques qu'elle devait avoir sur la terre et que le Plerin dŽcrit ainsi : Ç Le matin de P‰ques, je trouvai la malade qui, hier encore, Žtait une triste image

de douleur, vŽritablement ressuscitŽe. Elle Žtait tout ŽclairŽe, tout illuminŽe de sŽrŽnitŽ et de joie. Tous ses discours, toute sa personne respiraient la ferveur avec un sentiment de la rŽsurrection du RŽdempteur qui donnait une noblesse extraordinaire ˆ son visage et ˆ chacun de ses gestes. Elle avait entendu les chants de toute la paroisse, laquelle, ici, vers une heure du matin, passe par toutes les rues de Dulmen pendant que le bourgmestre porte devant eux la croix qui Žtait couchŽe dans l'Žglise le vendredi saint et que le curŽ remet entre ses mains pour cette procession nocturne en vertu d'un ancien privilge, puis, les vieux cantiques de jubilation rŽpŽtŽs par un millier de paysans et d'enfants, dont plusieurs depuis le vendredi saint n'ont ni mangŽ ni bu, qui font de plus la nuit le chemin de la croix et se livrent le jour ˆ un rude travail : tout cela Žtait arrivŽ jusqu'ˆ son lit de douleur, et elle avait suivi en vision la foule qui priait et qui chantait. Elle parla avec une grande Žmotion de cette coutume du vieux temps. Il para”t qu'autrefois, une ŽpidŽmie ayant emportŽ tous les ecclŽsiastiques, le bourgmestre alla au saint tombeau et y prit la croix qu'il porta par la ville pendant cette nuit, accompagnŽ des bourgeois, sur quoi la maladie cessa. Depuis ce temps ce vieux privilge est restŽ au bourgmestre. C'est aussi la coutume, le samedi saint, quand le feu nouveau est allumŽ et bŽnit, que le bedeau allume ˆ ce feu de petits fagots qu'il distribue ˆ ceux des bourgeois qui en dŽsirent. Le Plerin avait avec lui un de ces fagots ˆ peine bržlŽ par le feu et il le posa sur le lit de la malade dans un moment o elle Žtait en vision. Au bout de quelques instants, elle dit: Ç Comment ce bois enflammŽ est-il venu sur mon lit? È Alors elle en approcha ses mains ˆ quelque distance comme quelqu'un qui se rŽchauffe ˆ la flamme et dit : Ç C'est un feu sacrŽ, il a ŽtŽ nouvellement allumŽ dans l'Žglise : toute l'Eglise possde aujourd'hui une nouvelle lumire, elle a reu un nouveau feu, mais beaucoup n'en sont pas rŽchauffŽs. È

Peu de jours aprs, elle eut ˆ raconter au Plerin, comme avertissement et comme prire de ne pas intervenir dans ses affaires domestiques pour y crŽer des embarras et des troubles, un entretien qu'elle avait eu avec son ange gardien. Ç Je me suis sentie trs-malade, dit-elle, je me plaignais ˆ Dieu dans ma dŽtresse et j'Žprouvais un ardent dŽsir d'tre dŽbarrassŽe des soucis que me donnent les soins du mŽnage et les nombreuses personnes dont j'ai ˆ me prŽoccuper. Hier, par exemple, Lambert avait six personnes ˆ d”ner, les enfants de mon frre et des prtres qui Žtaient venus le visiter. Je fus trs-sŽvrement rŽprimandŽe par mon guide; il me dit que je devais rester sur ma croix, que JŽsus n'Žtait pas descendu de la sienne. Moins je me donnerai de peine pour en tre dŽlivrŽe, plus je serai assurŽe de recevoir du secours. J'ai eu une longue instruction ˆ ce sujet. È Toutefois cette prire ne fit aucun effet sur le Plerin , comme, on le voit par le rŽcit suivant Žcrit quelques jours plus tard : Ç L'abbŽ Lambert devient tous les jours plus malade. Il a besoin de soins multipliŽs. Elle regarde la maladie comme trs-dangereuse, s'attend au pire et a eu une vision de son enterrement. Elle vit une ‰me s'avancer avec le cierge allumŽ et courut aprs pour voir o on le dŽposerait : c'Žtait le cimetire d'ici. A l'entrŽe, deux ‰mes vtues de blanc vinrent ˆ sa rencontre pour l'arrter : elles Žtendirent devant elles un voile blanc au delˆ duquel elle ne put pas pŽnŽtrer. Elle a demandŽ les douleurs qu'elle Žprouve. Elle conna”t parfaitement son Žtat : elle est menacŽe d'une inflammation dans le bas ventre. Elle parle de la reconnaissance qu'elle doit ˆ l'abbŽ Lambert. Le Plerin et son frre la trouvent dans un trs triste Žtat. Le bruit du jeu de quilles sous sa fentre l'incommode beaucoup. Le frre pense qu'elle devrait quitter cette maison. Il croit pouvoir arranger tout par des reprŽsentations sŽrieuses.

 

21 avril. Ç L'abbŽ Lambert va mieux. Il est de bonne humeur : son pied se dŽsenfle. Ç Je dois, a-t-elle dit, abandonner le reste ˆ Dieu : je ne puis pas le sauver entirement. Lorsqu'il vint ˆ moi en pleurant, trs-affligŽ de la proposition de changer de demeure, je vis qu'il ne pouvait plus vivre quatre jours, si la gangrne dont-il Žtait menacŽ se dŽclarait. Je criai vers Dieu pour qu'il m'envoy‰t autant de souffrances qu'il en faudrait pour empcher Lambert de mourir ˆ contre-coeur. J'espre qu'il pourra dire bient™t la sainte messe. È Mais elle n'a presque pas la force de parler. Quand le Plerin lui raconta qu'il Žtait arrivŽ de Berlin un dŽcret dŽfendant aux professeurs de Munster de faire leurs leons, parce que le vicaire gŽnŽral avait interdit aux jeunes thŽologiens le sŽjour de Bonn, cela lui alla fort au coeur ; elle dit : Ç Ce n'est pas ce que j'entends dire qui m'afflige, mais des choses bien pires que je vois obscurŽment venir dans mes visions et que je ne puis pas expliquer. J'ai priŽ de tout mon coeur ˆ propos de cette affaire, je me suis toujours attendue ˆ cela : mais il y aura encore pis. È ƒtant en contemplation, elle s'Žcria : Ç Saint Liboire me dŽfend ˆPaderborn o l'on dit mille choses contre moi. È

 

25 avril. Ç Le Plerin lui demanda si elle ne voulait pas enfin changer sa position et congŽdier sa soeur. Elle rŽpond qu'elle ne le doit pas (d'aprs des avertissements qu'elle a reus). Le Plerin ne peut pas admettre cela et pense que si elle le voulait, la chose se ferait facilement. È Elle fut trs contristŽe ˆ ce sujet et raconta le jour suivant une vision o elle avait reu de nouveaux avertissements ˆ propos des vues dŽraisonnables du Plerin et de son frre qui voulaient s'ingŽrer dans ses affaires de mŽnage. Ç J'ai eu ˆ arranger en guirlande une quantitŽ de fleurs jetŽes ple-mle et j'en avais dŽjˆ mis ensemble un grand nombre : alors il s'Žleva autour de nous une haie verdoyante hŽrissŽe d'Žpines : mais les Žpines, au lieu d'tre tournŽes contre nous, l'Žtaient ˆ l'extŽrieur et semblaient tre une protection. Il croissait lˆ aussi d'innombrables petites fleurs sur des tiges menues comme des fils. Elles Žtaient couleur bleu de ciel avec du rouge au centre et cinq fils ayant la forme de marteaux d'argent o reposait une rosŽe d'une douceur merveilleuse. Les petites fleurs Žtaient plantŽes parmi beaucoup d'herbes et je voulus aussi les recueillir. Mais le Plerin et son frre s'y opposrent, disant que cela n'en valait pas la peine. Cependant je pris une Žpine sur la haie et je m'en servis pour les retirer du milieu des autres plantes. È Le Plerin ne voulut pas comprendre cette gracieuse vision. Les fleurs bleues signifient les exercices de patience et de douceur dans les rapports de chaque jour avec son entourage et parmi les soucis de sa situation extŽrieure. Mais elle serait privŽe de ces mŽrites en suivant le conseil du Plerin et de son frre, c'est-ˆ-dire en changeant volontairement sa position : c'est pourquoi elle voit cro”tre autour d'elle la barrire vivante, la haie d'Žpines, c'est-ˆ-dire la dŽfense faite par son guide angŽlique et les grandes souffrances que lui impose la tache de sa vie tout entire. Le Plerin lui objecta Ç qu'il croyait que les petites fleurs signifiaient ses plaintes ˆ propos de petites souffrances auxquelles elle ne devait pas tre si sensible. È Dans son humilitŽ elle prit cette explication tellement ˆ coeur que le Plerin fait cette remarque. Ç Elle pleurait amrement et prenait Dieu et sa sainte Mre ˆ tŽmoin de son affliction, parce qu'elle ne savait comment faire et comment sortir de sa dŽtresse. On pouvait, disait-elle, lui reprŽsenter ses fautes sans mŽnagement. È Cette prire resta incomprise du Plerin : on le voit assez par ces paroles de son journal : Ç Elle Žtait presque hors d'elle, tant sa tristesse et sa dŽsolation Žtaient grandes, quoiqu'il n'y ežt ˆ cela aucune cause extŽrieure. Ce n'Žtait qu'une tentation et elle fut malheureusement si impatientante que le Plerin fut dur avec elle. È

 

Le 1er mai, elle raconta ce qui suit : Ç J'ai eu encore une vision sur les petites fleurs que je vis foulŽes aux pieds et arrachŽes par le Plerin et son frre. Je pleurai amrement et je plantai au milieu d'elles la croix de ma robe grise.

 

Mais pendant que je pleurais, elles se relevrent toutes comme un gazon Žpais, ˆ ma trs-grande joie. J'ai eu aussi la vision d'un feu bržlant dans la chambre de Lambert et mme au-dessus de lui dans son lit. Il se composait de petites flammes sŽparŽes qui allaient toujours se rŽunissant et qui, ne formant plus qu'une seule flamme, descendirent par la cuisine vers l'escalier. Je vis aussi en grande partie ce qui lui arriva ˆ cette occasion; je vis des personnes et divers dŽtails, mais je ne m'en souviens plus bien, car mon effroi fut tel que je me rŽveillai. De ce feu volrent sur moi d'innombrables petites croix dont ma robe grise fut toute parsemŽe. Cela m'effraya beaucoup : mais deux esprits bienheureux vinrent ˆ moi : c'Žtaient deux ap™tres, ˆ ce qu'il me sembla, et ils me dirent qu'il ne fallait pas m'effrayer, que j'avais dŽjˆ consumŽ la plupart de ces petites croix : en effet, elles Žtaient tout ˆ fait noires et il n'en restait qu'un petit nombre. Je me rŽveillai tout effrayŽe de cette vision.

 

2 mai. Ç Elle a ŽtŽ transportŽe aujourd'hui dans une autre chambre, pour tre moins incommode par le travail des charpentiers. Dans cette chambre Žtait le serin qu'elle avait ŽlevŽ, il y a trois ans, dans un nid posŽ sur son lit. L'oiseau s'Žtait si bien apprivoisŽ et Žtait devenu si attachŽ qu'il ne la quittait jamais: quand elle Žtait malade, tout son corps se gonflait et il tombait prs d'elle comme mort. On le lui retira et, quand elle fut placŽe dans la nouvelle chambrŽ o il se trouvait, ce petit oiseau, en la voyant appara”tre, fut dans un Žtat d'excitation singulier. Lorsqu'il la vit trs-malade, il devint malade lui-mme. Lorsqu'on le mit sur le lit, il sautilla d'abord, tout joyeux, de c™tŽ et d'autre; puis il tomba prs d'elle, triste et comme mourant. Quand elle lui montra du doigt sa cage assez ŽloignŽe, il devint gai, il becqueta son plumage en signe de joie et se balana dans son anneau. Une alouette qui pŽrit plus tard dans le feu de la cuisine s'Žtait apprivoisŽe de mme. Elle chantait sa chanson sur le lit de la malade, sautillant de c™tŽ et d'autre, et elle ne voulait pas voler vers la fentre, mme quand on la chassait et qu'on la poursuivait. Si quelqu'un se montrait peu aimable pour la malade, elle le poursuivait en criant jusqu'ˆ la porte, La malade a souvent parlŽ avec Žmotion au Plerin de l'attachement merveilleux de cette alouette. È

 

 

6 mai. Ç J'ai eu une vision sur le martyre de saint Jean-Baptiste et j'ai vu aussi plusieurs scnes touchant ses rapports avec le Seigneur. Il m'a parlŽ et m'a dit : Ç Si le Seigneur venait te visiter et voulait manger chez toi que pourrais-tu lui offrir, toi qui n'as rien? È - Alors je lui dis : Ç Je me donnerais moi-mme ˆ lui, car je n'ai pas autre chose ˆ donner. È Alors le Seigneur vint ˆ moi et mon ‰me se fondit tout entire dans une douce Žmotion. Le matin, quand je reus la sainte communion, je m'offris ˆ lui en sacrifice avec un ardent dŽsir. È

 

 

17 mai. Ç J'ai eu une courte vision touchant saint Pascal: j'ai vu qu'il avait un amour passionnŽ pour le Saint-Sacrement et qu'il allait le vŽnŽrer toutes les fois que cela lui Žtait possible. Je vis aussi qu'on l'en priva pendant un certain temps pour l'Žprouver, et combien il en souffrait dans sa cellule quoiqu'il le režt spirituellement. J'eus cette vision pour ma consolation, parce qu'Overberg ne pouvait me donner que peu d'espoir quant ˆ la permission de communier tous les jours. Je suis souvent rŽduite par lˆ ˆ une extrme langueur quoique je reoive la communion spirituelle. Un jour qu'ˆ cause de mon indignitŽ, je n'osais pas approcher de la sainte table, je vis saint GŽrŽon aller ˆ l'Žglise le jour de No‘l avec son costume militaire. Il voulait communier, mais il vit appara”tre sur l'autel JŽsus en croix qui remplissait un calice du sang de la blessure de son c™tŽ : alors, effrayŽ de son indignitŽ il ne voulut pas aller ˆ la sainte table. Je vis que, pendant longtemps, il n'osa plus communier; mais Marie lui apparut et lui dit que, s'il se laissait dŽtourner de la communion par cette vision et s'il attendait qu'il en fžt digne, il lui serait difficile d'y revenir. Qui donc est digne de recevoir cette gr‰ce? Et je vis qu'il communia le lendemain. È - Ç La faim qu'elle a de l'Eucharistie, ajoute le Plerin, est souvent intolŽrable pour elle : elle est alors comme en dŽfaillance. Elle pleure souvent sur la privation de la communion quotidienne. Lors de la premire enqute, dit-elle, on lui a promis qu'elle aurait la messe dans sa chambre. Auparavant elle s'en Žtait tenue ˆ la rŽception de la sainte communion; elle se prŽparait, la recevait, faisait son action de gr‰ces et ainsi de suite : elle avait par lˆ laissŽ passer beaucoup d'ennuis et de tourments sans les ressentir; maintenant il en Žtait autrement, elle en Žtait rŽduite ˆ s'appuyer sur ses propres forces. Elle avait dŽjˆ eu antŽrieurement le pressentiment qu'elle aurait un jour ˆ souffrir de la faim :elle l'avait dit au doyen et ˆ son confesseur qui alors n'avaient pas voulu le croire. È

Le jour d'aprs, le Plerin la trouva tout en larmes ˆ cause d'une visite d'Žtrangers qu'on lui avait annoncŽe, et en proie ˆ de trs-cruelles souffrances : n'ayant pu recevoir les communications sur lesquelles il comptait, il se plaint en ces termes: Ç Tout ce qui se fait dans cette maison relativement aux choses du dehors, se fait absolument sans vue d'ensemble, sans plan et sans ordre : c'est tout ˆ fait inepte, dŽraisonnable, choquant, mais on n'y peut remŽdier en rien, vu l'indiffŽrence, l'absence de direction et l'idŽe fausse qu'on se fait des choses. Sa maladie a pris aujourd'hui des accroissements qui la rendent intolŽrable : elle ressentait les plus violentes douleurs et elle avait des Žlancements dans la plaie du c™tŽ : elle Žtait endolorie par tout le corps, de plus accablŽe de fatigue et affamŽe de JŽsus. È Cette disposition chagrine du Plerin n'Žchappa pas ˆ la malade qui en fut contristŽe et s'effora de la faire cesser. Lorsqu'il revint, elle Žtait occupŽe ˆ coudre un bandage pour le pied de l'abbŽ Lambert : elle le reut avec ces paroles : Ç J'ai bien remarquŽ combien vous avez ŽtŽ mŽcontent de ce que je ne pouvais rien raconter ˆ cause de mon Žtat de souffrance. Vous avez chantŽ, ce qui est pour moi un signe certain. J'ai eu aussi une longue explication ˆ votre sujet avec mon confesseur. È Et alors elle le supplia avec tous les mŽnagements possibles de surmonter sa susceptibilitŽ, de traiter avec plus d'Žgards un homme aussi humble que le P. Limberg; enfin de vouloir bien s'accommoder ˆ la position de la malade qu'elle ne pouvait pas changer ˆ sa volontŽ. D'aprs ce que rapporte son journal, il lui assura qu'elle se trompait, qu'il s'Žtait affligŽ de la confusion et du dŽsordre qui rŽgnait autour d'elle : qu'il avait bien fredonnŽ entre ses dents un ou deux airs, mais seulement pour comprimer son chagrin : Ç Toutefois, continue-t-il dans son rŽcit, elle ne se voulut pas se dŽdire et elle se mit ˆ pleurer. Elle pense toujours que le Plerin a ŽtŽ dŽraisonnable pendant le Carme, tandis qu'il s'affligeait seulement de ce que les visions les plus magnifiques n'Žtaient pas racontŽes. Et, si le confesseur se f‰che contre le Plerin, c'est qu'il en cherche l'occasion : il rŽpte sans cesse que le Plerin et son frre sont trop savants pour lui et qu'ils jugent trop sŽvrement. Mais tout cela n'est que de la mŽfiance, parce qu'il n'est point affectueux, ne se donne aucune peine et n'accepte aucun conseil.

 

Quelque temps aprs, dans une autre occasion, elle reprŽsenta au Plerin Ç qu'elle voyait une quantitŽ de choses. mais qu'elle n'Žtait pas pour cela en Žtat de communiquer tout, comme il le dŽsirait; qu'elle avait eu, par exemple, une vision trs-Žtendue touchant les anctres de Marie et sur le Magnificat et qu'elle l'aurait racontŽe volontiers, si ses inquiŽtudes pour l'abbŽ Lambert et divers tracas domestiques ne l'en avaient pas empchŽe. È Ces paroles toutes bienveillantes tombrent comme une Žtincelle de flamme dans l'‰me du Plerin. Il s'Žcria plein d'amertume : Ç Oui, ces gens la tourmentent, l'obsdent, la troublent, l'Žtouffent comme des sacs de laine ! Ainsi se perdent les choses les plus admirables qui lui sont rŽvŽlŽes comme elles ne l'ont jamais ŽtŽ ˆ personne. Ces misŽrables motifs qui font que tout se perd sans nŽcessitŽ poussent le Plerin presque au dŽsespoir. È Il reconna”t plus loin Ç qu'elle prit ˆ la lettre ces paroles un peu trop irrŽflŽchies et qu'elle en fut trs contristŽe. È

 

7 Le 19juin 1820, elle reut l'avis suivant de son guide angŽlique : Ç Ne te chagrine pas, si tu ne vois plus prs des reliques des saints autant de dŽtails qu'auparavant : tu as maintenant un autre travail ˆ faire. C'est assez que tu les reconnaisses et que tu aies une courte vision; tu ne peux plus ˆ prŽsent dŽpenser ˆ cela autant de temps. Tu as ˆ faire autre chose qui t'est prŽparŽ. Raconte tes visions comme auparavant, tiens pour vrai ce que tu vois et raconte tout ˆ ton confesseur, qu'il l'accepte ou non. È Ç C'est ˆ peu prs ainsi, dit-elle, qu'il me parla. Cela m'a consolŽe et je crois que je ne mourrai pas encore. È

Il se manifesta bient™t aprs que ces paroles avaient trait ˆ la communication des visions journalires sur 1a trs sainte vie de JŽsus et lui annonaient sa dernire et sa plus pŽnible t‰che pour le temps qui lui restait ˆ vivre. Sans doute elle avait toujours eu la plus claire intuition des mystres et des faits de la carrire terrestre du fils de Dieu, puisqu'il Žtait constamment prs d'elle en qualitŽ d'Žpoux cŽleste et qu'il l'Žclairait par des paroles et des images sur la manire dont elle pouvait, dans toutes les situations et toutes les circonstances, l'imiter avec la plus grande fidŽlitŽ et arriver ˆ la conformitŽ avec lui : mais maintenant elle avait ˆ l'accompagner comme RŽdempteur du monde sur tous les chemins qu'il avait parcourus, ˆ contempler toutes ses actions, ses souffrances et ses mŽrites, afin d'en faire ˆ ses contemporains un rŽcit qui, par sa fidŽlitŽ pleine de vie, sa simplicitŽ sans ornements et sa parfaite concordance avec le tŽmoignage des saints ap™tres et de tous les saints docteurs, devait ramener un grand nombre de coeurs ˆ la vŽritŽ et ˆ la piŽtŽ, et cela dans un temps o l'image de l'homme-Dieu Žtait dŽfigurŽe par de fausses doctrines jusqu'ˆ en devenir mŽconnaissable. Le Sauveur se prŽsentait devant les yeux de son ‰me et avec lui toutes les circonstances de sa vie, toutes les personnes qui y avaient jouŽ un r™le, tout le thŽ‰tre de sa carrire terrestre, tout ce qui s'Žtait fait autour de lui et la manire dont cela s'Žtait passŽ; son pays et son peuple, la nature et l'histoire, toutes ses actions ˆ leur jour et ˆ leur heure, aussi pleines de vie qu'elles l'Žtaient lorsqu'elles s'Žtaient produites pour la premire fois en rŽalitŽ. Et en mme temps que les lieux et scnes changent, que les jours et les saisons se succdent, que les foules vont et viennent pour cŽlŽbrer les saintes ftes dans les cŽrŽmonies pompeuses de l'ancien temple, ou pour Žcouter la prŽdication du Messie dans les campagnes de GŽnŽsareth o la terre sainte se prŽsente encore avec tout le charme et toute la beautŽ qui en fait une image du paradis, de mme aussi le dŽveloppement intŽrieur, la croissance invisible et les fruits de la vie nouvelle dans les convertis, depuis le moment o la foi au fils du Dieu vivant a jetŽ ses premires racines jusqu'ˆ la confession par le martyre de saint Etienne se dŽploient devant ses yeux. Elle voit le dŽveloppement continu du mystre de JŽsus-Christ dans les coeurs des premiers fidles, comme dans le rayonnement successif, partant de lui qui est le soleil mme de justice : et ce qu'elle en peut raconter ressemble au reflet de la vŽritŽ et de l'histoire dans le miroir non terni de son ‰me. Il y a dŽjˆ dix ans que l'auteur du prŽsent livre a publiŽ en trois volumes la reproduction de ses communications par le Plerin (note); c'est pourquoi dans les feuilles suivantes il ne sera fait mention que des circonstances particulires au milieu desquelles Anne Catherine eut ˆ faire le rŽcit de ses visions, ce qui fut pour elle un travail infiniment pŽnible.

 

(note) La vie de N.-S. JŽsus-Christ d'aprs les vissons d'Anne Catherine Emmerich. (L'original allemand a trois forts volumes in-8e : la traduction franaise en a six, grand in-18.) Paris, Ambroise Bray.

 

 Elle commena dans les derniers jours de juillet 1820, et ds la fin d'aožt, elle en avait assez dit pour que le Plerin se trouv‰t trs-satisfait de la riche moisson qu'il avait faite. Une fois, ˆ la vŽritŽ, elle eut le bonheur de prŽvenir une explosion de colre qui menaait sa soeur, si bien que le Plerin lui-mme lui rendit ce tŽmoignage : Ç Elle a ŽtŽ trs-affectŽe de la tristesse du Plerin (c'est-ˆ-dire de son irritation mal contenue) : son inŽpuisable bontŽ fait qu'elle serait trs-disposŽe ˆ communiquer quelque chose de ce qu'elle a vu; elle prononce plusieurs noms, mais elle est trop ŽpuisŽe. È Lorsqu'en septembre un surcro”t de souffrances et de soucis domestiques s'imposa ˆ la malade, il se laissa de nouveau aller ˆ son humeur sombre.

Ç Elle croit, dit-il, que son ancien mal au bas-ventre qui repara”t lui a fait tout oublier; elle n'est pas disposŽe ˆ rie raconter. A cela s'ajoutent ses soucis pour son neveu qui est appelŽ au service militaire et tout retombe sur elle. Son neveu a ŽtŽ ici hier soir et ce matin : et comme elle s'occupe de ses affaires, il en rŽsulte nŽcessairement un dŽrangement dŽsolant. C'est pourquoi elle n'a pu rien raconter et quand le Plerin en tŽmoigne tout simplement ( !) son regret, elle est prise de tristesse. Et si le Plerin s'efforce de rŽsister ˆ la mauvaise humeur que lui donnent ses conversations touchant ces affaires du dehors, elle est prompte ˆ le taxer d'injustice : et pourtant il n'a d'autres mobiles que le sentiment du devoir de l'affection (!). È

Quelques jours aprs, il trouva chez elle, ˆ son trs-grand dŽplaisir, trois de ses anciennes compagnes de couvent Ç qui, par toute sorte d'entretiens frivoles, effacent de sa mŽmoire des visions si importantes. È Toutefois, elle ne s'Žtait pas laissŽ troubler par cette visite, mais elle raconta avec une patience surhumaine la grande vision sur le cep de vigne et les plantes (voir T.2 Chap IX). Le Plerin ne se laissa pourtant pas adoucir et il exhala des plaintes amres : Ç Le Plerin, dit-il, est trs-contristŽ de ne pouvoir sauver que si peu de chose de ce jardin cŽleste ouvert par Dieu dans une ‰me et qui, sans aucune nŽcessitŽ, est indignement foulŽ aux pieds par la maladresse et l'ignorance. Oh ! comme j'ai le coeur gros en Žcrivant ceci ! Il y a nŽcessairement une responsabilitŽ. Sur qui tombe-t-elle, le Plerin l'ignore : pourtant il est sžr que le confesseur pourrait beaucoup conserver, si ce n'est tout : mais il n'y fait nulle attention. È

En d'autres termes, le confesseur n'interdit pas ˆ la malade, en vertu de la stricte obŽissance, de recevoir une courte visite de ses anciennes compagnes de couvent : c'est donc lui qui est cause de la prŽtendue perte, et c'est contre lui qu'Žclatera l'irritation si peu fondŽe du Plerin. C'est ce qui arriva en effet. Ç Le Plerin s'adressa ˆ lui et se plaignit du dŽsordre qui rŽgnait dans la maison, mais il fut forcŽ de reconna”tre que le confesseur regardait ses paroles comme une offense. È L'humble et simple prtre put bien trouver en effet dans Ç les paroles È du Plerin un motif suffisant pour se trouver offensŽ ; car lui, qui, pendant prs de deux ans, avait pris en patience tant de procŽdŽs blessants et supportŽ sans y rŽpondre les plaintes et les bl‰mes les plus injustes, retira, le 16 septembre 1820, la permission donnŽe ˆ Anne Catherine de raconter ses visions. Cette interdiction eut pour rŽsultat une touchante vision qui remua profondŽment le Plerin.

 

Vision du rossignol mourant.

 

Ç J'Žtais avec mon guide, dit Anne Catherine, en face d'une table lumineuse. Derrire cette table Žtaient rangŽes les fleurs les plus magnifiques. La table Žtait couverte de pices d'un gros (Pice de monnaie valant -15 centimes.); au milieu Žtait un espace vide o il n'y en avait pas : je me tenais lˆ devant. Les fleurs Žtaient ˆ moi, la table Žtait ˆ moi ; le trŽsor, les pices de monnaie Žtaient ˆ moi, mais, lˆ o je me tenais, elles manquaient. Je ne pouvais pas atteindre ˆ la table, aux fleurs, ˆ l'argent. Mon guide passa devant moi : il avait dans la main un rossignol mourant et me dit : Ç Tu ne dois plus possŽder ces fleurs, ces images, ce trŽsor, parce qu'on ne te laisse pas le moyen de les faire conna”tre quoiqu'elles t'aient ŽtŽ donnŽes pour cela. Et pour preuve de cela, rends la vie ˆ cet oiseau avec le souffle de ta bouche. È Il tint l'oiseau prs de mes lvres et je soufflai dans son bec. Il redevint alors vivant et bien portant et il se mit ˆ chanter : aprs quoi le guide se retira avec lui. Mais tout disparut ˆ mes yeux, tout devint mort et muet : je n'ai plus rien vu. È

Alors le Plerin eut en effet des raisons de se plaindre : Ç Elle a tout ˆ fait perdu la mŽmoire, dit-il. Elle ne peut rien rapporter. Depuis cette perte, tout est si loin d'elle ! Elle a dit encore : Ç Mon Žtat Žtant devenu de plus en plus misŽrable, comme on ne me laisse pas le calme nŽcessaire pour raconter les saintes choses que je vois comme je le dois et le puis, È (par consŽquent, non pas comme le Plerin l'exigeait d'elle, mais selon que Dieu lui en donnait la force et le temps), Ç elles m'ont ŽtŽ retirŽes par Dieu : quand j'aurai du repos, elles reviendront. È Elle pria le Plerin avec larmes de ne pas rendre ses souffrances intolŽrables par sa violence. Ç Vous ne comprenez pas les douleurs que vous me prŽparez. Dieu seul les conna”t : c'est ˆ lui seul que je puis m'en plaindre. J'ai continuellement le pressentiment de quelque souffrance qui me menace. È Mais ˆ son rapport le Plerin ajoute ces paroles : Ç Elle parle sans cesse de ses souffrances intolŽrables et dit qu'on ne les conna”t pas. Elle montre de la mauvaise humeur, elle est pointilleuse et s'offense aisŽment. Le Plerin attribue cela ˆ la perte des sublimes visions et des consolations. È Donc il ne l'attribue pas ˆ lui-mme et ˆ ses procŽdŽs qui sont la principale cause de dŽsordre et d'agitation autour du lit de douleurs de la malade.

Comme toujours en pareil cas, elle eut encore cette fois recours ˆ Overberg (note).

 

 

(note) Lorsque le noble vieillard apprit la maladie de Lambert, il offrit aussit™t son assistance. Il Žcrivit ˆ la malade : Ç Ayez bien soin que l'abbŽ Lambert ne manque ni des remdes nŽcessaires, ni de tout ce qui peut servir soit ˆ le fortifier, soi ˆ le soulager et ˆ le rŽcrŽer pendant sa maladie. Quant aux frais qu'il ne peut pas faire lui-mme, je sais comment on pourra y pourvoir. È

 

Elle lui Žcrivit et envoya aussi ˆ Munster le chapelain Niesing pour lui dŽcrire sa situation et lui demander une dŽcision. Elle avoua au Plerin qu'elle ne trouvait la force de communiquer la vie de JŽsus que dans l'obŽissance envers ses supŽrieurs ecclŽsiastiques : c'est pourquoi, du consentement de son confesseur, elle en rŽfŽrait ˆ Overberg, comme au directeur de sa conscience, pour savoir si l'interdiction devait tre maintenue ou retirŽe. Ç Overberg, disait-elle, a ŽtŽ le premier qui m'ait dit ds le commencement et souvent rŽpŽtŽ que je devais tout raconter au Plerin, mais cette permission a fait son temps maintenant et elle doit tre renouvelŽe pour tre efficace. È

Le Plerin ne pouvait dŽsormais se dissimuler combien la chose Žtait sŽrieuse, puisqu'au lieu de rapporter des visions communiquŽes par elle, il lui fallait faire cet aveu: Ç Elle est toujours privŽe de ses hautes contemplations et la mŽmoire lui fait dŽfaut : elle est trs-souffrante et dans une grande anxiŽtŽ ˆ cause de quelque chose de trs-grave dont elle est menacŽe. .De quoi qu'il s'agisse, on ne peut arriver ˆ le conna”tre et il est inutile de s'en tourmenter. È Il se rendit lui-mme ˆ Munster pour demander ˆ Overberg le renouvellement des pouvoirs. Celui-ci les accorda, mais aussi il exhorta le Plerin ˆ tre patient. Le bon pre Limberg, sur l'avis d'Overberg, retira l'interdiction et Anne-Catherine eut de nouveau la force de communiquer ce qu'elle voyait. Quelques jours auparavant, elle avait dit, Žtant en contemplation : Ç Je vois un jardin cŽleste plein de fruits magnifiques, mais il est fermŽ pour moi : mon guide m'a dit qu'en ce moment je ne pourrais pas supporter ces fruits. È

 

8. On ne tarda pas ˆ voir combien Žtait fondŽe sa crainte de quelque chose de trs-pŽnible qui la menaait, car voici ce qu'elle eut ˆ raconter : Ç J'ai eu une vision de ma mort, je me suis vue mourir. Je n'Žtais pas ici, j'Žtais par terre on pouvait circuler tout autour de mon lit. Je tombais d'une dŽfaillance dans une autre. Sainte ThŽrse Žtait auprs de moi ainsi que les saintes religieuses qui sont sans cesse ˆ mes c™tŽs. Il me semblait que j'Žtais dans la campagne. La facultŽ de marcher m'avait ŽtŽ rendue. Tout le monde avait cru que j'allais tre mieux : mais il me fallait mourir. C'Žtait chose certaine, je ne pouvais donner aucun signe de ce qui se passait en moi. Le Plerin Žtait dans le voisinage : il me semblait qu'il ne pouvait pas avancer parce que je n'Žtais pas lˆ o je devais tre. Il jetait souvent des regards sur moi. C'Žtait la troisime fois que tout semblait fini, c'Žtait aussi la dernire fois; j'Žtais pourtant dans une disposition d'esprit merveilleuse. Mon guide me demanda si je voulais vivre encore, ayant tant souffert. Je pensai que oui, si je pouvais encore tre utile. Je vis que j'aurai encore immensŽment ˆ travailler jusque-lˆ. È Et aussit™t aprs, un premier grand travail lui fut annoncŽ. Ç Je vis, dit-elle, saint Ignace et saint Augustin qui me dirent : Ç Lve-toi, console ton ami et prŽpare-lui un vtement blanc pour passer devant le purgatoire sans y entrer. Je me levai, je mis mon jupon autour duquel j'attachai un tablier bleu et je restai pieds nus, parce que je craignais de faire du bruit en marchant. J'allai prs de Lambert, il Žtait joyeux et ne demandait pas mieux que de mourir. È Il lui fut aussi montrŽ quelles souffrances Žtaient exigŽes d'elle pour obtenir ˆ ce digne prtre une fin heureuse.

Ç J'avais comme un incendie intŽrieur et je ressentais de vives douleurs. J'eus une vision o je me vis moi-mme et o je vis un homme blanc qui jetait dans un petit bžcher toute espce de fruits, de petites branches, de sarments, de morceaux de bois, tout cela purs symboles (note); aprs quoi, il l'alluma de quatre c™tŽs et me jeta par-dessus, moi qui regardais. Et je vis ainsi, toujours bržlant dans les flammes et mourant dans de grandes douleurs, tout cela transformŽ en un petit tas de cendres blanches comme la neige que l'homme sema ˆ et lˆ sur les champs, ce qui fit tout prospŽrer ˆ souhait. È

 

(note) Cette vision d'un sens trs-profond se rapporte ˆ ce qui peut tenir lieu des peines du purgatoire et trouve son explication dans saint Paul (I, Cor. III, 13).

 

 

19 novembre. Elle travailla et pria toute la nuit pour l'abbŽ Lambert qui avait une plaie ouverte dans le flanc. Elle eut de nouveau une vision o elle le vit mourir et reut de son Žpoux cŽleste l'assurance consolante que les souffrances de sa maladie et la compassion qui la portait ˆ les partager lui seraient comptŽes ˆ sa mort. - Elle eut aussi une vision sur la vie de sainte Elisabeth de Thuringe et raconta ce qui suit : Ç Pendant que je travaillais ˆ des bonnets d'enfants, je la vis tout ˆ coup prs de moi, tenant l'enfant JŽsus par la main. Je voulus cesser et me tourner vers elle, mais elle me retint la main et me dit qu'il fallait continuer, que ce travail Žtait plus que la vŽnŽration que je lui tŽmoignerais, que c'Žtait faire quelque chose pour l'enfant JŽsus. Elle me montra en mme temps une scne de sa vie o je vis que l'enfant JŽsus s'assit sur sa robe un jour qu'elle travaillait pour les pauvres et ne lui parla pas jusqu'ˆ ce qu'elle ežt fini. Elle me vint en aide. È

 

5 dŽcembre 1820. Ç J'ai eu une triste vision. Je vis qu'aprs la mort de Lambert, mes ennemis formaient le projet de m'emmener en secret et de me renfermer, mais ils en furent empchŽs. Il survint un obstacle ˆ leur entreprise. J'Žtais dans une grande tristesse de voir de nouveau les ennemis prs de moi. Mais je vis, dans une autre vision, que je devais aprs cela tre emmenŽe par mes amis et que le Plerin voulait me transporter autre part que son frre. Je souffris beaucoup de cette discorde. È (Cette vision eut son accomplissement littŽral le jour des obsques de l'abbŽ Lambert.)

 

9 dŽcembre. Ç Cette nuit je n'ai pas laissŽ un moment de repos ˆ la Mre de Dieu. Je me suis assise prs d'elle, j'ai cousu avec beaucoup d'empressement un bonnet que je lui ai montrŽ : je lui ai dit que ce serait pour son enfant, mais qu'elle devait de son c™tŽ procurer quelque soulagement ˆ Lambert dans sa maladie. Je ne cessais pas de la prier. Cela a fini par m'tre trs-pŽnible, mais j'ai persistŽ dans mes supplications; je lui ai dit : Ç il le faut, il le faut ! È Je demande uniquement qu'il souffre avec patience, que rien ne porte prŽjudice ˆ son ‰me : seulement un peu de soulagement. Il me fallut alors prendre beaucoup sur moi : car il me fut dit : Ç Il faudra souffrir ! È Et comme je suppliais ainsi, je vis aussit™t, les uns aprs les autres, une grande quantitŽ de malades, rŽpandus dans le monde entier. Et il me fut dit encore : Ç Tu dois secourir aussi celui-ci, et encore celui-lˆ. È Ensuite ils sont tous comme placŽs devant moi quand j'ai une minute de rel‰che. J'ai ainsi passŽ une grande partie de la nuit ˆ prier, ˆ travailler

et ˆ visiter un grand nombre de malades. J'ai ressenti une grande joie quand ˆ midi Lambert m'a fait faire ses salutations et j'ai appris avec joie qu'il se sentait mieux et qu'il avait mangŽ de bon appŽtit. È

 

10 dŽcembre. Je me suis encore entretenue trs-familirement avec Marie. Elle m'a dit que dans son Žtat de grossesse elle ne souffre d'aucune incommoditŽ, que parfois, dans son intŽrieur, elle a le sentiment de la prŽsence d'une grandeur toute puissante et qu'elle plane pour ainsi dire en elle-mme. Elle sent qu'elle entoure Dieu fait homme et que celui qu'elle entoure la porte. Je dois lui faire une petite crche : elle m'a dit de rŽciter chaque jour neuf Ave Maria en l'honneur des neuf mois pendant lesquels elle a portŽ le Sauveur sous son coeur. È

 

14 dŽcembre. Ç Le Plerin la trouva occupŽe de prŽparer des bandages pour Lambert. Elle Žtait restŽe toute la nuit sans assistance, ayant d'affreuses convulsions, et elle avait vu dans une vision que Lambert avait une hŽmorragie mortelle. Le matin quand Lambert voulut se lever, le sang jaillit en effet de sa bouche et il fut obligŽ de rester au lit. Elle veut prendre un homme pour le veiller, mais le malade s'y refuse. È Elle se donna tant de peine ce jour-lˆ pour raconter les visions courantes de la vie de JŽsus que le Plerin fut obligŽ de faire cet aveu : Ç Il est Žtonnant que, dans un aussi triste Žtat, elle se souvienne encore de quelque chose. Toute la journŽe, pendant ses cruelles souffrances qu'elle partageait avec le malade, elle a ŽtŽ assiŽgŽe de visites et, dans l'aprs-midi, elle s'est donnŽ tant de peine pour laver du linge que les convulsions reviennent de nouveau. È Mais le jour prŽcŽdent, il s'Žtait plaint en ces termes : Ç Elle est tellement occupŽe de la maladie de Lambert qu'elle oublie presque tout : aujourd'hui elle a trs mal racontŽ. On a le coeur serrŽ quand on pense que Dieu donne ˆ voir ˆ une ‰me tous les mystres de la RŽdemption et que ce qu'elle voit est si mal conservŽ et considŽrŽ comme si peu de chose. Mais ici aussi doit se confirmer que JŽsus a ŽtŽ vendu pour trente pices d'argent ( !!!). È

 

16 dŽcembre. Ç Elle a fait des travaux de couture pour le malade. Son visage portait l'empreinte de grandes souffrances et d'un vif chagrin. Les larmes Žtaient encore sur ses joues. Elle a une telle rage de tte qu'il semble qu'on lui broye le cerveau. Elle avait aussi vomi dit sang et saignŽ au c™te: elle souffre de nouveau d'une rŽtention d'urine. Quand on lui demande si elle n'a pas priŽ Dieu de lui envoyer une partie de ces souffrances pour Lambert, elle ne peut pas le nier. Ce saint temps de l'Avent est ordinairement pour elle le plus joyeux de l'annŽe. L'annŽe dernire, ˆ pareille Žpoque, elle chantait des cantiques ˆ la louange de Marie. Elle se trouvait alors dans un Žtat de contemplation continuel : mais maintenant la souffrance l'accable et il y a des dŽrangements perpŽtuels autour d'elle. Elle ne peut rapporter que des visions dŽcousues. È

 

17 dŽcembre. Ç Le soir, le Plerin la trouva trs-Žmue. Elle lui raconta que, dans l'aprs-midi, Lambert s'Žtait tra”nŽ pour la dernire fois sur des bŽquilles et Žtait venu lui dire adieu, pleurant beaucoup et disant qu'il ne la reverrait plus. Son confesseur Žtait saisi de compassion et exprimait la peine que lui causait l'Žtat de Lambert. Ç Car la malade, disait-il, ne retrouvera plus un ami si fidle. È Il priait Dieu d'accorder ˆ la malade la gr‰ce de ne pas lui survivre longtemps. È

 

19 dŽcembre. Ç Elle Žtait aujourd'hui trs-ŽpuisŽe et avait beaucoup de linge ˆ apprter pour le malade. La nuit lui apporte de cruelles souffrances qu'elle prend ˆ sa place. Elle a avec cela une fivre en rgle et endure la soif pour ne pas vomir; tout cela, depuis la maladie de Lambert, se manifeste la plupart du temps le soir et dans la nuit. Elle explique au Plerin que la plus grande partie de ses souffrances vient de maladies qu'elle prend ainsi sur elle. Elle sait cela parce qu'elle-mme les demande : elle en a agi ainsi depuis son enfance et elle ignore qui le lui a appris : cela est impliquŽ dans la compassion. ƒtant enfant, elle a guŽri plusieurs ulcres en les suant et guŽri aussi sa mre d'un ŽrŽsyple par des prires et par un remde qui lui est venu ˆ l'esprit. È - Ç Son confesseur, ajoute le Plerin, cherche souvent ˆ la dŽtourner de cette idŽe (note) en lui dŽclarant qu'elle ne doit pas s'imaginer de pareilles choses, que tout cela est purement naturel et qu'il n'y faut employer que les remdes de la mŽdecine. È

 

(note) Cet homme consciencieux faisait cela dans la bonne intention de n'Žpargner aucune humiliation ˆ sa fille spirituelle

 

20 dŽcembre. Ç Maladie, travail, dŽrangements sans fin, mais aussi beaucoup de gr‰ces et de patience. -Elle est trs-fatiguŽe des efforts que lui ont occasionnŽs les visions de la nuit. È J'Žtais, dit-elle, dans le jardin de la maison des noces. Tout ce qui peut tre salutaire et agrŽable pour l'homme s'y trouvait. Cinq chemins y conduisaient de toutes les parties du monde. Au milieu Žtait un Ždifice avec plusieurs portes dans lequel on distribuait toutes sortes de choses bonnes et salutaires. Beaucoup de personnes Žtaient lˆ et je reconnus les trois jeunes filles et les quatre hommes qui doivent travailler avec moi. Il y avait aussi une crche, avec des images des saints Innocents et le tableau de la punition infligŽe ˆ HŽrode pour avoir voulu supprimer l'avnement du Sauveur. J'appris comment ces images s'appliquaient au temps prŽsent, notamment comment elles se rapportaient ˆ ceux qui veulent enlever au monde et dŽtruire la gr‰ce renouvelŽe de cet avnement. J'eus ˆ prier pour tous ceux qui se prŽparent ˆ cŽlŽbrer la sainte fte de No‘l afin qu'ils rejettent tout le vieux levain du mal et deviennent avec JŽsus des hommes nouveaux dans l'ƒglise. Je vis alors de tous c™tŽs, dans l'Žloignement, d'innombrables figures d'tres humains : j'en fis le tour et il me fallut les prendre et les porter tous. Je trouvai ces gens occupŽs et retenus par les empchements les plus divers. J'eus ˆ tra”ner et ˆ porter beaucoup d'ecclŽsiastiques et de personnages bien pesants. J'aurais bien volontiers portŽ aussi le vieux Lambert : mais il me fut dit qu'il devait se tra”ner lui-mme. Il me fallut aussi porter le Plerin. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi il n'avanait pas, il Žtait sur un chemin trs-uni. A la fin de la vision tout cela ne fut plus qu'une Žglise o l'on cŽlŽbrait magnifiquement le service divin. Je ne puis plus bien dŽbrouiller cette vision, je me suis tra”nŽe avec une fatigue excessive. Cela se fait avec une vitesse incroyable et successivement. È

Avec cette vision commena un tel accroissement de ses diverses souffrances qu'on pouvait reconna”tre aisŽment qu'elle Žtait chargŽe d'obtenir pour beaucoup de personnes impŽnitentes la gr‰ce de la conversion. Elle fut prise de vomissements trs-douloureux qui continurent pendant plusieurs jours et quoiqu'elle ne pžt prendre qu'un peu d'eau, elle vomissait (le Plerin en fut tŽmoin), ˆ peu prs toutes les demi-heures et avec d'affreuses souffrances, deux cuillerŽes d'eau et un gramme de sang. Cela la mit dans un si triste Žtat qu'elle ne pouvait, plus parler.

 

23 dŽcembre. Ç Le matin, on la trouva dans un Žtat d'insensibilitŽ complte. Elle ne pouvait ni remuer, ni parler. Le pre Limberg, obligŽ d'aller dans la campagne, lui envoya le chapelain Niesing qui rŽcita prs d'elle les prires pour les malades tirŽes du recueil de bŽnŽdictions de Martin de Cochem. Cela lui rendit la connaissance et elle put penser de nouveau, suivant son expression. Son pouls Žtait ˆ peine sensible : elle Žtait raidie par le froid intŽrieur et ne pouvait pas parler. Au bout d'une heure, Niesing rŽpŽta les prires sur elle. Elle put regarder, remuer, se releva dans son lit et dit: Ç Voyez ce que peuvent la main du prtre et sa prire ! Cette nuit j'ai incroyablement souffert; des douleurs dans tous les membres, une soif horrible, sans pouvoir boire et je ne le puis pas encore. J'ai perdu enfin la connaissance et je croyais ce matin que cette fois j'allais vraiment mourir : car toute la nuit, j'ai ŽtŽ comme ˆ l'agonie. Je ne voulais penser qu'ˆ JŽsus, Marie et Joseph, mais je ne pouvais plus penser ces noms. Alors j'ai senti que l'homme ne peut rien, qu'il ne peut pas penser ˆ Dieu, si Dieu ne lui donne la gr‰ce pour cela, et que, si je pouvais en avoir encore la volontŽ, c'Žtait uniquement par la gr‰ce de Dieu. Lorsque Niesing est venu, je savais qu'il viendrait : cependant je ne pouvais pas remuer un membre, ni parler. Je connus aussi qu'il avait avec lui le petit livre et j'eus le sentiment et l'espŽrance qu'il prierait. Lorsqu'il commena ˆ prier, sa compassion pŽnŽtra ˆ travers moi comme de la chaleur, je repris la conscience de moi-mme: je pus avec une profonde Žmotion penser ˆ JŽsus, ˆ Marie et ˆ Joseph et la vie fut pour moi un don venant de la bŽnŽdiction sacerdotale. È

Ç Le soir elle demanda de nouveau la bŽnŽdiction et la relique de saint C™me. Le jour d'aprs, elle fut encore dans le plus triste Žtat, elle put pourtant dire quelques mots. È J'ai pressŽ la relique sur mon coeur, dit-elle ; j'ai vu le saint prs de moi et un courant de chaleur est venu sur moi. J'ai maintenant un peu plus de vie : mais je suis toute pleine de douleurs qui me dŽchirent cruellement. La soif me tourmente excessivement : mais je ne puis pas boire. È Elle resta tout ce jour, qui Žtait la veille de No‘l, dans un Žtat d'immobilitŽ semblable ˆ la mort. Depuis qu'elle a eu ces grandes souffrances, Lambert se trouve  beaucoup mieux. È

           Quoiqu'elle ežt ˆ peine assez de force pour prier le Plerin de ne pas venir la voir avant midi, le jour de No‘l, parce qu'elle sentait un grand besoin de repos, cependant cette humble prire si bien motivŽe le mit de trs-mauvaise humeur : Ç Il y a dans sa prire (c'est ainsi qu'il se plaignait) une espce de menace comme si le Plerin avait jamais pu lui tre a charge. Il ne peut pas s'expliquer cela mais il a ŽtŽ trs-triste pendant la sainte nuit et il n'a pas

su pour quelles bonnes raisons il souffrait ainsi. Il ne la vit qu'ˆ midi. Elle Žtait guŽrie et avait l'air trs-bienveillant : mais elle ressentait une grande lassitude. Ç J'ai reu ˆ la crche, dit-elle, l'ordre de distribuer aujourd'hui sept pains aux pauvres pour Lambert (il mourut la septime semaine qui suivit), puisqu'il est encore de ce monde. Cela m'a ŽtŽ ordonnŽ trois fois. J'ai priŽ Dieu de me montrer aussi les pauvres. Quelques uns sont venus d'eux-mmes et ont pleurŽ de joie lorsque je leur ai donnŽ le pain. J'ai vu les autres en vision. È Le Plerin ayant dit alors qu'aprs la mort de Lambert, elle ferait bien de congŽdier sa soeur et de changer de logement, elle dŽclara qu'elle ne pouvait pas faire cela; qu'Overberg non plus ne lui permettait pas de quitter sa maison et de renvoyer sa soeur. Le Plerin ne voit pas comment tout cela se lie ensemble : il doit y avoir une grande inintelligence de la part des hommes ou une inexplicable disposition de Dieu. È

 

27 dŽcembre. " Elle a travaillŽ ˆ faire des bandages et de la charpie pour Lambert : elle est trs-occupŽe de la mauvaise toux asthmatique de sa petite-nice, mais elle est infatigable pour offrir au Plerin de raconter ce qu'elle peut : et ce peu qu'elle donne mŽrite de la reconnaissance, car elle le donne d'une main toujours bienfaisante, quoique mourante. Elle est de nouveau plus malade. È Elle raconta une grande vision concernant saint Jean l'EvangŽliste : ce qui arracha au Plerin les aveux qui viennent d'tre rapportŽs. Mais, ds le lendemain, il recommence ˆ se plaindre : Ç Elle a eu des chagrins, dit-il, et n'a pas reu d'assistance, de lˆ vient que tout ce qu'elle a vu sort de sa mŽmoire et qu'elle raconte au milieu des souffrances et des distractions. C'est comme une fosse dŽgožtante o elle subit le martyre et cette personne malade ˆ la mort est tourmentŽe de manire ˆ rendre insuffisante toute bonne volontŽ. È Or quelle Žtait la cause de cette vive irritation. Voici ce qu'il rŽpond lui-mme : Ç Elle Žtait pleine de chagrin et tout en larmes. Elle cousait et faisait des raccommodages pour Lambert, prs duquel elle s'Žtait fait porter. Il avait pleurŽ d'attendrissement et elle vit qu'il lui manquait diffŽrentes choses qu'elle voulut alors lui prŽparer elle-mme. Tout cela dŽrangea beaucoup le plerin. Elle fit aussi venir une sage femme pour lui donner des bonnets et des langes destinŽs ˆ des enfants nouveau-nŽs et qu'elle avait prŽparŽs dans les derniers temps. Cela fut cause qu'elle remit son rŽcit ˆ l'aprs-midi. Quand le Plerin la revit dans la soirŽe, elle Žtait trs-fatiguŽe et luttait visiblement contre la tentation de se plaindre de ses chagrins. Le confesseur vint et alors le Plerin lui lut une prire ˆ JŽsus tirŽe d'un vieux livre. Au bout de quelques instants, elle fut dans l'extase la plus profonde. Elle Žtait lŽgre comme une plume et son visage si attristŽ auparavant par la douleur et l'inquiŽtude Žtait serein et rayonnant de joie. Le Plerin ne peut rendre cette clartŽ et ce charme que par le mot de lumineux. Le confesseur lui prŽsenta le livre de prires : elle le prit, l'ouvrit les yeux fermŽs et continua ˆ lire la prire jusqu'au bout."

 

29 dŽcembre. < Depuis No‘l, elle prend le soir un peu de bouillon d'orge, mais elle est obligŽe de le vomir. Elle taille des vtements pour de pauvres enfants et distribue ses dons chaque jour. Mais elle est trs-inquite de Lambert. È

 

31 dŽcembre. " C'Žtait dimanche. Elle s'Žtait confessŽe hier pour communier aujourd'hui. Soit confesseur Žtait parti pour aller assister des gens ˆ la campagne et il avait oubliŽ de charger un prtre de lui apporter le Saint-Sacrement. Son visage avait la douloureuse expression d'une personne qui languit de dŽfaillance. Elle pleurait ˆ chaudes larmes. Elle n'Žtait pas disposŽe ˆ raconter (cela se comprend) : du reste elle y est trs-rarement disposŽe (se dit le Plerin ˆ lui-mme dans un nouvel accs de mauvaise humeur). En gŽnŽral, malgrŽ les avertissements trs-sŽrieux qu'elle reoit ˆ ce sujet dans les visions, elle y attache trs-peu d'importance. Bien plus, les visions sont au fond quelque chose qui la gne et elle prie toujours pour en tre dŽlivrŽe. Le chagrin et la faim de la sainte eucharistie l'empchrent de se rappeler ce qu'elle avait vu. Elle assura encore avoir rapportŽ ˆ son confesseur que son guide spirituel lui avait ordonnŽ de faire venir le frre du Plerin pour lui dire diffŽrentes choses : mais le confesseur voulait attendre qu'il vint de lui-mme. Ce frre, ajouta-t-elle, continuait ˆ ne voir dans son Žtat que du magnŽtisme, il jugeait et traitait tout ce qui se passait en elle d'aprs cette opinion erronŽe. Ç Mais, dit-elle, ce n'est pas mon affaire, c'est l'affaire de Dieu : et je vois combien d'ennuis il me prŽparera encore. Il m'a ŽtŽ dit aussi par mon guide que le Landrath, qui est trs-ignorant, avait sur moi des idŽes plus justes. È

 

1er janvier 1821. Ç Je me suis trouvŽe cette nuit prs de la crche et j'ai implorŽ un peu de soulagement. Je demandais qu'au moins Dieu me dŽcharge‰t d'un de mes fardeaux et qu'il dŽlivr‰t la pauvre enfant de sa mauvaise toux convulsive; mais je ne fus pas ŽcoutŽe et aucune espŽrance ne me fut donnŽe. J'ai luttŽ formellement avec Dieu et je lui ai reprŽsentŽ ce qu'il promettait et qui il exauait: je pouvais citer beaucoup d'exemples, mais je n'ai pas ŽtŽ ŽcoutŽe et j'ai appris que je serais ŽprouvŽe plus fortement encore cette annŽe. J'ai aussi ardemment priŽ pour que Dieu veuille bien me retirer les visions, afin que je n'aie plus la responsabilitŽ du rŽcit qui peut en tre fait. Je n'ai pas ŽtŽ exaucŽe et j'ai reu l'injonction accoutumŽe de raconter ce que je vois dans la mesure o je le pourrai (note), quand mme on rirait de moi, parce que, me fut-il dit, il y avait ˆ cela une utilitŽ que je ne pouvais pas comprendre.

 

(note) Donc non pas tout ce qui lui Žtait montrŽ, sans exception, ni tout ce que le Plerin rŽclamait, mais seulement ce pour quoi Dieu lui donnerait le temps et la force nŽcessaires.

 

J'appris de nouveau que personne n'avait encore vu de la mme manire et dans la mme mesure et que ce n'Žtait pas pour moi, mais pour l'Eglise. È

Ç Je vis saint Joseph aussi clairement et aussi distinctement que possible et je lui exposai aussi ma dŽtresse. Il Žtait vieux, maigre, chauve, mais il avait les joues colorŽes. J'eus un entretien suivi avec lui. Il me dit qu'il fallait m'abandonner uniquement ˆ Dieu : il avait eu aussi de grands chagrins ˆ supporter avant que l'ange lui ežt dit que l'enfant Žtait de l'Esprit-Saint et qu'il devait tre le protecteur de la mre : ensuite, quand il lui avait fallu tout d'un coup aller ˆ BethlŽem et qu'il n'y avait pas trouvŽ de logement : puis, lorsque de Nazareth, o il avait ˆ peine commencŽ ˆ s'installer, il fut obligŽ de partir pour l'ƒgypte quand l'enfant avait ˆ peine neuf mois. Il n'avait pas priŽ Dieu de lui Žpargner cette Žpreuve. mais il avait fait ses dispositions en toute h‰te, avait pris avec lui sur l'‰ne quelques effets, un peu de pain et une couple de petits flacons, puis il Žtait parti pendant la nuit. Il s'Žtait dit que Dieu, ayant donnŽ l'ordre, prendrait aussi soin de tout. Un jour dans le dŽsert, des serpents en grand nombre Žtaient venus ˆ sa rencontre; cette fois il avait pensŽ que Dieu devait l'assister et il avait implorŽ son secours. Alors un ange Žtait venu et les serpents s'Žtaient retirŽs. J'ai vu plus tard cette scne, c'Žtaient de grands et gros serpents, ils sortaient des buissons. J'interrompis son discours et lui fis une objection : il lui avait ŽtŽ facile, disais-je, de tout endurer ayant JŽsus prs de lui. Mais il m'imposa silence de la bonne faon et me dit que, cette annŽe, j'aurais des Žpreuves qui pourraient compter, qu'il fallait seulement me tenir prte. Hier j'avais dŽjˆ vu que j'aurais beaucoup ˆ souffrir dans trois semaines ou pendant trois semaines. È

 

A propos de cette communication qui prouve si clairement la simplicitŽ candide et la puretŽ de la narratrice, le Plerin fait les remarques qui suivent : Ç En priant pour la cessation des visions, elle a fait une demande trs-dŽraisonnable et prouvŽ une fois de plus qu'elle n'apprŽcie aucunement ce qu'elle voit. L'unique chose qui la soutienne et la relve dans cet Žtat misŽrable et au milieu de cette confusion, la facultŽ qui est sa meilleure prŽrogative, ce dont la perte ferait peser une grave responsabilitŽ sur tant de personnes, elle prie pour en tre dŽlivrŽe ! Il semble qu'elle ne sait pas bien ce qu'elle a demandŽ et le refus d'exaucer sa prire est la plus grande des faveurs. Elle a dŽsirŽ de n'avoir ˆ s'occuper que des pauvres, et cependant il est impossible qu'elle en soit plus occupŽe qu'elle ne l'est ; car elle consacre ˆ peine deux heures par jour aux communications qu'elle fait au Plerin, tandis qu'elle a l'ordre de raconter tout ce qu'elle sait (note) et elle se prte avec la plus grande condescendance aux empchements les plus futiles.

 

(note) Non pas tout ce qu'elle sait, mais ce qu'elle est en Žtat de dire !

 

Par exemple, une meunire qui apporte de la farine pour Lambert veut causer avec elle et attend dans l'antichambre deux ou trois minutes pendant que le Plerin est prs du lit de la malade. Aussit™t la voilˆ prise de scrupule ; il ne

faut pas donner de scandale, dit-elle; cette femme pourrait faire des rŽflexions sur ce qu'elle a ˆ dire au Plerin, elle pourrait entendre quelque chose, etc., et elle est dans la plus grande anxiŽtŽ. Le Plerin est renvoyŽ ˆ l'aprs-midi

et alors une autre visite, ou une contrariŽtŽ, ou une maladie peut apporter un nouvel obstacle, et de cette manire presque tout se trouve perdu !

Ce jugement rigoureux et injuste du Plerin montre clairement combien chez lui l'impression, mme des plus touchantes expŽriences, Žtait toujours effacŽe par ce qui lui paraissait un dŽrangement, et combien il en cožtait d'efforts ˆ la malade oppressŽe de tant de soucis pour lui raconter chaque jour ses visions pendant deux heures entires. Voici pourtant ce qu'il rapporta plus tard : Ç Elle souffre avec Lambert. Chaque soir elle a la fivre et de forts vomissements de sang : quatre ˆ cinq fois par jour, il lui faut tenir et soigner l'enfant malade afin qu'elle ne soit pas ŽtouffŽe par des accs de toux convulsive qui durent presque une demi-heure. Mais on ne voit jamais percer dans ses notes un sentiment de profonde sympathie ou mme de reconnaissance pour toute la peine que, malgrŽ tout, elle se donne ˆ cause de lui. Il met par Žcrit ses paroles, ses prires, les visions o il est question de ses procŽdŽs ˆ lui, Plerin, et cela sans qu'il s'Žveille chez lui le moindre dŽsir d'apporter quelque soulagement ˆ la malade en se montrant plus patient et plus discret. Ç Je ne cesse pas, dit-elle, d'avoir des visions touchant les chagrins qui me menacent. On m'a revtue d'une robe blanche, par-dessus celle-ci d'une robe noire, puis d'un voile noir par-dessus un blanc. Il y avait sur la robe beaucoup de petites croix, mais je pus les mettre toutes ensemble; alors apparurent trois croix noires garnies de petites plaques d'or aux extrŽmitŽs et qui ne faisaient qu'une seule croix. Elles Žtaient sur la robe et quand je les touchais, elles Žtaient dedans. J'ai eu aussi des visions continuelles qui me montraient de grandes tribulations: personne autour de moi ne me comprenait plus, j'Žtais entirement dŽlaissŽe et tournŽe en ridicule. J'ai appris aussi que je pourrais de nouveau prendre de la nourriture et marcher. Il y avait prs de moi une autre personne, ma soeur ne devait plus tre avec moi, j'Žtais aussi dans un, autre endroit. Le Plerin m'apporta ˆ manger. Je ne pus prendre qu'un peu de bouillie mucilagineuse, une bouchŽe de gros pain, deux ou trois fves et de l'eau : il me fut dit que toute espce de fruits, de sucreries et de vin Žtaient du poison pour moi. J'eus aussi connaissance d'expŽriences faites sur moi (note). È

 

(note) Tout cela s'accomplit ˆ la lettre, comme nous le verrons

 

Bien que le Plerin soit obligŽ de reconna”tre dans bien des cas que les dŽrangements dont il est si irritŽ, loin d'tre des incidents fortuits, sont dans les desseins de Dieu lui-mme, ce que lui montre tous les jours la merveilleuse bŽnŽdiction attachŽe aux souffrances d'Anne Catherine, il ne devient pourtant ni plus indulgent, ni plus rŽservŽ dans ses jugement : Ç Aujourd'hui, Žcrit-il, sa physionomie est singulirement sereine, aimable et calme. Elle s'Žtait fait porter chez Lambert la veille au soir et l'avait trouvŽ trs-faible. Il pleura beaucoup quand il la vit, mais il fut trs-Ždifiant et lui fit de nouveau ses adieux. Elle fut si affectŽe de cette scne qu'elle tomba de dŽfaillance en dŽfaillance. È

Ç Encore aujourd'hui elle a le visage trs-serein et elle est d'humeur calme et gaie: et cependant elle est profondŽment attristŽe de la fin prochaine de Lambert. Dieu semble lui donner des consolations et un courage indicibles. Comme il n'y a aucune amŽlioration dans son Žtat, l'amŽnitŽ avec laquelle elle le supporte ˆ prŽsent est une pure gr‰ce de Dieu, de mme que sa tristesse souvent si dŽplaisante peut tre une tentation ˆ laquelle il laisse son cours. Elle a eu une vision de la mort de Lambert et elle a dit : Ç Je croyais tre prs de lui : je vis un grand feu qui Žtait au-dessus de lui s'amoindrir de plus en plus et enfin se perdre dans une petite flamme. È Elle raconta aussi une vision concernant un enfant sacrifiŽ par les trois rois avant qu'ils eussent reu la lumire et elle dit : Ç Lorsque je vis ˆ ma droite l'horrible tableau de l'enfant offert en sacrifice, j'en dŽtournai la tte et je le vis de nouveau ˆ ma gauche alors je priai Dieu de me dŽlivrer de cet abominable spectacle et mon Žpoux cŽleste me dit : Ç Voici des choses encore pires : vois comme on me traite dans le monde entier. È Je vis alors des prtres qui disaient la messe en Žtat de pŽchŽ mortel ; l'hostie Žtait devant eux comme un petit enfant vivant Žtendu sur l'autel et je vis comment ils le divisaient avec la patne et lui faisaient les plus horribles blessures; leur sacrifice Žtait un meurtre. Je vis aussi, en beaucoup d'endroits, une innombrable quantitŽ de pauvres gens de bien opprimŽs, tourmentŽs et persŽcutŽs au moment actuel et je vis toujours que c'Žtait JŽsus-Christ auquel on faisait tout cela. Nous vivons dans des temps mauvais.- je ne vois de refuge nulle part : un Žpais brouillard de pŽchŽ s'Žtend sur le monde entier et je ne vois partout que tiŽdeur et indiffŽrence; mme ˆ Rome, je vois de ces mauvais prtres qui martyrisent l'enfant JŽsus en disant la messe. Ils voulaient se rendre auprs du Pape et exiger de lui quelque chose de trs-dangereux, mais je vis que le Pape vit aussi ce que je voyais moi-mme et que toutes les fois qu'ils voulaient aller ˆ lui, un ange les menaait de son ŽpŽe et les repoussait. È

 

7 janvier. Ç Elle a continuŽ ˆ tre d'humeur sereine et paisible malgrŽ tous les ennuis et les embarras qui l'obsdent; mais vers midi elle eut des inquiŽtudes pour Lambert. Quand le Plerin vint vers quatre heures, il trouva prs de la petite-nice six enfants qui priaient pendant que celle-ci avait sur le lit de la malade un des plus violents accs de toux convulsive qu'on pžt voir. Le visage de la malade perdit sa douce expression, elle demanda son confesseur : le Plerin ne put pas la consoler : elle se plaignait d'avoir ŽtŽ assiŽgŽe toute la journŽe. Elle Žtait comme pendant la Carme. Le Plerin la quitta (parce qu'il se sentait contrariŽ par la tristesse si naturelle et si lŽgitime de la malade). È- Le jour d'aprs, elle raconta ce qui suit : Ç Pendant le jour, lors mme que je cause avec d'autres ou que j'ai des occupations, je vois continuellement le pauvre malade Lambert. Je le vois dans son lit : je vois ses souffrances et ses dispositions intŽrieures. Je vois en vision les tentatives par lesquelles l'esprit malin cherche ˆ lui ™ter le courage et l'espŽrance. C'est comme s'il lui lisait un long registre de fautes et d'omissions o il lui montre qu'il a nŽgligŽ telle ou telle chose et qu'il n'a pas rempli ses devoirs. Je vois que ces manquements lui sont mis sous les yeux en visions, et que cela le rend pusillanime, plus malade et, moins patient. Je crie vers Dieu pour empcher cela, je prie, je travaille, je fais ˆ Dieu toute sorte de reprŽsentations et je prends pour moi des souffrances et des douleurs : alors je vois son ange gardien s'approcher, je vois saint Martin, son patron, lut venir en aide et je vois grandir en lui la foi, l'espŽrance, la charitŽ. Quand je vois la tentation s'Žloigner de lui, il survient alors quelque affaire extŽrieure, quelque incident, quelque circonstance (note) propre ˆ faire perdre tout ˆ coup la possession de moi-mme afin que je ne prie plus pour le malade.

 

(note) Comme par exemple la mauvaise humeur du Plerin et ses plaintes.

 

Si j'ai le bonheur d'en triompher, il vient une autre souffrance que je dois supporter patiemment. Hier j'ai vu Lambert ˆ la mort : je vis qu'il perdait sa connaissance, que les tentations allaient croissant, que ses mains erraient sur la couverture sans qu'il en ežt conscience. Je m'adressai ˆ Dieu et je l'implorai pour qu'il le laiss‰t souffrir et faire pŽnitence en ce monde. J'appris qu'il devait mourir; que je devais bien y rŽflŽchir et voir si je ne voulais pas de bon coeur l'abandonner ˆ la volontŽ de Dieu. Aprs cette dŽclaration, un tableau singulier se prŽsenta devant moi. Il me sembla qu'une personne venait ˆ moi, laquelle me reprŽsentait quelle perte douloureuse ce serait pour moi que celle de Lambert, afin de me pousser ˆ Žclater en plaintes et en lamentations et de me faire perdre la rŽsignation et la patience. J'eus beaucoup ˆ combattre lˆ contre. En outre je ne fus pas un instant seule, on m'adressait sans cesse la parole et il fallait m'occuper de l'enfant qui toussait. Je luttai constamment contre les suggestions de l'ennemi : ˆ la fin je rŽussis ˆ surmonter ses attaques et je dis du fond du coeur : Ç Seigneur, que votre volontŽ soit faite. È A peine avais-je fait cela qu'il me fut donnŽ de jeter un coup d'oeil sur Lambert, je le vis en meilleur Žtat et devenu plus serein. Comme dernirement Lambert souffrait excessivement de sa plaie et que j'implorais Dieu pour lui, il me fut demandŽ si je voudrais sucer cette plaie pour lui procurer du soulagement : ayant rŽpondu que oui, je fus alors transportŽe en esprit prs de lui et je suai la plaie. Ses douleurs cessrent et il dit au mŽdecin : " je crois que ma sÏur m'est venue en aide. È

 

9 janvier. Ç Dans un accs de toux mortelle, elle vomit au moins deux verres de sang, mais elle continua toujours ˆ travailler et ˆ prier pour le malade. È (MalgrŽ cela elle eut ˆ raconter au Plerin les grandes visions de l'arrivŽe ˆ BethlŽem et de l'adoration des trois rois.)

 

11 janvier. Ç La maladie de Lambert s'aggrave. Elle-mme est dans un Žtat de prostration complte par suite d'une tension d'esprit continuelle. Elle a dit que Lambert avait encore un petit bout de chemin ˆ faire dans le brouillard. Il serait dŽjˆ mort, mais elle a obtenu un rŽpit afin qu'il n'ait pas ˆ rester aussi longtemps dans le purgatoire. Les cruels accs de toux de l'enfant doivent aussi contribuer ˆ lui procurer une mort paisible. È

 

12 janvier. Ç Elle est trs-calme, gr‰ce ˆ Dieu, quoique dans un Žtat pitoyable et dans l'attente de la mort certaine de Lambert dont les forces diminuent beaucoup et pour lequel elle prie continuellement. Elle s'occupe ˆ faire une chemise pour un enfant trs-pauvre, parce qu'il lui a ŽtŽ montrŽ que cet enfant n'en avait pas. È

 

13 janvier. Ç Les efforts qu'elle fait et les soucis dont elle est accablŽe rendent sa faiblesse de plus en plus grande. Elle a, dit-elle, un lourd fardeau ˆ porter. Elle a aussi l'aspect de quelqu'un qui tombe de faiblesse. Des gouttes de sueur coulent sur son front et la p‰leur de son visage indique une lassitude extrme. En outre elle supporte et tient l'enfant pendant ses accs de toux. È

 

14 janvier. Elle raconta ce qui suit : Ç Ma mre m'est apparu pour me consoler pendant que l'enfant toussait et, pendant qu'elle a ŽtŽ lˆ, l'enfant a moins toussŽ. Elle Žtait beaucoup plus belle et plus lumineuse qu'ˆ l'ordinaire et j'avais une certaine crainte respectueuse en lui parlant. Tant™t je la voyais, tant™t elle disparaissait. Elle ne me promit pas de secours : il faut souffrir, disait-elle, l'enfant souffre aussi et mŽrite par lˆ : je dois persŽvŽrer jusqu'ˆ la fin, etc. Elle me montra toutes mes souffrances et mes combats sous forme de fleurs, de fruits et de guirlandes, puis enfin sous celle de jardins et de palais, et elle me dit que ce qu'on percevait, ce dont on jouissait lˆ Žtait infiniment plus doux que ce que mes yeux mortels ressentaient maintenant en le voyant. Je fais en vision un voyage pŽnible avec Lambert. Quelquefois je le vois tout prs de la JŽrusalem cŽleste : puis il s'arrte, il a perdu un paquet : il faut que je porte ce paquet derrire lui. Je passe aussi assez souvent par un cimetire : lˆ g”t un homme qui a oubliŽ quelque chose, je suis obligŽe de le lui porter et ensuite il faut me frayer des chemins sans fin, ayant de la terre jusqu'ˆ mi-corps. J'ai mille travaux ˆ faire. Alors je sens prs de moi quelqu'un qui se met ˆ la traverse et me traite trs brutalement, en sorte que je ne puis rien achever. È Ce sont les dŽrangements causŽs par le Plerin qui la questionne si impitoyablement sur ses visions, mais qui se laisse aller ˆ la plus vive irritation contre elle quand elle parle ˆ quelque autre personne ou mme quand elle exprime son chagrin. Ainsi il se plaint en ces termes ˆ la date du 15 janvier : Ç Le Plerin l'a trouvŽe en conversation avec la fille Woltermann, une ancienne compagne de couvent. Il ne peut pas comprendre comment elle se fatigue ainsi ˆ entretenir une semblable personne, ce qui peut lui faire oublier une grande partie de ses visions. Le Plerin avait dŽjˆ le coeur gros de tout ce qu'il perdait par lˆ, mais alors vint le frre non mariŽ de la malade et le Plerin fut obligŽ de se retirer. Il s'assit dans la premire pice et l'entendit se livrer ˆ une conversation trs-animŽe avec son frre. Elle parlait presque toujours et le frre trs peu. Lorsqu'enfin celui-ci sortit, le plerin s'approcha d'elle et se plaignit de ce qu'elle avait pu parler si longtemps et d'une manire si animŽe ˆ son frre : Ç Oui, dit-elle, j'ai trop parlŽ, car j'ai dit : que serait-il arrivŽ au pauvre Lambert s'il n'Žtait pas tombŽ dans des mains Žtrangres? Un ecclŽsiastique dans les mains de sa famille est comme un oiseau entre les mains d'enfants. Je n'avais pas besoin de dire cela ˆ mon frre. È Le Plerin ne voulut pas comprendre ces paroles si frappantes, ni cette tentative si bonne et si aimable pour dŽtourner son courroux et il persista dans la mme disposition. Ç Elle n'a pas, dit-il, le sŽrieux profond que rŽclamerait la gravitŽ de ces saintes choses, lesquelles malheureusement sont toujours traitŽes comme choses secondaires, parce que tout est mis en oeuvre pour enfouir et pour faire avorter ces fruits, les plus grands qu'elle soit appelŽe ˆ produire, parce qu'elle n'en tire rien qui la fortifie extŽrieurement et qu'elle ne suit que superficiellement les avertissements intŽrieurs, forcŽe qu'elle est de prendre trop de part ˆ la vie du dehors. È

 

15 janvier. Ç Le Plerin la trouva dans l'Žtat extatique. Elle s'Žtait fait porter dans la journŽe chez l'abbŽ Lambert, ˆ la vue duquel elle tomba en extase et n'en sortit pas lorsqu'on l'eut rapportŽe dans sa chambre. Lorsque le Plerin la vit, elle semblait livrŽe ˆ un travail spirituel trs-fatigant. Revenue ˆ elle, elle ne put pas tout de suite bien reconna”tre o elle Žtait et demanda : Ç Comment suis je venue ici? È Enfin elle se remit et put raconter ce qui suit : Ç Lorsque je fus prs de Lambert, je vis qu'il manquait encore quelque chose ˆ son ‰me et je m'en allai ˆ la chapelle afin, de faire pour lui, pieds pus et dans la neige, le chemin de la croix, parce qu'alors il aurait son compte. Le chemin me fut bien pŽnible et j'eus bien froid aux pieds. È

 

Ici le Plerin revient ˆ ses anciennes plaintes : Ç Le Plerin, dit-il, vit alors que malheureusement toute la journŽe Žtait perdue: car on perd sans nŽcessitŽ ce qui pourrait Ždifier des gŽnŽrations entires et ce qu'elle retient est bien peu de chose en comparaison de ce qu'elle pourrait dire, si elle se trouvait dans des conditions tolŽrables. Il a ŽtŽ bien affligŽ, comme il le sera toujours ˆ la vue de ces notes qu'il Žcrit : car il peut affirmer qu'il serait trs-aisŽ de tout recueillir s'il y avait tant soit peu d'ordre dans la maison. - Elle continua ˆ respirer trs-pŽniblement et dit : Ç Je sens bien que le Plerin est encore mŽcontent : mais ce n'est pas ma faute. È Il rŽpondit alors : Ç Il faudrait que je fusse bien frivole si je n'Žtais pas attristŽ de tout ce qui se perd sans nŽcessitŽ. È Les grandes peines qu'elle se donnait pour obtenir que la mort de Lambert fžt douce et heureuse Žtaient donc aux yeux du Plerin quelque chose de tout ˆ fait inutile !

Au milieu de ces tribulations, elle Žtait consolŽe par des visions de son enfance. Voici ce qu'elle raconta: Ç Des compagnons de mon enfance, aujourd'hui morts, m'emmenrent avec eux: Nous all‰mes aux lieux o nous jouions autrefois et de lˆ ˆ la crche. L'‰ne se tenait devant la grotte. A l'aide d'un escabeau, je montai et m'assis dessus, puis je dis aux enfants : Ç Voila comment la mre de Dieu y Žtait assise. È L'‰ne se laissa caresser et prendre par le cou. Nous all‰mes ˆ la crche et nous pri‰mes. Les enfants me prŽsentrent ensuite une quantitŽ de pommes, des fleurs et un bouquet de roses entourŽ d'Žpine. Je ne cessai de refuser tout ce qu'ils m'offraient. Ils me demandrent pourquoi je ne les invoquais jamais dans ma dŽtresse : ils Žtaient trs-disposŽs ˆ me secourir activement : Ç presque personne, me dirent-ils, n'invoque les enfants et pourtant ils peuvent beaucoup auprs de Dieu, spŽcialement ceux qui sont morts aussit™t aprs le baptme. È Un de ces enfants se trouvait lˆ : il me dit que j'avais obtenu pour lui la mort qui avait fait de lui un bienheureux et que, si ses parents le savaient, ils m'en voudraient beaucoup. Je me souvins qu'il m'avait ŽtŽ apportŽ aprs son baptme : je l'Žlevai en l'air et priai Dieu de tout mon coeur de le prendre ˆ lui dans son Žtat d'innocence plut™t que de permettre qu'il la perdit. Il me remerciait d'avoir demandŽ le ciel pour lui : il voulait ˆ son tour prier pour moi. Les enfants m'avaient dit qu'il fallait prier particulirement pour que les nouveau-nŽs ne meurent pas sans baptme, que quand on priait pour cela, Dieu se plaisait ˆ envoyer secours. J'ai souvent vu en vision l'assistance obtenue par ce moyen. È

Plus tard, Žtant en extase, elle appela son confesseur, lui demanda de prier pour elle et dit : Ç Il meurt en ce moment environ cinq mille personnes. Il y a parmi elles plusieurs prtres. Il faut prier pour que tous viennent ˆ nous dans la vallŽe de Josaphat, et qu'ils se souviennent de nous. La vallŽe de Josaphat n'est plus trs-loin : il n'y a plus qu'un court intervalle ˆ franchir, une Žpaisse muraille, sombre et noire. Que Dieu leur donne le repos Žternel et que le Seigneur les illumine! Il y a une multitude Žtonnante de gens dans les positions les plus diffŽrentes. Je suis sur une arcade au-dessus de la terre. D'une foule de point, il vient ˆ moi comme des rayons au bout desquels je vois comme ˆ travers des tubes la position des mourants et les circonstances dans lesquelles ils meurent. Quelques-uns meurent dans un dŽlaissement complet.

 

17 janvier. Ç Lambert a eu une perte de sang dans la nuit. La malade et toute la maison ont ŽtŽ saisis d'effroi et se sont donnŽ beaucoup de peine pour le secourir. Elle a ŽtŽ trs-fatiguŽe toute la journŽe. Le confesseur veille ˆ ce qu'on ne la trouble pas. En ce moment elle a une toux continuelle trs-forte et de frŽquents vomissements de sang; elle est du reste, jour et nuit, dans l'Žtat extatique ˆ divers degrŽs, presque sans interruption, et vit dans un courant de merveilleuses visions. Aucun jour encore, mme parmi les souffrances les plus variŽes et les plus compliquŽes, ses visions courantes et journalires n'ont fait dŽfaut. Outre les visions accoutumŽes touchant la vie de JŽsus, elle en a d'autres les jours de fte des saints, sans compter les visions de voyages et d'autres encore. Bien plus, son courage semble avoir grandi au milieu de toutes ces souffrances, elle para”t plus sereine et plus calme. Aprs un fort accs de toux, elle a dit : Ç Il me faut voyager si rapidement et dans des pays si diffŽrents, et l'air alors me fait tant de mal ! È Une autre fois elle tressaillit tout ˆ coup et chercha autour d'elle, puis ayant trouvŽ son crucifix, elle le prit et dit : Ç Il y a lˆ un ours dans un fourrŽ ˆ travers lequel je dois passer: il me guette, mais si j'ai ma croix, je le chasserai. È Elle Žtait en chemin pour la terre. promise : car elle parlait en mme temps du Jourdain et de la vie de JŽsus. È

 

18 janvier. Ç Lambert a cru mourir hier soir et il a dit au Plerin d'une manire trs-touchante : " Je suis dans l'attente de l'appel de Dieu. Je prie Dieu, mon cher monsieur, de vous rendre tout ce que vous avez fait pour nous, car moi, je ne le puis pas. È Il bŽnit le Plerin sur sa demande : sa figure avait une expression trs-calme et pleine de dignitŽ. Ce soir il Žtait un peu mieux. Le lendemain la vieille belle-soeur est venue en visite. Le Plerin a proposŽ de faire faire ˆ cette femme le Chemin de la croix. La malade continue ˆ tre en trs-mauvais Žtat et toujours en contemplation. Elle s'est exprimŽe ainsi sur l'Žtat de Lambert : " Je ne puis assez dire combien je vois cela merveilleusement clair. Je vois son ‰me comme une petite  humaine lumineuse au-dessus de son coeur : je vois toujours qu'elle semble vouloir sortir; c'est comme si elle se dŽgageait de quelque chose qui l'entoure de tous les c™tŽs, comme si des voies s'ouvraient devant elle, comme si le corps se sŽparait d'elle semblable ˆ un brouillard qui se dŽchire. Je la vois comme ne voulant plus rester; puis je vois une lutte en sens contraire, son enveloppe l'embrasse de plus prs, se resserre autour d'elle; l'‰me est de nouveau prise de tous les c™tŽs ou d'un seul c™tŽ. Tant™t je vois d'Žpaisses tŽnbres, tant™t un rayon de lumire qui se fait jour jusqu'ˆ elle, tant™t un Žpais brouillard qui l'entoure et pendant tout ce temps, au-dessus du malade et autour de lui, un feu qui va toujours se consumant lui-mme. Je vois, au milieu de tout cela, l'ennemi qui vient sans cesse prŽsenter des tableaux de supplices, l'ange gardien qui protge le malade et des Payons que lui envoient son patron et d'autres saint. È

Ce mme jour le Plerin Žcrivit ˆ Overberg : " Peut-tre l'abbŽ Lambert ne vivra-t-il plus quand cette lettre partira. Il a reu en pleine connaissance tous les sacrements des mourants et l'absolution gŽnŽrale. Il n'a pas cessŽ de rŽciter son brŽviaire jusqu'ˆ l'avant-dernire semaine, et jusqu'ˆ avant hier, sans y avoir manquŽ un seul jour depuis le temps o il faisait ses Žtudes, il a dit le rosaire qu'il tient encore entre ses mains de mme qu'il porte le scapulaire sur la poitrine. " En ce qui touche Anne Catherine prs de laquelle il Žtait chaque jour tŽmoin de nouveaux faits qui prouvaient si Žvidemment non-seulement l'Žminence de ses vertus, mais aussi les effets surprenants de ses prires et de ses sacrifices, il ajoute ˆ sa lettre le jugement qui suit : " Tout ce que je puis dire avec une pleine et tranquille conviction, c'est qu'en lisant les histoires des ‰mes favorisŽes de Dieu (et j'en connais un trs-grand nombre), aucune ne m'est apparue aussi privilŽgiŽe, de mme que je n'en ai vu aucune si nŽgligŽe, si dŽlaissŽe, si gnŽe et si tentŽe. Mais je continue ˆ cueillir les roses sur les Žpines, ˆ recueillir les feuilles dispersŽes volontairement, et ˆ pleurer sur celles qu'emporte un vent lŽger ou subit.

 

19 janvier. " Le Plerin la trouve sortant d'une vision ; son visage a l'expression de celui d'un enfant, moitiŽ pleurant, moitiŽ joyeux, et elle dit d'un ton plaintif : " Maintenant commence ma misre. Le petit enfant s'en est allŽ; maintenant cela va commencer. Le petit enfant me raconte tout : il parle avec tout son corps. È Et lˆ-dessus elle raconta ce qui suit : " J'Žtais prs de la crche et j'avais un grand dŽsir d'avoir l'enfant JŽsus et de parler avec lui. Lorsque je quittai la grotte de la crche, je fus emportŽe sur une petite colline entourŽe d'eau limpide et couverte d'un gazon extrmement fin et moelleux comme de la soie. Je me dis alors : Ç Comme ce gazon est moelleux, il l'est comme celui qui pousse sous les arbres, et cependant il n'y a pas d'arbre ici: J'Žtais une pauvre petite fillette et je portais mes habits d'enfant que je reconnus trs-bien et un petit manteau bleu. J'avais un petit b‰ton ˆ la main. Quand je fus restŽe assise lˆ quelque temps, l'enfant JŽsus vint ˆ moi, j'Žtendis mon manteau prs de moi, et il s'assit sur le bord. Je ne puis dire ˆ quel point cette vision Žtait gracieuse et aimable. Je ne puis l'oublier et souvent, au milieu de mes souffrances, elle me fait rire joyeusement. L'enfant me parla de la manire la plus amicale. Il me raconta toutes sortes de choses sur son incarnation et sur ses parents : mais il me reprocha aussi trs sŽvrement mes plaintes continuelles et ma pusillanimitŽ; je devais pourtant voir, disait-il, comment les choses s'Žtaient passŽe pour lui, quelle gloire il avait quittŽe, comment on lui avait tendu des embžches ds ses plus jeunes annŽes et ˆ quel point il s'Žtait humiliŽ : puis il raconta toute l'histoire de son enfance. Oh ! que de choses il m'a dites ! Combien de temps s'est ŽcoulŽ jusqu'ˆ ce qu'il pžt venir sur la terre, parce que les hommes y avaient toujours fait obstacle et avaient ab”mŽ le chemin ! il me parla aussi du grand mŽrite de sainte Anne, me dit quelle place ŽlevŽe elle occupait devant Dieu, comment elle Žtait devenue l'arche d'alliance. Il dit encore comment Marie et Joseph avaient vŽcu cachŽs, inconnus, obscurs et mŽprisŽs, et je vis plusieurs tableaux qui se rapportaient ˆ tout cela. Il me raconta aussi quelque chose des trois rois et combien ils auraient dŽsirŽ le prendre avec eux, lui et ses parents, lorsqu'ils eurent connu en songe la rage d'HŽrode. Il me montra en outre les choses prŽcieuses qu'ils lui avaient donnŽes, les belles pices d'or, l'or vierge, toute sorte d'autres objets et notamment les belles couvertures. Il me parla aussi de la fureur d'HŽrode, comment il avait ŽtŽ aveuglŽ et avait mis ses espions ˆ la recherche de l'enfant : mais ces gens cherchaient toujours un fils de roi et ils n'attachrent aucune importance au pauvre petit enfant juif qui Žtait dans la grotte de la crche : jusqu'ˆ ce qu'enfin, lorsque JŽsus eut neuf mois, HŽrode, de plus en plus inquiet et tourmentŽ, en vint ˆ faire Žgorger tous les enfants.

" Lambert se remet Žtonnamment contre toute attente les plaies qui ont perdu leur mauvaise odeur font place ˆ de la chair parfaitement saine. Il est plus calme et plus serein. La maladie d'Anne Catherine s'aggrave :la toux et les vomissements de sang deviennent plus frŽquents. È

 

24 janvier. " Le mieux de Lambert se maintient. Quant ˆ elle, elle semble plus malade. Elle s'est fait porter prs de lui, et, en dŽpit de sa toux, elle a eu un long entretien avec lui. Elle a eu aussi une apparition de sainte Agns qui l'a exhortŽe et l'a consolŽe. Il faut qu'elle persŽvre, aucune de ses souffrances n'est perdue. "

 

24 janvier. " La toux et l'oppression de la poitrine ont tellement augmentŽ qu'elle ne peut plus parler, c'est comme si on l'Žtranglait. Le confesseur a priŽ sur elle et lui a mis son Žtole pliŽe sur le cou et sur la poitrine. Cela la fit tomber ˆ l'instant en extase et son visage prit l'expression d'une piŽtŽ joyeuse et lumineuse : elle ressemblait tout ˆ fait ˆ un enfant. Sa respiration devint libre et profonde. Chaque fois que le confesseur la bŽnissait, elle se mettait aussit™t dans la posture d'une personne pieuse qui fait le signe de la croix dans l'Žglise quand on donne la bŽnŽdiction. Avec cela elle Žtait toujours comme paralysŽe et pourtant, ˆ chaque moment, elle manifestait de la manire la plus touchante ce qu'elle faisait. Dans un semblable Žtat, quand un acte cesse, la main reste souvent immobile au point o l'acte a son terme; par exemple, lors du signe de la croix, la main reste arrtŽe ˆ l'Žpaule droite. Que si l'acte pieux suit son cours, alors les mains se joignent de nouveau, ce qui ne se fait jamais avec les doigts entrelacŽs, mais avec les mains rapprochŽes ou placŽes l'une contre l'autre. Lorsque la bŽnŽdiction lui eut ŽtŽ donnŽe, elle retomba lentement sur sa couche. Dans le mouvement qu'elle fit alors, obŽissant plut™t ˆ une loi de l'ordre spirituel qu'ˆ une loi physique, elle commena, attirŽe par l'action de l'Žtole et de la main sacerdotale, ˆ se diriger vers le prtre, jusqu'ˆ ce qu'on la remit eu place. Elle Žtait plus sereine et se trouva mieux. "

 

2 fŽvrier. Quoique la malade, au milieu de ces souffrances et de ces tribulations, n'interromp”t pas un seul jour le rŽcit de ses visions, elle ne pouvait pourtant jamais contenter le Plerin. Il rŽpŽtait souvent le reproche accoutumŽ Ç de laisser se perdre la plus grande partie de ces immenses gr‰ces qu'elle recevait si abondamment È et il ne sentait pas quelle profonde et solide rŽfutation de ce bl‰me se trouvait dans les paroles sorties de la bouche de la malade qu'il avait ˆ rapporter. " Elle a rŽpondu au Plerin avec beaucoup de na•vetŽ et par consŽquent sans attacher plus d'importance ˆ ses visions qu'auparavant : Ç Oui, c'est ce que m'a dit aussi cette nuit mon Žpoux quand je me suis plainte ˆ lui de ce j'Žtais si souffrante et si misŽrable, de ce que je voyais tant de choses que je ne comprenais pas, etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu'elles m'Žtaient montrŽes pour les faire mettre par Žcrit et que je devais les communiquer. Il a ajoutŽ que ce n'Žtait pas le moment d'opŽrer des miracles extŽrieurs, qu'il donnait ces visions et qu'il en avait toujours agi ainsi pour prouver qu'il voulait tre avec son ƒglise jusqu'ˆ la consommation des sicles. Mais que les visions n'assuraient le salut de personne; qu'il me fallait pratiquer la charitŽ, la patience et toutes les vertus. Il m'a montrŽ ensuite une sŽrie de saints qui avaient eu des visions de toute espce et qui n'Žtaient arrivŽs ˆ la bŽatitude que parce qu'ils avaient profitŽ de ce qu'ils avaient appris. È

 

6 fŽvrier. Ç Elle est dans un Žtat pitoyable. Ses souffrances et ses inquiŽtudes augmentent avec la faiblesse toujours croissante de Lambert. Dans la soirŽe, elle dŽsirait encore beaucoup qu'on la port‰t prs de lui, Cela ne put pas se faire. Le Plerin la trouva hors d'Žtat de se faire comprendre, tant sa faiblesse Žtait grande. È

 

7 fŽvrier. Ç Lambert est mort ce matin ˆ dix heures un quart. È Telles sont les seules paroles par lesquelles le Plerin rapporte le dŽcs de cet ami si fidle d'Anne Catherine. Dans ce journal o des centaines de pages sont rempiles des plaintes les plus amres ˆ propos des dŽrangements et d'autres choses semblables, il n'y a pas un mot, pas une marque de sympathie plus profonde ˆ l'occasion d'un ŽvŽnement si douloureux pour Anne Catherine.

Les obsques de Lambert eurent lieu dans la matinŽe du 9 fŽvrier. L'ancienne supŽrieure des Augustines, madame Hackebram, voulut assister Anne Catherine pendant ce temps. C'Žtait elle qui, en admettant Lambert comme chapelain du couvent, avait donnŽ la premire occasion aux relations spirituelles Žtablies entre ces deux personnes, et jusqu'alors la malade l'avait considŽrŽe comme sa mre spirituelle, lui tŽmoignant le mme respect et le mme attachement qu'autrefois ˆ Agnetenberg. Ici encore le Plerin, qui n'assista ni ˆ l'enterrement, ni au service funbre, intervint avec aigreur.

" Pendant qu'on enterrait Lambert, dit son journal, le Plerin trouva prs d'elle son ancienne supŽrieure. Il crut que la prŽsence de cette personne pourrait lÕincommoder. Il persuada ˆ la supŽrieure d'aller dans la premire pice o il entretint cette bonne et sainte personne. Regardant par la porte restŽe ouverte dans la chambre de la malade, il la vit tout ˆ coup devenir toute roide : elle avait les mains jointes et son visage exprimait la plus fervente piŽtŽ. Le sang jaillit sous son serre-tte : mais elle dit : Ç Cela est uniquement causŽ par des chants auxquels je prends part. Nous sommes assises comme autrefois dans le choeur, en face les unes des autres. È Elle dit plus tard : Ç J'avais fait le Chemin de la croix et j'Žtais ailŽe dans l'Žglise au-devant du cortge funbre : je vis alors plusieurs ‰mes, dont une tenant un cierge allumŽ, accompagner le cortge. Aprs cela j'ai assistŽ au service divin et je me suis jointe aux chants de l'office, ce qui a exigŽ de moi de grands efforts. Je vois maintenant Lambert dans un jardin cŽleste o sont encore d'autres prtres et d'autres ‰mes de sa sorte. Dans ce lieu sont des choses qui correspondent ˆ la pure racine, ˆ l'essence spirituelle de ses inclinations d'ici-bas, sans les mŽlanges et les altŽrations qui s'y joignent sur la terre. A sa dernire heure, j'ai vu prs de lui saint Martin et sainte Barbe dont j'avais implorŽ l'assistance. È

C'est ainsi qu'elle avait accompli parfaitement la t‰che que lui avaient annoncŽe saint Augustin et saint Ignace et qu'elle avait prŽparŽ pour le digne prtre le plus grand bonheur auquel puisse aspirer un mortel. Que les voies de Dieu sont admirables ! Lambert avait ŽtŽ appelŽ du coeur de la France pour tre le gardien d'une ‰me qui, plus qu'aucune autre peut-tre ˆ son Žpoque, luttait et souffrait pour la foi chrŽtienne qui est le plus prŽcieux trŽsor de l'humanitŽ et formait pour l'ƒglise un rempart cachŽ au monde contre lequel venaient se briser les puissantes attaques de l'adversaire. Qui pouvait dans ce combat tre plus dignement ˆ ses c™tŽs qu'un confesseur qui avait mieux aimŽ vivre dans l'exil, dans la pauvretŽ et les privations que de trahir l'ƒglise, et qui avait conservŽ le rare courage de supporter patiemment pendant la durŽe d'une gŽnŽration humaine, les consŽquences, si pŽnibles selon le monde, de son sacrifice ! Il devinait le mystre de la vie d'Anne Catherine si riche en gr‰ces et en souffrances: c'est pourquoi il n'avait pas d'autre dŽsir que de conserver ce trŽsor inconnu d'elle-mme et cachŽ au monde. Et quand elle fut tirŽe par Dieu de cette obscuritŽ et livrŽe sans dŽfense et sans protection aux outrages de l'incrŽdulitŽ, il resta le ferme et fidle appui de l'innocence persŽcutŽe. Que ne dut pas souffrir le noble vieillard toutes les fois qu'il vit la patiente mise en suspicion, maltraitŽe et signalŽe comme coupable d'imposture ˆ cause de ses stigmates, lui qui avait eu si souvent besoin d'tre consolŽ par elle pour n'tre pas dŽcouragŽ lorsque ces signes se manifestrent si douloureusement ! Cependant, comme pour prouver qu'il Žtait appelŽ par Dieu pour la protŽger, il fallut que la sincŽritŽ de sa foi serv”t de prŽtexte aux prŽtendus ŽclairŽs et aux incrŽdules pour le dŽclarer coupable du crime " d'avoir fait artificiellement ces blessures et d'avoir encha”nŽ la victime de son imposture par le terrible serment de continuer son jeu jusqu'ˆ la mort. " Les ennemis eux-mmes croyaient-ils ˆ leur calomnie? C'est ce qui sera connu au jour du jugement, o sera manifestŽe aussi la plŽnitude de consolation rŽservŽe ˆ ceux qui ont faim et soif de la justice. Mais dŽjˆ sur la terre, les noms de Lambert et de Limberg seront prononcŽs avec respect tant que la mŽmoire d'Anne Catherine sera chre aux croyants et honorŽe par eux.

 

Le 8 fŽvrier, vendredi d'avant la SexagŽsime, Anne Catherine eut une vision dans laquelle sa t‰che de souffrances pour le Carme lui fut annoncŽe : " Mon Žpoux cŽleste, dit-elle, m'a revtue d'un nouvel habillement noir avec un trs-grand nombre de croix. Il me les a prŽsentŽes l'une aprs l'autre et m'a demandŽ avec une affabilitŽ touchante si je voulais les accepter, disant qu'il y avait si peu de personnes qui voulussent souffrir, tandis qu'il y avait tant ˆ expier et ˆ secourir. Alors j'acceptai tranquillement les croix, et il me fut dit que je porterais cet habit pendant dix semaines, qu'il deviendrait pour moi un secours. Il ajouta que l'inintelligence de ceux qui m'entourent Žtait capable de me faire mourir, mais que je devais tout souffrir avec patience . È

L'accomplissement de cette vision ne se fit pas longtemps attendre. Lambert Žtait ˆ peine enterrŽ que le frre du Plerin demanda ˆ Anne Catherine stupŽfaite de venir habiter un logement qu'il avait louŽ pour elle et de congŽdier enfin sa sueur. Il avait cru voir dans les rŽpugnances de Lambert le principal obstacle ˆ la rŽalisation du projet formŽ par lui, depuis un an dŽjˆ, de la transporter dans une demeure plus agrŽable pour le Plerin et pour lui-mme : il se croyait en consŽquence si sžr de rŽussir que, suivant le rapport du journal, Ç il avait pris toutes ses mesures pour le dŽmŽnagement, arrtŽ le logement chez le ma”tre d'Žcole et s'Žtait entendu avec le doyen Rensing et le bourgmestre. Tout est prt : mais le confesseur ne peut pas se dŽcider, quoique n'ayant pas de bonnes raisons ˆ donner. Enfin il prend la parti d'en appeler ˆ Overberg et veut aller ˆ Munster prendre conseil lˆ ou jamais conseil n'a ŽtŽ donnŽ. Elle-mme dŽclare qu'elle ne peut rien faire sans son confesseur. C'est une horrible confusion. Tout cela est rebutant, embrouillŽ, incomprŽhensible. " (!!!)

Anne Catherine s'aperut avec chagrin de l'humeur sombre du Plerin et elle reconnut la nŽcessitŽ d'en venir ˆ une dŽcision. Le dimanche de la SexagŽsime, ayant reu la sainte communion, elle se sentit assez de force pour s'ouvrir au Plerin et au frre de celui-ci. Voici ce que rapporte le premier : Ç Elle a communiŽ. Elle est forte et pleine de sŽrŽnitŽ. Toutes les souffrances lut paraissent comme un nŽant. Quelque misŽrable que soit son Žtat, elle est toute la journŽe dans un Žtat de clairvoyance. C'est un effet magique que produit la prŽsence du Christ en elle. Dans l'aprs-midi, Christian a ŽtŽ prs d'elle : il sembla s'entendre parfaitement avec elle. Le Plerin vint ensuite. Elle Žtait encore pleine de sŽrŽnitŽ : avec beaucoup de douceur et de mŽnagements, elle lui prŽsenta des observations sur des choses dont elle avait beaucoup ˆ souffrir et dont plusieurs personnes s'Žtaient dŽjˆ plaintes ˆ elle. Puis la bonne et faible malade, obŽissant ˆ des excitations, exposa des griefs sans valeur auxquels malheureusement il ne peut tre donnŽ satisfaction, parce qu'ils ne sont fondŽs sur rien. Ç Le Plerin, disait-elle, quand il est dans sa chambre, renvoie les personnes qui veulent la visiter, sous prŽtexte qu'elle dort. Beaucoup de gens s'en sont f‰chŽs. Ses propres parents, aussi, se sont plaints de ce que le Plerin les empche de lui parler ; mme son bon frre se plaint d'tre renvoyŽ par le Plerin. L'abbŽ Lambert a dit au confesseur, avant sa mort, combien la prŽsence du Plerin est difficile ˆ supporter; il est comme un espion qui observe tout. È Cela peut avoir ŽtŽ une des dernires tentations de Lambert : mais c'est pour le Plerin une grande humiliation que d'entendre de pareilles choses. Malheureusement il ne peut sans mentir promettre de sa corriger. Pour elle, alla croyait que tout cela serait facile ˆ changer. Le confesseur vint ˆ son tour et il fut trs-amical et trs-doux. Il parla au Plerin avec une mansuŽtude touchante. >

 

Le seul effet que produisit cette douceur de l'un et de l'autre fut que le Plerin ne tint aucun compte de ces prires si bien motivŽes et prŽsentŽes avec tant de mŽnagements. Pour avoir la paix, elle voulait, dans son extrme bontŽ, consentir ˆ ce qu'on exigeait d'elle et se laisser transporter dans le nouveau logement : mais, ds le jour suivant, le Plerin eut a rapporter ce qui suit : " Elle a ŽtŽ trs-malade; elle a eu des convulsions pendant toute la nuit. Le Plerin la trouva dans un Žtat pitoyable, mais l'‰me trs-calme. Elle lui dit : Ç Mon confesseur m'a permis de vous dire que je suis disposŽe ˆ aller dans le nouveau logement. Mais cette nuit j'ai reu un avertissement trs-clair et donnŽ ˆ deux reprises:

Lambert m'a apparu : il m'a parlŽ d'un ton trs-grave et trs-dŽcidŽ et m'a dit que, si je vais lˆ, je mourrai avant le temps. Des misres indicibles viendraient m'assaillir, car je serais exposŽe ˆ tout par l'impuissance des personnes

ˆ me protŽger. J'ai aussi ŽtŽ sŽvrement rŽprimandŽe d'avoir donnŽ mon consentement. Comme je voulais m'excuser et parler ˆ Lambert comme autrefois, il m'a dit en termes brefs : " Tais-toi et obŽis ! Ici on juge les choses tout autrement que tu ne peux le faire. " Plus tard, Žtant en extase, elle dit d'un ton calme et net qui semblait tre celui d'une autre personne trs-rŽsolue : " Il faut que Dieu vienne ˆ mon secours, sans quoi je mourrai. Depuis que j'ai mis le vtement noir, tout me perce de part en part. J'ai vu et entendu tout ce qui a ŽtŽ dit jusqu'ˆ prŽsent sur ma sortie d'ici, ainsi que tous les sentiments des diverses

personnes, et c'est pour moi une terrible vision. Toutes les colres qui se sont soulevŽes ˆ propos de moi et dont je ne suis vraiment pas responsable, sont pour moi un supplice d'enfer. Il est trs-possible que cette souffrance me fasse

mourir.

 

           " Le lendemain le Plerin la trouva ˆ la mort et toute dŽfigurŽe. Elle avait eu pendant la nuit de frŽquents vomissements de sang et, pendant le jour, elle eut alternativement le frisson et une fivre ardente. Une fois elle montra au confesseur ses mains bržlantes en lui disant : Ç Otez ces mains : ce ne sont pas les miennes, ce sont celles de saint Franois. È Le soir les douleurs et la faiblesse augmentrent ˆ tel point qu'elle dŽclara que sa dernire heure lui semblait venue. Elle fit encore appeler le frre du Plerin ˆ une heure tardive. "

 

14 fŽvrier. Le matin, le Plerin la trouva d'une faiblesse mortelle, mais pleine de calme et de paix. Elle ne pouvait parler qu'ˆ voix basse et dit : " Je vis encore, gr‰ce ˆ la misŽricorde de Dieu. J'ai vu cette nuit au-dessus de moi deux choeurs d'anges et de saints. Ils se prŽsentaient les uns aux autres des fleurs, des fruits, des lettres de l'alphabet. Il semblait qu'une partie dÕentre eux voulait que je

mourusse, l'autre que je restasse en vie. Je crus moi-mme que j'allais mourir. Je n'Žtais plus dans mon corps. Je le vis Žtendu sur le lit pendant que j'Žtais doucement ŽlevŽe en l'air. J'ai eu encore la force de me. confesser et de faire

venir votre frre parce qu'il s'Žtait f‰chŽ trs-fort contre moi. Je lui parlai et aprs cela je n'eus plus rien qui m'inquiŽt‰t. Je ne me rappelle plus ce que je lui ai dit : je ne le disais pas de moi-mme : mon guide Žtait prs de moi et me suggŽrait les paroles (note).

 

(note) Ç Le frre du Plerin raconta ˆ celui-ci qu'aprs s'tre confessŽe, elle lui avait parlŽ d'une manire admirable, et que, si les choses Žtaient comme elle le disait, tout cela Žtait de grande consŽquence pour lui, il avait pris la rŽsolution de ne rien prŽjuger ˆ cet Žgard. È

 

17 fŽvrier. " Le frre, ˆ la suite de sa rŽconciliation avec elle dans la dernire nuit d'agonie, n'a point changŽ de manire de voir en ce qui la concerne."

 

 

Je fus ŽlevŽe en l'air et je me vis entourŽe de saints. Les uns priaient pour que je mourusse, les autres pour je continuasse ˆ vivre et ils me donnaient en prŽsent des prires et des mŽrites. Un saint me montra ˆ Munster un homme mourant dont la conscience Žtait en trs mauvais Žtat et me dit qu'il fallait m'agenouiller et prier. Je fis prŽsent au mourant de la prire que les saints avaient faite," mon intention, et comme je ne savais pas si mon confesseur me permettrait de prier ˆ genoux, parce que dans la journŽe, il me l'avait souvent dŽfendu, je lui envoyai le saint pour lui demander cette permission. Il revint me dire qu'elle Žtait donnŽe; alors je m'agenouillai et priai. Je vis qu'un prtre vint prs du mourant. "

Le confesseur raconta au Plerin ce qui suit : " La malade prŽsentait tous les sympt™mes d'une mort prochaine. Aprs s'tre confessŽe, elle fit appeler le frre du Plerin avec lequel elle s'entretint ˆ voix basse. Celui-ci alors s'agenouilla prs du lit et pria : j'Žtais dans la premire pice et je me disais : " Dieu veuille qu'elle me donne un signe pour me faire savoir si elle reviendra de lˆ, afin qu'en cas de mort, je puisse lui porter les derniers sacrements. È Alors elle se releva tout ˆ coup sur ses genoux, dit un Pater ˆ, haute voit et parla d'un homme qui mourait ˆ Munster. Elle resta ensuite Žtendue les bras en croix, au-dessus du lit qu'elle ne semblait pas toucher. Elle m'a dit aussi que Lambert aurait du souffrir encore dix semaines sur son lit de douleur, qu'elle avait dŽtournŽ cela par sa prire et que maintenant elle devait tre malade pour y supplŽer. Elle dŽclara qu'un court espace de vie lui Žtait encore accordŽ. È

 

17 fŽvrier, dimanche de la QuinquagŽsime. " J'ai eu une nuit affreuse. Trois fois Satan m'a assaillie et horriblement maltraitŽe. il vint du c™tŽ gauche de mon lit avec une figure sinistre et enflammŽe de colre. Il m'assaillit avec d'horribles menaces. Je le repoussai loin de moi et je priai ; mais il me frappa et me jeta de c™tŽ et d'autre. Ses coups Žtaient bržlants, c'Žtait comme du feu. Enfin il se retira. Je priai et j'appelai Dieu ˆ mon secours. Satan vint encore, me frappa et me tira violemment de tous les c™tŽs. Je le surmontai de nouveau, j'appelai JŽsus ˆ mon aide et je restai toute tremblante et en proie ˆ de cruelles souffrances. Vers le matin, il revint pour la troisime fois. Il me maltraita comme s'il ežt voulu me briser tous les membres. Ils craquaient ˆ l'endroit o il les touchait. J'avais prs de moi les reliques et aussi la parcelle de la vraie croix. Satan se retira. Mon Žpoux cŽleste m'apparut et me dit. Ç Tu es mon Žpouse. È Alors je redevins calme. Lorsqu'il fut jour, je vis que l'ennemi avait tout bouleversŽ dans ma chambre.

Ces attaques se renouvelrent dans la nuit suivante : Ç L'ennemi, dit-elle, vint ˆ moi sous diffŽrentes formes, me saisit par les Žpaules et, plein de rage, m'accabla de reproches. Souvent il est grand et d'un aspect imposant, comme s'il Žtait quelque chose et qu'il ežt des ordres ˆ donner : il veut prendre l'air saint et me reprŽsente alors avec beaucoup de gravitŽ que je lui ai fait grand tort, que j'ai secouru telle ‰me du purgatoire ou que j'ai empchŽ telle personne de faire une mauvaise action, comme si c'Žtait lˆ un grand crime. Souvent il vient sous une forme affreuse, avec une large figure trs-effrayante et des membres contournŽs; il m'injurie, me pince et me tiraille. Parfois aussi il emploie la flatterie. Je le vois encore courir partout, sous la forme d'un petit homme avec des poils de renard, une corne sur la tte, des bras trs-courts dŽpourvus de coudes et des jambes dont les genoux sont tournŽs en arrire.

Ces souffrances du corps et de l'‰me qui s'emparrent d'elle si vite aprs la mort de Lambert et qui se succŽdaient constamment mirent la malade dans un Žtat o il lui devint excessivement difficile de contenter le Plerin, qui voulait toujours l'entendre raconter ses visions, et de supporter ses caprices. Hasardait-elle la moindre allusion ˆ sa dŽtresse et ˆ la grandeur de ses souffrances, le Plerin Žclatait en plaintes : " On ne l'entend parler que de sa misre, ses tourments, de ses chagrins, de tout ce qu'elle a fait, et on est accusŽ soi-mme de lui avoir prŽparŽ des ennuis. Aprs cela c'est une couple de vieilles femmes, ou le ma”tre de la maison ou quelque vieille fille, toutes personnes trs-insignifiantes, par qui elle se laisse troubler. Elle ne se dŽbarrasse pas de ces gens et ainsi les vieilles niaiseries, lui revenant de nouveau ˆ l'esprit, deviennent pour elle un tourment qu'elle ressent comme le plus grand des malheurs; alors elle laisse Žchapper tout ce qui lui a ŽtŽ montrŽ en vision. Ces visions auxquelles le Plerin sacrifie une portion sŽrieuse de sa vie sont ŽtouffŽes sous les ordures de quelques mouches qui hantent sa chambre : car ce n'est rien de plus que cela. "

On voit que l'habitude rend le Plerin de plus en plus indiffŽrent aux souffrances de la malade, ˆ ce point qu'elles sont susceptibles de le mettre d'aussi mauvaise humeur que les dŽrangements extŽrieurs de chaque jour. C'est pourquoi on ne voit plus dŽsormais dans son journal la moindre trace d'une apprŽciation plus indulgente de la situation extŽrieure et de l'entourage d'Anne Catherine : celle-ci mme n'a plus ˆ ses yeux de destination plus ŽlevŽe que de raconter ses visions. Mais si, par suite des avis de son guide, il arrive qu'elle ne puisse ou ne doive pas satisfaire ˆ ces exigences, elle est impitoyablement jugŽe et condamnŽe."

 

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